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Réjouissance thérapeutique

de l’estimable à l’inestimable
février 2017   
-    © copyright Thierry TOURNEBISE

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La capacité de réjouissance du praticien est un facteur essentiel dans l’efficacité des accompagnements psychologiques ou des thérapies. La réjouissance est par définition l’expression d’un bonheur. Mais de quel bonheur s’agit-il ? En quoi ce bonheur joue-t-il un rôle pour le patient, Qu’est-ce qui en est la source ?

Cette réjouissance du praticien est un bonheur sans superficialité, loin de l’euphorie, discret mais profond. Il témoigne simplement de son tact et de sa considération, qu’il se sent profondément touché par la présence de celui qu’il accompagne, et par celle des parts de Soi (« Êtres de Soi ») qui appellent la conscience de ce dernier… qui émergent en lui, en vue d’être rencontrées, reconnues, validées.

Ce bonheur vient du tact psychique, existentiel, libre de la gravité, sans pour autant être dans la légèreté. Le praticien est alors distinct sans être distant, touché sans être affecté, attentionné sans être intéressé. Ces quelques ingrédients sont source de cette grâce, qui place dans une indéfectible réjouissance, une sensation de bonheur et de justesse qui, telle une invitation, conforte sans rien minimiser, offre une pleine reconnaissance. Même sur un plan purement neurologique, la réjouissance du praticien se transmet au patient, comme par résonance, au niveau de ses neurones en fuseau en 1/20.000e de seconde*

*« Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner » ( Boris Cyrulnik, Pierre Bustany, Jean-Michel Oughourlian, Christophe André, Thierry Janssen, Patrice Van Eersel – Albin Michel Poche, 2012  - p. 72-74)

Sommaire

1 L’insaisissable réjouissance
 – Définitions – Vie et énergie – La réjouissance – Influencer sans induire – Quand l’Univers frappe à la porte – La réjouissance clarifiée – Précieux ou inestimable ?

2 Rôle de la réjouissance en thérapie
-La capacité d’émerveillement – L’accueil du patient – L’accueil des Êtres émergents – Invitation du patient vers lui-même

3 Les sources de réjouissance
- La réjouissance ne se décrète pas – Une qualité naturelle – Les paradigmes et les fondements – Le point d’où regarde le praticien – Connivence et réjouissance – Vers où regarde la praticien – Le but du praticien

4 Raisonnance ou résonance ?
- Raisonnance – Résonance

5 La mise en œuvre attendue
- Concrètement en vue de remédiation – Concrètement en vue de déploiement

6 L’aboutissement
-Un entretien, des entretiens – Refaire le tour du sens – Interprétation hors des symboliques – Mise en mots nécessaire mais délicate

Bibliographie  
Bibliographie du site

1   L’insaisissable réjouissance

La posture du praticien est essentielle en thérapie. Si toutes les approches sont d’accord sur l’idée d’empathie, de respect, d’absence de projections… rares sont celles qui évoquent l’idée de tact psychique complétée de celle de réjouissance qui en découle. La maïeusthésie propose cette précision que l’on trouve aussi assez précisément en haptonomie.

Les approches qui l’évoquent sont rares, mais il est des praticiens qui la vivent naturellement sans qu’on la leur ait enseignée. Il serait intéressant de réaliser une étude pour vérifier que, dans chaque approche, ce sont ceux qui sont capables de cette réjouissance qui ont le plus de résultats, indépendamment des techniques sur lesquelles ils s’appuient.

La difficulté est que la réjouissance ne peut être vue sous un angle technique et ne se décrète pas. Elle peut cependant être approchée, décrite, précisée. Il est aussi possible d’étudier ce qui la permet naturellement, car la volonté ne peut la construire. Nous pourrons aussi repérer ce qui l’entrave et, de ce fait, nuit à la qualité d’un accompagnement psychologique.

1.1Incontournables définitions

Nous ne pouvons faire l’économie de quelques définitions, tant le domaine de la joie, du bonheur, du contentement, contient bien des pièges sémantiques. Si nous voulons exprimer avec clarté notre pensée, il nous faut des mots précis.

1.1.1    Réjouissance

Ce mot vient de l’ancien « resjoïr » (vers 1120) qui signifie « rendre joyeux » devenu « esjouir ». Le mot « réjouissance » a son lot d’ambiguïté, car au pluriel, il définit aussi les « festivités » (les « réjouissances »). Il a même pris le sens particulier de « dans la pesée, mettre les os à part chez le boucher afin de ne faire payer que la viande » (1783) !* Cela est assez amusant car nous verrons plus loin que la réjouissance chez le praticien vient du fait qu’il considère l’Être plus que les faits et qu’il garde le cœur existentiel de ce que le patient lui propose, sans s’encombrer du poids circonstanciel ou objectal. Certes la métaphore avec le boucher n’est pas très gracieuse, mais il y a bien l’idée de distinguer un élément nourrissant par rapport à un autre qui ne l’est pas.

Plus précisément, la réjouissance est proche de l’idée de joie qui côtoie celle de bonheur. Cependant, la réjouissance semble plus atemporelle (indépendante de l’instant ou de la durée) alors que la joie est plus temporelle (jaillissement dans l’instant).

*Dictionnaire historique de la langue française Alain Rey

1.1.2    Joie

Sentiment de bonheur intense. Cependant, le mot joie est aussi proche de l’idée de « plaisir des sens, volupté » (jouissance) et de ce fait perd sa dimension existentielle au profit d’une dimension sensorielle. Il vient de « goie » issu du latin « gaudia », dérivé de « gaudere » (se réjouir, être joyeux).

D’un autre côté, la notion de plaisir est confuse même dans l’étude des hédonistes (Démocrite, Epicure). Souvent l’on croit que les Epicuriens ne pensaient qu’aux choses qui font plaisir. En fait, leur sagesse et leur quête consistaient plutôt en l’art de trouver le plaisir en chaque chose qui se présente à eux. Ils ne « prenaient » pas le plaisir, mais le « recevaient » naturellement… et ainsi n’étaient jamais en manque. L’expression si classique « prendre du plaisir » n’a donc rien d’épicurien.

Le plaisir des Epicuriens semble plus se trouver en une quête de joie à propos de tout, que dans celle d’un pur plaisir des sens. Leur quête est plus ontique que sensorielle. On pourrait rapprocher l’hédonisme d’une sorte de « mindfullness » de l’Antiquité. Le « mindfullness » actuel étant une sorte de néohédonisme (en partie sensoriel, en partie existentiel).

1.1.3    Enthousiasme

Très intéressant, ce mot vient du Grec « enthousiasmos » (transport divin) constitué de « en » (dedans) et « Theo » (Dieu). A l’origine « enthosiazein » signifie « être inspiré par la divinité. Le mot « enthousiasme » pourrait ainsi également définir l’état d’une personne qui est touchée par ce qu’il y a de plus sacré en l’autre. Nous sommes alors proche de l’idée de réjouissance telle que nous l’envisageons dans cette publication (hors de toute notions religieuses bien-sûr).

1.1.4    Bonheur

L’idée de bonheur est en rapport avec celle de destin. L’« heur », c’est la chance, la destinée. Le bonheur, c’est la bonne chance, le malheur, c’est la malchance.

Alors qu’on peut être malheureux, on ne dit pas qu’on est « bonheureux » (par contre, on dit « bienheureux » pour celui qui touche la sainteté). Avoir du bonheur, c’est avoir de la chance, avoir un destin favorable. Ainsi, contrairement à ce qu’on peut croire, le bonheur ne définit pas notre état mais celui de notre chance, de notre destinée. On « a » du bonheur (de la chance). Le bonheur n’est pas un état, mais un avoir (une chance que l’on a). L’état « être heureux » signifie « être chanceux » et non être « comblé », cependant, « être chanceux » conduit ensuite à être comblé et il peut en résulter une émotion de joie. La joie est un état émotionnel, mais pas le bonheur. Les mots « bonheur » et « heureux », de ce fait nous mettent en difficulté : ils ne nous permettent pas de nommer l’état que l’on croit ainsi évoquer. Le mot permettant d’évoquer cet état nous manque (contentement, joie, félicité, plénitude, enthousiasme… etc ?).

Pour nos amis anglais bonheur se dit « happiness », de « hap » (chance, destin)… finalement comme pour le mot français avec « heur ». Ce n’est donc pas vraiment non plus une émotion mais aussi « être chanceux » (en dépit du fait que « Happiness » signifie aussi félicité et, en littéraire, « vie filée d’or et de soie »). Cependant, le contraire est « sadness » (de « sad » triste, sombre). « Sadness » signifie clairement « tristesse » et là, c’est bien une émotion contrairement au français où le mot malheur est juste une « mal » chance. Quant au mot « glad » il signifie content ou joyeux et est bien une émotion. Les Anglais bénéficient donc d’un mot en plus pour évoquer l’état que nous tentons difficilement de désigner par « bonheur ».

Nous notons toutefois que le mot « bonheur » définit une continuité, même si ce n’est pas une émotion ou un état, contrairement par exemple au mot « joie », qui est un éclat passager.

1.1.5    Contentement

« Content » vient du latin « continere » (renfermer en soi, contenir). « Être content », c’est donc « être comblé ». L’expression « avoir son content » signifie « avoir assez ». Le contentement, c’est être empli de ce qu’il nous faut, être comblé.

1.1.6    Plénitude

Le mot l’indique de lui-même : être rempli, comblé. Ce qui revient à « content », mais de façon plus ontique (plus liée à l’esprit, à la sagesse).

La satisfaction des besoins physiques ou psychosociaux provoque un contentement, alors que la satisfaction des besoins ontiques (Abraham Maslow) offre une stabilité intime liée à la plénitude.

La première satisfaction est d’ordre sensoriel et égotique (au niveau du moi), la seconde est plus d’ordre expérientiel (au niveau du Soi). La première vient d’un intérêt satisfait, alors que la seconde vient d’une attention accordée par Soi au monde et par le monde à Soi.

1.1.7    Epanouissement

S’épanouir, c’est s’ouvrir (vient du francique « °spannjan » signifiant « étendre »), mais aussi déployer (fleurs, ailes du papillon). C’est aussi se réaliser librement dans toutes ses possibilités. De cet accomplissement et de cette ouverture peut découler de se sentir comblé, en plénitude (car celui qui est ouvert est à même de recevoir). L’idée d’épanouissement côtoie celle de « déploiement » (révélation de ce qui est déjà là), et non celle de « développement » (ajouts d’éléments).

1.1.8    Béatitude,

Vient du latin « beatus », signifiant « comblé de biens, n’ayant rien à désirer » (une forme plus subtile de « content »). Dans la religion, « béatifier » signifie « déclarer saint ». Dans la notion laïque « d’ouvert à ce qui s’offre à soi », les hédonistes se trouvaient sans doute dans une sorte de béatitude, car en manque de rien, jamais frustrés.

1.1.9    Félicité

Vient du latin « félix » signifiant « fécond » et « heureux ». Le mot désigne un état de contentement intense. Féliciter quelqu’un signifie alors de lui permettre d’accéder à ce contentement. Si le verbe féliciter est courant, le mot « félicité » est d’usage plus rare, réservé à l’expression d’un contentement céleste éternel, à rapprocher de « béatitude ».

1.1.10 Sérénité

Serein vient du latin « serenus » (pur et sans nuages). Au sens figuré « calme et paisible ». A ne pas confondre avec l’ataraxie des philosophe (absence de trouble). Comme le disait Baruch Spinoza « la paix n’est pas l’absence de guerre, mais la concorde des âmes » ou l’OMS (organisation mondiale de la santé) « la santé n’est pas l’absence de maladie, mais un équilibre physique et psychique ».

La sérénité définit un état calme, pur et sans trouble, mais avec une idée d’harmonie et de concorde intérieure. Loin d’une simple neutralité, il s’y trouve une plénitude, un contentement, une félicité, par la juste connexion et la fluidité de la vie qui peut s’écouler librement au sein de la psyché, au cœur de l’Être, dans la totalité du Soi.

1.1.11 Extase

Vient du latin « extasis » (être en dehors de Soi) venant lui-même du grec Ekstasis  (déplacement). Ce mot désigne un « déplacement hors de Soi », généralement pour signifier une connexion au divin. Plus couramment, il signifie une sensation intense éprouvée en étant touché par une grâce. Il est utilisé pour évoquer un moment sexuel qui va au-delà du plaisir (d’où l’idée du 7e ciel). Abraham Maslow parlait « d’expériences paroxystiques » pour désigner les moments de vie qui touchent à une subtile expérience ontique.

Il est à noter que le simple mot « exister », signifie aussi « ex-sistere », c’est-à-dire « se tenir à l’extérieur ».

1.1.12 Plaisir

Vient du latin « placere » (plaire), « placire » (plaisir). Le plaisir découle de ce qui plaît. Dès 1442, le plaisir est ce qui peut donner à quelqu’un une sensation agréable : le plaisir est avant tout une conséquence sensorielle. Celui qui a du bonheur (chance) aura ainsi la chance d’éprouver du plaisir.

Le plaisir est un profit extrinsèque (par un flux qui vient de l’extérieur), alors que la joie est un accomplissement intrinsèque (par un déploiement de la vie). Le plaisir témoigne d’une énergie venant « nourrir le corps » (homéostasie satisfaite, développement). La joie témoigne que la Vie vient de « toucher la psyché (le Soi) » et occupe un espace plus vaste (rencontre du monde, déploiement).

1.1.13 Le mot et son contraire

Nous pouvons préciser chaque mot aussi grâce à son contraire : Le contraire de la joie est la tristesse (émotion), le contraire du plaisir est la douleur (sensation), le contraire du bonheur est le malheur (chance ou non chance).

1.2Vie et énergie

L’énergie est gérée par le moi. Le moi est un outil stratégique qui permet de gérer les problématiques de proies et de prédateurs dans la vie sociale (selon Sigmund Freud qui le compare à l’hydre qui éloigne les prédateurs et attrape les proies avec ses pseudopodes urticants).

La Vie, elle, est gérée par le Soi. Sa nature conduit à l’individuation (selon Carl Gustav Jung). Nous pourrions prolonger son action par l’idée de déploiement (Gottfried Willem Leibnitz), et de concernement élargi (Dr Henri Grivois).

Le plaisir, lié au monde sensoriel, semble rattaché à la vie biologique (« énergie », biosphère). Les sens perçoivent des informations agréables signifiant que ce qui permet la vie biologique est satisfait. Dans le cas contraire, la souffrance pousse à éviter les nuisances et fait passer en mode survie afin que cette vie biologique ne soit pas en danger.

La joie, apparemment liée au monde émotionnel, semble plutôt connectée à la Vie psychique (« Vie », noosphère). Il ne s’agit plus alors de plaisir sensoriel, mais du fait de se sentir « touché par la Vie » qui se déploie alors dans un espace plus vaste (sans que rien ne soit dépossédé de quoi que ce soit – nous ne sommes plus dans le principe des transferts thermodynamiques d’énergie, ni dans celui de proies et de prédateurs).

La difficulté est de distinguer entre la « vie biologique » (biosphère) et la « Vie psychique » (noosphère) qui sont pourtant de natures distinctes. La première se fonde sur le mode « énergie » (thermodynamique), la seconde sur un mode « Vie » (existentiel, psychique, spirituel). Alors que l’énergie ne peut que se transférer (thermodynamiquement) et ne permet qu’un développement de l’un au détriment de l’autre (système proie/prédateur), la Vie, elle, se partage, se déploie : plus on en donne, plus on en a et… plus on en reçoit, plus l’autre en dispose. C’est un peu comme dans le conte de Claude Steiner (psychologue, disciple d’Eric Berne -1935)* : « Le conte chaud et doux des chaudoudoux » (2006).

Le psychanalyste Claude Steiner avait certainement pointé cela en écrivant ce conte dans lequel les enfants donnent des « chaudoudoux » abondamment à ceux qu’ils rencontrent, qui se retrouvent alors entourés de douceur. Plus ils en donnent, plus ils en ont à donner (c’est inépuisable et se régénère).

Jusqu’à ce qu’une sorcière, vendeuse d’une potion soi-disant source de bonheur, leur fasse croire qu’il ne faut plus en donner sous prétexte qu’ils pourraient ne plus en avoir… afin de pouvoir vendre sa potion !

Comme sans douceur les gens meurent et n’achètent toujours pas la potion non plus, elle fournit des « froid piquants » à donner à la place des chaudoudoux : on ne meurt plus, mais l’illusion ne donne cependant pas le bonheur. Elle laisse juste suffisamment en vie pour aller se procurer la potion et enrichir celle qui la fournit.

L’énergie biologique (principe vital) peut précisément être distinguée de la Vie (principe existentiel). Le biologique et l’existentiel sont distincts, quand bien même ils sont en lien réciproque. Les chaudoudoux de Claude Steiner semblent être de nature existentielle (noosphère, Vie), alors que les « froids piquants » semblent n’être que des compensations sensorielles (biosphère, énergie).

La joie signifie une vie psychique satisfaite. La tristesse signifie une vie psychique non satisfaite. Un individu peut très bien être satisfait au niveau des plaisirs, mais n’éprouver aucune joie car manquant d’existentiel.

L’insatisfaction psychique peut aller jusqu’à produire des traumas que la psychanalyse nomme « traumas négatifs ». Il s’agit de manques, de vécus en creux, sans traces visibles (manque d’amour, de reconnaissance, de considération, d’harmonie, de justice - besoins ontiques évoqués par Abraham Maslow). Le « trauma positif » c’est au contraire quand on subit un excès de quelque chose, comme de la violence physique ou psychique. Il s’accompagne généralement aussi (en plus) d’un trauma négatif (manque existentiel). Pourtant, ce dernier est plus discret et même parfois quasi invisible car, résultant d’une absence de quelque chose, il ne laisse pas de traces objectivables. Par exemple si on est sans cesse insulté, le trauma positif que cela inscrit en soi cache le trauma négatif qui est aussi éprouvé à cette occasion (manque d’amour et d’harmonie).

Le trauma négatif est d’autant plus discret que le trauma positif tient le devant de la scène.  Il est aussi d’autant plus discret que le sujet peut être comblé au niveau « plaisirs » et frustré au niveau « ontique ». Le « tu as tout pour être heureux » hélas ne tient pas compte de cette nuance et laisse en grande souffrance des Êtres qui peuvent aller jusqu’à ne plus vouloir vivre, apparemment sans raisons.

Il est à noter que souvent la quête de plaisir peut venir compenser un manque de joie, ou un manque de capacité de réjouissance, et ainsi assurer une survie psychique acceptable. Nous aurons alors une sorte d’euphorie grâce aux plaisirs (zone sensorielle) venant compenser un manque de joie ou de réjouissance (zone existentielle). Dans ce cas le plaisir ne joue plus son rôle de vigilance à propos de l’équilibre biologique (biosphère) mais vient seulement compenser une carence au cœur de la psyché, (niveau ontique, noosphère).

Voir la publication de mai 2015  Vie et énergie

1.3La réjouissance

La réjouissance ne se décrète pas. Il importe donc de comprendre ce qui la produit naturellement. D’autre part, lorsqu’elle est présente chez le praticien, elle engendre cliniquement chez le patient un effet salutaire*.

« nos neurones entrent sans arrêt en résonance avec ceux d’autrui ; nos intériorités sont en communicaiton directe » (Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner – Boris Cyrulnik, Pierre Bustany, Jean-Michel Oughourlian, Christophe André, Thierry Janssen, Patrice Van Eersel – Albin Michel Poche, 2012 p.67). L’auteur parle même d’une sorte de « wifi neuronale » (p.71)

« Dans votre cerveau les neurones qui ressentent l’autre côtoient les neurones moteurs qui permettent d’agir » (p.77). Neurologiquement, nous savions que les neurones miroirs suscitent les mêmes gestes. Il a été aussi découvert que d’autres neurones, les neurones en fuseau, eux s’activent en 1/20.000e de seconde d’un cerveau à un cerveau voisin (ibid.p.72 et 74). Une émotion discrètement manifestée chez l’un, provoquent la même activation dans le cerveau d’une personne voisine. (ibid, p.67 à p.78).

« Le cerveau se développe là où il est utilisé avec enthousiasme » (Pr Gerald Hütler, chercheur en neurobiologie avancée – cité dans « La clé d’Être de Marc Vella, 2016, p78). Nous avons là la confirmation d’une clé, même sur le plan neurologique.

Un praticien est censé ne pas induire quoi que ce soit chez son patient (une réponse, une idée, une pensée), mais il ne peut pas ne pas influencer celui-ci (créer un climat favorable ou défavorable). Le tout est de savoir la nature cette influence (bonne ou mauvaise).

Induire, c’est apporter des réponses implicites au patient, alors qu’influencer revient à créer une atmosphère lui permettant d’accéder aux siennes. Il sera préférable bien-sûr, que ce climat soit propice à l’émergence de ce qui appelle intimement la conscience du patient et ne l’oriente pas vers les présupposés du praticien.

Nous noterons que « influencer » vient de du latin in-fluere (« flux » diffusé vers l’autre, en lui), comme il se disait au XIIIe siècle « influentia » pour parler des astres qui « influençaient » les choses et les êtres.

Nous trouvons une idée analogue dans le mot « considération » (cum- siderus), où nous sommes ensemble des étoiles en constellation, bénéficiant ici d’une « influence » bénéfique réciproque. La « validation existentielle » consiste à être touché par l’autre et à vivre une telle qualité de « fluence » réciproque. Les « flux » dont nous parlons ici ne résultent pas d’une volonté mais d’une posture, d’une attitude.

Une situation d’influence particulière est énoncée par Dr Stuart Brown, pionnier dans le recherche sur le jeu (qui ravira les éthologues). Il illustre, avec des photos, l’interaction qu’il peut y avoir entre deux Êtres, et comment la posture de l’un influence celle de l’autre. On y voit un chien de traîneau attaché, un ours blanc s’approcher de lui. Le chien Husky prendre l’option… d’une posture de jeu ! La suite est étonnante : l’ours joue avec le chien, ils se mordillent l’un l’autre, sans qu’il n’y ait aucune attaque, puis l’ours s’en va.

Vidéo de la conférence du Dr Stuart Brown
http://www.ted.com/talks/stuart_brown_says_play_is_more_than_fun_it_s_vital#t-1563417

1.4Influencer sans induire

Influencer en offrant un climat propice aux émergences naturelles du patient est essentiel. Ne pas induire les idées ou les pensées du patient l’est tout autant. Influencer sans induire semble paradoxal, mais en fait il ne s’agit pas de la même chose. Induire touche l’intellect en le portant à penser des choses préétablies (interprétations, croyances du praticien). Influencer touche l’Être en lui offrant de pouvoir exister (quand l’influence est bénéfique) ou de ne pas exister (quand l’influence tente de le bâillonner). Jean-Louis Revardel (successeur de Frans Veldman qui fonda l’haptonomie) n’hésite pas à mentionner :

« C’est en premier lieu le thérapeute qui, par son attitude d’accueil empathique, offre au patient d’oser se dire, d’oser narrer son histoire » (2014, p.35)

J’ajouterai que c’est par le fait qu’il se sent touché par l’Être qu’est le patient, qu’il donne à celui-ci le goût de se rencontrer lui-même.

1.5Quand l’Univers frappe à la porte

« Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’Univers et les Dieux » était inscrit sur le fronton du temple de Delphes déjà il y a bien longtemps. Ainsi il était sous-entendu qu’en chacun il y a la totalité. Nassim Haramein, physicien, nous propose aussi « tout est point, chaque point contient l’infini et tout se divise en l’infini » (Haramein, 2012, p.12).

Nous pouvions déjà considérer que chacun de tous ceux que nous avons été (qui nous constituent) contient déjà entièrement la totalité de Soi, un peu comme chacune des cellules de notre corps contient l’entièreté de notre génome. L’inscription sur le fronton du temple de Delphes sous-entend même que chacun d’entre nous contient la totalité de « l’Univers et des Dieux ». Quand Nassim Haramein explique que tout est en chaque point, cela nous conduit à imaginer (ou à percevoir) que quand un patient entre dans notre cabinet, c’est l’humanité qui se présente à nous… voire « l’Univers » ! La conscience du praticien s’en trouve élargie… nous verrons que cela est très important (accès au transpersonnel), à la condition que celui-ci ne tombe pas en mégalomanie se prenant pour un « sauveur de l’Univers ». Il est souhaitable aussi qu’il s’épargne une insoutenable quête de fantastique qui pourrait l’éloigner de celles de son patient. Qu’il se contente de faire ce qu’il y a à faire ici et maintenant (le Colibri de Pierre Rabhi), là où il est, avec humilité, quand bien même la portée en est plus vaste qu’il n’y parait.

Ce thème avait été effleuré dans la publication de février 2014 « Parts de Soi et entièreté »

1.6La réjouissance clarifiée

La réjouissance peut alors nous apparaître plus clairement, sortir d’un flou qui pourrait nous éloigner de ce nous souhaitons exprimer.

Ce n’est pas un bonheur (chance), ni un plaisir (sensorialité), ni un contentement (plein et énergie), mais ce serait plutôt une joie (existentielle), une sérénité (calme, harmonie), une plénitude (complétude), résultant d’un épanouissement (déploiement) d’une béatitude (accueil de ce qui s’offre à Soi). Elle « est » d’une façon spontanée et atemporelle (c’est-à-dire aussi bien ponctuelle qu’étendue, indépendante de la durée et du temps).

Nous trouvons dans la réjouissance la mise en présence simultanée du calme de la sérénité et de l’intensité de la joie. A la fois intense et tranquille, sans quête… la réjouissance procure une sensation d’être par avance comblé. La réjouissance définit cet état paradoxal où l’on éprouve de la tranquillité, et où en même temps l’on se sent touché par l’inestimable du patient… (c’est-à-dire par ce qui, en lui, est le plus ontique, le plus existentiel). Le praticien ne s’y trouve pas dans une attente de l’inestimable… il y est par avance... il s’y attend parce que cela « est » déjà, avant même d’avoir été identifié par la conscience.

1.7Précieux ou inestimable ?

Il est à noter que ce qui est estimable a une valeur (négative, positive ou nulle) et ne concerne que les choses. Ainsi, même ce qui est « précieux » n’est que de « grande valeur » ! Cela est dérisoire par rapport à ce qui est inestimable. Dire de ce qui est inestimable (un Être) que c’est précieux… revient à le déchoir au rang d’objet (évaluable) !  Le praticien se gardera bien de déchoir le subjectal au rang de l’objectal en l’estimant comme étant « précieux » !

Le mot joie est ambigu, car il est plutôt lié à l’idée de joyau (l’estimable de grande valeur) ! Je dirai que le mot réjouissance est plus vaste, plus ontique, encore plus proche de l’existentiel (de l’inestimable, hors du champ des valeurs et même hors du temps). La joie pourrait s’approcher d’un débordement émotionnel et temporel (jaillissement), alors que la réjouissance est spécifiquement une rencontre de la vie et ne fait pas partie du champ émotionnel, ni même temporel… elle est bien plus que de l’émotion, et son déploiement n’est pas un débordement mais une plénitude. « E-mouvoir » signifie une « mise en mouvement » alors que « réjouissance » permettrait plutôt de désigner une « mise en contact, une reconnexion, une rencontre, un déploiement », une justesse préexistante naturellement retrouvée.  

Voir la publication d’ avril 2014 L’estime de Soi ou l’inestimable de Soi

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2   Rôle de la réjouissance en thérapie

Quel rapport la réjouissance a-t-elle avec la thérapie ? Pourquoi tant de peine pour définir le contour de sa signification ?

Parce que l’attitude de gravité du praticien est incompatible avec l’efficacité thérapeutique, et celle de légèreté l’est tout autant. La gravité du praticien ne ferait qu’alourdir le cheminement du patient et rendrait effrayant ce que déjà il peine à rencontrer. La légèreté, tout aussi indésirable, ne ferait que minimiser en dérision ce que le patient révèle.

La réjouissance est une posture sans gravité ni légèreté, liée à une capacité d’émerveillement. Naturellement cet émerveillement est très loin d’une niaise fascination pour des rêves ou pour un imaginaire séduisant. Il est loin aussi d’une posture type New-Age. Cet émerveillement est profondément posé, pour ne pas dire « ancré » dans la justesse à l’œuvre, dans la pertinence de ce qui s’accomplit, dans les stratégies sophistiquées qui permettent à un être de survivre au mieux, en dépit de circonstances délicates, ou même abominables. De survivre, d’accomplir une remédiation, puis de se déployer ! La réjouissance vient spontanément d’une attention portée vers l’Être qu’est (et qu’a été) le patient, prioritairement par rapport aux faits de sa vie.

2.1La capacité d’émerveillement

La capacité d’émerveillement du praticien est essentielle. Le praticien est par avance touché par le fait que son patient évoque son intimité existentielle. Il sait parfaitement qu’aucune confidence ne lui est due et que le plus inestimable de ce qui va être partagé n’est pas l’histoire du patient, mais la rencontre de « qui il était » au cours de cette histoire avec ses ressentis intimes (dont lui-même n’avait souvent pas conscience). S’émerveiller c’est témoigner de candeur, de confiance dans l’inestimable qui se révèle. Ce n’est pas chercher quelque chose, mais rencontrer quelqu’un.

« Merveille » vient du latin « mirabilia », dérivé de « mirus » : « étonnant, étrange ». On le rapproche de plusieurs mots indoeuropéens signifiant « sourire » (dont le sanskrit « smayate » qui a donné « to smile » en anglais). Donc est « merveilleux » ce qui est extraordinaire, étonnant, surnaturel (dans l’église le mot a même désigné ainsi les miracles), ce qui engendre le sourire.

« S’émerveiller » témoigne d’une capacité de candeur, de sourire, d’étonnement. Comme si l’on touchait, non pas « ce qu’il y a de plus précieux », mais « ce qu’il y a de plus inestimable ».

2.2 L’accueil du patient

Au moment où le patient entre dans le cabinet, voire même au téléphone dès le moment où il prend rendez-vous, le praticien est dans la reconnaissance, dans la réjouissance, et même par avance dans l’émerveillement.

Tous ces mots portent leur lot d’ambiguïté, du moins dans l’usage courant qui en est fait, car ils risquent d’évoquer, chez un lecteur non averti, « une posture niaise et gentille », une sorte « d’affect positif déplacé », ou « une attitude de paix forcée » cherchant à artificiellement apaiser un patient tourmenté.

Or les mots « reconnaissance », « réjouissance » et « émerveillement » sont bien plus subtils et rendent compte d’une posture au-delà du champs émotionnel, placée dans l’idée de tact psychique, de confiance inconditionnelle en le patient et en la vie. Ils ne reflètent aucunement la moindre intention d’avoir un effet (pas même positif) sur le patient. Ils témoignent du fait que le praticien se place au cœur de la vie, qu’il se sent touché de rencontrer cette vie à l’œuvre chez son patient. Le praticien ne cherche pas à montrer sa réjouissance pas plus qu’il ne cherche à la dissimuler… tout simplement « elle est » et engendre chez lui un « sourire intérieur » indéfectible.

Cela commence dès les premières paroles, dès le premier regard. S’il se dit « qu’est-ce qu’il faut résoudre pour généreusement aider mon patient ? », il a déjà quitté la posture dont nous parlons… et cela engendre involontairement chez son patient un recul, une résistance, une crainte.

S’il se dit « à travers tout cela, "Qui" appelle la conscience du patient et se trouve en quête de reconnaissance ? », là le praticien sera naturellement en proximité et connivence avec ce qui appelle la conscience du patient, avec cette quête intime de reconnaissance, avec cette vie à l’œuvre vers la complétude et l’harmonie*.

*Voir la publication de septembre 2016 « emplacement subjectif du praticien »

Cela est facilité par une posture du praticien « au-delà de Soi », considérant aussi son patient comme étant lui-même un Être « au-delà de Soi ».

Cette notion d’un « Être au-delà de Soi » est évoquée par Jean-Louis Revardel (proche de Frans Veldman, il poursuit d’enseigner l’haptonomie) :

« C’est un être au-delà de soi – et non hors de soi […] la perception de l’autre ne peut être sans la propre perception de soi. La perception de soi et du monde est indissociable de la perception de soi-même […] par actes haptonomiques il faut entendre acte de rencontre […] » (2014, p.27)

Tous les éléments constituant la psyché (conscients et inconscients) sont alors présents en contemporanéité (hors espace temps : uchrotopiques*). Ils conduisent à une possibilité de tact psychique amenant le praticien à « se sentir touché » (charis) par ces présences, et amenant naturellement le patient à oser les rencontres au cœur de sa psyché, jadis clivée par besoin de sécurité, mais aujourd’hui émergente par quête de complétude.

*Uchrotopie : Néologisme servant à nommer le fait que, dans la psyché, les parts de soi ne sont séparées ni par le temps, ni par l’espace. Elles ne sont ni topiques, ni chroniques. Quand quelque chose est hors espace on parle d’utopie (u-topos : sans lieu) et quand elle est hors temps on parle d’uchronie (u-kronos : sans temps).

Nous retrouvons là l’espace transcendé où se trouvent le patient et le praticien tels que nous le propose Brian Thorne (proche Carl Rogers) cité par André Botteman ou par Carl Rogers lui-même :

Brian Thorne : « Est-il vrai que lorsqu’on entre dans une relation profonde on n’est plus conscient du temps et que l’on se retrouve dans une espèce d’éternité, quelque chose hors du temps ? Et qui nous permettrait d’embrasser, d’une certaine façon, la totalité des choses. » (Botteman,  Carriérologie, p12, volume 09 3-4/10)

Rogers : « J’ai l’impression, que mon esprit est entré en contact avec celui de l’autre, que notre relation se dépasse elle-même et s’intègre dans quelque chose qui la transcende et qu’adviennent alors, dans toute leur profondeur, l’épanouissement, le salut et l’énergie » (Rogers, 2001, p.168-169)

Carl Gustav Jung aussi a été particulièrement sensible à cette posture étendue dans la vastitude :

« Le Soi embrasse non seulement la psyché consciente, mais aussi la psyché inconsciente et constitue de ce fait pour ainsi dire une personnalité plus ample, que nous sommes aussi […] » (1973, p.462). 

L’accueil du patient est sous-tendu par cette posture subtile du praticien.

2.3Accueil des Êtres émergents

Quand, suite à un guidage non directif* approprié, ce qui appelle la conscience du patient se révèle aux yeux de celui-ci, ou même se laisse simplement entrevoir, la capacité de réjouissance du praticien est particulièrement essentielle.

*Voir publication de janvier 2012 « Non directivité et validations »

Qu’il s’agisse d’un de ceux que le patient a été au cours de sa vie (biographie), qu’il s’agisse de l’un de ceux dont il est issu à un moment de la leur  (transgénérationnel), qu’il s’agisse d’Êtres hors de son histoire personnelle ou familiale (transpersonnel), son émergence apparaît en toute simplicité comme un miracle : un miracle non pas inattendu, mais un miracle auquel on s’attend (sans pour autant ne rien en savoir). Cependant, bien qu’on s’y attende (car il ne peut en être autrement), on en est toujours émerveillé, touché par la grâce de l’instant. Comme pour un accouchement : les parents et la sage-femme s’attendent à la venue de l’enfant, mais au moment où il est là, ils ressentent quelque chose de spécial… même l’accoucheur ou l’accoucheuse ayant de multiples fois accompagné cet événement en restent touchés à chaque fois (bien que tout le monde s’attende depuis le début à ce qui va se passer).

Comme nous l’avons vu, le « miracle » produit l’émerveillement, et là, ce « miracle » au cœur de la psyché a ceci de particulier qu’il est en même temps « extraordinaire » (on ne parle jamais de cela dans la vie courante), et « ordinaire » (il ne peut en être autrement).

Cet émerveillement produit un flux de vie, qu’on pourrait qualifier de « flux d’amour », à la condition de clairement différencier l’amour éros (être intéressé, avec besoin), l’amour agapè (être désintéressé, avec générosité) et l’amour charis (être touché par la grâce de l’autre). Seul ce denier permet spontanément une émergence de vie, car la Vie pour « vraiment être » a besoin que l’on soit touché par sa présence (et non qu’on l’inonde d’une générosité qui ne ferait que lui souligner un manque, une insuffisance à laquelle nous prétendrions « généreusement » remédier).

Ici la capacité de réjouissance du praticien est essentielle car la vie ne peut laisser aller son déploiement ou sa remédiation que face à un émerveillement. Elle restera figée face à un flux d’énergie soi-disant positive, face à un flux de générosité prétendant faire du bien. La vie a besoin qu’on s’émerveille de sa présence pour oser être. Dans le cas contraire, afin de ne pas être altérée, elle restera discrète, protégée contre les intrusions intempestives qui pourraient l’altérer.

Bien des praticiens ne mesurent pas à quel point les résistances de leurs patients ne sont que des protections naturelles du fait d’une posture thérapeutique mal ajustée, trop portée sur la générosité ou sur un pouvoir, ou une astuce qui ferait du bien… oubliant simplement de se laisser toucher par la vie émergente, oubliant de s’émerveiller, oubliant de se réjouir. Cela avait été perçu par Carl Gustav Jung et Carl Ransom Rogers :

« Dans la littérature il est tellement souvent question de résistances du malade que cela pourrait donner à penser qu’on tente de lui imposer des directives, alors que c’est en lui que de façon naturelle, doivent croître les forces de guérison » (Jung, 1973, p.157)

« …la résistance à la thérapie et au thérapeute n’est ni une phase inévitable, ni une phase désirable de la psychothérapie, mais elle naît avant tout des piètres techniques de l’aidant dans le maniement des problèmes et des sentiments du client. » (Rogers 1996, p.155)

2.4Invitation du patient vers lui-même

Une fois identifié (grâce au  guidage non directif) l’Être de la psyché (part de Soi) qui appelait la conscience du patient (à travers le symptôme initial), il reste encore à accomplir une remédiation entre celui-ci et l’Être actuel qu’est le patient (jusque-là, ils étaient en clivage)

Pour qu’une telle chose puisse aisément s’accomplir, il importe que le praticien soit au côté de cet Être émergent et invite le patient à les rejoindre (s’il reste à distance, ou même en simple proximité du patient et l’invite à « aller voir là-bas cet Être qui attend »… cela fonctionne mal).

De cette proximité du praticien avec l’Être émergent, de cette connivence, de cette confiance, et de cet émerveillement, le patient peut se nourrir et oser rejoindre ce qui, en lui, attendait son attention, sa reconnaissance, sa validation. Voyant le praticien qui y est déjà avec sérénité, le patient peut oser rejoindre ce « lieu psychique » qui prend ainsi des allures existentielles, humaines, voire sacrées.

C’est de cette façon que le clivage disparaît naturellement. Sans doute Sandor Ferenczi (psychanalyste contemporain de Freud) serait-il heureux d’une telle possibilité qu’il a généreusement recherchée toute sa vie.

Nathalie Zajde (maître de conférences en psychologie clinique à Paris VIII) nous fait cadeau de ces remarques de Ferenczi, trop mal connues : 

« Une partie de l’être reste en éveil tandis que l’autre, la partie sensible, disparaît littéralement sous le choc […] il est devenu deux, […] » (Nathalie Zajde (2012, p.180,181)

« A quoi bon réveiller les vécus douloureux si c’est pour leur conférer une nouvelle recrudescence » (ibid, p.182,183).

Sandor Ferenczi a bien remarqué d’une part ce clivage et d’autre part que la reviviscence du trauma ne libère pas. L’équation était « comment en tenir compte sans pour autant générer de reviviscence ? ». La réponse tient sans doute dans ce phénomène de réjouissance qu’il n’était pas aisé d’identifier dans un univers thérapeutique où, d’une part, la distance professionnelle était un paradigme tellement présent (que Ferenczi commençait à remettre en question), et où, d’autre part, la croyance qu’il fallût se libérer d’un mal venait effondrer les possibilités de réjouissance du praticien, dont l’attention était captive de ce présupposé.

La capacité de réjouissance du praticien face à la vie qui émerge, qui se révèle, qui retrouve sa place au monde, est l’ingrédient essentiel de la thérapie.

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3   Les sources de la réjouissance

3.1La réjouissance ne se décrète pas

Il est bien évident que cette réjouissance ne se décrète pas et qu’il ne suffit pas de la souhaiter pour qu’elle soit effective. Si elle est « jouée » elle a l’air ridicule. La réjouissance n’a pas d’autre possibilité que d’être authentique ou de ne pas être… et cela dépend simplement de ce qui mobilise notre attention ou notre intérêt.

La réjouissance est spontanée quand on se tourne vers l’ontique (quand on est attentionné) :

Qui regarde l’inestimable est naturellement attentionné et réjoui, porté vers la reconnaissance.

La réjouissance devient impossible quand on se tourne, même avec une grande humanité, vers les problèmes, l’analyse ou les solutions (quand on est intéressé) :

Qui regarde l’horreur ou les problèmes est naturellement affecté et bouleversé, porté vers des recherches de solutions et de protections.

Qui cherche à analyser est naturellement intéressé, porté à intellectuellement expliquer.

Qui cherche à éviter les deux derniers écueils devient naturellement indifférent, porté à une non présence.

S’il est impossible d’être dans la réjouissance sur commande (au risque d’avoir l’air stupide) il est tout à fait possible d’avoir pour principe de tourner son attention vers l’inestimable, c’est-à-dire vers l’Être, plus que vers les faits.

Prenons soin cependant de ne pas nier les faits, et de valider ce qui a été éprouvé par l’Être quand ceux-ci se sont produits. Il s’agit simplement d’un ordre d’attention : 1/ l’Être (reconnaissance), 2/ ce qui a été éprouvé par l’Être (validation), 3/ ce qui s’est passé (estimation).

La reconnaissance (re-co-naître : « naître au monde ensemble ») ne concerne que les Êtres. L’émotion, elle, sera simplement validée car le mot « reconnaissance » ne s’y applique pas.

La validation concernera deux éléments : 1/ la nature de ce qui a été éprouvé (peur, colère, douleur, désespoir…) 2/ la dimension de ce qui a été éprouvé (à quel point cela était fort).

L’estimation concernera les faits. Leur existence ne doit en aucun cas être ignorée car cela reviendrait à nier une réalité (négationnisme) durant laquelle le ressenti s’est produit. Certes, il n’est pas envisageable de juger les Êtres car l’Être demeure inestimable (non jugeable et non évaluable) mais l’on est en devoir d’avoir du jugement envers les faits et les actes (ce sont des « choses » donc c’est évaluable). Hiérarchiser les faits en positifs (contribuant au mieux-être), nuls (n’apportant aucun mieux-être), ou négatifs (nuisant au mieux-être) est essentiel afin d’harmoniser la vie de chacun et de tous (plan personnel et plan social).

Comme le disait le philosophe anglais John Stuart Mill à propos de l’utilitarisme :

« Est utile tout ce qui donne le bonheur sans nuire à tout ce qui vit. […] cet idéal n’est pas le plus grand bonheur de l’agent lui-même, mais la plus grande somme de bonheur totalisé […] une existence aussi exempte que possible de douleurs, aussi riche que possible de jouissances, envisagées du double point de vue de la quantité et de la qualité ».

« Une existence telle qu’on vient de la décrire pourrait être assurée dans la plus large mesure possible, à tous les hommes ; et point seulement à eux, mais autant que la nature des choses le comporte, à tous les êtres sentants de la création ».

(1988, p.57 -58)

Ainsi, avoir du jugement envers les faits (évaluables) reste essentiel pour la vie sociale, tout en considérant les Êtres (inestimables) comme premiers.

Les Êtres sont reconnus (place au monde, re-co-naissance).
Les ressentis sont validés (attestation de leur nature et de leur dimension).
Les faits sont estimés (évalués comme positifs, nuls, ou négatifs).

3.2Une qualité naturelle

Pour que cette réjouissance soit, il n’y a sans doute rien à ajouter à notre capacité. Il y a comme une nature spontanée en soi à laquelle donner sa place.

Cette capacité à éprouver des sentiments nobles est selon John Stuart Mill, une qualité naturelle de l’humain, si elle n’est pas entravée : 

« L’aptitude à éprouver des sentiments nobles est, chez la plupart des hommes, une plante très fragile qui meurt facilement, non seulement sous l’action de forces ennemies, mais aussi par simple manque d’aliments » (Mill, 1988, p.55).

« Les hommes perdent leurs aspirations supérieures comme ils perdent leurs goûts intellectuels, parce qu’ils n’ont pas le temps ou l’occasion de les satisfaire ; et ils s’adonnent aux plaisirs inférieurs, non parce qu’ils les préfèrent délibérément, mais parce que ces plaisirs sont les seuls qui leur soient accessibles, ou les seuls dont ils soient capables de jouir un peu plus longtemps » (Ibid., p.57)

Abraham Maslow, méconnu sur cet aspect, met aussi en exergue cette qualité intrinsèque de l’Être humain, trop souvent malmenée par notre culture :

« Nous en arrivons à ce paradoxe que nos instincts humains, du moins ce qu’il en reste, sont si faibles qu’ils doivent être protégés contre la culture, contre l’éducation, contre l’apprentissage – en un mot contre le risque d’être étouffés par l’environnement. » (2008, p119).

Il nomme « paroxystiques » les expériences profondes de cette humanité qui nous habite. Selon lui, une façon de flirter avec le paradis :

« j’ai pu comparer métaphoriquement l’expérience paroxystique à une visite à un paradis individuel d’où la personne revient ensuite sur terre […] d’un paradis qui existe en permanence tout autour de nous, toujours là pour que nous y entrions, pour un petit moment au moins […] (2004, p.133)

Il évoque ce qui se déploie chez un sujet qui traverse une telle expérience : « Le paroxystique revient plus aimant et plus tolérant, et ainsi plus spontané, plus sincère, plus innocent » (ibid, p.134).

Il est particulièrement sensible à une communication qui privilégie l’Être :

« D’ailleurs d’autres impressions, plus vagues encore, me dictent que la communication facilitée par l’usage de la langue ontique s’accompagne d’une grande intimité avec l’interlocuteur, du sentiment de partager des loyautés communes, d’œuvrer pour un même objectif, d’être en ˝sympathie˝, de ressentir comme un lien de parenté avec lui, d’en être en quelque sorte coresponsable » (2006, p.273).

Il évoque une sorte de « chez-nous d’humanité » (où l’on peut tous exister selon sa propre différence) … et surtout, une perception unifiée qui ne met plus en exergue les déficiences, mais quelque chose d’atemporel (d’uchrotopique dirions-nous en maïeusthésie)

 « J’ai parlé de perception unifiée, désignant par-là la fusion du domaine de l’Être et du domaine des déficiences, la fusion de l’éternel et du temporel, du sacré et du profane, etc. » (2004, p.150).

Abraham Maslow est hélas assez méconnu pour cette subtilité, qui est un accès direct à la réjouissance… donc à l’efficacité des accompagnements psychologiques, ou des psychothérapies. II est un des rares à avoir pointé cette qualité naturelle de l’humain, loin des analyses et des artifices, loin des techniques et des solutions*

*n’oublions pas qu’il n’a jamais parlé de « pyramide », mais seulement de « hiérarchie des besoins » en plaçant les besoins ontiques (c’est-à-dire « existentiels ») comme fondement, et qu’on a à tort détourné la profondeur de son propos.

3.3Les paradigmes et fondements

Un paradigme, c’est un appui sur lequel nous fondons notre mode de pensée. Par exemple « la terre est plate » était un paradigme, « la terre est au centre de l’Univers » en était un autre. C’est un peu comme un axiome que l’on admet et sur lequel s’appuie ensuite l’échafaudage de nos réflexions. « Dieu existe » en est un, « Dieu n’existe pas » en est un autre.

De façon plus scientifique, « par deux points il ne passe qu’une droite » en est un aussi (cela s’appelle « axiome »). Mais si l’on pense à des espaces non Euclidiens, cela devient faux et l’on peut aussi avoir « par deux points il passe une infinité de droites ».

Philippe Pinel (initiateur de la psychiatrie) a remis en cause le paradigme selon lequel les malades mentaux étaient « fous » (c’est-à-dire vides). Il préféra partir de l’idée qu’ils sont simplement « devenus étrangers à eux-mêmes » (aliénés, c’est à dire « clivés »). Sandor Ferenczi, comme lui, prit comme paradigme la notion de clivage de la psyché lors d’un trauma, Sigmund Freud, lui, abandonna cette éventualité pour adopter le paradigme des stades du développement. Carl Gustav Jung, de son côté, prit celui du Soi (de la vastitude de celui-ci), des archétypes et de l’individuation.

Ainsi, nous constatons que, en dehors de tout trauma qui pourrait venir altérer notre réflexion, il y a des certitudes sur lesquelles nous appuyons nos pensées (religieuses, athées, philosophiques ou scientifiques). Par exemple « le travail est fatigant ». C’est parfois vrai, mais il peut pourtant aussi être dynamisant ou ressourçant. « Les punitions et les récompenses sont sources de motivation » est aussi un paradigme… dont la psychologie positive a démontré que c’est faux et que la réalité expérimentale prouve même le contraire.

Le paradigme est une aide qui délimite « une zone où penser d’une certaine manière ». Il permet une sorte de « prêt à penser » qui fait gagner du temps. Cette commodité devient cependant vite encombrante si on l’adopte de façon absolue, définitive, sans discernement, si on en fait une croyance absolue, sans remise en cause possible. Par exemple, en psychologie, le « trouble » définit un « dysfonctionnement biologique ou mental » (DSMIVTR, p.35). C’est aussi un paradigme. Cela peut être vrai, mais ne tient pas compte de l’éventualité où le symptôme manifeste une tentative naturelle de retour à l’équilibre (remédiation) ou de déploiement (individuation).

Dans l’ouvrage « Game storming » (David Gray and all. 2014), les auteurs imaginent les débuts de réflexion d’un groupe avec la consigne suivante : « imaginez ce qui est le plus invraisemblable » (et non pas « ce qui est le plus efficace »). Cela leur permet de se libérer des paradigmes limitants et donne accès à de réelles nouveautés comme pistes de réflexion.

Il est essentiel pour un praticien de ne s’enfermer dans aucun système, de rester aussi libre que possible, d’accepter d’apprendre sans cesse de ses patients, et aussi en soi-même, sans pour autant ne rien négliger des apports extérieurs d’auteurs et de confrères. Nous réalisons bien vite que nous ne pouvons que modestement faire au mieux… mais c’est déjà une belle avancée.

Pour préciser la notion de réjouissance, cette publication propose une remise en cause des paradigmes qui s’appuient sur les dysfonctionnements et sur les corrections à apporter (sans les nier pour autant). Elle propose un nouveau regard possible (qui s’ajoute à l’ancien) : aller vers les justesses en cours et les émergences existentielles (psychologie de la pertinence).

3.4Le point d’où regarde le praticien

Le point d’où regarde le praticien est déterminant. Regarde-t-il depuis un endroit d’où l’on observe les dysfonctionnements afin d’y remédier ? Ou d’un point où l’on perçoit les justesses à l’œuvre afin de les accompagner ? Regarde-t-il un patient qui a un problème à résoudre ? Ou un Être en quête de remédiations ou de déploiements révélés par ses symptômes ?

Les paradigmes qu’adopte le praticien déterminent à son insu le point d’où il regarde (et vers où il regarde). Ce point d’où il regarde, détermine le fait qu’il accède ou non à la réjouissance.

Outre le fait que le paradigme de l’ontique et de la pertinence est beaucoup moins éprouvant pour le praticien (car il ne reçoit aucune charge), cela est profondément encourageant pour le patient qui se sent ainsi porté vers lui-même.

Ce point d’où regarde le praticien peut même être encore précisé : est-il au côté du patient pour l’inviter à aller « là-bas » rejoindre ce qui en lui attend une remédiation ? Ou bien est-il déjà « à côté » de ce qui appelle la conscience de celui-ci afin de l’inviter à les rejoindre ? Dans le premier cas, quelle que soit la délicatesse du praticien, le patient peut se sentir hésitant car cet « endroit » de sa psyché ne lui semble pas fréquentable ; dans le second, il y va généralement spontanément avec confiance car le praticien y est déjà, et de ce fait, c’est beaucoup moins inquiétant.

Voir la publication de septembre 2016 « Emplacement subjectif du praticien ».

3.5Connivence et réjouissance

Non seulement le praticien regarde depuis ce point de vue, mais en plus il est en confiance avec ce qui s’accomplit dans la psyché de son patient. Cela permet de se positionner avec la confiance inconditionnelle recommandée par Carl Rogers.

Mais cette confiance inconditionnelle peut être davantage précisée : plus qu’une confiance inconditionnelle en le patient qui, en consultation, demande qu’on le débarrasse de son symptôme… le praticien a une confiance inconditionnelle en ce qui appelle la conscience du patient, justement grâce à ce symptôme. Le praticien aura même une connivence avec ce qui au plus profond de la psyché de son patient appelle vers une remédiation ou un déploiement.

Avec une forme de jubilation devant cet accomplissement potentiel, le praticien se laisse émerveiller avec candeur par ces émergences dont le patient lui fait la grâce. C’est en effet un privilège pour le praticien de se trouver présent face à cette « chorégraphie de la psyché » qui se rejoint elle-même pour mieux venir au monde.

3.6La zone vers où regarde le praticien

Les symptômes se retrouvent ainsi être comme des « portes d’entrée » vers ce qu’il y a de plus inestimable en le patient. Même en situation de traumas majeurs, quand les événements sont des horreurs absolues, et que les émotions sont dévastatrices, ce qui reste inestimable c’est, de façon inaliénable : « qui était le patient à ce moment-là ». C’est « celui qu’il était » qui attend d’être rejoint et reconnu, et non ce qui s’est passé, ni même ce qui a été ressenti.

Pour le praticien, non seulement il y a un point d’où il regarde, mais il y a aussi une direction dans laquelle il regarde. Et cette direction est tout autant déterminante pour le fait qu’il y ait ou non de la réjouissance naturelle.

Le plan existentiel : doit impérativement bénéficier de reconnaissance

Le plan émotionnel : doit juste être validé (nature et dimension)

Le plan événementiel : peut, si nécessaire, être estimé (évalué en positif, négatif, ou nul)

Ces trois plans sont perçus par le praticien avec une priorisation : l’existentiel en premier, l’émotionnel en second et l’événementiel en troisième.

De plus, l’existentiel au-delà du sensoriel (plus ou moins douloureux, indicateur de survie biologique - biosphère), est aussi concerné par l’expérientiel (plus ou moins représentable mentalement, indicateur de Vie psychique plus ou moins satisfaite ou menacée - noosphère). Cette notion d’expérientiel est particulièrement importante quand il s’agit de sujets dits « psychotiques », « schizophrènes » ou même « autistes » car ils ont une expérience profonde qui n’est pas liée à un trauma, qui est difficilement pensable, souvent indicible, où la souffrance n’est pas tant l’expérience en elle-même que son côté impensable et indicible, sans aucun interlocuteur avec qui le partager.

*voir sur ce site les publications « mieux comprendre la psychose » de octobre 2012 et  « réflexions sur l’autisme » de septembre 2013.

Vers où le praticien dirige son attention est défini par la notion de fond et de forme : ce qu’il met en premier plan (forme) lui apparaîtra avec netteté ; ce qu’il place en second plan (fond) restera un peu dans le flou, ou même lui sera parfois hors champ (comme dans le cas de la cécité d’inattention).

3.7Le but du praticien

« Depuis là où il regarde » et « vers là où il regarde » sont deux éléments essentiels permettant à la réjouissance d’« être là » de façon spontanée. S’y ajoute la quête du praticien, qui est tout aussi essentielle.

Le but qui motive l’action est déterminant : le praticien a-t-il pour projet de résoudre ou apaiser quoi que ce soit ? Ou bien a-t-il pour projet d’accompagner une remédiation ou une individuation en cours ? Dans le premier cas le praticien aura la gravité de celui qui cherche à résoudre un problème, dans le second il aura la joie d’être conduit vers une venue au monde (d’où le mot « maïeusthésie » de « maieutika », art d’accoucher et « aisth » sensible à la beauté).

Certes les mots « but » et « projet », sont des mots imparfaits pour désigner ce dont nous parlons ici. Ils indiquent une volonté, un effort. « Pro-jeter », c’est jeter en avant et courir ensuite après. « But », c’est déterminer une direction et un aboutissement pour ensuite y aller… cela peut être très motivant et énergisant... mais aussi stérile ! En fait, là, nous parlons de ce qui en le patient attend déjà d’être rejoint et non du projet du praticien, ni même de celui qui motive le patient qui souvent songe surtout à se débarrasser de son symptôme. « L’accompagnement d’une justesse à l’œuvre », est une expression qui définit mieux ce que nous souhaitons ici évoquer. Nous rejoignons simplement ce qui est déjà là et qui attend d’être rejoint, et ne produisons aucun but à atteindre. Cela amène une grande tranquillité, tant chez le patient que chez le praticien.

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4   Raisonnance ou résonance

4.1Raisonnance

La raisonnance (raison, raisonnement, intellect) permet l’analyse objectale (analyse des objets, des faits, des logiques). Or si l’intellect est un allié de grande performance concernant le monde des choses, il est un cancre concernant les enjeux subjectaux (celui des Êtres, des Sujets).

S’appuyer sur l’analyse des causes et des effets pour accomplir des rencontres au sein de la psyché revient à utiliser le mauvais outil. Nous verrons que l’existentiel ne se pense pas en termes de causalité. L’outil intellectuel n’est aucunement mauvais en lui-même (il est même d’une grande utilité), mais s’en servir ici revient à l’utiliser au mauvais endroit. Le fait d’utiliser un marteau pour enfoncer une vis ne fait pas du marteau un mauvais outil, mais seulement un outil utilisé au mauvais endroit, tout autant que d’utiliser un tournevis pour enfoncer un clou.

L’utilisation de l’intellect (raisonnance) ouvre un monde de « réflexion » où les multiples reflets spéculatifs ou spéculaires (glaces et miroirs) finissent par disperser et perdre l’attention vers des choses, alors qu’elle est attendue vers des Êtres. La conscience se retrouve alors leurrée, dans un lieu psychique analogue aux labyrinthes de glaces ou aux trains fantômes de la fête foraine. On peut s’y amuser, même s’amuser à s’y perdre ou à s’y faire peur… mais tel n’est pas censé être le but du praticien, et ce n’est certainement pas celui du patient.

4.2Résonance

Concernant l’existentiel, la sensibilité subjectale (sensibilité aux sujets, aux Êtres) est bien plus importante que l’analyse objectale. Il s’agit alors de résonnance (harmonie) et non plus de raisonnance (réflexion). L’humanité de l’autre est en résonnance avec l’humanité de Soi*, hors tout phénomène de transfert ou de projections. Cela porte naturellement vers une réjouissance continuelle lors de l’entretien.

*cité précédemment : « […] sentiment de partager des loyautés communes, d’œuvrer pour un même objectif, d’être en ˝sympathie˝, de ressentir comme un lien de parenté avec lui, […] » (Maslow, 2006, p.273)

De résonances en résonances le chemin est balisé d’harmonies (ou d’harmoniques) permettant d’accéder aux chemins naturels de cette « chorégraphie de la psyché » qui, se cherchant elle-même spontanément, pousse naturellement comme une plante vers la lumière.

La résonance est une sensibilité à l’enjeu existentiel. Alors que les spéculations analytiques, poussent vers un affect à propos de choses plus ou moins fascinantes ou repoussantes, la sensibilité (résonance), elle, porte naturellement vers l’existentiel qui est une source naturelle de réjouissance.

Il ne s’agit aucunement de chercher une source qui serait agréable par rapport à une autre qui ne le serait pas. Il s’agit simplement de se tourner vers l’Être ou vers les Êtres, et cela est toujours une source magnifique. Il n’y a rien à embellir, ni la moindre réjouissance à forcer. Aucune idéalisation, ni aucunes « lunettes roses », aucune mièvrerie, aucun fantasme enfantin de beauté à l’œuvre.  Nous ne sommes pas dans un conte de fées, mais simplement dans la zone existentielle. Il se trouve simplement que la zone existentielle est systématiquement source de réjouissance et que c’est celle que l’on regarde souvent le moins car les problèmes et douleurs exercent une fascination qui nous en éloigne.

« […] ce qui est à voir ne se situe pas où se porte notre regard. » (Revardel, 2014, p.16)

La question n’est pas simple, car se tourner résolument vers l’Être ne consiste pas à en nier le ressenti douloureux lorsqu’il y a eu douleur. Il ne s’agit pas non plus de nier ce qui s’est événementiellement passé.

Comme nous l’avons vu dans le chapitre 3.6, il s’agit simplement de « la zone vers où regarde le praticien », celle qui mobilise son attention en priorité. En aucun cas le praticien n’est aveugle à l’émotion et à la circonstance. Il priorise simplement le Sujet. C’est juste une « question de fond et de forme » où la « forme » (ce qui est priorisé dans la perception) est l’Être (premier plan), alors que le « fond » (arrière-plan) est l’émotion (en second plan) et la circonstance (en troisième plan).

La résonance permet en toute simplicité de suivre le cours d’un écoulement de Vie qui conduit là où l’« action psychique » doit être mise en œuvre.

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5   La mise en œuvre attendue

Résonance, réjouissance, attention, connivence… tout cela reste insuffisant si nous n’aboutissons pas à une action concrète bien précise.

La réalisation attendue n’est pas de guérir ou supprimer un symptôme, mais d’accomplir une remédiation ou un déploiement. L’action mise en œuvre qui le permet est une action qui découle spontanément de la posture (attention, réjouissance) et de l’emplacement subjectif du praticien (proximité et connivence avec l’Être émergent). A cette posture et emplacement subjectif, s’ajoute spontanément une action concrète.

5.1Concrètement, en vue de remédiation

L’intérêt de cet état de réjouissance est qu’il est source d’une action spontanée adaptée. Le praticien invite alors le patient à une action bien précise : la reconnaissance de celui qu’il était et qui attirait son attention grâce au symptôme, ainsi que la validation du ressenti éprouvé par celui-ci.

Sans être trop directif, mais avec une intention claire, le praticien, déjà proche de l’Être de Soi émergent, se retrouve à inviter sans détour le patient vers cette reconnaissance et cette validation. Comme nous l’avons vu cela est facilité par le fait que le praticien est en réjouissance, confiance et connivence.

Cependant, aussi proche qu’il soit de l’Être émergent, son attention ne quitte pas l’Être présent qu’est le patient. Ainsi, en dépit de son affirmation, le praticien sera spontanément sensible à toute manifestation d’hésitation (même seulement implicite). Ces subtiles hésitations seront profondément respectées si elles se manifestent, et même considérées comme l’indication du meilleur chemin à emprunter. C’est cet ajustement possible qui permet au praticien une affirmation suffisante, sans crainte d’ingérence.

En effet, sous prétexte de respect, trop de détours en délicatesses ne ferait que signifier une difficulté d’accès, des incertitudes, des craintes, et seraient contre-productifs. La subtilité de l’action et de la posture se trouve produire une affirmation solide venant assurer le chemin, mais toujours ouverte à une précieuse remise en cause, toujours acceptée comme une opportunité, jamais comme une résistance.

Le praticien est ainsi en même temps dans une profonde affirmation et dans une délicate attention… il s’ajuste au moindre souffle, mais il y va franchement.

Cela le conduit à une phrase précise qui invite le patient à manifester sa reconnaissance et sa validation à ce qui, en lui, appelait son attention (grâce à ce symptôme jadis jugé comme indésirable).

Cette phrase peut prendre l’aspect d’une invitation indirecte : « vous pouvez lui dire que vous prenez la mesure de son vécu » ; ou mieux encore, d’un énoncé direct : « vous pouvez lui dire : Je prends la mesure de ce que tu as éprouvé ».

5.1.1    La formule directe

La formule directe est toujours préférable à la formule indirecte, même si les deux peuvent fonctionner. Elle témoigne bien mieux de l’investissement, de la réjouissance et de la confiance du praticien. Il y est pleinement, il fait spontanément, il participe en connivence.

Naturellement le cœur de la psyché est une zone extrêmement intime et il est hors de question de produire la moindre intrusion ou la moindre ingérence. Mais ce lieu particulier de la psyché est à la fois un intime « chez Soi » du patient, et un intime « chez nous » de l’humanité. Comme le disaient Carl Rogers et Abraham Maslow, plus ce que nous abordons est intime, plus c’est général :

« Ce qui est le plus personnel est aussi ce qu’il y a de plus général. » (Rogers, 2005, p.22).

« Être capable de voir l’universel dans et à travers le particulier et l’éternel dans et à travers le temporel et le momentané » (Maslow, 2006, p.137).

« En un mot ils se ressemblent en étant simultanément très différents les uns des autres (Maslow, 2008, p.237), « Plus un besoin est élevé, plus il appartient en propre à l’espèce humaine » (p.114).

De ce fait, il ne s’agit pas d’intrusion ni d’ingérence, mais de la posture d’un praticien qui se sent touché par un « chez nous » d’une grande intimité, hors des situations de transferts ou de projections, parfaitement respectueux de la moindre spécificité propre au patient, la laissant émerger comme une inestimable particularité venant guider l’accompagnement.

De ce fait, il ose la formule directe sans crainte d’indélicatesse. Il se trouve que « trop de précautions » devient une forme d’indélicatesse, comme si l’on avait peur d’aller plus près du patient, comme si cet endroit de sa psyché n’était pas naturellement rencontrable, comme s’il fallait un protocole social spécial, comme si cet Être était considéré comme fragile, immature, incapable de signifier (ne serait-ce qu’implicitement) ce qui est juste ou non pour lui.   

Les convenances sociales concernent le moi et le surmoi, avec une crainte de l’intimité du Soi. Quand ce que nous faisons concerne le Soi, la délicatesse consiste plus à « oser » qu’à « hésiter ».

5.1.2    Un flux restauré

Le fait que le praticien ose une formule directe « Vous pouvez lui dire : Je prends la mesure de ce que tu as éprouvé » témoigne de sa proximité avec l’Être émergent qui attendait cela. Ainsi ce dernier le reçoit déjà de la part du praticien. Mais, en plus, cela « montre le chemin » au patient, afin de lui en faciliter la mise en œuvre. Comme un exemple, comme un chemin déjà emprunté, il n’a plus qu’à suivre les traces. Le plus souvent, le patient le « dit » intérieurement en même temps que le praticien le prononce, et la réhabilitation se fait spontanément.

Ainsi, un flux de vie est restauré au sein de la psyché qui, jusque-là, par survie, était clivée. La Vie a généré le symptôme spécialement pour que nous puissions identifier la zone de clivage pour y accomplir une remédiation. C’est ce qui fait la confiance du praticien, sa réjouissance et sa spontanéité.

Les clivages de survie concernent le patient dans une zone de sa vie blessée (biographie), l’un de ses ascendants dans la sienne (intergénérationnel ou transgénérationnel), un pan entier de l’humanité ou même au-delà (transpersonnel).

Cela peut aussi concerner son corps tel un interlocuteur à part entière ayant éprouvé une émotion qui lui est propre (et qui ne concerne pas la psyché au sens habituel)*, ou même un de ceux qu’a été le patient, qui n’a pas souffert, mais qui a été clivé afin de le mettre à l’abri de la tempête. En ce cas l’Être de Soi qui est retrouvé ne sera pas validé dans sa douleur éprouvée, mais dans sa qualité ontique exceptionnelle (non altérée) et sa patience (depuis tout ce temps qu’il attend !). Il est alors réhabilité en tant que source inestimable du patient. Il n’y a alors pas d’émotionnel pénible à valider, mais seulement une profonde qualité existentielle à attester.

*Voir le publication de janvier 2013  « Le corps comme interlocuteur, le grand oublié de la psychothérapie »

5.2 Concrètement, en vue de déploiement

Il se peut qu’il ne s’agisse pas de remédiation… mais de déploiement. En ce cas, inutile de penser en termes de clivages. Tout au plus, nous pouvons interpréter une telle situation en termes de clivage entre le patient présent et celui qu’il a à être ultérieurement. Une sorte de clivage avec la psyché future.

5.2.1    Oser être

Il se trouve que pour « oser être », le patient a juste besoin d’être rencontré et de sentir la réjouissance de celui qui le rencontre.

Un des rares praticiens et théoriciens à avoir envisagé ouvertement une telle chose est Frans Veldman dans l’haptonomie :

« […] consiste à accepter et à confirmer affectivement l’"autre" dans le Bon - le Bon en Soi  - qu’il représente ou peut devenir. » (Veldman, 2001, p.45)

Même si je ne partage pas le mot « affectivité » car il s’agit de se sentir touché (tact) et non affecté (impact), je sais que la pratique de Frans Veldman était centrée sur cette réjouissance face à cette bonté et beauté de l’existentiel en l’autre, ainsi que sa justesse et sa pertinence.

Carl Gustav Jung a aussi touché cette dimension avec le concept du Soi qui est à la fois le centre et le Tout, et celui de l’individuation (à ne pas confondre avec l’individualisation du moi). Son approche peut être qualifiée « d’hyper systémique » (en concernement avec l’entièreté du monde).

Le déploiement (pleinement devenir qui l’on a à être) est favorisé par une telle posture du praticien. Il importe néanmoins que le praticien soit ici habitué à cette irruption du futur dans le présent et soit sensible à la dimension expérientielle du vécu de son patient (on dira plutôt de son « parturient » en gestation de Soi). Pour cela la psychologie transpersonnelle doit lui être familière car les dimensions touchées sont parfois de l’ordre de l’humanité… ou même au-delà, ainsi que le propose l’inscription sur le fronton du temple de Delphes : « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’Univers et les Dieux ».

Les remédiations accomplies favorisent le phénomène de déploiement….

5.2.2    …et vice-versa

Il se peut que le déploiement en s’accomplissant favorise des remédiations, de la même façon que des remédiations en se réalisant favorisent le déploiement à accomplir.

En réhabilitant des éléments clivés de la psyché, le sujet peut constituer intérieurement « une équipe solide » permettant d’accomplir ensuite son déploiement.

En se déployant, celui qu’il a à être lui offre une ressource inattendue pour accomplir des remédiations qui étaient restées en suspens.

Ainsi le praticien aura avantage à se familiariser avec les remédiations autant qu’avec les déploiements, car les deux possibilités peuvent se succéder dans un ordre qui n’est pas prévisible. Insister sur l’un alors que c’est l’autre qui est d’actualité peut conduire un patient vers une légitime résistance.

Outre le fait que le praticien considère aussi bien le biographique que le transgénérationnel, ou le transpersonnel en termes de remédiations (éléments clivés où restaurer un flux de vie… sans oublier « le corps comme interlocuteur sensible » ni « les éléments clivés sans avoir été altérés » ), il sera tout autant sensible aux phénomènes de déploiement vers un devenir qui « appelle » le patient. Il saura qu’il n’y a pas d’ordre préfini et pourra s’ouvrir à l’actualité du patient sans préjugés (danger des paradigmes trop stricts ou exclusifs qui fabriquent du « prêt à penser »).

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6   L’aboutissement

6.1Un entretien, des entretiens

Combien d’entretiens pour aboutir à une remédiation ou une individuation ? On ne peut en aucun cas prédire une telle chose, mais il est certain que chaque séance doit comporter une forme de « bouclage », ou au moins aboutir à un point signifiant. Quand ce point est atteint, les remédiations ou déploiements à accomplir restent multiples sur l’ensemble de l’existence depuis son début… jusqu’à sa fin.

Comme le disait Sénèque au début de notre ère (4-55) dans « La brièveté de la vie » : La vie n’est pas longue du fait de sa durée, mais du fait qu’on n’en a rien retranché.

« Toutes les années antérieures à eux leurs sont acquises […] Aucun siècle nous est interdit » (XIV-1 ; ibid., p.127), « […] la nature nous admet dans la communauté du temps tout entier. » (XIV-2 ; ibid.,p.127). « C’est le propre d’un grand homme, crois-moi, et qui s’élève au-dessus des erreurs humaines, que de ne rien soustraire de son temps. » (VII-4, p.113)

Heureusement, ce n’est pas pour autant qu’un Être est censé consulter durant toute sa vie ! Ce qui importe, c’est que le praticien accompagne ce qui est d’actualité dans la psyché de son patient. Et ce qui est d’actualité chez le patient, c’est ce qui, en lui, appelle sa conscience maintenant : c’est à dire ce qui se manifeste à travers son ou ses symptômes présents.

Il se peut tout à fait qu’en quelques séances, parfois une seule, une remédiation ou un déploiement majeur s’accomplisse. Il se peut que cela soit pour le moment tout à fait suffisant pour celui qui vient consulter, et que l’étape suivante ne se présente qu’après plusieurs mois, ou même plusieurs années. Il se peut même, si le praticien est suffisamment efficient, que celui qui consulte gagne suffisamment en autonomie pour ensuite accomplir par lui-même ces remédiations ou déploiements ultérieurs, du moins un grand nombre d’entre eux. Il ne consultera alors à nouveau que dans les situations les plus délicates.

Il se peut aussi qu’un cheminement plus long soit nécessaire à un aboutissement signifiant, qu’un accompagnement de vie soit requis. Ce qui importe, c’est qu’une personne puisse consulter la fois où elle en a besoin, sans devoir s’engager systématiquement dans un long processus thérapeutique. Les options de thérapies longues ont leur place, mais les personnes en souffrance psychologique ont besoin qu’une autre option soit disponible. De plus, la notion de thérapie longue est mal adaptée aux situations d’urgence.

6.2Refaire le tour du sens

Quand le praticien « boucle » une séance, il vérifie généralement :

Comment se sent cet Être de Soi qui appelait la conscience.

Comment se sent maintenant le patient.

Comment est désormais le symptôme initial à l’issu de cet accomplissement : est-il identique ou bien différent ? S’il est différent, il est différent de quelle manière ?

Si le mieux-être est signifiant, sur ces trois points, le « bouclage » est confirmé sur ce que le symptôme appelait à la conscience.

A cette étape il peut être judicieux pour le praticien de « refaire le tour de ce qui a été accompli » en le nommant. Par exemple : « ce symptôme a permis que celui que vous étiez soit enfin rencontré et réhabilité ». L’idée est de « dédiaboliser » le symptôme, afin que celui-ci ne soit pas jeté comme un malpropre alors qu’il a contribué à une réalisation profonde.

Sans aller forcément jusqu’à une gratitude profonde envers ce symptôme, la réjouissance du praticien est censée être là aussi présente face à cet accomplissement dont il rend compte dans sa verbalisation.

6.3 Interprétation hors des symboliques

Nous connaissons les interprétations en psychanalyse : elles s’appuient sur des prérequis et des symboliques. Or la notion d’interprétation peut recouvrir quelque chose d’un ordre tout à fait différent :  quand une personne bilingue traduit un texte d’une langue à une autre, elle ne le fera généralement pas en mot à mot car la pure traduction n’aurait pas de sens. Elle va se saisir du sens dans une langue pour reproduire le même sens dans l’autre langue. Pour cela elle devra utiliser des expressions adaptées, en s’éloignant du mot à mot.

Un traducteur est une machine, alors qu’un interprète est un humain qui ajuste le sens profond pour en rendre compte de la meilleure façon possible. Interpréter d’une langue à une autre, ne met pas en jeu des symboliques préétablies. Il s’agit simplement de rendre compte du sens aussi fidèlement que possible.

Quand un praticien fait cela avec justesse, le patient ne peut se retenir de dire spontanément « c’est exactement cela ! » avec une jubilation de se sentir compris et de voir sa pensée et ses ressentis énoncés avec justesse. A la moindre hésitation du patient, si discrète soit-elle, le praticien doit savoir que sa proposition n’est pas correcte et il devra l’ajuster (ou totalement la reconsidérer) en partenariat avec lui.

6.4Mise en mots nécessaire mais délicate

Alors que le domaine de la psychologie ou de la psychothérapie comporte de nombreux savoirs techniques, de multiples approches théorisées, de nombreuses analyses sophistiquées, toutes importantes, un élément essentiel semble absent de cette recherche : la capacité de réjouissance du praticien.

On la trouve un peu dans la technique de la découverte guidée en thérapie cognitive (candeur du praticien, capacité à rire avec le patient de ses découvertes), mais la finalité n’y est pas la rencontre de la pertinence, mais la révélation d’une absurdité dont les mécanismes cognitifs vont se libérer. Aussi humaniste que soit la démarche, cet émerveillement, face à l’Être qu’est le patient et face à la pertinence des processus mis en œuvre pour assurer sa survie ou son déploiement, semblent faire cruellement défaut.

La capacité de réjouissance du praticien est pourtant un élément majeur de la psychothérapie ou de l’accompagnement psychologique. Cependant elle n’est jamais énoncée clairement dans les théorisations proposées. Nous trouverons beaucoup de littérature concernant les dangers de l’affect, la nécessité d’une bonne distance thérapeutique, les résistances des patients… mais rien concernant la réjouissance. Or celle-ci justement émerge du fait d’une absence de distance d’avec le patient et d’une clarification de la différence entre l’affect (impact émotionnel avec fantasmes) et la sensibilité (rencontre lucide d’une réalité). La réjouissance découle du fait d’avoir distingué la différence entre l’existentiel (l’Être), l’émotionnel (ce qui est éprouvé), le circonstanciel (ce qui s’est passé), et même l’intellectuel (ce qu’on en pense) tout en étant capable d’aborder le transpersonnel (concernement avec l’humanité et au-delà) quand il se présente.

La réjouissance n’a rien de désuet, bien au contraire. Elle se situe au niveau de l’attention et de la reconnaissance accordée à l’entièreté de l’Être (existentiel).

La re-co-naissance, c’est « naître avec » au niveau existentiel, la validation c’est attester qu’il en est ainsi au niveau émotionnel (en nature et en dimension) et l’évaluation, c’est estimer où se trouve le curseur entre négatif et positif concernant les faits.

Rappelons-nous que l’Être est par essence inestimable, que ses vécus éprouvés sont validables, que ses actions commises ou subies sont estimables (évaluables). C’est cette nuance fondamentale qui permet une réjouissance spontanée, qui permet de toucher ce fameux « charis » des Grecs (être touché par la grâce).

En ces quelques pages, le praticien apparaît comme un Être capable de voir la beauté en celui qu’est son patient, en ceux qu’il a été et en ceux dont il est issu, ou en toute émergence transpersonnelle. Cette posture rend cette zone de la psyché fréquentable pour celui qui éprouvait le symptôme, alors que jadis il n’osait pas s’en approcher et demeurait clivé.

En écrivant cette publication j’ai bien conscience que la mise en mots de ce phénomène, plus expérientiel qu’intellectuel, comporte le risque d’un manque de clarté et d’une interprétation erronée. Cependant, ce positionnement et cette posture du praticien est si fondamentale, et tant de thérapies n’aboutissent pas du fait de son absence, qu’il m’a semblé juste d’en prendre le risque. Je vous remercie d’en avoir pris connaissance avec indulgence, et souhaite sincèrement que cela aura pu vous apporter quelques éclairages sur ce thème si délicat à énoncer, que vous soyez un praticien, que vous soyez un patient, que vous soyez les deux. 

 

Thierry TOURNEBISE


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Bibliographie

Boris Cyrulnik, Pierre Bustany, Jean-Michel Oughourlian, Christophe André, Thierry Janssen, Patrice Van Eersel
 -Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner - Albin Michel Poche, 2012

Gray, David- Brown, Sunni – Macanufo, James
-Gamestorming,  Jouer pour innover – éditions Diateino, 2014

Haramein, Nassim
-L’Univers décodé, ou la théorie de l’unification – Ed. Louise Courteau 2012

Jung, Carl Gustav
-Ma vie -Folio Gallimard, 1973

Maslow, Abraham
-Être humain - Eyrolles 2006

Mill, John, Stuart
-L’utilitarisme – Flammarion, Champs classiques, 1988

Revardel, Jean-Louis
-Haptonomie et psychothérapie – PUF, 2014

Rogers, Carl Ransom
-
L’approche centrée sur la personne. Anthologie de textes présentés par Howard Kirschenbaum et Valérie Land Henserson. Trad. de Henri- Richon Georges. Editions Randin S.A. , Lausanne 2001.
-Le développement de la personne – Interédition Dunod 2005
-La relation d’aide et la psychothérapie – ESF 1996

Sénèque
-La brièveté de la vie – GF Flammarion 2005

Steiner, Claude
-Le conte chaud et doux des chaudoudoux – Inter édition 2006

Vella, Marc
-La clé d’Être – éditions Véga 2016

Veldman, Frans
-L’haptonomie, science de l’affectivité – PUF, 2001

Zajde Nathalie- Nathan, Tobie
-Psychothérapie démocratique – Odile jacob 2012

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Liens

Le positionnement du praticien décembre 2007
Mieux comprendre la psychose » octobre 2012
Réflexions sur l’autisme » septembre 2013.
Le corps comme interlocuteur, le grand oublié de la psychothérapie » janvier 2013 
Parts de Soi et entièreté février 2014

L’estime de Soi ou l’inestimable de Soi avril 2014
Vie et énergie mai 2015 
Psychologie de la pertinence mai 2016

Emplacement subjectif du praticien  septembre 2016

Lien externe

Liens internes au site

Dr Stuart Brown, pionnier dans le recherche sur le jeu http://www.ted.com/talks/stuart_brown_says_play_is_more_than_fun_it_s_vital#t-1563417

Botteman, André
Carriérologie    volume 09 3-4/10
http://www.carrierologie.uqam.ca/volume09_3-4/10_botteman/  

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