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Non directivité et validation
guidance, rencontre et reconnaissance
Janvier 2012    -    © copyright Thierry TOURNEBISE

 

La non-directivité et la validation ne sont pas des thèmes nouveaux. Plusieurs auteurs nous ont proposé des écrits sur ce sujet : Carl Rogers, Marschall Rosenberg, Roger Mucchelli, Claude Abric, Noami Feil, Max Pajet... Je l’ai aussi plusieurs fois abordé dans mes articles et ouvrages. Il se trouve que la mise en mots n’en est pas aisée et mérite encore une fois d’être réalisée (pour ne pas dire plus modestement « tentée » tant cela est délicat).

Le défi de ce texte est d’être précis, pragmatique, compréhensible, simple mais jamais simpliste, illustré, concret, et pourtant respectant toute la subjectivité qui en est indissociable. Cette publication ne prétend en aucun cas offrir « la vérité » sur ce thème. Elle propose simplement, par un nouvel angle, de contribuer à affiner une connaissance et un accès à une posture, permettant une écoute de qualité, un accompagnement signifiant.

Le champ concerné va de la simple communication jusqu’à l’approche psychologique, pouvant aboutir à une réelle psychothérapie (chacun de ces secteurs forts différents devant être considérés avec leurs spécificités, mais aussi en remarquant certains aspects qui leurs sont communs). Vous en trouverez de précieuses illustrations en fin d’article.  

 

Sommaire

1 Quand un être s’exprime
-Le langage
-Quand il s’exprime avec des mots
-Au-delà des mots
-Compréhension ou projection ?
-Influence minimum incontournable

2 Exprimer sa propre pensée
-Par écrit
-Verbalement à quelqu’un
-Communiquer d’un monde à l’autre
-Zone d’influence
-Touché au-delà de l’apparence  

3 Tact Présence et confiance
-Ici et maintenant?
-Être touché, tact et contacts
-Non directivité", liberté et influence
-Être assuré de l'autre
-Zone d'influence
-Touché au-delà de l'apprence

4 Les mots justes Questions réponses
-Notion d’influence dans les questions
-La questions ouverte
-La question fermée
-La reformulation
-La question à choix multiple

 Autres subtilités sur l’énoncé des questions
-Des questions qui portent sur le ressenti
-Deux parts distinctes de Soi
-Rendre distincts aussi l’  être et l’imago  

6 Validations
- Six niveaux de feed-back
-Deux niveaux pour l’information
-Quatre niveaux pour l’ « être » (ontique)

7 Le « jeu » des questions et des réponses
-Questions à soi-même
-Plus qu’un amplificateur de cohérence
-Questions avec un autre

8 Exemples d’échanges quotidiens
-Avec un enfant
-Avec un parent
-Avec son conjoint
-Au travail
-Avec soi-même

9 Exemples en thérapie
-Exemple 1- Inconfort conjugal
-Exemple 2 – Addiction, difficulté de volonté
-Exemple 3 – Trauma majeur

10 Pour conclure, non directivité en thérapie
-Trois exemples d’approches
-Au-delà des théories, simplement accompagner la vie  

Bibliographie

   

1   Quand un être s’exprime

1.1 Le langage

Quand nous évoquons l’idée de langage, nous pensons essentiellement à ce qui est parlé. Mais aussi, par extension,  tout ce qui permet une expression aboutissant à une compréhension, peut aussi être considéré comme langage. Nous évoquerons ainsi le langage artistique, le langage musical ou pictural, le non verbal, les expressions émotionnelles implicites…  nous parlerons même du « langage des animaux » car eux aussi expriment une foule de choses dans la  nature, aussi bien envers leurs congénères, qu’envers leurs proies ou leurs prédateurs.

Comme tout être vivant, l’être humain s’exprime, mais ce qui le caractérise dans cette expression, c’est la parole. Cependant, si les mots sont précieux et représentent un mode essentiel et caractéristique de ses échanges, il se trouve autour de ces mots une foule d’autres expressions subtiles souvent appelées « métalangage » qui viennent nuancer et affiner ce qui est verbalisé.

Ce métalangage à lui seul ne permettrait pas une expression assez précise des pensées, des idées, des réflexions… mais le langage verbal à lui seul non plus.

Les animaux ont un métalangage, les humains ont la parole… mais sans métalangage, la parole humaine serait vide.

1.2 Quand il s’exprime avec les mots

Un individu qui tente de nous énoncer des paroles souhaite souvent partager des choses qui comptent pour lui.

Il se peut néanmoins, dans certains cas, que les mots s’écoulent comme un fleuve sans projet de signification, juste pour masquer un vide inquiétant (que ce soit un vide existentiel ou un vide intellectuel). Dans ce cas le propos, qui peut sembler inintéressant, exprime tout de même cette crainte du vide et peut implicitement solliciter un accompagnement, une écoute, une reconnaissance de l’être qui éprouve et manifeste ce vide.

Le plus souvent, des mots signifiants sont proposés pour faire comprendre un vécu récent ou ancien, des valeurs, des priorités, une réflexion, une découverte, un centre d’intérêt, un vécu. L’être humain se trouve en élan de partager, et cela semble pour lui de première importance. La question est de savoir qui écoute en pareil cas et comment cela contribue à la croissance de chacun.

L’écoute, même quand il y en a, ne peut cependant suffire. Ecouter est déjà important, mais celui qui s’exprime a besoin aussi d’être accompagné dans son expression, car la mise en mots des ressentis et des idées n’est pas aisée.

La mise en mots n’est pas seulement délicate pour ceux qui manient difficilement le verbe. Pour ceux qui ont une grande aptitude en ce domaine, cette mise en mots semble plus simple… mais ce n’est pas forcément le cas. En effet, l’intellect peut conduire le sujet à des constructions mentales complexes mais artificielles, qui l’éloignent de ses ressentis et de la subtilité de ses pensées initiales. Il peut alors  s’y perdre et, faussement habile, se retrouver démuni  pour exprimer réellement  les nuances qui l’habitent et ne faire que citer celles des autres.

1.3 Au-delà des mots

Les mots ne représenteraient que 7% de l’information échangée entre des individus qui se parlent. Ce chiffre nous vient du professeur américain Albert Mehrabian qui nous précise que pour être compris il importe que les messages soient en cohérence (congruents) tant au niveau de l’intonation, que de la gestuelle, que du verbe. L’essentiel des informations se trouve selon lui dans le non verbal (ou métalangage) et il se dit plein de choses implicites. Il y a donc ce qui est prononcé, puis ce qui est sous-entendu (93% du sens), les deux étant sensés ne pas être en dissonance. Selon le non verbal, la posture, l’attitude, « les mots sont des murs ou des fenêtres », comme le dit si bien Marschal Rosenberg (2002) qui a développé l’idée de « communication non violente » (CNV).

Sans affirmer ou infirmer ces proportions entre le verbal et le non verbal, tout le monde a fait l’expérience d’un « silence qui en dit long », d’un « regard qui parle », d’un geste « sans équivoque ». Du « je ne sais quoi » qui fait que quand cette personne parle bien, pourtant… « on ne la sent pas ». Les mimiques, la gestuelle, l’intonation de la voix, tout participe à nuancer le propos verbal (souvent sans que ce soit conscient)… jusqu’à parfois laisser entendre le contraire du mot prononcé, que ce soit pour dire quelque chose de plus agréable  que les mots eux-mêmes comme le « hé con » méridional empli de chaleur et de convivialité,  ou au contraire de moins agréable que les mots comme « t’es vraiment trop courageux » pour signifier qu’il ne fait rien.

L’échange verbal  est en fait un subtil assemblage de verbal et de non verbal, de mots, d’expressions, d’intonations, de gestuelles, de postures, de respirations, de regards… qui donnent le sens au-delà des mots.

1.4 Compréhension ou projection ?

Comprendre va donc plus loin que le verbe, et demande de savoir décoder les informations implicites. Si  nous risquons déjà de mal interpréter les mots (nous ne donnons pas tous le même sens aux mêmes mots), cela est encore plus aléatoire au niveau du métalangage.

Il n’est pas rare de ne faire que « projeter » sur autrui ce que nous croyons entendre (ou même ce que nous voulions entendre).

Nous ne pouvons donc pas ne nous appuyer que sur les mots, mais nous ne pouvons pas non plus nous appuyer avec certitude sur notre interprétation du non verbal. Le sens auquel nous accédons peut se révéler n’être qu’une projection de nos propres pensées, et être loin de celles de  notre interlocuteur.

Le défi est donc d’une part d’entendre au-delà des mots le sens implicite, mais aussi de ne pas faire de projection sur autrui de son propre sens à soi. Nous arrivons là à une guidance, accompagnant l’autre dans l’expression de ce qui est en lui, de ses pensées, de ses sensations, « sans l’influencer » et sans altérer le sens qui lui est propre.

1.5 Influence minimum incontournable

La perfection de la non-directivité voudrait que l’on n’influence pas du tout l’autre, afin qu’il exprime toute la justesse qui est en lui. Mais est-ce bien la perfection ? Le meilleur moyen de ne pas  influencer l’autre du tout… est de ne pas être là ! Mais dans ce cas, bien évidemment, il n’y a plus de communication et l’on ne peut plus parler de perfection, et encore moins d’accompagnement.

Une « non influence absolue » est techniquement impossible (et non souhaitable), en ce sens où le seul fait de notre présence produit une modification chez l’autre… ne serait-ce qu’en lui donnant l’occasion de « dire à quelqu’un » ! Cela déclenche chez lui un flux verbal. En effet, c’est justement cette présence qui favorise l’expression !

Au-delà de ce minimum incontournable, il est nécessaire d’aller un peu plus loin dans l’idée d’influence*. Mais pour comprendre cela il nous sera utile de différencier « influence » et « manipulation ». La manipulation est toujours néfaste. L’influence, elle, peut être bénéfique. Pourtant il y a de bonnes et de mauvaises influences ! Influencer l’autre pour le convaincre de notre justesse, c’est de la manipulation, mais l’influencer pour le conduire plus simplement à l’expression de sa propre pensée, ça c’est de la communication, parfois même de la thérapie.

*Influence : Nous entendons souvent par ce terme « une idée de pouvoir ». Or ce mot peut aussi signifier que nous permettons à l’autre d’accéder à lui-même, juste par la qualité de notre présence. Rien de magique, car il émane de nous beaucoup de choses selon notre attitude (nous l’avons vu en début d’article avec le non verbal). En ce sens  L’« in-fluence » (du latin in-fluere) définit le fait qu’un « flux » diffuse vers l’autre (en lui), comme il se disait au XIIIe siècle « influentia » pour parler des astres qui « influençaient » les choses et les êtres. Peut-être trouverons-nous la même idée dans le mot « considération » (co-sidéral), où nous sommes tous deux des étoiles, bénéficiant ici d’une « in-fluence » bénéfique réciproque. Nous verrons plus loin que la « validation existentielle » consiste à être touché par l’autre et à vivre une telle qualité de « fluence » réciproque. Les « flux » dont nous parlons ici ne résultent pas d’une volonté mais d’une posture, d’une attitude. Ils diffusent naturellement plus qu’ils ne sont décidés ou orientés.  

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2   Exprimer sa propre pensée

2.1 Par écrit

La mise en mots a quelque chose de magique, en ce sens que cela permet de mieux préciser ce que l’on pense. Penser « à peu près » et « avoir des idées profondes mais nébuleuses » ne satisfait pas vraiment l’individu qui a quelques exigences de clartés intérieures. Pour l’usage quotidien peut-être peut on se contenter de cette « nébulosité cognitive », mais dès qu’il s’agit d’accéder au subtil qui est en nous et de comprendre précisément une chose que l’on a rencontrée, une idée qu’on eue, ou surtout d’évoquer ce que l’on ressent suite à la rencontre de quelqu’un… là le brouillard devient un obstacle à notre pensée.

our y remédier, faute d’interlocuteur, nous pouvons écrire ce que nous souhaitons penser plus clairement. Naturellement cela revient à s’« exprimer à soi-même » pour clarifier sa propre pensée. Cela, éventuellement sans jamais en parler à qui que ce soit… ou bien avant de l’exprimer à un autre, soit en le lui disant, soit en le lui faisant lire,

La mise en mots est exigeante et ne souffre pas l’à peu près. Les dissonances, les imprécisions et les inexactitudes ressortent aussitôt et cela demande au rédacteur de sa propre pensée une précision et un discernement plus affutés.

Il en ressort parfois des éléments qui peuvent surprendre l’auteur lui-même. Les précisions surgissent de sa rédaction et les mots s’organisent petit à petit, faisant émerger, depuis l’intuition initiale, un relief inattendu.

Dans ce cas, l’écriture suscite de nouvelles questions, et les questions qu’on se pose conduisent vers de nouvelles réponses que l’on rédige. Etant passé par l’écriture, l’auteur se retrouve récepteur de sa propre expression et cela nourrit justement son expression en enrichissant sa réflexion.

Naturellement la présence d’un autre est à ce sujet irremplaçable. Cependant, même si la présence de l’autre est un utile stimulant, il arrive que cet autre cherchant plus à nous convaincre qu’à accompagner notre expression, il soit plus profitable d’ajuster seul sa pensée avant de la partager, sous peine qu’elle soit aussitôt détruite avant même d’avoir émergé. Nous trouverons alors ces fructueux moments de rêverie, de « pensées pour soi-même » (comme dirait Marc Aurèle) ou d’écriture nuancées et développées, dans lesquelles nous sommes en même temps l’émetteur et le récepteur, celui qui réfléchit et celui qui stimule la réflexion.

Mais cette écriture peut aussi viser un interlocuteur qui en sera le lecteur. Dans ce cas, en plus de la cohérence pour soi, sera envisagée une rédaction comportant  le projet d’être compris par autrui. Il s’agira alors pour l’auteur d’anticiper une « cohérence pour l’autre ».

2.2 Verbalement à quelqu’un

Si un autre se trouve là, nous pouvons éprouver le besoin de lui exprimer quelque chose. La présence de cet autre est une bénédiction, car « exprimer à autrui » fait partie de nos besoins.

Cela est tellement fort qu’on préfère parler à « quelque chose » plutôt que de ne pas parler du tout. Dans des institutions il est à l’étude de proposer à des personnes déficientes mentales des robots comme interlocuteurs. Ceux-ci sont habillés en peluche pour être plus doux et ont l’avantage, par rapport à une simple peluche, d’être interactifs (et par rapport à un animal de ne risquer aucune réaction dangereuse… mais l’animal reste davantage un « vrai interlocuteur » !). Dans le film « Seul au monde » avec Tom Hanks, nous voyons ce dernier se retrouver sur une ile déserte pendant une très longue période. Il en vient à parler à un ballon qui se retrouve être personnifié comme un interlocuteur privilégié.

Dans ce film, « l’objet ballon » remplace alors cet « autre être » qui manque ou, dans les institutions, le robot (plus perfectionné car interactif), devient interlocuteur… Cela montre notre besoin de communiquer à « un autre » même si cet « autre » n’est pas réel ! C’est ce qui conduit certains êtres à parler tout seuls, sans qu’il y ait un autre réel, ni même sans qu’il y ait d’objet de substitution, l’imaginaire étant pour eux suffisant. Cela peut se faire consciemment et peut être un moyen d’affiner une réflexion personnelle. Cela peut se faire aussi inconsciemment, de façon pulsionnelle pour remédier à une frustration de communication, jusqu’à donner l’apparence d’un sérieux trouble psychique.

Voyons comment ce besoin de communication peut être satisfait.

Remarquons d’abord que « dire » est une chose… « se sentir entendu et compris » en est une autre. Le soin que nous mettons (en fonction de nos moyens) pour rendre notre propos intelligible mériterait considération.

J’ai souvent évoqué cela dans mes publications sur les personnes âgées (Bientraitance 2007, Alzheimer 2009). Celles-ci, souvent avec des moyens cognitifs diminués, tentent de dire des choses qui sont rarement entendues. C’est sans aucun doute un des points les plus douloureux du grand âge. Nous avons la même problématique chez les enfants qui, eux, n’ont pas encore ces moyens cognitifs. Puis nous l’avons aussi chez les sujets jeunes qui ont des troubles mentaux... mais nous  pouvons étendre cela aussi aux personnes en souffrances psychiques qui ne trouvent pas d’interlocuteurs qui les comprennent vraiment, ainsi qu’a des personnes qui n’ayant pas le bagage culturel permettant une juste expression verbale de ce qu’ils veulent dire, se retrouvent contrariées ou manipulées par des personnes plus habiles.

Dans tous ces cas, le besoin de communiquer est frustré et il  en résulte une douleur plus ou moins grande, mais souvent plus dévastatrice qu’il n’y paraît. Ce n’est pas pour rien qu’en thérapie, le simple fait de reconnaitre un vécu apporte de la paix, alors que de vouloir apaiser la douleur qui en a résulté ajoute des tensions.

Nous trouvons sans doute ici quelque chose qui rappelle la Gestalt-Thérapie où une « forme » (Gestalt inachevée) doit se boucler (Fritz perls), ou la thérapie Psychocorporelle (Gerda Boyesen) où une émotion restée en suspend (et stockée dans le corps) doit être exprimée afin de boucler un cycle d’expression (et non afin de l’évacuer).

Mais ce besoin de communiquer ne concerne pas que les moments douloureux de notre vie. Nous avons aussi besoin de trouver un interlocuteur avec qui partager nos joies, nos projets, nos élans, nos questionnements, nos idées, nos créativités, nos sources de réjouissances ... qui ne sont pas non plus toujours compris.

2.3 Communiquer d’un monde à l’autre

Il ne s’agit pas de voyages intersidéraux, ni d’extra-terrestres, mais le pari de la communication est tout de même de faire passer « quelque chose à soi » depuis notre monde, vers autrui dans le sien. Cela n’a rien d’intersidéral mais il arrive que d’un monde à l’autre les choses soient inintelligibles (voire sidérantes !) même en parlant la même langue !

Nous réalisons la mise en mots de nos pensées, de nos idées, selon des critères contenus dans notre « univers » à nous (finalement c’est plus intergalactique qu’intersidéral !). Nous choisissons plus ou moins consciemment les mots les mieux adaptés en fonction de notre culture personnelle, et adoptons les attitudes qui vont avec (selon notre imprégnation culturelle inconsciente).

Cela nous conduit à l’émission d’un message en destination de l’autre. Quand celui-ci le reçoit, il le décode en fonction de la valeur qu’il accorde (dans son monde) aux mots qu’il y trouve (de façon plus ou moins consciente), étant influencé par le métalangage qu’il a généralement perçu sans y prêter attention, mais qu’il décode inconsciemment, aussi en fonction de son imprégnation culturelle. Cela le conduit à une signification qui n’est pas forcément celle qui était en la pensée de l’émetteur initial.

Nous pouvons parler la même langue, avoir été élevé dans le même pays, ou même dans la même famille… et cependant avoir des imprégnations culturelles différentes liées à ce que nous avons vécu.

Chaque vécu est distinct de celui d’autrui pour les individus. Y compris dans une même famille, face aux mêmes évènements, chacun n’aura pas imprégné (introjecté) des choses identiques en lui. Il en résulte alors des différences qui peuvent rendre la communication délicate, parfois inintelligible, même pour des sujets vivants sous le même toit, ou issus d’un même milieu. L’un dira par exemple « nos parents étaient insupportables », le frère ou la sœur rétorquera « tu ne peux pas dire ça de nos parents, ils étaient très attentionnés ». Face à ces mêmes parents ayant sensiblement la même attitude avec leurs enfants, l’un aura éprouvé un étouffement, l’autre un soutien. Il en résultera pour ces deux personnes un décodage ultérieur différent dans des situations similaires, bien qu’elles aient bénéficié du même environnement dans leur jeunesse.

Il est vrai quand dans un tel cas, les situations n’ont jamais été vraiment les mêmes et cette idée de « contextes identiques » n’est qu’apparence. L’un est né avant l’autre, cet autre a vécu l’arrivée du suivant dans la fratrie, la situation de la famille n’était pas semblable dans les deux cas, ni les états émotionnels des parents qui menaient au mieux leurs vies d’adultes faisant face aux aléas de la vie plus ou moins compliqués, plus ou moins heureux (joies, déménagements, travail, chômage, santé, maladie, fêtes, deuils, naissances…). Rien n’est « toujours pareil ».

L’ennui c’est que plus on croit que « c’est pareil », plus on « croit comprendre » (car les différences possibles ne nous viennent même pas à l’esprit). Ainsi là où cela pourrait être plus simple, ça devient plus compliqué, et personne ne comprend pourquoi, tout le monde s’énerve… la communication ne se fait pas. Il en résulte de la douleur chez chacun.

2.4 Le paradoxe de la diversité et de l’unité

Tous les êtres sont différents, cela ne fait aucun doute. C’est même ce qui rend la communication à la fois délicate et nécessaire. Délicate car on ne se comprend pas forcément du fait de cette différence, et nécessaire car notre pensée et l’être que nous sommes évoluent grâce au partage avec autrui du fait de cette différence (voir la publication de aout 2008 « Eloge de la différence »).

Pourtant, en même temps que nous voyons cette différence évidente,  il y a un « quelque chose » de semblable « chez tous » les êtres. Affirmer « chez tous » peut sembler abusif mais il est étonnant comme des êtres différents, vivant sur des continents éloignés, ayant des cultures totalement distantes les unes des autres, vont manifester des regards, une présence, être touchés, se révéler de façons analogues. Comme si l’on trouvait de « l’être », dont la nature profonde ne dépend pas de la culture.

Quand  par exemple nous regardons sur France 2 l’émission « Rendez-vous en terre inconnue », Frédéric Lopez nous fait découvrir des peuples situés à l’autre bout du monde, parfois coupés de toute civilisation moderne, manifestant une humanité profondément touchante.

C’est peut être cela dont nous parlons quand nous évoquons « notre semblable ». Savoir respecter « son semblable » c’est être capable de percevoir cette « unité d’être » à travers cette « diversité des manifestations ».

C’est sans doute cette unité d’être qui permet la rencontre réelle, et ce sont ces différences qui permettent l’enrichissement de chacun lors des échanges.

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3   Tact, présence et confiance

3.1 Ici et maintenant ?

Deux êtres en présence sont naturellement portés à échanger. Peut-on préciser ce qu’est « être en présence » ? Il semble que nous ne puissions le réduire au fait de partager « un même ici et maintenant ». Présent vient du latin « prae esse » qui signifie « être devant ». Le mot fait donc penser à une posture « devant » nous rendant visibles, nous rendant rencontrables.

D’autre part quand nous parlons de « présence », qu’est ce qui est présent chez l’autre et chez nous-mêmes ? Tout se passe comme si des parts de soi étaient plus visibles que d’autres de façon plus ou moins fluctuante… mais elles sont cependant toutes toujours là.

Chacun de ceux que nous avons été tout au long de notre vie n’a jamais cessé d’être « là près de nous, avec nous », à chaque instant depuis tout ce temps, étant contemporains de chacun de nos instants d’existence, dans « tous nos présents ultérieurs ». Plus encore, ils en influencent inconsciemment la manifestation, les ressentis et les vécus.

Être présent, c’est donc être avec tous ceux que nous avons été depuis que nous existons et tous ceux que l’autre a été depuis qu’il existe. Il ne s’agit pas là de nos histoires, mais des « êtres que nous avons été et qui ont vécu ces histoires ».

Ainsi les circonstances qui ont entouré l’enfant que nous étions ne sont plus, mais cet enfant que nous étions, lui, n’a jamais cessé d’être « avec nous » depuis tout ce temps. Il se trouve simplement que le contact avec lui est « ouvert » ou « fermé » et c’est cela qui donne à notre psyché soit son intégrité, soit son fractionnement. Dans les deux cas, cet enfant que nous étions contribue à notre façon d’être au monde, soit en nous « offrant une ressource », soit en nous « interpelant avec des symptômes » pour qu’on n’oublie pas de rouvrir le contact jadis fermé, afin d’accéder à cette ressource.

Il importe de bien comprendre cela, même si cette « présence multiple » n’est que potentielle, ou d’une certaine façon vue comme symbolique, car nombre de nos réactions et perceptions sont  assujetties à ces « autres bouts de soi » des différentes époques de notre parcours. Nos affects de jadis ont ainsi une influence sur ce que nous éprouvons et comprenons aujourd’hui.

Ainsi, quand deux êtres se rencontrent, souvent ils ne sont présents qu’à leurs manifestations actuelles, sans prendre la mesure de ces « présences multiples »*,  chez chacun, influençant les paroles, les émotions, les codages et les décodages des propos.

*Vous trouverez de nombreuses précisions concernant cet aspect « présences multiples » dans la publication « symptômes » (Juin 2011), où la structure de la psyché est abordée avec précision dans le contexte de la psychologie.

3.2 Etre touché, tact et contacts

Que faire de toutes ces présences conscientes ou inconscientes de chacun ? Il a longtemps été question d’empathie pour signifier un « plus d’humanité » dans les rapports humains. Nous devons cela au psychologue humaniste et existentiel Carl Rogers, dont la touchante qualité  du travail et des apports n’est plus à démontrer.

Cependant cette notion délicate à énoncer a souvent été mal comprise, aboutissant alors à l’idée erronée selon laquelle il s’agirait de « se mettre à la place de l’autre » pour mieux le comprendre. Il s’agit là d’un raccourci inacceptable, car on ne peut jamais se mettre à la place de l’autre. Si nous faisons cela nous ne connaissons que « nous mêmes à la place de l’autre » et non « l’autre à la sienne ». Les échanges en deviennent inintelligibles car nous prenons alors cette « projection de soi » pour une réalité qu’elle n’est pas, et ne faisons que nous leurrer sur notre interlocuteur.

Alors, nous croyons parfois mieux connaître l’autre en connaissant son histoire. Or connaître son histoire, ce n’est en aucun cas le connaître lui. Lui n’est pas son histoire : il est celui qui l’a vécue, il est le seul qui soit à rencontrer pour le connaitre. Les faits sont secondaires.

Pour que cette rencontre puisse se faire il convient d’accepter une certaine proximité avec cet « autre »… de ne jamais se mettre à sa place, de ne pas le mélanger avec les circonstances qu’il a rencontrées, mais d’accroître cette proximité, jusqu’au « tact ». Je parle ici de « tact psychique », tel qu’il est évoqué en « haptonomie ». Nous saurons dont rester distincts de cet autre, sans en être distants (au point d’en être en contact). Dans le cadre de la communication, la « bonne distance », c’est quand il n’y en a pas, c’est quand cette « proximité existentielle »* met les êtres en contact.

 *A ne pas confondre avec une « proximité physique » qui, elle, serait malaisée ou inconvenante.

Le « courant » ne passe que s’il y a contact et il serait vain de chercher la « bonne distance ». Ce contact fait que le flux passe, car alors les êtres sont « ouverts l’un à l’autre », comme le dit si bien le terme « être communicant » qui signifie littéralement « être ouvert ». Tout est une histoire de proximité et de contacts ouverts ou fermés.

Cela signifie que la rencontre de l’autre ne peut se faire que si l’on accepte d’être touché par cette présence de l’autre (en ayant conscience de cette « entièreté potentielle »), et que la compréhension sera grandement facilitée par cette proximité acceptée. Elle n’est en aucun cas vécue comme un envahissement, mais comme un privilège qui met dans une disposition favorable pour aboutir à une compréhension sans distorsion de ce que chacun a besoin qu’on entende.

3.3 Non-directivité, liberté et influence

Celui qui accompagne l’autre dans la mise en mots (et mise en non verbal) de ce qu’il a à exprimer va donc être dans ce tact et ce contact. Il sera récepteur de ce qui lui sera adressé par cet autre, mais aussi, accédant au sens, il en accueillera la spécificité propre à son interlocuteur, et aidera celui-ci à accéder aux précisions dont il a besoin pour être dans une expression aussi juste que possible de ce qui est en lui, ce qu’il éprouve, ce qu’il pense.

Il accompagnera cette précision sans jamais en forcer ni l’allure ni la profondeur, car le dévoilement de soi que réalise l’autre ne peut se faire de façon satisfaisante que si ce dernier reste toujours libre de dire ou de taire, de préciser ou de laisser vague, et aussi de regarder ou de ne pas regarder ce qui est en lui-même. En effet il peut ne pas souhaiter partager avec autrui ces précisions, mais aussi ne même pas avoir envie, lui-même, d’y avoir accès. Aucune porte de l’être ne peut être forcée sans commettre une violence. Sinon, il se produit un retrait ou une résistance de cet autre. Une telle rétractation vient la plupart du temps de la mauvaise posture de l’écoutant.

S’il y a accompagnement vers la précision de ce qui est exprimé, il n’y a jamais qu’invitation à cette précision, et jamais une imposition d’y accéder, et encore moins une imposition de les dire.

L’écoutant, par des questions et des attitudes justes et adaptées, conduit l’écouté au plus  près de ce qui est juste en lui, et ce dernier, en même temps qu’il se dévoilera à son interlocuteur, se dévoilera aussi à lui-même. C’est pour cette raison que l’écoutant doit témoigner d’une grande délicatesse, en même temps que d’une assurance suffisante. Claude Abric développant l’idée d’« orientation non directive » nous sensibilise avec justesse au fait que le patient « s’étant senti accepté, il en arrive à s’accepter, à prendre conscience de ses problèmes… il arrive à communiquer avec lui-même » (2003, p.38). Nous pouvons juste regretter qu’Abric évoque l’idée de « problèmes » plutôt que celle de « révélation de pertinences ». Mais il s’en dégage une subtile confiance en l’autre.

Max Pagès est peut être un de ceux qui ont donné les nuances les plus fines de la position de Carl Rogers sur de la non-directivité, la congruence, la considération inconditionnelle, l’empathie… etc. Il nous dit même que Rogers abandonna le terme de « non-directif » pour celui de « centré sur le client », voulant éviter la négativité du « non » et mettre l’attention sur le positionnement, l’attitude du praticien [facteurs « attitudinels »] (1970, p36). Max Pagès met l’accent sur ce fait que nous restons distincts mais proches et qu’avec des vies différentes, il y a néanmoins des corrélations telles que ce qui s’ouvre chez le praticien permet une ouverture chez le patient et réciproquement (p.67). Il attire notre attention sur quelques paradoxes comme :

« Ainsi cette attention et valorisation inconditionnelle d’autrui, c’est une attention et valorisation inconditionnelle de soi-même. » (p65), ainsi que « L’aider à changer se traduit par une valorisation de lui tel qu’il est, c'est-à-dire au fond par une acceptation qu’il ne change pas. « (p.69)

mais aussi : « L’acceptation, la valorisation de l’angoisse permet de la dépasser » (p.69).

Alors, de la même façon que Pagès se permet avec amitié des nuances sur ce que propose Rogers, je me permettrai de préciser, aussi avec amitié envers Pagès, que ce qui est accepté et valorisé, ce n’est pas l’angoisse, mais celui qui a l’angoisse. Une précision qu’il exprime pourtant, mais seulement  implicitement, dans :

« Ce mouvement d’inversion, d’affrontement de l’angoisse, c’est le mouvement même de la thérapie du début à la fin, on pourrait dire que c’est le mouvement même de la vie, que la thérapie ne fait qu’accélérer » (p.69).

Cette notion de mouvement de vie qui est accompagné est très importante. Une vie qui finalement s’ouvre autant chez le patient que chez le praticien (l’ouverture de l’une étant impossible sans l’ouverture de l’autre).

Quant à la non-directivité nous apprécierons ce que nous rappelle Pagès :

« Rogers a dès longtemps dénoncé le malentendu qui identifie une attitude non-directive à l’indifférence et à un comportement de laisser-faire » (avant propos, page.x). 

Evoquant les propos de G.H.Porter, Pagès souligne aussi l’importance de la notion de climat psychologique qu’il définit comme « la conception d’autrui implicite dans notre interaction avec autrui » (p.37) D’où l’importance du positionnement ontique du praticien, de sa confiance en la justesse et de la qualité de son accompagnement de la vie, plutôt que celle de résolution des problèmes, d’où l’importance des paradigmes qui conduisent sa pensée, son regard, sa sensibilité…etc.

Avant de terminer, j’ajouterai une nuance amicale à propos des mots de Rogers : il ne s’agit pas tant d’être « centré sur le client » que « ouvert au client ». Sans doute était-ce une façon de dire que c’est vers le « client » que se porte notre attention (et non vers son problème), mais « centré » donne une impression de « viser » alors qu’« ouvert » donne une impression de « rencontrer ». Or Rogers a profondément été sur ce mode « rencontre » ! Il ne s’agit sans doute que de nuances sémantiques… mais elles ont leur importance.

3.4 Etre assuré de l’autre

L’assurance dont témoignera l’écoutant ne viendra pas de ce qu’il se sent sûr de lui, mais plutôt du fait qu’il a confiance en celui qu’il écoute. Il n’a jamais peur de mal faire, car cet autre, par ses attitudes, ses expressions, ses reculs et ses avancées, lui indique toujours si ce qui se passe est juste ou non.

Celui qu’il écoute le renseigne en permanence  sur la justesse du chemin qu’on est en train d’emprunter, et une erreur  n’est jamais bien grave quand on laisse à l’autre les clés de son monde intérieur, qu’on n’affirme rien à sa place et quand on a l’humilité de se laisser guider par lui. Nous avons le paradoxe suivant : celui qui guide est d’autant meilleur guide qu’il se laisse lui-même guider par celui qu’il accompagne. Moins il prétend savoir à la place de celui-ci, mieux il le conduit vers lui-même. Celui qui écoute a une belle assurance au niveau de sa compétence à guider son interlocuteur, dans la mesure où il a l’humilité de se laisser lui-même guider par ce dernier, vers les justesses qui l’habitent.

Cela lui est d’autant plus aisé qu’il a cette assurance que ce que l’autre va découvrir en lui n’est jamais une mauvaise chose. Nous avons hélas pris comme fondement de notre pensée que l’autre pourrait avoir de mauvaises choses en lui dont il devrait se libérer pour aller mieux. C’est sans doute là la plus grande erreur de la psychologie que d’avoir cru (et fait croire) une telle chose. L’habitude fâcheuse a été prise depuis longtemps de confondre les circonstances (qui sont quelques fois plus qu’atroces ou  terribles) avec les êtres qui s’y trouvaient (qui eux, sont toujours précieux à rencontrer et jamais effrayants).

L’assurance de l’écoutant vient de cette confiance qu’on ne va jamais vers de l’horreur, mais qu’un trésor est en permanence sur le point de se révéler. Cela lui permet de vivre ce contact existentiel, non seulement sans aucune crainte, mais aussi avec une réjouissance profonde, discrète et délicate (qui n’est en aucun cas une euphorie).

C’est cette confiance et cette réjouissance potentielle de l’écoutant qui accompagne l’écouté vers lui-même et lui donne confiance en ce qui est en train de se faire.

La congruence de l’écoutant ne se décrète pas, elle vient simplement de cette posture de confiance générée par son regard vers ce « trésor potentiel ». N’imaginons pas pour autant que les douleurs éprouvées par le sujet (dans son présent comme dans son passé) soient négligées et ne soient pas entendues et reconnues à leur juste mesure.

La dimension de la blessure éprouvée (quand il y en a) est profondément prise en compte, mais ce ne sont pas la  blessure ou la douleur qui sont rencontrées et reconnues, mais l’être qui les a éprouvées qui est à l’honneur. Il se trouve qu’en ce cas, l’être qui est rencontré reste toujours infiniment précieux aux yeux de l’écoutant et c’est ce qui permet à l’écouté de se rencontrer aussi sans crainte. L’écouté reprend confiance en ses valeurs propres intérieures, parce que celles-ci sont à chaque instant par avance accordées par l’écoutant, et confirmées à chaque révélation de soi.

3.5 Zone d’influence

Il y a donc une influence dans ce type d’écoute. Oui, le sujet entendu est influencé par cette réjouissance de celui qui l’accompagne. Cette réjouissance de la rencontre n’est jamais un déni de la douleur quand il y en a, car celle-ci est toujours validée. Ni dramatisée, ni banalisée, elle est même validée à la mesure de ce qui est ressenti par le sujet qui est toujours amené à en préciser la nature et la dimension. Si ce dernier peut le faire avec une relative aisance et tranquillité, c’est que celui qui le lui demande est toujours tourné vers l’être et non vers la circonstance, ni vers cette douleur. L’individu reçoit de la reconnaissance parce que son interlocuteur est touché de le rencontrer, et il se sent compris parce que sa douleur est révélée et validée dans sa juste mesure.

Cette réjouissance à la rencontre de l’autre, le fait d’être touché (et non affecté) est ce qui donne existence au sujet, ce qui fait qu’il se sent exister, ce qui fait qu’il a le courage d’aller voir au plus profond de lui. C’est pourquoi j’ai baptisé « validation existentielle » cette posture bien particulière de l’écoutant. Elle satisfait au besoin ontique (besoins de l’être) de l’écouté et le sécurise pour devenir plus conscient de ce qui est en lui et le partager. Bien des résistances chez les patients en psychothérapies viennent de l’insuffisance ou absence de cette posture chez le praticien.

3.6 Touché au-delà de l’apparence

La subtilité veut que le praticien ne soit pas seulement touché que par ce que le patient révèle de lui dans son propos, mais aussi par toutes ces parts potentielles de lui qui sont en attente de se révéler et qui ne sont pas encore dites ou manifestées consciemment.

Le praticien n’est en aucun cas un « voyant » et ne bénéficie d’aucune « extra lucidité » particulière. Il n’essaye en aucun cas de « deviner l’autre » et n’interprète rien. Il est simplement ouvert à cette potentialité de l’autre, et par avance touché par ces rencontres qui s’annoncent du simple fait de l’échange. Le praticien n’a pas besoin de savoir de quoi il s’agit pour se sentir touché. Il est touché par cette dimension du Soi de son interlocuteur. Nous pouvons prendre cette dimension du Soi dans le sens que Carl Jung nous a proposé : l’être présent, passé et en devenir en chemin vers son individuation. Nous pouvons aussi lui attribuer la subtilité de la dimension ontique évoquée par Abraham Maslow, si souvent mal comprise par ses lecteurs, car elle n’a pas été intégrée comme besoin fondamental dans leurs paradigmes. Carl Rogers  nous rappelle aussi cette importance qui nous échappe : 

« Dans notre culture, la plupart des adultes ont été formés à être très attentifs aux idées et pas du tout attentifs aux sentiments » (Rogers, 1996, p.139).

Maslow évoque pourtant clairement ce « manque d’humanité » comme étant un manque de l’humain qu’on a à être (que l’on cherche mais dont on a peur)… un manque qui, selon lui, est source de bien des psychopathologies. (voir publication « Abraham Maslow » octobre 2008).

L’écoutant (et surtout le praticien) se doit aussi d’être touché sur ce plan où sa qualité d’attention le met « en contact » avec l’écouté par une sorte de « tact psychique » confiant, tel que Frans Veldman nous le propose en haptonomie. Ce tact psychique n’est pas accompagné ici de tact physique, sauf quand une situation de réconfort nécessite ce complément. 

« L’haptonomie est une science de la vie ontique* » (Veldman, 1989, p.87),

* science de la vie de l’être

« Ce contact ne tolère pas de pouvoir de l’un sur l’autre » (p.178) « C’est un "être ensemble" confortant et confirmant, soutenu par des sentiments évidents de sureté, de sécurité et de transparence » (p.177).

Dans la suite de Veldman, Jean Louis Revardel va jusqu’à dire en haptonomie de ce qu’il nomme « confirmation affective* » :

« Elle confirme l’autre dans la valeur de son affectivité*, comme être respecté, digne d’amour, choyé comme être cher précieux » (2007, p.40) « Je suis touché et réjoui lorsque je rencontre […] une sensibilité… » (p.39). Il souligne que « l’éveil de la personne à la vivance, à un désir et plaisir de vivre, est dépendant de la représentation qu’elle a d’elle-même, comme étant -ou non- un "être digne d’amour" ».

*Naturellement, je préfèrerai les mots « sensibilité et tact » (ouverture rencontre) que « affectivité » (affect, impacts) mais le sens implicite, amené par Veldman ou Revardel à ce sujet, reflète parfaitement une belle posture et une belle sensibilité au-delà de ce  mot à mon sens trop ambigüe.

Tous ces éléments de posture ayant été clarifiés (sans eux tout le reste n’aurait que peu de sens), il nous reste à envisager le côté « presque technique » des questions ou propos utilisés par l’écoutant. Pour accompagner l’écouté dans une juste expression de lui-même, aussi précise et satisfaisante que possible, il devra poser des mots d’une façon qui peut être décrite avec précision.

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4   Les mots justes. Questions et réponses

Celui qui s’exprime peut parler sans intervention de son interlocuteur, dont nous avons vu que la seule présence (selon la qualité de cette présence) influence l’expression d’une bonne ou d’une mauvaise façon. Mais aussi, cet interlocuteur peut choisir d’accompagner cette expression avec des questions qui vont la faciliter. Les questions aussi peuvent avoir une bonne ou une mauvaise influence, c’est à dire qu’elles peuvent être sources de facilitations ou au contraire sources de blocages.

4.1 Notion d’influence dans les questions

Pour être de qualité, ces questions, du fait de la posture décrite ci-dessus, comportent deux présupposés qui, d’une certaine manière « conduisent » le questionné. Alors qu’en est-il de la non-directivité ? Justement, elle peut en être grandie. Une absence totale d’influence serait vécue  au contraire comme un abandon et briderait l’expression. Nous avons ici une subtile association de liberté et d’accompagnement.

Les deux présupposés permettant cela sont la justesse et la liberté.

La justesse : Cet aspect de « fluence » tient en le fait que celui qui demande est dans l’a priori que ce qui habite l’autre est juste, tant au niveau de ses ressentis que de ses fondements cognitifs. Ce présupposé de justesse confère, à celui qui demande, une posture et un ton facilitant l’expression du  questionné. La question s’accompagne ainsi d’une attitude « comme s’attendant chaque instant à recevoir quelque chose de juste et de précieux »… quasiment à recevoir un « trésor ». Rappelez-vous ce qui a été énoncé plus haut : l’attention n’est pas tournée vers les circonstances ou les douleurs, mais vers l’être qui les a vécues et éprouvées. C’est là que se trouve ce « trésor ».

La liberté : Cet aspect de « fluence » tient dans le fait que celui qui demande ne considère jamais comme un dû que réponse lui soit faite. En effet, ce qui est au plus profond de soi n’est jamais dû à autrui, quand bien même celui-ci est un thérapeute. Plus encore, même des réponses superficielles concernant des choses anodines ne sont pas dues non plus. C’est ce qui justifiera l’attitude de gratitude de l’écoutant envers l’écouté, pour chaque réponse que celui-ci lui offre. Paradoxalement, c’est cette liberté qui donne le goût de l’expression (dans la limite de ce qu’on veut bien partager, et dont on reste maître). Une telle attitude, laissant libre l’écouté, l’influence en ce sens où cela lui donne l’élan de s’exprimer.

Quelques présupposés néfastes produiraient au contraire de mauvaise réactions. Par exemple de considérer que ce qui est en l’autre est un dérèglement ou une mauvaise chose, dont il conviendrait de le corriger ou de l’en débarrasser. D’un tel « combat contre le mal », il pourrait émerger quelques violences. D’une part une dépréciation de ce qui habite le sujet, d’autre part une force du questionnement, insistant « pour son bien » là où il ne veut pas voir, afin de l’en libérer. Or il se trouve justement qu’il ne voudra alors pas y aller, pour ne pas qu’on abîme ce qui est en lui, comme habité par l’intuition que cela est plus précieux qu’il n’y paraît. La chose devient difficile pour le sujet quand il se voit ainsi défiguré intérieurement par les plus hautes autorités savantes, et de façon récurrente… il perd confiance en lui, et risque de finir en se soumettant à l’opinion du « spécialiste ». Si en plus ces confidences sont vécues comme un dû par l’écoutant, présupposant que si l’écouté ne se livre pas il est en résistance… cela pénalise ce dernier une nouvelle fois, et il s’en trouve rétracté par instinct de sécurité.

4.2 La question Ouverte

La posture respectueuse et confiante décrite ci-dessus est un préalable incontournable avant d’envisager l’aspect technique des types de questions à poser.

Chacun a généralement  entendu parler des questions ouvertes et des questions fermées. Ces deux principaux types de questions ne sont pas de même nature et sont tous deux utiles en fonction des situations. La question ouverte est celle à laquelle on répond par « un développement personnel de son propos » alors que la question fermée est celle à laquelle on répond par « oui » ou par « non ».

Au nom d’une attitude « non directive » la question ouverte est souvent considérée comme préférable. Cependant c’est oublier son plus grand inconvénient : elle doit être intellectuellement élaborée. Il se trouve que cette élaboration intellectuelle va souvent éloigner le sujet de ses propres ressentis, parfois même cela peut le rendre aveugle à se qui se passe en lui et même le faire involontairement se travestir à ses propres yeux. En réalisant une telle construction détaillée dans sa pensée, les précisions s’enchainent, sans pour cela être éclairantes. Parfois même, le sujet étant  conscient de ces injustesses, il y a blocage du mécanisme de réponse. Une telle question peut alors influencer de mauvaise façon le sujet, en le conduisant spontanément à s’éloigner de lui même

La question ouverte est un bon outil, qui s’adresse seulement aux personnes qui sont déjà proches de leurs ressentis. Ces derniers vont pouvoir s’en servir pour des précisions complémentaires, mais pas forcément pour un travail  de recherche intérieur.

Nous devons distinguer deux choses au niveau de la psyché : l’une qui consiste à identifier ce qui s’y trouve, l’autre qui consiste à décrire ce qu’on y a identifié. Le plus souvent (mais pas toujours) dans le premier cas nous utiliserons une question fermée, dans le second une question ouverte.

4.3 La question fermée

Celle-ci reçoit souvent une mauvaise opinion de la part de spécialistes de la communication et de la non-directivité. Ils lui reprochent d’influencer la réponse et de ne pas laisser assez libre celui qui s’exprime. Notons cependant que ce manque de liberté ne concerne que les questionnants qui considèrent les réponses comme un dû et postulent les mauvaises choses à corriger ou à éliminer habitant le sujet.

Effectivement, en ce cas, la question fermée est particulièrement néfaste et bloquante, car elle « oriente » le sujet vers ce qui n’est pas juste en lui. Une question ouverte laisserait alors à celui-ci au moins la possibilité de s’échapper du traquenard qui lui est infligé, grâce à une quelconque digression. Bien sûr il n’y a plus là aucune communication (au sens profond du terme), et encore moins de relation d’aide ou de thérapie.

En vérité, quand la posture est juste, la question fermée est un outil exceptionnel : elle permet à l’interlocuteur de répondre sans avoir à passer par son intellect. Un peu comme dans le cas de ce qu’on appelle médicalement la « vision aveugle », il est capable de désigner ce qu’il ne voit pas encore.

La « vision aveugle » est observée chez des sujets ayant perdu l’aire cérébrale permettant de construire les images mentales. Ils ont leurs yeux en parfait état, mais ne voient pas du fait de l’état de leur cerveau. Pourtant, s’ils ne voient pas, et ont un champ visuel vide, quand on leur demande de désigner où se trouve quelque chose qui est en face d’eux, en le désignant là où ils imaginent que cela pourrait être, ils pointent toujours l’objet au bon endroit. Cela s’explique par le fait que le cerveau primitif permet une « vision d’urgence » inconsciente. Face à des photos représentant des situations émotionnelles, la réaction de ces sujets aveugles est même plus rapide que celle de sujets voyants. Cela est vérifié au niveau de la réaction cutanée (électricité et sudation). Il se trouve que la partie du cerveau primitif reçoit l’information sans intermédiaire, alors que le cerveau plus récent, plus évolué, a des circuits beaucoup plus longs et ceux qui voient consciemment voient moins vite.

Il en va un peu de même avec la question fermée. Même si le sujet ne voit encore rien en lui, il est en mesure de répondre par « oui » ou par « non » sans avoir besoin de réfléchir. Cela permet à l’information recherchée d’émerger à sa conscience, et c’est seulement ensuite, dans un deuxième temps, que la question ouverte viendra solliciter la description plus précise de ce qui vient d’émerger.

La question fermée permet l’émergence de la réponse, et la question ouverte permet de préciser les détails de ce qui vient d’émerger. L’accès se fait en deux temps.

Commencer par une question ouverte, le plus souvent, met le sujet dans une impossibilité d’accès à ce qui est en lui. La liberté, qu’on croit lui accorder ainsi, l’enferme dans la croyance qu’il ne peut pas trouver. Ici l’influence de la question ouverte se retrouve extrêmement néfaste, car même quand il trouve, il risque de travestir intellectuellement et involontairement ses ressentis.

Tout cela sera illustré dans les exemples que vous trouverez au chapitre 7.

4.4 La reformulation

La reformulation est proche de la question fermée car elle appelle aussi en retour un « oui » ou un « non ». Mais elle en diffère car, d’une part elle est habitée par un profond projet de validation existentielle (reconnaissance) et d’autre part, le « oui » ou le « non » en retour, est attendu comme une confirmation ou infirmation de ce qui est avancé.

Dans la question fermée ordinaire, la question est totalement interrogative. Ce sera par exemple, face à quelqu’un qui vient de manger un met : « Est-ce que tu aimes ce plat ? » (la question ouverte correspondante aurait été « Que penses-tu de ce plat ? »).

Or, dans la reformulation, la question est interrogative seulement dans l’intonation, alors qu’elle est grammaticalement affirmative. Elle s’écriera : « Tu aimes ce plat !? » (je la ponctue ainsi « !? » pour signifier cette délicate association d’affirmation et d’interrogation). Notons qu’une telle question n’a de sens que si le sujet a manifesté au préalable une satisfaction (non verbale). Nous pensons avoir compris sa satisfaction (d’où l’aspect affirmatif qui le montre), mais sans en être certain (d’où l’intonation légèrement interrogative qui demande un éclairage).

S’il n’y a pas eu manifestation de satisfaction de la part du questionné, cette façon de poser une question est inappropriée, et même  sans doute manipulatrice. Elle n’a de sens que si l’information implicite ayant préalablement émané du questionné nous permet d’avoir cette éventualité de compréhension, dont nous venons simplement nous assurer (en passant par le sujet lui-même qui est le seul à savoir). Si le sujet avait manifesté une grimace, la reformulation aurait été « Tu n’aimes pas ce plat !? » avec un ton tout autant délicat et respectueux de la pensée de l’autre.

Si le sujet n’avait rien manifesté, nous ne pourrions utiliser une reformulation et basculerions en question fermée « Est-ce que ce tu aimes ce plat ? » où l’intonation doit laisser le sujet libre de répondre « non » aussi bien que « oui », selon sa pensée à lui, sans que cela nous cause le moindre désagrément… et même cela nous apportant satisfaction, car il nous confie sa pensée réelle (qui ne nous est jamais due !) et c’est cela que nous demandions. Il en résulte toujours en nous satisfaction et gratitude. Si nous sommes incapables de cette satisfaction et de cette gratitude, c’est qu’en vérité nous ne posions pas une question et ne faisions qu’imposer la confirmation de notre pensée à nous. Cela marque le fait qu’il n’y avait aucune question (qu’elle soit ouverte, fermée, reformulation ou à choix multiple) mais seulement une « apparence de question » masquant une manipulation implicite pour ramener notre interlocuteur à notre idée.

Notons que la reformulation va plus loin que la simple compréhension cognitive de ce qui a été exprimé. Si nous ne nous sommes pas trompés au niveau du sens probable que nous avons perçu, elle donne surtout, par avance, une validation de l’être avec son ressenti (validation existentielle). S’il fait une forte grimace face au plat qu’on lui a servi, la reformulation sera par exemple agrémentée du mot « vraiment » pour appuyer ce que le sujet a manifesté. Dire « ça ne te plait vraiment pas !? » va valider l’importance de sa grimace, tout en lui demandant si ce que nous pensons percevoir est juste… Cela va ainsi lui donner droit à sa grimace et lui permettre de la manifester sans en être gêné et, si nécessaire d’en nuancer verbalement le sens.

Cela rend l’usage de la reformulation très délicat car tout est dans le non verbal. Cette phrase « ça ne te plait vraiment pas !? » pourrait aussi être prononcée sur un ton réprobateur. Dans ce cas il ne s’agirait aucunement d’une reformulation mais d’une attaque non verbale et, pourrions-nous dire, d’une « invalidation existentielle ».

La reformulation est hélas souvent réduite à une répétition (avec d’autres mots), à une sorte de reflet, de ce que l’émetteur vient de dire. Une telle définition est très insuffisante, car la reformulation va beaucoup plus loin et ne peut en aucun cas se réduire à un « écho » ou un « reflet », car l’interlocuteur  n’a que faire d’une chambre d’échos ou d’un miroir, ce qu’il cherche c’est une validation, une reconnaissance (voir publication de novembre 2002 « Reformulation »).

4.5 La question à choix multiple

Nous ajourerons à ces trois types de questions la « question à choix multiple » (ou « QCM »), qui a une belle place dans les échanges pour permettre à l’interlocuteur d’accéder aux informations qui sont en lui. Naturellement ce type de question n’a de place que là où il est pertinent.

Comme dans les questionnaires d’enquête, il suffit de « cocher la case correspondante » et c’est assez simple… sauf que là il ne s’agit surtout pas d’enquêter, mais d’accéder  au sujet lui-même avec son ressenti, sa pensée, son opinion, dans un but de rencontre et de reconnaissance. Si le sujet a confirmé qu’il aimait le plat et que nous lui demandons « qu’as-tu aimé dans ce plat ? » (question ouverte)… s’il ne sait pas répondre (mais le veut  bien), nous lui poserons instinctivement une question à choix multiple, par exemple : « C’est le goût, la présentation, les arômes… ou autre chose  qui t’a plu ? » Le sujet peut alors aisément, soit reconnaître dans les trois propositions celle qui est juste, soit constater qu’aucune n’est juste, mais que ces trois possibilités étant éliminées, cela lui fait trouver plus aisément sa réponse à lui (surgissant alors naturellement à sa conscience).

Le plus souvent « l’instinct de la question à choix multiple » nous vient quand une question ouverte a échoué. Parfois cela peut aussi nous inspirer spontanément une question fermée : « que penses-tu de ce plat ? » - « Je  n’en sais rien ! »… instinctivement nous demanderons « ça t’a plu, ou ça ne t’a pas plu ? » (qui est une question fermée, plus ou moins déguisée en « choix multiple » à deux « cases », mais qui a pour but de ne pas induire une préférence pour l’une ou pour l’autre).

4.6 Principes et fondements

Dans tous les cas, le type de question a une importance, mais ce qui compte le plus c’est la posture de l’écoutant, son ouverture, sa confiance, son élan de rencontrer l’autre dans ce qui est juste en lui, et de ne pas le changer dans ses fondements mais de simplement le reconnaître. Cela transparaîtra dans le non verbal et donnera à la question toute la dimension requise.

La pensée de l’autre n’est jamais présupposée. Quand nous utilisons une reformulation il ne s’agit pas de présupposition de son avis, mais d’un premier décodage de son information (verbale et/ou non verbale) qui nous conduit à un sens que nous préférons vérifier en passant par lui. Nous sommes toujours dans l’humilité de ne jamais savoir à sa place et sommes capables de distinguer entre sa pensée à lui et notre pensée à nous.

Quant à la question à choix multiple, nous y sommes aussi en « non savoir », mais pour relancer la recherche intérieure de notre interlocuteur, nous utilisons des éléments de notre propre pensée, non pour l’influencer, mais comme starter de sa recherche en lui : « C’est le goût, la présentation, les arômes… ou autre chose  qui t’a plu ? » Nous voyons clairement que pour élaborer une telle question nous avons dû nous demander, de notre point de vue, ce qui pourrait par exemple faire qu’on ait apprécié un tel plat. Il ne s’agit là que d’éventualités venant de nous, permettant à l’autre de se positionner selon la justesse qui est en lui.

Nous remarquons que tous ces types de questions ont leur importance et que leur efficacité en communication, en relation d’aide ou en thérapie, viendra d’une part du fait qu’elles soient utilisées à bon escient, mais surtout d’autre part que celles-ci soient énoncées par un écoutant dont la posture est juste, respectueuse de la différence de l’autre, de la valeur de ce qui est en celui-ci, de la confiance qu’il lui accorde quant à cette valeur.

Un point complémentaire majeur est de savoir que nous ne parlerons de communication (ouverture, humanité) que quand le « sujet » (individu) compte plus que les objets (informations), c'est-à-dire que le questionnant a plus pour projet la rencontre et la reconnaissance de l’individu que l’analyse de ses propos. Le ressenti de celui-ci compte plus que l’histoire qu’il raconte. Dans le cas contraire nous ne sommes qu’en relation (lien), remplis d’affect.

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5   Autre subtilité sur n’énoncé des questions

5.1 Des questions qui portent sur le ressenti

Demander « qu’est-ce que tu as mangé ? » (question ouverte) peut être une question utile, mais elle est très différente de « Que penses-tu de ce que tu as mangé ? » (question ouverte) ou « As-tu aimé ce que tu as mangé ? » (question fermée). La première question porte sur les faits, les deux suivantes sur le ressenti à propos des faits.

Des questions sur les faits sont utiles quand il s’agit d’accéder à la connaissance des faits : « Quelle est la production aujourd’hui ? », « Quel jour faisons-nous cette réunion ? », « A quel train dois-je venir te chercher ? », « A quelle heure avons-nous rendez-vous demain ? », « Que prévoyons-nous de servir à ce repas ? », « As-tu eu toute la liste de tes professeurs ? ». Vous remarquerez qu’à ce niveau la question ouverte est souvent utilisée. Les faits y sont essentiels, les opinions ou ressentis parfaitement secondaires, et cela n’est la plupart du temps aucunement gênant et même souhaitable.

Il en va tout autrement quand l’écoutant se trouve face à un sujet qui a une émotion ou un ressenti qui compte à ses yeux. Il s’agira alors pour lui de réaliser un accompagnement psychologique (relation d’aide) en situation de vie ordinaire ou professionnelle, ou une psychothérapie s’il s’agit d’une consultation avec un praticien. Les reformulations, les questions fermées ou à choix multiple y seront plus fréquentes, et surtout, la notion de faits n’aura plus alors que peu d’importance.

Claude Abric est sensible à cette nuance :

« Plus on pose de questions, plus l’information que l’on recueille va porter sur des faits, des comportements et non sur des sentiments » (2003, p.33).

Roger Muccihelli aussi quand il recommande :

 « Être centré sur ce qui est vécu par le sujet et non sur les faits qu’il évoque. […] S’intéresser à la personne du sujet, non au problème lui-même » (2004, p.51).

C’est une chose mal connue que  les faits aient si peu d’importance en relation d’aide ou en thérapie. Trop souvent celui qui écoute et accompagne s’accroche à « Que s’est il passé ? », croyant ainsi accéder à quelque chose d’important, alors que la question juste serait plutôt « Qu’as-tu éprouvé quand cela s’est passé ? », même si on ne sait pas ce qui s’est passé (il n’est pas utile de le savoir).

Nommant ce qu’il a éprouvé, le sujet accède mieux en lui à ce qui est important qu’en racontant ce qui s’est passé. S’il raconte les évènements il risque de les revivre et de « tomber en régression ». Cela peut lui occasionner une tempête émotionnelle inutile, parfois une grande douleur. Ça le replonge dans la circonstance et risque de lui infliger de nouvelles blessures en les revivant. Le sujet n’a pas à revivre la « même » circonstance, il a juste à recontacter celui qu’il était dans cette circonstance et lui apporter en secours simplement une présence, une reconnaissance. L’apaisement vient de cette réhabilitation de celui qu’il était, et non de l’énoncé des faits, ni de la tentative d’apaiser (qui ne serait qu’un déni du vécu éprouvé).

Cela ne veut pas dire que les faits ne doivent jamais être évoqués ! Cela signifie simplement qu’ils doivent rester secondaires par rapport à celui qu’était le sujet lors de ces faits, et que même quand on ne les connaît pas, on peut s’occuper de celui qui les a vécus.

Un sujet vous dit « J’ai eu une enfance terrible ! ». Lui demander (même délicatement) « Que s’est-il passé ? » est inapproprié et inutile. Par contre reformuler « ça a été très douloureux pour l’enfant que tu étais !? » est une reformulation essentielle. L’écoutant peut reconnaître l’enfant qu’il était avec la dimension de son vécu, sans pour autant avoir eu accès à la teneur des circonstances.

Cela est très intéressant car l’échange en est beaucoup plus intime (posture chaleureuse d’Être à Être) et en même temps non indiscrète (ce qui s’est passé ne nous regarde pas). Cela permet au sujet de « s’occuper de celui qu’il était » sans avoir à revisiter ce qui fut  traumatisant et sans avoir à révéler des circonstances gênantes.

5.2 Deux parts distinctes de Soi

Vous aurez sans doute remarqué l’aspect subtil de cette façon de procéder où, non seulement le sujet compte plus que les faits, mais aussi celui qui les a vécus jadis est nommé comme étant distinct de celui qu’il est aujourd’hui. L’écoutant va même le désigner à la troisième personne !

Cela peut troubler notre rationalité car au fond, celui que nous sommes aujourd’hui et celui que nous étions autrefois… c’est le même individu. Cela est juste, il ne s’agit pas d’un autre, et il y a une continuité entre tous ces « qui nous sommes » au cours de notre vie. Pourtant, cela doit être nuancé et, comme le faisait remarquer Michel de Montaigne dans ses « Essais » ou bien avant lui Héraclite, nous ne sommes jamais le même à chaque instant, car chaque instant nous change. Selon eux, croire que nous sommes le même n’est qu’une illusion. Ils avaient raison, à cette nuance près : si nous ne sommes jamais le même, c’est cependant l’ensemble de tous « ceux que nous avons ainsi été » qui nous constitue, et celui que nous étions jadis n’a jamais cessé d’être en nous, proche de nous. Depuis tout ce temps, celui que nous avons été continue à influencer nos ressentis actuels.

Le sujet actuel a aussi certains ressentis qui lui permettent de garder un lien avec celui qu’il fut quand, par survie, il a tenté de l’évincer pour ne pas souffrir (voir la publication de juin 2011 « Symptômes »). Ces « parts de soi », écartées par un salutaire réflexe de survie, doivent un jour retrouver leur juste place au sein de la psyché afin de nous permettre l’individuation qui nous donnera l’assurance dont nous avons besoin pour notre vie, pour notre équilibre, pour habiter notre présent et aller vers notre futur.

Ainsi, quand le praticien ou l’écoutant est face au sujet qui s’exprime, il sait que les ressentis de celui-ci ne résultent pas seulement de ce qu’il rencontre actuellement, mais aussi de « tous ceux qu’il fut jadis » et de ce qui fut autrefois éprouvé (ce n’est pas l’histoire factuelle qui compte, mais comment elle a été vécue).

Non seulement l’écoutant aura ce discernement, mais aussi il apprendra à savoir désigner celui qu’était le sujet comme distinct de celui qu’il est, et le nommera (pas toujours mais la plupart du temps) à la troisième personne. Cela l’amènera à un certain type de formulation de ces questions.

5.3 Rendre distincts aussi l’« être » et l’imago

L’imago, c’est « comment on se représente l’autre en fonction d’un statut ». Par exemple on voit souvent « son père » ou « sa mère » plutôt que les êtres qu’ils sont en réalité. Quant aux parents, ils voient plutôt « leur enfant » que « l’être qu’est leur enfant ». Mais on peut étendre cette notion à la vie sociale en générale où nous voyons plus le statut (par exemple professionnel) d’un individu que l’être qu’il est.

Cette forme de cécité existentielle représente un inconvénient dans toutes les situations de communication (même professionnelles) où finalement les informations prendront plus de place que les sujets qui en sont émetteurs ou récepteurs. Cela induit de l’affect, active les fantasmes, et génère des malentendus. Les individus alors ne se voient pas et se retrouvent seulement en « lien » à travers l’« objet information ». Il en résulte un agrément ou un désagrément, mais jamais une rencontre ou une reconnaissance. De plus la qualité de l’information s’en trouve souvent très altérée. J’appelle cela des situations relationnelles (lien) où les sujets sont attachés par ce qu’ils échangent… qu’en fait ils n’échangent pas vraiment car aucun des deux n’est réellement attentif à l’autre. Il en résulte qu’il n’y a pas de canal permettant cette migration satisfaisante de l’information du monde de l’émetteur vers celui du récepteur.

Quand au contraire, au lieu de prioriser l’information, les individus priorisent les sujets (les êtres), ils se retrouvent « ouverts » et cessent d’être en lien à travers des objets. Ils se retrouvent libres, et peuvent enfin s’entendre grâce au canal ainsi créé entre eux. C’est ce que j’appelle « être communicant » (ce qui signifie simplement « être ouvert »).

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6   Validations

Tout cela n’aura de sens que s’il s’y ajoute des validations. Les validations représentent le « retour » (feed back) adressé au sujet qui vient de s’exprimer, et ce retour peut recouvrir plusieurs niveaux. Certains concernent l’information (l’objet), d’autres concernent l’individu (le sujet lui-même).

6.1 Six niveaux de « feed back »

Ce « retour » qui est adressé à l’émetteur par le récepteur (devenant ainsi émetteur à son tour) comporte : deux niveaux concernant l’information et quatre niveaux concernant le sujet et sa justesse et sa générosité. Les deux premières validations, si elles sont seules, ne témoignent que de relationnel (objet priorisé), les quatre autres élèvent l’échange au niveau du communicationnel (sujet priorisé).

Toute la qualité d’un échange se joue au niveau de ces validations dont il conviendra de comprendre qu’elles ne peuvent en aucun cas se réduire à des considérations techniques. Elles dépendent de la posture de celui qui les met en œuvre.

C’est la qualité d’attention et de considération initiale qui engendre celle des validations qui viennent en retour, et non une compétence technique  et verbale. Plus le sujet (l’être) est priorisé, mieux les informations sont perçues. Cette qualité est transmise essentiellement par voie non verbale et ne peut ni être construite, ni être feinte. Il conviendra donc ici d’envisager ce qui va être décrit comme résultant d’une attitude, d’une posture, d’un type d’attention accordée, et non d’une technicité ou d’une habileté.

6.2 Deux nivaux pour l’information

Recevoir (accès à l’information)

Celui qui a reçu est sensé témoigner de cette réception par une validation qu’on nommera « accusé de réception ». Dans ce cas il sera en possibilité de répéter ce qui a été dit, quand bien même il n’en aurait pas compris le sens.

Comprendre (accès au sens de l’information)

Si l’interlocuteur a compris la signification, il est aussi sensé en témoigner par ce que je nommerai un « message de compréhension ».

 

L’émetteur initial est concerné par ces deux premiers feed-back. Il aura avantage à  être attentif au fait que son interlocuteur ait bien reçu et compris l’information qu’il lui a destinée. S’il réalise que l’information n’a pas été reçue (bruit, audition, parasites) il va simplement la répéter en ajustant le volume ou la diction. S’il réalise que l’information  n’a pas été comprise, il ne va pas la répéter, mais l’expliquer, la développer, l’expliciter. Ceci est tout simple, mais nous noterons tout de même que : « répéter » à celui qui n’a pas compris génère de l’agacement (il peut alors  rétorquer « ça va je ne suis pas sourd ! »), et « expliquer » à celui qui n’avait pas entendu peut aussi amener une tension (il peut rétorquer « ça va je ne suis pas idiot ! »). Si l’émetteur initial intervertit les deux situations, son attitude inappropriée risque de générer des tentions,  de provoquer une fermeture et une défense de son interlocuteur… qui alors quitte l’état communicant.

6.3 Quatre niveaux pour l’être (subtilité ontique)

Les deux niveaux précédents ne concernent que l’information. C’est un niveau de vérification de la « saisie » des données et de leur sens. Dans l’état communicant les validations doivent s’étendre à quatre niveaux supplémentaires et concernent la qualité de la « rencontre ».

Il se trouve cependant que la qualité de la « saisie » de l’information émise dépend de la « rencontre » au niveau des sujets. En effet, en situation purement « objectale » (objet priorisé), où les individus ne sont pas considérés et seule la saisie nous  préoccupe, l’information circulant sur un simple mode relationnel est sujette à déformation, distorsion ou rejet (affect, fantasmes, mauvaise perception de la réalité). Alors qu’en situation existentielle (on pourrait dire « subjectale » : sujet priorisé), l’individu étant au premier plan, le canal qui s’ouvre permet une circulation optimisée de l’information. Notons aussi que dès les deux premiers niveaux de validations, quand chez l’émetteur  l’attention accordée  aux êtres (sujets) est plus grande que l’intérêt pour les choses (objets), la réception et la compréhension en sont grandement facilitées chez l’interlocuteur.

 Accueillir (être distinct sans être distant, valider la différence)

Quand l’information est reçue et comprise, le mode communicationnel ajoute un message d’accueil. Accueillir est une attitude inconditionnelle emplie de délicatesse et de confiance. Cela ne consiste en aucun cas à avoir le même avis que l’autre, mais simplement à considérer que ce qu’il a dit est juste pour lui, que cela a un fondement pertinent en lui, et que même sans connaître ce fondement nous lui accordons qu’il existe. Cette justesse est considérée comme lui étant relative, et non comme étant absolue, car chacun a des fondements qui lui sont propres.

Remercier (rien ne nous est dû, expression de gratitude)

Quand l’information est reçue, comprise, et accueillie, il y a aussi une attitude de gratitude en ce sens que cette information ne nous était pas due*

*Naturellement, il n’est pas non plus dû à l’autre qu’on l’écoute, et les deux pôles vivent un privilège.

Cette notion de gratitude est encore plus forte quand nous avons posé une question et que l’autre nous accorde sa réponse. Cela doit nous conduire à exprimer un message de gratitude signifiant clairement que sa réponse est pour nous un privilège. Cette réponse est reçue, comprise et accueillie (en lui accordant un fondement potentiel juste, même si nous sommes d’avis contraire), mais en plus nous lui sommes reconnaissants de nous l’avoir révélé

Naturellement, toute cette dimension existentielle s’exprime simplement, parfois juste avec un regard, un sourire, des fois avec un mot très simple. Ce doit être quelque chose de naturel qui découle d’une attitude, d’une posture, et non une technique.

Reconnaissance de la justesse (accès au fondement cognitif, valider la raison)

Il se trouve qu’avec plusieurs questions pertinentes (deux, trois ou plus), nous aboutissons rapidement au fondement cognitif que nous lui accordions déjà sans le connaître (du moins nous aboutissons à un niveau signifiant de ce fondement). Avec cet aboutissement, nous devons à notre interlocuteur ce que j’appelle un message de cohérence ou « validation cognitive ». Cette validation signifie clairement à notre interlocuteur notre reconnaissance de ce fondement révélé. Si par exemple il nous a dit qu’il n’aime pas les fleurs et qu’après lui avoir demandé ce qui lui déplait dans les fleurs il nous explique que « cela lui fait triste »… et nous précise que cette tristesse est celle qu’il éprouva lors d’obsèques d’un très bon ami où il y avait beaucoup de fleurs… la validation cognitive lui signifiera que « si les fleurs lui font penser à cela nous comprenons qu’il les trouve tristes ». Vous remarquez que ce n’est pas « la tristesse des fleurs dans l’absolu » qui est validée, mais « la tristesse des fleurs pour lui » compte tenu de son vécu et de ce qu’il en a fait.

Attention : la validation cognitive ne prend en fait sa dimension que si elle est accompagnée de validation existentielle. Sinon elle se réduit à un jeu de logique dans lequel l’être ne se reconnaît pas. La validation existentielle est surtout portée par la réjouissance que nous éprouvons à la révélation et à la rencontre de l’autre.

Comme le rappelle si justement  Naomi Feil :

« La validation est basée sur le principe qu’il y a une raison derrière tout comportement » (1994, p.46). Puis elle ajoute implicitement le niveau ontique « […] le premier principe de la validation : instaurer la confiance en accepaent les sentiments ; ne pas argumenter sur les faits » (p.127).

Ce niveau ontique, largement souligné par Jean-Louis Revardel et Frans Veldman (§3.6), nous conduit tout naturellement à l’idée de « réjouissance » éprouvée au contact de l’autre : comme si l’on contactait la « Vie » dans ce qu’elle a de plus précieux.

 Réjouissance (validation existentielle, rencontre, être touché)

Voici le point sensible qui fait toute la différence : celui qui accompagne, qui écoute, qui questionne, est dans une posture de réjouissance à chaque pas, à chaque réponse, à chaque révélation de Soi que lui offre l’autre. Il se sent « touché ». Comme le dirait Frans Veldman qui a tellement mis l’accent sur cette notion de « tact psychique » dans l’haptonomie, pour qui il y a le vécu du « bon être ensemble ». Comme le disait Carl Rogers sur la fin de sa vie, les deux (patient et praticien) se retrouvent dans un « espace transcendé » où chacun des deux perçoit l’autre. Nous découvrons alors une saveur de vie, une sagesse de l’être, une dégustation ontique.

Ce mot de réjouissance surprend souvent les personnes qui l’entendent ou le lisent, car un accompagnement est sensé habituellement se réaliser dans la neutralité et la gravité. Gravité et sérieux sont souvent confondus ! Pourtant on peut être sérieux sans gravité. La gravité, c’est le poids, la pesanteur, c’est la gravitation… avec sa « mise en orbite » qui nous fait tourner en rond sur nos problèmes. La rencontre ne peut s’envisager dans la gravité, mais seulement dans une sorte de légèreté de l’être, dans une « non pesanteur ».

Se réjouir de cette rencontre à chaque pas, c’est signifier à l’être que l’on éprouve du bonheur à le rencontrer et, par là même, lui donner le goût de se rencontrer lui-même.

La mise en mots d’une telle posture est très délicate. Cette réjouissance est juste un art de goûter la vie, la présence de l’autre, une sorte d’« hédonisme ontique » qui n’est jamais une euphorie. C’est l’« art » de se laisser toucher par cette présence de l’autre. Mais c’est sans doute encore plus qu’un « art ». C’est se sentir « touché » sans jamais être « affecté ». Distinction importante : on est touché par l’être, on est affecté par ses problèmes ! Or ce n’est pas vers les problèmes que notre attention est sensée se tourner, mais vers l’être. Quand bien même cet être a des problèmes ou des souffrances, ce ne sont ni ces problèmes ni ces souffrances qui mobilisent notre attention mais le sujet qui les évoque et les a éprouvés.

Cette attitude de réjouissance de celui qui se laisse toucher par cette présence de l’être qu’est l’autre, résulte d’une sorte de « tact ontique », de « tact existentiel », de « tact de l’être », de « tact psychique ».

Être touché sans être affecté ne conduit nullement à une banalisation des douleurs ressenties quand il y en a, au contraire. Cependant, il faut comprendre que ce ne sont jamais les douleurs qui sont reconnues, mais l’être qui les a éprouvées. Ce dernier est si précieux à nos yeux qu’il suscite cette réjouissance de le voir se manifester. Celui qui écoute ou accompagne prend toute la mesure des ressentis éprouvés (il se doit même de le faire), mais cela est simplement pour être dans la reconnaissance du sujet qui les a éprouvés et non pour dramatiser et tomber dans le pathos.

C’est ce qui fait que chaque question posée est comme une invitation à se rapprocher de ce qui est précieux en soi, pour ne pas dire d’une sorte de « trésor ». Le sujet qui reçoit les questions n’a pas alors à recontacter ce qu’il a pu vivre de difficile, mais seulement à recontacter celui qu’il était et qui a éprouvé ces difficultés et ces douleurs. Cela fait une telle différence que le sujet ne manifeste pas de résistances à se rencontrer, alors qu’il pourrait en manifester beaucoup à raconter ce qui s’est passé. A  chaque émergence nouvelle il se produit une validation qui, telle une sécurité, valide un peu plus l’être à chaque pas, l’assure dans son existence, lui permet d’être qui il est. Il gagne, à chaque pas, un peu plus d’individuation et d’assurance intérieure lui apportant plus d’assurance au monde. Tour cela le met de plus en plus en complétude et en cohérence existentielle.

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7   Le « jeu » des questions et des réponses

Pour affiner notre pensée, nous avons besoin d’un jeu de questions et de réponses. Que cela se réalise en nous, seuls, par nous-mêmes, pour aboutir à une clarification, à une compréhension et à une intégration… ou bien que cela se réalise en interaction avec un autre, dont les questions viennent affûter la précision de notre pensée. N’oublions pas que des questions peuvent être posées à soi-même, par soi-même. Le focusing d’Eugene Gendlin (2006, p.53) se préoccupe plus d’être à l’écoute du sens corporel que des mots, mais il permet cette approche autonome de soi par soi. Au cas où cela éveille une crainte, Gendlin recentre notre attention :

« Faire du focusing, ce n’est pas travailler. C’est passer un moment agréable à l’intérieur de soi-même » (2000, p.67). 

7.1 Questions à soi-même

Il est curieux qu’un tel cheminement avec soi-même se nomme « réflexion » ou même « spéculation ». Ces deux mots nous ramènent à l’idée de miroir. Un reflet dans un miroir s’appelle aussi une image spéculaire. Nous pourrions nous demander ce que le miroir vient faire ici (d’autant plus que j’ai signalé plus précédemment  que nous avions plus besoin de reconnaissance que de reflet).

Quand nous réfléchissons, nous sommes en même temps l’auteur des questions et celui qui y répond. Cela se fait parfois à voix haute, parfois à voix basse, parfois en silence. Tout se passe comme si notre propre pensée passait successivement d’un pôle à l’autre (questions réponses), alors que nous tenons les deux rôles. Une sorte d’EMDR* intérieur, sans passer par les yeux ou par le mouvement, où la cohérence jaillit de cette alternance.

* thérapie d’intégration neuro-émotionnelle par des stimulations bilatérales alternées (mouvements oculaires ou autres), a été découverte en 1987 par une psychologue américaine Francine Shapiro, membre du MRI de Palo Alto. http://www.emdr-france.org/

Nous pouvons considérer que nous partons d’un sentiment ou d’une pensée diffus (pour ne pas dire confus) et que par réflexions ou spéculations successives nous nous approchons d’une cohérence de plus en plus précise.

Il existe un phénomène physique où il se passe quelque chose d’analogue. Bien loin de la psyché, le laser fonctionne sur ce principe. Une lumière ordinaire, non cohérente, et qui tend à se disperser, est réfléchie entre deux miroirs successivement un très grand nombre de fois. Cette alternance lui fait progressivement gagner en cohérence, puis quand cette cohérence devient suffisante, le rayon est « lâché » : c’est alors un rayon laser, une lumière qui ne se disperse plus et qui peut alors être dirigée avec précision.

7.2 Plus qu’un amplificateur de cohérence

Dans ce que j’ai décris précédemment avec les validations, il ne s’agit pas d’augmenter la cohérence d’un rayon lumineux, mais d’une pensée… et surtout d’une perception de soi, d’une conscience de soi… peut-être d’une vie ! Comme si la dimension existentielle du sujet gagnait en cohérence, en considération, en  « présence au monde », « en présence à soi », « en présence aux autres ». Elle se retrouve moins dispersée, mais en même temps touche pourtant des domaines plus vastes.

Nous ne pouvons réduire cela à un phénomène de physique ! L’analogie avec le laser trouve là sa limite, celle des miroirs aussi, même si la psychologie a quelque fois imagé le praticien comme « étant un miroir ». Nous ne rappellerons jamais assez que le patient n’a que faire d’un reflet, ce dont il a besoin, c’est d’une reconnaissance. Cependant, l’analogie était intéressante à relever, compte tenu des termes « réfléchir » et « spéculer », conduisant dans les deux cas à un gain de cohérence.

Nous avons plutôt en fait là une sorte d’amplificateur existentiel, d’amplificateur de « cohérence ontique » et cela donne une dimension de vie très profonde à l’échange, où les « miroirs » ne sont plus simplement « ce qui renvoie un reflet passif » mais « ce qui offre en retour de la reconnaissance, de la considération ». La considération (co-sidéral) fait que cela nous renvoie que nous sommes tous deux (les interlocuteurs) des « étoiles ». Aucun miroir ne sait faire une telle chose ! Ici nous allons plus loin, l’être touche sa propre dimension, hors de cet ego dont la force ne fait que marquer le manque d’être (le manque d’humanité, le manque de Soi) et dont il n’est que la pâle compensation. C’est cette « présence à l’autre », emplie de cette « réjouissance à la vue de cet autre » qui produit cette considération conduisant à la cohérence ontique (donc à bien plus que la simple cohérence cognitive).

7.3 Questions avec un autre

Mieux que les questions à soi-même, nous pouvons recevoir les questions d’un autre. Naturellement elles devront être pertinentes (porter sur les ressentis plutôt que sur les faits), sans conditions de réponses (nous laisser libres de nos réponses), adaptés (reformulations, ouvertes, fermées, à choix multiple), et surtout potentiellement habitées par une dimension de validation des réponses à venir  jusqu’à une expression de réjouissance (validation existentielle). Pour être justes, ces questions doivent particulièrement refléter le fait que celui qui demande à confiance en la justesse de celui à qui il demande (validation cognitive). Il ne tente jamais de débusquer des erreurs, mais seulement de pointer des pertinences.

Cela donne à celui qui pose les questions une posture oblative (généreuse, donnant de sa présence), invitante, sécurisée, pleine de vie.

Le sujet qui reçoit de telles questions ne peine alors pas à se contacter au plus profond de lui-même, à comprendre, reconnaître, se réapproprier. Telles de précieuses invitations vers soi ces questions conduisent les pas de l’écouté, le guident en respectant son chemin à lui, l’influençant juste en ce sens qu’elles lui donnent le goût de ce cheminement, la confiance en soi, et révèle cette délicate saveur intérieure qui l’habite.

Elles sont comme une possibilité de contacter la vie qui est en soi. Nous sommes ici loin de la simple idée de « faits » ou de « raconter son histoire ». Nous sommes sur une dynamique de rencontre de Soi, de sentiment d’exister, d’individuation douce et savoureuse.

Tout cela se réalise à l’opposé des notions d’ego puisqu’il en résulte plus d’ouverture et de considération envers autrui, plus de respect envers les êtres.

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8   Exemples d’échanges quotidiens

Il est essentiel d’aborder le thème de la non-directivité et des validations par des exemples. Les explications théoriques, aussi précises soient-elles, ne peuvent rendre compte du déroulement concret des échanges en situations réelles.

La mise en œuvre (sous forme de dialogues commentés) de ce qui a été développé dans ces lignes  va se faire en deux étapes :

-Dans ce 1er chapitre, concrétiser l’approche à travers des entretiens de la vie quotidienne avec un enfant, avec ses parents, avec son conjoint, au travail, avec soi-même.

-Dans le 2e chapitre, concrétiser la manière d’aborder des entretiens thérapeutiques dans trois types de situations.

8.1 Avec un enfant

Un enfant ne veut pas mettre un habit.

Le parent se gardera bien de commencer par lui expliquer pourquoi il lui est proposé de mettre celui-ci. Les explications du genre « Tu auras plus chaud », « Celui que tu veux est au sale », « Cela est mieux assorti à ta jupe » ne servent à rien et ne font que montrer à l’enfant que son souhait est, au mieux inadapté compte tenu de la situation, au pire stupide s’il insiste.

Un dialogue plus adapté serait par exemple :

« Non j’veux pas le mettre, j’veux l’autre ».

« D’accord. Tu préfères l’autre !? » (reformulation)

« Oui ».

« Qu’est-ce qui te plait tellement dans l’autre » ? (question ouverte)

« Il est plus joli ».

« Si tu le trouves plus joli je comprends que tu veuilles le mettre ». (validation cognitive)

Les explications de la raison pour laquelle le vêtement est proposé ne viennent qu’après cette reconnaissance de la priorité de l’enfant. Si l’enfant insiste quand même, la spontanéité de l’adulte devrait être de lui dire « Il te plait à ce point !? » (bien sûr chaleureusement, reconnaissant, et sans ironie), avant de lui expliquer à nouveau que ce qu’il souhaite n’est pas disponible.

Attention ces phrases ne seront efficaces que si elles sont dites avec le non verbal adéquat. L’enfant est considéré comme un interlocuteur pertinent, ayant des idées, des souhaits et des goûts qui ont du sens. La validation existentielle est présente à chacun de nos mots. Il ne s’agit pas d’éclairer l’enfant avec notre pertinence, mais de nous faire éclairer à propos de la sienne avec beaucoup d’humilité. L’assurance qui nous habite concerne ce que nous pensons, demandons ou proposons, mais ne doit pas concerner ce qui habite l’enfant et ce qu’il manifeste. En ce qui concerne l’enfant, notre assurance ne peut que s’appuyer sur la confiance en la justesse qui est en lui et qu’il ne lui est pas toujours facile de nous exprimer. Nous devons lui être « facilitateur d’expression » et non « empêcheur de penser et ressentir ».

Un enfant qui pleure car il ne veut pas que l’on parte ne supportera pas de se voir expliquer soigneusement pour quelle raison on part. Des phrases du genre « Je vais revenir » n’y feront rien non plus. Il a besoin d’entendre « Tu aimerais que je reste !? ». Ce n’est qu’une fois son sentiment validé qu’il est en possibilité de recevoir une explication.

8.2 Avec un parent

Prenons l’exemple d’un adulte qui sent son parent lui parler comme s’il était un enfant. Il a par exemple le projet de changer de travail et le parent lui dit « Tu ferais mieux de rester là où tu es car par les temps qui courent… là au moins tu sais ce que tu as, et c’est quand même plus sûr... à  vouloir toujours plus… ! » Le parent terminant par « de toute façon, quand tu étais petit tu n’étais jamais content de ce que tu avais ».

L’adulte aura avantage à ne pas céder à la tentation de donner des justifications du genre « Je ne suis plus un enfant. De toute façon ce que je décide ne te convient jamais… Mais là ce n’est pas pareil, c’est vraiment une opportunité ». Toutes ces phrases tentant de montrer au parent qu’il se trompe ne font que contribuer à sa fermeture.

« Ça craint pour toi que je change de travail !? » sera plus juste. (reformulation)

S’il répond « Oui ».

Continuer par « Qu’est-ce qui  t’inquiète le plus ? » est une possibilité. (question ouverte)

S’il répond « J’ai peur que ça ne marche pas et que tu te retrouves en difficulté ».

Continuer par « Si tu as une telle peur je comprends que ça ne t’enchante pas ! » (validation cognitive)

L’explication de l’adulte à son parent ne vient qu’ensuite, avec éventuellement de nouvelles parenthèses emplies à chaque pas de validations existentielles.

Là où une telle attitude est particulièrement importante, c’est quand le parent exprime un moment de sa vie en disant par exemple « Tu sais ce n’était pas facile quand ta mère s’est faite opérer ». Comme la mère s’en est bien sortie et que l’opération n’était « pas si grave » (c’était tout de même une hystérectomie, mais de toute façon ils ne voulaient plus d’enfants) l’adulte relève à peine la remarque de son père.

Il ne lui vient généralement pas à l’esprit de simplement lui renvoyer « Cela vous a beaucoup bouleversé !? » (reformulation avec un ton de pleine reconnaissance de leur vécu).

Le père répond alors « Ta mère n’a plus jamais été pareille après ».

Son fils l’invite alors à s’exprimer par « ça a été douloureux pour toi de la voir changer !? » (reformulation, sans lui demander la nature de ce changement).

« Oui, je ne l’ai pas comprise. De toute façon elle ne voulait plus d’enfant. Je ne comprends pas pourquoi ça l’a tellement bouleversée. Tout s’est bien passé. J’avais beau la rassurer ou être gentil avec elle, rien n’y faisait. Nous avons passé au moins dix années en vrac avec ça, et même maintenant, c’est à peine mieux ».

« C’est vraiment une épreuve pour vous !? » (reformulation) serait bienvenu de la part du fils, suivi si le père confirme de « Qu’est-ce qui a été le plus dur ? » (question ouverte).

Il y a là un accompagnement par le fils de l’expression de ce qui est important chez le père, sans toutefois oublier la mère, qui a de ce fait vécu tout cela aussi avec un sentiment de ne pas être vraiment comprise.

Il est important pour un enfant (adulte) de ne pas manquer de telles occasions avec ses parents (séniors ou âgés), car cela est bon pour eux, mais aussi pour lui. En effet, il y trouve le sentiment d’une vraie rencontre. Naturellement cela ne produit cet effet souhaitable que si l’enfant ne va pas vers le pathos, privilégie les êtres par rapport aux circonstances, et va vers le ressenti des individus que sont ses parents… dans un simple projet de reconnaissance, avec toutes les valeurs cognitives et existentielles nécessaires. Toute tentative de rassurer ou d’apaiser produirait un effet contraire néfaste.

8.3 Avec son conjoint

Un homme rentre du travail et dit à sa femme « Ma journée a vraiment été pénible, les collègues sont insupportables ». Celle-ci répond avec tendresse « N’y pense plus mon chéri nous allons sortir ce soir, ça va te détendre ». Si une telle attitude est préférable à l’indifférence, elle n’est pas satisfaisante, car ce qui est proposé c’est l’oubli et non une invitation à l’expression. On pourrait même dire qu’il s’agit d’un déni de ce qui est exprimé. La compagne aurait pu lui répondre simplement « C’est dur pour toi avec eux !? » (reformulation) afin de lui permettre, s’il le souhaite, d’en parler un peu. S’il confirme elle peut continuer par « Qu’est-ce qui t’est le plus pénible ? » (question ouverte). S’il répond « Je ne supporte pas ces gens qui ne font aucun cas de ce que tu proposes », elle peut poursuivre avec une reconnaissance chaleureuse et délicate « C’est surtout cela qui t’est insupportable !? » (reformulation). Elle peut s’en tenir là ou continuer par « Tu as déjà vécu cela !? » (reformulation) … car la douleur présente semble trouver les racines de sa dimension dans un vécu antérieur… etc.

Autre situation

Un couple souhaite avoir un enfant. La femme constatant ses règles dit fort déçue à son compagnon « ça ne sera pas ce mois ci ! ». S’il répond « Ne t’inquiètes pas ma chérie, ce sera le mois prochain », même avec délicatesse, nous retombons dans un déni. Il aurait pu simplement reconnaître l’émotion manifestée « Tu es tellement déçue !? » (reformulation). Cette simple reconnaissance donne plus de tranquillité que toutes les phrases pseudo rassurantes qui ne sont en vérité que des dénis.

Autre situation

Un homme dont l’enfance fut difficile dit à sa femme « Finalement quand j’étais gamin j’en ai un peu bavé ». Si sa femme tente de « positiver » en lui disant « Oui, mais finalement aujourd’hui tu as construit une belle vie dont tu peux être fier ! » cela est délicat… mais nous retrouvons un déni de ce qu’il tentait d’exprimer de son enfance. Lui dire « ça t’a beaucoup marqué !? » (reformulation)  devrait précéder la belle phrase ci-dessus.

Naturellement il existe une multitude de situations conflictuelles dans le couple, j’ai choisi de n’évoquer ici que trois situations simples.

8.4 Au travail

On pourrait penser que le monde du travail doive rester à distance d’une telle proximité entre les êtres. Il est vrai qu’il ne s’agit pas d’y évoquer sa vie personnelle, mais la proximité des êtres et l’état communiquant y sont très importants. Plus une information essentielle doit circuler correctement, plus il est fondamental que les êtres existent pour qu’elle circule.

Par exemple, concernant une consigne de sécurité, un employé semble ne pas être convaincu de l’importance de la respecter. Il dit « Oui, mais de toute façon, nous n’avons pas le temps de faire ça ».

Lui expliquer que même avec un manque de temps, il faut respecter ces consignes car un accident qui pourrait l’handicaper est bien pire qu’un manque de temps ! Cela est profondément maladroit.

Même si l’on sait que cette consigne est très importante (et surtout si elle est très importante) il convient d’abord de valider la réticence : « C’est gênant surtout à cause du temps !? » (reformulation), l’employé poursuit par « Oui de toute façon ça ne sert à rien ! ». « C’est surtout parce-que cela ne vous semble pas utile !? » (reformulation), et il répond « Oui, avant on travaillait plus simplement, maintenant il faut faire tout un tas de trucs ! ». Il ne convient pas de lui répondre « Oui mais c’est pour votre bien, cette sécurité c’est essentiel pour votre santé ». Cela viendrait nier ce qu’il a exprimé. Une reconnaissance du genre « Cette évolution est pesante pour vous !? » (reformulation), suivit d’une validation cognitive, doivent impérativement précéder toute explication : « Si cela est si pesant pour vous, je comprends que vous n’en veuillez pas ! ». Ce n’est qu’après que l’explication peut commencer.

Il convient toujours de s’ouvrir et de valider autrui avant de s’exprimer pour expliquer quelque chose. Retenons cette règle toute simple : pour qu’autrui nous entende il faut qu’il existe, et pour qu’il existe il doit d’abord se sentir reconnu. Parler à quelqu’un qui n’existe pas est le meilleur moyen de parler seul, dans le vide. Il est étonnant de voir combien un tel bon sens est rare dans le milieu du travail !

(Vous pouvez lire sur ce site la publication d’octobre 2009 « Stress et travail »)

8.5 Avec soi-même

Nous pouvons trouver quelques difficultés à cette « communication avec soi-même » dans ce monde où l’habitude (sinon le conseil) est de ne pas trop s’écouter, de se battre contre les mauvaises choses qui sont en nous, de se maîtriser, de se contrôler, et même … de se dépasser. Il est certain que celui qui se dépasse peinera sans doute à se rencontrer !

Peut-être pouvons nous comprendre, au-delà des mots stricts, ce que signifient chacune de ces expressions (avec des ombres de justesse), mais leur formulation n’est pas très heureuse, invitant implicitement l’individu à s’éloigner de lui-même.

Cela semble un hasard ? Non il s’agit d’une profonde imprégnation culturelle. Une sorte de paradigme inconscient, inculqué de tout temps, dirigeant notre pensée et nos recherches à notre insu, nous conduisant à croire au mal qui est en  nous et qu’il faut le combattre assidûment. Chez des spécialistes en quête d’une sincère délicatesse, une généreuse alliance thérapeutique apparaît  incontournable pour une efficacité du soin psychique. Nous nous attendons à trouver là une délicatesse de l’écoute, mais malgré un certain nombre de points intéressants abordés, nous notons dans l’ouvrage du psychiatre Charly Cungi (L’alliance thérapeutique, 2006) : « résoudre les problèmes posés dans la thérapie » (p.18 et 22), « l’affrontement progressif des émotions » (p.13) « Pour que le patient puisse modifier aussi bien ses émotions et ses croyances que les comportements qui lui posent problème » (p.11). Quant au praticien, il doit « auto-observer et contrôler ses émotions » (p.34) « Conduite à tenir : se calmer avec un exercice de relaxation rapide » (p.38). L’idée d’alliance avec le patient se fait dans une atmosphère de contrôle, de résolution, ou même de combat de ce qui est analysé comme inapproprié.

Ainsi, même d’éminents spécialistes, certainement pleins d’humanité, se laissent prendre dans ce paradigme du combat contre ce qui est en soi. Tout un chacun n’a donc pas à se culpabiliser d’avoir aussi une telle attitude programmée depuis la nuit des temps. S’agit-il de ce que la psychologue Martine Laval dénonce dans son ouvrage « N’écoutez pas votre cerveau », stipulant que nous sommes aujourd’hui victimes d’anciennes adaptations de notre cerveau qui ne sont plus en phase avec les nouvelles évolutions de l’humain actuel.

Il ne s’agit plus de la « struggle for life » (lutte pour la vie avec élimination du moins adapté) que Charles Darwin a découvert comme principe d’évolution, mais de cette nouvelle adaptation que pointe Darwin lui-même dans son approche anthropologique, où il convient de savoir protéger le moins adapté pour un fructueux « vivre ensemble » plus propice à la survie (voir sur ce site la publication de juillet 2011 « Irrépressible quête d’origine »).

Il se trouve que l’écoute de soi par soi sera très vulnérable à cette imprégnation. Elle est néanmoins possible.

Par exemple, un être se sent en colère. Au lieu de tenter de se calmer, il aura avantage à constater sa colère, à ne pas tenter de l’enlever ou de la faire disparaître. Il adoptera néanmoins le comportement social le moins mauvais possible (civilités), tout en se donnant ensuite un temps d’écoute de soi par soi.

Ecoutant cette colère en lui, en lui donnant sa place, il va par exemple aboutir à « je me sens exaspéré ». Mettant son attention sur cette exaspération, il percevra que c’est « comme si on était contre moi ». Focalisant plus précisément sur cette impression, il découvrira qu’il l’a déjà éprouvé le mois dernier dans une situation insupportable. Il imagine qu’il interroge celui qu’il était dans cette situation insupportable et, au-delà de la situation qui se passait, il se révèle que « c’était comme si on voulait m’empêcher de vivre ». Il sait très bien qu’un tel constat est exagéré par rapport à cette situation, mais se mettant à l’écoute  de cette sensation étonnante (et étonnamment forte) qui l’habite, il lui vient à l’esprit l’enfant qu’il était, à l’école, le jour où une bande d’élèves a voulu lui casser la figure. L’enfant qu’il était était terrorisé « comme j’allait mourir ». Reconnaissant le vécu de cet enfant qu’il était par une validation existentielle de soi (le soi de cet instant antérieur) par Soi (celui qu’il est aujourd’hui) il se sent aussitôt apaisé. Finalement, tout ce qui s’est passé et qui le gêna ultérieurement servait à ne pas perdre le contact avec cet enfant que, par survie, il a tenté d’oublier, mais que par élan de vie il  a tout fait pour retrouver.

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9   Exemples en thérapie

La situation thérapeutique avec  un praticien est plus simple que l’écoute de soi-même par soi-même sans accompagnement. Il ne faut cependant pas oublier que l’apaisement vient de l’écoute de soi par Soi, rendue possible grâce à la médiation d’un praticien entre une part de soi et Soi. Celui que nous sommes peine souvent à donner (ou redonner) place à ce qui, en lui, a trop souvent été identifié comme mauvais.

Il convient de garder présent à l’esprit que l’apaisement vient de cette rencontre entre soi et Soi, et non de la confidence faite au praticien. Si cette rencontre se fait seul, elle donne le même résultat. Les patients ne doivent pas oublier cela, et les praticiens qui prétendent le contraire ne font que protéger leur « marché professionnel ».

Je ne dis aucunement que le praticien ne sert à rien, je souhaite simplement que le patient ne soit pas asservi à une autorité et ne se fasse pas leurrer. Je ne dis aucunement que le praticien n’a pas d’utilité : si l’on considère l’essentiel de son rôle, c’est de donner une validation existentielle permettant au patient de se rencontrer lui-même.

Le praticien est sensé avoir l’art de la non-directivité, l’art de la communication, la capacité à offrir des questions qui permettent au patient de trouver en lui le juste chemin vers ce qui attend sa reconnaissance. Ce patient en quête inconsciente de complétude n’a que faire des « arracheurs d’âmes » qui prétendent le libérer de quelque chose de mauvais pour atteindre le salut !

Pour les raisons que nous avons évoquées plus haut, le praticien apporte la validation existentielle agrémentée de sa compétence communicationnelle. Il sait « naviguer » dans la psyché, dans les méandres de ses justesses qui le conduisent au trésor qu’elle contient. Le rôle du praticien est de permettre au patient cette quête inhabituelle de ce qui est juste, pertinent et beau en lui. Il peut sembler qu’un tel langage soit bien optimiste quand on pense à toutes les douleurs que vit un être tout au cours de son histoire. Cela vient du fait que l’on ne sait différencier les êtres de leurs douleurs et des circonstances. Ces trois éléments doivent impérativement rester distincts dans la conscience du praticien qui accompagne afin qu’il puisse garder son attention tournée vers l’être et ne pas se laisser happer par les circonstances révélées, ni par les émotions qui ont été éprouvées. Je rappellerai encore une fois (ce n’est pas superflu) que ce qui est horrible, ce n’est jamais l’être qui a vécu des circonstances et a eu des ressentis. Quand bien même les circonstances sont horribles et le ressenti abominable, lui reste précieux. C’est là où le « regard » du praticien est essentiel au patient.

La non-directivité et la validation sont les points clés d’un tel accompagnement.

Le praticien peut ainsi s’imprégner de ces nouvelles nuances auxquelles nous ne sommes culturellement pas habitués. Il est alors le garant d’un respect de soi par Soi et fait en sorte que le patient ne tombe pas dans le travers du combat de ce qui est en lui. Il n’est pas non plus dans le piège du pardon qui forcerait à nier ce qu’on a ressenti.

9.1 Exemple 1 – inconfort conjugal

Un homme se plaint de se sentir démuni face à sa compagne. Comme si  celle-ci le mettait en danger, et face à elle, implicitement, il perd tous ses moyens.

Elle a un caractère plutôt autoritaire, mais lui ne manque pas d’affirmation de soi.

Si le praticien se contente de raisonner en termes de problèmes ou d’injustesses à corriger il peut passer à côté de quelque chose d’essentiel.

Il préfèrera rechercher le sens, la pertinence, la justesse, qui s’expriment en cet homme à chaque difficulté rencontrée avec sa compagne. Pour cela le praticien doit élargir le champ de ses paradigmes et raisonner en possibilité de croissance du sujet à travers ce qu’il identifie comme étant un obstacle.

Face à cela il dira par exemple  simplement :

« Vous vous sentez démuni face à votre compagne !? » (reformulation emprunte de délicatesse et de reconnaissance de son ressenti).

S’il répond « Oui », le praticien peut poursuivre par

« Pouvez-vous mettre votre attention sur cette sensation de dénuement ? » (question fermée, qui est en réalité une demande implicite de le faire s’il le peut).

Quand le praticien voit que le patient le fait, il  lui demande  « Que percevez-vous ? » (question ouverte).

Le patient répond « Un grand mal-être ».

« D’accord » (recevoir, comprendre, accueillir, remercier) dit le praticien avant de faire préciser :

« Un mal-être comme s’il se passait quoi ? » (question ouverte visant une analogie).

Le patient poursuit par « Comme si je ne pouvais plus sortir de quelque chose ».

Le praticien peut demander « Cette sensation de ne pas pouvoir sortir de quelque chose vous est-elle déjà arrivée dans votre vie de façon aussi forte ? » (question fermée)

« Oui » répond le patient qui ajoute « Je ne pouvais pas jouer de piano quand mon père était à la maison. Une fois, où je ne le savais pas là, il s’est fâché et m’a enfermé deux heures dans la cave, dans le noir. Plus je pleurais plus il me disait "d’arrêter ma musique" et qu’il ne m’ouvrirait qu’une fois calmé. J’avais environ six ans. »

Arrivé ainsi à destination, ayant identifié la part d’être que le sujet tente de retrouver « grâce à sa compagne » qui lui fait ressentir « comme si je ne pouvais plus sortir », il reste à accomplir la phase thérapeutique :

Il ne peut s’agir  de calmer l’enfant, encore moins de le rassurer, ni de nier le père, ni de dire à celui-ci toute la rancœur éventuellement accumulée. Il ne s’agit pas non plus de  lui pardonner. Il s’agit tout simplement d’entendre et de reconnaître l’enfant dans le vécu qui fut le sien.

Le praticien invite le patient : « Pouvez-vous mettre votre attention sur cet enfant ? ».

S’il répond « Oui », il poursuit par « …et lui dire que vous prenez la mesure de ce qu’il vit ? » s’il confirme « …et l’accueillir près de vous avec sa peine, que vous lui permettez d’avoir, tant cela lui a été difficile ? ».

Ceci termine la deuxième partie de l’entretien (il y a eu identification de la part de la psyché, puis accueil et reconnaissance de celui qu’il était et qui a ressenti cela). La dernière partie pourrait être « Comment se sent-il (l’enfant) ? » (question ouverte).

Si le patient répond « Il est mieux, mais je ne me sens pas si bien ! ». Il ne s’agit pas de résistance ou de trouble… mais d’éclairage complémentaire.

Le praticien lui demandera simplement « Vous ne vous sentez pas bien !?, de quelle manière, quelle sensation éprouvez-vous ? » (reformulation, suivie d’une question ouverte).

Il répond « Je me sens coupable ».

Là l’intuition et la sensibilité du praticien peut jouer et il demandera « Tous les deux, vous et cet enfant, vous pouvez mettre votre attention sur l’homme qui est votre père et qui vous fait et dit tout cela ? ».

Il répond « Oui. En fait mon père se sent coupable d’avoir été aussi dur avec moi. Mais c’est son caractère, c’est plus fort que lui. Mal dans son couple, mal dans son travail, il ne supportait rien, d’autant qu’il venait de perdre sa mère et portait continuellement une tristesse que personne n’a jamais entendue ».

Le praticien pourra continuer par « Vous et l’enfant, tous les deux, pouvez-vous dire à cet homme qui est votre père que vous prenez la mesure de sa peine, de son deuil, et que ses réactions quoique trop dures sont la seule expression qu’il a pu donner de cela !? »

Comme le patient le fait, le praticien poursuit par « Comment est-il ? » (sous entendu : après ce que vous venez de lui dire).

« Il est mieux, je me sens mieux aussi ».

Nuances de la non directivité :

Vous remarquerez, au cours de cet entretien,  l’aspect annexe de certaines formulations du praticien. Outre les notions de questions ouvertes ou fermées, ou de reformulations, elles sont avant tout prononcées dans une dynamique d’invitation délicate et respectueuses, où il est accepté par avance que le sujet puisse ou ne puisse pas, veuille ou ne veuille pas, sente ou ne sente pas, de mettre en œuvre ce qui lui est proposé :

« Pouvez-vous mettre votre attention sur cette sensation de dénuement ? »

« Pouvez-vous mettre votre attention sur cet enfant ? » « …et lui dire que vous prenez la mesure de ce qu’il vit ? » « …et l’accueillir près de vous avec sa peine, que vous lui permettez d’avoir, tant cela lui a été difficile ? »

Nous n’avons pas du tout ici une non directivité au sens évoqué par Carl Rogers ou Max Pagès (car une « structure » du process est proposée), mais dans le sens où le praticien ne fait qu’inviter le patient là où il sembler chercher à aller (sa propre direction)… cependant tout en lui donnant la possibilité de décliner cette incitation et de recentrer vers une nuance plus juste… jusqu’à éventuellement l’opposé de ce qui est demandé, comme par exemple :

« Pouvez-vous mettre votre attention sur cette sensation de dénuement ? »
« Certainement pas ! »

Le praticien valide alors pleinement ce refus (avec réjouissance en validation existentielle) comme un précieux recentrage vers une justesse intérieure, et suit le chemin nouvellement indiqué par le patient en continuant par :

« En quoi cela est il mieux pour vous de ne pas mettre votre attention sur cette sensation dénuement ? »

9.2 Exemple 2 – Addictions, difficulté de volonté

Une femme est bouleversée par un irrépressible besoin de manger. Outre que cela ne convient pas à sa santé, la corpulence qui en résulte ne lui convient pas, et elle se trouve trop ronde à son goût.

Difficile pour elle de réguler son alimentation par la volonté. Elle connaît les règles de diététique et de nutrition que lui ont données des praticiens compétents, mais c’est plus fort qu’elle.

Elle en devient complexée et n’ose plus trop sortir, entrant dans un cercle vicieux d’ennui accroissant sa « boulimie » ou en tout cas son hyperphagie. A cela s’ajoute une crainte de la maladie, sans pour autant pouvoir diminuer sa consommation de tabac, dont elle sait parfaitement les effets indésirables. D’autant que si elle arrête de fumer, elle risque de manger plus !

Désemparée devant cette lutte impossible elle envisage de se faire aider par un praticien en psychothérapie.

Elle commence l’entretien en disant « Vous savez, c’est plus fort que moi. Je sais ce que je devrais faire, mais j’en suis incapable. D’ailleurs j’en ai honte, et tous les conseils qu’on me donne me sont insupportables ».

Ici le praticien va devoir faire émerger la dominante émotionnelle, ce qui est ressenti en priorité, afin d’ouvrir un chemin de rencontre de soi. Attraper le bout du « fil de Soi » qui nous conduira à la part d’être en attente n’est pas toujours aisé. Il convient pour cela de s’appuyer sur la pertinence, sur la justesse qui est en le patient, sur l’appel que constituent les symptômes et les ressentis.

« Qu’est-ce qui vous trouble le plus ? Est-ce le manque de volonté ou la honte ? » (question ouverte, suivie d’une sorte de question fermée ressemblant à un choix multiple à deux options)

La patiente répond « La honte, certainement la honte ! »

« Vous pourriez mettre votre attention sur cette honte que vous ressentez si fort ? »

Elle dit que « Oui » mais poursuit par « Et alors ? » avant que le praticien n’ait dit quoi que ce soit. Ce dernier demande « Que percevez-vous, comment est-elle ? » (question ouverte).

Elle répond « Je ne vois rien, j’ai la tête vide ».

Le praticien valide chaleureusement cette réponse comme étant très précieuse « D’accord », puis ajoute « Mettez votre attention sur ce vide que vous venez de percevoir ». En effet, ce vide perçu doit être entendu comme la réponse à la demande et non comme une absence de réponse. Il ne s’agit pas d’une résistance mais d’une ouverture du chemin vers soi.

« C’est comme si je n’existais pas ».

« Il y a longtemps que vous ressentez ainsi ne pas exister !? » (reformulation)

« Je ne sais pas » dit-elle (à comprendre non pas comme une résistance, mais comme une réponse ouvrant un accès à soi).

« Vous souvenez-vous d’une dernière fois où vous vous êtes sentie exister ? » (question fermée)

« Oh ! Il y a très longtemps que ce n’est pas arrivé ! »

Le thérapeute valide « Bien » puis demande  « Vous pouvez mettre votre attention sur "celle que vous étiez il y a longtemps" ? ». En effet il  n’y a pas besoin de savoir où et quand, ni de contextualiser pour mettre son attention sur la part de soi émergeante. Il se trouve même que le contexte ou la date pourrait freiner l’approche de soi par un tel biais évènementiel.

Elle le fait et le praticien lui demande « Comment est celle que vous percevez "il y a longtemps" ? » (question ouverte).

« Elle est triste » répond-elle. « Elle s’amusait, mais ça a mal fini. Adolescente je vivais une belle histoire avec un garçon, je me sentais exister !  Mais il a eu un accident et il est mort » Puis elle se met à pleurer à chaudes larmes.

« Cela a été tellement bouleversant pour cette adolescente !? » reformule le praticien avec douceur et délicatesse, puis il ajoute « Elle ne se sent plus exister suite à cela !? »

« Oui, c’est exactement ça » dit elle.

« Vous pouvez mettre votre attention sur cette jeune fille qui ne se sent plus exister suite à ce deuil ? »

Comme elle le fait, il ajoute « … et lui dire que vous prenez la mesure de sa détresse »

Elle dit spontanément « ça lui fait du bien »

« Quelqu’un a-t-il déjà entendu sa douleur ? » (question fermée) demande le praticien.

« Non, jamais » répond-elle.

« Toutes les deux, cette jeune fille et vous, celle que vous êtes aujourd’hui, vous pouvez tourner votre attention vers cet ami qui a fini sa vie, oser l’accompagner en ces derniers instants, vous ouvrir à ce qu’il aurait aimé que vous entendiez ? »

Elle le fait en toute simplicité et dit « Il aurait voulu me dire qu’il regrette de mourir, qu’il m’aime et que c’est terrible pour lui de partir sans me revoir ».

« Vous pouvez imaginer que vous lui dites, toutes les deux, que vous prenez la mesure de ce qu’il ressent ? » demande le praticien (il ne serait pas à propos de faire débat sur la nature de tels ressentis, mais de simplement les accueillir pour ce qu’ils sont, en l’état).

Elle le fait et dit « ça l’apaise ».

« Et vous, comment vous sentez-vous ? » (question ouverte)

« Je me sens beaucoup plus légère ».

« Et cette honte que vous éprouviez ? Comment est-elle à présent ? » (question ouverte)

« Je ne la ressens plus. Je me sentais coupable d’être en vie, d’oser vivre alors qu’il était mort. Là c’est comme s’il existait encore et je peux plus facilement aller vers la vie. Jusque là je n’osais pas vivre et détruisais mon corps ».

« Vous pourriez remercier votre corps d’avoir tenu bon jusqu’à ce que vous entendiez enfin ce garçon que vous avez tant aimé ? » (importance de la gratitude)

« Oui, tout à fait. J’ai le sentiment que je vais faire plus attention à ma santé ».

9.3 Exemple 3 -Trauma majeur, choc

Une femme ayant subit un viol choisit  de consulter pour trouver un peu plus de paix. Des images récurrentes lui reviennent en permanence et le tourment continuel qui l’accable lui rend la vie difficile. La situation juridique a été réglée concernant l’auteur (qui était récidiviste), mais contrairement à ce qu’on croit, cela n’amène pas forcément la prétendue paix de l’âme, ni du corps.

Dans ce cas, la circonstance où le trauma s’est produit est parfaitement identifiée, et il pourrait sembler inutile de mettre en œuvre un guidage pour pointer la part de soi concernée. Nous trouverons pourtant ici la nécessité de guidage, de non-directivité et de validation comme dans les autres situations évoquées ci-dessus.

« Vous savez, je ne fais qu’y penser » dit-elle au praticien, « Des images me reviennent, j’ai de mauvaises nuits, j’ai en permanence le sentiment de me sentir en danger. Je ne peux aller dans la rue sans éprouver une peur au plus profond de moi. Cela ne m’empêche pas de travailler, de voir mes amis. Mais j’ai continuellement une sorte de mal-être en moi. Le fait qu’il ait été condamné n’y change rien. Bien sûr sans cela ça aurait sans doute été pire, mais la justice ne suffit pas à me mettre en paix. J’ai régulièrement des douleurs au ventre et au dos que je ne me connaissais pas, je ne sais plus quoi faire. Me distraire ne me dit plus rien, malgré la gentillesse de mon entourage… ».

Face à ces nombreux éléments le praticien va recevoir, comprendre et accueillir (trois premières validations)… il ne doutera pas de la raison du ressenti quels que soient les faits (validation cognitive), et sera touché par l’individu qu’elle est, se confiant à lui, ainsi que par celle qu’elle a été lors du choc qui n’a probablement pas été vraiment entendue, ni par autrui, ni par elle-même (validation existentielle). Il portera naturellement son attention sur le sujet, ce qui lui donne une « fraîcheur d’attention » et une « qualité de présence » impossibles à avoir s’il s’était focalisé sur les circonstances. Nous avons là la vraie source de la validation existentielle. Il mettra aussi en œuvre un guidage non directif pour permettre à cette femme de hiérarchiser « tout cela qu’elle vient d’énoncer », étant en confiance dans le fait que « elle, elle sait ».

 « Quelle est votre sensation la plus inconfortable ? » (question ouverte) lui demande-t-il

« C’est cette douleur au dos » répond-elle (contre toute attente).

« Vous pouvez mettre votre attention sur cette partie de votre corps ? » poursuit-il avec confiance. Comme elle le fait, il ajoute « Comment pourriez-vous préciser la nature de cette sensation au dos ? » (question ouverte).

« En fait ce n’est pas tant la douleur physique » dit-elle « Mais comme une oppression, un poids, une crainte… ».

« Je vous invite à mettre votre attention sur cette crainte, cette oppression ». Elle le fait et il poursuit « Une oppression, une crainte, une crainte de quoi ? Une crainte comme s’il allait se produire quoi ? » (question ouverte) Vous remarquez que le praticien ne cherche pas à se précipiter sur les faits connus, mais laisse la patiente trouver le chemin qui lui est le plus juste pour elle.

« En fait quand il m’a fait "ça", il était derrière moi ». Le praticien propose : « Vous pouvez mettre votre attention sur celle que vous étiez et qui a cet homme derrière elle ? ». Il faut comprendre qu’il ne s’agit pas de recontacter l’histoire, ni de produire une régression (d’où l’importance de la formulation « …mettre votre attention sur celle que vous étiez », pour rendre distinctes celle qu’elle est et celle qu’elle était). Plus que jamais, ici il s’agit des êtres et non de la circonstance.

« En fait, il m’a souillée. J’ai le sentiment d’être encore sale. Mon corps ne sera jamais lavé d’une telle chose ». Vous remarquez que la personne a tendance à parler à la première personne et que le praticien, lui, persiste à parler à la troisième personne en évoquant celle qu’elle était.

« Vous pouvez mettre votre attention sur celle qui se sent tellement salie par l’action de cet homme ? » Elle le fait, et le praticien ajoute « Comment vit-elle cet instant de violence ? » (question ouverte)

« Le monde s’effondre pour elle. Elle n’aurait jamais cru avoir à subir une telle chose, elle est détruite à jamais ».

Le praticien propose « Vous pouvez lui dire que vous prenez la mesure de sa sensation d’être détruite à jamais… l’inviter près de vous avec délicatesse… ? »

« Ça surement pas ! » s’exclame-t-elle.

« D’accord » valide le praticien, très attentionné. Il osera pourtant un commentaire qui pourrait sembler inapproprié « Ce n’est pas de chance pour elle !... même vous vous ne voulez pas la voir ! » Mais il le dit avec douceur (et un humour discret), étant lui-même proche de celle qui a vécu cela, nullement affecté, car ce n’est pas la circonstance vers laquelle il se tourne mais vers l’être qu’elle était. Il apparaît que cette « douleur derrière le dos » persiste pour que cette femme « n’oublie pas celle qu’elle était » que pourtant elle fait tout pour oublier. Sa pulsion de survie la lui fait mettre à distance (projet de protection) alors qu’en même temps sa pulsion de vie la porte à la retrouver (projet d’intégrité). C’est le rôle du symptôme éprouvé.

Respectant néanmoins cette « résistance » il demandera

«  Que ressentez-vous en la voyant ? » (question ouverte). 

« Je me sens choquée ! ». 

« D’accord. A quel point vous sentez-vous choquée ? » (question ouverte).

« Anéantie ».

« Ok. Vous savez… ce que vous ressentez, ressemble à ce qu’elle éprouve. En fait, vous êtes en train de l’entendre au fond de votre cœur et de votre corps, afin de mieux prendre la mesure de ce qu’elle a vécu. Pourriez-vous imaginer que vous lui dites "c’est donc cela que tu as vécu !?" ? »*

*Les subtilités de ce passage sont explicitées un peu plus loin

Elle le fait. Le praticien poursuit par « Comment est-elle ? » (question ouverte, sous entendu « quand vous lui dites cela »).

« Elle est mieux, elle a moins honte ».

« Et vous, comment vous sentez-vous ? » (question ouverte)

« Je n’ai plus cette oppression que je ressentais dans mon dos ».

Même si à ce stade tout n’est pas en paix, une grande réhabilitation de soi a été accomplie. Le praticien pourra vérifier comment la patiente se sent par rapport aux autres éléments évoqués au début de l’entretien, ou d’autres, émergeant du fait de l’apaisement qui rend possible de les aborder.

Ce que nous pointerons de fondamental dans cet exemple, c’est que seule la patiente sait par quel chemin passer et que la non-directivité est fondamentale. Le praticien ne fait que suivre la patiente à laquelle il ne fait que demander le chemin.

Ce qui est aussi fondamental, c’est à quel point il ne s’agit que de validation, de la patiente présente et de celle qu’elle était par le praticien, mais aussi de la patiente antérieure par celle qu’elle est aujourd’hui. Nous retiendrons qu’à aucun moment il n’a été question de calmer, libérer, détacher, purifier, calmer… à chaque fois il n’a s’agit que de reconnaître. Valider un être avec son ressenti est une clé majeure qu’il convient de bien se rappeler car toute tentative d’apaisement violente le sujet comme un déni de son vécu.

D’autre part, tout au long de l’entretien, le praticien tourne résolument son attention vers l’être et non vers les faits. C’est ce qui lui permet de garder une attitude de « réjouissance de la rencontre » et non de « stupéfaction face à l’horreur ».

Le moment d’humour (« Ce n’est pas de chance pour elle !... même vous vous ne voulez pas la voir ! ») est aussi à pointer, car il y a là une liberté inattendue de la part d’un praticien. Il importe pour lui de ne pas se placer dans la gravité, ni dans la légèreté, mais dans l’absence de pesanteur. Tout se passe « comme si le praticien parlait au nom de celle qui n’a pas été reconnue, en toute simplicité » et s’autorise un propos qui n’est pas une interprétation mais un constat, tout en gardant un ton existentiel où l’être tient la première place.

Le passage où le praticien ose dire : « Ce que vous ressentez, ressemble à ce qu’elle éprouve » est aussi important. Cela semble une injonction péremptoire, un état de fait qui pourrait n’être qu’une projection de l’accompagnant vers le sujet accompagné. Mais il n’en est rien, et il importe de bien comprendre que le sujet a, d’une part des ressentis lui permettant d’identifier la part de soi à retrouver, et d’autre part quand il l’a retrouvé, il lui arrive souvent d’éprouver ce que cette part de soi éprouva, non par pollution à cause d’elle, mais spécialement pour prendre la mesure de son vécu. Cela est inestimable pour en accomplir la validation, la reconnaissance, dont nous avons vu que c’est la clé de l’efficacité thérapeutique.

9.4 Remarque sur les exemples

Les exemples que je viens de développer ne correspondent pas à des cas réels, mais s’en inspirent. Je les ai construits en réalisant une synthèse de ce que je rencontre en entretien, pour faire ressortir quelques points essentiels.

Des exemples décrits scrupuleusement « en l’état » et détaillés,  n’auraient pas pu rendre compte de ce que je voulais expliciter et illustrer, ou alors il en aurait fallu trop. Pour le lecteur cela aurait été fastidieux.

Néanmoins les éléments abordés dans chaque cas sont un juste reflet de ce qui se passe ou peut se passer, et mettent bien en exergue ce qui est essentiel pour un praticien afin d’offrir à son patient le service attendu.

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10    Pour conclure, non directivité en thérapie

10.1           Trois exemples d’approches

La non-directivité utilisée en ACP
(approche centrée sur la personne).
 

Elle vise ici à permettre la réalisation de la personnalité du patient à travers ce que Carl Rogers nommait « growth » (croissance) qui s’opère spontanément en lui en « auto régulation ». Dans cette approche, le praticien par sa présence bienveillante et son attitude d’attention positive inconditionnelle permet l’émergence de « qui est » le sujet  qui consulte. A cet effet, il intervient très peu (cela peut parfois laisser temporairement le patient en impression d’abandon). Nous notons que cette réalisation de Soi par accompagnement de ce « growth » est un grand projet, pour ne pas dire un projet grandiose ! Nous y retrouvons l’idée de Maslow invitant à devenir l’humain que l’on a à être, précisant que nos souffrances psychiques viennent simplement d’un manque de Soi, d’un manque d’humanité, d’une simple carence en l’humain que l’on est. Cependant, malgré la dimension ontique que met Rogers dans tous ses propos, il évoque un développement de la « personnalité » (donc du « moi ») et non un développement du « Soi ». La non distinction de ces deux notions avec suffisamment de clarté y est regrettable. Cela n’ôte rien à l’humanité de son approche, et Rogers à eu le mérite de concilier la recherche (mesures exigeantes, recherches scientifiques) et l’humanité (considération et confiance) concernant la psychologie qu’il mettait en œuvre.

La non directivité en psychanalyse (freudienne).

La notion y est différente, car il s’agit là plutôt d’une « neutralité bienveillante » qui a pour projet l’émergence d’un transfert (envers le thérapeute), permettant ainsi de pointer les zones de développement restées en conflit sur le plan libidinal, puis d’en accomplir la mise en conscience et la « résolution ». Ce processus s’accomplit avec deux règles demandées au patient : la « non omission » (tout dire), et la libre association (liens spontanés surgissant à l’esprit). Le praticien intervient aussi très peu, offrant son « attention flottante », c'est-à-dire : ne s’accrochant sur rien de spécial, ouverte à tout de façon égale (c’est là le parallèle avec la non-directivité, mais les règles de « non omission » et de « libre association » amènent une structure dans les process de pensée… ce qui est aux antipodes de la non directivité). Le projet est également grandiose (quoique restreint aux « stades du développement »), mais « l’attente » du transfert rend la situation délicate, pour ne pas dire aléatoire et interminable (voire le provoquant). D’autre part, l’a priori libidinal rétrécit le champ d’investigation, le présuppose, et donc n’est pas si « neutre » que cela, exerçant de ce fait une sérieuse filtration, et conduisant à des interprétations « orientées » (surtout quand celles-ci, excessivement axées sur la sexualité,  éloignent le sujet de ses réalités intérieures). En ce sens Rogers a affiné le travail de la psychanalyse, en lui donnant aussi une dimension plus ontique que libidinale (plus au niveau de l’être que de l’énergie), plus tournée sur l’état présent de la personnalité que sur l’antériorité de l’histoire du sujet, plus expérientiel et moins (ou même pas du tout) interprétatif et intellectuel. Mais pour autant, il ne répond pas forcément à la demande du patient ayant un symptôme particulier.

Max Pagès nous propose une mise en relief de la « non directivité » en psychanalyse, comparée à celle de l’ACP Rogérienne (1970, p.128-162).

La non directivité en maïeusthésie.

Ici, la non directivité est bien plus active qu’en ACP, mais le praticien ne fait qu’y suivre les justesses du patient (il s’y trouve aussi une grande confiance en son « growth » et en sa capacité d’auto-organisation pertinente). En maïeusthésie, le praticien se propose modestement de permettre la révélation de la part de Soi en train de se manifester à travers un symptôme pour prendre sa juste place dans la structure de la psyché. L’approche y est expérientielle et il s’y vit un contact avec soi-même. Elle ne s’appuie pas sur l’historique, car ce ne sont pas les faits qui sont analysés, ni le passé qui ressurgit, mais l’être qu’on était, avec son ressenti, qui est rencontré. Il s’agit alors d’une rencontre de soi et non d’une régression où l’on referait la même expérience (pour se rencontrer, celui qu’on est et celui qu’on était sont « distincts » et c’est ce qui permet cette expérience de « contact avec soi-même »). Il n’est pas nécessaire ici pour le praticien d’attendre un moment de transfert, car les multiples déplacements* se produisant dans la vie du sujet (où apparaissent des « patterns » : émotions analogues dans des situations différentes) permettent une identification rapide de ce qui en soi attend d’être validé.

*Envers le thérapeute on parle de « transfert », envers des personnes de la vie quotidienne on parle de « déplacement », mais il s’agit d’un phénomène de même nature, si bien qu’il arrive qu’on parle de transfert dans les deux cas.

L’approche y est totalement expérientielle et non événementielle car il est même possible de réhabiliter une part de soi (clairement identifiée) sans pour autant s’appuyer sur la circonstance historiquement associée (qui peut même parfois ne pas être révélée). Le processus se réalise juste en accomplissant cette « rencontre de soi » et non en se rappelant ou en analysant la circonstance. Cela permet une thérapie « à la demande » en fonction des moments ou des étapes de vie et du besoin du patient.

En maïeusthésie, l’idée n’y est pas l’accomplissement de « toute la personnalité » (le projet est plus modeste), ni de « résoudre les conflits restés en suspend dans les stades du développement » (il ne s’agit que de s’ouvrir à ce qui se manifeste déjà et est en attente de reconnaissance). Le projet est simplement de permettre au sujet d’ajouter à lui-même dans sa psyché ce qui est en demande de s’y placer avec justesse au fur et à mesure de sa maturation (confiance en ses justesses intérieures).

L’aboutissement de cet accomplissement de soi est peut-être l’affaire de toute une vie, et concerne simplement le fait de vivre, et non pas forcément d’être trop longtemps en thérapie. Cependant, du fait de ses symptômes, à un moment de son existence, le sujet peut avoir besoin d’un accompagnement spécifique de son « growth », avant de le reprendre par lui-même avec le cours naturel de ses jours. La maïeusthésie apporte une réponse à ce type de besoin « ponctuel », que ce soit suite à des traumas majeurs (même très lourds) ou à des manifestations (symptômes de psychopathologie)  encombrant la vie du sujet et le conduisant à s’interroger.

10.2           Au-delà des théories, simplement accompagner la vie

Nous venons de parcourir de  nombreux éléments concernant la non-directivité et les validations. Arrivant au terme de cette publication, il me reste le sentiment que beaucoup de choses restent à dire sur ce sujet où l’on ne saurait être exhaustif.

J’ai tenté de l’aborder par plusieurs biais, y compris celui des exemples, pour vous en donner quelques nuances aussi précises que possible. La difficulté est à la fois de connaître, de mettre en œuvre, de constater l’efficacité, et pour autant de ne surtout pas ériger en dogme ces éléments.

La créativité, les nuances, l’adaptation, permanente de l’écoutant ou du praticien doivent se laisser guider par le patient. Comme vous avez pu le constater, la non-directivité n’a rien de passif. Le praticien accompagne, conduit l’entretien, ose des innovations. Il ne fait que suivre (il reste humblement derrière), se fait éclairer par celui qu’il accompagne… mais il « sait où il va » : Il va vers un être, vers sa psyché, vers les parts précieuses qui s’y expriment à travers des sensations ou des symptômes. Il n’a besoin de savoir ni « où », ni « quand », ni « comment » pour éprouver cette confiance en la valeur de ce qui sera trouvé, face à ce « growth » en accomplissement.

Nous avons là le fondement de la validation qui commence dès les premiers mots, dès le premier regard. Il ne s’agit pas de quelque chose que le praticien mettra en œuvre ça et là, au fur et à mesure de l’entretien, par quelques efforts de décision ou de volonté. Il a dès le départ ce regard, cette posture. La qualité de la validation existentielle en dépend.

La non-directivité  est importante pour accéder à la part de psyché en attente d’être rencontrée, et la validation est fondamentale pour accomplir, lors de cette rencontre, la reconnaissance tant attendue. Ce processus conduira le patient à ne plus avoir son symptôme, car ce dernier aura simplement cessé d’être nécessaire.

La validation est aussi ce qui permet le « guidage non directif ». Elle l’est pour les dimensions du « recevoir » et du « comprendre », mais aussi, bien au-delà de l’information elle-même, de « l’accueillir » et du « remercier » puis enfin du « sens révélé » avec la « validation cognitive ». Pourtant, tout cela ne serait rien sans la dimension de la « validation existentielle », sans cette délicatesse qui consiste à « être touché » (et non affecté) par cet être qui émerge à sa propre conscience, grâce à une pertinence édifiante (dans le sens premier du mot : qui permet de s’édifier, de se construire - mais aussi dans son sens second : tellement surprenante, toujours venant nous toucher profondément, d’une profondeur et d’une justesse incroyables).

Que de temps perdu dans des combats contre ce qui nous habite, que de paradigmes erronés quand ils sont érigés en absolu, stipulant un mal ou un disfonctionnement qui se manifesteraient en nous comme des accidents malheureux venant gâcher notre existence. De tels regards ont entravé les bonnes intentions de la psychologie, reprenant le flambeau (à peine lâché) de la « lutte contre le mal ». De précieuses innovations techniques se sont souvent retrouvées sans effet (ou même contreproductives) uniquement à cause de tels postulats.

Le praticien accompagnant un patient sur le plan psychologique aura avantage à avoir ces éléments à l’esprit, et à se libérer des « paradigmes assassins » qui conduisent à vouloir détruire ce qu’il y a de plus précieux en nous. Un avantage pour lui-même (sa tâche en sera simplifiée, moins éprouvante) et pour ceux qu’il accompagne (qui aboutiront plus vite avec moins de tourments).

Tout cela se résume à accompagner la vie plutôt que de la combattre. Le praticien pourra développer sa capacité à reconnaître la vie quand elle s’exprime à travers les symptômes… un simple ajustement de son acuité !

Thierry TOURNEBISE

 

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Bibliographie

Abric, Claude
-Psychologie de la communication – Armand Colin, 2003
Orientation non directive. L’art de prioriser le ressenti par rapport aux faits

Cungi, Charly
- L’alliance thérapeutique - Retz, 2006
Une alliance, hélas dans un combat… et même dans un combat inapproprié « du patient contre lui-même »

Gendlin, Eugène
-Focusing au centre de soi -Editions de l’Homme 2006
Une approche très subtile d’écoute corporelle, permettant aussi l’autothérapie

Laval Martine
-N’écoutez pas votre cerveau – Inter Edition 2010
Une conscience de l’évolution humaine vers plus d’humanité

Mucchelli, Roger  
-L’entretien de face à face – ESF 2004
Une approche au-delà de la reformulation Rogérienne. Rôle des patterns.

Maslow, Abraham
-Devenir le meilleur de soi-même – Eyrolles, 2008
Humanité et besoins ontiques : prémisses de la validation existentielle

Naomi, Feil
-Validation mode d’emploi – Pradel 1994
L’art de communiquer en pertinence face à la démence

Pagès, Max
-L’orientation non directive en psychothérapie et en psychologie sociale – Dunod 1970

Revardel, Jean Louis
-Comprendre l’haptonomie – PUF, 2007
Validation de l’être et de ses fondements

Rogers, Carl
-La relation d’aide et la psychothérapie – ESF 1996
Une humanité inestimable, un précieux sens de la confiance

Roseberg, Maschal
-Les mots sont des murs ou des fenêtres – La découverte 2002
Pour mettre en œuvre la communication dans l’affirmation de soi et le respect d’autrui

Tournebise, Thierry
-Le grand livre du psychothérapeute – Eyrolles 2011
-L’écoute thérapeutique -
ESF 2009
-L’art d’être communicant –
Dangles, 2010
Des ouvrages reprenant en détail le propos de cet article

Veldman, Frans
-L’haptonomie, Science de l’affectivité – PUF 21989
Découverte du bon en l’autre présent et en devenir (une sensibilité sans sensiblerie ni mièvrerie)  

Liens internes au site

« Le positionnement du praticien dans l’aide et la psychothérapie » décembre 2007
« Validation existentielle » septembre 2008  
« Symptômes »
de juin 2011
 
« Assertivité »
Septembre 2001  
« Reformulation »
Novembre 2002  

« Abraham Maslow »
octobre 2008  
« Bientraitance »
aout 2007,
 « Alzheimer » Décembre 2009
« Eloge de la différence » Aout 2008
« Irrépressible quête d’origine » juillet 2011

Liens externes au site

Albert Mehrabian  Wikipedia  
EMDR http://www.emdr-france.org/

 

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