Humaniser la fin de vie 1/5     Retour page d'accueil     -    © copyright Thierry TOURNEBISE

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Attitudes, 
sensibilité, réactions

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Commencer par la vie

Progrès en cours

Humaniser la fin de vie est aujourd’hui une préoccupation de plus en plus présente dans les milieux de soin. Les directives ministérielles au niveau de la santé vont en ce sens, les praticiens aussi. Tout semble donc pour le mieux. Il es certain que la médecine d’aujourd’hui prend mieux en compte la douleur… mais s’il reste encore d’importants progrès à réaliser.

Pour vraiment humaniser la fin de vie il sera utile de vérifier si nous savons déjà humaniser la vie. Il semble bien présomptueux de prétendre humaniser la fin de vie, si on ne sait pas tout simplement humaniser la vie avant sa fin.

Entre intention et réalisation

Depuis quinze ans que je forme du personnel hospitalier j’ai, la plupart du temps, rencontré des soignants et des médecins ayant pour projet une réelle délicatesse et un réel respect des patients. Mais j’ai aussi pu constater qu’en avoir le souhait est une chose, le réaliser en est une autre.

J’ai même remarqué que de nombreuses habitudes, même des protocoles et des attitudes recommandées dans un projet respectable, vont totalement à l’encontre de ce qu’il faudrait faire… et produisent l’inverse du résultat attendu.

Exemple d’attitude contradictoire

Il est actuellement à l’ordre du jour de favoriser l’autonomie du patient. Mais qu’est-ce que l’autonomie? Nous voyons, par exemple dans les services de soin, que pour favoriser cette autonomie du patient, l’équipe aura pour projet de le lever et de le faire marcher. Quand il ne veut pas, chacun tâchera de le convaincre délicatement en lui expliquant que c’est important pour lui. S’il ne comprend pas, on tentera alors un peu le «forcer»… pour son bien.

Bien quel 'attitude soit juste sur le plan physique (ergothérapie), remarquons que la situation devient vite ambiguë. Pour qu’il reste autonome on lui demande d’abandonner ce qu’il pense, ce qu’il sent. On va soigneusement le convaincre, c'est-à-dire délicatement lui demander d’abandonner sa pensée pour adopter la nôtre ! Est-ce cela l’autonomie ? Et si nous prenions soin de ne pas mélanger autonomie et lobotomie !

Peut être ce dernier mot vous a-t-il choqué. Certes il est fort. Mais je reconnais me sentir aussi profondément attristé quand je remarque à quel point la dignité du patient est involontairement détruite.

Les nombreuses chartes du malade que l’on voit apparaître sur les murs des hôpitaux n’y changent pas grand-chose. Il ne s’agit pas seulement d’une règle à établir, mais surtout d’un état d’esprit, d’une approche de l’autre totalement différente.

Aider les soignants

Naturellement, personne ne souhaite l’irrespect, au contraire … c’est pourquoi je vous invite à ne pas en faire le reproche aux soignants, pratiquement tous extrêmement dévoués.

Toutefois,  il semblerait qu’on ne leur ait pas donné les clés de ce qu’est l’humanisation. Il semblerait que les soignants soient souvent empêtré dans des croyances  modernes  sur l’empathie et la bonne distance, sur le projet maladroit de trouver une solution quand il y a un problème, sur la confusion entre l’affectivité et la chaleur humaine, sur le fait d’être persuadé que le savoir est seulement du côté du soignant…. Tout cela s’embrouille et altère la qualité psychologique du soin.

Le petit exemple, ci-dessus, sur l’autonomie est un cas fréquent. Et il ne concerne qu’un cas parmi pleins d’autres. Vous trouverez de nombreux exemples dans l’article de mai 2001 sur les personnes âgées.

Ainsi, avant de chercher à humaniser la fin de vie, saurons nous déjà humaniser la vie, y compris des personnes jeunes… même de celles qui ne sont pas malades!

Il s'agit d'un apprentissage nouveau qui consiste à être capable d’assertivité, c'est-à-dire être en même temps dans le respect d’autrui et dans l’affirmation de soi, savoir être humain sans être vulnérable, être distinct sans être distant, être chaleureux sans être dans l’affectivité… Autant de notions à clarifier pour vraiment humaniser l’existence.

Stratégies face à l’inacceptable

Tant que la mort n’est pas là, il s’agit de vie, mais la personne en fin de vie se trouve dans une zone d’existence inconnue pour les autres et tout juste découverte par elle. Elle est invraisemblable, impossible, incroyable, inacceptable et totalement inattendue. Les ressentis y sont sans repères connus. Tout ce qui a été imaginé ne permet pas d’accepter spontanément une telle situation, une telle dimension d’évènement.

Pourtant les étapes qui y sont traversée ont déjà été traversées dans d’autres circonstances de l'existence. Mais ici l’ampleur dépasse tout.

Tout commence par une auto anesthésie salutaire.

Anesthésie spontanée face à l’impossible

Au cours de sa vie, un être humain est parfois confronté à diverses situations pénibles. Quand celles-ci dépassent ses capacités d’intégration, quand elles sont insurmontables, il ne peut spontanément les digérer et en sortir instantanément grandi et serein.

Avant d’intégrer une situation insurmontable, avec les moyens qu’il a d’y faire face, il traversera d’abord plus ou moins automatiquement six étapes.

L’anesthésie spontanée est la première de ces étapes

La pulsion de survie l’amène à naturellement s’anesthésier pour éviter la douleur de l’impact 

C’est la phase dite de déni dans laquelle le patient peut même se comporter «comme s’il n’avait pas entendu». Il se dit «non, c’est impossible!».

Vous remarquerez que cette attitude concerne aussi, de façon moins aiguë,  toutes les situations difficiles de l’existence. Surpris par un ennui, même aussi ordinaire que la tondeuse à gazon qui ne démarre pas,   des phrases jaillissent spontanément de la bouche : «J’y crois pas!», «Non! C’est pas possible» «Oh non pas encore!»

Dans des situations plus difficiles, mais pas au point de la fin de vie, une infirmière de pédopsychiatrie se plaignait que la mère soit généralement dans le déni par rapport à la pathologie de son enfant et à la nécessité de sa prise en charge.

Cependant, alors que la mère déni la pathologie de l’enfant, car il lui est douloureux de la reconnaître, la soignante, elle, est dans le déni de la douleur de la mère, car celle-ci rend le soin de l'enfant plus difficile.

En fait le déni semble fréquent de part et d’autre, chacun reprochant à l’autre de ne pas le comprendre !

Cette attitude de déni est comme un réflexe de survie pour échapper à ce qui est pénible, pour échapper à ce qu’on ne sait pas intégrer spontanément.

Comme la fin de vie est évidemment particulièrement inacceptable, le déni y sera d’autant plus fort ou tenace.

Puis arrive l’étape suivante.

La colère du «réveil»

La pulsion de survie a conduit vers l’anesthésie pour échapper à la douleur. Maintenant,  la pulsion de vie va entrer en action et amener la réanimation. La sensibilité va commencer à revenir, la conscience va progressivement accéder à ce qui se passe vraiment.

La réalité commence à être perçue. Cette sortie de l’anesthésie, conduit à réaliser que «si, c’est vrai». Le sentiment d’injustice d’être ainsi surpris par un évènement aussi improbable révolte, met en colère et conduit à des phrases comme «Pourquoi moi?» «C’est pas juste!» C’est comme un cauchemar révoltant. Mais alors qu’on croyait rêver, on y réalise que ce n’est pas un cauchemar. C’est vraiment ce qui se passe.

Cette colère apparaît aussi dans des situations difficiles ordinaire. «La voiture est encore en panne! Juste au moment où j’en ai besoin ! Ce n’est pas vrai ! Mais pourquoi ça m’arrive justement là ? C’est vraiment injuste!» On remarquera la succession quasi instantanée du déni puis de la révolte.

Quand il s’agit d’une fin de vie, le déroulement est le même, mais vu la gravité de la situation, l’ampleur de la réaction est toute autre et la succession des deux étapes demande plus de temps.

Se soutenir par quelques derniers espoirs

Cette troisième étape est généralement appelée «marchandage». C’est un moment où le malade en fin de vie entreprend une tentative désespérée de négociation pour s’en sortir.

Je n’aime pas le mot «marchandage». Certes? c’est une tentative de transaction où il  négocie sa vie contre sa bonne conduite : «Mais si je me soigne correctement?» «Je ferai attention à mon alimentation!», «je ne me fâcherai plus pour rien». Le côté physique, le côté psychique ou moral, puis le côté spirituel «Je ferai un pèlerinage» peuvent successivement être passés en revue dans l’espoir qu’avec ça il va bien s’en sortir.

Dans les situations ordinaires de la vie il en sera de même, mais à un degré moindre, bien sûr. Pour l’exemple de la voiture en panne, après le déni (mais c’est pas vrai!), puis la révolte (pourquoi ça m’arrive aujourd’hui? c’est vraiment trop injuste!) arrive le moment des bonnes résolutions «La prochaine fois je surveillerai mieux ma voiture et je la ferai réviser à temps»… mais la négligence d’autrefois se reproduit quand même ultérieurement et la situation se répète.

Dans le cas extrême de la fin de vie l’enjeu est terriblement différent par sa gravité et surtout parce qu’il n’y aura pas de prochaine fois. Cependant, se raccrocher à l’espoir d’une solution aide à vivre. Ce n’est plus tout à fait une anesthésie. Il s’agirait plutôt d’une sorte d’anxiolytique, dans lequel un peu de rêve permet de survivre, malgré tout, au choc. Pendant ce temps, inconsciemment, le patient, «digère» un peu l’évènement.

Puis la réalité prend le dessus et il passe à la phase suivante.

La déprime

Toutes ces solutions mises en avant deviennent obsolètes. Dans la tentative précédente de transaction, les solutions étaient mises en premier et le problème en second. Maintenant c’est l’inverse. Les solutions passent au second plan et deviennent dérisoires face à ce problème qui prend toute la place.

D’ailleurs «primer» c’est mettre en premier et «dé-primer» c’est ne plus mettre en premier. C’est un effondrement de ce sur quoi on pensait pouvoir solidement s’appuyer.  Il s’en suit un sentiment d’impuissance, de désespoir, de vide douloureux dans le quel un gigantesque «à quoi bon» provoque l'anéantissement. 

Plus rien n’a alors d’intérêt.

Cette phase est une phase de disparition du pouvoir et  de l’énergie. Une étape vécue si douloureusement qu’elle ressemble déjà à une fin du monde.

Mais cette impression de fin du monde n’est qu’une apparence. Ici l’énergie et le pouvoir disparaissent pour que la vie apparaisse.

Trop souvent on a confondu la Vie et l’Energie.

L’énergie c’est «Faire», la vie c’est «Etre». Or faire et être sont deux notions fort différentes. Au point que quand la vie nous dérange, une des stratégies est de faire plein de choses pour la fuir. Dans mon ouvrage «L’écoute thérapeutique» j’ai même intitulé un chapitre Le masque de faire. J’y montre comment nous enfouissons les moments de vie qui nous dérangent, en les faisant disparaître en soi dans des oubliettes, derrière un masque de faire pour récupérer un pouvoir sur notre existence.

La déprime touche la fin de vie, mais aussi de nombreuses autres situations de vie dont vous trouverez le détail sur ce site dans l’article «Dépression et Suicide»

La traversée de ce vide est plus ou moins longue et douloureuse. Si elle est bien accompagnée,  douleur et durée s’en trouvent diminuées.

La phase de déprime permet, grâce à l’absence d’énergie et grâce à l’absence d’intérêt pour quoi que ce soi, de passer à l’étape suivante où la «digestion inconsciente» porte ses fruits. L’attention y est ainsi plus tournée vers soi-même permettant de rencontrer ses véritables ressentis et de donner un sens à sa vie. Cette sensibilité apparaît car elle n’est plus occultée par une gesticulation de faire, d’énergie et d’intérêt.

L’acceptation

L’acceptation est une attitude d’accueil avec reconnaissance et sensibilité.

On prendra soin de ne pas la confondre avec la résignation qui n’est qu’un retour à une forme d’anesthésie, et même à une extinction totale de la sensibilité.

Avec l’acceptation, commence un chemin vers une sensation de vie. De nouvelles valeurs viennent alors colorer l’existence.

La fin de vie, c’est encore de la vie. C’est même tellement de la vie que j’ai souvent entendu des soignants évoquer qu’auprès de patients en fin de vie, ils sentent plus de vie (d’authenticité) que dans le quotidien ordinaire. A se demander où se trouve la vie?

Désormais, la difficulté devient différente pour le malade. Avant l’entourage avait du mal à entendre son déni ou son désespoir. Maintenant il a du mal à comprendre sa sérénité. Le malade ne peut toujours pas partager ce qu’il vit. Sur ce point la qualité de l’accompagnement manque encore terriblement d’humanité.

 

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