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Relation et communication

…l’humanité et la quête d’information

décembre 2014    -    © copyright Thierry TOURNEBISE

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Relation et  communication sont au cœur des débats depuis quelques décennies.  « Soyez relationnels ! », « Faisons une campagne de communication ! », sont des termes souvent utilisés. Avons-nous pour autant gagné en humanité et en efficacité dans nos échanges ? Cours, formations et publications abondent, et tous ces apports traitent de choses forts intéressantes : stress, accueil, gestion des conflits, management, expression en public, ou même risques psycho-sociaux (RPS)… etc. Remarquons toutefois que la place de l’humain y est rarement explicitée,  alors que celle de l’information et des problèmes à gérer y est quasi sacralisée ! Puisque l’efficacité est un critère dominant, nous pouvons aussi nous demander : « Les résultats sont-ils à la hauteur de nos attentes ? De quelle nature sont ces résultats ? »

Cette publication a pour but de contribuer à quelques éclairages très novateurs. Vous y trouverez des spécificités inattendues : pragmatiques mais sensibles, humanistes mais sans angélisme, concrètes mais subtilement existentielles, s’attachant à la qualité des résultats dans la transmission d’informations mais sans jamais oublier la composante fondamentale qu’est l’humain, ni les raisons pour lesquelles celui-ci doit rester au cœur de la démarche.

 

Sommaire

1 Des Êtres et des informations
- La problématique des échanges – Deux types d’éléments en présence – Trois moteurs potentiels

2 La quête d’efficacité
-Le paradoxe – La posture – Proximité, distance, contact

3-Là où va notre attention
-Le fond et la forme – La cécité d’inattention – La réalité objectale – La réalité subjectale

4 De la relation à la communication
-L’intérêt et l’attention- L’objet, l’intérêt et la relation- Le sujet, l’attention, la communication

5 Distinguer les niveaux de validation
-L’information d’un monde l’autre – L’existence préalable – Recevoir n’est pas comprendre 

– Comprendre n’est pas accueillir – Accueillir n’est pas remercier – Remercier n’est pas valider la cohérence – Le cognitif n’est pas l’existentiel

6 Les vecteurs d’information
-Les mots – L’écrit – La parole – Le non verbal – L’expérientiel – La posture – Mention spéciale pour le non dit

7 Convaincre est une illusion
-Assertivité, « la paix n’est pas l’absence de guerre » - Informer ou convaincre ? – Pour une information vraiment reçue

8 Pour conclure, 4 types d’échanges
-Mode relationnel – Mode communicationnel – Mode accompagnement psychologique – Mode thérapie – Juste de la communication

Bibliographie

1   Des êtres et des informations

1.1 La problématique des échanges

La question initiale est de savoir comment optimiser les échanges entre les êtres. Pour y parvenir nous devrons comprendre les liens entre l’efficacité et l’humanité de ces échanges, étudier dans quelle mesure une faille au niveau de l’humanité altère gravement cette efficacité. Nous devrons prendre en compte les niveaux de confort de l’émetteur autant que du récepteur, de respect ou de reconnaissance des besoins de chacun, et même de bonheur éprouvé (en faisant de cette notion autre chose qu’une simple considération « gentille » ou « angélique »). Il s’agit en fait d’une réelle étude psycho-sociale, rendant les échanges le plus opérationnel possible, avec pourtant moins d’énergie dépensée. Cela se passe entre des interlocuteurs dont on doit savoir qu’ils ont chacun une représentation du monde différente, des motivations différentes, des codes et décodages différents.

Si l’on pense que la question est purement humaniste, d’un certain point de vue elle l’est ! Mais aussi d’un point de vue purement pragmatique, dans la mesure où l’efficacité des échanges est une grande préoccupation, la réflexion est avant tout très opérationnelle. Le pari du propos qui va suivre et de garder le cap de cette opérationnalité, tout en précisant cette  humanité sans laquelle elle ne peut se réaliser. De ce fait, cette humanité prendra souvent la première place et nous découvrirons que toute la subtilité consiste à mettre en premier ce qui nous semblait secondaire (l’humanité) afin que circule concevablement ce qui nous paraissait premier (les informations). Si l’énoncé en est rapide, la mise en œuvre en est plus délicate, car elle va à l’encontre de nos habitudes. Nous avons hélas coutume de placer en premier ce qui se dit, rarement celui qui dit et celui qui entend. Le plus souvent, ce qui est vu comme premier, c’est même ce qu’on a soi-même à dire !

1.2 Deux types d’éléments en présence

Nous commencerons par une considération des plus simples : « Lors d’un échange, nous avons deux types d’éléments en présence : des êtres et des choses ». En effet, nous avons les interlocuteurs (sujets) et les informations (objets). Toute l’efficacité des processus sera déterminée par ce que nous plaçons en premier plan et ce que nous plaçons en second plan.

Les informations et les êtres restent hélas dans un flou quasi confusionnel. Saurons nous distinguer que, même quand quelqu’un parle de lui, ce qu’il dit n’est pas qui il est : « ce qu’il dit » est quelque chose, alors que « qui il est » est quelqu’un. Je ne faire qu’énoncer une évidence. Pourtant celle-ci est rarement présente dans les discours sur la communication.

Même Jean-Claude Abric*, qui distingue clairement les questions portant sur les ressentis (à son sens pertinentes) de celles portant sur les faits (pures questions d’enquête) ne donne pas explicitement cette précision.

« Plus l’on pose de questions, plus l’information que l’on recueille va porter sur les faits, des comportements et non des sentiments ou des motivations qui nécessitent une activité interne beaucoup plus importante de la part de l’interviewé. » (Abric, 2004, p33)

*Jean-Claude Abric : Professeur de psychologie sociale à l’université d’Aix en Provence

Il parle néanmoins de « recentrer l’autre sur lui-même » (p.36), « d’acceptation inconditionnelle de l’autre » (p.39)…etc. Tout comme Roger Mucchielli**, il est proche de Carl Rogers. Mucchielli, plus explicite, attire notre attention sur le fait de prioriser le vécu éprouvé par l’interlocuteur :

« Être centré sur ce qui est vécu par le sujet et non sur les faits qu’il évoque » (Mucchielli, 2004, p51)

**Roger Muchhielli : Docteur en médecine, en philosophie, en lettres, chaire de psychologie et pédagogie à l’université de Nice, président de l’institut international de synthèses psychothérapiques.

Mais nous aurons avantage à apporter une précision supplémentaire : ce qui est éprouvé par le sujet n’est pas le sujet lui-même.

1.3 Trois moteurs potentiels

Selon le type de motivation (moteur) qui s’enclenche, le déroulement est très différent. Remarquons que notre attention est mobilisée par trois éléments possibles : des événements (l’événementiel), des Êtres (l’existentiel) ou des ressentis (l’émotionnel). Dans tous les cas les informations échangées (objets informationnels) tentent de rendre compte de ce qui est cru, perçu ou éprouvé par les Êtres. Ainsi les vérités absolues nous échappent-elles sans cesse et nous disposons surtout de vérités relatives, avec le plus souvent « chacun la sienne ».

Comme le précise très bien Mucchielli, il est souhaitable de distinguer clairement entre les circonstances et ce qui est éprouvé. Mais nous ajouterons aussi le fait de distinguer entre les Êtres et le ressenti. De ces trois éléments commençons par examiner le premier : les événements.

1.3.1    Les événements (le circonstanciel)

Nous avons ici « ce qui se passe » ou « ce qui s’est passé ». Cela est censé être objectivable, démontrable, certain. Les faits sont parfois importants, et il peut même être fondamental d’en rendre compte aussi clairement que possible (enquête policière, recherche scientifique…).

Cependant, même quand nous échangeons à propos de l’événementiel, nous ne pouvons ignorer qu’il se trouve des Êtres qui éprouvent des ressenti, et que ce qui est échangé à propos de l’événementiel contient une grande part d’interprétation en fonction des priorités, références et croyances de chacun.

Dans la même circonstance, tout le monde ne perçoit pas la même chose car l’information reçue n’est jamais conscientisée directement. Elle l’est d’une part à travers les organes des sens (plus ou moins performants), d’autre part surtout à travers de multiples mécanismes cognitifs directement reliés à l’expérience antérieure de chacun. L’image du monde qui en résulte pour chaque individu est donc plus une interprétation personnelle qu’un compte rendu objectif.

Quoi qu’il en soit nous devrons clairement distinguer entre « ce qui se passe » (quelque chose) et « celui qui se trouve dans ce qui se passe » (quelqu’un).

1.3.2    Les interlocuteurs (l’existentiel)

Concernant le « quelqu’un », tout le monde s’accorde plus ou moins sur le fait que les Êtres comptent plus que les choses. Mais entre cette généreuse idée partagée et la façon dont se passent réellement les échanges, il y a un impressionnant fossé ! Pour les interlocuteurs, ce qui est échangé compte souvent plus que les Êtres, et chacun voulant prouver « sa raison » est plus acharné sur les informations qu’il défend, qu’ouvert à la rencontre de l’autre.

 Pourtant, ceux qui échangent (les Êtres) devraient toujours être priorisés par rapport aux choses échangées (les informations). Peut-être par humanisme, mais surtout par soucis d’efficacité : pour que notre interlocuteur nous entende, il faut d’abord qu’il existe. De ce fait son existence est un préalable à toute action, aussi subtile soit-elle, et mérite un soin tout particulier.

Marshall Rosenberg (psychologue américain né en 1934), fondateur de la CNV (communication non violente) nous précise que :

« …l’être tout entier est à l’écoute. On parvient alors à saisir directement ce qui est là, devant soi, ce qui ne peut être entendu par l’oreille ou compris par l’esprit. » (Rosenberg, 2002, p108)

L’attention priorisée vers l’Être permet un ajustement spontané et subtil, même en cas de points de vue très éloignés les uns des autres.

1.3.3    Ce qui est éprouvé (l’émotionnel)

Nous avons donc des événements où se trouvent des Êtres. Ces Êtres font l’expérience de ces événements avec des sentiments et des émotions. « Ce qui est éprouvé » ne doit pas être confondu avec « celui qui l’éprouve ».

L’individu est « Lui », c’est son identité (ce qui reste identique). Ce qu’il éprouve n’est pas « Lui » (cela fluctue en un changement perpétuel). Naturellement nous pouvons estimer qu’il éprouve en fonction de « qui il est », mais nous aurons plus avantage à préciser qu’il éprouve le présent en fonction de ses expériences antérieures et que ses expériences sont « des choses » alors que Lui, il est « quelqu’un ».

Pour avancer dans notre compréhension de la relation et de la communication, nous devons distinguer clairement entre l’événementiel, l’existentiel et l’émotionnel afin de permettre des échanges riches en efficacité, en humanité et cependant libres de l’affect.

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2   La quête d’efficacité

2.1 Le paradoxe

Plus l’information est priorisée, moins elle aboutit : voilà le paradoxe ! Un peu comme un archet qui prioriserait sa flèche par rapport à la cible. La difficulté se trouve précisément là : plus l’information est importante à transmettre, plus il faut prioriser l’interlocuteur pour accroître l’efficacité de la transmission. Or ce n’est pas instinctif. Quand l’information est importante, nous plaçons spontanément beaucoup d’énergie dans cette transmission, y consacrons toute notre attention ! Une sorte de réflexe…peut-être archaïque ?

Nous découvrons ainsi que notre intérêt pour la chose dite est souvent bien plus grand que notre attention envers celui qui parle ou qui écoute. Nous sommes souvent plus « intéressés » (profit) qu’« attentionnés » (délicatesse) !... proches de l’idée de « convaincre » ou de « manipuler ». Dans ces deux cas l’interlocuteur n’existe plus et se soumet ou résiste à la pensée de l’autre. De ce fait l’information est tombée dans une sorte de néant non opérationnel, dans une illusion d’efficacité.

Pourtant, Carl Roger qui tenta de nous parler d’humanité dans les échanges, malgré sa rigueur expérimentale et ses résultats, fut moqué d’angélisme. Abraham Maslow, moins bien connu sous cet aspect d’humanisme, eut aussi quelques difficultés à faire prendre la mesure opérationnelle des besoins ontiques (existentiels) chez les Êtres humains. Ces besoins ontiques, furent relégués par ses successeurs obtus au « petit sommet d’une hypothétique pyramide »… alors que Maslow n’a jamais parlé de pyramide. Il a même placé les besoins ontiques comme fondements sans lesquels l’Être reste insatiable quoi qu’on lui donne !

Le paradoxe vient sans doute du fait que la fonctionnalité des échanges provient plus d’une posture (existentielle) que d’une réflexion ou d’une analyse (intellectuelle). La performance ne vient pas de l’habileté intellectuelle, d’un quelconque pouvoir, ni d’une énergie à déployer. Elle vient encore moins d’une manipulation émotionnelle… elle vient avant tout d’une ouverture d’esprit, d’une posture.

2.2 La posture

Max Pagès* confirme cette importance de l’attitude qui rend la technicité illusoire et obsolète :

« […] s’il est vrai que ce que je fais est défini essentiellement par mon attitude et si les effets de mon action en dépendent, je n’ai aucun contrôle ni sur ce que je fais, ni sur les effets de mon action. » (Pagès, 1970, p.60)

*Max Pagès : (né en 1926) docteur ès lettres, il fut Professeur de psychologie sociale à l’Université Paris Dauphine.

Naturellement, l’art de formuler permet de gagner en pertinence, mais le non verbal qui l’accompagne est hors de portée de la volonté ou du contrôle intellectuel. Or ces méta informations représentent 93% de ce qui est échangé en parlant, selon le professeur Méhrabian (né en 1939, professeur émérite  psychologie à l’université de Californie).

Un Être ne peut communiquer efficacement en se coupant de l’autre (ou de lui-même) et en se consacrant uniquement  à l’objet informationnel :

« Tant que, sous prétexte d’analyse objective, je me couperai de mes propres valeurs concrètes, je n’aurai pas la réponse que je cherche, qui réside dans mon expérience immédiate » (ibid., p.60)

Nous montrant la distinction entre la raison raisonnante et l’intuition, Max Pagès explicite deux écueils :

« […] on tombe d’un côté dans la fausse objectivité, qui est un leurre, de l’autre dans l’illuminisme sentimental. » (Ibid., p.61)

La posture nous préserve de ces fâcheux écarts. L’attention qui priorise l’Être (le quelqu’un, le sujet), positionne naturellement de la plus juste manière possible : être touché sans être affecté. Cependant, une telle posture est si inhabituelle que Pagès la nomme « affection sans passion », « lucidité affectueuse », « sans neutralité artificielle », « sans détachement ». Il parle même de « chaleur froide » et de « sentiment positif sans émotivité » (Ubid, p. 67), tant les mots nous manquent pour la désigner.

Finalement on reste concerné, mais aucunement affecté ; pleinement humain, mais sans affect ; profondément touché, mais sans émotion ! Peut être plus en résonnance qu’en raisonnance, plus en sensibilité qu’en intellect… si l’on sait distinguer « émotivité » (perceptions fantasmées) et sensibilité (acuité, perceptions toutes en finesse)…la posture est là !

Comme le dit Max Pagès, nous n’avons aucun contrôle sur nos actes et notre non verbal, ni sur leurs effets. Cependant j’ajouterai que nous avons une sorte de contrôle ou de pouvoir de décision sur « vers où nous portons notre attention » : vers les objets, vers les Êtres ou vers les ressentis… ? Qu’est-ce que nous mettons en premier plan, deuxième plan et troisième plan ? Notre volonté peut aussi se déterminer dans notre intention : reconnaître ou résoudre ?

2.3 Proximité, distance et contact

L’Être est censé être en premier plan et son ressenti en second. Quant à l’événementiel ou aux faits, ils doivent rester en troisième plan (pour ne pas dire en « arrière plan lointain »).

L’efficacité des transmissions d’informations ne peut s’atteindre qu’en partenariat, pour ne pas dire en connivence, en curiosité, en goût de découvrir, en humilité, mais aussi avec affirmation de Soi. Le moi (stratégie de paraître) est un mauvais communicant, il ne peut être que relationnel (lien de profit, égoïste, plein d’affect). Alors que le Soi peut être communicant (ouverture oblative, généreuse, humaine).

La notion de « bonne distance » est un leurre. Même celle de « bonne proximité ». Il ne s’agit aucunement d’être distants, mais seulement d’être distincts. Pour qu’il y ait échange, il convient qu’il y ait contact. Or avec la distance point de contact. La « bonne distance », c’est quand il n’y en a pas !... mais à condition d’être distincts.

L’intérêt d’avoir séparé les trois éléments (existentiel, émotionnel, événementiel), c’est de permettre une distance d’avec les faits et les problèmes, mais pas d’avec les Êtres qui les traversent ou les éprouvent. Cela permet beaucoup d’humanité sans affect, cela permet d’être touchés sans être emmenés dans l’émotivité.

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3   Là où va notre attention

3.1 Le fond et la forme

Les gestaltistes, avec Fritz Perls* nous proposent les notions de fond et de forme. Le fond, c’est ce qui est en arrière plan, la forme c’est ce qui se détache de ce fond et mobilise notre attention.

*Psychiatre allemand (1893-1970), fondateur de la Gestalt thérapie.

Par exemple, selon que vous êtes portés sur la fonctionnalité ou sur l’esthétique vous ne remarquerez pas la même chose en entrant dans une maison. L’un remarquera la commodité ou l’incommodité des lieux, des objets, des ustensiles et des meubles, l’autre remarquera les lignes, les couleurs, les harmonies ou les disharmonies. Selon la façon dont le regard s’est éduqué, nous ne voyons pas les mêmes choses. Ce qui est le fond pour certains sera la forme pour d’autres.

Le philosophe verra les réflexions intellectuelles, le psychologue verra les états émotionnels, le journaliste verra les faits qui font audience, le chef d’entreprise verra ce qui est porteur sur le marché….etc. Chacun voit dans le monde ce qu’il priorise. Le reste lui est parfois insignifiant… au point qu’il ne le remarque pas… ou même qu’il peut y être aveugle. Antoine de St Exuperi, avec son «Petit prince » nous montre comment chaque interlocuteur qu’il rencontre sur « sa planète personnelle » ne voit que ce qui le concerne : les réverbères pour l’allumeur de réverbères, les comptes pour le comptable, la boisson pour le buveur ! Pour chacun d’eux sa préoccupation est « sa forme » (premier plan de sa perception) et le Petit Prince (1987) qui leur rend visite n’est qu’un « fond » qu’ils ne voient même pas (ou juste assez pour lui parler, mais pas assez pour l’entendre concernant le souci qu’il a avec sa rose).

3.2 La cécité d’inattention

Cet aveuglement par rapport au fond porte un nom : « cécité d’inattention ». Celle-ci peut même être provoquée sciemment. C’est ainsi que les prestidigitateurs distraient votre attention vers autre chose pour faire « basculer dans le fond aveugle » la zone où ils opèrent, pendant qu’« ils vous fascinent avec une forme » qui mobilise votre attention. Les pickpockets, hélas, usent du même stratagème pour nous détrousser à notre insu.

Vous trouverez sur le net quelques photos et courts métrages illustrant ce phénomène bien connu expérimentalement en psychologie. En visionnant ces images, nous  ne pouvons qu’être stupéfaits de notre cécité partielle, concernant des choses évidentes que nous aurions dû ne pas manquer.

Comptez le nombre de passes
Étude d’une imagerie médicale
Le tour et le changement

Si vous avez un peu de temps, regardez ces photos et vidéos (dont j’espère que les liens seront toujours corrects quand vous lirez cet article). Vous serez surpris de constater à quel point la cécité d’inattention est inévitable. D’un côté elle assure les performances de notre cerveau en évitant la surcharge cognitive par trop d’informations, d’un autre, selon ce qui nous mobilise, plein d’éléments nous échappent.

C’est pour cette raison que, selon que l’on prenne l’option de prioriser l’Être ou les choses, nous n’imprimons pas mentalement les mêmes données. Une autre application de cela est que le directeur ou le cadre qui par angoisse des mauvais résultats focalise sur ce qui ne va pas pour le combattre, ne verra pas ce qui fonctionne pour le promouvoir. Dans un autre domaine, le praticien en psychothérapie qui se focalise sur les troubles (c'est-à-dire les dysfonctionnements) sera aveugle aux pertinences chez son patient. Nous pensons que ce que nous percevons est la réalité… c’est en fait une réalité interprétée et triée qui n’a rien d’objective.

3.3 La réalité objectale

Ce qui est objectivable pourrait être appelé « réalité objectale », c’est à dire celle des objets. Curieusement, ce monde des choses semble fasciner la psychologie : elle nomme l’autre « objet ». Quand l’un se tourne vers l’autre, la psychanalyse nous propose qu’un « sujet » investit sa libido vers un « objet » ! (nous sommes alors bien loin de l’existentiel !). De leur côté, les scientifiques tentent de rester extérieurs à ce qu’ils investissent expérimentalement  afin d’en avoir une vision aussi impartiale et objective que possible. Pourtant bien des découvertes sont conditionnées par les théories sous-jacentes. Même dans ce domaine l’observateur influence ce qu’il pense observer (ou du moins ce qu’il en retire comme informations).  « C’est la théorie qui décide ce que nous sommes en mesure d’observer » (Albert Einstein).

D’un côté nous peinons à une véritable objectivation, de l’autre le fait de nous acharner sur les objets nous fait de toute façon manquer les sujets. Or nous avons vu que pour q’un Être nous entende il faut d’abord qu’il existe ! Il se trouve qu’il ne se sent exister que quand on lui accorde de la considération. Notre attachement à l’objet nous rend aveugles aux sujets et fait tout simplement « disparaître » nos interlocuteurs... alors les informations, se retrouvant en errance, ne circulent plus correctement. Elles sont abondamment déformées et la frustration ontique qui en résulte nous rend de plus en plus  insatiables.

3.4 La réalité subjectale

Ce qui est subjectif  pourrait être appelé « réalité subjectale », c’est à dire celle des sujets. Ce qui est subjectif n’est pas bien considéré dans notre culture car on lui préfère ce qui est tangible. Seuls les enfants, les artistes et les poètes ont droit de s’y glisser sans reproches en retour.

Pourtant, comme nous venons de le voir, l’objectal est assez peu accessible. Notre perception du monde, à travers les filtres de nos sens et les moyens cognitifs associés à notre mémoire, ne nous permet que d’interpréter ce qui est. Finalement, toute perception est d’une certaine manière subjective.

Sans aller plus loin dans ce délicat débat subjectif/objectif remarquons simplement que bien des désaccords entre les personnes qui échangent (des connaissances, des idées, des informations) viennent de cette subjectivité. Les tensions et conflits naissent toujours d’une non reconnaissance de celle-ci. Nous croyons naïvement qu’en cas de désaccord il suffit d’expliquer mieux à notre interlocuteur. Or cette explication n’aura de sens pour lui qu’une fois sa subjectivité reconnue.  

Par exemple : Si on explique à un enfant pourquoi ne pas refaire quelque chose qu’il vient de commettre, cela n’aura de sens que si on lui demande d’abord en quoi cette action était importante pour lui. Si l’on veut expliquer à un suicidant pourquoi il vaut mieux se tourner vers la vie, cela ne servira à rien si on n’entend pas d’abord en quoi mourir était préférable à ses yeux. Si l’on veut expliquer l’action correcte à un collaborateur qui a mis en œuvre un mauvais processus pour réaliser sa production, cela sera stérile si l’on ne lui permet pas d’abord d’exprimer la justesse (subjective) de ses choix précédents.

Les exemples ci-dessus, choisis dans des registres forts différents, montrent que la reconnaissance de la  justesse de l’autre doit toujours précéder la moindre explication, aussi pertinente qu’elle soit. S’adresser à quelqu’un sans avoir validé sa réalité subjective ne lui permet pas de nous entendre. Nous devons d’abord nous ouvrir à la subjectivité de notre interlocuteur avant de lui prodiguer des informations.

Une difficulté cependant : si nous le faisons par simple protocole technique afin d’arriver à nos fins cela ne marche pas ! Seule une authentique curiosité envers l’autre, une sincère validation (reconnaissance) de ses fondements cognitifs et/ou émotionnels lui permet ensuite de nous entendre. Ce qui est feint ne fonctionne pas. Comme nous  l’a énoncé Carl Rogers, la congruence (authenticité) est essentielle. Tout manquement à cela se « verra » dans les 93% de méta informations non verbales.

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4   De la relation à la communication

4.1 L’intérêt et l’attention

Nous avons vu que l’on peut prioriser soit l’interlocuteur (l’Être) soit l’information (la chose, l’objet)… et que selon ce que l’on priorise, la cécité d’inattention nous guette plus ou moins concernant ce qu’on n’a pas priorisé. Cela devra être explicité, car l’idée est de ne manquer ni l’Être ni l’information.

Nous remarquerons aussi que l’on a de l’intérêt pour les objets informationnels (intéressement, profit, protection) alors qu’on a de l’attention envers les Êtres (délicatesse, reconnaissance, tact). Tout est là ! Si les objets sont priorisés nous fonctionnons selon un mode intéressé, si les Êtres sont priorisés nous fonctionnons selon un mode attentionné. Nous avons soit un lien d’intérêt, soit une ouverture attentionnée. Rappelons-nous aussi nous que pour qu’il nous entende il faut d’abord que notre interlocuteur existe, et que pour qu’il existe il a besoin de reconnaissance.

Quand nous sommes en liens, reliés, nous parlerons alors d’« état relationnel », quand nous sommes ouverts, en contact, nous parlerons d’« état communicant » : « relationnels » signifie « relatifs, reliés, dépendants » ; « communicants » signifie « ouverts, ayant un passage entre eux, une manière d’être ensemble » et non un lien.

Les mots « communicant » et « relationnel » méritent une explication car ils sont souvent utilisés à contresens.

4.2 L’objet, l’intérêt, la RELATION

Étymologie de relation : vient du latin « relatio » (témoignage, rapport, valeur logique de lien entre deux choses). Avoir des relations : avoir des connaissances influentes. Relatif : vient du bas latin « relativus » (ce qui n’est tel que par rapport à certaines conditions).

*Dictionnaire historique de la langue française Robert

Quand l’information est priorisée, c’est l’objet informationnel qui suscite notre intérêt. Nous sommes alors avant tout « intéressés ». Cet objet informationnel mobilise notre énergie et nous tentons d’avoir sur lui un certain pouvoir, fantasmant ainsi que nous avons quelques contrôles sur le monde qui nous entoure. Pareils à l’enfant dont nous parle Donald Wood Winnicott qui, privé de pouvoir sur ce qui n’est pas lui dans le monde extérieur, exerce un pouvoir rassurant sur son nounours (objet transitionnel). Son pouvoir n’a pas accès aux autres, mais son objet transitionnel, qui n’est pas lui, est un début de maîtrise de l’extérieur.

Quand l’information est priorisée, quand l’Être n’est pas considéré, l’information devient une sorte d’objet transitionnel pour des interlocuteurs qui peinent à être dans la conscience existentielle. Purement objectale, cette posture conduit à prendre soin des informations sans « voir les interlocuteurs », à peaufiner l’objet sans avoir conscience des sujets en tant que sujets, en tant qu’Êtres. Finalement l’information est « chérie » par l’intellect de l’émetteur, un peu comme le nounours l’est par l’enfant ! Quand il le perd il est inconsolable. Il peut même piquer des colères !

Dans ces situations, l’« Être émetteur » est plus conscient de son information que de l’« Être récepteur »… est-il seulement conscient de l’Être qu’il est lui-même ? Il peut, dans cette condition, naviguer et se perdre dans les méandres conflictuels d’un moi « intéressé », loin des possibilités d’un Soi « attentionné ».

L’interlocuteur non vu, non considéré, ne se sent pas exister, et de ce fait devient un mauvais récepteur. Nous rencontrons cette situation par exemple dans le cas d’un cadre qui corrige le travail d’un collaborateur en se contentant de lui donner des informations. C’est également ainsi dans celui d’un directeur qui assène des objectifs à ses commerciaux en ne voyant que ses objectifs sans tenir compte de ceux à qui il les énonce. Ce sera pareillement celui d’un parent qui demande à son enfant de ne pas embêter sa sœur, ou même d’un conjoint qui insiste sur le fait de mieux ranger ses affaires, de mieux écouter, de moins téléphoner à sa mère ou à ses amis, de moins se plaindre… et je ne sais quoi encore où le confort personnel est priorisé par apport à la rencontre et à la compréhension de l’autre.

Il faut bien noter que toutes ces informations sont légitimes et ne sont aucunement en cause dans l’inefficacité de l’échange. Ce qui est en cause, c’est le fait de les prioriser par apport à l’interlocuteur à qui elles sont destinées.

Cette « priorisation de l’objet » rend implicitement « l’interlocuteur inexistant ». Celui-ci ne peut alors être opérationnel et tenir compte de ce qu’on lui dit, en ce sens où il ne le reçoit pas vraiment : il va l’interpréter selon ses seuls critères, et même parfois le vivre comme une pression ou une menace… l’invitant plus à se protéger qu’à s’ouvrir… parfois même à attaquer !

Alors que nous entendons souvent dire « il faut créer du lien social ! », nous mesurons mal le sens inapproprié de ces mots : créer du lien c’est s’attacher, c’est engendrer de l’affect, de la dépendance. Paradoxalement l’affect est pointé comme un inconvénient, alors que le lien (qui est pourtant recommandé) le produit ! Comment s’y retrouver ?

Le lien ne fait que compenser cette incapacité au contact, à l’ouverture, à la considération. Le lien, dont le principal moteur est le besoin de quelque nature qu’il soit, permet de ne pas tout à fait se perdre les uns les autres… faute d’avoir su développer une réelle capacité à se rencontrer, à se considérer, à s’entendre. Le lien n’est pertinent que dans le sens où il nous attache à ce qu’on ne sait pas encore contacter. Il est une sorte de remède à notre cécité existentielle, à notre défaut de conscience.  Mais l’affect qui l’accompagne systématiquement n’est pas sans inconvénients... cela a bien été pointé dans de nombreuses théories. Cependant, ce qui a été manqué, c’est de différencier clairement :

« humanité » et « affectivité »,
« être touché » et « être affecté »,
« être en lien » et « être en contact »,
« l’objet » et « le sujet »,
« informer » et « convaincre »,
« être dans la sensibilité » et « être dans l’émotivité »,
« le moi » et « le Soi »...

Ces sept paires de termes énoncent chacune des éléments quasi contraires. Ne pas les distinguer clairement ne peut que conduire à des confusions dans la compréhension des rapports humains.

Quand un Être est fasciné par les informations émanant de l’autre il est en idéalisation, aveugle à son interlocuteur, il est à la fois coupé de lui et en même temps attaché à lui. C’est un lien positif.

Quand un Être est choqué par les informations émanant de l’autre il le rejette. Il est cependant lié à lui par ce rejet, peut y penser de façon quasi obsessionnelle (nous parlons plus des gens qui nous agacent que de ceux que nous aimons). C’est un lien négatif.

Ces deux types de liens sont des attachements qui nous évitent de perdre ceux que nous n’avons pas encore su rencontrer.

4.3 Le sujet, l’attention, la COMMUNICATION

Étymologie de « communication » : vient du latin « communicatio » (mise en commun, échange de propos,  action de faire part). A été introduit en français avec le sens général de « manière d’être ensemble »*. Nous remarquerons que « être communicant » signifie simplement « être ouvert », avoir un passage de l’un à l’autre (par exemple des « pièces communicantes » ont simplement une porte entre elles).

*Dictionnaire historique de la langue française Robert

Alors que concernant les choses nous avons de l’intérêt, concernant les Être nous avons de l’attention. Lorsque nous priorisons les Êtres, l’attention est donc la caractéristique de l’échange. Nous y sommes plus « attentionnés »  (délicatesse/ouverture) qu’« intéressés » (profit/protection).

L’informationnel passe ici au second plan et l’existentiel au premier plan. Si toutefois cela nous donne, de ce fait, une plus grande proximité, une plus grande considération et une plus grande humanité, ne pouvons nous pas craindre que cela nous fasse perdre l’information par cécité d’inattention ? Une telle crainte est légitime mais n’est pas juste : sur le plan de l’efficacité, prioriser l’information fait disparaître l’interlocuteur et celui-ci ne peut alors pas correctement recevoir ce qu’on lui adresse.

Pour recevoir ce qu’on lui adresse, un interlocuteur doit se sentir exister ! Pour se sentir exister, il doit se sentir reconnu ! Pour se sentir reconnu, il doit recevoir de l’attention de la part de celui qui s’adresse à lui.

Or cette attention ne peut provenir que de quelqu’un (un objet ne donne pas d’attention). Pour donner de l’attention, il convient donc de se sentir soi-même exister ! Cela suppose un minimum de présence, d’affirmation et de reconnaissance de Soi, et surtout de délicatesse à l’égard de soi-même. Cela suppose une présence au monde suffisante. Celui qui ne fait que jouer des stratégies du « moi » pour « paraître » à travers quelque personnage social attractif ne fera que produire peurs ou fascinations… mais aucunement une ouverture d’esprit. Il manquera de charisme, de congruence, d’authenticité et, aussi brillant soit-il, il ne sera que clinquant, sans âme… peu crédible. Même dans le cas de la fascination, il ne fera que produire des interlocuteurs soumis et aveuglés et le côté purement objectal de l’échange  le rendra inefficace.  Quand Baruch Spinoza écrivit que  « La paix n’est pas l’absence de guerre, mais la concorde des âmes »), il évoquait déjà ainsi implicitement l’idée de communication :

« Car la paix ainsi que nous l’avons déjà dit, ne consiste pas en l’absence de guerre, mais en l’union des âmes ou concorde » (Spinoza - 1962, p.954).

Theodore Zeldine insiste sur cette illusion de gagner par la soumission et sur le bonheur d’accéder à cette « concorde des âmes » par une vraie communication :

« Un accord obtenu par la médiation peut apporter une expérience plus grisante que celle d’avoir réduit l’adversaire à la reddition » (2014, p.70)

*Né en 1933, Theodore Zeldin est historien, sociologue et philosophe, membre de l’Académie britannique et de l’Académie européenne, président de la Fondation Oxford Muse, professeur honoris causa à HEC. Il est auteur de plusieurs ouvrages où il témoigne de l’Histoire générale de l’humanité à travers la dimension exceptionnelle de l’expérience d’êtres humains particuliers. Au lieu d’un lissage consensuel, il propose la richesse des différences et des oppositions.

 

La compréhension ne peut résulter que d’un partenariat entre deux Être et non de la soumission de l’un par l’autre. Quand je parle de soumission, je ne pense aucunement à des violences extrêmes : c’est simplement ce que nous faisons dans les conversations ordinaires à chaque fois que nous essayons de convaincre notre interlocuteur.

Miser uniquement sur l’intérêt de l’information est une option, mais alors privée de la dimension ontique des Être qui échangent, elle a beaucoup moins de chance d’aboutir à son destinataire correctement ! Elle n’est plus qu’une sorte de lien ténu entre des Être qui ne se voient pas et finalement ne s’entendent pas.

La communication, elle, met l’accent sur cette dimension ontique privilégiant le quelqu’un par rapport au quelque chose et permet une actualisation permanente de ce qui est signifié par cette information. De ce fait elle est bien moins déformée et les transmissions beaucoup plus justes.

4.4 Relationnel ou communicant ?

Ces deux termes posent problème car leur sens a plus ou moins été inversé dans l’usage. Pour évoquer une situation pleine d’humanité, nous entendrons souvent parler de « relations ». Pour évoquer les problématiques d’informations, nous entendrons plutôt parler de « communication ».

L’on dira souvent « soyez relationnels » pour dire « soyez humains » et « faite de la communication » pour inviter à se faire connaître par une campagne de publicité. Alors que pour déployer notre humanité nous serons invités à créer du lien… en réalité, pour être humains nous avons besoin non pas de liens mais de contacts. Les « rapports humains » sont relationnels, les « contacts humains » sont communicationnels. Le « rapport » indique un lien proportionnel (qu’il s’agisse des fractions mathématiques ou des vitesses sur un vélo ou une voiture). Le contact indique une zone par laquelle un passage peut se faire (comme en électricité), un canal possible pour un échange.

Dans sa version la moins performante (et la plus désolante), le relationnel est une ritournelle sans contenu.  Theodore Zeldin* le compare à un champ d’oiseau :

« Pourtant, bien des conversations méritent à peine ce nom, parce qu’elles sont précipitées, entravées par les contraintes de la politesse et du statut social, la version humaine d’un champ d’oiseau qui ressasserait inlassablement le même refrain au sein du même cercle étroit de personnes » (Zeldin, 2014, p.14).

Dans ce « chant d’oiseau » répétitif (pas même bucolique), se trouve une illusion de conversation où le relationnel ne permet pas de transmettre des informations consistantes. Il ne fait là qu’assurer une protocolaire « fausse manière d’être ensemble » qui envisage plus de se supporter ou de se tolérer que de se rencontrer. Au mieux, il permet de maintenir une possibilité ultérieure de pouvoir commencer à communiquer vraiment… Nous avons là la version la plus caricaturale du fameux « lien social ». Le lien est une sorte de « fil d’attente »… nous permettant d’espérer un jour un fructueux contact.

Au contraire, « être communicant » est cette manière d’« être ensemble », où le contact, la considération, le respect, ouvrent vers une réciprocité permettant la fluidité et la qualité des échanges, y compris (et surtout) quand les points de vue sont très différents.

« Être communicant » permet des zones de bonheur, à vivre en authenticité. Cela permet d’échapper à l’artifice éprouvant d’une superficialité illusoire :

« Je n’ai pas envie de passer le temps qui m’est imparti sur cette terre comme un touriste ahuri entouré d’étrangers, en vacances du néant, ignorant quand celles-ci prendront fin, coincé dans une queue où il attend qu’on lui serve une nouvelle boule de glace au bonheur. » (Zeldin, 2014, p23)

Theodore Zeldin nous propose de vivre la différence entre les Être comme une opportunité, et sa propre différence comme une richesse.

« Les grandes aventures de l’humanité ont été entreprises par quelques individus en désaccord avec presque tous les autres » (ibid., p.28).

Il nous rappelle que, selon les données scientifiques actuelles, nous devons notre conscience actuelle à 100 milliards d’êtres humains environ qui sont passés sur cette planète (p.28). Notons que les 7 milliards d’humains qui la peuplent aujourd’hui représentent  7% de tous les humains ayant existé ! Ya-t-il une masse critique à partir de laquelle la conscience se déploie pleinement ? La multiplicité des cultures, des langues, des regards sur la vie devraient nous éclairer plus que nous séparer :

« Au lieu de nous focaliser sur ce qui rapproche les hommes, les nations ou les groupes, je propose d’aborder de front ces innombrables et minuscules différences, en apparence souvent insignifiantes, qui les éloignent les uns des autres, et de réfléchir à la manière de les rendre fertiles plutôt que stériles » (ibid., p.27)

« Être communicant » peut participer à une telle entreprise, alors qu’être seulement en lien nous en éloigne.

Si vous avez le moindre doute sur la différence entre le lien et le contact et sur ce qui peut résulter de l’un comme de l’autre, regarder ce qui se passe entre votre PC et votre smartphone selon que vous les attachez ensemble avec une ficelle (fut-elle en or) ou que vous les connectez simplement. Le canal compte plus que le lien !

Le plus extraordinaire ici est que ce qui vaut avec autrui vaut aussi avec soi-même. Nous sommes souvent empêtrés dans des liens avec ce que nous avons rejeté de Soi (la plupart des symptômes de ce qu’on nomme « psychopathologie » sont de tels liens). Une thérapie revient à utiliser ces « liens symptômes » pour restaurer des contacts (états communicants) au sein de sa psyché et se déployer vers une individuation fructueuse, nous permettant de nous ouvrir au monde avec une plus grande sécurité.

« Être relationnel » est une œuvre de l’humain avec son ego (son moi) lui assurant une survie acceptable en attendant mieux, lui permettant de côtoyer ce qu’il ne sait pas encore rencontrer. Le lien n’est que du psychosocial et concerne les apparences.

« Être communicant » est un déploiement de l’humain (de tout le Soi qui le constitue) lui donnant l’opportunité de rencontrer autrui et pas seulement de le côtoyer. Le contact est ontique et concerne les Êtres dans leur dimension existentielle… et même expérientielle*.

*Est dit « expérientiel » qui se vit subtilement et ne peut s’énoncer avec des mots, ni même parfois s’élaborer en pensées.

Riches de ces quelques considérations, nous découvrons que

-La superficialité, emplie d’affects, se trouve dans le relationnel
-La profondeur, l’humanité dans toute sa délicatesse d’accueil et de reconnaissance, se trouve dans le communicationnel.

Ce renversement de paradigme concernant ces deux mots peut nous nous sembler étrange, ou même nous embrouiller un peu dans un premier temps. Mais pour y voir clair, nous avons besoin de précisions du langage et d’une utilisation correcte des termes. Cela peut sembler bien exigeant, mais comment y voir clair si nous demandons en  même temps aux Êtres d’être en liens (qui produisent de l’affect) et d’être libres des affects (qui troublent les échanges) !? Cela relève d’une injonction paradoxale totalement irréalisable, découlant du fait qu’on ne distingue pas clairement « relation » et « communication », qu’on ne met pas chacun de ces deux termes à sa juste place.

4.5 Informationnel ou expérientiel ?

Nous venons d’évoquer les situations informationnelles, c'est-à-dire celles où des informations sont échangées, que ce soit par un biais relationnel ou par un biais communicant. Dans chacune de ces deux situations des informations transitent d’un point A à un point B. Que ce soit par un lien (qui produit de l’affect et les déforme) ou par une ouverture/contact (qui permet une plus grande fidélité de la transmission), dans les deux cas il s’agit d’« objets informations » qui sont échangés et conduisent à un accroissement de savoir au point B.

Le savoir peut être caractérisé par un stock d’informations intellectuellement utilisables en vue d’élaborations cognitives diverses. Celui-ci est signifiant quand les informations qu’il contient se trouvent connectées entre elles en réseaux, aboutissant à des structures de pensées efficaces, rendant possible l’analyse du présent. Notre adaptation au monde en dépend, notre survie aussi, notre croissance intellectuelle également.  Le mot « savoir » est étymologiquement associé à « saveur »* et définit une sensibilité informationnelle telle un art de goûter. La « sagesse » est aussi reliée à cette posture gustativement et olfactivement sensible. Ainsi, la philosophie, telle un « amour des saveurs » sera en quête de pensées justes.

*Le mot « savoir » vient du latin sapĕre « avoir du goût », « exhaler une odeur », « sentir par le sens du goût ». Le latin sapĕre a donné sapor : « goût, saveur, caractéristique d’une chose », « odeur », « parfum », « action de goûter ». Le mot « sapidité » vient du latin sapidus signifiant « qui a du goût, de la saveur », (mais aussi, au figuré « sage, vertueux »). Le mot « sapience » vient du latin sapientia « intelligence, bon sens ». Ce mot traduit le sophia (sagesse) grec. Sapientialis signifie « intellectuel ». Sapiens (intelligent, sage, raisonnable) est le participe présent adjectivé de saper. (Dictionnaire historique de la langue française Robert)

Néanmoins il s’agit des sens captant des informations et de « l’intellectualité » capable de gérer celle-ci. Il se trouve que le savoir n’est pas le seul mode possible : il y a aussi le mode « connaissance ».

La connaissance est de nature différente, puisqu’il s’agit d’une « naissance avec » et non plus de la réception de quoi que ce soit. Cette « naissance avec » semble même particulièrement étendue sur le plan expérientiel pour les personnes qui vivent une situation de mort imminente (EMI). La situation n’est pas exceptionnelle puisqu’elle concerne (entre autres) 10% des patients réanimés. En ce cas, le terme « naissance avec » ne convient même pas, puisque ces Êtres ont la sensation d’« être ce qu’ils disent percevoir ». En fait, ils ne perçoivent pas mais « connaissent » en « étant » ce vers quoi leur attention se dirige. Sur ce point l’intellect n’est plus opérationnel. C’est ce qui fait que ces personnes disent comment « elles avaient la connaissance » quand elles étaient dans cet état, mais que revenues dans la vie elles l’ont perdue. Comme si cette « connaissance » n’était pas transposable en « savoir » et ne peut que laisser une trace floue et indicible. Ils en ont l’expérience, mais celle-ci n’est pas de nature informationnelle et la pensée ne sait pas en rendre compte de façon satisfaisante : elle ne touche pas la zone de compétence de l’intellect. Le philosophe Plotin (205-270 après JC) ayant vécu 4 sorties du corps en a produit « Les Ennéades » (1859) où, à de nombreuses reprises, il évoque cet aspect expérientiel indicible du monde, depuis l’« Un » initial jusqu à chacun de nous.

Des témoignages contemporains, très précis et documentés, sont rapportés dans le livre « Dead Line » (2006) du Dr Jean pierre Jourdan :

  « J’ai revu l’intégralité de ma vie, en relief, avec tous ses détails, les gens, les situations. Mais dans un temps qui ne s’écoule pas, la vie étant une globalité que l’on observe avec cette intelligence (universelle ou globale). Ma vie était une forme, sous mes yeux, qui  contenait TOUT, et que je consultais » (Jourdan, 2006,  p.573).  « Je ressentais tour à tour les sentiments d’autrui que mes comportements avaient suscités » (p.586).

 « Vous êtes le lieu, l’acteur, le moyen, la cause, l’effet,  le ressentant, et le faisant ressentir, le contenu et le contenant » (p.597).

 « Il y avait un délai entre le moment où j’entendais les paroles et le moment où les gens les prononçaient, comme un écho inversé » (p.564) Selon le sujet, les paroles d’autrui sont connues juste avant qu’elles ne soient prononcées… sans « transmissions de pensées » ni « transmissions informationnelles ». C’est comme s’il « connaissait » de façon indescriptible en étant  l’autre…tout en étant lui-même.  « On est à la fois soi-même et ce qu’on observe. Il y a à la fois la vue et le ressenti, une espèce de contact, de perception intime de la chose qu’on observe » (p.576). « Je faisais partie d’un tout. Tout était clair, très lumineux et c’est un peu comme si on faisait partie du cosmos et qu’on est partout à la fois » (p.422). « Je suis dedans, dehors à la fois, l’impression d’un ensemble d’un tout. Je deviens cette connaissance, cette lumière, cette douceur… je suis tout cela à la fois » (p.594).

 « Mon "moi" n’était pas là en tant qu’individu rendant des comptes de SA vie, mais mon "je" était la vie de tous les humains ; en d’autres termes c’était un bilan à l’échelle globale de l’espèce. » (p.589)

Nous comprenons bien qu’une telle expérience ne peut être décrite qu’avec des mots en approximation… et même ne peut être clairement pensée intellectuellement. Elle touche pourtant en nous des intuitions, même si nous n’avons jamais vécu d’EMI. Ces témoignages décrivent parfaitement des situations expérientielles où la connaissance n’est pas d’ordre informationnel et encore moins intellectuel. Elle peut sembler à certains n’être qu’une sorte de « délire métaphysique ». Mais quand le sujet qui l’a vécu rapporte des éléments vérifiables, telle l’inscription « manufacture de St Étienne » inscrite sous sa table d’opération (p.420- 421), les détails de son intervention comme pour Pam Reynolds, avec le cerveau à 15°8, sans pression sanguine cérébrale, et encéphalogramme plat (p.76-77), l’idée de délire est elle même délirante… comme pour s’arcbouter dans le déni de ce qui est ! Sans doute cela est-il trop dérangeant pour nos certitudes habituelles. Pourtant, sans toutefois être dans la naïveté, il convient de garder sa candeur et sa curiosité vers ce que l’on ne comprend pas.

Cela est d’autant plus important que le champ de nos investigations nous permet ainsi de mieux comprendre les propos de certains sujets dits « psychotiques » qui font en réalité une telle expérience hors du commun sans passer par une EMI. Dans ce cas, ce ne sont pas les sujets en EMI qui contactent la psychose*, mais les psychotiques qui contactent les expériences d’EMI.

*Sur ce site : « Mieux comprendre la psychose » (octobre 2012)

Pour appréhender cela nous devons considérer la notion de « connaissance » comme distincte de celle de « savoir ». Celle d’« informationnel » et d’« intellectuel » (le mental et ce qu’il pense) comme différentes de celles qui sont « ontiques » ou « expérientielles » (l’Être et ce qu’il éprouve).

4.6 Ontique ou psychosocial ?

« D’ailleurs d’autres impressions, plus vagues encore, me dictent que la communication facilitée par l’usage de la langue ontique s’accompagne d’une grande intimité avec l’interlocuteur, du sentiment de partager des loyautés communes, d’œuvrer pour un même objectif, d’être en ˝sympathie˝, de ressentir comme un lien de parenté avec lui, d’en être en quelque sorte coresponsable » (Maslow, 2006, p.273).

Abraham Maslow a différencié le niveau des besoins ontiques des autres besoins. Les besoins ontiques concernent le Soi (l’Être : ouverture et générosité), les besoins psychosociaux concernent le moi (le paraître stratégique : sécurité, appartenance, estime), les besoins physiologiques concernent le corps (vie et survie biologique).

Les besoins ontiques sont des besoins existentiels tels que l’amour, la reconnaissance, la justice, la justesse, l’esthétique, l’équilibre, l’harmonie etc. Loin de les mettre au sommet d’une hypothétique pyramide (comme bien des auteurs l’ont fait en son nom, alors que Maslow n’a jamais parlé de pyramide), il les a placés comme fondement. Il nous explique qu’un être frustré au niveau ontique reste insatiable sur tous les autres niveaux de besoins, quoi qu’il reçoive de plus.

Or il se trouve que la satisfaction des besoins ontiques est souvent différée, alors qu’elle est la seule qui permette de supporter les autres frustrations. En effet, le besoin ontique n’est pas vital à court terme, même si à long terme sa frustration est quasi létale.

« Plus le besoin est élevé, moins il est indispensable à la survie seule, plus sa satisfaction peut être différée dans le temps » (Maslow, 2008, p.114).

Ainsi, cette satisfaction ontique est non seulement différée, mais aussi malmenée. En effet, pour satisfaire son besoin d’appartenance (être inclus), un Être renonce à qui il est pour se soumettre à ce que veut le groupe, en vue de faire partie de la communauté. Puis, pour satisfaire son besoin d’estime (de valeur) en vue d’être distingué, il renonce toujours à lui-même, mais cette fois-ci en prenant l’apparence de ce qui a le plus de valeur dans cette communauté (ne pas confondre le besoin d’estime, concernant le moi psychosocial, avec le besoin de reconnaissance, concernant le Soi ontique). La seule satisfaction des besoins psychosociaux et la soumission qui les accompagne ne sont pas source d’équilibre, au point que Maslow y trouve un état pouvant être moins sain que celui d’un délinquant ou d’un névrosé :

« Une personne qui se soumet volontiers aux forces de distorsions présentes dans  la culture (c'est-à-dire un sujet conforme aux normes établies) peut parfois se révéler moins saine qu’un délinquant, un criminel ou un individu névrosé prouvant par ses réactions qu’il possède suffisamment de courage pour défendre son intégrité psychique » (Maslow, 2008. p.111)

Les deux types de soumissions engendrées par les besoins d’appartenance ou d’estime sont, selon Theodore Zeldin, les « fallacieuses fanfaronnades » que l’on trouve dans les C.V. : « passant sous silence tous les espoirs, toutes les opinions personnelles ». Il se désole que celles-ci conduisent à :

« […] une carte de visite professionnelle qui n’est qu’une publicité affichant votre statut et prouvant que vous êtes la propriété d’une organisation qui mérite plus de respect que vous. » (Zeldin, 2014, p.48).

Pourtant, le « frémissement ontique » qui anime implicitement chaque Être fait que néanmoins  il ne s’enlise pas totalement dans cette inconscience. Maslow ajoute :

« J’ai découvert que le besoin d’accomplissement est beaucoup plus fort que je ne l’imaginais » (Maslow, 2006, p257). « Ne négligeons pas non plus le fait que le besoin d’amour implique à la fois de donner et de recevoir de l’amour » (Maslow, 2008, p.65). 

Contrairement à la vision pyramidale réductrice, il remarque que l’ensemble des besoins avancent plus ou moins de front :

« Si un besoin est satisfait, alors un autre émerge. Cette affirmation peut donner l’impression erronée qu’un besoin doit être satisfait à 100% avant que le besoin suivant émerge. Dans la réalité, la plupart des individus normaux dans notre société sont en même temps partiellement satisfaits dans tous leurs besoins fondamentaux et partiellement insatisfaits dans tous leurs besoins fondamentaux » (Maslow, 2008, p.74).

La communication, telle que nous l’avons décrite ci-dessus, concerne le niveau ontique des besoins (et pas seulement le psychosocial), alors que la relation ne concerne que les besoins psychosociaux. La communication est ontique et psychosociale (avec les Êtres toujours priorisés), la relation est seulement  psychosociale (les objets toujours priorisés).  

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5   Distinguer les niveaux de validation

5.1 L’information, d’un monde à l’autre

Deux individus distincts perçoivent ce qui les entourent chacun de leur point de vue. Ils ont chacun une vision du monde comportant d’innombrables différences, des plus grandes aux plus anodines. Pour l’un il y a Dieu, pour l’autre il n’y en a pas. Pour l’un l’économie est une chose essentielle, pour l’autre c’est le sport, et pour un autre ce sont les arts. Pour l’un les épinards sont délicieux, pour l’autre ils sont infects. Depuis les plus grandes idées jusqu’aux petites préférences, chaque Être a sa spécificité.

Quand un individu « regarde » le monde, il ne perçoit pas « le monde tel qu’il est », mais « tel qu’il peut se le représenter ». Pour voir son environnement, il ne dispose que de « sa représentation du monde » dont la production dépend de l’expérience qui l’habite et des outils (culturels, éducationnels, personnels) dont il dispose pour interpréter ce qui s’offre à sa perception.

Il se trouve que nous n’avons pas conscience d’interpréter ce que nous percevons et croyons percevoir « la réalité ». Cette réalité est ainsi censée être la même pour tous et les différences sont alors éprouvées comme des incohérences que nous avons tendance à vouloir combattre pour ramener l’autre à la raison… c'est-à-dire, sans nous en rendre compte à « notre raison ». Gommer ainsi les différences tendrait à lisser les Êtres, qui heureusement ne se laissent pas faire !

C’est là une des grandes difficultés dans l’échange d’informations. Sur le mode relationnel où l’information est privilégiée, celle-ci est déformée et engendre des quiproquos, des conflits ou des fascinations. Sur le mode communicationnel où l’Être est en premier plan, l’information est sans cesse réajustée en partenariat avec l’interlocuteur et transite avec plus de justesse. Son cheminement d’un monde à l’autre (de celui de l’émetteur vers celui du récepteur) s’opère alors avec beaucoup plus de fluidité, de fidélité et d’efficacité. Quand s’opère ce transit, il se passe une multitude de phénomènes qui méritent notre attention :

D’abord les individus que sont les interlocuteurs doivent « exister » et s’accorder de l’attention, ensuite le récepteur va recevoir (info brute), comprendre (accéder au sens), accueillir (permettre à l’autre son point de vue), remercier (les informations ne sont jamais dues), et capter la cohérence de l’autre (qui a ses propres raisons). Chacune de ces étapes sera signifiée explicitement ou implicitement par le récepteur à l’émetteur, afin que celui-ci puisse ajuster si nécessaire son émission.

5.2 L’existence préalable

Pour qu’un interlocuteur nous entende, il convient d’abord qu’il existe ! Cette lapalissade est plus importante qu’il n’y paraît car l’autre ne se sent exister que s’il reçoit de l’attention, de la reconnaissance. La considération qu’on lui accorde permet cela. Nous noterons l’étymologie de « considération » (co-sidéral) qui signifie « tous les deux des étoiles en constellation » !

Il s’agit de ne placer l’autre ni au dessus ni au dessous de Soi, mais à une noble équivalence. De même que dans le Counseling de Carl Rogers l’on « tient un conseil » où les deux membres du conseil sont en situation d’équivalence sans qu’aucun n’ait la moindre supériorité sur l’autre, dans la considération nous trouverons une telle position de chacun des interlocuteurs.

Contrairement à ce qui est parfois cru, il ne s’agit pas de s’oublier pour mieux entendre l’autre, car si « je » n’existe pas, l’autre ne reçoit pas d’attention. Pour qu’il y ait « co-sidéral », il faut qu’il y ait « deux étoiles ». Il convient de ne pas s’oublier pour donner notre attention. Pour être clair dans ce principe de « ne pas s’oublier », sachons différencier le fait de ne pas s’oublier (simplement être, rencontrer généreusement ; présence du Soi),  de celui de faire valoir son ego (chercher à paraître, profiter ; prééminence du moi). S’il s’agit de ne pas s’appuyer sur notre représentation du monde pour comprendre celle de l’autre (car sur ce point, seul lui peut nous éclairer), il ne s’agit aucunement de disparaître. Ceci serait une attitude faussement généreuse privant l’autre de notre réelle présence.

L’un n’est pas sensé se prétendre  modèle pour l’autre. Le « nouveau monde » (celui de l’interlocuteur) qui s’offre à nous, ne doit pas être culturellement assujetti par notre « pseudo vérité éclairante », tel un conquistador venant éteindre une civilisation. Il doit plutôt en résulter un partage de différences, contribuant au juste déploiement de chacun.

Voir sur ce site la publication d’août 2008 « Éloge de la différence ».

Ce préalable existentiel et respectueux étant posé, voyons ensuite comment transite l’information.

5.3 Recevoir n’est pas comprendre

Transitant depuis l’émetteur vers le récepteur l’information est d’abord reçue par ce dernier. La réception permet de disposer de l’information. Étape fondamentale mais sans grande utilité si nous n’accédons pas au sens de celle-ci. Si vous disposer de la notice d’emploi d’un appareil électronique rédigée en coréen, certes vous avez l’information, mais elle ne vous permet pas de faire grand-chose si vous n’avez pas la chance de connaître les règles de décodage de cette langue.

La réception doit nécessairement se poursuivre par la compréhension. Celui qui reçoit l’information peut en témoigner par un « accusé de réception », quand il accède à la signification, il peut en témoigner par un « message de compréhension ».

Nous noterons que quand quelqu’un n’a pas reçu l’information… nous la lui répéterons, et que quand quelqu’un ne l’a pas comprise… nous la lui expliquerons. Répéter à quelqu’un qui n’a pas compris est inutile et l’agace. Expliquer à quelqu’un qui n’avait simplement pas reçu alourdi l’échange et insupporte également.

Quand ces deux étapes sont parfaitement accomplies, elles ne sont cependant pas suffisantes.

5.4 Comprendre n’est pas accueillir

L’accès au sens est incontournable. Reste à savoir ce que nous faisons de cette information comprise. Si j’ai bien reçu et compris la notice d’emploi dans la langue adéquate, je peux la décoder. Cependant si je décide qu’elle est mal faite, qu’elle ne sert à rien, que je la jette… le jour où j’ai une difficulté avec mon appareil électronique je ne dispose plus de l’information qui me serait utile. Il en va de même si j’entends et comprends les propos de mon interlocuteur sans les accueillir : si je ne leur accorde pas une certaine importance, une justesse a priori (du point de vue de mon interlocuteur) l’échange ne peut se poursuivre efficacement.

« Accueillir » le propos de l’autre ne veut en aucun cas dire qu’on a le même point de vue que lui. C’est seulement lui accorder que ce qu’il nous adresse comporte à ses yeux une justesse, et avoir la curiosité d’aller vers lui pour qu’il nous éclaire à ce sujet. Cette curiosité n’est en aucun cas une enquête en recherche de preuves ou de justifications, car une telle suspicion bloquerait l’échange. Elle reflète plutôt la candeur qui attend un éclairage nouveau, l’ouverture vers une découverte. Le résultat n’en est pas l’adhésion, mais la reconnaissance d’une cohérence potentielle selon le point de vue de l’autre. A ce niveau de l’accueil, nous accordons cette cohérence, quand bien même elle ne nous a pas encore été explicitée.

Ce stade est atteint dans l’état communicant, jamais en situation purement relationnelle. Quand l’information est priorisée, nos références propres ont une telle importance que la moindre incohérence de notre point de vue rend l’information inacceptable. De ce fait il n’y a pas « accueil » et la suite de l’échange se déroule sans pertinence, sans visibilité, vers des digressions inutiles, stériles, parfois néfastes.

5.5 Accueillir n’est pas remercier

Quand l’accueil est bien présent, il s’ajoute une nuance essentielle : cette information ne nous est aucunement due. Notre interlocuteur nous accorde le privilège de nous livrer un « bout de son monde » à travers son propos (même s’il ne fait que nous indiquer ce qu’il pense d’un film, de ses voisins ou de son travail). Ce privilège qui nous est accordé suppose donc de notre part une certaine gratitude venant s’ajouter à notre posture d’accueil. Discrète, délicate, subtile, mais néanmoins bien présente, cette gratitude offre à l’interlocuteur qui s’est exprimé un supplément de reconnaissance accordée. Cela participe grandement à la fluidité de l’échange, à la confiance qui s’y déploie, au confort de chacun. La clarté des informations qui s’y écoulent en est augmentée et les ajustements de sens grandement simplifiés. Bien évidemment, la gratitude découle naturellement de la validation existentielle, présente tout au long de l’échange depuis le début.

Nous avons donc  « recevoir », « comprendre », « accueillir » qui s’enrichit de « remercier ». Toutes ces phases peuvent sembler bien nombreuses pour être opérationnelles dans un échange ordinaire. Il est bien évident que si nous devions énoncer en retour d’une information reçue : « j’ai bien entendu ce que tu m’as dit, j’en ai parfaitement compris le sens et te permets tout à fait de penser ainsi, car tu dois avoir une juste raison ; je suis même très honoré du privilège que tu m’accordes en me l’ayant confié »… outre le fait que cela alourdirait considérablement les conversations, ce serait totalement ridicule. Toutes ces phases sont plus « posturales » que verbales et tiennent en un regard, un sourire, un mouvement de tête… attitude accompagnée ou non d’un mot aussi discret qu’un simple « ok ».

5.6  Remercier n’est pas valider la cohérence

Tout ceci étant bien présent, il peut cependant être nécessaire d’aller encore plus loin et de se faire éclairer sur la cohérence du propos de notre interlocuteur. Cela peut nous être nécessaire pour nous-mêmes, mais aussi parfois pour lui, chez qui cette justesse n’est le plus souvent qu’inconsciente. Cela se réalise en posant une question (ou plusieurs) dont le projet est d’accéder à un supplément de précision. Il ne s’agit aucunement d’obtenir des preuves de quoi que ce soit, mais seulement un éclairage plus approfondi à propos des fondations du propos.

Par une ou quelques questions supplémentaires il est ainsi possible de mettre à jour le fondement cognitif de notre interlocuteur (ce sur quoi il appuie sa pensée) afin de lui offrir la stabilité dont il a besoin pour éventuellement s’ouvrir à nous sans risque. Riche de ses bases, il peut ainsi accueillir des pensées différentes des siennes sans y perdre son équilibre intime. D’un tel échange il peut émerger des innovations aussi riches pour l’un que pour l’autre.

Pour y parvenir, l’ensemble des questions/réponses qui s’accomplissent suppose que nous connaissions bien ce qu’est une question. Outre le fait que tout ce qui a été développé précédemment est bien présent, poser une question est un acte d’humilité attestant que, concernant l’autre, nous ne savons pas… et que c’est lui qui sait. Ensuite, afin d’être un facilitateur d’expression, nos questions doivent répondre à plusieurs critères :

1/Critères fondamentaux :

-Être sans condition de réponse (interlocuteur libre de son propos, sans que nous portions le moindre jugement).

-Être sans obligation de réponse (interlocuteur libre de ne pas répondre, sans qu’il en reçoive le moindre reproche ou la moindre pression).

Une fois ces deux critères fondamentaux posés, et seulement s’ils sont bien présents, d’autres nuances sont à développer.

2/Critères de pertinence

-La question doit porter sur ce qui vient d’être exprimé. Ne pas passer soudainement d’un sujet à l’autre : après avoir par exemple demandé à quelqu’un ce qu’il a pensé du film qu’il vient de voir, ne pas lui demander aussitôt quelle salle de cinéma il fréquente le plus… ce n’est pas le thème de la conversation ! De telles digressions ne nous permettront jamais d’accéder à son fondement cognitif, et l’échange restera alors superficiel.

-Demander une précision sur des ressentis plus que sur les faits ou les objets. Pour aboutir à son fondement cognitif, lui demander le titre du film (chose), c’est beaucoup moins pertinent que de lui demander ce qu’il en a pensé (vécu éprouvé). Sinon l’échange ne sera qu’intellectuel.

-Se situer à la bonne place dans le spectre « reformulation », « question ouverte », « question fermée », « question à choix multiple ». Ces quatre types de questions peuvent tous être justes s’ils sont placés au bon endroit… ou inopérants s’ils sont mal à propos. Un mauvais choix de question peut bloquer l’interlocuteur dans son accès à ses propres informations.

Précision à propos des 4 types de questions

La question ouverte : c’est par exemple « qu’as-tu pensé du film ? ». Elle est un bon outil, mais nécessite un investissement intellectuel chez celui qui la reçoit pour réaliser une sorte de mini exposé. Cela risque fortement d’éloigner celui qui s’exprime de son ressenti (noyé dans une construction intellectuelle). Il se peut alors que le fondement cognitif devienne inaccessible. Elle ne sera généralement utilisée que pour un interlocuteur qui a déjà pu préciser son ressenti (soit spontanément, soit grâce à une question fermée).

La question fermée : c’est par exemple « As-tu aimé ce film ? ». Bon outil également, qui a l’avantage de ne demander qu’une réponse « oui/non ». Son seul inconvénient est qu’elle aggrave les situations « de questions avec condition de réponse » où elle piège l’interlocuteur. Mais si les deux premiers critères fondamentaux sont respectés elle est un outil fantastique. L’interlocuteur peut répondre sans investir son intellect, rester spontanément et authentiquement plus proche de son ressenti réel. Il réalise ainsi aisément un premier pas vers son fondement cognitif.

La reformulation : c’est un type particulier de question fermée appelant aussi une réponse « oui/non ». Voyant que l’interlocuteur sourit après la projection, nous lui demandons par exemple directement « Tu as aimé le film !? ». Construction grammaticale affirmative, mais avec un ton légèrement interrogatif (le point d’interrogation est plus petit !). Elle ne doit aucunement être un simple écho ou reflet de ce qui est exprimé. Elle est une profonde et chaleureuse reconnaissance de l’Être avec son vécu, sans toutefois l’y enfermer. Outils fondamental pour approcher le chemin qui conduira au fondement cognitif. Attention : sans un non verbal adapté, la reformulation pourrait sembler totalement niaise en ne faisant que nommer une évidence. Sa profondeur exceptionnelle dépend totalement du non verbal et de la posture authentique de celui qui la prononce. L’intellect, ici peu mobilisé, n’entrave pas l’accès au  ressenti.

Pour plus de précisions, voir la publication de novembre 2002 « Reformulation »

La question à choix multiple : celui qui demande dispose de quelques éléments qui lui permettent de proposer un choix à celui qu’il questionne. Si celui-ci a aimé le film, mais peine à dire pourquoi, il lui demandera par exemple « est-ce pour l’histoire, les acteurs, les paysages… ou autre chose ? ». Celui qui demande dispose des éventualités « histoires, acteurs, paysages » puis ajoute « …ou autre chose » car ce ne sont que des éventualités. L’avantage est que celui qui répond à juste à cocher la bonne case (sans investir son intellect). Quand sa réponse ne se trouve pas dans la liste proposée, l’élimination des trois premières possibilités ouvre néanmoins sa pensée vers sa propre réponse.

Ajustements spontanés

Tout l’art de celui qui questionne dans le projet de révéler un fondement cognitif est : 1/de poser le type de question adapté, 2/quand son choix n’est pas opérationnel, de revisiter le type de question utilisé afin de faciliter l’expression de son interlocuteur.

Quand une question ouverte ne marche pas il la transforme spontanément en question fermée ou en question à choix multiple.

Par ordre d’aisance dans la réponse, nous trouverons : la reformulation, la question fermée, la question à choix multiple, puis en dernier la question ouverte.

« Comment as-tu trouvé le film ? ». Le mauvais choix de la question amène une non réponse. Spontanément « Tu l’as aimé ou pas aimé ? » La question fermée permet une réponse spontanée « Oui, je l’ai aimé ! ». Le questionneur  poursuite par « Qu’est-ce que tu as aimé ? ». Cette question ouverte étant encore inopérante, il la transforme naturellement en QCM  « L’histoire, les acteurs, les paysages… ou autre chose ? ». La réponse est alors « En fait, il me fait penser à un endroit où j’ai passé les plus belles vacances de ma vie ! ». Et nous voici arrivé au fondement cognitif. Reste à en témoigner auprès de celui qui vient de répondre : « C’était de belles vacances !? » (préparation de la validation cognitive par une reformulation) « Oui merveilleuses », délivrance de la validation cognitive proprement dite : « Si ces vacances étaient si merveilleuses et que le film te les rappelle, je comprends qu’il te plaise ».

Notons néanmoins que cette validation cognitive atteste seulement de la logique cognitive, du fondement pertinent qui conduit notre interlocuteur à avoir éprouvé ce qu’il a éprouvé ou fait ce qu’il a fait (quand bien même son avis est le contraire du nôtre). Notons toutefois qu’elle peut être exprimée dans une version développée (comme ci-dessus), mais que la pertinence voudra le plus souvent qu’elle se limite à une posture accompagnée d’un simple « D’accord ! »… doux, délicat, reflétant en toute simplicité le petit bonheur d’avoir eu accès à une juste révélation.

Cependant, cette validation cognitive ne sera pleinement opérationnelle que si elle est accompagnée d’une validation existentielle. Si nous n’avons que des opérateurs logiques (froids) intellectuellement analysés et reformulés, cela ne peut fonctionner… et peut même agacer, car il ne s’agit pas d’une enquête ou d’une vérification technique, mais d’une confirmation, d’une rencontre et d’une reconnaissance !

Pour plus de précisions voir la publication de janvier 2012 « Non directivité et validation »

5.7 Le cognitif n’est pas l’existentiel

En dépit de son importance, le cognitif n’est pas tout. Il ne s’agit là que d’opérateurs logiques, certes pertinents, mais froidement assemblés. Ce qui donne toute la dimension à l’échange est la « validation existentielle ».*

*Pour plus de précisions, lire sur ce site la publication de Septembre 2008  « Validation existentielle »

La validation existentielle est une reconnaissance au niveau ontique, au niveau du « quelqu’un » qu’est notre interlocuteur. Elle ne valide ni l’information, ni l’intellect, mais pleinement l’Être. Elle est même indépendante de la nature de l’information et de la logique cognitive, indépendante de toute performance intellectuelle. Elle est pleinement « reconnaissance ».*

* Pour plus de précisions, lire sur ce site la publication d’Octobre 2014 « Reconnaissance »

De plus, dans un usage  réellement communicant, le guidage non directif (succession de questions adaptées, conduisant au fondement de ce qui est pensé ou éprouvé) ne révèle pas une simple logique, mais conduit à « celui qu’était l’interlocuteur à un moment de sa vie » (récent ou ancien) donnant tout son sens à ce qui se passe dans le présent.

Qu’il s’agisse de l’actuel ou de l’antérieur, il s’agit toujours d’un Être à qui l’on accorde une authentique reconnaissance et non de simples faits que l’on analyse. Si l’on veut correctement parler de communication et de relation, il convient de distinguer l’informationnel et l’existentiel. Si l’on veut être plus précis encore, nous pouvons même distinguer l’informationnel (les objets), l’intellectuel (les mécanismes), l’émotionnel (les fantasmes), l’existentiel (les Êtres avec leur sensibilité).

La circulation de l’information depuis le monde de l’émetteur jusqu’à celui du récepteur sera grandement facilitée par ces validations.

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6   Les vecteurs d’information

L’information qui circule depuis le monde de l’émetteur vers celui du récepteur peut utiliser plusieurs moyens de « transport » : l’écrit, la parole, le non verbal (visuel ou auditif)… et même l’expérientiel qui est une situation particulière où l’information se trouve en même temps aux deux pôles.

6.1 Les mots

Vecteur symbolique par excellence, les mots sont un précieux outil pour véhiculer l’information. Le mot est le signifiant (image acoustique ou visuelle d’un signe) permettant d’évoquer un signifié (représentation mentale de ce qu’il désigne). Attention, le signifié n’est qu’une réalité subjective et non la chose objective dont il tente de rendre compte. Par exemple le signifiant « table » évoque le « concept de table » ainsi signifié mentalement, mais pas l’objet « table » lui-même. De plus, les mots sont organisés en un système complexe qui, en fonction de leur contexte peuvent prendre différents sens (par exemple, le mot « ballot » n’évoquera pas la même image mentale selon que le contexte désigne un bagage ou une personne). Nous mesurons ainsi la distance qui se trouve entre la réalité dite « objectivable » et l’information verbale qui tente d’en rendre compte.

Le choix des mots est important à l’écrit comme à l’oral, leur contextualisation aussi. Ils véhiculent bien plus que le sens que l’on trouve dans le dictionnaire. Ils activent des évocations (des signifiants) chez l’interlocuteur qui sont liées à son expérience individuelle, mais aussi au fait que ces mots sont porteurs de la pensée du peuple qui les a imaginés, utilisés, partagés pendant des siècles, en plus de l’usage moderne qui en est actuellement fait*.

*Voir la publication de février 2010 « Les mots et les intuitions »

Il y a parfois des télescopages, comme dans le monde du soin où l’on parle aujourd’hui beaucoup de « bientraitance » (pour prévenir la maltraitance), alors que d’un autre côté « traiter » est à notre époque utilisé par les jeunes pour dire « insulter » (…déjà en usage il y a quelques siècles).

Les mots sont porteurs d’une mémoire collective, de la manière de penser d’un groupe d’humains. Il est très touchant de constater que considération (co-sidéral) a été construit en français pour évoquer l’aspect précieux de deux Êtres tels des « étoiles en constellation »… etc. Les français expriment leur gratitude en disant « merci » (ce mot désignant aussi bien le salaire que l’on donne, la grâce que l’on accorde, que la dépendance et la soumission) alors que les espagnols ont choisi « gracias » (« je rends grâce » qui ne met aucune ambiguïté)… Les moyens de nommer sont variés, plus ou moins heureux, toujours riches de toute une histoire, jamais anodins.

6.2 L’écrit

L’écrit laisse une trace de l’information qui permet ensuite à chacun d’en disposer. Cette « trace » semble libre du non verbal, mais il n’en est rien. Si elle est manuscrite, chacun sait que l’écriture reflète quelque chose du rédacteur bien au-delà de ce qu’il a rédigé. Cependant, même si le texte est rédigé en traitement de texte (compuscrit), le choix de la présentation représente un non verbal signifiant, qui rendra facile ou difficile l’accès au sens, d’une part par la facilitation sensorielle et cognitive, d’autre part par l’esthétique sollicitant une meilleure disposition de l’esprit, puis par l’« énergie » implicitement mise dans la présentation (plus ou moins de force) :

En voici un exemple avec trois présentations différentes :

Monsieur je me permets de vous écrire pour solliciter un poste dans votre entreprise L’intérêt que suscite l’activité de votre établissement m’a conduit à vous proposer mes services afin de participer à la production de votre équipe Mon expérience en ce domaine est ainsi à votre disposition Je vous remercie par avance pour l’entretien que vous voudrez bien m’accorder afin de préciser autant les besoins de l’entreprise que ce que je peux y apporter Veuillez agréer mes sincères salutations Marc Dupont.

Cette première présentation est péniblement déchiffrable (texte au kilomètre, non ponctué, mais tout de même avec des majuscules) et souligne le peu d’attention que l’émetteur accorde à son interlocuteur.

Monsieur,

Je me permets de vous écrire pour solliciter un poste dans votre entreprise. L’intérêt que suscite l’activité de votre établissement m’a conduit à vous proposer mes services afin de participer à la production de votre équipe. Mon expérience en ce domaine est ainsi à votre disposition.

Je vous remercie par avance pour l’entretien que vous voudrez bien m’accorder, afin de préciser autant les besoins de l’entreprise que ce que je peux y apporter.

Veuillez agréer mes sincères salutations.

 Marc Dupont

Cette seconde présentation marque plus d’attention en respectant mieux l’interlocuteur. La ventilation du texte ainsi que sa ponctuation facilitent l’accès à l’information et au sens. Elle sera ainsi plus efficace.

Monsieur,

Je me permets de vous écrire pour solliciter un poste dans votre entreprise. L’intérêt que suscite l’activité de votre établissement m’a conduit à vous proposer mes services afin de participer à la production de votre équipe. Mon expérience en ce domaine est ainsi à votre disposition.

Je vous remercie par avance pour l’entretien que vous voudrez bien m’accorder afin de préciser autant les besoins de l’entreprise que ce que je peux y apporter.

Veuillez agréer mes sincères salutations.

 Marc Dupont

Cette troisième présentation est presque semblable à la précédente. Cependant, les caractères gras mettent une force qui, dans ce cadre, est mal venue (dans d’autres cadres cela pourrait être juste, par exemple si le texte était très long). Le rédacteur ne fait pas assez confiance au lecteur, et surtout il se met trop en avant. L’émetteur doit être facilitateur, mais cependant délicat, attentionné, juste assez mais pas trop. L’équilibre est subtil.

Ces trois exemples sont loin d’être exhaustifs. Ils montrent simplement que le non verbal est aussi dans l’écrit. Avec un texte identique, il peut y avoir des choix de présentations, de gras/italique, de couleurs, de polices, d’encadrements… etc. Naturellement il y a également les choix de phrases, de tournures, le type de langage utilisé, de quantité d’éléments présentés simultanément dans un ou plusieurs paragraphes…  pour dire une même chose, etc. Tout cela joue un grand rôle qui va au-delà du sens du mot proprement dit, et ajoute une information non verbale qui peut être soit inutile, soit éloigner du sens, soit facilitatrice.

6.3 La parole

Nous sommes plus habitués à évoquer la notion de non verbal dans le langage parlé. Selon le professeur Albert Merhabian, les informations échangées entre des gens qui conversent sont à 93% non verbales, avec une petite moitié d’auditif (intonation de la voix) et une grosse moitié de visuel (mimiques, gestuelle).

Il faut comprendre que le non verbal est aussi constitué du rythme respiratoire, de l’orientation et de la nature du regard, sans oublier les changements de diamètre des pupilles, les modifications de couleurs de la peau (rougeurs, pâleurs), sudation, les odeurs corporelles, etc. Quelques-uns de ces paramètres gestuels ou sonores peuvent être contrôlés, mais la plupart sont hors de portée de notre volonté, d’autant plus qu’ils sont subliminalement perçus par notre interlocuteur au millième de seconde près.

Carl Rogers parlait de « congruence » pour signifier que notre pensée est en accord avec notre expression (expression qui alors n’est pas « incongrue »). La façon d’atteindre cette congruence, si nécessaire à une bonne qualité des échange, est tout simplement l’authenticité, la considération, l’état communicant plutôt que l’état relationnel (tels qu’ils sont décrits dans cet article).

6.4 Le non verbal

Le non verbal est donc un vecteur majeur de l’information (par écrit et par la parole). Les mots sont bien sûr également importants, car de leur juste choix dépend une compréhension fine et précise, mais le non verbal véhicule à notre insu bien plus que nous ne le pensons.

Quand nous nous parlons, les signes échangés sont multiples et, comme pour toute perception, celle-ci est multifactorielle et s’accomplit grâce à une synergie des sens qui nous fait aboutir à une compréhension particulière de ce qui s’offre à nous. Il en va ainsi de toute perception. Quand nous investissons notre regard, ce que nous entendons ou sentons ajuste l’image visuelle que nous nous faisons. Si par exemple on enlève le visuel et la texture d’un aliment, nous peinerons à le reconnaître seulement avec le goût. Nos sens fonctionnent en synergie et il y en a souvent plusieurs en action dans une perception quelle qu’elle soit*.

*Voir la publication d’août 2013 « Percevoir le monde »

Ainsi le non verbal vient soutenir ce que nous exprimons avec des mots, en même temps que ces mots viennent préciser les nuances spécifiques que nous souhaitons partager avec notre interlocuteur.

Dans la communication, après avoir abordé la mise en oeuvre des divers canaux informationnels oeuvrant en synergie, nous avons aussi un autre phénomène qui mérite d’être mentionné : l’expérientiel.

6.5 L’expérientiel

Les informations généralement transitent d’un point A émetteur vers un point B récepteur. Nous venons de voir que l’état communicant favorise grandement la qualité de ce transit par rapport à l’état relationnel qui, lui, l’altère en produisant de multiples affects et des interprétations erronées.

D’une façon différente et tout à fait inattendue, dans l’« expérientiel », l’information ne transite pas : elle est aux deux points A et B en même temps. Nous trouvons une situation analogue avec les particules en mécanique quantique où, même séparées par une immense distance, chacune est instantanément informée de ce qui arrive à l’autre. Cela s’appelle le phénomène de non séparabilité ou phénomène EPR.

Nous observons cette situation de façon probante dans les situations de mort imminente (EMI). Les citations au paragraphe 4.5* rendent compte de ce phénomène. C’est là que nous parlons d’un vécu « expériencé », car nous n’avons pas de meilleur mot pour le désigner et le distinguer des autres phénomènes.

*Rappel de ces citations : « Vous êtes le lieu, l’acteur, le moyen, la cause, l’effet,  le ressentant, et le faisant ressentir, le contenu et le contenant » (Jourdan, 2006, p.597).  « Il y avait un délai entre le moment où j’entendais les paroles et le moment où les gens les prononçaient, comme un écho inversé » (p.564) Selon le sujet, les paroles d’autrui sont connues juste avant qu’elles ne soient prononcées… sans « transmissions de pensées » ni « transmissions informationnelles ». C’est comme s’il « connaissait » de façon indescriptible en étant  l’autre…tout en étant lui-même.  « On est à la fois soi-même et ce qu’on observe. Il y a à la fois la vue et le ressenti, une espèce de contact, de perception intime de la chose qu’on observe » (p.576). « Je faisais partie d’un tout. Tout était clair, très lumineux et c’est un peu comme si on faisait partie du cosmos et qu’on est partout à la fois » (p.422). « Je suis dedans, dehors à la fois, l’impression d’un ensemble d’un tout. Je deviens cette connaissance, cette lumière, cette douceur… je suis tout cela à la fois » (p.594).

Dans les EMI, le sujet se trouve aux deux points A et B en même temps, ou pas tout à fait, mais tout se passe comme s’il en était ainsi (il n’y a pas de mots satisfaisants pour décrire la sensation précise). Il se trouve seulement que, outre  leur « expérienciation », les sujets bénéficient ensuite d’informations vérifiables qu’il leur est normalement impossible de savoir. Il ne s’agit cependant aucunement ici de prouver objectivement que ces vécus sont vrais ou non… simplement, « ils sont » d’un point de vue purement phénoménologique. Or certains « expérientiels » ne touchent pas que les sujets en  EMI.

Dans notre quotidien ordinaire il se passe aussi de telles manifestations, mais plus discrètes : face à un interlocuteur, nous pouvons ressentir une émotion (joie peur, tristesse, impatience…). La question est de savoir si cette émotion est purement la nôtre (même si elle est induite par les informations émanant de l’autre), ou bien une expérience en Soi de celle qui se vit chez l’autre.

Nous connaissons bien en psychologie la problématique de la projection où, ressentant personnellement quelque chose nous l’attribuons à notre interlocuteur. Cela brouille considérablement la qualité des échanges. Nous connaissons bien aussi ce rôle des neurones miroirs qui font éprouver ce que l’autre nous montre (mouvement, émotion etc.). Cela est produit par un transit d’informations (aussi subtiles, inconscientes et non verbales soient-elles).

Dans le cas de l’émotion expériencée, il ne s’agit pas de projection ni de neurones miroirs (du moins semble-t-il), mais d’un vécu éprouvé par Soi de l’émotion qui est en l’autre. « Tout se passe comme si » la même émotion se manifestait en deux points distincts en même temps, de sorte que l’un est informé de ce qui se passe chez l’autre en simultanéité, sans qu’aucune information n’ait eu à transiter de A à B. Ce n’est même pas de la « transmission de pensée » car il n’y a pas de transmission, en tout cas pas au sens où nous l’entendons habituellement avec un déplacement d’information. Il ne semble pas s’agir non plus d’une transmission subtile par le non verbal qui, perçu de façon subliminale, provoquerait cette émotion éprouvée.

Ce vécu expériencé permet une « co-naissance » (et non un savoir) de ce qui se passe chez l’interlocuteur, permettant alors juste de lui poser des questions pertinentes adaptées pour qu’il confirme ou non ce fait. Cela peut conduire à une facilitation de son expression, à condition que la question n’induise pas la réponse… ce qui demande une certaine dextérité. En effet, le grand danger est de prendre une chose éprouvée chez Soi comme attestant systématiquement de ce qu’il y a chez l’autre et de ne faire que des projections… convaincus « d’entendre » l’autre subtilement, alors que nous ne faisons que projeter chez lui ce qu’il y a chez nous.

Il n’est pas aisé de différencier les deux phénomènes (projection et expérientiel), mais il m’a semblé nécessaire de mentionner cet autre moyen de « connaître », sans passer par un transit informationnel. Difficile à « prouver », mais impossible à ignorer, sauf à être de mauvaise foi (merci par avance aux chercheurs de trouver un moyen de travailler sur ce thème !).

Il est à noter que certains sujets particulièrement sensibles à cela peinent à se retrouver parmi les gens. Ils ne comprennent pas tout ce qu’ils éprouvent quand ils sont immergés dans le monde. Il ne faut pas confondre cela avec une sorte de phobie sociale. Pareils aux personnes électrosensibles, qui physiologiquement ne supportent pas les ondes (et doivent se protéger des WiFi, portables, Bluetoth…) ces sujets que l’on pourrait qualifier de « psychosensibles » peinent à se retrouver dans une foule où ils se sentent « envahis » par l’émotion de chaque autre qu’ils croisent.

Des situations les plus extrêmes aux plus ordinaires, l’accès expérientiel ne peut être ignoré, même s’il n’est pas pour le moment démontrable. Il doit cependant être considéré avec prudence, car en ce domaine les fantasmes vont bon train avec tout leur cortège de leurres !

6.6 La posture

Au-delà des outils, la posture est le principal vecteur, ce qui fait que l’information est reçue ou non. C’est ce qu’on appelle le charisme*, en ce sens où certaines personnes sont naturellement ainsi. Mais cela peut se travailler, car ça dépend essentiellement  de « où se porte notre attention en priorité ».

*Charisme : du grec chrétien kharisma « don, faveur, grâce d’origine divine ». Mot composé de kharis « grâce » « faveur de ce qui accorde », « reconnaissance de ce qui reçoit », probablement en rapport avec khairein « se réjouir être heureux aimer » (Extrait de Dictionnaire historique de la langue française Robert). Ce mot a cependant dérivé aussi vers « pouvoir de fascination sur autrui » et ce n’est pas en ce sens qu’il est utilisé ici.

Celui qui  regarde les problèmes a naturellement l’expression de quelqu’un qui voit un problème, celui qui voit les Êtres a naturellement l’expression de quelqu’un qui vit une belle expérience. Si l’on ne peut maîtriser l’entièreté de son non verbal (ce qui ferait de toute façon perdre toute congruence), l’on peut par contre choisir vers où nous portons notre attention : vers les choses ou vers les Êtres ? Et ce faisant, avons-nous pour projet de révéler ses justesses ou bien de chasser ses erreurs ? Là se trouve le moteur de la posture, source de la qualité de la communication.

6.7 Mention spéciale pour le non dit

Verbal, non verbal, non dit : empilement de réalités distinctes (sociale, émotionnelle, inconsciente). Le non dit n’est pas le non verbal, en ce sens où le non verbal est « dit » non verbalement. Le non verbal nous trahit en « disant tout bas » ce que l’on « cache tout haut », ou que l’on nie activement. Le non dit n’est pas un « non verbal plus subtil ». Il n’est pas dit du tout. Sorte de dénégation, car il ne s’agit même pas de quelque chose que l’on nie, mais de quelque chose de silencieux, dont on ignore inconsciemment l’existence chez soi. Cependant, c’est bien « présent » dans la psyché et parfois même nous appelle à notre insu : ce sont alors nos « psycho symptômes » grâce auxquels ce que nous avons jadis mis à distance tente de rejoindre notre conscience afin d’y bénéficier de reconnaissance.

Par exemple : Nous pouvons parler (poliment) en éprouvant une colère (contenue mais « dite » non verbalement), et éprouver une douleur (dont on ne se rend même pas compte, et qui a pourtant engendré cette colère). Ici le « non dit » est la douleur, le « dit non verbal » est la colère, le « dit verbal » est la politesse. « Profondeur inconsciente », « réaction émotionnelle », « politesse sociale », nous avons trois éléments distincts.

Il peut être utile de ne pas le mélanger et de ne pas prendre les messages non verbaux pour l’expression de la réalité intime de l’autre. Même si sa colère est réellement ressentie par lui, le fondement de celle-ci est sa douleur dont il n’a pas conscience. Il n’a donc pas à la nier ou à feindre autre chose. Pourtant, cette douleur est la vraie source des informations qui émanent de lui, dont la colère n’est qu’un avatar.

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7   Convaincre est une illusion

L’étude des vecteurs de l’information intéresse particulièrement ceux qui veulent convaincre... pourtant, un tel projet n’est qu’une illusion relationnelle. Ceux qui se préoccupent d’efficacité, réellement pragmatiques, préféreront une approche plus communicante.

7.1 Assertivité
« la paix n’est pas l’absence de guerre » 

La paix n’est pas « absence de guerre » mais « concorde des âmes » nous dit Spinoza. D’une façon différente mais analogue, l’OMS nous propose que la santé n’est pas l’absence de maladie, mais un équilibre social, physique et mental. Sur le même principe, nous pourrions dire que qualité de la communication n’est pas proportionnelle à la quantité d’informations circulant, mais à la rencontre des Êtres… qui permet leur aboutissement correcte.

La rencontre des Êtres permet une juste transmission, alors que la manipulation est source de révoltes sournoises et de distorsions. Le mot qui définit bien cet état communicant est « Assertivité »*. Mot mal connu définissant une posture où l’on s’affirme sans rien enlever de l’autre, et où l’on respecte l’autre sans rien retrancher de Soi. C’est l’état communicant tel que défini dans ces pages. Quand nous n’y parvenons pas nous glissons insensiblement vers des postures moins nobles nous conduisant à la « manipulation » (éloignant l’autre de lui-même pour le rapprocher de nous tout en lui « vendant » un avantage auquel il croit), le « conflit » (éloigner l’autre de lui-même en le culpabilisant d’être qui il est, et en le menaçant d’inconvénients majeurs), la « fuite » (peu importe ce qui est, nous renonçons à la transmission de quoi que ce soit).

*Pour plus de précisions vous pouvez lire la publication de septembre 2001  « Assertivité »

7.2 Informer ou convaincre ?

La confusion vient peut-être du fait que pour informer nous croyons qu’il faut convaincre. Nous accomplissons alors une sorte d’ostracisme dans la pensée d’autrui que nous prétendons ainsi coloniser. Avec un « convaincant » et un « convaincu », l’équipe ne peut être gagnante.

Il convient plutôt d’informer et de se laisser informer, de mettre en commun des informations multiples permettant d’accéder à une vision plus subtile des réalités qui nous entourent, à prendre en compte des enjeux systémiques, à envisager des stratégies adaptées à ce qui est, et pas seulement à ce qui est fantasmé ou connu d’un seul point de vue.

Le danger d’une connaissance partielle idéalisée est bien dénoncée par Maya Beauvallet, économiste, dans son ouvrage « Les stratégies absurdes – Comment faire pire en croyant faire mieux ». La tentative de mesure a, selon son étude, miné la plupart des secteurs sociaux (sport, éducation, industrie, économie, politique, santé…etc). Les indicateurs partiels sont socialement délétères, la prise en compte systémique même, plus grande, n’est jamais totale. Il arrive ainsi que nos intuitions fonctionnement mieux que certaines pseudo réalités.

7.3 Pour une information vraiment reçue

Pour être entendus et compris, il y a une clé essentielle : Pour qu’il nous entende, l’interlocuteur doit d’abord exister. Pour exister, il doit se sentir reconnu.

La reconnaissance est avant tout ontique. Elle émane naturellement quand on se sent touché par la présence de l’autre. Ne la confondons pas avec les flatteries égotiques agaçantes : dans le meilleur des cas, ces dernières engendrent l’estime produisant une valeur chosifiante. Au contraire, la reconnaissance donne existence, elle produit une atmosphère vivifiante.

Pour que l’information soit vraiment reçue, outre que l’interlocuteur doive exister, il s’agit aussi de ne plus idolâtrer l’objet information. De ne plus en faire une sorte de « doudou transitionnel » auquel on s’attache de façon quasi puérile, exerçant sur elle un pouvoir qui nous donne une illusion de pouvoir sur autrui.

Au-delà de ce préalable, les validations, les formulations, les habiletés verbales, le choix des questions justes, tout cela est secondaire… seulement complémentaire et non fondateur. Naturellement une expertise dans ces diverses domaines est utile, voire essentielle, tant que l’on comprend qu’elle est au service de l’état communicant qui doit toujours la précéder.

Notre « monde de l’information » saura-t-il accomplir sa mutation en « monde de la communication » ? Même si de nombreuses turbulences semblent dire le contraire, notre époque voit plus que jamais des consciences en déploiement… pleines de promesses pour notre avenir. Déploiement exponentiel qui a probablement commencé depuis le début de l’humanité, en passant par l’antiquité, puis par de multiples penseurs qui nous ont offert leurs regards sur la vie. Lao Tseu, Démocrite, Épictète, Sénèque, puis Érasme, Descartes, Spinoza, … puis les contemporains Maslow, Rogers, Abric, Mucchelli, Rosenberg… Sans les comparer les uns aux autres, c’est en amitié que nous pouvons leur témoigner notre gratitude (ainsi qu’à bien d’autres) pour cet accomplissement dont nous bénéficions, même si le déroulement du chemin est quelque peu chaotique.

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8   Pour conclure, 4 types déchanges

Pour terminer cette publication, je vous propose un synoptique des différents modes d’échanges. Au-delà des multiples détails à développer quand nous traitons un tel thème, nous pouvons choisir de distinguer quatre modes où l’information transite entre deux Êtres.

8.1 Mode relationnel

Ici l’information est priorisée et l’Être négligé. Il n’y a pas de réelle rencontre. Il peut s’agir d’un jeu social amusant tant que les échanges n’ont pas d’importance. Quand ce qui est échangé est important il en va tout autrement. C’est la situation du lien, de l’affect, des distorsions et des malentendus, des pouvoirs et des assujettissements. Nous y trouvons les fantasmes, les projections, les illusions, les idéalisations, les idolâtries, les confusions, les pouvoirs, les émotions… tout ce que l’on dénonce comme « non productif ».

Tel une fausse humanité (quand il est positif), ou une aliénation (quand il est négatif), dans tous les cas le lien attache, génère des réactions, nous laisse aveugles à l’autre autant qu’à soi-même. Le lien a néanmoins sa lettre de noblesse : d’une façon paradoxale, il permet de ne pas perdre ce qu’on ne sait pas encore rencontrer. Qu’il s’agisse d’autrui ou de soi-même il nous attache par l’affect (négatif ou positif), parfois de façon quasi obsessionnelle, afin de revisiter sans cesse ce à quoi nous n’avons pas encore su nous ouvrir (et surtout « ceux » avec qui nous ne savons pas encore être communicants).

Les émotions que suscite l’état relationnel invitent à une écoute de Soi, conduisant, si on le veut bien, à reconnecter au plus profond de Soi ce qui a été clivé, séparé, déconnecté suite à quelques traumas. Puis nous permet de vraiment nous ouvrir aux autres.

Le lien n’est aucunement mauvais en Soi, il permet de trouver un chemin vers l’autre, et même vers Soi, si l’on en fait bon usage, si on ne le prend pas comme finalité, si en arrière plan une conscience des Êtres est bien présente. Par contre, comme finalité idéalisée il peut devenir nuisance.

Dans les meilleures situations, nous avons ici « recevoir » (disposer d’une information) et « comprendre » (accéder au sens de celle-ci). Mais l’accueil, la gratitude, les validations cognitives et la validation existentielle restent absentes du relationnel.

8.2 Mode communicationnel

Ici, l’information transite avec un minimum de déformation. L’accueil, la gratitude, et les validations cognitives et  existentielles y sont bien présentes. Cependant, les validations cognitives n’y concernent que la pensée et le senti actuels (ex : « si tu aimes cet acteur, je comprends que ce film te plaise »).  Nous trouvons là une humanité authentique. Libre de l’affect, riche de sensibilité et de reconnaissance, les deux interlocuteurs existent et peuvent échanger sans risque les pensées et les ressentis qui les habitent.

Les déformations sont minimes et toujours recentrées. Les deux interlocuteurs opèrent en synergies et s’épaulent l’un l’autre dans cette justesse du propos.

Cette situation accomplit une rencontre à propos des ressentis présents éprouvés et des pensées actuelles pensées. Quand d’autres époques de la vie sont évoquées nous basculons alors dans l’accompagnement psychologique (mal nommé « relation d’aide ».

8.3 Mode accompagnement psychologique

Les validations des pensées et ressentis contemporains sont le fait de l’état communicant. Les validations des pensées et ressentis « antérieurs » sont le fait de l’accompagnement psychologique. Les validations cognitives y sont plus profondes que dans la communication, car nous trouvons souvent des fondements bien loin de notre présent. L’interlocuteur disant qu’il n’aime pas cet acteur qui lui fait penser à son grand-père acariâtre présent quand il était enfant, l’écoutant donnera d’abord une reformulation « C’était dur pour l’enfant que vous étiez avec ce grand-père !? ». Cela peut s’arrêter là, mais aussi se poursuivre avec une validation cognitive qui pourrait être « Si cet acteur vous fait penser à ce grand-père, avec qui c’était dur pour l’enfant que vous étiez, je comprends que le film ne vous plaise pas ». L’enfant qu’il était avec son grand-père étant évoqué, le rapport avec celui-ci est cognitivement validé.

L’Être antérieure qu’était l’enfant surgit ainsi dans le présent où il se trouve bénéficier de « reconnaissance », au même titre que l’interlocuter actuel… plus encore : le « grand-père acariâtre » n’est pas exclu de la reconnaissance. Il est considéré comme « exprimant quelque chose d’important » à travers son caractère difficile. Cette validation existentielle, sans jugement, donne potentiellement place à chaque individu surgissant dans l’échange (pas de « chasse aux sorcières »). Ces validations positionnent chacun d’entre eux et donnent à « l’écouté » une sensation de sécurité et de plénitude. Mais les failles demeurent en lui s’il n’accomplit pas (spontanément ou en thérapie) les reconnexions de ses clivages intimes correspondants.

8.4 Mode thérapie

Nous venons de voir que dans le mode « accompagnement psychologique » l’attention de l’écoutant va vers le sujet présent et celui qu’il était antérieurement, dont il valide le ressenti éprouvé. Dans le « mode thérapie », le sujet écoutant accompagne aussi la rencontre du sujet présent avec celui qu’il était. Il facilite ainsi une restauration du contact au sein de la psyché, là où jadis il a eu clivage. C’est là le moment thérapeutique proprement dit.

Le praticien ne le provoque pas, il se contente d’accompagner le contact qui cherchait à se faire à travers le symptôme initialement manifesté. Si dans l’exemple ci-dessus une telle continuation se trouve être pertinente, l’écoutant pourrait poursuivre par « Vous voyez l’enfant que vous étiez, face à ce grand-père acariâtre ? ». S’il répond oui « Vous pouvez mettre votre attention sur lui ? ». S’il montre que oui « Qu’éprouve-t-il ? ». S’il perçoit la nature et la mesure du ressenti de cet enfant, le praticien lui demande « Dites lui "j’entends vraiment ce que tu as éprouvé !" ». Puis s’il le fait, « Comment est-il maintenant ? – Comment vous sentez-vous ? ».* Puis éventuellement si la situation le justifie « Si vous repensez à l’acteur du film, que se passe-t-il maintenant ? » (nouvel état du point de départ comme indicateur du résultat de ce qui vient d’être effectué).

*Il y a aussi l’éventualité de constituer ensuite un équipe  « Soi actuel avec Soi enfant » pour se tourner vers le « grand père acariâtre ». Cela « rend plus confiant » pour lui demander ce qu’il tente d’exprimer avec un tel caractère. La validation du grand-père peut s’avérer nécessaire (voire incontournable) dans un cheminement thérapeutique (il se peut même que ce soit « lui » qui « appelle » à travers le symptôme). Cette approche n’a rien à voir avec la notion de « pardon », mais plutôt avec celle de « rencontre » et de « reconnaissance » de l’auteur, sans aucun déni envers celui qui en a souffert.

Deux points importants sont à remarquer :

1/Celui qu’il était est nommé à la troisième personne (« Vous voyez l’enfant que vous étiez ? »). Cela permet au sujet d’en être distinct afin de mieux en faire la rencontre, et en plus d’éviter une indésirable reviviscence* qui ne ferait que lui renouveler inutilement l’ancienne douleur.

*Sandor Ferenczi (psychanalyste hongrois 1873-1933) a bien pointé que la reviviscence est plus néfaste que bénéfique. Il chercha, sans vraiment le trouver, un autre moyen de résoudre le problème de clivage de la psyché qui fait suite aux traumas. « A quoi bon réveiller les vécus douloureux si c’est pour leur conférer une nouvelle recrudescence » (in Zajde (2012, p.182,183).

2/Pour faciliter le processus, le praticien demande « Dites-lui "j’entends vraiment ce que tu as éprouvé !" » et non pas  « Dites-lui que vous entendez vraiment ce qu’il a éprouvé !" »  La forme directe est préférable, en ce sens où cela se passe comme si le praticien disait déjà lui-même la phrase à l’enfant (lui offrant déjà cette reconnaissance), traçant ainsi le chemin pour le patient*.

*De plus, même si le patient tarde à le faire, la reconnaissance a ainsi déjà un peu été accomplie par le praticien.

Un troisième point est intéressant à remarquer : à la suite du moment thérapeutique, se trouve un mini diagnostique où est vérifié l’état de chacun : d’abord  « Comment est-il maintenant ? – Comment vous sentez-vous ? », puis éventuellement l’état du symptôme initial « Si vous repensez à l’acteur du film, que se passe-t-il maintenant ? ». Dans notre exemple ce dernier point est dérisoire, mais dans le cas de certains symptômes encombrants ou invalidants, cette ultime vérification peut s’avérer très importante.

8.5 Juste de la communication

Qu’il s’agisse de communication (attention et validation dans l’actuel), d’accompagnement psychologique (attention et validation dans l’antérieur par l’écoutant) ou de thérapie (attention et validation dans l’antérieur par le sujet lui-même), dans les trois cas il ne s’agit que de communication.

L’état simplement relationnel est juste un « lien » avec ce qu’on n’a pas encore su rencontrer. L’état communicant est un « contact, une ouverture d’esprit » (ou de cœur) vers l’« Être interlocuteur »... la fluidité des échanges en est alors considérablement augmentée. L’accompagnement psychologique permet de donner à l’interlocuteur une reconnaissance à « celui qu’était  jadis » (et qui n’en a jamais bénéficié), afin de le rendre potentiellement mieux rencontrable par lui. La thérapie poursuit, elle, vers une telle reconnaissance que le sujet va lui-même accorder, vers une restauration de l’état communicant entre qui il est et celui qu’il était. Il remédie ainsi aux clivages que des traumas avaient suscités par survie.

La communication reste la donnée essentielle pour tous types d’échanges. Elle procède d’un état d’être, d’une disposition d’esprit,  avant toute technique. Elle sollicite l’existentiel avant la mise en œuvre de l’intellect face à l’informationnel. Nous retiendrons que, plus l’information est importante à partager, plus le soin que l’on donnera à l’état communicant est fondamental.

Thierry TOURNEBISE

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Biliographie

 Abric, Claude
-Psychologie de la communication – Armand Collin, 2004

Beauvallet, Maya
-Les stratégies absurdes Comment faire pire en croyant faire mieux - Seuil, 2009

Jourdan, Jean-Pierre
-Deadline,  dernière limite – Pocket Les 3 Orangers 2006

Maslow Abraham
-Être humain - Eyrolles, 2006
-Devenir le meilleur de soi-même – Eyrolles, 2008

Mucchielli, Roger
-L’entretien face à face – ESF, 2004

Pagès, Max
-Orientation non directive – Dunod, 1970

Plotin,
-Les Ennéades*. Traduction française : M.-N. Bouillet - Librairie de L.Hachette et Cie, 1859 table des matières  http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/plotin/table.htm

*œuvre de Plotin comportant 54 « Traités » qui furent  rassemblés par son disciple Porphyre dans un ordre remanié. Il les a compilés en 6 Ennéades de 9 traités (ou « livres ») chacune (d’où le nom « Ennéades » : 9). C’est ce document que M.-N. Bouillet a traduit et publié en 1859. Les 6 Ennéades y sont présentées en 3 tomes. 

Rosenberg, Marshall
-Les mots sont des murs ou bien des fenêtres – Découverte, 2002

Saint-Exupéry, Antoine
-Le Petit Prince  - Éditions Gallimard Folio -1987

Spinoza, Baruch
-
Œuvres complètes « Traité de l’autorité politique » -Gallimard, la pléiade, 1962

Zajde Nathalie- Nathan, Tobie
-Psychothérapie démocratique – Odile jacob 2012

Zeldin, Theodore
-Les plaisirs cachés de la vie – Fayard, 2014  

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Manuels

DSM IV-TR
-Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux- Masson, 2003

Liens internes cités

Assertivité septembre 2001
Reformulation
novembre 2002
Éloge de la différence. août 2008
Validation existentielle  Septembre 2008

Les mots et les intuitions 
février 2010
Non directivité et validation janvier 2012
Mieux comprendre la psychose  octobre 2012
Percevoir le monde  d’août 2013
Reconnaissance
 octobre 2014
 

dico/glossaire septembre 2012

Compléments à lire si besoin :
Le ça, le moi, le surmoi et le Soi novembre 2005
Abraham Maslow d’octobre 2008 
Psychologie positive  avril 2012

Estime de Soi – ou l’inestimable de Soi
d’avril 2014

Liens externes cités

Comptez le nombre de passes
Étude d’une imagerie médicale
Le tour et le changement  

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