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Primum non nocere
"d'abord ne pas nuire"

décembre 2013    -    © copyright Thierry TOURNEBISE

 

« Primum non necere » fut proposé par Hippocrate dans son traité des épidémies. Ce « D’abord  ne pas nuire » peut sembler une évidence, mais comme tout remède comporte des effets secondaires, aucun soin n’est inoffensif. La question qui est posée dans tout traitement médical est d’apporter plus d’avantages que d’inconvénients. Une évidence qu’il n’est aujourd’hui toujours pas si aisée à cerner, tant la multiplicité des facteurs intriqués est grande.

 Le principe « primum non nocere » doit aussi s’appliquer au soin psychique. Bien sûr dans le soin psychiatrique (donc médical) où sont donnés des médicaments psychotropes, mais aussi dans le soin psychothérapique, ou même dans la relation d’aide. La question est posé de savoir s’il n’y a pas de nuisances évitables, de savoir ce qui permet « au moins de ne pas nuire »… puis aussi de ce qui permet d’apporter une qualité de soin efficiente (car c’est bien ce qu’on attend d’un praticien !).

Cette publication propose, à la fin, un tableau récapitulatif simple à utiliser pour bénéficier de quelques repères fondamentaux. J’attire votre  attention sur le fait que ce tableau ne prend sens qu’après la lecture de l’intégralité du texte. La réflexion proposée dans ce document reste bien sûr évolutive et ne prétend en aucun cas cerner la totalité de cette problématique. Elle n’en demeure pas moins pour autant une base pour les professionnels.

Sommaire

1 D’abord ne pas nuire
- En médecine – En psychothérapie

2 Préoccupations du praticien
-Le praticien sortant de formation – Le praticien  expérimenté- Une réflexion qui doit rester ouverte

3 Qualités nécessaires du praticien
-
Ce qui mobilise son attention- La nature de son projet – Ses repères ses outils – Sa posture son éthique – Sa confiance connivence, réjouissance – Son ouverture augmentée – Son attitude face aux résultats

4 Dérives pouvant être néfastes
-Nuisance d’avoir une distance professionnelle – Nuisance  de chercher à refléter – Nuisance  d’être en quête des dysfonctionnements -  Nuisance d’être dans la gravité – Nuisance de prioriser les faits – Nuisance  de chercher à apaiser ou résoudre – Nuisance  de vouloir vaincre les résistances – Nuisance de porter un jugement – Nuisance  d’assujettir – Nuisance  d’interpréter en affirmant – Nuisance  de croire à la nécessité d’une transaction financière

5 Tableau récapitulatif

 

Bibliographie

 

1   D’abord ne pas nuire

1.1 En médecine

Dans son traité des Épidémies (I, 5), Hippocrate (en 410 av. JC.)  nous propose à propos  de l’action du soignant ou du médecin « primum non nocere » (d’abord ne pas nuire). En médecine, sachant qu’aucune action n’est totalement inoffensive, il existe le principe « bénéfice/risque », selon lequel les bénéfices que retire le patient d’un soin ou de médicaments, sont censés l’emporter sur les risques auxquels ceux-ci l’exposent.

« D’abord ne pas nuire » est une sage devise s’appliquant aux soins médicaux, mais elle s’applique bien sûr aussi aux soins psychologiques. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas forcément de substances chimiques ou de chirurgie qu’il y a absence de risques. Encore convient-il de bien identifier ceux-ci afin de les réduire au minimum.

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1.2 En psychothérapie

Le soin psychologique  peut se nommer « psychothérapie ».

Le premier risque est de prendre pour un trouble psychique ce qui est en fait un trouble biologique. Ce dernier sera diagnostiqué et traité par la psychiatrie, la neurologie et même parfois par la neurochirurgie. Hors de ces situations qu’il convient cependant de  ne pas manquer, reste le trouble psychique proprement dit.

Néanmoins, se présente aux praticiens une ambiguïté : tant dans la pathologie que dans la guérison, le psychique peut engendrer le somatique et le somatique peut  engendrer le psychique… le tout étant particulièrement intriqué au point qu’il n’est pas toujours aisé de savoir lequel des deux engendre l’autre.

Même dans le cas de certaines situations neurologiques : la neuroplasticité organise les neurones en fonction de leur usage (donc aussi en fonction des blessures psychiques). Il s’en suit qu’un trouble psychologique peut engendrer un trouble biologique (le psychiatre Jean Maisondieu va même jusqu’à ajouter cette hypothèse dans les éventualités étiologiques de la maladie d’Alzheimer)

« Les sujets âgés, précisément du fait de leur âge et de leur proximité avec la mort, sont soumis à une tempête existentielle de nature à briser les cerveaux les moins résistants et à obliger les plus fragiles d’entre eux à réduire au minimum leurs facultés intellectuelles pour survivre malgré tout dans ce contexte qui leur est défavorable » (Maisondieu, 2001, p.69)..

Voir plus précisément sur ce site la publication de décembre 2009 « Alzheimer – démence ou pertinence »

Cela ne fait que conforter ce que nous propose l’OMS dans la charte d’Ottawa, nous rappelant que la santé ne peut être assimilée à une absence de maladie mais à un équilibre de la triade « physique, mentale et sociale » (et non pas seulement physiologique).

Une fois établi que la médecine du corps doit être en partenariat avec celle de la psyché, nous distinguerons tout de même le soin biologique (médical) du soin psychique (psychothérapique). Ce qui nous intéresse dans ce texte est de pointer ce qui permet d’au moins « ne pas nuire » dans le cadre de la psychothérapie.

En soins de psychothérapie, la préoccupation du praticien doit être (comme en médecine) d’apporter un mieux-être et, à défaut, au moins de « d’abord ne pas nuire ». L’intention est louable, mais la question est de savoir ce qui pourrait être nuisance dans ce soin. Cette publication propose de répondre à cette question du point de vue de la maïeusthésie, afin de permettre aux praticiens de toutes approches de s’assurer au minimum de leur innocuité, tout en se rappelant bien sûr que le projet est « d’apporter une amélioration ». En effet, c’est tout de même ce qu’attend un patient ! Naturellement si nous trouvons l’inverse : « au mieux ne pas nuire et au pire aggraver la situation » cela est éthiquement inacceptable.

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2   Préoccupations du praticien

2.1 Le praticien sortant de formation

La préoccupation du nouveau praticien en psychothérapie est de ne pas mal faire, d’apporter un soutien réel, de mettre en œuvre la meilleure compétence possible.

Mais sortant de formation, la compétence est-elle suffisante ? D’autant plus que bien des certificats ou diplômes valident surtout un savoir (parfois très étendu) et bien peu (voire pas du tout) de compétences cliniques. Le savoir, aussi étendu soit-il, comporte forcément toujours des lacunes… il ne peut jamais être exhaustif. Louis Le Prince Ringuet, éminent chercheur, disait « Un savant, c’est quelqu’un dont l’ignorance a quelques lacunes » !  Il se peut même parfois que l’étendue d’un savoir inspire une illusoire sécurité, et donne un artifice de compétence et d’assurance. En ce cas il deviendrait dangereux… mais ce n’est jamais la posture d’un véritable chercheur.

Même quand c’est la compétence qui est validée en fin d’études, à partir de quand est-elle suffisante pour aborder ses premiers patients, sans risque pour ceux-ci ?

D’une part la formation se doit d’être théorique (il faut des éléments théorisés et organisés entre eux). D’autre part, elle doit comporter des espaces de mises en œuvre réelles, mais sécurisés, faisant éventuellement suite à des situations de simulations progressives. Tout cela s’ajoutant à une « expérience de patient » où le « futur praticien » expérimente lui-même l’action d’une thérapie, depuis le point de vue du « soigné ». Outre que cela lui permette d’accéder à plus de cohérence personnelle, cela lui donne de précieuses indications didactiques.

Néanmoins, en dépit de toutes les précautions requises, il arrive un moment où le praticien passe de la situation d’« apprenti » à celle de « professionnel ».

Sa crainte de « mal faire » peut le rendre extrêmement précautionneux, et de ce fait très impliqué (mais aussi parfois trop techniquement chargé en « garde fous »). Il est donc indispensable qu’il dispose de quelques repères simples pour s’assurer, au minimum d’une non-nuisance et surtout, d’une action thérapeutique effective… avec suffisamment de sécurité pour ne pas se crisper sur des protocoles, sans pour autant être négligent.

C’est ce que document va proposer.

2.2 Le praticien expérimenté

Ce document sera cependant utile également aux praticiens en psychothérapie expérimentés. Si ceux-ci ont moins de doutes, plus d’assurance du fait de leur expérience, ils risquent tout de même de se trouver piégés dans quelques paradigmes les éloignant du vécu réel de leurs patients. Un rappel de ces quelques points clés sera sans doute une assurance supplémentaire de « d’abord ne pas nuire » et de surtout « le plus souvent possible apporter une amélioration ». Encore nous faudra-t-il éclairer ce qu’est une amélioration, car certaines, prétendument telles, sont en fait des réductions existentielles majeures éteignant un être, plus qu’elles ne lui permettent de se déployer dans sa justesse.

Le praticien expérimenté pourra donc avoir ces quelques lignes en conscience pour accompagner son professionnalisme, et offrir le meilleur de sa compétence à ceux qui le consultent.

2.3 Une réflexion qui doit rester ouverte

Ces quelques pages ne ferment pas le débat sur le sujet, mais représentent une ouverture vers une pratique professionnelle de qualité. Les réflexions sur ce sujet doivent continuellement rester ouvertes, et notre interrogation ne jamais se limiter à ce que nous avons découvert.

Les éléments ici rapportés semblent faire partie de quelques clés fondamentales cliniquement constatées. Le praticien (nouveau ou expérimenté) ne peut en faire l’économie, pas plus qu’il ne peut faire l’économie de ne pas s’en tenir là et de garder ses interrogations et son champ de recherche ouverts.

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3   Qualités nécessaires du praticien

Ces qualités sont essentielles, bien plus que le type de thérapie mise en œuvre. Toutes les techniques de psychothérapie (ou presque) peuvent avoir leur valeur et enrichissent « l’outillage » du praticien, pourvu que ces qualités soient présentes. Les stériles « querelles de chapelles » portant sur la valeur des méthodes (alors qu’elles ont toutes leur intérêt) sont désolantes. En fait il s’agit plutôt de prendre en compte la posture et les orientations du praticien qui utilise ces « méthodes ».

3.1 Ce qui mobilise son attention

3.1.1    L’être plutôt que les problèmes

Un des premiers points essentiels est de distinguer entre le sujet, la circonstance et ce que le sujet a éprouvé. Nous pourrions dire différencier : « l’existentiel », le « circonstanciel », « l’émotionnel » (on pourrait même y ajouter « l’intellectuel » qui interprète les faits et les ressentis).

Il y a « un être », dans « une circonstance », en train « d’éprouver quelque chose » dans cette circonstance. Le praticien placera en premier « l’être », en second « le vécu éprouvé », en dernier « le circonstanciel ». Ce dernier, si toutefois il ne doit pas être nié, ne peut être la cible car alors il produirait l’affect du praticien et conduirait celui-ci à augmenter sa « distance thérapeutique » perdant ainsi toute congruence et humanité.

D’une part, l’anamnèse (histoire du sujet, retour des souvenirs) qui consiste à faire une sorte de « revue de vie » essentiellement au niveau des faits (parfois aussi de l’imaginaire), est non seulement inefficace mais peut être néfaste si elle ne s’étend pas à la « rencontre de celui qu’on était » (rencontre de l’être et non restitution de l’histoire). Limitée à l’histoire rapportée par le patient, elle peut même conduire à une régression amenant le sujet à refaire l’expérience de ses souffrances. Or pour ce qui est de la souffrance « une fois suffit », et il convient plus de « prendre soin de celui que l’on a été et qui a souffert » que de « reprendre sa place et de revivre la blessure ».

D’autre part, un positionnement résolument tourné vers l’être et non vers les faits ou les problèmes, fait que le praticien reste touché par la présence du patient en tant qu’individu et jamais affecté par les drames circonstantiels évoqués. Cette « fraîcheur du praticien » signifie implicitement au patient qu’il peut être rencontré avec « bonheur », qu’il est rencontrable sans générer de perturbation … et, de ce fait, trouver le goût de se rencontrer lui-même. Cela ne se peut qu’avec authenticité du praticien (congruence) et ne peut en aucun cas se « jouer ». Une telle posture est possible en se tournant résolument vers l’être et non vers le factuel.

S’y ajoute cependant la notion de « quête de la justesse ».

3.1.2    Justesses plutôt que dysfonctionnements

Un des pièges pour le praticien est de croire que ce qui se passe chez le patient est une mauvaise chose à combattre, un dysfonctionnement à corriger, un encombrement à éliminer.

D’une part, cette attention portée sur des choses à combattre ou à éliminer minent sa compétence, d’autre part il se retrouve prisonnier d’un paradigme qui le met en cécité d’inattention par rapport aux justesses en accomplissement chez son patient.

Christophe André, médecin psychiatre et psychothérapeute, nous rapporte dans son ouvrage « Les états d’âme », une expérience intéressante :

Des volontaires jouent à un jeu vidéo où il s’agit de guider une souris dans un labyrinthe. Nous avons deux groupes dont le projet est différent : pour l’un la souris doit trouver un fromage, pour l’autre elle doit échapper à un prédateur. Après avoir joué, les expérimentateurs font passer à tout le monde un test de créativité. Celui-ci révèle que ceux qui ont eu le projet (négatif) d’aider la souris à fuir le prédateur sont 50% moins créatifs que ceux dont le projet (positif) visait le fromage. (2009, p57). 

En serait-il de même pour les praticiens qui cherchent à libérer des turpitudes de l’inconscient par rapport à ceux qui cherchent à en faire émerger les richesses ? Voilà une réflexion qui mériterait un travail de recherche expérimentale.

En effet, il se trouve souvent que le symptôme qui se manifeste chez le patient est un moyen inconscient pour lui de garder un contact avec une « part de soi » qu’il a dû rejeter. Cela lui permet de ne pas la perdre en attendant de savoir en prendre soin, d’avoir les moyens de la reconnaître, de l’intégrer.

Il importera aussi ici pour le praticien d’avoir bien présent à l’esprit que cette part à retrouver devra être reconnue dans le vécu qui fut le sien et non « consolée » (ce qui reviendrait sinon à l’effacer définitivement et à se retrouver amputé de soi)

3.1.3    Être avec ce qui appelle, et inviter à le rejoindre (en y étant soi-même)

Une fois que le praticien a intégré qu’il convient de tourner son attention vers l’être et non vers les problèmes ou le factuel, il convient d’ajouter une nuance importante :

L’entièreté du sujet doit être considérée, c'est-à-dire celui qu’il est, tous ceux qu’il a été et ceux dont il est issu (pour faire simple !). Mais surtout, cette « part de Soi »* qui appelle sa conscience à travers le symptôme, cette « part de Soi »* dont on ne sait pas encore où elle se trouve dans la vie du sujet… elle « est pourtant bien là », encore invisible à la conscience, mais bien là. On pourrait même dire que c’est elle qui a poussé le patient à consulter afin de pouvoir enfin « le contacter »… afin que celui-ci accroisse son entièreté, sa complétude.

*Attention à la notion de « part de Soi ». Ce n’est qu’une commodité de langage. La « part de Soi », comme élément dans la psyché,  doit cependant être considérée en même temps comme une entièreté (contenant potentiellement le Tout) et non comme « un bout » de ce Tout. Chaque « part de Soi » contient le Soi tout entier (potentiel) et ne peut être réduite à un morcellement, tout en étant cependant distincte de ce Soi. Ce thème mériterait une publication afin de distinguer cette notion de celle de « holisme » où nous trouvons une hiérarchisation des éléments, qu’il ne serait pas juste de considérer ici. La notion de « holographique » (le tout est dans chaque parties) ou, à la rigueur de « fractales » (chaque partie est à l’image du tout) seraient plus justes.

C’est une situation anhistorique, non concernée par le temps ou par l’espace, où le « sujet antérieur blessé » est parfaitement contemporain du sujet présent… et doit mobiliser l’attention du praticien en tant que médiateur pour leur permettre de se retrouver..

Le praticien sera même plus en partenariat avec cette « part de soi » discrète qui appelle la conscience du sujet, qu’avec le sujet lui-même (sans l’oublier pour autant).

Le praticien n’a pas besoin de savoir de quelle « part de vie » il s’agit pour avoir cette proximité (comme le dit Noamie Feil [1997], il n’est pas besoin de connaître le contenu pour valider).

Le praticien a donc prioritairement son attention sur la « part d’être » qui appelle la conscience du patient. Cette attention le place (« spatialement », mais ce n’est pas de l’espace) en proximité de cette « part de soi », pour inviter le patient à « regarder par là », à le rejoindre dans cette proximité.

Nous avons ici un important paradoxe : le praticien ne fait que cheminer « derrière le sujet qui le guide » (il « suit » le patient), et pourtant il « est déjà là où cela l’appelle » sans savoir ni de qui, ni de quoi il s’agit.

Nous avons ici un point subtil essentiel qu’il est peut-être plus commode à appréhender en formation que dans un écrit. Mais, vous comprendrez que si le praticien dit au patient « va voir là bas » il n’ira pas forcément, alors que s’il l’invite « vient voir ici », là où il se trouve déjà avec la « part d’être » (qui finalement ne semble plus menaçante), il viendra volontiers.

3.2 La nature de son projet

Quand je mets « projet du  praticien », le mot « projet » n’est guère satisfaisant. « Pro-jeter » désigne ce qu’on jette devant… pour ensuite courir après !). En réalité, il s’agit plutôt de « ce qui mobilise le praticien », « vers où il tend », « vers où il s’oriente », mais en considérant que c’est plus quelque chose « qui est déjà » et « qu’il rejoint » plutôt qu’un quelconque imaginaire théorique qu’il « lance devant » pour y aller.

Mais le mot « orientation » ne convient pas vraiment non plus car cela n’a rien de spatial. Il s’agit d’une « direction psychique » et non d’un « axe dimensionnel ». La métaphore serait une sorte de « boussole » qui n’indiquerait ni le nord, ni les points cardinaux, mais qui pointerait vers « là où il y a l’être qui attend notre attention »… ou une balise qui émettrait simplement depuis « là où il se trouve déjà », qui n’est ni un lieu, ni un temps.

3.2.1    Identification

Le praticien va identifier la part de la psyché qui appelle la conscience du patient. Telle est l’« orientation » de son attention, son élan, sa quête. Nous avons ici ce paradoxe où, ne sachant pas « où c’est » (mais ce n’est pas en termes spatiaux), il se contente de cheminer sagement avec son ignorance et sa confiance, « derrière le pas du patient », en se faisant guider et éclairer par lui…(car c’est le patient qui sait) Mais pourtant, en même temps, il y est déjà, en  « proximité et connivence a priori », même sans rien savoir ni de « où », ni de « quand », ni de « quoi », ni de « qui » il s’agit.

Nous ne parlerons pas de « localiser la part d’être dans la psyché » car il ne s’agit pas de spatialité, mais « d’identifier » cette part d’être (comme une source qui appelle l’attention). L’« identité » définit « ce qui est et qui ne change pas » (ce qui  n’est pas altéré par le temps, ce qui reste identique), ce qui attend d’une certaine façon d’être reconnu pour pouvoir être pleinement dans un déploiement qui est le sien, et qui trouve sa place autant dans la psyché de l’individu que face aux autres êtres du monde.

3.2.2    Reconnaissance

Le praticien se tournera  aussi vers la reconnaissance, jamais vers une quelconque correction ou élimination (sous peine d’altérer l’identité). Ne rien gommer, ne pas rassurer, ne pas consoler, juste reconnaître.

Ce point est un point majeur, très inhabituel dans notre imprégnation sociale (et même, hélas, dans bien des paradigmes thérapeutiques). En effet, là où il y a souffrance, il y a naturellement une volonté de soulager. Il est bien évident que cela est essentiel dans la souffrance physique (surtout quand celle-ci devient intolérable), mais dans le cas de la souffrance psychique (parfois même de la souffrance physique) la reconnaissance est déjà source de soulagement, alors que de vouloir soulager est souvent vécu comme un douloureux déni de ce qui est éprouvé.

Sans se fourvoyer dans une injuste et inacceptable apologie de la douleur, il convient de comprendre que, sur le plan psychique, la volonté d’autrui de soulager un être peut être ressenti par celui-ci comme une volonté de l’éloigner de lui-même (éloignement de soi), comme un déni de ce qui est éprouvé. Quand les douleurs psychiques sont intolérables, comme pour les douleurs physiques, des remèdes de la psychiatrie seront bienvenus, à condition de ne pas fermer toute sensibilité et de permettre un accompagnement vers une reconnaissance, et non vers une pure et simple éradication (qui fermerait tous les signaux d’accès à soi).

L’être est accueilli avec sa peine qu’il a le droit d’éprouver. Il n’est pas tenu d’enlever cette peine pour être fréquentable. L’« être qu’il est » reste fréquentable en dépit de sa douleur.

 C’est le plaisir, la réjouissance que le praticien éprouve à le rencontrer qui sera une source d’apaisement spontané. La finalisation se faisant quand le patient lui-même accepte de rencontrer en le reconnaissant, celui qu’il fut quand il a jadis souffert.

Avec son attention sur l’être plus que sur son problème, avec cette confiance que cet être est simplement en train d’accéder à une restauration de lui-même, cette reconnaissance du praticien se manifestera en permanence par une sorte de réjouissance discrète, face à ces élans de déploiement de Soi du sujet qu’il accompagne. C’est cela qui produira la reconnaissance, bien plus que des propos désuets prétendument « constructifs » qu’il pourrait lui adresser intellectuellement ou « gentiment ».

3.2.3    Faire se rencontrer et non faire revivre

Dans ce projet de reconnaissance, il s’agit de permettre au patient de rencontrer celui qu’il était qui a vécu ceci ou cela, et non de revivre ceci ou cela.

Le phénomène de « régression », où le patient revit l’expérience antérieure, est à éviter. En effet, il peut parfois être très violent, et nécessite une très grande expertise du praticien pour ne pas « mal tourner ». C’est aussi très éprouvant pour le patient. Cette reviviscence, semblable à une nouvelle immersion, n’est le plus souvent pas souhaitable car pouvant se révéler très néfaste. La mise en conscience de l’émotion antérieurement éprouvée ne se fait pas par la reviviscence, mais par la rencontre de celui qu’on était et qui l’a jadis éprouvée.

Un principe majeur est de comprendre qu’une douleur un jour éprouvée n’a pas à être revécue. Par contre, il reste nécessaire de prendre soin de celui que l’on était et qui l’a un jour éprouvée. Pour ce faire, cette douleur se répète régulièrement dans la vie de façon atténuée (« patterns », ou chaîne de récurrences émotionnelles), sous forme de symptômes, produits par des déplacements (ou transferts) réguliers lors   de diverses situations analogues. Cela permet au sujet de ne pas perdre le chemin vers celui qu’il était (dans le but de le reconnaître et non de revivre la même chose).

Mais ces réactivations qui « balisent le chemin » vers ce Soi antérieur n’ont pas à être reproduites en consultation, avec comme moyen « le transfert du patient envers le praticien » (dans l’espoir de conscientiser ces émotions). Revisiter ces réactivations antérieures* suffit amplement à l’identification, puis à la rencontre et à la reconnaissance de ce qui appelle la conscience du patient.

*Il importe de distinguer d’une par les différentes réactivations antérieures qui jalonnent la vie du patient, et d’autre part celui qui appelle sa conscience et qui a initialement éprouvé un tel ressenti.

Dans le cheminement vers l’identification, ce sont « les ressentis au cours de ces différentes réactivations » mobilisent l’attention (premier plan) et font office de moyen de guidage vers ce qui appelle le conscience du sujet (encore non identifié). Quand l’identification a été accomplie, c’est alors « celui qui appelait l’attention du sujet » qui mobilise l’attention (premier plan), et non ce qu’il a éprouvé (qui alors passe en second plan).

Il s’agit d’aboutir ensuite à la reconnaissance de « l’être qui éprouvé cela ». Il est reconnu avec son vécu qu’on ne tente pas d’apaiser ou d’effacer. Toute tentative d’apaisement serait éprouvée comme un déni, alors que la reconnaissance est source d’apaisement. C’est comme s’il était dit à celui qui appelait la conscience du sujet : « bienvenue à toi avec ton ressenti ».

Le praticien qui cherche à refaire revivre cette émotion en thérapie peut conduire à de dangereuses explosions émotionnelles qu’il ne saura pas gérer sans une très grande expertise. Une telle reviviscence peut laisser le patient mal accompagné dans un état délétère et c’est un risque inutile dans la mesure où il n’est pas nécessaire au processus de rencontre, de reconnaissance, de conscientisation et d’intégration. Ce fait est régulièrement confirmé cliniquement en maïeusthésie.  

3.3 Ses repères et ses outils

Pour accomplir cela le praticien peut utiliser différents « outils » propres à chaque approche thérapeutique. En maïeusthésie, nous repérerons les outils suivants :

3.3.1    Symptômes spécialement pour

Un des repères fondamentaux du praticien est de considérer que, chez le patient, le symptôme est là « spécialement pour » réhabiliter une « part de soi » et aller vers son intégrité. Le symptôme n’est pas considéré comme une manifestation se produisant  « à cause de » un encombrement ou un dysfonctionnement dont il devrait se débarrasser.  C’est du moins ce que l’on rencontre le plus souvent cliniquement sur le plan psychologique (à différencier soigneusement du plan neurologique qui peut, lui, nécessiter une investigation médicale correctrice).

Le symptôme pointe vers cet être à retrouver, ou plus simplement, tout se passe comme s’il émanait de lui tel « un appel venant d’une balise » afin de « ne pas rester ignoré de la conscience du sujet » dont il fait partie. Ce symptôme, tel une balise, ne doit donc pas être éteint (tout au plus doit-il être modulé afin de le rendre supportable). Il doit être considéré comme un précieux moyen permettant d’identifier la part d’être qui appelle la conscience du patient.

Pour « utiliser ce symptôme », il convient de se servir d’« outils » contenus dans ce que j’appellerai le « guidage non directif »*, engageant diverses questions d’une façon bien précise.

 

*Le « guidage non directif » de la maïeusthésie  est proche de la « découverte guidée » des cognitivistes, mais en diffère par le projet de validation des fondements et de rencontre de soi, qui prime sur celui de modification des trajectoires cognitives.

3.3.2    Question sur le ressenti

Afin de faciliter au patient cet accès à Soi, dont les symptômes sont la première marche, le premier pas, le praticien pourra poser des questions, mais en respectant quelques critères fondamentaux.

Qualité fondamentale des questions :

Ses questions seront avant tout « sans condition de réponses ». C'est-à-dire que le sujet, quoi qu’il réponde,  n’est jamais considéré comme ayant « mal répondu ». Ses questions seront aussi « sans obligation de réponse », car l’expression de ce qui est en soi n’est dû à aucun autre, fût il thérapeute. C’est ce qui fait qu’à chaque réponse le praticien ne constatera pas quelque chose qui lui était dû du fait du contexte thérapeutique, mais un privilège que le patient lui accorde en se révélant. Pour cela, le praticien adressera en retour de chaque réponse ainsi offerte un « message de gratitude ». Celui-ci peut n’être que non verbal (avant tout une posture, un état).

Types de questions :

Le praticien saura privilégier les questions fermées* qui permettent une première réponse ne passant pas par l’intellect (donc plus proche du ressenti) et poursuivre avec des questions ouvertes ou à choix multiple permettant d’arriver aux précisions nécessaires concernant ces ressentis. Il usera même du type particulier de question fermée qu’est la « reformulation » qui ne sera en aucun cas une répétition ou un écho, mais une chaleureuse reconnaissance de ce qui vient d’être exprimé (en verbal ou en non verbal) par le patient.

Concernant la question fermée, lire la publication  de janvier 2012 « Non-directivité et validation » à « 4 les mots justes Questions réponses »

Cible des questions :

Ces questions porteront sur le ressenti du patient, bien plus que sur les faits et circonstances. Ce ressenti sera investi sur deux points-clés : nature et dimension.  

Par exemple :
-Praticien : « De quel type de ressenti s’agit-il ? »
-Patient : « Une peur » (nature)
-Praticien : « À quel point ? Comme s’il se passait quoi ? »
-Patient : « comme si j’allais mourir » (dimension)

3.3.3    Résistances indicatrices

Pareillement au symptôme, la résistance est une balise indicatrice du juste chemin, et jamais l’expression d’un blocage.

Forcer une résistance ou avoir pour projet de la « faire lâcher » est intrusif et irrespectueux. Cela invalide même le fait que, par cette résistance, le patient est en train de replacer le praticien sur un meilleur chemin par lequel il devrait passer.

3.3.4    Tact psychique

Le praticien n’est pas censé mettre de la distance (fut-elle thérapeutique) entre lui et son patient. Il convient de comprendre que le praticien peut mettre de la distance entre lui et les « problèmes de son patient », mais pas avec « celui qu’est son patient ».

Importante distinction sans laquelle le soin psychique manquera d’humanité et se résumera à une simple « argumentation mentale » ou « élaboration logique » ou interprétation historique ». Cette « perte d’humanité » serait dommageable car le patient ne peut « se rencontrer lui-même » (se reconnecter) quasiment que « s’il se sent rencontré par le praticien », percevant que celui-ci est concerné et touché, confirmant ainsi au patient qu’il est un sujet rencontrable… ainsi encouragé à aller vers lui-même.

Si le patient sent que le praticien est affecté par ses propos, son histoire, ses blessures, il s’autojugera « non fréquentable » et se fermera à lui-même au lieu de s’ouvrir et de se rencontrer au cœur de sa psyché.

La notion de distance est incompatible avec celle de tact et de contact. Un des moyens du praticien est ce « tact psychique », par lequel il favorise le fait que le patient puisse se rencontrer et approcher sa propre intégrité.

3.3.5    Validation existentielle

Le « tact psychique », qui consiste ici à « se sentir touché », conduit à ce que j’appelle la « validation existentielle ». Le praticien qui met son attention sur le sujet qu’est le patient se sent naturellement touché par cet Être. Au contraire, le praticien qui met l’attention sur les troubles et les circonstances se trouve naturellement affecté par les drames… et quand il s’en protège… y perd sa congruence et prône la distance professionnelle comme moyen technique. Il perd alors une grande part de son efficacité thérapeutique et risque professionnellement de s’épuiser.  Chaque émergence de Soi est ainsi pareille à une nouvelle venue au monde (maïeutika : art d’accoucher). La praticien vit comme un privilège de pouvoir être présent à un tel événement majeur de la vie de celui qu’il accompagne. Il importe de bien comprendre que c’est la « réjouissance du praticien » qui valide pleinement l’émergence de Soi chez le patient.

Un Être se sent exister quand un interlocuteur éprouve du bonheur à le rencontrer (cela a été largement vérifié par la psychologie positive*). Il se sent alors fréquentable.

*Expérience réalisée en psychologie positive : les participants sont invités à se présenter les uns aux autres en tour de table. Puis il leur est demandé de faire la liste des personnes avec qui ils souhaiteraient travailler les tests. Ensuite ils sont reçus individuellement par l’expérimentateur qui leur révèle qui les a choisis. Les résultats sont truqués et certains s’entendent dire que personne ne les a choisis, d’autres que plusieurs les ont choisis. Invités à patienter dans une salle d’attente où se trouvent des chaises dos à un miroir, et d’autres face au miroir, ceux que personne n’a choisi s’installent spontanément dos au miroir et les autres face au miroir. Cela en dit long sur l’élan de se voir soi-même, selon comment on a été vu par autrui ! D’où l’importance fondamentale de la validation existentielle.

Ainsi, plus ce que le patient présente au praticien affecte le praticien, plus ce patient aura l’instinct de ne pas (ne plus) le montrer, sentant que « cela » n’est pas fréquentable en lui (cela l’incitera à ne pas non plus le regarder lui-même, à ne pas « se voir »). Attention, il ne convient pas pour autant de jouer une satisfaction surfaite qui deviendrait rapidement indigeste et contre-productive. Cette réjouissance ne peut être qu’authentique. Sinon, il vaut mieux un émotionnel non souhaitable (qui donne au moins le sentiment qu’il n’y a pas d’indifférence), qu’une froideur « professionnelle » ou une « fausse réjouissance ».

Cela nous conduit à la posture.

3.4 Sa Posture, son Éthique

Le mot « posture » peut définir une station spatiale et corporelle. Ce n’est pas  ce sens que nous prendrons en compte ici (quoiqu’une posture psychique différente engendre naturellement une posture physique différente) .

Le mot « posture » ici doit être considéré dans son sens métaphorique, psychique. Une sorte « d’attitude intérieure », de regard sur « le monde et sur les êtres », une considération prioritaire de « l’existentiel », une confiance dans « la justesse », une ouverture au « sens » et à la « pertinence », une acceptation de « se laisser toucher » par l’émergence de l’être qu’est le patient.

3.4.1    Non jugement, Non culpabilisation

Quoi que révèle le patient à propos de lui-même (présent, passé), le praticien est censé ne porter aucun jugement  à l’encontre de celui-ci, et garde sa confiance en la justesse de l’être. Il convient néanmoins de préciser qu’un non-jugement de l’être n’implique pas un non-jugement des choses, des actes, ou des conséquences qui, eux, peuvent toujours être situés dans une échelle de valeurs. Les « choses » peuvent être estimées par une évaluation (cela permet socialement de s’y retrouver), mais les êtres doivent rester par définition et par principe « inestimable » (les estimer reviendrait à les chosifier). Ils doivent non pas être « estimés », mais « considérés ».

Au premier jugement (même en pensée, donc induisant un non verbal) du praticien envers le patient (non-confiance en sa justesse) ce dernier se taira spontanément, dissimulera, contournera… ne pourra plus se rencontrer dans ses fondements. La thérapie bloquera avec les si célèbres « résistances », injustement attribuées au patient, alors qu’elles viennent souvent (mais pas toujours) de la mauvaise pratique (ou posture) du thérapeute. Ce phénomène de « résistance », venant plus de la façon de faire et d’être du praticien que des blocages du patient, furent dénoncées par Jung et par Rogers

« Dans la littérature il est tellement souvent question de résistances du malade que cela pourrait donner à penser qu’on tente de lui imposer des directives, alors que c’est en lui que de façon naturelle, doivent croître les forces de guérisons » (Jung, 1973. p.157)

« …la résistance à la thérapie et au thérapeute n’est ni une phase inévitable, ni une phase désirable de la psychothérapie, mais elle naît avant tout des piètres techniques de l’aidant dans le maniement des problèmes et des sentiments du client. » (Rogers, 1996, p.155)

S’y ajoute le non-jugement envers ceux dont le patient se plaint. Quand le patient révèle « mon conjoint est ceci cela… », « mes parents sont trop… », « mes enfants ne sont pas assez… », le praticien permet au patient ce jugement  (qui est l’expression de son ressenti), mais ne s’en permet lui-même aucun, sous peine  d’aggraver une fracture psychique chez son patient. Le praticien aura autant de considération et de non-jugement (confiance en leurs justesses) envers les êtres évoqués par le patient qu’envers le patient lui-même, surtout si ceux-ci font partie de ses proches (conjoint, ascendants, descendants).

Sous prétexte de non-jugement  des proches évoqués par le patient qui, lui, les juge sans délicatesse, le praticien n’est pas pour autant autorisé à contraindre le patient vers une sorte de « pardon », car cela reviendrait à le juger pour le fait de leur en vouloir, alors que c’est pour lui la juste expression de sa douleur.

Le praticien qui pousse au pardon éloigne le patient de lui-même. De plus, la posture souhaitable du patient n’est pas le pardon, mais l’absence de rancune et la reconnaissance, dans lesquelles il accorde aux auteurs qu’ils ont une raison… cette raison n’excusant et ne banalisant pas l’acte (sinon ce serait être en déni de la douleur qu’il a éprouvées à cause d’eux). L’attitude recherchée par le praticien pour le patient est une posture dans laquelle celui qu’il était est profondément reconnu dans les douleurs qu’il a éprouvées et l’auteur des actes qui ont provoqué ces douleurs est aussi reconnu dans les raisons qu’il avait de les commettre.

Toute la nuance ici est de ne jamais banaliser un acte grave (ou vécu comme tel), sans pour autant porter de jugement envers l’auteur de cet acte, en tant qu’être. Il est accordé à cet auteur qu’il avait des raisons (ses raisons). Ces raisons sont reconnues, mais ne constituent en rien une excuse, et l’auteur doit toujours socialement répondre de ses actes, éventuellement devant la justice si ceux-ci le justifient.

Le patient sera donc en possibilité de reconnaissance de ces êtres sans les juger (important quand ils sont ressources, comme par exemple des parents), tout en pouvant juger leurs actes, afin qu’il existe un positionnement social, une échelle de valeurs et aussi une reconnaissance de celui qu’il fut quand il en a souffert.

Afin de ne conduire à aucune dérive, ce « non jugement -  non culpabilisation » mériterait d’être abordé sur tout un article. On ne peut ici se satisfaire d’idées toutes faites, simplistes, doctrinales… c’est tout en nuances, en reconnaissance, y compris des colères et des rancunes. La position finale est une posture sans pardon ni rancune, mais pleine de reconnaissance, autant pour l’auteur que pour la victime.

Lire la publication « Ne pas induire de culpabilisation » novembre 2004

Le praticien est censé être en « contact psychique » avec le patient (avec celui qu’il est et celui qu’il a été, autant qu’avec tous ceux dont il est issu qu’il évoque). Il ne place aucune distance, fût-elle thérapeutique ou professionnelle, avec son patient ou toutes « parts de soi » évoquées.

Le praticien aura une distance par rapport aux faits (et ne sera donc pas dans l’affect ou les risques de projections), mais pas par rapport aux êtres (et sera donc dans une humanité accompagnante). Être distinct, sans être distant. Être touché sans être affecté. Voici des clés de la posture du praticien.

3.4.2    Ne pas créer de distance d’avec ses proches

Surtout, la praticien n’est pas censé être source de la moindre distance du patient d’avec ses proches. Que le patient fasse ce choix le regarde, et peut être la manifestation de sa douleur… et son moyen de survie. Mais le praticien n’est pas censé induire une telle chose, sous peine de couper le patient de ses racines.

Cependant, nous distinguerons l’éventualité d’une distance physique, rendue parfois nécessaire du fait de la violence de l’autre (que celle-ci soit physique ou même seulement psychologique), d’avec une distance psychique venant d’un jugement, d’un rejet de l’autre. Même quand une sécurité physique, ou même psychologique, sont nécessaires (par la gravité du danger), elles ne sont pas censées s’accompagner d’un rejet de ses proches et encore moins d’un rejet induit par le praticien. Une telle posture constituerait une faute professionnelle majeure. Par exemple, toute référence aux « parents toxiques », aux conjoints dits « pervers narcissiques » ne peut s’accompagner de jugement ou de rejet incité par le praticien comme pour « crier victoire avec une solution-miracle ». La subtilité de tous les êtres doit toujours être considérée, même quand des indélicatesses majeures existent.

3.4.3    Préserver la liberté

Le praticien ne peut en aucun cas assujettir son patient. Ni pour sa vie personnelle en lui imposant une posture vis-à-vis de ses proches, ni vis-à-vis de la thérapie en lui imposant des rendez-vous.

Quand cela est accepté par le patient, le praticien pourra même ne jamais prendre le rendez-vous suivant en fin de séance, afin de laisser le patient le prendre depuis chez lui, plus tard, quand il en sentira la nécessité. Cela est bien sûr aisé en maïeusthésie où chaque séance boucle généralement une étape signifiante. Ce n’est évidemment pas possible de cette manière pour des thérapies nécessitant un travail sur plusieurs séances, comme nous le trouverons par exemple en TCC, ou en thérapie analytique. Cependant toute atteinte à la libre décision du patient est contraire à une récupération d’autonomie. Quand le transfert est utilisé pour motiver l’assiduité aux séances (même parfois comme un fondement théorique), cela semble indésirable en termes de respect de l’être qu’est le patient, quand bien même il n’y a chez le praticien aucune volonté de la moindre manipulation et seulement de généreuses intentions.

3.4.4    Ne pas interpréter

Si « interpréter » peut se trouver être comme « jouer la partition du patient » (un peu comme un musicien interprète la partition d’un compositeur, avec respect de ce qui est sur la portée), l’idée d’interprétation est acceptable et peut même se retrouver dans le champ de la reformulation, où le praticien nomme au patient ce qu’il ressent, dont il vient d’exprimer, verbalement ou non verbalement, la nature et la dimension. Parfois même le praticien peut nommer ce que le patient éprouve et n’arrive même pas à conscientiser spontanément (mais dans ce cas, attention aux risques de la projection de soi vers l’autre).

Par contre, si « interpréter » consiste à donner au patient une explication logique concernant les « mauvaises choses qui sont en lui » et sur lesquelles il doit « travailler »… quelle que soit la douceur du propos, cela reste une violence inacceptable risquant d’éloigner le patient de ses valeurs, de ses ressentis réels… et ainsi l’éloigner de lui-même, alors que le projet d’une thérapie est normalement l’inverse.

L’interprétation est trop souvent le fait d’attribuer un sens (selon une théorie à laquelle on croit). Dans ce cas, elle est néfaste, car elle dépossède le patient de sa propre vie.

3.5 Sa confiance, connivence, réjouissance

Le praticien n’est jamais seul  face au patient, il est avec le patient en partenariat, il est tourné vers une restauration de soi en cours grâce aux manifestations pertinentes des symptômes.

3.5.1    Avoir confiance en son patient

Le patient a les clés de chez lui, de ses justesses, du chemin le plus aisé, du meilleur accès au plus profond de lui. Le praticien, en proximité, en connivence, en partenariat avec lui, va pouvoir mettre au jour cette « trajectoire » pertinente déjà à l’oeuvre.

Le praticien, malgré son savoir professionnel, est censé rester en découverte permanente. D’une certaine façon, il est également en « non savoir », avec son patient comme « enseignant »… enseignant du chemin le plus juste pour accéder en lui vers cette « part de Soi » qui appelle sa conscience à travers le symptôme. La posture du praticien pourrait ici se définir comme une sorte de « candeur éclairée ».

Même quand les actes ou les paroles du patient ne sont pas logiques (de notre point de vue) ou même inacceptables en termes de respect… il a une raison. Ce qui se passe en lui est articulé avec justesse et le rôle du praticien est de mettre à jour cette justesse.

Avec la « découverte guidée », les techniques cognitives savent, partant d’une manifestation, arriver au fondement cognitif qui en est la source. Pourtant le projet y est plus une « correction cognitive » qu’une « reconnaissance de la justesse de ce fondement »... le projet risque d’y être plus une éradication qu’une reconnaissance de ce qui est en bout de chaîne cognitive : une « part de Soi » en attente de réhabilitation. Or un changement de « trajectoire cognitive » est une chose, la suppression des fondements en est une autre. Ce point mérite toute l’attention du praticien.

Un Être a besoin de ses fondements comme base pour élaborer ses nouvelles perceptions, ses nouvelles pensées. Sinon, il est comme amputé d’une « part de Soi », et ses élans ultérieurs manqueront d’appuis. La confiance du praticien en son patient permet à ce dernier de ne pas craindre une disparition intempestive de ses fondations et d’accéder bien plus sereinement à ce qui constitue sa psyché. 

3.5.2    Connivence avec ce qui appelle en lui

Nous ajouterons à la confiance une certaine connivence du praticien avec ce qui appelle la conscience du patient. Tout se passe comme si une part de celui-ci appelait sa conscience pour être reconnue par celui dont elle fait partie.

Alors le praticien étend sa confiance jusque dans cette zone qui appelle, jusqu’à se trouver « quasiment en connivence » avec cette « part de Soi » qui, en quelque sorte, « lance le symptôme » comme une balise pour être trouvée, puis reconnue, afin que le sujet concerné accède à sa complétude, à son intégrité.

Il est plus commode pour le patient de rejoindre cette « part de Soi » si le praticien est déjà avec elle en connivence et « lui demande de les rejoindre », que s’il lui demande « d’y aller » en restant à distance du processus. Pour que le praticien « y soit » avec justesse, il convient qu’il « y soit » avec sérénité et bonheur, tranquillité et confiance. C’est en effet l’état de « réjouissance » du praticien qui « s’y trouve » qui donne au patient le « goût d’y aller ».

3.5.3    Son potentiel de réjouissance

La validation existentielle consiste en le bonheur qu’on éprouve à la rencontre de l’autre. Ce bonheur ne peut être feint, il ne se peut qu’authentique. Ce qui en détermine la possibilité est ce vers quoi le praticien met son attention : vers les problèmes ou vers les êtres ? Il y a trois zones de focus possible : l’Être (l’existentiel), ce qui a été éprouvé (l’émotionnel), ce qui s’est passé (l’événementiel). On pourrait même y ajouter une quatrième zone : ce qui a été pensé (l’intellectuel). Comme dans une superposition de calques, le praticien mettra toujours l’existentiel en premier plan et l’émotionnel en second… le reste derrière. Placer ainsi son focus lui permet d’éprouver naturellement une réjouissance quand le patient se révèle ou révèle une « part de Soi ». Cette réjouissance n’est pas euphorique, elle est discrète mais présente. Elle n’est pas émise comme un flux, mais elle est une émanation simple et discrète, semblable à une « effluve », une fragrance, un parfum délicat qui se dégage du praticien et produit « une atmosphère ». Elle témoigne avant tout d’une absence de gravité (mais pas d’une légèreté ou d’une dérision… car la prise en compte est totale et généreuse).

Cette validation existentielle est bien plus qu’un outil : c’est elle qui donne au patient le goût naturel de se rencontrer lui-même.

Comme nous le révèle si bien l’expérience en psychologie positive, citée à 3.3 : ceux qui ne sont choisis par personne se placent « dos au miroir » et ceux qui sont choisis par tous se placent « face au miroir ».

3.6 Son ouverture augmentée

Le praticien est censé reconnaître son erreur quand le patient la pointe. Il a l’humilité de se faire éclairer en permanence par celui-ci. Il est à la fois dans une tranquille assurance, et dans une candeur où il se fait conduire par son patient (n’oublions pas cette expression « suivre son patient »…quand c’est le patient qui doit suivre le praticien, c’est peut-être que le praticien est lui-même malade !).

3.6.1    Ouverture à toutes les approches

Un praticien ne peut maîtriser « toutes les approches » de psychothérapie. Il en connaît tout au plus quelques-unes. Il sera profitable à son patient qu’il évite de simplement les juxtaposer, mais plutôt qu’il les mette en œuvre d’une façon intégrative. De ce fait il doit jongler avec les protocoles, trouver ses justesses, opérer ses synthèses avec à la fois le respect de ces différentes approches et la liberté enrichie de sa créativité. Il en réalise alors une pratique « simple » (mais non simpliste) par sa spontanéité, et « complexe » (au sens d’Edgar Morin : complexe signifiant « tissé ensemble » et non « compliqué »).

Un praticien qui est « accroché » à une approche exclusive risque de devenir dogmatique (pour ne pas dire sectaire) et de se retrouver en cécité d’inattention, aveugle à ce qu’il y a de plus fondamental chez son patient, qui ne peut se résumer à ce que voit un praticien qui ne regarde que d’un seul point de vue. La maïeusthésie est elle-même intégrative, mais ne limite pas le fait que d’autres approches viennent ajouter à sa mise en œuvre, en fonction des connaissances disponibles chez le praticien. Cette incontournable liberté pose problème car, de ce fait, le praticien risque quelques errances, sinon même quelques erreurs.

Si, au contraire, il est confortablement calé dans un protocole bien établi, il lui suffit de vérifier s’il a respecté le protocole. Ce qui rend très aisée la tâche des superviseurs. Pourtant, sans cette liberté, le praticien risque de perdre le meilleur de lui-même et risque de n’être plus qu’une « machine thérapeutique ».*

*Par exemple, dans sa mécanique interprétative psychanalytique, le Dr Friedrich Perls qui a suivi trois psychanalyses et qui est lui-même devenu psychanalyste,  considéra un jour qu’il n’était plus qu’un « cadavre calculateur »… il s’en suivi, riche de sa liberté, qu’il créa la Gestalt thérapie (Ginger, 2005, p.57).

Quand bien même un praticien ne connaîtrait qu’une ou deux approches, il ne peut en faire « la totalité du monde » et doit, au moins, être potentiellement ouvert à d’autres possibilités. Cela le conduit à regarder avec bienveillance ceux qui utilisent d’autres « méthodes », dont les failles viennent plus du non respect de ce qui est énoncé dans cette publication que des méthodes elles-mêmes, qui sont toujours de riches considérations sur la psyché, sur l’humain, sur la société.

3.6.2    Libre des limites

La liberté par rapport aux limites méthodologiques ou conceptuelles que je viens d’évoquer doit s’étendre au-delà.

Au-delà de quoi ?: au-delà du sensoriel, vers l’expérientiel.

Le regard de la psychologie accorde une grande importance à la perception sensorielle (multifactorielle), puis à la mémorisation des perceptions qui en découlent. Qu’il en résulte du procédural (ce que l’on sait faire sans y penser), de l’événementiel (souvenirs des circonstances), de l’émotionnel (ce qui a été éprouvé)…nous sommes toujours dans la zone du sensoriel.

Est-il nécessaire (si cela a un sens) et même possible, de dépasser cette zone ? Nécessaire certainement, car c’est le cas des psychotiques et des autistes d’avoir une expérience du monde « non sensorielle » et dont ils ne peuvent rendre compte avec tout ce que tout le monde attend d’eux. C’est aussi le cas des sujets qui ont vécu une EMI (expérience de mort imminente) pour laquelle les mots et les images mentales ne peuvent rendre compte de leur expérience hors du commun.

Naturellement, tous les praticiens ne sont pas consultés par des psychotiques ou des autistes (quoi qu’il y en ait de plus en plus… reste à voir les valeurs diagnostiques ?). Cependant, ce phénomène de « l’expérience non sensorielle, mais vécue et intimement éprouvée », concerne quasiment tous les patients sans qu’ils ne soient pour autant psychotiques ou autistes.

Éprouver des choses sur lesquelles on n’a pas eu l’opportunité de mettre de mots est commun en psychothérapie, et le but de la psychothérapie est souvent (entre autres) de « pouvoir nommer ce qui n’a jamais été dit ». Mais ici, cela va bien plus loin, car il ne s’agit pas seulement de quelque chose qui n’a jamais été dit, mais de quelque chose qui n’a jamais été pensé. Pas par négligence, ni par occultation ou par refoulement, mais tout simplement parce que l’appareil psychique n’est pas en mesure de le concevoir mentalement. Cela conduit parfois des patients à tourner en rond autour de l’histoire de « papa maman », de leur « enfance », ou de « quelques traumas de la vie » qui deviennent de solides alibis à ce qu’ils éprouvent… et quel que soit le travail accompli à ce sujet, ils n’avancent pas… car ce n’est pas là que se tient le fondement. Le fondement se trouve parfois (ou souvent) dans une zone « non sensorielle » (assensorielle), purement « expérientielle », située ni dans le temps ni dans l’espace (uchortopique), mais profondément éprouvée, inconceptualisable et donc, par conséquent, ineffable.

Par exemple : impression curieuse face à l’entièreté de la vie - expérience indicible éprouvée en milieu de vie – impression d’injustesse et de quelque chose de plus important – Indéfinissable sensation de ne pas être dans la « bonne vie » - craintes ou attractions indicibles face à la mort – expérience d’étrangeté face au monde – besoin de tranquillité, mais douleur d’être seul – se sentir proche des gens mais en impossibilité de les fréquenter…

Les tentatives d’interprétation de ces phénomènes en termes de psychopathologie ne sont le plus souvent pas très heureuses ni très justes. Elles viennent altérer la qualité d’une expérience hors du commun dans laquelle le sujet se sent bien seul, acculé dans un choix impossible entre « la normalité » (soit comme tout le monde !) ou la pathologie (si tu oses être qui tu es !).

Le praticien devra si possible oser être dans cette zone assensorielle, expérientielle, ineffable, et finira par permettre des mises en mots qui ne seront que des métaphores (seul outil face à l’indicible et au non pensable), mais qui donneront au patient un sentiment d’apaisement, de reconnaissance, de non solitude.

3.6.3    Dimensions

Le positionnement du praticien consiste alors à oser être à ce niveau dimensionnel. S’il se limite aux traumas événementiels, il risque d’entraver le cheminement de son patient, de le limiter au circonstantiel, de ne pas lui permettre l’expression de l’expérientiel quand celui-ci ne se trouve pas dans des zones de son histoire bien définies.

Vers la fin de sa vie, Carl Rogers ajouta la notion de « présence » à celles « d’empathie, confiance inconditionnelle et congruence ». Et cette notion, dans la ligne du counseling où les deux membres du conseil (le patient et le praticien) sont en position d’équivalence, s’étend alors dans un « au-delà » dimensionnel bien difficile à mettre en mots, qu’il désigne ainsi :

« …notre relation se dépasse elle-même et s’intègre dans quelque chose qui la transcende… » (Rogers, 2001, p.168-169).

Bien sûr la « présence » à un niveau qui se situe « hors du temps » peut sembler une bien curieuse idée. Une expérience qui est éprouvée hors du champ événementiel aussi. L’étymologie du mot « présent » nous éclaire peut-être un peu : prae (devant) esse (être), de même que celle de « exister » : ex (extérieur) sistere (être). Des mots qui définissent implicitement un positionnement qui échappe à nos considérations intellectuelles, à nos représentations mentales. Nous trouvons là un supplément dimensionnel qui donnera sans doute à la thérapie un « supplément d’âme », dans lequel le patient pourra sortir du « ronronnement événementiel des causes » pour accéder à son expérience intime rarement (ou jamais) abordée.

Peut-être retrouvons-nous là « l’être jeté au monde » de Martin Heidegger qui se débrouille en tant que « Dasein » (être-là) à développer un « étant » (manière d’être au monde) afin de déployer  « l’être qu’il est » (être passé, présent, et futur, peut-être le Soi de Jung) en quête de complétude. Son ouvrage « Être et temps » (1986) tente de nous délivrer de tels propos à travers un langage assez complexe, tant le concept est malaisé à mettre en mots.

Le praticien doit résolument accepter d’explorer de telles « contrées » qui échappent à l’intellectualisation, mais qui sont expériencées intimement par le patient qui, lui-même, ne comprend pas ce qui lui arrive, dont pourtant il a la certitude de le vivre ! Tout praticien qui tentera de « réduire » cette expérience à quelques principes désuets auxquels il accroche sa théorisation risque de mettre le patient en déséquilibre et en distance de lui-même.

Cette notion d’expérience « assensorielle »* est bien délicate à résumer dans cet article. Elle doit cependant impérativement être prise en compte par le praticien.

*Pour plus de détails sur ce point essentiel, lire sur ce :

« Mieux comprendre la psychose » octobre 2012
« Réflexions sur l’autisme » septembre 2013
« Percevoir le monde » août 2013
« Le corps comme interlocuteur » Janvier 2013

3.7 Son attitude face aux résultats

3.7.1    Validation des phases accomplies

Quand un point signifiant a été accompli, quand une réhabilitation a été réalisée, il convient d’avoir bien reconnu cet aboutissement avant d’aborder autre chose. En effet, poursuivre sans cette reconnaissance reviendrait implicitement à dénigrer ce qui vient de se passer et à sous-entendre que « ce n’est pas si mal, mais peut mieux faire ». De ce fait ce qui a pourtant bien été réalisé s’en retrouverait amoindri, dévalorisé, invalidé, et le patient pourrait en perdre le bénéfice ou au moins se retrouver dans un moment d’inconfort.

3.7.2    La cible n’est pas le symptôme

Le fait que le symptôme initial ne soit plus là n’est pas un but, mais un moyen de vérification si la réhabilitation a bien été accomplie. Ce point délicat est malmené quand celui qui conduit la thérapie vise systématiquement l’éradication du symptôme, alors que celui-ci n’est là très souvent que pour permettre au patient de rester en lien avec ce qu’il n’a pas encore su rencontrer. Il est souvent une incontournable balise pour ne pas perdre le chemin vers Soi tant que celui-ci n’a pas été accompli. La finalité est l’accomplissement de reconnection à Soi, mais pas l’éradication du symptôme qui n’en est finalement que l’indice.

3.7.3    Liberté quant aux rendez-vous

S’il doit y en avoir un, la prise du rendez-vous suivant ne devrait pas être imposée (à chaque fois que l’approche le permet). Naturellement il existe des systèmes de thérapie qui nécessitent plusieurs séances (par exemple les TCC ou les démarches analytiques, ainsi que celles en psychologie positive). Dans ces cas, un protocole a été instauré en ce sens. Mais il est heureux qu’à chaque fois que cela est possible, le patient reste à tout moment libre de prendre ou non un rendez-vous supplémentaire. Le côté « systématique » des rendez-vous successifs font craindre « l’engagement » dans une psychothérapie et bien des personnes qui en ont besoin risquent alors de ne pas y recourir et donc de ne pas en bénéficier. Il est nécessaire de pouvoir avoir des entretiens « à la demande » et non systématisés, juste en fonction des maturations de ce qui a été vu. D’autre part, ce qui est vu en séance doit concourir à l’autonomie du patient qui doit pouvoir poursuivre son cheminement « hors cabinet ».

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4   Dérives pouvant être néfastes

Il est toujours préférable de mettre en avant ce qu’il est souhaitable de faire plutôt que d’insister sur ce qu’il ne faut pas faire. Ainsi, j’aurais préféré ne pas aborder les points négatifs, car mettre en exergue « ce qu’il ne faut pas faire » risque parfois de trop mettre l’attention dessus et de nous y plonger involontairement. Cependant, certaines « coutumes » de l’approche psychothérapique et de la psychologie sont telles, pareilles à des ancrages culturels agissant à notre insu, à des paradigmes inconscients conduisant notre pensée vers des postures « préfabriquées », qu’on ne peut faire l’économie de les mettre en conscience, de gagner en acuité à leur sujet.

Le plus souvent il s’agit plus d’un manque de précision que de données erronées.

4.1 Nuisance d’avoir une « distance professionnelle »

La notion de « distance professionnelle » ou de « distance thérapeutique » est sans doute un des grands points qui portent préjudice, tant aux praticiens qu’aux patients. Même la fameuse « neutralité bienveillante » préconisée par Freud n’a jamais signifié une « froideur distante », mais une capacité à tout entendre avec, comme le disait Freud, un « succédané d’amour » suffisant.

 « …la collaboration des patients devient un sacrifice personnel qu’il faut compenser par quelque succédané d’amour. Les efforts du médecin, son attitude de bienveillante patience doivent constituer de suffisants succédanés » (2000, p.68) 

La notion de « succédané » ne doit pas ici être entendue comme un artifice, mais simplement comme le fait que, quoiqu’authentique, il ne remplace pas ce qui jadis n’a pas été reçu.

Cette notion de distance, instaurée quasiment comme un dogme, vient sans doute du fait que la distinction entre « l’être qu’est le patient », « l’histoire de celui-ci » et « les émotions qu’il a éprouvées » n’a pas été précisée. S’il est juste de garder sa distance avec l’événementiel de la vie du patient, il ne l’est pas de mettre la moindre distance entre le praticien et le patient. Sans doute l’approche qui témoigne le mieux de cette « non distance » est l’haptonomie (initiée par Frans Veldman) qui, évoquant la notion de « tact psychique » envisage cette nécessité de se sentir « touché par le patient » et, de ce fait, clarifie sans doute ce qu’on entend par « contacts humains ».

Il ne s’agit en aucun cas d’être distant d’avec son patient, mais seulement d’en rester distinct… tout en en étant très proche. La « bonne distance » (les Canadiens disent « bonne proximité ») c’est quand il n’y en a pas et qu’il y a contact… et même que le praticien se sent touché (touché par l’être et non affecté par les faits). En fait tout dépend de « vers où il porte son attention » (vers l’être ou vers ses problèmes).

La notion de « distance » (avec celle de « refléter ») laisse le patient dans une insoutenable solitude existentielle (on voit ses problèmes, mais on ne le voit pas lui). Le plus grave est alors que les problèmes deviennent pour le sujet soigné un moyen par lequel attirer un succédané d’attention (qui laissera toujours un sentiment de fausseté et d’insatisfaction).

4.2 Nuisance de chercher à refléter

Une mauvaise compréhension de la reformulation conduit à n’en faire qu’un simple reflet « émanant de la glace » (ou un écho « surgissant du vide »). Vraiment, le patient n’a que faire de se sentir seul avec son reflet (ou sa répétition). Ce qu’il veut c’est être rencontré, reconnu, afin de pouvoir se reconnaître lui-même.

L’abandonner en situation distante (même de « bonne distance »), avec son simple reflet pour compagnie, constitue une violence inacceptable de la part d’un praticien. Cette illusion d’impartialité, cette « neutralité mal comprise », font du praticien un « observateur » face à un « objet d’expérience ». Aussi bienveillant que souhaite être le praticien, une telle posture de distance et de reflet nuit à son patient.

Naturellement la neutralité vise à ne pas induire (et ne pas juger) et le reflet à ne pas faire de projections par laquelle le praticien pourrait placer chez son patient quelque chose qui ne lui appartient pas. Noble projet ! Cependant, la froideur du reflet (pareil à celui de la glace), et le vide de l’écho (avec son vide insoutenable) induisent de la peur, de la solitude… et rendent ce qu’il trouve irrencontrable. Même quand ce reflet n’est qu’une invitation à en dire plus, il ne fait que marquer l’insatisfaction du praticien. Or chaque révélation, même partielle du patient, doit conduire le praticien à se réjouir de ce privilège qui lui est ici accordé de faire une telle rencontre (validation existentielle). Il ne s’agit pas d’un accès à plus de faits, mais d’une rencontre de plus d’être.

4.3 Nuisance  d’être en quête des dysfonctionnements

La notion de distance découle de la tendance à porter son focus sur les dysfonctionnements, sur les problèmes, sur les choses à corriger (plutôt que sur l’être qui tente de se révéler à sa propre conscience). Le praticien aura alors tendance à vouloir en libérer le patient, sans se laisser lui-même envahir par « toutes ces choses sombres »*.

*Un patient, resté blessé par une thérapie de cinq années réalisée avec un patricien qui s’appuyait sur de tels paradigmes, me dit même spontanément : « Ce praticien a sali ma vie ».

L’a priori qui consiste à rechercher les dysfonctionnements rend le praticien aveugle* au fait que, le plus souvent, un symptôme psychique n’est que la manifestation d’une tentative pertinente du sujet pour se retrouver lui-même, pour ne pas se perdre, pour assurer son intégrité et sa survie.

*Phénomène de cécité d’inattention longuement décrit dans la publication d’août 2013 « Percevoir le monde » à « les sens complexes »

Outre le fait que cela limite l’investigation du praticien, cela fait peur au patient qui se retrouve alors en situation d’explorer « tout ce qui ne va pas en lui », « les causes sordides qui en sont la source », les « moments de vie inconscients ou inavoués » qui polluent son existence. La quête des « poubelles intérieures » (pour le thérapeute éboueur) ou du mal qui nous habite (pour le praticien « exorciste ») font craindre au patient des rencontres intérieures nauséabondes ou effrayantes… et, de ce fait, ralentissent son pas (ou le font fuir à contresens).

Le problème sans doute le plus grave, en ce cas, n’est pas le ralentissement de la thérapie qui en découle (jusqu’à la rendre interminable), mais le fait que tout ce qui émerge risque d’être interprété sous un angle négatif, même ce qui est pertinence.

La souillure implicite des richesses qui habitent le patient revient à une grave pollution de ce qui est ressource en lui. Le fait de vouloir supprimer chez quelqu’un ce dont il se sert pour se retrouver (ses symptômes) revient à confisquer le « GPS »* d’une personne qui ne connaît pas sa route. Il n’en sera que plus difficile pour lui  de se rejoindre... surtout si on lui inculque discrètement que sont mauvaises toutes les indications qui, en lui, étaient justes.

*Serait-ce le « Gardien du Principe de Soi » ?

Donner plus de place au problème à résoudre qu’à l’être à reconnaître (même et surtout en prenant cet être comme allié dans la démarche) conduit à une dérive néfaste et dangereuse (le prenant alors comme allier pour s’autoanéantir).

4.4 Nuisance d’être dans la gravité

La gravité du praticien est une sorte « d’anti validation existentielle ». Le regard lourd, chargé de la pesanteur de « ce qu’il faut résoudre », de « l’étendue des dégâts à réparer » est ce qui chez le praticien retiendra le patient « d’oser aller voir en lui ce qui se passe ». Naturellement, une attitude désinvolte ne prenant pas la mesure de ce qui est éprouvé sera tout aussi néfaste.

Si le praticien est censé être dans la reconnaissance de la nature de ce qui est éprouvé et de la mesure de ce qui est éprouvé, sans l’amoindrir le moins du monde… il doit également se sentir touché par le privilège qui lui est offert de rencontrer cet être qui a vécu cela. Or « cet être qui a vécu cela » est toujours un privilège, une magnifique rencontre pour celui qui sait le distinguer de ce qui s’est passé et aussi de ce qui a été éprouvé.

Posture donc délicate sans désinvolture ni légèreté, mais aussi sans gravité. (plutôt une apesanteur qu’une légèreté). Une validation existentielle où prime la réjouissance non euphorique mais profonde, pleinement reconnaissante de l’être qui s’offre à être rencontré.

Le praticien qui mise sur la gravité engendre « la crainte d’aller voir » et retarde le processus thérapeutique. Il favorise les résistances. Naturellement le praticien qui privilégie le trouble à guérir, le dysfonctionnement à corriger, le mal à combattre, l’encombrement à éliminer, ne peut être que dans la gravité insupportable ou dans une légèreté chargée de dérision (donc de déni implicite), le plus souvent non congruente, factice… pouvant être interprétée comme une douloureuse indifférence.

4.5 Nuisance de prioriser les faits

Le praticien qui priorise ses questions sur les faits plutôt que sur les ressentis éprouvés risque d’égarer le patient. Pas seulement pour toutes les raisons énoncées ci-dessus (gravité, résoudre, absence de validation existentielle, distance), mais parce que le chemin conduisant à la part d’être à retrouver (celle qui appelle la conscience du sujet avec le symptôme) n’est que rarement (sinon jamais) accessible à partir des faits, mais seulement à partir des ressentis éprouvés.

Poser des questions, sur les faits plutôt que sur les ressentis est trop objectal, pas assez existentiel.

Ce n’est tout simplement pas la bonne trajectoire conduisant à destination… faut-il avoir précisé clairement que la destination est l’Être qui a éprouvé et non ce qui s’est passé, et que le projet n’est pas de l’apaiser, mais de le reconnaître, de l’accueillir, de lui donner toute sa place avec le vécu qui fut le sien (toute tentative de le calmer ou de l’apaiser reviendrait à le nier et interromprait le processus thérapeutique de réintégration).

4.6 Nuisance de chercher à apaiser ou résoudre

Il découle de l’accent mis sur les faits ou les émotions de vouloir en préserver le patient et de le consoler, de le calmer ou de l’apaiser par rapport à ce qu’il a vécu.

Or, vouloir consoler, apaiser ou libérer les émotions (théorie de la catharsis) revient à nier l’être dans ce qu’il a vécu. Cela heurte sans doute nos habitudes, peut-être même notre bon sens, mais il se trouve que cliniquement, la reconnaissance produit un apaisement quasi instantané, alors que la tentative d’apaisement est interminablement inefficace*.

*Comme le souligne Gregory Bateson en son École de Palo Alto : un être croit qu’en faisant plus ce qui ne marche pas il va finir par obtenir un résultat.

L’apaisement témoigne du fait qu’il y a eu reconnaissance, c’est un indice. L’apaisement ne peut être le projet car s’il est envisagé comme but, on oublie que le but réel est la validation de l’être et non sa suppression : celui qui a vécu et éprouvé quelque chose doit être rencontré et reconnu avec la nature et la dimension de ce qu’il a éprouvé, et non être effacé.

Chercher à résoudre, à apaiser, revient à penser en termes de causalité et à vouloir libérer le sujet des causes néfastes qui le perturbent. Or les symptômes sont des balises, non pas « causées » par ce qui s’est passé, mais produites spécialement pour ne pas perdre la trace de celui qui a vécu cela et n’a pas encore bénéficié de reconnaissance, de rencontre, d’intégration. Celui qui  veut supprimer ces « traces » ou ces « balises » est pareil à un « bienfaiteur » venant couper le fil d’Ariane tenu par Thésée, prétendant que cela entrave sa progression de cheminer avec ce filin, que sans lui il serait plus libre (mais en fait définitivement perdu dans le labyrinthe).

Voir la publication de juin 2011 « Symptômes »

4.7 Nuisance de vouloir vaincre les résistances

Toute interprétation des « résistances » comme étant des blocages est dangereuse. Une résistance indique simplement que nous ne prenons pas la bonne route, ou que, même si c’est la bonne route, nous ne l’empruntons pas au bon moment. Le patient ne résiste pas par insuffisance ou par erreur, mais avec pertinence quand on ne l’invite pas au bon endroit au bon moment. Il ne s’oppose pas alors aux demandes du praticien mais le guide désespérément vers plus de justesse. Le praticien qui  comprend cela ajuste son accompagnement. Celui qui invite à lâcher les résistances ne fait que « jeter de force son patient sur la mauvaise route ».

4.8 Nuisance de porter un jugement

La moindre jugement du praticien envers son patient est quasiment une faute professionnelle. Bien évidemment un jugement du type « Vous êtes un monstre, vous êtes nul » est bien rare (ou alors le praticien ne mérite pas d’exercer). Les jugements qui risquent de se produire sont plus discrets.  Par exemple, de façon plus subtile : « lâcher vos résistances » dit implicitement que le patient est « mauvais de résister » ; « il faudrait pardonner » dit implicitement que le patient est « mauvais de garder sa rancœur » ; « il faut oser votre colère ! » dit implicitement que le patient est « mauvais de ne pas se libérer ». Tout cela est aussi jugement.

Il peut y avoir jugement des actes  par rapport à des normes sociales, surtout par rapport au principe de respect d’autrui (cela cautionne même la réalité de sa douleur éprouvée)… quand les actes sont graves, l’auteur peut même devoir en répondre devant la justice. L’acte est une « chose » qui peut (ou même doit) être évaluée, l’être est un « Être » qui doit être considéré au-delà du champ des valeurs, car en tant qu’être il est par définition inestimable. C’est cette considération accordée (de façon inconditionnelle) qui lui permet d’exister, et, de ce fait, de reprendre en main ses projets et ses actes, sa propre considération d’autrui.

La notion de cet indésirable jugement du praticien va bien plus loin qu’un simple jugement envers le patient. Tout jugement à l’encontre d’un proche dont le patient se plaint est aussi très nuisible. Si le patient décrit des parents violents ou même simplement indélicats, un conjoint avec qui il y a souffrance, un enfant qui par ses actes inacceptables cause un grave tourment… le praticien qui se permet de porter un jugement envers eux, est « en train de détruire son patient au niveau de ses racines ». Que le patient s’en plaigne est une chose (il veut que l’on entende ses douleurs), que l’on juge ceux dont il se plaint en est une autre.

Qu’il n’y ait pas de jugement verbal est naturellement le minimum souhaitable, mais même en simple pensée, le jugement est perçu par le patient au niveau du non verbal qui, ne l’oublions pas, représente 93% de l’information émise*. Il en résultera soit une exacerbation sans fin, soit un blocage (résistance) jusqu’à une volte-face pour amoindrir ce que le praticien dramatise (de ce fait le patient en vient à devoir se nier lui-même pour préserver ses proches : « je devais dramatiser, en fait ce n’était pas si grave »).

*Études du Professeur Albert Merhabian

4.9 Nuisance  d’assujettir

La soumission est incompatible avec la thérapie qui, en principe, vise plutôt l’autonomie.

Nous ne trouverons pas de praticiens cherchant à aliéner leurs patients dans une quête de pouvoir personnel (ou alors on se rapprocherait de pratiques sectaires et le danger est vraiment très grand). L’assujettissement que je souhaite évoquer ici est bien plus discret et animé de très bonnes intentions.

Par exemple insister violemment pour qu’une anorexique signe son contrat de poids (sans se préoccuper de ce qui la retient de le faire), insister sur le transfert dans l’espoir d’attacher le patient à sa cure (afin qu’il ait le goût de la poursuivre), inviter à lâcher prise ou à pardonner pour s’apaiser, forcer à l’expression d’une émotion de colère pour s’en libérer, insister dans une direction que le patient ne reconnaît pas comme juste, forcer une résistance, interpréter « du haut de son savoir » en proposant quelque chose qui est éloigné du vécu du patient. Voici quelques exemples de prise de pouvoir où le praticien demande au patient de le suivre, au lieu de simplement suivre son patient.

Ce sont de graves atteintes à sa liberté, à son intégrité. Le patient doit rester qui il est, maître de sa vie, détenteur de ses ressentis et de la justesse des chemins qui s’ouvrent en lui. Le praticien qui se place à ce sujet au-dessus de son patient se tient implicitement dans une posture de pouvoir qui va altérer l’être qu’est son patient.

Quand le praticien est attaché (lui-même assujetti) à ses paradigmes, il peut aussi implicitement forcer le cheminement de son patient dans une direction prédéterminée qui ne lui correspond pas. Le praticien doit aussi savoir modestement apprendre de ses patients et, comme le dit Donald Wood Winnicott dans la dédicace qui commence son ouvrage « Jeu et réalité » :

« A mes patients qui ont payé pour m'instruire » (Winnicott, 1975,p.19)

Le fait aussi de systématiser le rendez-vous suivant est également un risque d’assujettissement du patient. Naturellement certaines approches thérapeutiques ne peuvent faire autrement pour garantir la qualité de la thérapie, comme par exemple en  TCC, en psychanalyse ou en psychologie positive (mettant l’accent sur l’apprentissage nouveau). Mais, de ce fait, sans remettre en cause ces thérapies, cela rend la situation délicate.

C’est même une des raisons pour lesquelles les êtres en souffrance psychologique rechignent à consulter. En effet, dans l’imaginaire collectif, cela revient à un engagement interminable qui risque de ne jamais aboutir. La résistance des patients à un tel risque semble plutôt saine. Ils revendiquent tout simplement de rester des êtres à part entière et ne souhaitent pas s’engager dans une éventuelle réduction existentielle.

Quand l’approche le permet, il est essentiel de laisser le patient reprendre rendez-vous de lui-même, après qu’il soit rentré chez lui, après que ce qui a été vu en séance ait accompli une maturation suffisante. À moins que le patient lui-même ne demande le rendez-vous suivant (si de son point de vue c’est mieux pour lui, il doit aussi être libre de cela), le praticien doit laisser la situation ouverte et libre.

4.10           Nuisance  d’interpréter en affirmant

Interpréter ce qu’exprime le patient est à ne pas confondre avec la reformulation. La reformulation « nomme » ce que le patient vient d’exprimer verbalement ou même seulement non verbalement. Les mots du praticien, ainsi proposés, ne sont jamais des affirmations, mais des propositions. Une reformulation sera alors énoncée sous forme d’une phrase affirmative, mais prononcée avec un ton légèrement interrogatif.

Voir la publication de novembre 2002 « Reformulation » ou celles de janvier 2012 « Non directivité et validation »

Interpréter est différent de reformuler. Cela revient plutôt à attribuer une signification selon certains paradigmes sur lesquels le praticien appuie sa réflexion. Cela risque alors fortement de s’éloigner de ce qui a été « expériencé » par le patient.

Naturellement si nous avions une interprétation selon la règle des musiciens qui interprètent la musique que l’auteur a inscrite sur la partition, les risques de dérives seraient bien moins grands. Mais l’appui sur des paradigmes préétablis ne produit pas une telle chose et nous ne voyons, le plus souvent, qu’une réécriture de l’histoire risquant d’éloigner le patient de sa réelle expérience, de qui il a été, de ce qu’il a éprouvé.

Toutefois, le praticien qui interprète ne fait que proposer son interprétation comme étant une éventualité. Dans ce cas, elle n’est pas écrasante et peut cependant susciter un nouveau regard chez le patient. Cette interprétation sera pernicieuse si elle est énoncée de façon péremptoire, dogmatique, comme le reflet de la « croyance du praticien », comme une affirmation à laquelle il faudrait adhérer. Il convient cependant de savoir que, en dépit des précautions du praticien pour éviter cela, le patient aura trop souvent tendance à idéaliser celui qu’il consulte. Il est de ce fait plus en vulnérabilité, et l’éthique impose une grande précaution à ce sujet afin de n’arracher au patient aucune adhésion à un propos qui ne lui correspondrait pas.

4.11           Nuisance  de croire à la nécessité d’une transaction financière

Il est hélas courant de croire que le patient doit débourser de l’argent pour se motiver ou pour être quitte, à propos du soin qu’il a reçu. Or un patient qui consulte (et investigue sa propre vie) accomplit déjà un grand investissement de Soi. D’autre part, au niveau de la transaction, ce que le praticien offre de présence et d’humanité est largement équilibré par ce que le patient offre de sa vie… il n’est pas en dette sur ce point.

La transaction financière est seulement justifiée par le fait que le praticien consacre du temps et que, pour rester disponible, il doive gagner sa vie. Mais peu importe que ce soit le patient ou une autre source qui le rémunère. Que le praticien soit payé par le patient ou par une institution est sans rapport avec la qualité thérapeutique.

Le fait d’attribuer à la transaction financière un quelconque rôle dans la thérapie revient à dire que ce que le patient apporte de lui au cours de celle-ci est sans valeur et doit être compensé ou motivé par de l’argent. Cela dévalorise, par principe, ses émergences de Soi et est profondément délétère.

Il ne s’agit pas ici de dire que le praticien doit travailler gratuitement, mais seulement qu’il ne doit pas attribuer à sa rémunération des valeurs thérapeutiques… que ce qu’il reçoit du patient faisant émerger sa vie est inestimable, de même que ce que lui, en tant que praticien, lui apporte de présence et d’humanité. L’argent ne rémunère que le temps passé. L’humanité investie dans le processus thérapeutique est « non achetable » par aucune monnaie.

Voir la publication d’août 2000  « Le mythe de la transaction ».  

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5   Tableau récapitulatif

Les attitudes souhaitables, au pire ne produiront rien, au mieux apporteront une efficacité thérapeutique.

Les attitudes non souhaitables, au mieux ne produiront rien, au pire produiront un effet néfaste.

 

Attitudes souhaitables

Attitudes à risque

1 -L’Attention du praticien

Prioriser l’être

Prioriser les faits

Cibler la "part d’être" qui appelle l’attention du patient grâce au symptôme (comme moyen de se retrouver)

Cibler le symptôme (comme « mal à guérir »)

2 -Champ d’investigation du praticien

Ouvrir l’investigation à un dimensionnel inattendu

Vouloir tout réduire systématiquement à la rationalité préconçue

Rester simple, ouvert aux enjeux naturels

Vouloir à tout prix rechercher des dimensions spéciales

3 -Les projets du praticien

Rechercher les justesses

Rechercher les dysfonctionnements

Chercher à rencontrer et reconnaître

Chercher à éliminer ou résoudre

Valider ce qui est éprouvé

Vouloir produire un apaisement

4 -Posture, éthique du praticien

Être distinct sans être distant

Rechercher une distance professionnelle

Ne porter aucun jugement envers les êtres

Porter le moindre jugement même en pensée envers le patient ou ses proches

Accepter de ne pas savoir

Imposer son savoir au patient

Être ouvert à toutes les approches

Ne considérer qu’une seule approche comme possiblement juste

5 –Confiance, connivence du praticien

Confiance envers le patient

Défiance envers le patient

Être en connivence avec la "part d’être" qui appelle la conscience du patient

Être en défiance avec ce qui doit être trouvé, considéré comme un problème à résoudre et non comme un être à rencontrer

6 -Outils du praticien

Poser des questions sur le ressenti

Poser des questions sur les faits

Faire rencontrer celui qui a vécu l’émotion lors de la circonstance antérieure. (contact, reconnaissance)

Faire revivre la circonstance antérieure. Conduire la patient à être à nouveau celui qu’il était (reviviscence)

Utiliser les résistances comme un guidage

Vouloir vaincre (faire lâcher) les résistances

Être dans la reconnaissance

Être dans l’interprétation

Être touché et le manifester

Ne faire que refléter

Capacité de reconnaissance (re-co-naissance)

Être dans la légèreté ou la dérision (illusion d’apaisement)

Capacité de réjouissance et de confiance (apesanteur et non légèreté)

Être dans la gravité (« mise en orbite » autour des problèmes)

7 -Le praticien en fin de séance

Valider les résultats accomplis (rencontres, reconnexions, intégrations, réhabilitations)

Poursuivre au-delà des résultats sans valider ce qui est accompli, en quête d’un « toujours plus » continuellement insatisfait

Être conscient de la « transaction » existentielle

Croire à la nécessité de la transaction financière pour rendre la thérapie efficace

Laisser le patient libre (y compris durant la séance)

Assujettir le patient (même convaincu que c’est pour son bien)

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Bibliographie

 

André, Christophe
-Etats d’âme – Odile Jacob, 2009

Feil, Naomi
-
Validation mode d’emploi- Pradel,1997

Freud Sigmund et al
-Les névroses, L’homme et ses conflits – TCHOU, 2000

Ginger, Serge
-La Gestalt, l’art du contact  - Marabout, 2005

Hippocrate
-Traité des Épidémies

Heidegger, Martin
-Être et temps – Gallimard 1986  

Jung, Carl Gustav
-Ma vie -Folio Gallimard, 1973

Rogers, Carl Ransom  
-Relation d’aide et psychothérapie  (traduit de Conselinng and psychotherapy  1942) – ESF, Paris 1996
-L’approche centrée sur la personne. Anthologie de textes présentés par Howard Kirschenbaum et Valérie Land Henserson. Trad. de Henri- Richon Georges. Editions Randin S.A. , Lausanne 2001.

Tournebise, Thierry
-Le grand livre du psychothérapeute – Eyrolles, 2011
-Communication thérapeutique – ESF
-L’art d’être communicant –Dangles 2008

Winnicott, Donald Woods
-Jeu et Réalité - (Titre original Playing and reality )- Folio essais Gallimard, 1975

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Liens internes citées

« Le mythe de la transaction » août 2000
« Reformulation » novembre 2002
« Ne pas induire de culpabilisation » novembre 2004
« Alzheimer – démence ou pertinence » décembre 2009
« Symptômes » juin 2011
« Non-directivité et validation » janvier 2012
« Mieux comprendre la psychose » octobre 2012

« Le corps comme interlocuteur » Janvier 2013
« Réflexions sur l’autisme » septembre 2013
 « Percevoir le monde » d’août 2013  

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