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Psychopathologie

Synthèses et ouvertures

avril 2008    -    © copyright Thierry TOURNEBISE

 

Note au lecteur

Ce document est différent des autres publications présentes sur ce site. Il va pointer des notions de psychopathologie qui n’y sont habituellement pas mises en avant, puisque les principes maïeusthésiques prennent des appuis différents : notions existentielles du Soi, et non notions libidinales du moi. Concernant le Soi, la maïeusthésie considère son assemblage ou son morcellement en « ce qu’on est », « ceux qu’on a été » et « ceux dont on est issu », avec des principes de pulsion de vie (non libidinale) qui assure la cohésion de la structure psychique ainsi constituée et de pulsion de survie (libidinale) qui tend à disperser (à séparer certaines parts de ce Soi et à en compenser le manque) en attendant des possibilités d’intégration.

Les lecteurs de la dernière publication « Le positionnement du praticien dans l’aide et la psychothérapie » auront peut être même l’impression de voir dans le présent document une contradiction avec l’approche des symptômes tels qu’ils y étaient présentés. En fait, il importe de parcourir de façon aussi vaste que possible (ce n’est jamais exhaustif) les différents discours sur le sujet. Comme le disait si justement René Descartes « … la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies et ne considérons pas les mêmes choses » (Le discours de la méthode, 2000, p.29). Il y a toujours une richesse à recueillir quand l’ouverture d’esprit permet de considérer plusieurs possibilités.

Ainsi, il est utile de faire se côtoyer des approches différentes, afin de mieux positionner les différents discours les uns par rapports aux autres. Une première synthése a été réalisée en ce sens dans la publication « Libido amour et autres flux » (mars 2005) où les approches psychodynamiques, psychocorporelles, cognitivo-comportementales et maïeusthésiques ont été abordées.

Ici le cheminement se fera à travers les concepts de psychopathologie habituellement utilisés en psychologie, mais pas forcément nécessaires en maïeusthésie.

 

Sommaire

1 Répertorier et organiser
Nommer- Classer

2 Concernant les causes
Psychiques ou physiques- La psychologisation sauvage – Eviter l’excès psy – Risque de l’excès somatique

3 Symptômes (sémiologie) et processus (pathogénèse) Inversion de sens – Trois types de psychopathologie – Névroses – Psychoses – Etats limites ou borderline

4 Les sources (étiologie)
Quelques étapes – Etude des sources pathogènes

5 Les excès de l’interprétation sexuelle
Problématique diagnostique –Présupposés encombrants

6 Le regard maïeusthésique
Sur la sémiologie – Sur l’étiologie – Sur la pathogenèse (ou plutôt la « sémiogénèse »)

7 Conclusion

Bibliographie

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1.      Répertorier et organiser

La première chose est de repérer, reconnaître et nommer les psychopathologies, puis de les classer. Tout cela ne s’est pas réalisé sans peine dans l’histoire de la psychologie et a même suscité quelques controverses en fonction des méthodes et des fondements utilisés.

1.1.  Nommer

Tout commence sans doute par le fait de constater qu’une situation psychologique ne correspond pas à l’équilibre (mais quel est l’équilibre ?). Il s’agit ensuite de nommer avec précision le « trouble » observé, puis s’interrogeant sur ses causes et les mécanismes qui le produisent, d’énoncer un certains nombre d’éléments le concernant. C’est ce qu’on appelle une nosologie.

Le mot nosologie  vient de nosos « maladie » et de logos « discours » (trésor des racines grecques – Bouffartigue et Delrieux- Belin1981). La nosologie se réalise en énonçant les « troubles » selon leur sémiologie (c'est-à-dire leurs symptômes, leurs signes), leur  étiologie (c'est-à-dire leurs causes), leur pathogénèse (c'est-à-dire les processus selon lesquels cette cause conduit à cette maladie).

1.2.  Classer

Une fois que tout cela est soigneusement nommé pour de nombreuses maladies ou de nombreux troubles (il est impossible d’être totalement exhaustif), nous pouvons les répertorier et  les classer dans ce qu’on appelle alors une nosographie (de nosos maladie et de graphikos qui concerne l’action d’écrire). En fait, il s’agit d’une sorte de répertoire où sont inscrits les éléments de la nosologie. Pourtant, les mots nosologie et nosographie sont hélas souvent employés l’un pour l’autre, alors qu’ils n’ont pas du tout le même sens.

Nosologie : branche de la médecine qui s’occupe d’attribuer un nom aux maladies. Nosographie : distribution méthodique dans laquelle les maladies sont classées par classe, ordres, genres et espèces (Dictionnaire de psychologie, Doron et Parot, PUF,1991).

La nosographie fut inventée en 1798 par l’aliéniste Philippe Pinel  (Cours de psychologie2, Dunod, p.249) a qui nous devons d’avoir remplacé le terme « fou » (fol signifiant « soufflet vide ») par « aliéné ». Le terme « aliéné » est en fait beaucoup plus judicieux et respectueux des personnes souffrant de troubles psychiques. Celles-ci ne sont plus « vides » mais seulement « devenues étrangères à elles-mêmes » (du latin alienare signifiant « rendre autre », « rendre étranger »). Il revient à Philippe Pinel d’avoir réalisé cette importante distinction, même si, ultérieurement, le mot « aliéné » a acquis une consonance très péjorative. Il préconisait des soins par des paroles encourageantes, plutôt que par des saignées inutiles et affaiblissantes. Il fit en sorte que les « fous » ne soient plus enchaînés dans leurs cellules.

Bien plus tard, Huber (1987- cité dans ibid p.250) nous dit que le but de la nosographie est de fournir des renseignements sur la nature, sur l’origine et sur le développement des troubles, dans le projet de formuler des indications thérapeutiques. La tâche n’est pas aisée !

Vous avez sans doute déjà réalisé des répertoires. Par exemple celui de la liste des personnes que vous connaissez pour pouvoir retrouver facilement leur adresse ou leur numéro de téléphone. Vous rencontrez alors déjà une petite difficulté. Choisirez-vous de les classer par l’ordre alphabétique de leurs noms ou par celui de leurs prénoms ? Il ne vous viendrait pas à l’idée de les classer par lieux d’habitation, ni par ordre des numéros de téléphone… cela vous serait de peu d’utilité (sauf si par exemple vous voyez s’afficher un numéro sur votre téléphone et souhaitez savoir qui vous appelle… c’est pourquoi il existe des annuaires inversés). Même pour un simple répertoire, il s’agit déjà de faire des choix, en fonction de l’usage qu’on en aura.

Pour les maladies décrites par la nosologie, le problème est évidemment bien plus complexe. Choisirons-nous de les classer par sémiologie (types de symptômes), par étiologie (types de causes), par pathogénèse (types de processus menant de la cause à la maladie), ou par localisation d’organes concernés (ce qui peut revenir à la sémiologie, mais pas forcément, car une douleur ou une manifestation dans une partie du corps, peut indiquer un trouble dans une autre).

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2.      Concernant les causes

2.1.  Psychiques ou physiques

Les troubles sont plutôt classés selon leur sémiologie afin de constituer une nosographie. Mais séparer les troubles physiques et les troubles psychiques revient déjà un peu à présupposer la cause (étiologie) des symptômes constatés ! En fait quel est le vrai critère de classement ?

De plus, s’il importe de savoir décrire et nommer un trouble, il importe encore plus de savoir le traiter, car c’est finalement le but, comme nous le précise Hubert. Pour guérir un patient ou au moins le soulager, il convient donc, non seulement de nommer et classer les psychopathologies repérées selon des symptômes (sémiologie), mais aussi d’en connaître les sources (étiologie) et de savoir comment y remédier (comprendre la pathogénèse).

Concernant les causes (étiologie) nous pouvons donc envisager au moins deux possibilités : soit elles sont d’origine psychique, soit elles sont d’origine physique… mais sans exclure que les deux puissent être mêlées. Quand il s’agit de classer, on s’aperçoit vite que « tout ne rentre pas dans les cases prévues » !

Nous noterons que cette distinction est assez fondamentale : si l’origine est physique,  le trouble est du ressort du médecin, si elle est psychique, le trouble est du ressort du psychothérapeute. Il ne s’agit donc pas du même praticien. Si elle procède des deux causes, les deux types de praticiens devront unir leurs compétences.

Hélas,  le côté psychologique des maladies somatiques, tant dans la genèse de la maladie que dans sa guérison a trop souvent été négligée.  Il en va de même pour les conséquences psychiques d’une maladie somatique : il est plus « facile » (même si ce n’est pas si facile que ça) à un médecin de diagnostiquer un cancer et de le traiter, que d’en gérer les répercussions psychologies dans la vie de son patient.

Grâce à la psychanalyse, le côté psychologique de certaines maladies a de plus en plus été considéré, et le concept de maladies psychosomatiques est apparu comme une évidence avec les anciennes recherches sur l’hystérie de Charcot et de Freud (manifestations physiques, où l’on trouve une source psychique ayant des répercussions corporelles).  Guy Besançon, professeur de psychiatrie et de psychologie médicale, n'hésite pas à parler de « langage du corps »:

Le corps va s'exprimer d'autant plus en psychopathologie que le langage de la souffrance psychique sera réduit. (2005p.59)

2.2.  La « psychologisation sauvage »

A notre époque, cette psychologisation a eu tendance à prendre de plus en plus de place au point même que, quand ils ne savent pas de quoi il s’agit, un soignant ou un médecin étaient  tentés de dire « c’est dans la tête ». Le côté « psy » devint ainsi une sorte de « fourre tout » inacceptable. D’autant que certaines pathologies authentiquement physiques risquaient alors de ne pas être considérées avec justesse.

Je pense ici à une personne que j’ai eu en formation, qui dans son adolescence avait été longtemps suivie par un praticien en psychothérapie… sans succès… jusqu’à ce qu’on lui découvre une tumeur au cerveau qui, une fois opérée, libéra des symptômes initialement rebelles. Elle en a gardé (à juste titre) quelque rébellion contre les psys. Une autre personne,  une femme qui arrive en maternité, est diagnostiquée « mère vomisseuse » (sorte d’anorexie de la femme enceinte, suspectée de rejeter sa grossesse) et se trouve engagée dans un protocole psy assez lourd (dont isolement) alors qu’on lui trouve plus tard une hernie hiatale (source somatique de ses vomissements).

Dans des versions plus light nous remarquerons que, le manque de calcium rend nerveux, le manque de magnésium  rend vulnérable au stress, le manque de fer rend dépressif, les modifications hormonales peuvent aussi radicalement faire changer l’humeur… etc.

2.3.  Eviter l’excès psy

Face à cette problématique, les américains ont souhaité créer en psychiatrie une nosologie a-théorique, ne présupposant pas de la source pathogène. Ils choisirent ainsi de laisser libre  la découverte de la source des symptômes, que celle-ci soit d’origine psy ou d’origine physique. Ils réalisèrent alors le DSM (Diagnostic and Statistical Manual ou en français Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) répertoriant soigneusement les symptômes  de façon à pouvoir faire un diagnostic sur lequel tous les praticiens de tous les pays pourraient se mettre d’accord. Après plusieurs versions successives, le document actuel est le DSM IV.

Par exemple, ce que la psychanalyse nommait « névrose obsessionnelle » devient ainsi « trouble obsessionnel », le mot trouble laissant le champ plus libre que le mot névrose quand à l’éventualité de la cause du symptôme obsessionnel. L’autisme devient lui  « trouble envahissant du développement ». De leur côté les membres de l’OMS firent de même avec le CIM pour l’ensemble des pathologies (CIM = Classification statistique Internationale des Maladies et des problèmes de santé connexes) Dans le CIM, au chapitre V (troubles mentaux et du comportement), les rubriques de F00 à F99 concernent les maladies mentales (Le CIM est consultable sur  le site de l’université de Rennes http://www.med.univ-rennes1.fr/noment/cim10/ )

Nous remarquons donc que l’idée de classer les maladies selon leur étiologie (leur cause) est ici abandonnée, ainsi que celle de les classer selon leur pathogénèse (processus menant de la cause au symptôme). Le choix retenu est de les classer essentiellement selon leurs manifestations, c'est-à-dire selon leur sémiologie, dans un but purement diagnostique.

Le projet louable de laisser le champ libre à la possibilité de causes autant psychologiques que physiologiques se trouve cependant un peu assombrit par le fait que l’a-théorisme annoncé est rapidement suspecté de vouloir « dépsychologiser » les psychopathologies (amenant juste une théorie différente ne faisant que s’opposer aux présuppositions initiales). Catherine Chabert, professeur de psychologie clinique et de psychopathologie, dans son traité de psychopathologie de l’adulte « Névroses » (Dunod 2008)  dénonce  une  classification 

« …au nom d’un a-théorisme aussi discuté que discutable » (p83). « Mais il semble dommageable, par exemple de n’envisager le lien entre le sujet et son environnement que sous l’angle de la transmission génétique, comme le proposent les tenants du DSM » (ibid p.164). « Dans le DSM, et plus particulièrement, en ce qui concerne la définition du trouble obsessionnel compulsif, toute référence à l’inconscient, au conflit interne et à la sexualité a disparu » (ibid p.161).

Cet « a-théorisme » risque de masquer une tendance à soutenir  de façon détournée une théorie conduisant progressivement à abandonner les anciennes considérations de Freud, Jung, Winnicott, Jaspers, sans compter  Wilhem Reich ou Gerda Boysen dans le domaine psychocorporel. Rebaptiser les psychopathologies « troubles » risque ainsi de conduire à abandonner progressivement les soins aux mains des praticiens en thérapies cognitivo-comportementales, ou aux seuls remèdes médicamenteux.

Ces risques de dérives ne doivent pas empêcher de donner toute  leur place aux TCC (thérapies cognotivo-comportementales) ou aux médicaments psychotropes. Il convient simplement de ne pas leur donner toute « la » place, et juste de leur donner « leur » place. L’ensemble des approches disponibles sont, le plus souvent, complémentaires et ne doivent pas s’exclurent les unes les autres. L’a-théorisme devrait permettre que les diverses possibilités de psychothérapie soient toutes aussi présentes les unes que les autres.

Nous remarquons en plus que, malgré la volonté a-théorique, l’emploi du mot « trouble » induit l’idée qu’il s’agit d’un trouble et n’envisage pas qu’il puisse aussi s’agir d’un éclaircissement. En effet, une personne peut avoir une manifestation psychologique déplaisante telle qu’une phobie, lui permettant de reprendre contact avec une part d’elle-même ayant un jour vécu une peur jamais reconnue. Dans ce cas l’appellation « trouble » est mal venue pour une «  manifestation » qui conduit vers un éclaircissement.

Afin d’être vraiment a-théorique et de laisser le champ ouvert à toutes les possibilités, la terminologie « manifestation » aurait été plus judicieuse. De « névrose obsessionnelle » nous serions passés à « manifestation obsessionnelle » plutôt que « trouble obsessionnel ». Si l’avantage du mot « trouble » est d’inclure aussi bien les causes psychiques que les causes physiques (on élargit donc le champ des possibilités étiologiques), de la même façon le mot « manifestation » inclut les possibilités que l’étiologie soit un trouble, aussi bien qu’elle soit  un éclaircissement (nouvel élargissement et meilleur ajustement a-théorique)

Puis, devant « tout » le savoir disponible en la matière, nous resterons humble… très humble ! Une fois que « tout » est étudié et classé, nous apprécierons le propos du Dr John Preston (docteur en psychologie) qui nous explique le désarroi auquel il a été confronté, après toutes ces années d’université, face à ses premiers patients : « Qu’est-ce que je fais maintenant ? » Il en a même fait le titre du premier chapitre de son ouvrage « Manuel de psychothérapie brève intégrative » (Dunod Inter Edition 2003). En effet, en matière de psychothérapie, le patient a besoin d’un accompagnement et non d’un savant discours diagnostique, aussi juste et étoffé soit-il.

Rester ouvert à toutes les possibilités est une grande qualité… à condition qu’on soit vraiment ouvert à toutes les possibilités et surtout qu’au final, on soit réellement en capacité d’aider la personne en souffrance psychique

2.4.  Risque de l’excès somatique

La tendance est de prendre en compte les éléments purement biologiques pour l’approche et le traitement des maladies pouvant incontestablement être considérées comme « purement physique ». Mais les composantes du trouble sont tellement intriquées que l’approche purement physiologique peut nous égarer, même là où elles sont aussi incontournables que dans le cancer.

Barbara Andersen (Journal of Clinical Oncology 2004), professeur de psychologie au Centre d’étude du cancer de l’université de l’état de l’Ohio a réalisé une étude montrant que des sujets cancéreux suivant une psychothérapie, par rapport à un groupe témoin qui n’en suit pas (bien sûr tous deux traités médicalement) montrent une plus grande production  de lymphocyte T permettant de se défendre contre les cellules cancéreuse.

Attention danger : gardons nous bien de croire qu’une psychothérapie pourrait se substituer à un traitement physique en pareil cas ! (ce serait prendre de bien grands risques) Mais gardons nous aussi de négliger la composante psychologique qui fait partie d’une intrication des sources pathogènes, comme d’une intrication des sources thérapeutiques, et qui doivent toutes être considérées sans en exclure aucune. 

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3.      Symptômes (sémiologie)
et processus (pathogénèse)

Le classement des maladies, théoriquement souhaitable, peut être rendu bien délicat par une connaissance un peu aléatoire de l’étiologie (sources pathogènes) et de la pathogénèse (processus pathogènes). Ces considérations dépendent des théories utilisées et restent donc un peu dans le flou. Ainsi, les classements reviennent plutôt à des classements de symptômes (sémiologie) ou de syndromes (ensemble de symptômes). Il se peut même qu’il s’agisse parfois plus d’une simple nomenclature que d’un réel classement, d’où quelques confusions ou contradictions sur ce propos. Nous tenterons ci-après de dégager quelques principes éclairants.

3.1.  Inversion de sens

Les sens des mots "névrose" et "psychose" ont évolué  avec le temps au point de pratiquement interchanger leurs sens.

« Névrose » (inventé par le médecin écossais William Cullen en 1769 ) définit en principe ce qui vient des nerfs. « Psychose » (introduit par le baron Ernst Freiher von Feusterleben en 1845) définit ce qui vient de la psyché. L’origine est donc identifiée comme pouvant être soit d’ordre physique (nerfs), soit d’ordre psychique (esprit).

A partir de 1893, Freud récupèra le mot névrose  pour désigner les troubles psychiques. A ce jour, les  psychoses (signifiant « maladie de la psyché ») sont souvent traitées de façon psychiatrique avec des médicaments appropriés, et sont donc considérées comme un dérèglement physiologique à corriger, alors que les névroses (signifiant « maladie des nerfs ») sont plus justiciables d’une intervention non médicamenteuse psychothérapique (que celle-ci soit de type analytique, cognitivo-comportementale,  psychocorporelle ou familiale systémique).

3.2.  Trois types de psychopathologie

On peut distinguer trois types de psychopathologie : les névroses, les psychoses et les états limites (ou borderline). Selon Catherine Chabert  (Traité de psychopathologie de l’adulte Les névroses, Dunod 2008, p 379-380) nous trouvons ces trois types de psychopathologie en corrélation  avec trois types de rapports à la réalité (trois façons de gérer le monde intérieur par rapport au monde extérieur). Sans toutefois en décrire la source (étiologie), nous remarquerons ainsi trois façons d’aborder le monde, trois processus (pathogénèse) :

Névroses : La réalité intérieure vient compenser la réalité extérieure quand celle-ci n’est pas gérable. Le névrotique ajuste sa perception extérieure en fonction de ses perceptions intérieures. Marqué par une circonstance, par un vécu douloureux, cela induira ultérieurement, pour lui, une sensation de souffrance dans des situations analogues qu’il devra compenser. La perception intérieure prime sur la réalité extérieure qui, quoique dénaturée, existe toujours comme étant extérieure.

Psychoses : La réalité intérieure vient remplacer la réalité extérieure, qui alors disparaît au profit de ce qu’on croit percevoir (de type hallucination). Le monde extérieur n’est pas perçu réellement. Il s’y substitue une projection extérieure des réalités intérieures. L’individu ne franchit pas le pas vers la réalité extérieure. Il prend ce qui est intérieur pour ce qui est extérieur.

Etats limites : La réalité extérieure vient compenser l’absence de réalité intérieure. Nous trouvons ici l’inverse du processus observé dans la psychose. La sensation de vide intérieur étant insupportable, le sujet vient la remplir par le monde extérieur. N’ayant pas d’existence intérieure, il éprouve un vide qu’il va tenter de « combler » par les stimulations extérieures. Nous trouverons là par exemple les vulnérabilités à l’addiction.

Cette description en fonction des rapports de l’intérieur et de l’extérieur a le mérite d’être concise et assez claire. Néanmoins, si nous abordons les sources (étiologie) la situation se complique, comme nous allons le voir dans ce qui suit.

3.3.  Névroses

Dans les structures névrotiques, l’instance dominante est le surmoi qui se trouve en conflit avec le ça (Cours de psychologie2, Dunod, p245). Plus simplement nous dirons que les pulsions libidinales, venant du ça, ne trouvent pas la possibilité de se réaliser avec le moi à qui il revient de gérer le rapport monde-intérieur / monde-extérieur. Le moi est entravé par le surmoi qui lui impose sa logique limitatrice compte tenu des modèles antérieurs rencontrés.

Le moi est ce qui assure l’existence de l’individu par rapport à l’environnement. Cependant, le surmoi en limite l’expression. Dans les névroses, le monde intérieur pulsionnel du ça est trop puissant pour permettre au moi un ajustement satisfaisant avec le monde extérieur, d’autant moins que le surmoi limite les possibilités du moi

L’individu doit trouver d’autres chemins pour assurer son équilibre. Cela le conduit à réaliser des refoulements, des étayages compensatoires ou des symptômes pour dissimuler tout cela. En psychanalyse, le symptôme névrotique est vu comme un moyen de dissimuler le refoulement : 

« Les symptômes sont des défenses du moi contre le retour des représentations refoulées, leur apparition se fait selon un déroulement temporel spécifique dans la névrose obsessionnelle » (Chabert, Dunod 2008, p.179) 

Même en considérant quatre temps d’évolution du symptôme, il est considéré ici comme protection ou défenses (ibid p180). Cela est le contraire de la maïeusthésie où le symptôme est considéré comme une « porte » ou comme une « interpellation » conduisant vers une part de l’individu ayant besoin de reconnaissance et de réhabilitation. Nous verrons, à la fin de cet article, comment concilier ces différences majeures.

3.4.  Psychoses

Dans les structures psychotiques, l’instance dominante est le ça, qui se trouve directement en conflit avec la réalité (Cours de psychologie2, Dunod, p245). Plus simplement nous dirons que le moi n’arrive pas à se constituer pour gérer la situation (comme il le fait, même entravé par le surmoi, dans la névrose). L’absence de moi constitué, fait qu’il n’y a pas suffisamment de différenciation entre le « monde intérieur » et le « monde extérieur ». Ce qui habite le sujet est alors vu par lui comme étant « au dehors ». Ce « dedans » vu comme étant « au dehors » fait que la réalité perçue  ne correspond plus à la réalité effective (néanmoins, la notion de « réalité effective » mériterait de très nombreuses précisions, car qu’est-ce que la « réalité » quand personne ne la regarde ?).

Dans son Manuel de psychologie médicale Ernst Freiher von Feusterleben (cité in Cours de psychologie2- Dunod,  p 252) utilise le terme psychose pour désigner une « manifestation psychique de la maladie mentale » et celui de névrose pour désigner une « altération du système nerveux » pouvant provoquer ces mêmes manifestations. Comme nous l’avons vu plus haut la psychose est un terme qui désigne plutôt aujourd’hui des affections plus profondes que les névroses et dont les sources sont le plus souvent justiciables d’un recentrage médicamenteux (neuroleptiques) appartenant au monde médical de la psychiatrie, et dont on pourrait déduire que les causes (étiologie) sont plus d’ordre physiologique ou biologique. Cela n’en exclut pas pour autant la psychothérapie comme le souligne Jean-Pierre Charrier dans son excellent ouvrage Guérir après Freud (Dunod, Paris 2003) traitant de la psychothérapie des cas de psychoses.  

Pour résumer, la psychose se définit comme une altération du sens de la réalité avec inconscience de cette altération. Le psychotique ne se rend pas vraiment compte de son trouble.

3.5.  Etat limite ou borderline

Marcelli en 1981, Bergert en 1985 classent sous cette appellation tout ce qui n’est ni psychose, ni névrose (ces notions sont donc assez récentes). Il ne s’agit pas pour autant d’un état de transition entre les deux, mais plus exactement de types de personnalité (Manuel de psychopathologie psychanalytique Patrick Juignet - PUG, p.181). De tels patients ont des personnalités se situant dans la sphère du « normal », mais présentant des caractéristiques psychologiques se rapprochant de celles rencontrés chez des malades.

Nous trouverons souvent ici des dénominations pathologiques habituelles mais transformées avec des terminaisons en « ide » : schizophrène donne « de type schizoïde »,  paranoïaque donne « de type paranoïde », nous avons aussi « schizo-paranoïde »… De tels patients ne sont pas psychotiques, mais « état limite » ou, en anglais,  « borderline ».

Les caractéristiques en sont une adaptation sociale difficile, une vulnérabilité au sentiment d’abandon, un rapport à la réalité très instable, des tendances violentes ou dépressives face à la frustration, une fragilité conduisant aux tendances addictives… etc. Le moi est peu structuré et le monde extérieur vient compenser le vide intérieur.

Il s’agit de personnes en souffrance mais ne rentrant pas dans le champ des dénominations névrotiques ou psychotiques. De nombreux types de personnalité s’y rencontrent, si bien que cela concerne de nombreux comportements sociaux

Pour Patrick Juignet (ibid, p191), dans l’état borderline, le rapport à la réalité est très vacillant et le « Soi » peu structuré (nous pointerons cependant que pour Juignet, le Soi est une sorte de « Moi bis » et n’est en aucun cas le Soi de Jung, dont la valeur est plus existentielle que libidinale). Il considère que l’état borderline représente des personnalités qui sont  intermédiaires avec les différentes formes de psychose, que l’état borderline s’apaise avec l’âge, mais va souvent s’aggraver en milieu de vie, période où un individu se trouve confronté à plus de responsabilités (ibid p.185)

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4.      Les sources (étiologie)

4.1.  Quelques étapes

Philippe Pinel, aliéniste français né à Castres (1745) est en quelque sorte le père de la psychopathologie moderne. Comme nous l’avons vu, il remplace le terme de « folie » (fol = soufflet vide) par celui « d’aliénation mentale » (aliéné= étranger à soi même). Ce changement est particulièrement judicieux. Il fait en sorte que les malades mentaux ne soient plus enchaînés et participe ainsi à l’humanisation de leurs traitements. Il crée la psychiatrie, où à son époque le praticien se nomme « aliéniste ». Il donne un classement des maladies et penche pour un « traitement moral de la folie » : il estime qu’en immergeant le patient dans un environnement de rationalité celle-ci pénètrera le malade, qui ainsi sera guéri. Son approche a eu le mérite de mieux considérer le malade et d’humaniser son traitement… tout en imposant ce qui est estimé comme « rationalité » par l’entourage. Malgré la volonté d’humanisation, ce dernier point est discutable. Au fond, saurions nous dire ce qu’est la « vraie » rationalité ? Serban Ionescu (professeur à Paris 8) nous invite, très justement, à remarquer que: 

« Le fou est celui qui se comporte comme sont sensés se comporter les fous » (Cours de psychologie 2 base méthode et épistémologie -R . Ghiglione et JF. Richard - Dunod 1994 Paris, p.243)

Plus tard, pendant que Freud (1856-1939) réalise son approche psychodynamique fondée sur ses deux topiques (inconscient, préconscient et conscient – ça, moi et surmoi) et sur la libido, Emil Kreapelin (1856-1926) bâtit minutieusement une nosographie inspirée des approches botanistes répertoriant les plantes. Le parallèle entre son approche nosographique et les botanistes est même souligné avec humour par Jean-Pierre Charrier  disant de Kreapelin qu’il est 

« …sans aucun doute le plus grand botaniste des fleurs du mal psychique… » (Guérir après Freud, Dunod 2003, p.29) 

« Emil Kraepelin a établit une classification systématique des maladies mentales en fonction de leur étiologie » (de leurs causes) (Dictionnaire Usuel de psychologie, Norbert Sillamy,  Bordas1993)

Kreapelin remplace le terme « aliénation » par «  maladie mentale » contre l’avis d’un de ses confrères contemporains Karl Jaspers (1883-1969) qui, dans sa « psychopathologie générale » de 1913,  « distinguait deux plans d’analyse et d’action possibles : les éléments qui relèvent du sujet et de son expérience que le clinicien approchera avec empathie (Einfühlung) dans une psychothérapie, et ceux qui relèvent de l’organicité qui devraient être traités à leur niveau » (Guérir après Freud, Dunod, p.28). Karl Jaspers a une approche particulièrement respectueuse et existentielle dans laquelle le malade est considéré comme un individu dont l’esprit est toujours présent : 

« Dans la vie psychique malade comme dans la vie saine, l’esprit est présent » (Karl Jaspers Psychopathologie générale PUF, les introuvables 2000, p274)

4.2.  Etude des sources pathogènes (étiologie)

Les sources pathogènes (étiologie) peuvent être d’origine sociale ou familiale (sociogenèse), d’origine psychologique (psychogénèse) ou d’origine organique (organogénèse ou biogénèse). Les deux premières causes relèvent de la psychothérapie, la troisième relève de la médecine psychiatrique. Je vous propose de parcourir en quelques lignes les façons d’aborder le sujet de quelques praticiens célèbres en psychiatrie ou en psychologie.

Philippe Pinel (1745-1826) considérait que le malade était devenu étranger à lui-même, du fait de causes morales. La sexualité par excès ou par défaut lui apparaissait déjà comme une cause pathogène.

Emli Kraepelin (1856-1926) considérait deux sources : l’une exogène, l’autre endogène. Les causes exogènes viennent des évènements de la vie. Les causes endogènes concernent des modifications de la personne psychique, liées à des facteurs héréditaires. Il considère aussi que le trouble mental peut résulter d’une prédisposition endogène rencontrant une circonstance extérieure à laquelle elle s’associe pour constituer le trouble.

Sigmun Freud (1856-1939), contemporain de Kraepelin, s’est orienté définitivement vers le « Tout Sexuel ». Certes, Pinel avait déjà remarqué l’importance de la sexualité, mais Freud en a fait sa base fondamentale, pour ne pas dire universelle Ceci est cependant à resituer dans le contexte pudibond et frustré de l’époque dans laquelle il a eu le mérite d’oser aborder ce sujet, tabou par excellence. Sa théorie psychodynamique l’a conduit à réaliser une psychopathologie détaillée. Au cours de l’évolution d’un individu Freud considère différents stades  et tout se joue en fonction de l’évolution ou de la régression à ces différentes étapes. L’essentiel tient dans le fait que la libido est, soit tournée vers le sujet lui-même (libido narcissique) soit vers l’autre considéré comme objet (libido objectale). Nous trouverons cependant une nuance venant adoucir l’idée « d’autre comme objet » en différenciant d’une part « la représentation de l’autre » qui est l’objet  et d’autre part « l’autre lui même », qui est considéré comme « référent objectal » (Manuel de psychopathologie psychanalytique Patrick Juignet, PUG 2001) Nous noterons néanmoins le peu d’humanité dans le fait que la libido aille, soit vers le sujet lui-même dans les phases narcissiques, soit vers la représentation que le sujet a de l’autre dans les phases objectales… car finalement « l’autre réel » reste étranger. Cela ressemble pourtant bien à de nombreux rapports humains !

Croyant au début à la réalité des événements traumatiques évoqués en cure psychanalytique par ses patients, il finit (enfin) par les remettre en cause en tant que réalité objective: 

« …,la scène de séduction, considérée jusque là comme le type du traumatisme psychique, n’est pas un événement réellement advenu ; il est, en fait la production d’un fantasme déterminé par l’activité sexuelle infantile » (Catherine Chabert - Traité de psychopathologie de l’adulte Névroses, Dunod, 2008, p.380), puis citant Freud : « il est donc nécessaire de tenir compte, à côté de la réalité pratique, d’une réalité psychique ». 

Naturellement pour Freud cette réalité psychique est avant tout sexuelle et c’est un a priori bien encombrant, comme nous le verrons plus loin. Mais cette découverte du fait qu’il ne s’agit pas forcément de rechercher des circonstances réelles est un élément intéressant, évitant de rechercher des coupables ou des fautifs dans son histoire personnelle.  Sur d'autres époques que l'enfance, Guy Besançon, nous fait remarquer aujourd'hui que

«On accorde depuis quelques années une influence importante aux évènements tels qu'une rupture ou un deuil dans le déclanchement ou l'évolution d'un certain nombre d'états pathologiques somatiques ou psychiques» (2005, p.22). Même s'il est indéniable que de tels évènements jouent un rôle, il fait également le constat du risque qui consisterait à trop systématiser la recherche de circonstances objectives : «Il est important de distinguer ce qui est manifestement inopiné, accidentel, en rupture avec l'histoire du sujet, de ce qui, au contraire, s'incère dans sa trame existentielle. C'est à ce moment qu'il conviendra d'apprécier la personnalité de base du sujet, sa façon d'être au monde, son organisation caractérielle.» (ibid). Ses raisons sont différentes de celles de Freud, mais il invite à la même prudence en ce qui concerne le fait de considérer les circonstances comme source du trouble. 

Nous verrons effectivement dans la dernière partie de la présente publication que ce n'est pas l'évènement que nous sommes sensés retrouver, mais plutôt celui qui l'a vécu. Nous trouverons une remarque analogue (ci-après) chez Jaspers quand il parle des réactions psychiques

Karl Jaspers (1883-1969) reprend cette idée des deux sources avec les notions « d’exogène » et « d’endogène ». Cependant, il introduit des précisions nouvelles en considérant comme « exogène » (par rapport à la psyché) non seulement les circonstances extérieures, mais aussi l’état du corps et même celui du cerveau. Cette source exogène venant du corps sera précisée sous l’appellation de somatogène. Les sources « endogènes », quant à elles, seront constituées par les jaillissements intérieurs sans causes, tels que la mauvaise humeur (processus autochtone), mais aussi par les réactions psychiques produites par des circonstances extérieures mais dont les fondements viennent plus de ce qui habite le sujet que de la circonstance externe (réactions) (Karl Jaspers Psychopathologie générale PUF, les introuvables 2000, p327)

Nous remarquons que Jaspers ne donne pas tout à fait le même sens à « endogène » et « exogène » que Kreapelin

NB Les psychopathologies rédigées par Kraepelin et Jaspers sont des références en la matière. Celle de Kraepelin a même servi de base pour l’édification du DSM

Carl Gustav Jung (1875-1961) introduit une notion nouvelle : celle du Soi. A la deuxième topique freudienne (ça, moi, surmoi) il ajoute cette notion de « Soi en accomplissement ». J’ai consacré une publication au sujet des nuances entre « le ça, le moi, le surmoi et le Soi » (novembre 2005) tant il m’a semblé que ces notions étaient trop souvent embrouillées. Ainsi, quand Patrick Juignet parle du Soi, il ne nomme en fait qu’une sorte de « moi bis ». Souvent, le terme anglais self qui signifie Soi est improprement traduit par « moi » (le moi, en réalité se dit the ego en anglais). Nous avons aussi das Es, en allemand, qui signifie « le ça » et qui est souvent improprement traduit par « le Soi » alors que le Soi en allemand se dit das Selbst (ou aussi Dasein qui signifie « Être là »). Cette notion du Soi est loin d’être accessoire car elle amène une logique étiologique et psychothérapeutique complètement différente, passant d’un concept libidinal à un concept existentiel. Selon Jung, dans son ouvrage Ma vie (Folio - Gallimard 1973) 

« le Soi est une entité sur-ordonnée  au Moi. Le Soi embrasse non seulement la psyché consciente, mais aussi la psyché inconsciente et constitue de ce fait pour ainsi dire une personnalité plus ample, que nous sommes aussi. » (p.462) 
« Je constate continuellement que le processus d’individuation est confondu avec la prise de conscience du Moi et que par conséquent celui-ci est identifié au Soi, d’où il résulte une désespérante confusion de concepts. Car, dès lors, l’individuation ne serait plus qu’égocentrisme ou auto érotisme » (p.457).  

Il en résulte une vision totalement différente des enjeux pathologiques et thérapeutiques, dont on comprend aisément qu’ils puissent peiner à être cernés par des praticiens dont le décodage libidinal est une sorte de règle première dans laquelle tout doit rentrer de gré ou de force. Il en sera de même pour les praticiens ayant adopté un parti pris physiologique. Nous trouvons dans ce concept du Soi une continuité avec les propos de Karl Jaspers cités plus haut « Dans la vie psychique malade comme dans la vie saine, l’esprit est présent »

Donald Wood Winnicott (1896-1971) propose, lui aussi, une version intéressante des mondes intérieurs et extérieurs, avec, entre les deux, un espace transitionnel. L’individu a un pouvoir sur son monde intérieur, mais pas forcément sur le monde extérieur. La zone transitionnelle est celle qui n’est pas en lui, mais sur laquelle il peut néanmoins agir. Ainsi, un enfant qui ne peut guère intervenir sur le monde extérieur, pourra faire ce qu’il veut avec son nounours, qui n’est pas lui, mais qui n’est pas non plus tout à fait dans le monde extérieur. Le nounours (ou autre objet de ce type) est dans cet espace transitionnel et c’est pour cela que Winnicott le nomme « objet transitionnel ».

Ce qui est particulièrement intéressant chez Winnicott, c’est sa prudence quant à l’interprétation et aussi le fait qu’il a remarqué l’importance du regard de la mère envers l’enfant, tout en le désexualisant.

Je cite ici ce praticien remarquable de sensibilité et d’humanité, particulièrement pour sa prudence face aux nosographies qui peuvent parfois plus nuire que servir : 

« Je suis consterné quand je pense aux changements profonds que j’ai empêchés ou retardés chez des patients appartenant à une certaine catégorie nosographique par mon besoin personnel d’interpréter. […] C’est le patient et le patient seul qui détient les réponses » (Winnicott, jeu et réalité, Folio Gallimard 1971,  p.163) 

« les exemples conduisent à épingler des échantillons et risquent d’inaugurer un processus de classification arbitraire et superficiel alors que ce que j’ai en vue est universel et connaît d’infinies variétés » (ibid p23)

Nous remarquons là la prudence de Winnicott quant à l’interprétation et quant au risque des nosographies qui, bien qu’utiles par ailleurs (elles permettent d’avoir un discours commun à propos de symptômes), risquent sérieusement de fermer l’esprit à d’autres possibilités, au point d’entraver l’évolution du sujet en thérapie.

D’autre part, Winnicott est sensible à la remarque de ce patient lui disant « vous vous êtes adressé à ces deux parties de moi-même » (ibid p.142), indiquant par là qu’il est sensible à cette réalité intérieure de son patient sans pour autant en déduire un trouble de l’identité (ce point est important aussi en maïeusthésie). Il note également que ce qui est objectivement perçu est subjectivement conçu dans l’esprit (ibid p.128) et donc considère la « réalité subjective » comme plus importante que la « réalité objective ». Il s’interroge aussi sur le lieu où réside la conscience : 

« Si nous considérons nos vies, nous constatons probablement que la plus grande partie de notre temps, nous ne la consacrons ni à des comportements, ni à la contemplation, mais que ce temps, nous le passons quelque part ailleurs. Je me demande où ? » (ibid p.193). « Il ne suffit  pas de dire : que faisons nous ? Il faut aussi poser la question : Où sommes-nous ? (si nous sommes vraiment quelque part) » (ibid p.195)

Tous ces points font qu’il est particulièrement important de citer Winnicott ici, afin de tempérer les notions de nosologie et de nosographie, ainsi que toutes les considérations théoriques qui s’y rattachent. Il est plus qu’important de souligner que les nosologies et nosographies peuvent ainsi parfois (ou souvent) passer de l’état d’outils pertinents à celui de pièges thérapeutiques.  Guy Besançon, attire d'ailleurs notre attention sur le fait que:

« Le diagnostique n'a pas en psychopathologie la rigueur qu'il peut avoir dans d'autres disciplines et on sait bien, notamment à l'éclairage de la psychanalyse, qu'un certain nombre d'élements fondamentaux n'apparaisent qu' au cours de la relation avec le patient, de son évolution. »(2005, p.22)

Jacques Lacan (1901-1981) introduisit la nouvelle notion de « Réel- Imaginaire – Symbolique » tous trois intimement liés par ce qu’il appelait un « nœud borroméen », c’est à dire qu’en en déliant un, on libère les deux autres. Le Réel pour lui est le ça, imprévisible, constitué de ce qui ne peut être nommé. L’Imaginaire est pour lui le moi, lieu de fiction. Le Symbolique correspond pour lui au surmoi, lieu d’ordres et de discours. Lacan estimait que, plus que les événements eux-mêmes, le symbolique (langage) avait une importance majeure au point que 

« le sujet n’existe que parce qu’il y a un langage » (Bruno Dal Palu Enigme testamentaire de Lacan –L’Harmathan -2004, p.46). Il nous enseignait que « La science analytique doit être remise en question dans l’analyse de chaque cas. (« Variante de cures types »Ecrits- cité dans ibid p.106). 

Lacan prônait une clinique du « un par un » et nous met en garde, tout comme Winnicott, contre la généralisation. Il insiste sur la valeur du non savoir : 

« le fruit de la révélation de l’ignorance est le non-savoir, qui n’est pas une négation du savoir mais sa forme la plus élaborée » (cité in ibid p.106).

Point intéressant, à la suite de Jacques Lacan, Jacques-Alain Miler nous propose de considérer qu’un vide n’est pas un vide absolu, que c’est « un manque à sa place », qu’il se manifèste à la place où on attendait la signification (ibid, p.123)

NB Ce point concernant le vide  est un des éléments en maïeusthésie où l’on sait mettre son attention sur une part de soi dont on ne connaît pas la nature, ni les circonstances, mais dont on perçoit qu’elle manque. Ces vides sont généralement liés aux symptômes qui permettent en fait de les localiser. Mais dans ce cas nous entendrons le mot symptôme dans le sens maïeusthésique, c'est-à-dire « interpellation d’une part de Soi en attente de réhabilitation »

Carl Rogers (1902-1987), psychologue américain, nous apporte la psychothérapie humaniste (ACP ou approche centrée sur la personne). Il ne nous a pas vraiment fourni de nosographie, ni de psychopathologie, mais a grandement contribué à la qualité de l’approche des patients. La confiance inconditionnelle du praticien envers son patient est pour lui un fondement majeur auquel s’ajoutent, l’empathie (chaleur humaine), la congruence (authenticité) et la présence (présence réciproque du praticien et de son patient dans le Counseling). Plus que tout autre, pareillement à Winnicott et Jaspers, il invite à considérer la personne soignée plus que le problème. Il privilégie  la « venue au monde » de son patient par rapport au « combat » de ses pathologies.

NB La maïeusthésie s’en rapproche beaucoup, tout en ayant ses propres spécificités. Dans la postface de mon prochain ouvrage à paraitre en 2009, André de Peretti (ami personnel de Carl Rogers, auteur de nombreux ouvrages scientifiques) commente la maïeusthésie : 

« C’est bien en une telle positivité, et avec ses précautions idoines, que semblent se « rencontrer » en toute clarté, Thierry Tournebise et Carl Rogers (avec quelques autres !) Il s’agit, pour eux et avec eux, d’être et d’œuvrer en une espérance intrépide portée sur l’homme (individu ou « espèce » !) : assurés que la « complexité » des situations internes et/ou externes, est inéluctablement motrice d’une conscience (personnelle ou collective) accrue » 

« Car, bien sûr, j’y trouvais le compagnonnage de mon ami Carl Rogers, selon un coude-à-coude libre - portant à une créativité judicieuse - de la qualité de celui qu’espérait Carl. Et ce coude-à-coude nous accompagnait dans une éclosion incessante de la positivité accordée à la considération des êtres, ainsi qu’aux communications, aux interventions en leur contact : touchant délicatement le fil de leur existence avec ses nœuds (émotionnels plus qu’événementiels) en attente de dénouement ».

Abraham Maslow, docteur en psychologie, a une vision très nuancée de l'étiologie et des processus de pathogénèse. Pour lui il ne s'agit pas d'une "mauvaise chose qui nous habite" et dont nous devrions guérir, mais d'une carence (une carence d'humanité) à combler. Les besoins ontiques (besoins de l'être) y représentent une part importante, au point qu'il nous nous invite à considérer que c'est ce que nous connaissons le moins... et pourtant ce dont nous avons peur (alors que c'est en même temps ce que nous cherchons par dessus tout). Maslow n'a jamais parlé de "pyramide des besoins", mais de "hiérarchie des besoins", tout en insistant sur le fait qu'ils sont tous intriqués, partiellement satisfaits, et partiellement insatisfaits. J'ai publié 30 pages sur son propos en octobre 2008. Je n'en dirait pas plus long car vous pouvez le découvrir en détail au lien suivant: Maslow

Spinoza disait également qu’on ne peut résumer la paix à une absence de guerre, mais qu’il s’agit avant tout d’un état de « l’âme »: « Car la paix ainsi que nous l’avons déjà dit, ne consiste pas en l’absence de guerre, mais en l’union des âmes ou concorde » (Spinoza - 1962, p.954].

Le Dr Maria Montessori se désolait aussi que « Ce qu’on entend en général par le mot paix, c’est la cessation de la guerre », ajoutant « Mais ce concept négatif ne permet pas une description adéquate de la paix authentique » (1996, p.26). Elle écrivit son ouvrage « L’éducation et la paix » en 1949 pour montrer que les racines de la paix sont toutes autres que la simple absence de guerre. Elle illustre son propos en faisant  de nombreux parallèles avec la santé (son domaine en tant que médecin) qui, de la même façon, ne peut se résumer à l’absence de maladie.

Frans Veldman  est un Praticien contemporain, initiateur de l’Haptonomie (arrivée en France au début des années 1980). Sa place tient ici au fait qu’il a développé de façon subtile la notion de « tact psychique ». Même s’il considère les nosologies psychanalytiques dans sa réflexion, il met en exergue le fait que le « tact psychique » est un élément clé, au cœur de la thérapie. Comme Winnicott, mais avec d’autres nuances, il considère avec beaucoup d’acuité le regard de la mère sur l’enfant, dont le rôle peut être étiologiquement source de beaucoup de manifestations chez celui-ci. La précision est que, selon lui, ce « regard » passe par le « tact psychique » ou Hapsys en grec, d’où le mot « haptonomie ». Nous remarquerons que l’empathie, que Rogers a mise en exergue, a été pensée avant lui par Teodor Lipps (1851-1914) et Sandor Ferenczi (1873-1933) avec le mot allemand Einfühlung utilisé aussi par Jaspers.  Ce mot est plus précis que « empathie » en français ou « empathy » en anglais, car Fühlen y signifie « tact psychique » (tout comme feeling en anglais). Il s’agit donc de tact et de contact, si nécessaires en thérapie. Cela précise les notions souvent trop floues de « distance thérapeutique » où il conviendrait plutôt d’inviter le praticien à « rester distinct de son patient , mais à en être proche, au point d’être en contact (psychique) ». Plutôt que d’inviter à la contradiction « d’empathie et de distance thérapeutique » nous dirons plus simplement au praticien qu’ « il s’agit d’être distinct sans être distant… au point d’être en contact » (car le « courant » ne passe que s’il y a contact !)

Concernant les sources pathogènes (étiologie) nous considérerons donc avec lui à quel point le manque de  ce tact psychique peut être source de troubles. Nous pourrions même aller plus loin en considérant que la problématique de l’individu consiste justement en ces contacts intérieurs, qu’il a ou n’a pas avec lui-même au sein de sa structure psychique, et que le travail thérapeutique consiste en la restauration de ces contacts. Celui qui a perdu ces contacts avec lui-même est devenu « étranger à lui-même », c’est à dire mentalement aliéné dans le sens où le disait si justement Pinel.

D’autres praticiens et d’autres approches pourraient être mentionnés comme Wilhem Reich (1897-1957), psychiatre psychanalyste autrichien, qui élabora une technique de relaxation musculaire et d’expression émotionnelle bioénergétique : la végétothérapie. Son disciple, le Dr Alexander Lowen né en 1910, psychothérapeute américain psychanalyste, en fit une adaptation sous le nom de « thérapie bioénergétique » et Gerda Boyesen (1922-2005) psychologue et chef de clinique poursuivit en reprenant le concept de libido de Freud, mais en la considérant comme bioénergie. Le développement de l’enfant, la répression émotionnelle et les symptômes de conversion sont repensés en termes de circulation physiologique de la libido. Il ne s’agit pas tant, en bioénergie, d’évacuer des émotions (souvent présentes dans des crispations musculaires, notamment intestinales) que de permettre à des cycles émotionnels restés en suspend de terminer leur accomplissement. Une façon de terminer des séquences inachevées. L’étiologie se trouve ici dans des cycles émotionnels inachevés produisant des blocages, des cuirasses musculaires, des citernes émotionnelles.

L’exploration de ces diverses approches ne peut être exhaustive et donne seulement un aperçu. Nous pourrions aussi parler de John Broadus Watson (1878-1958) pour qui l’étiologie est dans la problématique d’apprentissage (et dont la thérapie est le béhaviorisme ou comportementalisme). Jerome Bruner (1915), psychologue américain, sera parmi ceux à qui nous devons le développement du cognitivisme qui viendra s’opposer à la radicalité du comportementalisme en cherchant une étiologie dans les mécanismes cognitifs. Dans ce dernier cas, l’étiologie se trouve dans des confusions cognitives reliant entre elles des choses totalement différentes au point de produire des réactions inadaptées. Guy besançon nous précise une différence précise entre le comportementalisme et le cognitivisme:

Parallelement au modèle comportemental qui postule, selon Cottraux, un organisme relativement passif dont le comportement est modelé par l'environnement, le modèle cognitiviste postule, au contraire, un sujet actif qui se sert de processus d'auto organisation pour modifier son comportement. (2005, p.79)

Souhaitant garder une grande souplesse et un grand respect des patients, Bruner dénonce la théorisation abusive:  reprenant le propos de Gordon Allport il les traite de « méthodolâtrie » les « petites études bien nettes » qui prétendent avoir élucidé la nature de l’esprit et de ses processus (Car la culture donne forme à l’esprit- Bruner, Georg Eshel 1997, p.13) Il ajoute même : 

« pourquoi faudrait-il nécessairement et dans tous les cas comprendre par avance le phénomène à observer, ce que prétend faire la prédiction ? » (ibid p. 15), et dénonce que nous soyons contraints alors « d’artificialiser ce que nous étudions au point qu’il est difficile d’y reconnaître une représentation de la vie humaine » (ibid, p.15)  

La liste pourrait encore s’allonger, mais le propos n’est pas ici d’aborder tous les regards sur la psyché. Nous allons plutôt maintenant explorer comment une lecture décodée à travers un a priori peut se trouver excessivement interprétative et, comme le dit Winnicott, freiner l’émergence du sujet en thérapie. Nous trouverons là aussi une brillante confirmation du propos de Bruner. 

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5.      Les excès de l’interprétation sexuelle

Dans les lignes qui vont suivre, il ne s’agit aucunement de nier l’importance de la composante sexuelle dans la psychologie, mais simplement de ne pas s’y laisser enfermer et de laisser son regard disponible pour d’autres possibilités.

5.1.  La problématique diagnostique

« Un individu est considéré comme fou parce qu’il se comporte comme les fous sont sensés se conduire ». 

Cette remarque de Serban Ionescu tend à nous rendre prudent quant à la présupposition étiologique (éventuellement sexuelle) d’un état psychopathologique et nous ne pouvons qu’en être reconnaissant à son auteur. Professeur à paris 8, il n’est bien évidemment pas un ennemi de la psychopathologie.  S’interrogeant sans a priori sur le sujet, il a même écrit « 14 approches de la psychopathologie » (Nathan Université  2004) montrant différentes façons d’aborder le sujet, dans le but de « contribuer au décloisonnement des différentes approches » (p.3)  

Guy Besançon, professeur de psychiatrie, avec l'expérience de chef de service au CHU de Nantes, ne le démentira pas vraiment quand il affirme:

La tendance actuelle à modéliser les rapports entre les différentes pathologies psychiatriques ne parait pas pouvoir se concrétiser dans l'immédiat par des changements fondamentaux dans la manière de penser la psychopathologie. Peut être reflète-t-elle au contraire notre besoin de nous repérer face à une complexité qui nous étonne toujours d'avantage (2005,p.59)

Comme nous venons de le voir, le fait de tout vouloir classifier, apparaissant au début comme une nécessité, peut vite se transformer en piège, dont les « grilles de décodage » emprisonnent notre esprit, au point de considérer comme « malade » quelqu’un qui a seulement le tort de se trouver dans quelques présupposés, résultant d’une vision partielle et partiale de la réalité.

Pire que cela, il peut se retrouver dans le champ d’interprétations lui conférant des caractéristiques qu’il n’a pas, comme on peut sérieusement le soupçonner dans le cas du « petit Hans » de Freud (Inhibitions, Symptômes et angoisses –PUF 2002, p.16) où l’enfant qui a peur des chevaux est supposé dissimuler une peur de son père qui pourrait découvrir que l’enfant est attiré par sa mère (référence Œdipienne  oblige !)… sans tenir compte du fait que le petit Hans a un jour vu tomber un cheval et, un autre jour, a vu son camarade jouant au cheval se blesser.

5.2.  Présupposés encombrants

Dans ces exemples, Freud donne un surnom à ses patients pour en garder l’anonymat.

L’homme aux rats

 « L’homme aux rats » est un patient chez qui Freud interprète des sources libidinales sadiques annales complexes, avec les rats comme excréments ou comme envahisseurs de cette zone intime, ainsi que des fantasmes à la fois de meurtre du père et aussi de désir d’être pénétrer par lui (cité in Psychopathologie de l’adulte Névroses Catherine Chabert Dunod 2008, p.236-272)… Curieusement, il semble tenir pour secondaire le fait que l’enfant ait été choqué par l’histoire racontée d’un supplice fait avec des rats, ainsi que du fait qu’il a perdu sa sœur Camilla quand il avait trois ans, et que son père l’a fortement et injustement puni à cette occasion (il était habituellement assez violent avec lui).

L’homme aux loups

« L’homme aux loups » est un patient de Freud dont la thérapie a longuement été décrite (cité in ibid, p.310). Il l’a surnommé ainsi du fait qu’à quatre ans, celui-ci eut des peurs et des visions de loups. Ce cas a suscité de multiples commentaires de confrères ultérieurs, et il est surprenant, là aussi, que les composantes psychodynamiques et libidinales tiennent tant de place dans son analyse. 

Ce jeune patient est quelqu’un qui est devenu inadapté à la vie et totalement dépendant des autres. Il a perdu son père deux ans plus tôt, à 18 ans, et a reçu un immense héritage financier. Il déclencha des troubles somatiques importants, notamment une   blennorragie (maladie infectieuse généralement localisée dans la zone génito-urinaire). Sa thérapie dura de 1910 à 1914, année où Freud le considéra comme guéri (mais de quoi ?).

Plus tard, ce patient qui est un aristocrate russe, fut ruiné par la révolution de 1917. Il revint vers Freud pour une analyse qui, cette fois-ci, dura 6 ans. Freud s’arrangea pour que cette analyse soit gratuite pour son patient ruiné. Paranoïa et Hypocondrie furent identifiées.  A ce moment, l’homme se plaignait de son nez retroussé, de ses pores disgracieux et il a épuisé plusieurs médecins en vain à ce sujet.

Nous noterons qu’il a reçu de nombreuses moqueries dans son enfance à cause de ce nez, qui fut en plus endommagé par une ulcération. Il se trouve aussi que sa sœur aînée s’était suicidée de ne pas se trouver assez belle. Cette sœur était particulièrement aimée par le père.

Freud associe les pores béants de la peau à des orifices vaginaux et les comédons qui en sont extraits à des éjaculations par le pénis (ibid, p.319), mettant en parallèle les deux significations ! Naturellement, nous ne pouvons pas réduire les 6 ans d’analyse à ces quelques remarques (ce ne serait pas respectueux du travail de Freud) et je ne sous entend absolument pas ici que la problématique libidinale n’existe pas. Il n’en reste pas moins qu’un décodage systématisé rend aveugle à des évidences et, pire encore, risque d’induire chez le patient des choses qui ne lui appartiennent pas. Comme le disait Donald Wood Winnicott 

« Le principe est le suivant : c’est le patient et le patient seul qui détient les réponses » (Jeux et réalité, Folio Gallimard - 1975, p.163)  « L’interprétation donnée quand le matériel n’est pas mûr, c’est de l’endoctrinement qui engendre la soumission » (ibid p.104)

Faire le deuil de sa sœur qui s’est suicidée par douleur de ne pas se trouver belle…Voilà une épreuve à considérer, d’autant qu’il se trouve que cela est devenu l’obsession. Comme si, par sa douleur obsessionnelle,  il tentait « d’entendre » ou de « reconnaître », de « réhabiliter », une souffrance, un ressenti vécu par la sœur, qui ne fut jamais validé par personne. Celle-ci est morte probablement sans jamais être entendue. Nous remarquons aussi que le père affligé par le deuil de sa fille a eu son attention tournée vers celle-ci et que pour « l’homme aux loup », ressembler à sa sœur (visage disgracieux) est une façon d’attirer l’attention manquante du père. Nul ne peut dire si cette piste est plus juste (ni si elle est fausse), car il n’y a que le patient qui sache, mais il aurait fallu que cela soit exploré à l’époque par le praticien.

Or une telle exploration est rendue difficile (pour ne pas dire impossible) par l’a priori libidinal. La réalité est qu’on a tendance à voir ce qu’on s’attend à voir et que cela ne laisse que peu de place pour d’autres éventualités. Comme le dit Ionescu (déjà cité plus haut) : « Un individu est considéré comme fou parce qu’il se comporte comme les fous sont sensés se conduire. »  Dans son ouvrage 14 approches de la psychopathologie, il cite p.174 : 

« avec humour ou gravité, divers auteurs définissent et classent différemment la psychanalyse : pratique délirante (Lacan,1977), pas beaucoup plus qu’un système délirant contagieux (Crews, 1985), L’art de jouer le jeu de libres associations, de créer quelque chose avec des matériaux imaginaires des deux inconscients de l’analysant et de l’analyste(Brodeur, 1990) Une doctrine où les seuls critères de référence sont l’argument de l’autorité et l’opinion des adeptes (Van Rialer, 1982) ». 

Nous trouvons là des remarques mi humoristiques, mi assassines qui, en dépit de leurs excès manifestes, pointent le piège d’un regard exclusif.

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6.      Regard maïeusthésique

6.1.  Sur la sémiologie

Tout d’abord, nous aurons avantage à faire un détour par l’origine des mots « sémiologie » et « symptôme ».

Le mot « sémiologie » ouvre débat. Doit-on dire « sémiologie » ou « séméiologie » ? Les très sérieux ouvrages de Patrick Juignet sur la psychopathologie clinique (PUG, 2001) et celui de Catherine Chabert sur les troubles de psychopathologie de l’adulte Névroses (Dunod, 2008) utilisent le mot « sémiologie ». C’est le mot généralement employé. Même le dictionnaire de psychologie Doron (PUF 1991) nous signale qu’il n’est pas pertinent de distinguer entre sémiotique (encore un autre mot !) et sémiologie et nous le définit comme « science qui étudie les principes généraux régissant le fonctionnement des systèmes de signes ». Il nous  renvoit ainsi à l’idée de communication et d’informations.

De son côté le Cours de Psychologie 2 Bases et méthodes épistémologiques (Ghuiglione-Richard, 1994) nous confirme que la sémiologie est bien l’étude des signes et des langages dans la vie sociale, mais va plus loin  et nous précise que quand il s’agit des pathologies et des symptômes, nous devrions parler de « séméiologie ». C’est donc le mot « séméiologie » qui est retenu dans leur ouvrage, en le définissant comme « étude des symptômes et indices naturels par lesquels se manifestent les maladies » (p.231). La « sémiologie » étudie les signes intentionnels (langage) alors que la séméiologie étudie les manifestations passives (signes) non intentionnels.

Le mot « sémiologie » nous conviendra donc mieux en maïeusthésie, car il fait bien ressortir l’idée d’un « propos » que nous adresse le sujet à travers son symptôme. Même si le symptôme n’est pas volontaire, il  peut être considéré comme « langage », comme invitation à l’émergence, comme une possibilité de contact (il ne semblerait pas correct ici d’assimiler le symptôme à un signe passif). Cela se trouve confirmé par l’étymologie du mot symptôme lui-même. Il vient du latin symptoma ou du grec sumtôma qui signifie « coïncidence des signes » et dérive du verbe grec sumpiptein « tomber ensemble, survenir en même temps, se rencontrer » et même de la racine latine petere signifiant « chercher à atteindre » (Le Robert - Dictionnaire historique de la langue française). Nous verrons là, soit une simple coïncidence de signes (passive), soit une volonté de chercher à atteindre (active). Ce dernier point est particulièrement évocateur dans l’approche maïeusthésique où l’on considère que le symptôme est un moyen par lequel « une part de l’individu non reconnue » cherche à atteindre « la conscience » pour y être reconnue, réhabilitée, accueillie, afin de restaurer l’intégrité de la psyché.

Je ne reprendrai pas ici la dernière publication de décembre 2007 « Le positionnement du praticien dans l’aide et la psychothérapie », qui développe largement le sujet. Le symptôme n’y est pas vu comme une pathologie, ni comme une dissimulation (comme c’est le cas en psychanalyse), mais comme le moyen par lequel le Soi peut récupérer une partie manquante de lui-même.

Le symptôme, en maïeusthésie, est considéré comme l’indice qu’un contact s’est fermé dans la psyché et cherche à se restaurer.

6.2.  Sur l’étiologie

« Etiologie » vient du grec etia « causes » et  logia « théorie »

Comme nous l’avons vu, sur le plan des causes purement psychologiques, il y a plusieurs théories : les stades de développement ou les régressions (surtout en psychanalyse), les rôles du monde intérieur par rapport au monde extérieur chez Freud (avec le moi comme interface), chez Kraepelin (avec les causes endogènes, exogènes ou mixtes), chez Jaspers (qui ajoute à cette notion l’idée qu’une cause biologique est une cause exogène par rapport à la psyché), chez Winnicott (avec l’espace transitionnel et le rôle miroir de la mère et de la famille). Nous trouverons aussi les apprentissages incorrects chez Watson, les mauvaises associations cognitives chez Bruner… etc.

L’idée de traumatisme ayant un impact psychique, ou celle de prédispositions rendant vulnérables à cet impact, sont souvent présentes au niveau de l’étiologie.  Le concept fréquent est que le sujet est habité par quelque chose de nuisible dont il doit se défaire, ou qu’il doit corriger, que ce soit lié à un trauma ou à la personnalité (Nous noterons cependant que Reich ou Boysen parlent de cycles à terminer et non d’émotions ou de charges négatives à éliminer).

Des praticiens comme Winnicott (prudence avec l’interprétation), Jaspers (l’esprit est toujours là, même en situation pathologique) ou Rogers (confiance inconditionnelle) ont pointé pourtant à quel point le sujet est présent et qu’il n’y a que lui qui sait. Lacan, comme Winnicott ou Bruner a souligné le risque de la généralisation, et insisté sur la nécessité de considérer chaque cas comme unique, en étant libre des présupposés, afin de faire du « un par un ».

Ce qui sous-tend la théorie est souvent néanmoins qu’il  y a un disfonctionnement à corriger, quelques émotions à libérer ou quelques traumas dont il faut épurer le patient. Le projet thérapeutique est régulièrement cathartique (élimination, purification) ou correctif (nouveaux apprentissages dans les actes ou dans les mécanismes cognitifs). En bref, l’idée est qu’il y a quelque chose qui ne va pas ! C’est aussi le cas du DSM qui, comme nous l’avons vu,  se veut a-théorique en remplaçant le terme de « névrose » par « trouble » afin d’éviter d’induire systématiquement une étiologie psychologique et de laisser la possibilité de causes sociologiques ou biologiques. Pourtant le mot « trouble » sous entend une théorie bien ancrée : celle qu’il y a quelque chose qui ne va pas !

Sans exclure cette possibilité, il y a pourtant une autre voie à envisager : le symptôme, quoi qu’extrêmement inconfortable, voire même douloureux ou invalidant, n’est pas forcément l’expression de quelque chose qui ne va pas, mais peut au contraire être l’expression de quelque chose qui va très bien. Pour exemple cette personne qui a une phobie consistant à éprouver de terribles angoisses quand elle s’éloigne de son lieu d’habitation. Quand on lui demande de préciser ce ressenti d’angoisse, elle dit qu’elle a soudain l’impression panique qu’elle ne pourra plus jamais rentrer chez elle. Puis on découvre que sa mère, encore enfant, a perdu sa propre mère et que, son père étant violent, elle a été placée (elle n’est plus jamais revenue dans son foyer). Tout se passe « comme si cette femme aujourd’hui ressentait cette angoisse, spécialement pour entendre l’enfant qu’était sa mère, et dont jamais personne n’a mesuré la détresse ». Une sorte de réhabilitation de l’enfant qu’était sa mère (au delà de toute théorie, ce qui est important c’est de constater objectivement qu’après cette réhabilitation, la phobie cesse immédiatement).

Au niveau sémiologique nous avons ici ce que le DSM appelle « trouble phobique » (avec crise panique). Au niveau étiologique, nous constatons ici que la structure psychique de cette femme, constituée « de celle qu’elle est, de toutes celles qu’elle a été (depuis qu’elle existe) et de ceux dont elle est issue » (dont sa mère), comporte une faille, un manque, une sorte de « vide à sa place » comme auraient pu le souligner Miler ou Lacan. Dès que ce vide est comblé par une présence reconnue de l’enfant qu’était la mère, le trouble cesse. Dans ce cas, la dénomination « trouble » du DSM est impropre, car il s’agit plutôt d’un moyen par lequel le Soi de cette femme tentait de réaliser un « éclaircissement ». Comme nous l’avons déjà vu, si le DSM acceptait d’être encore plus a-théorique, il utiliserait la dénomination « manifestation » plutôt que « trouble ». Ici nous aurions alors pu dire « manifestation phobique » et non « trouble phobique ».

Je ne donnerai pas plus de détails sur ce cheminement  thérapeutique (ce n’est pas ici le propos), mais ceux qui le souhaitent trouveront toutes les nuances d’une telle approche dans « Communication thérapeutique » (avril 2004) et dans « Le positionnement du praticien dans l’aide ou la psychothérapie » (décembre 2008), ou dans mon ouvrage « L’écoute thérapeutique » publié chez ESF(2005). Les lecteurs intéressés pourront aussi poursuivre avec « Aider le malade alcoolique » (mars 2003) « Dépression et suicide », (juin 2001) « Anorexie » (juillet 2006)…

Dans cet exemple, nous remarquerons que la cause peut sembler exogène (circonstance où l’enfant qu’est sa mère voit mourir sa mère et perd son foyer), et que la circonstance paraît jouer un rôle traumatique. Ce n’est pas tout à fait faux, mais pas exactement vrai non plus ! Il y a ici un risque à attribuer à la « circonstance » le rôle de « source ». Ce n’est pas la circonstance, mais le ressenti de l’enfant, suivi du fait de n’avoir jamais été entendue, qui est la source. Ce n’est donc pas la circonstance que nous chercherons à retrouver, mais l’enfant elle-même. Ce n’est même pas son ressenti, mais plutôt « l’enfant avec son ressenti ». Elle n’a rien à éliminer, mais juste à être reconnue avec ce qu’elle a éprouvé,  à être « rencontrée », à se sentir accueillie dans ce « vide à sa place » au sein de la structure psychique… dans ce vide qui est resté vide depuis tout ce temps. 

Pour mieux appréhender cette notion de « vide à sa place », nous pouvons considérer le concept de « structure psychique », constituée de « celui qu’on est », « ceux qu’on a été » et « ceux dont on est issu », complété par les notions de pulsion de vie et de pulsion de survie (développées dans le chapitre suivant )

L’étiologie est donc ici :

1/ La mise à distance de la part de soi en souffrance (trop douloureuse pour être intégrée sans causer de dommages à la structure complète). Mais du coup la structure psychique (le Soi) est amputée d’une part d’elle-même.

2/ Le besoin de retrouver ultérieurement cette part manquante, quand la structure  psychique (le Soi) aura gagné en maturité, afin que celle-ci remplisse le vide, qui jusque là ne pouvait être que compensé, mais jamais comblé.

3/ Les symptômes résultants sont ceux de la compensation (aide à vivre temporaire), puis ceux de l’interpellation par cette part de Soi (aspirant à retrouver sa juste place).

Nous allons en étudier le mécanisme que je peinerai à nommer pathogénétique car il ne s’agit pas là de « pathos », mais plutôt de  « d’émergence du Soi »  

6.3.  Sur la pathogénèse (ou plutôt « sémiogénèse »)

Puisque dans l’exemple précédent la manifestation (symptôme) permettait une réhabilitation, nous peinerons en maïeusthésie à la nommer « pathologie ». Si bien que le terme de « pathogénèse » n’est pas très adapté non plus. Même si l’on s’occupe de manifestations phobiques (considérées selon d’autres approches comme pathologiques, dites « trouble phobique », ou plus précisément « trouble anxieux phobique » dans le CIM)  le mot « pathogénèse » ne convient plus en maïeusthésie pour nommer le processus qui conduit à la manifestation (en tout cas, pas dans l’exemple cité). En vous priant de bien vouloir m’excuser pour ce néologisme, je parlerai donc de sémiogénèse pour désigner le processus par lequel, partant de la cause (étiologie) on aboutit au symptôme (sémiologie).

Les agents du processus sont deux pulsions ayant deux rôles chacune.

1/ Nous avons d’une part la pulsion de survie dont le premier rôle est de « couper le contact » d’avec la part de soi en souffrance, tant que celle-ci n’est pas intégrable, et dont le second rôle est de compenser le manque (le vide) résultant de cette « coupure ». La pulsion de survie fonctionne sur le mode « énergie » et on pourrait même dire « libidinal ».  Dans sa première version (où elle coupe le contact pour « éloigner » une part du Soi) elle peut être comparée à la pulsion de mort de Freud (car elle a pour but de faire « disparaître » une part du Soi en investissant son énergie dans la « répulsion »). Dans sa deuxième version (compensatrice), elle pourrait être comparée à la pulsion de vie de Freud (investissement dans l’attraction). Mais la pulsion de vie de Freud ne correspond pas à la pulsion de vie en maïeusthésie, car elle fonctionne sur le mode de « l’énergie libidinale de plaisir » où l'on se sert de l'autre (objet), alors que la pulsion de vie en maïeusthésie ne fonctionne pas du tout sur le mode « énergie » manipulatrice, mais sur le mode « existentiel » ouvert. En effet, en maïeusthésie, nous mettons un soin tout particulier à différencier l’énergie (ergos, travail, faire) et la vie (être) afin d’optimiser la description des processus. L’énergie suppose une dépense de « carburant », alors que la vie suppose un accomplissement spontané (retour à un état). Naturellement les deux jouent un rôle important, mais il ne s’agit pas du même rôle.

2/ Nous avons d’autre part la pulsion de vie, dont le premier rôle est de préserver la part du Soi mise à distance par la pulsion de survie, afin de pouvoir la réhabiliter ultérieurement. Cette sorte de « sauvegarde », dure jusqu’à ce que la maturation psychique en permette la réintégration. Mais au fond, pourquoi réintégrer cette part douloureuse ? Simplement parce que son absence laisse un vide dans la structure psychique, qui s’en trouve ainsi fragilisée dans sa  stabilité. Comme une sorte de puzzle dans lequel manquerait une pièce « à sa place » et où le vide disgracieux laissé par une pièce manquante, pousserait à la rechercher pour la mettre à sa juste place. Bien après cette première étape de sauvegarde, quand la psyché a crû en maturité, la pulsion de vie va mettre en route son second rôle, qui consiste à interpeller la conscience par des symptômes. Pareils à des manifestations émanant de la part manquante, ces ressentis vont habiter le sujet et semblent le troubler, le perturber, voir le déséquilibrer ou même l’handicaper. En fait ces symptômes ne viennent que perturber les mécanismes de compensations mis en place par la pulsion de survie, afin de « reprendre contact » avec la part manquante. Dans l’exemple cité plus haut, « la petite fille qu’était la mère » (re)prend contact avec « la femme qu’est devenue sa fille » afin de pouvoir trouver sa place dans la structure psychique de la fille. Vous comprendrez naturellement, dans cet exemple transgénérationnel, qu’il s’agit de « parts du Soi » dans la structure psychique de la fille et qu’il n’est pas nécessaire d’envisager un concept métaphysique pour comprendre que la fille n’est en paix et en complétude que si la mère fait correctement partie de l’édifice de sa psyché. Il est important de noter que la pulsion de vie ne fonctionne pas sur un mode « énergie » et reste disponible même quand il n’y en a plus. C’est ce qui fait que les moments d’effondrement de l’énergie ou de l’intérêt sont souvent propices  à sa mise en œuvre, notamment dans certains cas de dépression (voir la publication « Dépression et suicide » de juin 2001).

Processus : le processus de sémiogénèse  vient du jeu de ces deux pulsions qui nous conduisent à dire que le symptôme ne se produit pas « à cause du traumatisme », mais « spécialement pour » la réhabilitation de la part du Soi, jusque là mise à l’écart. L’étiologie ne se trouve  donc pas dans le traumatisme mais dans la nécessité de retrouver et de réintégrer la part du Soi mise à l’écart, et la sémiognénèse ne consiste pas en un processus pathologique mais en une manifestation de vie qui d’abord protège puis ensuite permet de retrouver.

Dans ce cas la psychothérapie ne consiste pas en l’éradication du symptôme ni de sa cause, mais en l’accompagnement des processus ci-dessus vers leurs aboutissements. Nous pouvons alors repenser à Winnicott nous disant 

« Je suis consterné quand je pense aux changements profonds que j’ai empêchés ou retardés chez des patients appartenant à une certaine catégorie nosographique par mon besoin personnel d’interpréter » (Jeu et réalité, Folio Gallimard 1971,  p.163)

Face à se constat, de même que Carl Rogers se considérait comme une sorte d’accoucheur, un patient devient une sorte de « parturiant » en train de mettre au monde une partie de lui-même, jusque là restée en gestation, et la dénomination de « psychopathologie » ou de « trouble » n’est pas adaptée. C'est pourquoi nous lui préfèrerons le mot plus général de « manifestation ».

Naturellement ce constat ne doit en aucun cas faire table rase de tous les autres éléments décrits dans cet article concernant les différentes approches en psychopathologie. Il ne s’agit pas ici de rétrécir le champ d’investigation mais de l’élargir, dans le plus grand respect du propos de René Descartes cité en début d’article : 

« … la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies et ne considérons pas les mêmes choses » 

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7.      Conclusion

Finalement nous hésitons à parler de psychopathologie  en maïeusthésie, dans ce sens où les symptômes y sont considérés comme une manifestation conduisant à un rééquilibrage dans la structure psychique. Même si nous pouvons y parler avec précision de sémiologie, d’étiologie et de sémiogénèse (mais pas pathogénèse), nous préfèrerons parler de « manifestations » plutôt que de « psychopathologies ». 

La question initiale n’y est pas « qu’est-ce qui ne va pas ? » afin de l’éliminer ou de le corriger... 

...mais plutôt « en quoi cela nous conduit-il de façon pertinente vers ce qu’il y a de plus important chez l’autre ? » afin d’en accompagner l’accomplissement.

Naturellement, nous trouverons aussi des psychopathologies d’ordre organiques, biologiques, héréditaires, neurologiques, dont il importe que la médecine s’occupe médicalement, et où la psychothérapie (quand elle est nécessaire) ne joue qu’un rôle complémentaire. Pour les autres cas, au contraire, la psychothérapie sera sensée jouer un rôle de premier plan.

Pourtant, en maïeusthésie, même le mot « psychothérapie » n’est pas tout à fait satisfaisant,  puisque le projet n’y est pas de guérir le moindre symptôme. Peut-il s’agir alors de thérapie, et à quoi sert-elle ? Il se trouve que, paradoxalement, alors que le projet n’y est pas de les éradiquer, les symptômes disparaissent après cette réhabilitation des parts de soi (et souvent très rapidement)

Nous avons finalement  là une approche dans laquelle rien n’est combattu ni corrigé, mais dans laquelle le praticien accompagne un projet intime déjà en route. L’accompagnement y ressemble à celui d’un obstétricien ou d’une sage femme : ils ne guérissent pas leur parturiente de sa grossesse (même si on dit maladroitement qu’elle est « tombée enceinte » !), mais ils l’aident à réaliser l’accouchement en train de se produire.

Le mot psychothérapie reprendra cependant tout son sens si on se rapproche de l’étymologie grecque de « thérapeute », therapeutês, signifiant « serviteur qui prend soin» et non « personne ayant du pouvoir sur les symptômes ». Nous avons ainsi une définition inattendue du psychothérapeute : serviteur qui prend soin de la psyché. Le moins dont il puisse alors témoigner c’est d’humilité.

Nous terminerons en citant deux remarques très intéressantes au sujet de l'origine des « résistances » en psychothérapie:

« …la résistance à la thérapie et au thérapeute n’est ni une phase inévitable, ni une phase désirable de la psychothérapie, mais elle naît avant tout des piètres techniques de l’aidant dans le maniement des problèmes et des sentiments du client. » (Rogers,1996, p.155) [Rogers a remplacé le mot « patient » par « client »]

« Dans la littérature il est tellement souvent question de résistances du malade que cela pourrait donner à penser qu’on tente de lui imposer des directives, alors que c’est en lui que de façon naturelle, doivent croître les forces de guérisons » (Jung, 1973, p.157)  

Thierry Tournebise

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Bibliographie

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Besançon Guy
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-Présence de Carl Rogers -Editions Erès, 1997

Freud, Sigmund
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-L'écoute thérapeutique -ESF 2001
-Chaleureuse rencontre avec soi-même -Dangles1996
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