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La chaleur humaine

Marie de Hennezel, citée plus haut, fait sans doute partie de ces psys, trop rares, qui ont su faire la différence entre chaleur humaine et affectivité. Ne sombrant pas dans le travers de l’affectivité ils ont cependant compris qu’il n’y a pas d’aide sans chaleur humaine. Ils savent rester distincts sans être distants et chaleureux sans être vulnérable. Pour eux il n’y a pas de mythe de la bonne distance. Ils ont compris que la bonne distance, c’est «pas de distance du tout».

L’empathie ne les a pas embrouillés. Ils ont compris qu’il ne faut pas se mettre à la place de quelqu’un mais en être proche et l’entendre vraiment, lui, à la place où il est, en train de ressentir ce qu’il ressent. Toute tentative de se mettre à sa place pour le comprendre est une hérésie qui ne conduit qu’à s’empêtrer dans son propre imaginaire à soi et éloigne de l’autre.

Chaleur humaine et affectivité? Je ne reprendrai pas ici en détail la définition de ces deux notions totalement différentes, mais trop souvent confondues. Vous en trouverez le détail d’ans l’article « reformulation ».  Cependant, si vous n’avez pas le temps de lire cet autre article, juste un petit rappel :

La chaleur humaine

La chaleur humaine réchauffe, elle sécurise. C’est ce qu’on dégage quand ce qu’on fait, on le fait pour l’autre. L’autre reste libre à chaque instant. Sa dignité et son autonomie sont parfaitement préservées et encouragées. Le patient se sent libre, respecté et accompagné.

Il ne peut y avoir d’aide ou d’accompagnement sans chaleur humaine. C’est une sensibilité qui garantit une juste perception de l’autre. On y est ouvert (lucide). C’est une sensibilité qui garantit une juste perception de l’autre. On y est ouvert (lucide).

L’affectivité

L’affectivité étouffe, elle oppresse, elle prend la liberté, elle brise l’autonomie. C’est ce qu’on dégage quand, croyant faire quelque chose pour l’autre, on le fait en réalité pour soi. On y trouve la compensation à un de nos manques. Cela nous rend alors vulnérable et non seulement ne produit aucune aide, mais en plus peut «abîmer» celui qu’on croit aider. C’est une émotivité qui nous empêtre dans notre imaginaire et qui nous coupe de l’autre. On y est alors attaché (affecté).

En psy et en communication, les praticiens ont généralement bien compris que l’affectivité est nuisible. Mais trop souvent confondue avec la chaleur humaine, cela a malencontreusement conduit à supprimer cette dernière. Or il ne peut y avoir de soin réel sans chaleur humaine.

Avec ou sans spiritualité

Des convictions diverses

Il semble bien difficile de parler de la mort sans parler de spiritualité. Celle-ci s’exprime généralement à travers des religions qui tentent de donner un sens à la vie. Il y a des personnes pour lesquelles c’est un grand secours et il y en a d’autres à qui cela ne dit rien. Il est évidemment hors de question d’essayer de savoir qui a raison.

Mais on peut comprendre que donner un peu de solennité en pareil moment soit essentiel et que les cérémonies religieuses semblent le mieux satisfaire à ce critère (même en dehors de toute croyance).

D’autre part la croyance en un au-delà après la mort adoucit parfois la souffrance tant de celui qui part que de ceux qui restent.

Sur ce point il est fondamental de respecter les choix, la culture, les aspirations de chacun et de ne pas intervenir avec ses propres convictions personnelles.

Entre «Rien» et «Quelque chose»

Si l’on se veut respectueux, modeste et pragmatique, il est important de considérer la notion de croyance avec plus de précision.

Croire en quelque chose est une croyance. Croire en rien en est une aussi. Affirmer quoi que ce soit en l’absence de preuves est toujours une croyance. Personne n’a rapporté la preuve du quelque chose, mais personne n’a non plus apporté la preuve du rien.

Ne pas avoir prouvé qu’il y a quelque chose ne prouve pas qu’il n’y ait rien. Ne pas avoir prouvé qu’il n’y a rien ne prouve pas non plus qu’il y ait quelque chose.

Il s’agit d’un domaine qui ne fonctionne pas avec des preuves. Rien ne peut y être affirmé avec des certitudes si l’on veut rester pragmatique et respectueux.

Cela n’empêche pas chacun d’avoir ses propre convictions, ses impressions, ou une certaines sensibilité qui porte intuitivement à se positionner plutôt vers le quelque chose ou plutôt vers le rien.

Retenons qu’il y a deux positions : ceux qui croient (en quelque chose ou en rien) puis ceux qui ne croient pas (restant ouverts à toute éventualité).

Nous prendrons soins de ne pas confondre celui qui croit en rien et celui qui ne croit pas. L’un est fermé, l’autre est ouvert.

Dans tous les cas il est évident qu’accompagner quelqu’un, c’est d’abord respecter ce qu’il ressent, ce qu’il pense, ce qui, selon lui, a l’air juste.

Il semble pertinent de pouvoir tout entendre sans jamais tenter de ramener l’interlocuteur à nos convictions personnelles.

Pour vraiment aider ou accompagner, il est souhaitable de se sentir aussi à l’aise face à quelqu’un qui a le sentiment d’aller vers le néant, que face à quelqu’un qui a le sentiment qu’il va retrouver ses proches autrefois disparus.

Sensibilité incontournable

Cette neutralité n’entrave pas la sensibilité. Au contraire, elle lui permet de s’exercer avec plus de nuances et de subtilité.

Les croyances ont par contre souvent l’inconvénient majeur de diminuer fortement la capacité à percevoir. Quand on croit (à quelque chose ou a rien), la perception de ce qui se passe se réalise à travers un à priori. La lucidité s’en trouve très altérée.

Quand on s’attend à quelque chose, on ne voit pas ce qui se passe, si ça ne correspond pas à ce qui était prévu.

Or, dans le deuil et dans la fin de vie, il s’agit de zones de l’existence où il n’y a pas de repères. Tout y est hors normes. Beaucoup de choses fortes y sont perçues. Alors, toute idée préconçue détériore, surtout dans l’entourage, la capacité à percevoir.

Telle personne dira «de toute façon, après il n’y a rien,  depuis qu’il est mort, je ne ressens que du vide ». Dans ce cas il faudra l’accompagner sur ce vide ressenti, qui peut être l’opportunité de réhabiliter et réconcilier quelques ruptures antérieures.

Telle autre dira, «depuis qu’il est mort, j’ai l’impression qu’il est toujours là, tout près». Dans ce cas il conviendra de l’accompagner vers cette sensation de «tout près» qui peut être l’opportunité de «terminer» des communications inachevées.

Telle autre vous parlera de son expérience proche de la mort qu’elle a vécue (il y en a plus qu’on ne le croit). Le fameux tunnel, la lumière, la sensation d’être hors de son corps, de se rapprocher d’êtres bienveillants…etc. Elle a vraiment besoin qu’on entende avec sérieux ce vécu d’exception qui a changé sa vie.

Telle soignante dira «quand je rentre dans la chambre d’un patient qui vient de décéder, c’est comme s’il s’y trouvait plus de présence qu’avant sa mort»

L’intellect aime à tenter de rationaliser tout cela. Les mystiques, eux,  aiment à envisager la version surnaturelle. En réalité pendant ces querelles stériles, il y a quelqu’un qui ressent quelque chose d’important et que personne n’écoute… et c’est cela qui est fâcheux.

Accorder valeur à ces ressentis sans pour autant les prendre comme des preuves de quoi que ce soit permet une liberté d’écoute et d’accompagnement très subtile, très efficace et très respectueuse.

Les progrès face à la douleur

Nous venons de loin

Longtemps on a cru que les enfants petits ne ressentaient pas la douleur… au point de réaliser des interventions chirurgicales sur eux sans anesthésie!!!

Ces vingt dernières années, les progrès ont permis au contraire de découvrir que le système nerveux de l'enfant perçoit la douleur (influx nocioceptifs) dès la 8e semaine de grossesse. Ce sont au contraire les mécanismes d'inhibition et de protection contre la douleur qui sont immatures jusqu'au 3e mois après la naissance (ces quatre lignes sont extraites de l’article La mère et l’enfant)

Les personnes adultes qui ne s’expriment pas ont aussi tardées à être prise en compte sur le plan de la douleur. Aujourd’hui, le protocole Doloplus est par exemple un moyen d’y remédier. Ce protocole est une bonne chose, mais il est lourd et ne peut remplacer la sensibilité du soignant attentif.

Quand un protocole tente d’objectiver quelque chose pour servir de prothèse à un manque de sensibilité, le progrès n’est que partiel.

Des caricatures existent encore

Trop de médecins ont du mal à prendre en compte la douleur. Pour certains il s’agit juste de maladresses fâcheuses. Mais pour quelques autres, il semblerait qu’il y ait une conscience terriblement immature.

Par exemple une équipe soignante m’évoque ce praticien hospitalier qui estime que l’eva (évaluation de la douleur) est inutile. Puis, pour se justifier, il ajoute qu’un malade qui dit «haï!» montre qu’il a mal, c’est tout. Une autre équipe me parle d’un médecin qui ne veut pas calmer la cruralgie d’une patiente souffrant de neuropathologie diabétique estimant «on ne peut rien faire». Pire encore, dans un autre cas, face au  refus d’amputation du pied par une patiente, un chef de service propose de laisser sa douleur augmenter jusqu’à ce qu’elle réclame elle-même d’être amputée.

Il ne s’agit pas d’évènements anciens… mais de circonstances actuelles rencontrées dans des services de soins.

Même s’il ne faut pas en faire des gorges chaudes et les généraliser, ces cas sont vraiment attristants et révèlent trop d’immaturité.

Des attitudes plus nuancées

Avec plus de délicatesse, dans une réunion d’un service de soin, le cas d’une patiente qui se plaint d’avoir mal partout est évoqué.

Tout le monde se préoccupe sincèrement de son cas afin de voir si on peut l’apaiser. Un des médecins dit «Si elle dit qu’elle a mal partout, c’est probablement une douleur psy, car on n’a jamais mal partout» Il ne dit pas cela par déni, mais par préoccupation d’un juste diagnostic. Tout aussi soucieux de la qualité du soin, son confrère ajoute, «oui, mais si on calme (par médicament) sa douleur psy, on risque de la rendre inconsciente».

Or s’il s’agit d’une douleur psy (ce qui reste à établir vraiment) la solution médicamenteuse n’est pas la seule. L’écoute, la considération, la présence, la validation des ressentis… sont autant de possibilités non médicamenteuses qui peuvent ajouter avantageusement au soin… au point que le médicament soit dans ce cas diminué ou même devienne inutile.

Aujourd’hui, le regard sur la douleur se précise de plus en plus et les progrès sont immenses. Mais la prise en compte psychologique reste insuffisante. Une ancestrale culture de la lutte en freine la progression.

De la lutte vers l’écoute

Les équipes antidouleur

La prise en compte de la douleur a donné naissance à des unités mobiles de soins palliatifs apportant, dans les hôpitaux,  leur aide aux patients en fin de vie. Il y a là une grande avancée.

Mais j’ai parfois aussi entendu parler d’équipe antidouleur. Même quand le mot «équipe antidouleur» n’est pas prononcé, l’esprit de lutte reste présent. Comme s’il fallait livrer combat!

Or cette notion de lutte contre la douleur comporte discrètement un piège: Le positionnement contre la douleur n’est pas de même nature qu’un positionnement pour le patient.

Au premier abord la nuance ne semble pas importante. Remarquons cependant que combattre la douleur est une chose, mais que entendre et accompagner le patient en est une autre. Le bon ordre serait d’abord le patient, ensuite sa douleur. D’autant que pour soulager sa douleur il convient de l’avoir d’abord rencontré par la parole ou par l’auscultation (de préférence par les deux).

Avoir trop l’attention sur ce qu’on combat risque de faire oublier celui pour qui on combat. Reprenant le flambeau de la lutte contre le mal en le modernisant en lutte contre la maladie le risque est encore d’oublier l’individu et sa dimension de vie.

La médecine a dû apprendre à lutter contre la maladie. Elle enchaîne sa pratique par une lutte contre la douleur. Elle doit poursuivre jusqu’à s’ouvrir aux patients.

Vers plus de considération

Les médecins sont dans cette dynamique de respect et de considération, mais ils n’ont pas vraiment appris les aspects psychologiques de l’aide et ils sont débordés par trop de travail (souvent plus de cinquante heures par semaines).

Les soignants jouent un rôle majeur car ce sont souvent eux qui ont acquis des notions d’aide ou d’accompagnement. On trouvera aussi des bénévoles formés qui pourront, eux, consacrer plus de temps.

Les soignants ont à leur disposition de plus en plus de possibilités de formations sur l’humanisation de la fin de vie, sur la prise en compte de la douleur, sur l’accompagnement des patients et des familles. Mais eux aussi manquent de temps.

D’autre part, les besoins en personnel sont mal définis dans les soins palliatifs. Combien de médecins, combien d’infirmières, d’aides soignantes, de psychologues et de psychiatres faut il compter, par patient, pour obtenir une qualité de soin satisfaisante? Une fois qu’on le sait, quel budget viendra le financer?… puis quand on a le budget, y a-t-il sur le marché de l’emploi suffisamment de praticiens disponibles pour venir le faire?

Malgré ces insuffisances et ces incertitudes, les équipes de soin se mobilisent de mieux en mieux pour répondre aux besoins du patient qui atteint le seuil de son existence.

Le patient en fin de vie et son entourage sont de moins en moins niés, de plus en plus considérés, de mieux en mieux accompagnés.

Mais d’importants progrès restent à faire.

 

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