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Le Focusing

Un art du tact psychique

09 juillet 2007    -    © copyright Thierry TOURNEBISE

 

Dans ma publication « amour, libido et autres flux », j’avais abordé plusieurs approches de psychothérapie. Je n’avais cependant pas évoqué le focusing parmi les approches que l’on pourrait qualifier d’« existentielles ». 

Il s’agit, plus précisément, d’une approche de type « expérientielle », c'est-à-dire basée sur le ressenti, sur le vécu. Nous y trouvons une sorte de « flux de vie », dont la libre circulation se rétablit par la perception et la reconnaissance de ce qui est ressenti en soi (pour plus de précisions sur la notion de « flux de vie », vous pouvez lire la publication de mars 2005 « amour libido et autres flux »).

 

Sommaire

Ce qu'est le focusing
Sa source: Eugène GENDLIN
Simplicité et subtilité
Le sens corporel (felt sens)
L'idée de focus
La prise (handle)
Le mouvement corporel (body shift)

Rapport avec la maïeusthésie
Être libre de la recherche des causes
Être libre des solutions

Être libre du pouvoir
Considérer les résistances avec respect
Être libre des interprétations
Être simple mais surtout pas simpliste
L'auto thérapie possible

Quelques points de différence
Structure psychique
Les pulsions de vie et de survie
Le guidage non directif

Bibliographie

 

Ce qu’est le Focusing

Naturellement, je ne souhaite pas me substituer aux spécialistes du focusing et si vous souhaitez des informations « à la source », je vous invite à lire l’ouvrage d’Eugène GENDLIN « Focusing au centre de soi » (Editions de l’homme 2000) ou à visiter le site  de l’Institut de Focusing d’Europe Francophone ou www.focusing.org 

Le projet de ma présente publication n’est surtout pas de me substituer  à cet institut, ni à Eugène GENDLIN, mais juste de donner les points forts du focusing vus au travers de l’approche maïeusthésique décrite dans les 967 pages de mon site et dans mes ouvrages.

Sa source : Eugène GENDLIN

Eugène Gendlin est à l’origine du Focusing. Né en 1926, il devint professeur de psychologie à Chicago. Il est un psychologue et un philosophe attentif à la rigueur des expérimentations, mais n’a cependant rien cédé à la sensibilité, au respect, à la considération… bref à tout ce qui fait l’humanité d’une approche d’aide ou d’accompagnement. Il se forma à la psychothérapie auprès de Carl Rogers, avec qui il collabora pendant 11 années. Pour plus de détails biographiques, voir le site IFEF http://www.focusing.org/focusing-francais.html )

Simplicité et subtilité

Cette approche est très simple en apparence et pourtant, en même temps, très complexe par sa subtilité. Nous trouvons là le même paradoxe qu’en maïeusthésie. Eugène GENDLIN y développe l’idée de « sens corporel ». Le « sens corporel », pourrait se définir comme ce qu’on ressent en soi, profondément, intimement, mais qui n’est ni vraiment une émotion, ni vraiment une somatique. GENDLIN propose ainsi d’être attentif à ce qu’on ressent intimement, sans s’appuyer ni sur l’intellect, ni sur l’analyse, ni sur l’interprétation. Il va simplement vers une perception attentive de ce qui est en soi et vers sa reconnaissance. Il propose de « focaliser » notre attention sur ce « sens corporel ». D’où le nom « focusing »

Qu’on ne s’y trompe pas, cette simplicité apparente s’appuie sur une attitude précise, et extrêmement subtile. La difficulté est que cette attitude va un peu à l’encontre des habitudes, y compris à l’encontre des habitudes de nombreuses pratiques en psy. Cependant cette attitude ne nous est pas étrangère en maïeusthésie.

Nous y trouvons un grand respect des ressources de chacun et même l’idée que l’on peut s’aider soi même : 

« En outre, on peut utiliser ce procédé seul ou avec d’autres. La nature intrinsèque de nos problèmes personnels fait que nous en sommes les seuls responsables.  Aucune autorité ne peut les résoudre à notre place ou nous dicter une façon de vivre. » (Gendlin, 2000, p.18).  

Note : Les mots "sens corporel", "prise" et "mouvement corporel" sont les mots utilisés par le traducteur de l'ouvrage Focusing pour nommer en français ce que Eugène Gendlin appelle "felt sens", "handle" et "body shift". La difficulté à énoncer ces concepts, et le fait que les mots français ne correspondent pas aux mots anglais, m'ont conduit à mentionner et à explorer les mots dans les deux langues.

Le sens corporel (felt sens)

Le mot qui revient souvent dans le focusing est « sens corporel ». Il y représente un des fondements. Il porte cependant ses ambiguïtés et mérite une précision. 

« Lorsque je parle du corps,  j’entends par là plus que le mécanisme physique » nous dit Eugène Gendlin (2000,p.83). 

« Un sens corporel, c’est le corps et l’esprit avant leur séparation » (p.163). 

« …ce quelque chose de vaste que vous sentez réellement, mais sans pouvoir le nommer » (p.92). 

Il nous avertit même que « Notre langue ne contient pas de mots pour décrire le sens corporel » (2000, p.89)

Le traducteur de l'ouvrage "Focusing"  utilise les mots « Sens corporel » pour représenter « felt sens », initialement utilisé par Eugène GENDLIN. La traduction est loin d'être du mot à mot et peut sembler obscure! La formulation initiale fournit alors un précieux complément d'information car felt c’est aussi feel en anglais. Nous connaissons tous l’expression « avoir du feeling » pour nommer une sorte de sensibilité un peu indéfinissable. To Feel, en anglais, c’est la perception par le toucher. Mais au mot « toucher », sur le plan psychologique, nous pouvons préférer, en français, l’idée de « tact ». Avoir du tact, avec autrui, ce n’est pas le toucher physiquement, mais en avoir une perception sensible, permettant de le respecter.

Cette nuance « tactile » a trouvé une précision intéressante dans l’approche de Frans Veldman, l’Haptonomie, où le « toucher psychique » tient une place fondamentale. Le tact y est envisagé comme un canal entre deux êtres et le « toucher » y est plus psychique que physique, même quand il passe par un toucher corporel. Ainsi, Veldman a choisi le mot « haptonomie » en utilisant la racine grecque « hapsys » signifiant « tact » ( …dans le sens intime, avec cœur, intérieur, de qualité sensitive. [Veldman, 1989, p 44, 53, 71])

Si la compréhension du mot « sens corporel » (ou « felt sens ») est délicate, nous avons eu le même problème avec l’idée d’empathie. Son sens s’est même éloigné de son origine. Venant de l’anglais « empathy », étant lui-même la traduction peu heureuse de l’excellent terme allemand einfühlung (initialement utilisé par Theodor Lipps, puis Sandor Ferenczi) dans lequel fühlen a le même sens que feeling et désigne une sorte de « tact psychique ». L’empathie n’est ainsi pas vraiment « l’art de se mettre à la place de l’autre », mais « l’art d’avoir un tact psychique permettant de prendre la mesure des ressentis de l’autre ». Nous trouvons donc dans  einfühlung (empathie) cette idée de « tact psychique », comme dans « felt sens ».

Ainsi, quand on traduit « felt sens » par « sens corporel » nous devons l’entendre comme une sorte « feeling intérieur ».

Dans le « sens corporel », l’idée de « tact » définit qu’on y a la sensation de réellement « toucher » ce qui est en soi. Cette sensation y est « comme corporelle », mais elle n’est cependant pas somatique. Je développerai plus loin cette notion de « corporel » qui peut être considérée comme ni physique ni psychique. Nous avons donc ici ce paradoxe d’une réelle et intime perception, qui peut être qualifiée de « tact », et qui n’est pourtant pas vraiment le sens du toucher.

C’est là où, hors de l’expérience, il est délicat de faire exactement comprendre ce dont il s’agit : nous y sommes habités par une sensation qui nous remplit corporellement, sans toutefois être somatique.

Certains lecteurs en auront spontanément l’intuition. D’autres pourront trouver que de telles contradictions n’ont pas de sens.

Regardons quelques précisions proposées par GENDLIN lui-même :

« Le sens corporel n’est pas une expérience mentale mais une expérience physique. [….] Le sens corporel ne se présente pas sous forme de mots, de pensées ou d’un autre élément distinct. Il se présente comme un sentiment physique unique, bien que souvent déconcertant et complexe. » (2000, p. 41- 42) 

Il ajoute un peu plus loin 

« Il existe sans aucun doute des milliers de détails …. mais ils ne surgissent pas un à un à votre esprit comme des pensées. Vous les percevez plutôt tous à la fois comme sens corporel. » (p.42), 

« Une émotion est souvent distincte et, la plupart du temps, vous pouvez la nommer : colère, amour et ainsi de suite. Le sens corporel, plus vaste, plus complexe, est presque toujours vague, du moins jusqu’à ce que vous procédiez au focusing, et il est presque toujours difficile à nommer » (p.43) 

« Vous éprouvez une sensation intérieure, votre corps sait ce que vous ignorez » (p.46) 

« A certains moments, votre sens corporel est si vague qu’il disparaît presque tandis qu’à d’autres, il est si fort que vous croyez presque savoir » (p.47)

Ce « felt sens » capte quelque chose  de flou pour l’intellect mais qui est ressenti avec certitude. Ce sens corporel  est l’expression de quelque chose que nous ignorons consciemment mais dont toute la nuance nous habite.

L’idée de « focus »

Tout le monde, ou presque, sait ce qu’est un appareil photo « autofocus » : c’est un appareil qui permet d’avoir automatiquement la netteté des photos que l’on prend, sans se soucier de réglages.

Le focusing, concerne aussi la netteté, mais cette fois-ci, la netteté de ce qu’on perçoit en soi. On y « focalise » son attention sur une perception forte mais indistincte. Nous devons comprendre que la « sensation corporelle » (felt sensation) est ressentie, mais qu’elle est caractérisée par le flou. Vous savez c’est comme quand on a l’intuition de quelque chose, mais qu’on n’arrive pas à le formuler clairement, bien qu’on le ressente tout à fait. Une personne enseignant le focusing dit son expérience du sens corporel : 

« J’ai mis trois mois à m’apercevoir que le sentiment englobait plus que les simples mots, qu’il avait quelque chose comme des bords flous, que les mots n’arrivaient pas à décrire en entier » (Gendlin, 2000,p.95) 

La définition de Lao Tseu (V siècles avant JC) semble déjà parler d’une telle chose : « Grand carré sans angles, grand vase inachevé, grande mélodie silencieuse, grande image sans contours : le TAO est caché et n’a pas de nom, cependant sa vertu soutient et accomplit tout » (Lao Tseu, 2000, 41) 

Nous avons ainsi une chose qui existe, mais qui ne peut être définie ni par un son, ni par une image, ni par des idées. En bref, quelque chose qui ne concerne pas l’intellect, mais dont on peut être étonné de constater à quel point on le ressent (tact) dans une réalité intérieure.

L’idée de « focusing », ce n’est pas une tentative d’expliquer, mais juste une façon de « tourner son attention vers » ce qui est intimement ressenti. L’intellect, lui, ne pourrait que tenter laborieusement de faire une mise au point grossière, comme on le ferait avec un réglage manuel sur un vieil appareil photo. Mais la notion de « felt sens » est si subtile qu’aucun réglage manuel, si précis soit il, ne permet un tel ajustement de la netteté.

Le focusing, au contraire, invite tout simplement à laisser une sorte d’« autofocus » faire émerger la représentation adéquate. En fait, passer de « l’intellect » au « focusing » pour être plus conscient de nos ressentis intérieurs, c’est un peu comme passer du manuel (intellect) à l’automatique (focusing) pour obtenir la netteté.

Mettre en œuvre le focusing, c’est juste porter ou tourner son attention sur ce qui est intimement ressenti.

« Dès que vous ressentez le problème dans son entier, ne vous laissez pas distraire.[…] N’essayez pas de le régler. Contentez vous de le ressentir » (Gendlin, 2000, p.62) 

« Si vous percevez quelque chose d’imprécis, de significatif en vous à propos de votre problème, sans pouvoir encore le nommer, alors vous êtes arrivé au focusing » (p.67)

La prise (handle)

Quand notre attention est ainsi tournée vers notre ressenti, des mots ou des images nous émergent naturellement à la conscience. En décrivant ces images ou en énonçant ces mots, nous disposons alors ce que Eugène GENDLIN appelle « handle » et qu’on a traduit par le mot  « prise ». En fait, c’est ce par quoi on va pouvoir « saisir » ce qui n’était qu’une sensation floue. Ainsi, ce n’est pas la chose elle-même, mais juste ce par quoi nous allons la saisir. D’ailleurs, en anglais, handle signifie « manche » (comme pour un outil de jardin par exemple).

Cela fait penser au propos d’Epictète (1er siècle) :

« Chaque chose présente deux prises, l’une qui la rend très aisée à porter, et l’autre très mal aisée. Si ton frère donc te fait injustice, ne le prends point par l’endroit de l’injustice qu’il te fait ; car c’est par là où on ne saurait ni le prendre ni le porter ; mais prends le par l’autre prise, c'est-à-dire, par l’endroit qui te présente un frère, un homme qui a été élevé avec toi, et tu le prendras par le bon côté qui te le rendra supportable. » (Epictète, Manuel XLIII)

De la même façon chaque chose possède deux prises : une par l’intellect (malaisée) et une par le ressenti (aisée). Le focusing permet d’atteindre la « prise aisée ». Restons cependant attentifs au fait que la prise n’est pas forcément la chose elle-même, mais juste ce par quoi nous pouvons la saisir !

Avez-vous remarqué que nous sommes habitués à utiliser le mot « saisir » pour les choses de l’esprit ? Nous disons facilement à quelqu’un « tu as saisi ? » pour lui demander s’il a compris [du latin co (ensemble) prehendere (prendre)]. Ce que nous comprenons, c’est comme si nous le prenions ensemble. Là aussi il s’agit de prise.

Le mot « prise » (ce par quoi on saisit) n’est néanmoins qu’une imparfaite traduction du mot initial « handle ». Comme toujours, hélas, le passage d’une langue à une autre altère un peu le sens.

Dans le sens que nous venons de voir, Handle signifie « ce par quoi on peut prendre » comme « manche » ou « poignée ». Mais aussi nous trouvons to have a handle to one’s name  pour dire « avoir un titre de noblesse » c'est-à-dire « quelque chose par lequel saisir notre nom ».

Pour les mateurs de précisions: Nous remarquerons surtout que le verbe To handle signifie « tâter des mains », « toucher ». Mais aussi « manœuvrer » dans le sens « avoir en main ». Par exemple to handle a car  signifie « manœuvrer une voiture » et même  to handle a situation veut dire « avoir une situation en main » (Haraps Standard, 1979). Il y a, dans le « handle » de Gendlin, une sorte d’idée de « prise en main » de ce qui est ressenti en soi.

« Saisir », « conduire », « avoir en main » et « tact » sont des mots qui devront accompagner le mot « prise » pour en saisir la nuance.

Ce qu’en focusing on appelle « prise » est donc ce par quoi on « touche » la sensation. Il s’agit bien de « tact », de feeling (en anglais) ou de fühlen (en allemand). C’est une « prise » au sens d’Epictète. Cette  « prise » est ce par quoi on a le juste contact avec la sensation, jusque là éprouvée de façon floue  et insaisissable.

La « prise », c’est simplement ce qui surgit à l’esprit en terme de mot ou d’image quand on focalise (quand on fait le focusing) sur le ressenti (felt sens).

« Vous ne cherchez pas à analyser. Vous essayez de découvrir l’essentiel de votre sens corporel, la prise du problème pris dans son entier, la qualité particulière qui en émerge. » (Gendlin, 2000, p.63) 

« …évitez d’imposer des mots au sens corporel. Laissez le émerger dans son essence. Ou essayez doucement de lui appliquer un terme » (ibid)

Dans cet instant particulier du focusing, on perçoit dans son entièreté quelque chose que l’intellect ne peut appréhender entièrement. Par la « prise » (handle), on en tient une perception à la fois juste et fragile (car le moindre effort intellectuel peut nous la faire perdre) et en même temps solide (car profondément enracinée en nous).

Rappelons nous le sens du verbe to handle « tâter des mains » qui définit bien qu’il s’agit plus d’un contact que d’une manipulation. Ce contact produit spontanément ce que GENDLIN nomme « mouvement corporel »

Le mouvement corporel (body shift)

Ce qui est particulier en focusing, c’est que cette « prise » n’aboutit pas à un maniement de ce qui est « saisi ». Nous y trouverons plus l’idée d’un « contact » que celle d’une manipulation ou d’un contrôle, quels qu’ils soient. Nous ne trouvons ici aucun concept de pouvoir, ni d’énergie engagée pour améliorer quelque chose. Cela est très important. C’est comme s’il suffisait d’un « contact » pour qu’il y ait un sentiment d’apaisement.

C’est un peu comme si nous passions de « l’absence de contact » à « l’existence d’un contact ». On aurait pu dire switch (interrupteur) et constater que celui-ci était sur off, et soudain se trouve sur on. Comme si le « flux de vie » (c’est ici un langage maïeusthésique) pouvait de nouveau, ou « enfin », circuler normalement. Il en résulte un immédiat, et profondément réel, sentiment d’apaisement des tensions intérieures. On ne peut pas dire que quelque chose vient d’être ainsi évacué, mais plutôt que quelque chose s’est ouvert et permet une libre circulation de vie au plus profond de soi : un sentiment de justesse, de naturel, d’aboutissement.

Le « body shift » que nous propose GENDLIN, traduit par « mouvement corporel » est en fait une sorte de « contact qui s’ouvre » plus qu’un déplacement. Le mot « mouvement », quoi que juste, porte lui aussi une ambiguïté. Pourtant nous avons bien là une sorte « d’ergonomie existentielle » où la « disposition d’esprit » dans laquelle on se met soudain, semble plus juste, plus adéquate, plus paisible. On peut donc penser ici à une sorte de « mouvement » qui réajuste un positionnement.

De même que le « felt sens » (sens corporel) n’est pas somatique, bien qu’il soit éprouvé dans le corps, le « body shift (mouvement corporel) est un nouveau positionnement, une nouvelle disposition intérieure, sans qu’il ne produise forcément de mouvement physique.

Pour les amateurs de précision: Le mot anglais shift est également intéressant à explorer : il signifie changement de position, renversement (de sens), mais aussi équipe, poste, brigade, relais (work in shifts : travail par équipes qui se relaient) [Haraps Standard, 197]. Nous y trouvons l’idée de « relais », de fonction qui passe de l’un à l’autre. Quant au verbe To shift il signifie surtout  « déplacer » ou  « se déplacer, se désarrimer » et implique donc un certain degré de liberté.

Nous serons peut être encore mieux éclairés… par les claviers d’ordinateurs ! Nous y connaissons tous la fameuse touche « shift » qui permet de faire basculer la fonction d’une touche vers une autre fonction. Et bien, dans le « body shift », il s’agit un peu de cela. Tout ce qui était là reste là, ne bouge pas vraiment (comme la touche de votre clavier), mais la fonction change. Ce sur quoi nous avions notre attention, et qui présentait un mal être, se met soudainement à produire un bien être. Cela se produit par le fait qu’il y a cohérence entre le ressenti et le mot trouvé ou l’image qui est apparue et qui a été décrite. Nous verrons plus loin avec la maïeusthésie ce qui fait qu’une telle situation amène un apaisement.

Rapport avec la maïeusthésie

Etre libre de la recherche de causes

Nous remarquons que le focusing se situe en dehors de toute considération d’énergie, de solutions ou de pouvoirs. Nous y trouvons un grand respect de l’individu, de ses émergences intimes, de ses ressentis et même de ses résistances. On n’y cherche jamais une causalité du genre « la faute à qui ». On n’y cherche même pas vraiment de causalité du tout. Cela peut sembler paradoxal, mais bien qu’allant vers ce qui est « source » en soi, le focusing ne raisonne  pas en terme de causalité.

Nous avons coutume de penser que s’il y a un symptôme, c’est « à cause de » quelque chose ou de quelqu’un. Mais avec un tel principe, en psychothérapie, de nombreux praticiens tendent à rechercher dans la psyché les traces de ces « mauvaises causes » pour en libérer leurs patients. Pourtant, on peut aussi avoir un autre regard. Tout dépend si on raisonne en terme de « à cause de » ou de « spécialement pour ».  

En focusing, on ne raisonne pas en terme de cause. En maïeusthésie le point de vue adopté est aussi de ne pas raisonner en terme de « cause » : on y considère que les symptômes se produisent « spécialement pour » et non « à cause de ». Cela fait qu’au lieu de tenter d’éradiquer une cause néfaste, on s’y trouve en train d’accomplir un projet. Ce projet n’est pas celui du praticien, mais celui du patient. Le praticien ne fait qu’accompagner le patient dans sa réalisation. Si vous avez lu ce que j’ai publié sur ce site ou dans mes ouvrages, vous avez pu constater que les symptômes (ce qui est ressenti) n’y sont pas considérés comme se produisant « à cause de » quelque chose ou de quelqu’un, mais « spécialement pour » une rencontre ou une réhabilitation au plus profond de soi.

La notion de « à cause de » postule du « mauvais à éradiquer » alors que la notion de « spécialement pour » postule une « généreuse rencontre à accomplir ». Ce qui est particulièrement appréciable dans le focusing, c’est que même en allant au plus profond d’une grande douleur, on y trouve quelque chose de précieux. Ce n’est en aucun cas une sorte de chasse aux « sorcières » intérieures, mais plutôt la perception d’une justesse apaisante. Que ce soit pour le praticien ou pour le patient, nous y trouvons un bien être réciproque.  

« Faire du focusing, ce n’est pas travailler. C’est passer un moment agréable à l’intérieur de soi-même » (Gendlin, 2000, p.67). 

« Acceptez ce qui vient. Soyez heureux que votre corps vous parle » (p.166) « Le sens corporel de l’ensemble du problème est plus agréable que votre émotion face à lui » (p.104) 

« Pour reprendre le fil de vos idées, vous devez faire preuve de douceur, comme si vous aviez affaire à un enfant dont l’attention est distraite » (p.97). 

Dans le focusing, tel que GENDLIN nous en parle, il ne s’exerce aucune attitude ni de déni, ni de pouvoir, quoi qu’il surgisse et de quoi qu’il s’agisse.

L’axe de la reconnaissance bienveillante et tranquille y est toujours présent. Il s’y trouve toujours un généreux partenariat entre le praticien et le patient qui s’épaulent l’un l’autre pour aboutir. GENDLIN dit au praticien (qui a cependant déjà bien assimilé qu’il ne peut savoir à la place de son patient) : 

« Evitez de dire que vous n’avez rien saisi du tout. Servez-vous plutôt du moindre détail que vous avez compris, même très vague, ou des premiers éléments pour demander des éclaircissements par exemple : " je comprends que cela est important pour toi, mais je n’ai pas bien compris ce dont il s’agit… " » (p.123) 

« Si vous percevez quelque chose c'est qu'il y a quelque chose, mais vous ne savez peut-être pas de quoi il s'agit. Alors demandez-le.  » (p.132) 

Bien qu’il y en ait un qui accompagne et un qui soit accompagné, il n’y en a pas un « au dessus de l’autre », un peu comme dans le « counseling » rogérien où le praticien et le patient « tiennent conseil » et sont en positions équivalentes.

Tous ces points sont très proches de l’accompagnement maïeusthésique, et nous pouvons encore en aborder quelques uns avec plus de précision.

Etre libre des solutions

Le focusing met l’attention sur la perception et la reconnaissance du « sens corporel » mais ne cherche pas à résoudre quoi que ce soit. Cette attitude généreuse n’investit donc aucune « énergie contre » quoi que ce soit. J’ai déjà cité plus haut ce propos de Gendlin concernant le problème éprouvé : 

« N’essayez pas de le régler. Contentez vous de le ressentir » (p.62)

En maïeusthésie, cela concerne aussi une règle de base. On y remarque qu’aller vers quelqu’un pour lui proposer de rechercher des solutions revêt même une allure de violence. Une violence bien involontaire, certes, mais une violence tout de même. Le réflexe est pourtant hélas souvent de vouloir « résoudre ». Il se trouve que l’intellect peine généralement à réaliser qu’en ne cherchant pas de solution, on puisse quand même apporter une aide profonde et très efficace. C’est en effet une logique inhabituelle et l’on est en droit de se demander alors comment « l’aide » s’opère.

Par exemple, en maïeusthésie, le praticien se place en situation de « rencontrer » et non de « solutionner ». Il ne pense même pas à aider dans le sens où l’on entend généralement ce terme, mais plutôt à « rencontrer » et à « reconnaître ». De cette possibilité de « se révéler » et de cette reconnaissance, une douce sensation d’être aidé naît chez le patient, qui alors se « réorganise » intérieurement. Cela est bien plus aidant que de se trouver face à quelqu’un qui projette de nous faire « trouver nos problèmes » pour les résoudre. Cela se transformerait vite en recherche des horreurs à cause desquelles tout ce « mal est arrivé ». Or l’expérience de retrouver les horreurs qui se sont produites dans une vie ne semble pas thérapeutique. Ce qui est thérapeutique, c’est plutôt de retrouver celui qui les a vécues et de lui accorder le soin et la réhabilitation dont il a manqué, lors de ces circonstances.

Naturellement, il ne s’agit pas d’un a priori théorique arbitraire, mais d’un vécu réel et profond, d’un apaisement réellement ressenti. Eugène GENDLIN nous dit du focusing : 

« Nous avons découvert ce procédé en observant des patients qui l’appliquaient déjà. Nous n’avons rien inventé » (2000, p.158)

 Il en va de même en maïeusthésie. Il n’y s’agit que de « faire faire au patient ce qu’il faisait déjà ». Un peu comme quand une sage-femme accouche une parturiente : elle ne fait que l’accompagner dans cette mise au monde, en train de s’accomplir de toute façon. Ce n’est pas la sage-femme qui fait la mise au monde. Elle ne fait que l’accompagner.

Cette priorité absolue mise sur le sujet lui-même et non sur ce qui lui est arrivé, ne consiste pas non plus, bien évidemment, à nier les horreurs événementielles survenues dans une vie. Ces circonstances ne sont aucunement niées, mais ce ne sont pas elles que nous recherchons. Ce que nous recherchons, c’est celui à qui c’est arrivé. Or celui à qui c’est arrivé n’est jamais horrible, lui ! Ne pas distinguer l’individu qui a vécu l’événement et l’événement lui-même revient à lui faire offense et le brise plus que ça ne l’apaise.

Nous remarquons donc que nous n’y recherchons pas le problème et donc pas non plus la solution. L’idée est plutôt de se dire « quel est le projet ? » et non « quel est le problème ? ». Tout naturellement, un projet, ça s’accomplit, alors qu’un problème, ça se résout. Les démarches sont diamétralement opposées.

Il ne semble pas que GENDLIN ait parlé de projet dans son ouvrage « Focusing », mais on sent qu’il laisse s’accomplir ce qui se passe et l’accompagne avec respect. Il permet à ce qui doit s’accomplir de s’accomplir, comme si une sorte de projet pertinent était déjà là, bien avant l’entretien. Depuis ce qu’on identifie comme « problème » il va vers le « sens corporel », puis laisse ensuite émerger une « prise ». Il la met alors « côte à côte » avec la « sensation » et, si elle est juste, il se produit un « mouvement corporel ». Une sorte de chose qui s’accomplit en soi et dont la justesse donne un sentiment de bien être.

Etre libre du pouvoir

Même si le pouvoir est quelque chose qui ne semble pas aller avec l’aide, il peut être tentant d’en user pour améliorer le sort de quelqu’un. Naturellement je ne parle pas ici du « pouvoir » dans son sens brutal ou caricatural, mais d’attitudes comme convaincre, expliquer, motiver, rassurer, qui sont autant de façon d’être dans le pouvoir, dans l’espoir d’apporter un soutien. De telles attitudes peuvent hélas causer plus de nuisances que de bienfaits.

« Evitez les conseils, les réactions, les encouragements, les commentaires rassurants et bien intentionnés, car votre partenaire ne se sentirait pas compris » (Gendlin, 2000, p.121). 

Eugène GENDLIN attire ici notre attention sur le fait que de telles actions, quoi que se voulant généreuses, ne font que produire le contraire de l’effet escompté : « votre partenaire ne se sentirait pas compris ». Il nomme ici « partenaire » la personne aidée, pour souligner, d’une part que celui qui aide n’est pas forcément un thérapeute et d’autre part qu’il s’agit vraiment d’un partenariat.

Trop souvent, pour apporter une aide efficace, il arrive qu’on veuille être plus fort que les problèmes. On imagine alors maladroitement qu’il s’agit de les dénouer, de les expliquer, d’en combattre les causes, de redresser les erreurs ou les torts. Apporter la paix de cette manière est une illusion très coûteuse en énergie, qui peut même être néfaste.

Une telle attitude vient directement de la disposition d’esprit de celui qui aide. Quand celui-ci croit que les symptômes existent « à cause de » quelque chose, il est naturel qu’il envisage d’éradiquer ce « quelque chose » et soit prêt à dépenser beaucoup d’énergie pour y parvenir. Face à un aidant usant de tels pouvoirs (même pour son bien), l’aidé aura tendance à ne pas se laisser faire. On appelle cela des « résistances ». Il se trouve que ces résistances ne sont pas un signe de refus thérapeutique, mais une protection contre l’indélicatesse qui vient de se produire envers lui.

En focusing aussi bien qu’en maïeusthésie, il y a une vigilance toute particulière à ne pas être dans une telle attitude de pouvoir. Le pouvoir n’y fait pas partie de la panoplie du praticien.

En maïeusthésie un individu est considéré comme présentant un ressenti (symptôme)  « spécialement pour » réaliser quelque chose d’important et non « à cause » d’une mauvaise source. L’avantage inestimable est alors qu’il progresse rapidement vers une intime réhabilitation de soi, quasiment sans opposer de résistances. Il semble alors que son projet fondamental ne soit pas contrarié.

En focusing, l’attention se portera sur le ressenti et on se laissera simplement aller. On se laissera naturellement glisser vers le « felt sens » (sens corporel) pour capter  une « handle » (prise) en laissant s’accomplir un « body shift » (mouvement corporel).

En maïeusthésie comme en focusing, on rencontrera peu de ce qu’on appelle habituellement « résistances ». Dans les rares cas où il s’en présente tout de même,  ces deux démarches ont quelque chose d’important en commun : ces résistances seront profondément respectées et même considérées comme de précieux outils de « guidage ».

Considérer les résistances avec respect

Carl Gustav Jung et Carl Ransom Rogers ont émis des avis très explicites sur les résistances : 

« Dans la littérature il est tellement souvent question de résistances du malade que cela pourrait donner à penser qu’on tente de lui imposer des directives, alors que c’est en lui que de façon naturelle, doivent croître les forces de guérison » (Jung, 1973, p.157). 

« …la résistance à la thérapie et au thérapeute n’est ni une phase inévitable, ni une phase désirable de la psychothérapie, mais elle naît avant tout des piètres techniques de l’aidant dans le maniement des problèmes et des sentiments du client. » (Rogers, 1996, p.155)

Comme nous venons de le voir, ce sont souvent la recherche de solution et l’utilisation de « pouvoir » qui produisent ces résistances. Les attitudes de pouvoir engagées pour le bien de l’interlocuteur, pour redresser le « mal qui le tracasse », pour le libérer de ses soucis ou de ses tourments psychologiques, ont beau être animées d’une généreuse intention, cela ne fait que contrarier le projet intime (inconscient) de celui qui est aidé et il ne peut se laisser aller en toute confiance.

Pourtant, même en ayant une attitude libre de tout pouvoir, il se peut que le sujet aidé n’aille pas là où on l’invite, même si on ne fait que l’inviter là où il semblait vouloir aller. S’adressant au praticien face à celui qu’il aide, Eugène GENDLIN propose une attitude toute simple : 

« Laissez les vous corriger ou préciser leur pensée » (Gendlin, 2000,p.122). 

Puis, pour accompagner une personne qui « bloque »,  il nous invite avant tout à l’ouverture : 

« Elle ne doit pas essayer de répondre à la question ; elle doit plutôt ressentir ce qui la bloque » (p. 128). 

Et quand l’interlocuteur fait diversion, il nous avise d’un point important : 

« S’il change de sujet, surtout pour en aborder un de moins significatif et moins personnel, c’est qu’il a abandonné l’espoir de pouvoir exprimer correctement ce qu’il ressent » ( p.214).

Pourtant, avec beaucoup de délicatesse, Gendlin ne nous demande pas d’être parfait 

« Si vous découvrez que vous avez embrouillé l’autre personne, reprenez le dernier point où elle était en contact avec ses sentiments » (p.131). 

Il nous invite juste à rester en partenariat avec celui qu’on aide, et les ajustements se font pratiquement d’eux-mêmes.

Ces attitudes sont très présentes en maïeusthésie : se laisser conduire par celui qu’on aide, considérer une résistance comme un guidage et non comme un blocage. Là où certains verraient un mur, en maïeusthésie on voit un « panneau indicateur du chemin à prendre ». La résistance y est considérée comme un réajustement pertinent du cheminement correct qu’on a failli manquer.

Etre libre des interprétations

L’interprétation fait partie de certaines approches de psychothérapie. Même s’il peut se trouver de la pertinence dans nombre d’entre elles, ces interprétations peuvent aussi être source d’égarement et ne conduire le praticien qu’à projeter sa propre croyance chez son patient. Donald Wood WINICOTT, quoi que psychanalyste, a déjà pointé cette dérive : 

« La psychothérapie ne consiste pas à donner des interprétations astucieuses et en finesse ; à tout prendre, ce dont il s’agit, c’est de donner à long terme en retour au patient, ce que le patient apporte » (1975, p.213) 

« L’interprétation donnée quand le matériel n’est pas mûr, c’est de l’endoctrinement qui engendre la soumission » (p.104) « Le principe est le suivant : c’est le patient et le patient seul qui détient les réponses » (p.163) 

Avec la maïeusthésie nous sommes très proche de cette considération de WINNICOTT selon laquelle c’est le patient qui sait. C’est lui qui nous renseigne, qui nous conduit, qui nous éclaire. Ce point est même si important que j’ai publié en avril 2001 un article intitulé « Le non savoir source de compétence ». J’y souligne ce point capital selon lequel il est souhaitable de ne pas nous substituer à notre interlocuteur, où il importe d’accepter « ne pas savoir à sa place ». Ce « non savoir » est ainsi un fondement de la compétence en psychothérapie et même tout simplement en communication.

Eugène GENDLIN aborde ce thème en toute simplicité : 

« Si vous percevez qu’il y a quelque chose, c’est qu’il y a quelque chose, mais vous ne savez pas de quoi il s’agit. Alors demandez le » (Gendlin, 2000, p132, déjà cité plus haut). 

Autrement dit : « Plutôt que d’interpréter… demandez ! ». Puis, pour qu’on ne s’égare pas dans l’intellectualisation du propos il ajoute 

« Ne vous attachez pas qu’aux mots de la personne. Y a-t-il de la colère dans sa voix ? Du découragement ? De l’insistance ? Sa voix se brise-t-elle à un moment donné ? De quelle façon dit-il ces mots ? » (p.132). 

« Quoi que la personne dise après que vous l’ayez aidée à percevoir un sens corporel, reformulez en l’essence » (2000, p.127). 

On pourrait craindre qu’une telle attention à ce qui est exprimé au-delà des mots conduise à une dérive dans l’interprétation. GENDLIN est particulièrement attentif à cela : 

« évitez de tirer des conclusions ; contentez vous d’interroger » (p.130). 

Quand il dit:

« Les réactions non verbales sont souvent le signe que la personne devrait essayer d’en saisir le sens corporel » (p.131) 

...il part d’un a priori de la présence de ce sens corporel… et que l’interlocuteur a juste à le contacter en lui.

Etre simple mais surtout pas simpliste

Ce qui caractérise le focusing est sa simplicité. Cette approche a pourtant été élaborée avec de nombreuses observations, de nombreuses études de cas, de nombreux entretiens de psychothérapie. Professeur de psychologie et docteur en philosophie, Eugène GENDLIN a poursuivi ses recherches avec rigueur.

« Nous nous sommes penchés sur des questions relatives à l’efficacité des thérapies » (Gendlin, 200, p.15) 

« …des plus classiques aux plus récentes. Nous avons analysé des centaines de séances de thérapie, sur bandes magnétiques » (ibid) . 

Eugène GENDLIN et son équipe ont ainsi pu découvrir qu’il y a des patients « favorisés » bénéficiant naturellement d’une aptitude qui faisait que quasiment n’importe quelle thérapie fonctionne pour eux. 

« L’aptitude intérieure dont je veux vous entretenir s’appelle « focusing ». » (p.16) 

« Ce qui nous a le plus étonné au cours de nos recherches, ce fut de pouvoir identifier, dès les deux premières séances de thérapie, les patients qui possédaient cette faculté interne déterminante. Nous pouvions prédire le succès ou l’échec de la thérapie par la seule analyse des premières séances. Des recherches statistiques méticuleuses nous ont appris que nos chances d’obtenir le même résultat en procédant au hasard était de une contre mille » »(ibid)

GENDLIN a si bien su tirer de ses recherches ce qui fait l’essence du phénomène thérapeutique, que l’aboutissement en est simple. On ne peut pas pour autant dire que le focusing est simpliste. Il s’appuie sur des nuances d’une grande subtilité au point qu’elles sont même souvent délicates à mettre en mots. 

« Notre langue ne contient pas de mots pour décrire le sens corporel » (Gendlin, 2000, p.89) [déjà cité plus haut] 

Sa simplicité vient du fait qu’il a considéré que le patient est le détenteur de l’essentiel. Ce n’est pas une simple façon de parler car il précise même :

 « Laissez les vous corriger ou préciser leur pensée » (p.122) [déjà cité plus haut]

Il ne considère pas des « cas », mais des individus avec leurs ressources : 

« Dès que vous verrez les possibilités qu’il offre, aucun cas ne vous paraîtra désespéré. En fait, vous ne considérez plus qu’il s’agit d’un cas, car les aspects que je vous décris chez une personne sont superficiels et temporaires » (Gendlin, 2000, p.30-31) 

Derrière ce qui apparaît au premier abord (symptôme de surface), se révèle un individu, et au fur et à mesure des émergences, nous observons différentes fluctuations des ressentis qui montrent que la notion de cas n’a pas lieu d’être.

Du fait qu’on se laisse constamment guider par le sujet, Gendlin n’a pas de crainte à intervenir activement : 

« …vous pouvez interrompre la personne pour lui montrer doucement comment approfondir ses sentiments » (p.126).

Il est sans doute bien difficile pour lui d’énoncer de telles choses qui semblent parfois se contredire. Considérant qu’il n’y a que le patient qui sait, il s’autorise cependant à intervenir jusqu’à interrompre la personne aidée. Si une telle démarche semble loin de l’écoute non directive, elle en est plus proche qu’on ne le croit et c’est là la difficulté à faire sentir au lecteur de quoi il s’agit. Il ne fait pas taire le patient pour qu’il ne dise rien, mais pour qu’il exprime plus précisément ce qu’il cherchait à dire. Il nous a bien invité à ne pas s’arrêter aux mots, mais à ce qui est vraiment exprimé, essentiellement en non verbal. Et pourtant nous n’entrons pas pour autant dans le champ de l’interprétation. Seule la pratique et l’expérience peuvent rendre compte d’une telle subtilité dans laquelle un infini respect et une grande confiance sont toujours présents.

En maïeusthésie, nous sommes aussi dans la simplicité (c’est le patient qui sait et qui nous guide). On ne fait que faire faire au patient ce qu’il fait déjà (aller vers lui-même). Il accomplit en lui des connexions, il rouvre des contacts qui font que le flux de vie circule de nouveau, ou circule enfin. Les processus en cours sont considérés comme toujours justes ou pertinents (confiance) et le patient n’y est jamais considéré comme un cas mais comme quelqu’un en train de se rapprocher de lui-même, d’accroître sa qualité « d’être au monde », comme le disent les psychologues existentiels. D’où le mot « maïeusthésie » du grec maieustikê (art d’accoucher) et aisthêsis (sentir, percevoir) car il s’agit bien de quelqu’un qui continue à venir au monde.

En maïeusthésie nous sommes aussi dans la subtilité car tout est dans ce qui est ressenti et pensé par le praticien : souhaite-t-il aider ou rencontrer ? Projette-t-il de résoudre ou de réhabiliter ? Prévoit-il de libérer son interlocuteur ou de le faire se rencontrer ? Projette-t-il de le forcer à se rencontrer ou l’accompagne-t-il dans une rencontre qui est déjà en cours ? …etc. On est, hélas, souvent en recherche de techniques alors que l’élément premier est l’attitude, le projet, la direction vers laquelle se tourne le praticien, en partenariat avec celui qu’il aide.

L’auto thérapie possible

Ce qui caractérise le focusing, autant que la maïeusthésie, c’est que l’auto thérapie y soit possible.

Bien qu’Eugène GENDLIN nous précise que le focusing se fasse plus aisément en présence d’un « partenaire » (et c’est la même chose en maïeusthésie), il insiste sur le fait que c’est une affaire entre soi et soi et qu’il peut se réaliser seul. La présence d’un « autre », et l’accompagnement qu’il peut donner, sont d’un précieux soutien, mais il ne faut pas exclure cette possibilité d’accéder par soi même à se qui se passe en soi.

Le handicap est que nous avons tendance à ne nous attacher qu’à un aspect d’un problème ressenti, ou pire encore à des circonstances auxquelles nous l’attribuons. GENDLIN insiste sur le fait que:

« Il importe de laisser se former en soi un sens corporel plus général, plus vaste » (p.38). 

« Certes le problème auquel vous songez comporte nombre d’aspects et vous ne pouvez les envisager tous un à un. Cependant vous pouvez sentir tous ces aspects réunis » (p.52) 

Il décrit, page 53, le cas d’une personne dont le compagnon casse un plat en le faisant tomber par mégarde: 

Cette personne pique une colère contre son compagnon. Elle-même fut surprise par la force de sa propre réaction. Plutôt que de continuer sa colère ou, au contraire, de la refouler, elle décida de mettre en œuvre le focusing sur ce ressenti. Ne se laissant pas envahir par des fausses causes, elle découvrit, en étant à l’écoute de son « sens corporel » que finalement tout cela n’avait rien à voir avec le plat cassé (même si elle y tenait beaucoup), ni avec son compagnon (même si elle était contrarié par sa maladresse). Elle en arriva à réaliser que c’était la bonne humeur de son compagnon qui la contrariait… et qu’elle ressentait une « jalousie ». Là aussi, en dépit de l’apparence, ce n’était pas le compagnon qui était en cause. Elle ne chercha pas d’ailleurs à le mettre en cause. Elle alla, plus simplement, préciser son ressenti, et aboutit au fait que « c’était l’impression d’être laissée derrière »… puis, plus exactement, « la peur d’être laissée derrière ». Ce qu’elle examinait était désormais bien au delà du plat cassé et elle produisit ainsi en elle un « mouvement corporel » quand elle vérifia « La peur de rester derrière… est-ce toujours ce que j’éprouve ? Oui. La voilà… C’est bien ce que je ressens » (p.57). Ce moment de focusing lui permis ensuite d’aborder ce sujet sereinement avec son compagnon.

GENDLIN a voulu nous montrer, dans cet exemple, qu’on peut partir de situations banales de la vie ordinaire pour aboutir à quelque chose de grand et précieux en soi. En maïeusthésie, il en est de même. J’ai donné dans mon ouvrage « Communication thérapeutique » une histoire tout aussi banale (peut être même encore plus banale) où, seul dans un restaurant, je me retrouve agacé par un serveur qui s’obstine à remplir mon verre d’eau minérale à chaque fois que j’en bois une gorgée (Tournebise, 2001-2005, p174). Mon premier réflexe d’agacement face à son attitude inappropriée est suivi aussitôt d’une interpellation intérieure « comment se fait-il que je sois si agacé par une telle chose qui, au fond, est sans importance ? ». Je décide donc d’écouter (« maïeustésiquement ») ce que je ressens au lieu de maugréer contre ce serviteur zélé et maladroit, pour aboutir finalement à une sensation que « faisant que mon verre soit toujours plein, il m’ôtait la sensation rassurante de limite « du verre qui se vide ». Il enlevait une sorte de « balisage temporel » qui faisait que quand mon verre est vide j’ai atteint une « étape ». Cela en soit, au sujet du verre, est totalement sans importance (y compris à mes yeux). Mais ce que je venais de découvrir, c’est cette sensation intime de besoin de limites pour baliser mon parcours et une crainte de l’absence de limite me donnant une sensation de vide. Cela allait bien au delà de cette situation et me permit de pacifier quelque chose d’important en moi.

Nous nous trouvons face à deux écueils : Soit nous avons pris l’habitude de ne considérer que les ressentis associés à des circonstances graves (c’est le plus courant) et quand il n’y a rien de grave nous n’avons aucune capacité à écouter quoi que ce soit en soi ; Soit nous voulons absolument trouver quelque chose dans tout ce qui est anodin et passons notre temps à nous « prendre la tête pour rien » remplis d’interprétations inutiles et même souvent néfastes… ce n’est guère mieux !

Qu’il s’agisse de focusing ou de maïeusthésie, nous éviterons soigneusement ces deux dérives : il y a juste l’écoute du ressenti qui se présente, tel qu’il se présente, et l’on a même le droit de ne rien regarder si on le sent mieux ainsi.

Quelques points de différence

Les nombreux points d’analogies entre le focusing et la maïeusthésie ne les rendent pas identiques pour autant. Il ne s’agit pas non plus de les mettre en concurrence ou de tenter de savoir ce qui est le mieux. Les deux ont entièrement leur place (ainsi que d’autres approches). Jusque là j’ai surtout mis en évidence ce que ces deux approches ont quasiment en commun. Je vais maintenant préciser quelques nuances qui les différencient.

Structure psychique

Un des points de différence important est qu’en maïeusthésie nous parlerons de « structure psychique » plutôt que de « corporel ». Nous y privilégierons surtout le fait de restaurer des parts manquantes de la structure psychique. Mais les moyens d’accéder à ces « parts de soi à restaurer » ressemblent souvent à l’utilisation du « sens corporel » du focusing.

Il se peut même que la « structure psychique » évoquée en maïeusthésie soit proche de ce que Gendlin nomme « corporel » mais, a priori, cela semble différent, bien qu’on y trouve aussi une sorte de perception de soi quasi tactile, et pourtant non somatique. Il y s’agit aussi d’une sensation plus vaste que le langage, mais sur laquelle on peut porter son attention pour laisser émerger des mots ou des images. La façon dont on y porte son attention sur ce qu’on ressent ou sur cette part de soi que l’on contacte, n’est sans doute pas si loin de la notion de « focus » et de « sens corporel »

Qu’il s’agisse de « corporel » ou de « structure psychique », d’« attention » ou de « focus »,  on peut finalement se demander si de telles façons de nommer ces phénomènes de la psyché ont la précision requise ? Nous avons vu qu’en focusing les mots manquent pour une juste expression de ce qui se passe. En maïeusthésie il en est de même. Les mots, malgré tout le soin qu’on peut y mettre ne sont souvent que des approximations.

Il importe pourtant de nommer ce qui est expérimenté afin de pouvoir le partager avec d’autres personnes, notamment avec ceux qui deviendront praticiens. Hélas, le passage de l’expérience à la théorisation et à l’énonciation de ce qui est intimement perçu, est un peu comme un passage à une réduction de dimension.

Si vous avez un monde à trois dimensions, dans lequel il existe un cube, comment en rendrez vous compte dans un monde à deux dimensions, c'est-à-dire par exemple sur une feuille de papier ? Vous êtes obligés de déformer la figure pour y symboliser la perspective. Si bien que les côtés carrés y seront représentés approximativement par des losanges (sauf celui qui est de face). Nous remarquons cependant que nous savons interpréter cette figure déformée, d’une part parce que nous l’observons en nous tenant face à la feuille (donc dans l’espace, en dehors du plan) et d’autre part parce que nous avons déjà vu des cubes en trois dimensions. Si nous devions « habiter la feuille » et vivre en deux dimensions, face à cette symbolisation du cube « à plat », nous ne verrions qu’un mince profil n’ayant pas plus d’épaisseur que la feuille de papier et ne rendant aucunement compte de l’ensemble de la figure. Nous serions obligés d’en faire le tour pour en voir tous les côtés et ne verrions toujours pas de quoi il s’agit : nous ne trouverions qu’une forme biscornue… et ce d’autant plus que nous n’aurions jamais vu de cube en trois dimensions. 

Vous comprendrez complètement ce type de difficulté à rendre compte de ce qui se passe dans une dimension supplémentaire en lisant la fable géométrique de Edwin A. ABBOTT « Flatland » où le héros est un carré, vivant dans un plan (Flatland). Ce dernier rencontre un jour une sphère (dont il ne voit que l’intersection avec le plan). Celle-ci ne parvient pas à lui faire percevoir qu’en plus du nord, du sud, de l’ouest et de l’est qui balisent son monde plan, il existe aussi un haut et un bas dans l’espace, au dessus et au dessous (Abbott,1884, p.92)

La dimension psychique se comporte comme une sorte de dimension supplémentaire et ce qui s’y passe est parfois très délicat à nommer avec précision, bien que nous en ayons l’intuition et la perception.

Parler de « sens corporel » ou de « structure psychique » revient un peu à énoncer en deux dimensions ce qui en a trois. Ou à énoncer en trois dimensions ce qui en a quatre… Ou en tout cas à ne pas disposer de suffisamment de dimensions dans le langage afin d’exprimer le phénomène de façon explicite pour l’intellect.

Ainsi, qu’y a-t-il dans notre présent ? Nous sommes conscients de ce que nous sommes en ce moment (à peu près), mais nous mesurons mal à quel point tous « ceux que nous avons étés » depuis que nous existons, nous constituent, et sont en quelque sorte « là aussi », « en nous », « maintenant ». Je dis « en nous » mais si nous symbolisons le présent par un plan, comme pour la sphère de ABBOTT, et si nous nous symbolisons nous-mêmes par une sphère, nous constatons seulement un cercle visible dans ce plan (l’intersection du plan et de la sphère)… il y a pourtant aussi une part de nous au-dessus et au dessous de ce plan. Il se peut que ce soit alors en même temps « en nous » et de chaque côté de ce plan, c'est-à-dire, en apparence « hors du présent », mais en même temps « tout là en même temps ».

Ces quelques explications ne prétendent pas être une sorte de description de « la vérité », mais juste une mise en mots tentant de rendre compte d’un ressenti.

Toutes ces parts de soi (tous ceux que nous avons été) nous composent et influencent l’ensemble de nos ressentis. Bien plus encore, cette structure psychique est aussi constituée de tous ceux dont nous sommes issus, dont toute l’existence nous concerne également, et influence nos ressentis.

Cette structure psychique est composée de telle façon que « ceux que nous avons été » ne sont pas dans le passé. Seules les circonstances sont dans le passé. « Ceux que nous étions » lors de ces circonstances n’ont jamais cessé d’être avec nous depuis tout ce temps, et sont perpétuellement dans notre présent. Ce que nous avons été est là.

La nuance importante qui apparaît, est que cela se trouve là, avec un contact fermé, ou avec un contact ouvert. Pour simplifier, nous dirons que si le contact est ouvert, c’est dans le conscient, si le contact est fermé c’est dans l’inconscient.

Cette façon de considérer celui qu’on est comme étant distinct de celui qu’on a été n’est pas une dissociation (pas de schizophrénie) mais plutôt une sorte de « défusion » permettant une restauration et même un « assemblage » plus stable de soi. On ne peut rencontrer que ce dont on est distinct. GENDLIN nous invite déjà à :

-une « défusion » d’avec le problème:

« Vous avez un problème, vous n’êtes pas ce problème » (Gendlin, 2000, p.69)

-une défusion d’avec ce qui se passe (l’événementiel) 

« vous ne vous situez pas au cœur de ce qui se passe, mais juste à côté. Cet espace contigu, vous le trouvez au moment même ou votre corps se détend » (ibid)… 

...peut être même entend-il que celui que nous sommes soit distinct de celui que nous étions ?

Ainsi la structure psychique qui nous constitue est plus ou moins complète, comme un puzzle où toutes les pièces n’auraient pas encore été mises à leur place. La métaphore n’est pas tout à fait juste, car ces pièces sont en fait à leur place, mais le contact est parfois coupé. Le flux de vie ne circule plus dans ces zones de soi, et cela donne l’impression de leur absence. Le fait que ces contacts soient ouverts ou fermés est géré par les pulsions de vie et de survie.

Une « venue au monde » complète du « Soi » consiste à faire en sorte que ces contacts soient ouverts. Nous pouvons illustrer cela en imaginant que cette venue au monde se réalise souvent grâce aux symptômes qui n’en sont que les indices précurseurs.

Cette notion de contact qui s’ouvre ou se ferme fait penser au « body shift » de GENDLIN (mouvement corporel) dans lequel quelque chose change sans que pourtant rien ne bouge physiquement.

Les pulsions et le flux de vie

En maïeusthésie, les notions de pulsion de vie et de survie sont également importantes pour comprendre les phénomènes, mais ne sont pas utilisées dans la démarche elle-même, qui est plutôt basée sur la présence, l’écoute, la communication, la reconnaissance et le guidage non directif. Le praticien s’y laisse conduire par le patient en qui sa confiance est absolue. Comme en focusing il ne voit pas un « cas », mais un individu en train d’accéder à lui-même.

La pulsion de vie est ce qui tend à l’assemblage complet des parts de soi. Il arrive cependant souvent que ces parts de soi soient dispersées du fait de l’influence de la pulsion de survie.

La pulsion de survie est ce qui maintient un contact coupé pour se préserver d’une part de soi contenant trop de souffrance. Nous n’y sommes pas forcément coupé de ce qui est arrivé autrefois, mais de « celui que nous étions quand c’est arrivé ». La pulsion de survie consomme de l’énergie d’une part pour couper ce contact et le maintenir fermé ; d’autre part, elle en consomme aussi pour produire les compensations qui permettront de masquer le vide qui résulte de cette coupure.

La pulsion de vie, elle, va faire en sorte que ce qui a été « effacé » ne soit pas perdu (« garderie » des parts de soi mises à l’écart). Elle produira aussi les sensations et les symptômes permettant de les retrouver (garder un lien) afin de pouvoir ultérieurement rouvrir les contacts et rétablir une complétude du Soi.

On voit donc que les sensations, ou les symptômes, n’y sont pas considérés comme ce qu’il faut « guérir », mais comme le moyen de contacter les parts de soi à réhabiliter, non parce que le praticien le décide, mais parce que le patient est tout simplement déjà en train de le faire. Quand cela est réalisé, le symptôme disparaît non parce qu’il est guéri, mais parce qu’il a cessé d’être nécessaire.

Les contacts rouverts permettent le rétablissement d’une circulation du flux de vie dans la structure psychique et produisent alors un changement dans ce qui est ressenti, comparable à ce que GENDLIN appelle « mouvement corporel ».

Il conviendra de ne pas prendre ici la notion de « pulsion de vie » au sens psychanalytique du terme (pour les amateurs de précisions, voir mes publications de mars 2005 « libido amour et autres flux » ou de novembre 2005 « le ça, le moi, le surmoi et le Soi »

Le guidage non directif

En maïeusthésie, j’ai appelé la façon d’accompagner un patient « guidage non directif ». Bien que le guidage non directif soit actif, l’écoutant s'y trouve surtout dans la présence, l’ouverture, la confiance et la considération. Il y a plus son attention sur l’être qu’il écoute que sur son histoire.

Je n’ai pas utilisé les mots « écoute active » ou « écoute non directive », qui ne me semblaient pas vraiment refléter ce qui se passe en maïeusthésie. Peut-être la notion « d’orientation non directive » de Claude ABRIC (1999, p.38) est ce qui en serait le plus proche.

Cette notion est détaillée dans la publication d’avril 2004 « communication thérapeutique », présente sur ce site. Je n’en donnerai donc ici qu’un aperçu.

Le guidage non directif consiste à accompagner celui qu’on écoute en l’aidant à formuler ses ressentis, puis en l’aidant à porter son attention dessus afin de les préciser. Le praticien, quoi que surtout dans la présence, la confiance et la reconnaissance y est assez actif, même s’il laisse aussi tout le temps nécessaire au sujet aidé. Il est clair que le « guidage non directif », quoi qu’actif, ne fait que faire faire au patient ce qu’il faisait déjà : c'est-à-dire tenter d’accéder à lui-même, par les chemins qui sont justes pour lui. Le guidage non directif est délicat à énoncer car il est en même temps dans un immense respect des enjeux du patient et dans un accompagnement qui lui formule des demandes à travers de nombreuses questions ou reformulations.

Il semble qu’en maïeusthésie il y ait probablement plus d’interventions de la part du praticien qu’en focusing.

Mais GENDLIN n’exclue pas cette façon de procéder en proposant de « faire le focus » sur les ressentis, en demandant de préciser la qualité de ce ressenti et surtout en demandant de hiérarchiser ce qui semble tout embrouillé.

Hiérarchisation : 

« Quel problème vous préoccupe le plus en ce moment ? Lequel vous fait le plus souffrir ? Lequel est le plus pénible, le plus important, le plus aigu, le plus épineux ou le plus désagréable ? » (Gendlin, 2000, p61) 

« Quel est le pire dans tout cela ? » (ibid, p109). 

GENDLIN propose souvent de demander de hiérarchiser les ressentis pour accéder à une « prise ». En maïeusthésie on dirait « pour se rapprocher de la part de soi qui s’exprime »

Il propose aussi de ne pas se sentir dérouté mais de simplement suivre le chemin qui se présente : 

« Je me sens vide. Qu’est ce que j’éprouve face à ce vide ? » (p.99) 

Même une absence de perception peut mériter notre attention (focus) et conduire à quelque chose d’important en soi.

Puis, en maïeusthésie,  quand on localise la part de soi que le sujet « recherchait » grâce à son symptôme, il y a simplement un moment de reconnaissance. Ce que GENDLIN décrit page 108 ressemble tellement à cela : 

« Pensez, par exemple, à une petite fille qui a très peur. Vous allez vers elle et vous lui dites : " ma chérie, tu as peur ?" Elle fait un tout petit signe de tête  affirmatif. Vous savez à ce moment que la petite fille n’a pas encore subi un changement physique. Vous lui dites alors encore une fois " tu as peur ma chérie ? » […] Cela t’a beaucoup effrayée ?" Vous la sentirez alors pratiquement fondre dans vos bras comme pour vous dire : " c’était effrayant." » 

C’est là que se produit le « mouvement corporel » induit par la reconnaissance et la présence, grâce au fait qu’il n’y a aucune volonté de combattre le ressenti. 

On dirait en maïeusthésie : c’est là que le contact est « rouvert » entre le soi présent et cette petite fille, c’est là que le flux de vie circule à nouveau librement. Vous remarquerez que non seulement on ne tente pas d’enlever le ressenti de la petite fille et on ne fait que le reconnaître, mais aussi que le contexte évènementiel de cette peur est quasiment sans importance. Ce qui compte ce n’est pas ce qui s’est passé, mais la reconnaissance de cette petite fille et de son vécu. Cela s’accomplit simplement par la reformulation. La reformulation est une chose dont on parle beaucoup et que peu de gens (même de nombreux spécialistes) ont comprise dans sa subtilité. Elle n’est que trop souvent énoncée comme une technique et cela la dévalorise énormément. En fait, la reformulation, ce n’est surtout pas une technique. C’est une attitude. Ce n’est surtout pas non plus une répétition en forme de miroir ou d’écho, mais une profonde reconnaissance de l’essence de ce qui est ressenti par l’interlocuteur (voir à ce sujet ma publication de novembre 2002 « La reformulation » qui est très détaillée pour en saisir la nuance)

Je conclurai avec une note divertissante en vous invitant à voir le film « Sale môme » de Audrey WELLS, joué par Bruce Willis (2000). A voir absolument! Nous y trouvons une telle rencontre, une telle précieuse réhabilitation de soi,   évoquée sous forme d’un conte  humoristique. Nous y trouvons  cette présence simultanée de celui qu’on est et de celui qu’on a été. Audrey WELLS aurait pu s’inspirer du focusing ou de la maïeusthésie pour écrire son scénario qui, pour un œil averti est d’une grande beauté.

   Thierry TOURNEBISE

   

Bibliographie

Abbott, Edwin
-Flatland    -Edition du groupe « Ebook libres et gratuits » -1884
disponible en pdf  à http://www.ebooksgratuits.com

Abric, Jean-Claude
-Psychologie de la communication - Armand Colin,1999

Epictète
-
Manuel -Nathan 2006

Gendlin, Eugène
-Focusing au centre de soi -Editions de l’Homme 2006

Jung, Carl Gustav
-Ma vie, souvenirs rêves et pensées- Gallimard Folio, 1973

Lao Tseu
-Tao Te King Editions Dervy, 2000

Rogers, Carl Ransom  
-Relation d’aide et psychothérapie  (traduit de Conselinng and psychotherapy  1942)  ESF, Paris 1996

Tournebise, Thierry
-L’écoute thérapeutique- ESF 2001-2005

Veldman, Frans
-L’haptonomie, science de l’affectivité PUF 1989

Winnicott, Donald Wood
-Jeu et réalité - Folio Gallimard 1975

Wells, Audrey
Sale môme (film 2000)  Scénario : Audrey Wells  - Réalisation : John Turteltaub
Acteurs : Bruce Willis (Russ), Spencer Breslin (Rusty), Emily Mortimer (Amy)