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Le verbe et la posture
Communication... subtilités

Mai 2013    -    © copyright Thierry TOURNEBISE

 

La communication est un thème qui semble connu, presque devenu banal. Abordée, décortiquée et développée depuis longtemps, celle-ci semble avoir livré ses secrets. Les « spécialistes » en ont-ils fait le tour pour autant ? Des mots, des échanges, une plus ou moins grande efficacité, des émetteurs, des récepteurs, des distorsions, de la clarté, de la transmission, de l’affirmation, parfois un art de convaincre (ou même de manipuler)… Ou alors de la non-directivité, de l’écoute active, des reformulations, de l’empathie (et même une certaine humanité)… Nombreux sont les éléments, étudiés ou intuitifs, qui nous donnent quelques clés.

L’École de Palo Alto (de Gregory Bateson 1904-1980), sorte de référence en la matière, nous propose beaucoup de choses pertinentes. Avec Paul Watzlawick (1921- 2007) nous y entendons dire qu’« on ne peut pas ne pas communiquer ». Cette idée est tellement instaurée en paradigme, en fondement, que cela est devenu une sorte d’évidence ou même d’axiome ou de postulat (par exemple en PNL). Pourtant, rien n’est moins certain !

Nous allons consacrer cet article à une étude minutieuse de ce que peut être la communication, tout en respectant ce qui est dit ou cru actuellement, mais en accédant à un plus grand degré de précision (tout au moins sur certains aspects fondamentaux), sans rester prisonnier des paradigmes restrictifs. Nous y serons précis, innovants, concrets, subtils, aboutis… tout en laissant la recherche ouverte.

Le lecteur qui souhaite une information simplifiée sur la communication est invité à lire plutôt les publications « Assertivité » (septembre 2001) et « Reformulation » (novembre 2002). Celui qui souhaite de plus amples précisions en trouvera dans le texte ci-dessous, ainsi que dans « Non directivité et validations » (janvier 2012), ou dans l’ouvrage « L’art d’être communicant » (Dangles, 2008)

 

Sommaire

1 Point aveugle en communication
- Ce que l’on croit savoir – Ce qu’on ignore profondément – Espoir – Le point aveugle de la communication

2 Quelqu’un et quelque chose
- Réalités subjectives, croyances objectives – Trois éléments en présence

3 Les besoins comme source
- Besoins physiologiques – Besoins psychosociaux – Les besoins ontiques comme socle

4 Lien ou canal ; centrage ou ouverture
- Touché ou affecté – Lien : relationnel, attaché affecté –Ouverture : communicant, libre touché – Dispersion, centrage et ouverture

5 Flux
- Présence ou absence de communication – Trajets des flux d’informations – Les flux d’informations verbales – Les flux

d’informations non verbales –Les flux existentiels – Le non dit, sans flux ni manifestation – Trouver l’essentiel

6 Valeurs et reconnaissance
- Validations – reconnaissance

7 Le langage
- Le sens – Mots associés à l’objectal – Mots associés à l’existentiel – Histoire et justesse des mots – Développer le sens du sens – Candeur et assurance

8 Être communicant
- Être relationnel – Être communicant – Se faire comprendre – Soin et curiosité 

9 Un chemin vers la simplicité
- Technicité et connaissances – Spontanéité et bon  sens

Bibliographie

 

1   Point aveugle en communication

L’information et la communication ne sont pas de même nature. Une évidence qui reste  étonnamment négligée, sinon totalement ignorée. Les théories se développant autour de cette cécité conceptuelle s’en trouvent alors obscurcies.

1.1Ce que l’on croit savoir

On croit savoir que la communication est une affaire d’informations. En effet, les services de communication d’une administration, d’une entreprise ou d’un gouvernement (ministère) ne s’occupent pas de l’ouverture d’esprit des êtres, mais de l’efficacité de l’information. La communication se résume le plus souvent à des outils véhiculant des données, et notre époque est extrêmement riche sur ce point, depuis le simple affichage (signalétique) jusqu’à l’outillage informatique le plus sophistiqué. La technologie permet  de s’affranchir du temps et de l’espace et de transporter des masses impressionnantes de données de toutes sortes d’un point à un autre de la planète. Mais où sont les êtres humains ? Au mieux, quand la communication évoque tout de même les êtres, c’est surtout pour savoir comment les informer malgré eux, comment les convaincre, comment les atteindre dans le but d’une adhésion, c'est-à-dire implicitement sans se l’avouer… de discrètement (parfois même inconsciemment) les manipuler.

Dans des versions plus subtiles, plus humanistes, nous trouverons par exemple en communication  la « non-directivité », l’« empathie » et la « reformulation ». Mais la notion de non-directivité est ambivalente puisqu’il est impossible de n’indiquer aucune trajectoire de pensée quand on s’exprime (même Carl Rogers [1902-1987] a abandonné ce terme au profit de « ACP » ou « approche centrée sur la personne »). Quant à la notion d’empathie, elle peine à être claire (bien qu’abondamment prise en référence). Depuis le sens erroné qui consiste à croire que « il faut se mettre à la place de l’autre », jusqu’à la subtilité qui consiste à « prendre en compte les références de l’autre pour se mettre à sa place tout en restant soi-même »… avec néanmoins l’intuition qu’il s’agit là d’une posture d’humanité nécessaire… mais, la précision attendue n’est pas au rendez-vous. Quant à la reformulation, elle se résume trop souvent à un outil de vérification de la compréhension (s’assurer du sens avec une priorité à l’information), ou à une incitation à en dire plus (une sorte de marque d’insatisfaction permanente de l’écoutant, prétendant ainsi encourager celui qui s’exprime à en dire plus).

1.2Ce que l’on ignore profondément

Quand Paul Watzlawick nous propose « On ne peut pas ne pas communiquer », son assertion n’est vraie que si l’on assimile la communication à l’information. En effet, il ne peut pas ne pas y avoir d’information, car même quand on ne se dit rien, il y a un non-verbal faisant passer un message implicite (souvent aussi inconscient chez l’émetteur que chez le récepteur). Mais cette assertion devient fausse quand nous cessons de confondre les mots « communication » et « information », quand nous dépassons ce point aveugle (aveugle par manque d’acuité sémantique) qui altère notre compréhension de ce sujet.

Ce qu’on ignore, tout en croyant ne pas l’ignorer, c’est que quand on parle de communication, nous ne devons pas prioriser les informations, mais les êtres humains plus ou moins ouverts les uns par rapport aux autres. Naturellement, les approches humanistes telles que celle de Carl Rogers (approche centrée sur la personne ; ACP) ou de Marshal Roserberg ([né en 1934] communication non violente ; CNV) se rapprochent beaucoup de cette prise en compte de l’humain. A n’en pas douter ces professionnels et auteurs étaient dans une belle dimension, dans un positionnement subtil. Mais la trace qu’ils nous en ont laissé n’est pas suffisamment explicite, et laisse les « intellectuels intellectualisants » s’emparer de choses qui les dépassent. Même si ces praticiens (Rogers, Rosenberg) en avaient une expérience tangible et profonde, les mots qu’ils posèrent dessus n’en assurèrent pas suffisamment la transmission et, comme le disait Arthur Schopenhauer vers la fin de sa vie « Je crains moins les vers qui vont ronger mon corps que les universitaires qui vont disséquer ma pensée ».

Galvaudé à souhait, le mot « communication » a perdu la profondeur de son sens, pour ne plus signifier que « circulation d’information » avec plus ou moins d’habileté. Ce que l’on ignore c’est que « être communicant » signifie simplement « être ouvert ». Or comment l’information peut-elle circuler sans ouverture d’esprit, sans ouverture des êtres, sans ouverture des consciences ? Peu importe (ou presque) que l’information aille si vite d’un point à un autre du temps ou de l’espace si les esprits restent fermés quand celle-ci arrive à (presque) destination. Après avoir géré les problèmes spatiotemporels de la circulation des données, il nous reste à nous préoccuper de ceux de l’ouverture de la conscience. Ouverture autant chez l’émetteur que chez le récepteur, car ce qui part d’un émetteur dont la conscience ne s’est pas ouverte ne part pas vraiment, ne reflète pas grand-chose, n’est pas vraiment intelligible… et rien ne va alors nulle part, quelque soit la technologie de transmission.

1.3Espoir

Un début de rétablissement s’est produit avec la notion d’assertivité. L’assertivité c’est « l’affirmation de soi, avec en même temps le respect d’autrui ». On s’affirme alors sans altérer l’autre, et on respecte l’autre sans s’altérer soi. Attitude estimée optimale, par rapport à d’autres, moins nobles quand on n’y parvient pas, qui sont : la manipulation, le conflit, puis en cas d’ultime échec la fuite.

Nous devons l’initiative de cette notion à Andrew Salter (psychologue comportementaliste New-yorkais ; 1914-1996) et à Joseph Wolpe (psychiatre et professeur de médecine américain comportementaliste, ayant enseigné à Los Angeles ; 1915–1997).

Contre toute attente, cette notion nous permettant d’avancer en subtilité, nous vient de professionnels à tendance comportementaliste et non de la mouvance humaniste du monde psy. Ceci accroit notre humilité et nous porte à mettre de côté nos a priori, afin qu’aucune ornière conceptuelle n’aveugle nos recherches.

1.4Le point aveugle

Le point aveugle de la communication risque de nous faire longtemps tourner en en rond (cercle plus vicieux que vertueux) malgré l’étendue des connaissances. C’est le manque d’acuité qui empêche de distinguer assez clairement entre les êtres et les objets. Pourtant quasiment tout être humain sait intuitivement qu’un être est plus important qu’une chose, et cette dimension humaniste empirique n’a rien de nouveau. Mais au niveau de la communication, elle ne transparaît que difficilement.

 Dans la « psychotéchnicité » des penseurs ou des chercheurs, ces nuances peinent à voir le jour, même s’il en existe de belles intuitions chez des professionnels qui expérimentèrent cela. Certains tentèrent même de l’enseigner (Rogers, Rosenberg, Maslow, Gordon…). Pourtant cela ne se trouve explicité clairement nulle part suffisamment (du moins à ma connaissance), alors que cela constitue le cœur de la problématique.

En matière de communication, le point aveugle se trouve dans le fondement, dans la source profonde du fait que l’on soit ou non communicant. Tout commence par une histoire de sujet (quelqu’un) et d’objet (quelque chose)… voilà tout simplement ce qui n’est pas vu.

2   Quelqu’un et quelque chose

2.1Réalités subjectives, croyances objectives.

Voici un paradoxe très important. On ne peut parler de communication ou de psychologie sans parler de réalités subjectives (ce qui est éprouvé ou ressenti compte plus que ce qui est objectivable). On ne peut parler non plus de science sans parler de réalités objectives (pourtant sans cesse remises en cause par les scientifiques eux-mêmes, toujours en quête -et c’est tout à leur honneur- d’une justesse et d’une précision plus grande).

Or, dans le domaine de la communication et de la psychologie, la réalité subjective compte plus que la réalité objective. La phénoménologie s’occupe en principe de cet aspect, en prenant en compte le vécu éprouvé tel qu’il est éprouvé. Mais le « démon envahissant » de l’objectivation  conduit néanmoins à des croyances concernant l’être humain… qui égarent parfois nos concepts fondateurs.

L’objectivation est un outil majeur des scientifiques. Un objet est étudié par un sujet. Le sujet (quelqu’un) est ainsi distinct de l’objet (quelque chose) et peut l’étudier « objectivement » et en déduire des lois. Ce qui est objectivable définit généralement ainsi le monde dit « réel » et, dans une certaine mesure, « prévisible ».

Au contraire, ce qui est subjectif définit plutôt les impressions perçues par les êtres, perceptions imprévisibles… et même parfois les rêves. Le subjectif est plus aléatoire, plus relatif à un point de vue, à des états émotionnels. Ce manque de fiabilité de ce qui est subjectif conduit alors à privilégier ce qui est objectivable dans les champs d’expérimentation.

Considérer alors une forme de « réalité subjective » comme fondement de la psychologie devient un enjeu délicat, mais que nous sentons intuitivement incontournable (les êtres ne sont pas des objets et ce qui est objectif à trait aux objets, alors que ce qui est subjectif à trait aux sujets)

La notion de « sujet » est peu abordée en psychologie ou en psychanalyse, en ce sens que les mots « moi », « ego », « self », « soi », « je », « sujet », quoique utilisés dans un but de précisions accrues, restent souvent flous, parfois mélangés, ou avec des sens si spécifiques (parfois des contresens) qu’il est délicat d’en cerner la nuance précise.

De son côté, avec beaucoup de confrères contemporains ou ultérieurs, Sigmund Freud nous parle surtout d’« objet » (cible de la libido et du moi), où l’autre est assimilé à un objet (de profit), allant jusqu’à parler « d’amour objectal ». Le discours n’est pas simple quand on en vient à parler d’amour d’objet… au point que certains praticiens et théoriciens vont, à juste titre, corriger cela en affinant que l’« objet », c’est l’image qu’on se fait de l’autre et non l’autre lui-même. 

Pour arriver à la notion de sujet, nous devons aller vers Jacques Lacan. La définition qu’il en donne est plus que touffue, mais pour lui le sujet se forme avec le symbolique, puis se perd dans le langage (la langue maternelle qui nous précède, mais aussi les paroles de l’autre à notre égard : une forme de « miroir sémantique »). Le sujet, selon lui, est également constitué par cette structure de répétition (une sorte de lignée en soi de tous ceux qui ont éprouvé un ressenti analogue). Puis nous arrivons à André Green (psychiatre psychanalyste français, 1927-2012), qui évoque la notion de « lignée subjectale » (s’appuyant sur les conflits et les pulsions) ou de « lignée objectale » (en rapport avec le développement). Il propose une idée intéressante de « sacrifice subjectal » dans lequel le sujet disparaît en cas de trauma (il perd une part de soi).

Mais le sujet, en tant qu’être à proprement parler, ne semble pas abordé. Les idées de « construction », de « structure », semblent indiquer que l’on évoque surtout diverses versions du moi, c'est-à-dire de stratégies et de paraître. Seul Carl Gustav Jung, parlant du Soi, semble se rapprocher de cette notion d’être. Martin Heidegger (1889-1876) de son côté, évoque dans « Être et temps » (1986) un « Dasein » (être au monde actuel) distinct d’un « étant » (manière d’être au monde acquise, posture) et d’un « Être » (ce qui existe en complétude, de façon atemporelle sur l’étendue du passé et du futur) semble s’en rapprocher aussi : Le « Dasein » par son « étant » tendant vers l’« Être » accompli.

Nous pouvons constater que ce thème est ardu et nous nous contenterons de désigner sous le vocable « sujet », un « être », un « quelqu’un », un « individu », une « entité existentielle », qui est source ou réception, et qui a la possibilité d’ouvrir ou de fermer sa conscience (volontairement ou involontairement). Cela donnera la dimension subjectale.

Voir la définition de « sujet » dans le dico glossaire de ce site

2.2Trois éléments en présence

Quand nous parlons de communication, nous devons alors considérer trois éléments : un être émetteur (sujet 1), une information transmise (objet), un être récepteur (sujet 2).

Cette circulation de l’information, au-delà des trajets complexes que celle-ci peut emprunter sémantiquement ou technologiquement, peut se résumer à ces trois éléments. Ainsi nous pouvons considérer que la problématique d’efficacité de cette transmission vient surtout, soit des objets (informations), soit des sujets (émetteur et récepteur), et accessoirement du trajet ou des outils de transport. Même si ces derniers ne sont pas négligeables, ils ne sont pas censés tenir la première place dans notre réflexion sur la communication.

Il est évident que certaines informations sont plus justes, plus précises que d’autres, et que cela doit nous conduire à une vigilance sémantique suffisante. Si je dis « Cette personne a volé », doit-on entendre qu’elle a pris l’avion ? ou bien qu’elle a dérobé quelque chose ? Naturellement, nous le verrons au chapitre 3, il y a un contexte qui permet parfois de déduire le sens, et même un non-verbal qui vient appuyer celui-ci.

Ce qui est encore plus évident, c’est que l’enjeu fondamental se situe au niveau des êtres qui seront « ouverts » ou « fermés ». S’ils sont ouverts, ils se débrouilleront toujours à réaliser les corrections de sens nécessaires à la clarté du message. S’ils sont fermés le moindre écart deviendra un problème insurmontable de codage/décodage, source de discussions stériles et stérilisantes.

Nous constatons que pour que l’information soit émise ou reçue, le préalable incontournable est que les êtres existent. Simple évidence, trop souvent oubliée, qui nous ramène à la notion d’assertivité évoquée plus haut, c'est-à-dire de reconnaissance de soi et d’autrui. Or, pour qu’un être existe il a besoin de se sentir reconnu (et non admiré*). Donc, nous devons préciser en quoi consiste cette reconnaissance. Pour comprendre ce qu’est la reconnaissance, il est utile de faire auparavant un détour par la notion de besoins.

*La reconnaissance développe le Soi (individuation), l’admiration développe le moi (paraître).

3   Les besoins comme sources

Ces notions de besoins furent particulièrement bien observées et décrites par le psychologue Abraham Maslow (1908-1970). Je vous invite cependant à prendre de la distance avec la fameuse « pyramide des besoins » qu’on lui attribue. En fait il n’a jamais parlé de pyramide, mais de « hiérarchie des besoins »… et même ce que l’on place maladroitement en dernier, au sommet, il le place plutôt en fondement ! Alors visitons ces différents niveaux de besoins qui nous conduiront à plus d’existence, et permettront d’optimiser la communication. Nous pouvons dénombrer trois catégories de besoins : physiologiques (relatifs au corps), psychosociaux (relatifs à l’ego -au moi- et à la vie sociale) et ontiques (relatifs à l’être, au Soi).

3.1Besoins physiologiques

Dans les besoins physiologiques, nous trouvons la source pulsionnelle des besoins nécessaire à la survie de notre corps. On ne peut vivre sans manger, sans boire, sans dormir… et encore moins sans respirer. Une satisfaction suffisante sur ces points doit être réalisée pour qu’un être puisse être au monde. Quand bien même la nourriture n’est pas satisfaisante, l’eau pas assez pure et l’air trop pollué, du moment qu’il y en a, la vie est possible et le corps s’adapte. Cela entraîne bien sûr des dommages, parfois graves, puisque des études médicales montrent expérimentalement aujourd’hui le lien entre l’hygiène de vie et la santé, au point que l’on y constate son rapport avec de nombreuses maladies.

Nous avons aussi ici des besoins pulsionnels moins directement vitaux (mais essentiels) comme la sexualité. L’énergie de besoin qui l’anime se nomme « libido ». Nuançons cependant que la libido n’est pas que sexuelle. C’est elle qui s’exprime à chaque fois que le besoin personnel prime sur le respect ou la rencontre réelle et profonde de l’autre, bien au-delà des besoins physiologiques. Par exemple  le besoin qu’un parent a de son enfant, le besoin qu’un enfant a de ses parents, le besoin de compagnie, le besoin de réussite, le besoin d’estime (que nous verrons tout à l’heure), font partie du champ libidinal sans être sexuels pour autant. Dans leur version purement pulsionnelle, les psys diront que ces besoins viennent du « ça »*.

*Une patiente du Dr Georg Groddeck (contemporain de Sigmund Freud) lui ayant dit « Docteur ça a été plus fort que moi », celui-ci a conclu « Donc cela vient du ça″ ! ». Terminologie qui fut ensuite adoptée par Freud pour sa deuxième topique (ça, moi, surmoi)

Le « ça » œuvre pour une satisfaction impérieuse, irraisonnée, sans stratégie. Outre que ce manque de stratégie peut conduire à une auto-nuisance (action irréfléchie, pas de gestion des ressources,  mise en difficulté par rapport à autrui), il apporte aussi une nuisance sociale, car autrui est absent de son champ de perception. A ce niveau il n’y a pas d’ego. Le moi (l’ego) est en effet l’outil stratégique qui optimise les élans de profits émanant du ça, diminuant ainsi les risques d’échecs et les mises en danger. Celui-ci va jouer un grand rôle dans les besoins psychosociaux.

Disponible sur ce site, la publication de novembre 2005 « Le ça, le moi, le surmoi et le Soi »

3.2Besoins psychosociaux

Les besoins psychosociaux semblent essentiellement se situer à deux niveaux : le « besoin d’appartenance », puis « le besoin d’estime ». Tous deux sont gérés par le moi et recherchent avant tout un avantage personnel, même au travers d’une apparente générosité. C’est l’univers de la stratégie, celui des actions intéressées, du profit optimisé. Même quand un désintérêt apparent se manifeste, c’est pour mieux en tirer avantage, comme nous allons le voir dans le besoin d’appartenance.

Rappelons-nous que Freud comparait le moi (gérant les besoins libidinaux) à l’hydre qui, avec ses pseudopodes urticants, attrape les proies et chasse les prédateurs (Freud -1985, p.55/56)

Le besoin d’appartenance : il s’agit de faire partie d’une communauté, d’un groupe, de faire en sorte d’avoir une place au sein d’un ensemble de personnes. Un être ne pouvant exister seul dans un univers désert et vide de tout, il a besoin des autres. Pour satisfaire cela, il est prêt à renoncer à qui il est, à adopter une attitude apparemment humble, à faire profil bas, à même tout donner… pourvu qu’il fasse partie du groupe (son profit se trouve là). Il acceptera d’adopter l’attitude que l’on attend de lui. Manquant d’affirmation, il se trouve néanmoins au niveau du moi qui le pousse stratégiquement à être discret. Paradoxalement, tout en étant humble, il revendique presque cette discrétion pour être admis parmi les autres avec un message implicite : « avez-vous vu à quel point je suis comme vous voulez que je sois !? ». Précisons que tout cela s’accomplit de manière inconsciente, hors de nos choix volontaires.

Cette stratégie en vue d’appartenance est attribuable au moi qui fonctionne ici de concert avec le surmoi venant réguler les excès d’égoïsme qui sont des dangers pour la vie sociale (et donc pour le groupe auquel on est sensé appartenir). Cependant, le surmoi interviendra comme un retardateur ou régulateur du besoin d’estime et non comme une source du  besoin d’appartenance. Au niveau suivant, celui du besoin d’estime, le surmoi va diminuer son impact et laisser s’opérer le déploiement du moi. Nous remarquons combien les intrications complexes rendent les énoncés délicats si nous les voulons précis.

Le besoin d’estime : avoir une place au sein du groupe ne suffit plus, il s’agit ici de se faire une « bonne place », d’avoir une position distinguée, si possible « la première place ». Pour cela, la mise en avant devient officielle, systématique, quand bien même cela se réalise au détriment d’autrui. À ce stade, la notion de « moi » (ego) devient évidente. Profit et manipulation sont bien présents et quand une générosité apparente se met en œuvre, ce n’est que pour mieux se situer, être « le plus généreux », « le meilleur en matière de générosité » et en tirer avantage. Nous devons bien préciser ce qu’est l’estime, car ce mot est si mal compris que nous trouvons souvent une proposition d’accroissement de l’estime de soi comme solution à un manque d’affirmation. Or, il faut comprendre que cette estime de soi ne remplace pas l’affirmation de soi, mais ne fait qu’en compenser le manque. En effet, le mot « estime » comporte l’idée de « valeur ». Un expert réalise l’estimation d’un objet pour en donner la valeur marchande. Le besoin d’estime est donc un besoin de valeur, que le moi va tenter d’optimiser face à une communauté. Or seuls les objets ont une valeur. Les êtres sont hors du champ des valeurs et sont par définition inestimables. Attribuer une valeur, une estimation, à un Être, c’est le déchoir de sa position d’Être et le rabaisser au rang d’objet. Contrairement aux apparences, la stratégie de l’ego en vient ici aussi (comme dans le besoin d’appartenance) à accepter de se réduire « pour avoir une place ». Quand bien même c’est la première place, c’est une réduction de Soi « tombant dans le champ des valeurs » où un être se retrouve « objectalisé ». C’est une forme de soumission de l’être au monde des choses pour pouvoir « être le meilleur quelque part ». Comme dans le besoin d’appartenance, nous avons un être qui, paradoxalement, se réduit pour éprouver une « illusion d’être plus ». Tout ceci ne fait qu’indiquer une carence au niveau du besoin existentiel, nommé « besoin ontique ».*

*Ontique : ce qui à trait à l’être. L’ontologie est la science de l’être, l’ontogenèse est la naissance de l’être. Les « besoins ontiques » sont les besoins de l’être, les besoins existentiels, que nous pouvons désigner aussi par le terme « besoin du Soi », que nous différencierons soigneusement des besoins libidinaux issus du ça, gérés par le moi et régulés par le surmoi.

3.3Les besoins ontiques comme socle

Nous touchons là au besoin fondamental en ce sens que si celui-ci est frustré, les besoins physiologiques et psychosociaux resteront insatisfaits quels que soient leur degré de contentement. Jusqu’à une satisfaction suffisante des besoins ontiques, nous trouvons une intrication des satisfactions/frustrations des divers besoins où chaque élément est malaisé à distinguer clairement.

« Si un besoin est satisfait, alors un autre émerge. Cette affirmation peut donner l’impression erronée qu’un besoin doit être satisfait à 100% avant que le besoin suivant émerge. Dans la réalité, la plupart des individus normaux dans notre société sont en même temps partiellement satisfaits dans tous leurs besoins fondamentaux et partiellement insatisfaits dans tous leurs besoins fondamentaux » (Maslow, 2008, p.74).

Nous sommes sans doute déroutés par le fait que les frustrations des besoins les plus « élevés » soient discrètes (satisfactions moins immédiatement impérieuses)

« Plus le besoin est élevé, moins il est indispensable à la survie seule, plus sa satisfaction peut être différée dans le temps » (ibid., p.114).

Nous sommes aussi déroutés par le fait que les frustrations ontiques ne se révèlent qu’implicitement à travers l’insatisfaction permanente de besoins « moins élevés », par un besoin de « toujours plus » insatiable.

« L’état de satisfaction se révèle n’être pas forcément un état de bonheur ou de contentement garanti. C’est un état incertain qui soulève plus de problèmes qu’il n’en résout. Cette découverte implique que, pour beaucoup de gens, l’unique définition d’une vie digne d’intérêt est de ˝manquer de quelque chose d’essentiel et de faire tout pour l’obtenir˝. » (2008, p.26-27).

Néanmoins, cela n’est vrai que pour les besoins physiologiques et psychosociaux apparaissant en situation de frustration ontique. Les besoins ontiques sont, en réalité, plus fondamentaux qu’il n’y paraît :

« Vivre dans la beauté plutôt que dans la laideur est tout aussi nécessaire pour l’homme, d’une certaine manière définissable et empirique, que la nourriture pour un ventre affamé, ou le repos pour un organisme épuisé » (Maslow - 2006, p.66) « Les valeurs ontiques sont ce à quoi beaucoup de gens (la plupart ? tous ?) aspirent profondément (décelable en thérapie approfondie) » (p.159) « J’ai découvert que le besoin d’accomplissement est beaucoup plus fort que je ne l’imaginais »( p257).

En matière de communication, nous noterons que l’usage du verbe dans la « langue ontique » semble un élément essentiel de la qualité et de l’efficacité des échanges

« D’ailleurs d’autres impressions, plus vagues encore, me dictent que la communication facilitée par l’usage de la langue ontique s’accompagne d’une grande intimité avec l’interlocuteur, du sentiment de partager des loyautés communes, d’œuvrer pour un même objectif, d’être en ˝sympathie˝, de ressentir comme un lien de parenté avec lui, d’en être en quelque sorte coresponsable » (ibid., p.273).

Il s’agit à ce sujet de revisiter les paradigmes conduisant notre regard habituel sur l’être humain.

Maslow dénonce courageusement les dérives négatives faisant croire « que les profondeurs de la nature humaine sont dangereuses, maléfiques, prédatrices et voraces ».  (2008, p.202). Remettant en cause ainsi (très implicitement) le « tout libidinal freudien », il va même jusqu’à pointer que « Toute croyance qui incite les hommes à se méfier d’eux-mêmes et des autres sans nécessité et à douter sans fondement des possibilités humaines, doit être considérée partiellement responsable des guerres, des rivalités entre les races et des massacres perpétrés au nom de la religion » (ibid. p.107).

Cela est conforté par les découvertes actuelles en psychologie positive, qui multiplie les recherches et les mesures. Chez 111.676 adultes de 54 pays et 50 états américains les forces de caractère qui sont ressorties comme dominantes sont la gentillesse, la justesse, l’authenticité, la gratitude et l’ouverture d’esprit.

« Ces résultats pourraient révéler quelque chose sur la nature humaine universelle. » (Martin-Krumm ;Tarquinio, p.243).

Voir sur ce site la publication d’avril 2012 « Psychologie positive ».

Nous ne pouvons envisager de parler de la communication sans évoquer les besoins ontiques. Traditionnellement il est dit que nous avons un émetteur, un récepteur, et de l’information qui circule entre les deux. Hélas, la nature ontique reste plus que discrète, voire absente, pour ne faire du thème de la communication qu’une histoire de données se déplaçant d’un pôle de départ vers un pôle d’arrivée. Même en tenant compte du non-verbal, des codages/décodages, des accusés de réception, de non-directivité, d’écoute active… l’accent n’est pas assez (ou pas du tout) mis sur cette dimension ontique des émetteurs et des récepteurs. Les enjeux humains qui conduisent les échanges ne sont abordés, dans le meilleur des cas, que sur le niveau libidinal égotique du moi (énergie de besoin), mais pas dans la dimension ontique du Soi. Les « objets informations » y deviennent quasiment sacrés et, pensant parler de la vie des êtres humains et de la nature de leurs échanges, nous ne voyons qu’une sorte de développement d’un « culte objectal » où l’être reste ignoré, ou même maltraité.

D’ailleurs, la psychologie nous parle de la vie sociale en termes de « liens ». Toutes les instances psy nous affirment qu’il faut créer du lien ! Cela est répété partout avec assiduité. Or le lien est une attache et nous arrivons à une situation paradoxale où notre équilibre existentiel dépend en même temps du lien et de la capacité à librement être soi.

Tentons aussi de clarifier cette ambiguïté du lien et de la liberté.

4   Lien ou canal ; centrage ou ouverture

L’idée de créer du lien est à la fois juste et fausse. Juste car, faute de savoir s’ouvrir aux autres et de les rencontrer, le lien est un moyen de ne pas les manquer, de ne pas se perdre, ou de ne pas les perdre. Fausse car une vraie rencontre ne se fait pas dans l’attachement, mais dans l’ouverture. Qu’il s’agisse du lien mère enfant, (gérant une rencontre en cours), du lien amoureux (qui n’est pas encore l’amour, mais seulement « amour potentiel ») ou de la douleur dans le deuil (fracture en attente de connexion), le lien est une attache nécessaire pour accompagner la maturation qui conduit à l’assurance de la présence de l’autre, à l’existence de l’autre en soi, à la rencontre, à la reconnaissance, à la réjouissance.

Tous les professionnels de la communication ou du soin psychologique savent combien l’affect vient troubler la qualité des rencontres ou des échanges… sans pour autant identifier clairement que le « lien » est source d’affect et que seule l’ouverture est source de la qualité de la communication, de la rencontre, de l’accompagnement.

On peut se demander comment on en est arrivé à un tel discours paradoxal qui en même temps prône la « création de lien » et proscrit « la génération d’affect », alors que l’un engendre l’autre.

L’histoire du lien et de l’ouverture, c’est aussi celle du relationnel (relié) et du communicant (ouvert).

Quand des êtres échangent des informations, celles-ci peuvent n’être qu’un lien qui les attache (mais aussi qui les aveugle) ou bien ne faire qu’emprunter un canal préexistant (disposition d’ouverture). Dans le premier cas les interlocuteurs sont à la merci de l’affect (comme « harponnés »), dans le second, ils sont touchés par l’être qui s’exprime et font une rencontre en liberté réciproque (assertivité).

4.1Touché ou affecté

Le mot « affect » indique qu’il y a impact. Cela est à juste titre évité quand une qualité d’échange est souhaitée. L’affect conduit à des déformations de sens, à des distorsions réciproques ne permettant pas de saisir réellement ce que l’autre souhaite évoquer. Outre la situation d’inconfort qui peut en résulter, les tensions, le stress, la consommation excessive d’énergie, l’épuisement… les informations subissent ici des triturations intellectuelles stériles, des démonstrations de pouvoir, avec ce qui ressemble à une petite guerre où nous trouvons un gagnant et un perdant (il faut savoir convaincre)*. Comme en pareil cas les échanges peuvent être « animés », cela peut donner l’illusion qu’ils sont productifs. Cette agitation ne fait que masquer la stérilité des propos des interlocuteurs. Le feu de l’un éteint la vie de l’autre. Au lieu d’assertivité, nous trouvons alors manipulation, conflit ou fuite. Rappelons une nouvelle fois que, par définition, pour qu’il y ait échange, il convient que les êtres existent, et rien ne peut être concluant quand l’un des deux disparaît.

*Thomas Gordon (docteur en psychologie américain ; 1918-2002) dénonçait cela en proposant une approche « gagnant/gagnant » (dite aussi « sans perdants »).

Le mot « touché » semble désigner une autre possibilité. Si « être affecté » désigne le fait d’avoir subi une altération, un impact, « être touché » peut signifier qu’il y a eu un contact. Même si ce mot comporte aussi sa dose d’ambiguïté (il y a des contacts violents), nous constaterons que nous parlons spontanément de « contacts humains » et que le « toucher psychique » joue un rôle majeur dans la qualité de la vie sociale. Ne disons-nous pas d’une personne délicate qu’« elle a du tact » ? D’autre part, dans une dimension purement matérielle, nous savons qu’en physique, le courant ne passe que s’il y a contact, et qu’un interrupteur qui n’est pas en cette position ne permettra pas d’allumer la lumière ou de mettre en route un moteur. Quand le contact (ouverture du circuit) est refusé ou impossible, nous savons aussi qu’augmenter le voltage permet tout de même de faire passer le courant… en produisant un arc électrique qui s’affranchira de la distance… mais qui risquera de griller le matériel. C’est à peu près ce que fait quelqu’un qui se fâche. Comme son interlocuteur lui a refusé le contact, il monte le « voltage » et force le passage (produisant ainsi un « arc émotionnel »). À défaut d’ouverture, il tente de produire un affect (au risque qu’ensuite tout le monde se sente mal). Une approche évoque particulièrement la délicatesse de cette notion de tact psychique : c’ est l’haptonomie. Frans Veldman (1921- 2010), son fondateur, met beaucoup de soin autour de cette notion (même si on peut se désoler qu’il utilise le mot « affectivité » pour désigner cet élan d’humanité). Il est peut-être un des seuls qui nous propose une telle justesse dans la posture d’ouverture (avec ou sans mots) qui permettra un échange exceptionnel entre des êtres.

Nous pouvons donc distinguer deux modes d’échanges :

-L’un où l’information prime sur les êtres, où l’affect domine, où le lien maintient une attache entre ceux qui ne savent pas se voir et se rencontrer. L’information, quoique élément premier, s’y trouve déformée, détournée, aveuglante, non perçue dans sa réalité.

-L’autre où l’être prime sur l’information, où la notion de canal se manifeste, où l’ouverture rend disponible aux modifications de sens, aux subtilités réciproquement ajustables à chaque instant de l’échange. L’information y est échangée avec précision et justesse.

Nous avons ainsi le relationnel (lien) et le communicant (ouverture).

4.2Lien : Relationnel, attaché, affecté

Quand l’information compte plus que les interlocuteurs, qu’elle constitue la forme (et non le fond), qu’elle accapare l’intérêt des protagonistes, ceux-ci ne se voient pas et se lancent leurs paroles un peu comme des projectiles censés atteindre l’autre pour le séduire ou pour le casser. Dans cette situation de lien, il n’y a pas de partenariat, mais une sorte de rivalité, avec des enjeux plus ou moins conscients de proies ou de prédateurs (ces termes sont un peu forts, mais métaphoriquement justes). Nous trouvons ici des postures différentes de l’« assertivité » qui ne sont plus alors que « manipulation », « conflit » ou « fuite/camouflage ». Les interlocuteurs jouent un jeu par intellects interposés, sans prendre la mesure qu’il y a un autre (un être) avec ses justesses, ses pertinences, ses fondements.

Les différences de points de vue ne peuvent pas être une richesse dans le mode relationnel, car ici elles n’y sont pas partageables. Le mode conquérant et convaincant, prime. La différence de l’autre ici se perd dans des tentatives de nivellement, afin d’arriver à une forme de pensée commune rassurante mais stérile imposée par le plus fort ou par le plus habile. Ce dernier impose sa vue… le plus faible ou le moins adroit se soumet, les reliefs s’estompent. Cependant, il n’y a pas que les richesses de points de vue et les idées qui disparaissent. Les êtres percutés aussi s’effacent, renoncent à dire et même à penser. Ils finissent par se croire incompétents, indignes de se manifester… parfois même stupides… Croyance qui les poursuit parfois toute une vie durant.

L’Éducation Nationale a déjà envisagé l’éventualité d’introduire la philosophie en école primaire. Il ne s’agissait pas ici d’enseigner l’histoire de la philosophie, mais de faire découvrir aux enfants que leur propre parole a une valeur. C’est du moins ce que nous en disait un professeur de philosophie interviewé dans le cadre de ce projet à une émission de radio en décembre 2010. Si cela se réalise (car nous sommes en 2013 et le miracle n’a pas eu lieu), voilà une belle tentative de rendre aux êtres leur dignité et leur possibilité d’expression… et peut-être de mettre au monde la communication dans une nouvelle ère. En effet, nous ne sommes pas encore à l’ère de la communication (celle des êtres ouverts les uns aux autres), mais seulement à celle de l’information, avec une sorte de culte de l’objet (sémantique, visuel ou sonore) à transmettre par les diverses voies que nous offre la technologie.

4.3Ouverture : Communicant, libre, touché

Quand les interlocuteurs comptent plus que l’information, quand les êtres deviennent la forme (la figure, l’essentiel, le premier plan) mobilisant l’attention, et que l’information n’est plus qu’un fond (un second plan)… paradoxalement, l’information est alors  mieux utilisée, moins déformée, plus ajustée, mieux comprise, plus à même de remplir son rôle dans l’échange des pensées, des ressentis, des idées. Nous sommes alors dans une posture d’ouverture (et non plus de lien). Le « cordage » ou la « chaîne » font place au « canal ». Nous touchons ainsi le domaine de l’assertivité où l’affirmation de soi coexiste avec le respect d’autrui. Nous n’avons plus ni « manipulation », ni « conflit », ni « fuite/camouflage ». Les deux pôles de l’échange peuvent exister simultanément et nous disposons d’un réel partenariat pour optimiser les échanges sans perte de sens. Ici la différence prend toute sa dimension de richesse, il n’y a plus de nivellement mais une complémentarité des différents reliefs.

voir sur ce site la publication d’août 2008 « Éloge de la différence »

En verbalisant, les êtres peuvent se construire sans crainte, se sentir assurés dans leur recherche de justesse. Leurs propres mises en mots leur permettent une révélation plus claire de soi (ça permet aussi cela !) et, écoutant l’autre, une meilleure rencontre de celui-ci. Il ne se trouve plus d’enjeux de pouvoirs ou de protections, mais un continuel enrichissement mutuel. La rencontre de l’autre n’est plus crainte, mais attendue comme une opportunité, et l’expression de soi se fait avec liberté et réjouissance. Nous quittons alors l’univers primitif (originel) des proies et des prédateurs, pour rejoindre un espace humanisé où l’évolution* a fait son œuvre et nous a appris la coopération. Nous pouvons même alors prendre soin d’autrui, ne plus profiter du plus fragile, ne plus exploiter le moins adapté… mais simplement le rencontrer. Nous pouvons effectivement rencontrer autrui, non plus dans une joute, mais dans une mutuelle révélation de soi. De cet espace relationnel, grand  consommateur d’énergie, nous passons à un espace communicationnel générateur de vie où les échanges se réalisent sans force, avec bonheur, simplicité, sécurité. La vie s’épanouit, l’énergie n’est plus gaspillée.

*Patrick Tort, spécialiste de Charles Darwin, nous donne des éléments mal connus des recherches de cet homme profondément humaniste, qui voyait la coopération comme nouvelle clé de l’évolution :

« Par le biais des instincts sociaux, la sélection naturelle, sans "saut" ni rupture, a ainsi sélectionné son contraire, soit : un ensemble normé, et en extension, de comportements sociaux anti éliminatoires […]  la sélection naturelle s’est trouvée, dans le cours de sa propre évolution, soumise elle-même à sa propre loi – sa forme nouvellement sélectionnée, qui favorise la protection des faibles, l’emportant parce que avantageuse, sur la forme ancienne  » (Tort, 2009, p.72-73)

 « Durant la phase d’évolution qui se situe entre les ancêtres immédiats de l’Homme et l’Homme moderne, la faiblesse est donc un avantage, car elle conduit à l’union face au danger, à la coopération, à l’entraide et au développement corrélatif de l’intelligence et de l’éducation des jeunes (dont le propre est d’être "sans défense"). » (Tort, 2010, p.66)

Quand nous entendons répété par tant de professionnels du secteur psy ou social qu’« il faut créer du lien », nous aurons soin de corriger cette assertion en « il faut créer de l’ouverture ». Cependant le lien n’a rien de méprisable puisque cette « attache » permet aux êtres encore incapables de se rencontrer de se côtoyer tout de même, mais sans encore se voir vraiment. L’information dans le relationnel est échangée de façon brouillonne, confuse, avec beaucoup d’énergie (et parfois de fâcheux conflits) sans pour autant aboutir à des résultats satisfaisants. Dans le communicationnel, l’information trouve son juste chemin, en même temps que l’ajustement accompagné de son expression. Cela ne consomme alors pas d’énergie, et aboutit à une qualité d’échange aussi grande que possible. Il s’agit en fait d’une sorte de nouveau pas de l’humanité vers un devenir de plus en plus humain.

L’information passant au second plan se trouve mieux transmise, les être plus touchés et moins affectés, plus patients, plus coopérants, plus accompagnants. La vie familiale ou sociale prend tout son sens quand les êtres sont au premier plan. Pour bien comprendre cela, il convient de distinguer cet accomplissement de soi (individuation du Soi vers laquelle nous tendons) d’une simple hypertrophie de l’ego (individualisme du moi) qui ne vient que pallier un manque de soi et produire des échanges encore très pauvres (voire temporairement contreproductifs).

Abraham Maslow, psychologue, considérait que les carences en humanité (en l’humain que l’on a à être) sont la principale cause (étiologie) des psychopathologies. Pour lui, ce développement du Soi était primordial :

 « Cette tendance peut être formulée comme le désir de devenir de plus en plus ce que l’on est, de devenir tout ce qu’on est capable d’être » (Maslow, 2008,  p.66). « J’ai découvert que le besoin d’accomplissement est beaucoup plus fort que je ne l’imaginais » (2006, p257)

Quant à Carl Jung, il précisait parfaitement cette différence entre le Soi et le moi en se désolant que ses confrères ne saisissent pas plus clairement la nuance entre une individuation qui permet aux êtres d’exister puis de se rencontrer entre eux, et un ego autocentré, profiteur et coupé d’autrui :

« Je constate continuellement que le processus d’individuation est confondu avec la prise de conscience du Moi et que par conséquent celui-ci est identifié au Soi, d’où il résulte une désespérante confusion de concepts. Car, dès lors, l’individuation ne serait plus qu’égocentrisme ou auto-érotisme » (Jung, 1973, p457). 

Darwin, Maslow, Jung, voilà des chercheurs (parmi d’autres) qui ont pointé, sans l’annoncer ainsi, certains fondements de ce qui fait la communication, de cet état d’ouverture d’un être à un autre, de cette Humanité, de cette dimension du Soi. Carl Rogers, Frans Veldman, Marshall Rosenberg, Thomas Gordon (et quelques autres) poursuivront cette voie, sans pour autant que les notions soient suffisamment développées dans le monde de la psychologie et de la communication. Pionniers qu’ils furent dans ces domaines, nous leur devons beaucoup, mais nous devons poursuivre cet élan vers plus de clartés et de précisions (humblement, sans prétentions, mais avec détermination).

4.4Dispersion, centrage et ouverture

Nous venons de voir que notre attention est censée se tourner vers le sujet et non vers l’objet, que ceci désigne une sorte « de canal » entre deux êtres par lequel les flux pourront circuler. Nous sommes censés être plus attentionnés envers l’être qu’intéressés par l’information… ce qui nous permet (paradoxalement) d’accéder de façon plus performante à la justesse de l’information. Mais ce « canal d’attention » mérite précision.

Nous entendons souvent dire qu’il convient de se centrer. « Se centrer soi-même » et « se centrer sur l’autre ». D’ailleurs, Carl Rogers lui-même ne parla-t-il pas d’« approche centrée sur la personne » ? En y regardant bien, cette notion de « centrage » est ambiguë. Vous noterez que les deux termes « se centrer » ou « s’ouvrir » n’ont pas le même sens. Certes, nous comprenons dans les deux cas que notre attention se doit d’être concernée par le « quelqu’un »* (interlocuteur) et non par le quelque chose (information).

*Le « quelqu’un » et non pas  la « personne », car persona signifie masque de théâtre. La personne, ou la personnalité, ne sont pas qui l’on est (le soi), mais ce que l’on joue en stratégie sociale, en tant que personnage (le moi)… se sentant face aux autres perçus aussi comme des personnages... Cette « danse sociale des personnages » nous plonge dans l’affect, ne nous permet plus de nous sentir touchés, nous submerge dans les émotions, nous éloigne de la sensibilité.

Mais si nous comprenons bien cette priorisation du « quelqu’un », nous préciserons encore que pour le rencontrer, il convient plus d’ouvrir notre attention que de la centrer :

Il ne s’agit pas d’un « viseur » pour atteindre une cible, mais d’un « cœur » pour rencontrer un être.

Quant à « soi-même se centrer », cela semble définir avec justesse une posture bien calée dans l’ici et maintenant, dans laquelle on n’est pas dispersé. Il est évident que si nous sommes dispersés, nous perdons toute possibilité d’être communicants. Doit-on pour autant en déduire qu’il convient de « se centrer » ? En effet, se centrer c’est se restreindre, étriquer notre point de vue, resserrer notre potentiel. C’est diminuer notre champ de perception, réduire le champ de notre conscience. Peut-être ayant repéré cette faille, les psychanalystes parlent-ils « d’attention flottante » chez le praticien pour pallier cet inconvénient. Mais ce terme d’« attention flottante » est si souvent repris sans discernement ! (comme tant d’autres mots répétés à l’infini sans en réaliser la substance : comme par exemple communication, relation, empathie, reformulation, résilience, non-directivité, ici et maintenant, lien, charisme…). Cette attention ne doit en réalité pas non plus être flottante, mais vaste, et habiter cette vastitude… sans pour autant être dispersée, car chaque parcelle est intimement perçue, de façon plus expérientielle qu’informationnelle.

La mise en mots de cela n’est pas aisée, et nous ne pouvons qu’en frôler la justesse par des métaphores plus ou moins heureuses. Vous avez sans doute remarqué, quand nous examinons une carte routière, que très ouvert (diminution d’échelle) nous voyons l’ensemble… mais perdons le détail ; et que plus centré (augmentation d’échelle) nous voyons le détail… mais perdons l’ensemble. Que nous le voulions ou non, il semble impossible de bénéficier en même temps de la vue d’ensemble et des précisions. Pourtant, ce qui vaut pour une carte routière ne peut être pris tel quel en ce qui concerne les êtres.

À propos de notre attitude face à notre interlocuteur, de notre posture, s’il est évident que de ne pas être dispersé est essentiel, être centré n’est sans doute pas non plus judicieux. Nous ne sommes pas censés « être centrés » mais « être ouverts ». Nous pouvons à la rigueur accepter l’idée que « être centré est un antidote à la dispersion ».

Pourtant ne faut-il pas se « rassembler » (intérieurement) pour mieux percevoir, pour être plus attentif, plus performant ? Effectivement, il convient de ne pas être éparpillé, de ne pas être en fracture intérieure, de ne pas se disperser, de ne pas être dans l’affect, de ne pas laisser n’importe quoi d’étranger capturer notre attention. Mais tout cela n’a rien à voir avec le centrage. Plus je suis ouvert à quelqu’un, moins je serai dispersé ou vulnérable aux perturbations ou distorsions extérieures. Au contraire, plus je serai centré, plus ce qui est hors de mon centrage sera perturbant.

S’ouvrir c’est habiter un espace plus vaste, augmenter le potentiel, être plus. Se centrer, c’est s’étriquer, se restreindre, c’est un peu (ou beaucoup) s’éteindre sur le plan existentiel. S’ouvrir le plus possible, ce n’est pas non plus être au centre et voir à 360° (ce qui semble l’ouverture maximum), mais « être tout autour » et voir sous tous les angles en même temps. C’est (géométriquement) ajouter une dimension pour ne rien manquer, pour accueillir, sécuriser, reconnaître, envelopper sans enfermer, accompagner l’autre dans son déploiement tout en participant à notre propre déploiement. C’est « habiter l’espace » et non « se placer en son centre ».

Un être est trop vaste pour être perçu par un être centré. Peut-être même est-il plus vaste que le monde qui l’entoure. Un être habite un système qui le constitue et qui est infiniment plus étendu que les informations qu’il transmet. Il est tellement étendu qu’il en est « aspatial » et « atemporel », il est « hors des notions d’étendues » (au-delà des étendues sans pour autant parler d’un au-delà mystique).

Les informations qu’il transmet sont reliées à tout ce « système », à toute cette dimension. Ne pas en tenir compte, ne pas y être ouvert, nous conduit à ergoter de façon désuète sur des détails inutiles qui nous éloignent de l’essentiel, qui nous éloignent de l’autre, qui nous éloignent de la compréhension, qui nous laissent hors de cette vastitude, prisonniers de notre étroitesse.

Nous devons donc gérer ce paradoxe qui nous invite à ne pas être dispersés sans pour autant nous centrer… tout simplement nous ouvrir (à l’autre comme à nous-mêmes), en habitant cet espace où se trouve l’autre et soi-même, avec une délicieuse sensation d’opportunité de déploiement. Comme le disait Rogers en évoquant la présence :

« …notre relation se dépasse elle-même et s’intègre dans quelque chose qui la transcende… » (Rogers, 2001, p.168-169).

5   Flux

5.1Présence ou absence de communication

Nous venons de distinguer deux types d’éléments différents dans les échanges : les êtres d’une part, les informations d’autre part. L’état communicant reflète une ouverture des êtres permettant une meilleure circulation des informations. Il se trouve que quand les individus ne sont pas ouverts, les informations circulent quand même, mais en générant  de l’affect et, malgré une grande dépense d’énergie, sont finalement déformées, suscitant souvent tensions ou combats. Cela est si important que l’affirmation prise souvent comme un paradigme (presque un dogme) « On ne peut pas ne pas communiquer »* s’en retrouve fausse si elle n’est pas reprécisée.

* Cette assertion de Paul Watzlawick, fut reprise comme axiome par les praticiens en PNL. Cette idée d’attirer l’attention sur le fait que l’information est toujours présente même quand on ne se dit rien est excellente (car le non-verbal est un minimum incontournable), mais le fait de nommer cela « communication » ne semble pas juste, ou du moins ne pose pas de précisions suffisantes.

Il est plus juste de dire qu’« iI ne peut pas ne pas y avoir d’information » (car même quand on se tait il se dégage un non-verbal très riche), et de préciser que « on ne peut pas ne pas être au moins relationnel, mais on peut très bien ne pas être communicant », en ce sens qu’on peut envoyer et recevoir de l’information sans être ouvert, et même de façon totalement inconsciente (d’où les multiples déformations).

Nous allons donc examiner ces flux d’échanges entre les êtres et mieux comprendre ce qui fait la justesse ou la distorsion dans ces « transferts de pensées » (qui ne peuvent se résumer à des transferts de données), d’un individu à un autre.

5.2Trajets des flux d’informations

Que le canal soit ouvert (état communicant), ou bien qu’il soit fermé et compensé par un lien (état relationnel), dans les deux cas, nous avons un émetteur et un récepteur d’informations. Sur ce point tout le monde est d’accord. Naturellement, les émissions autant que les réceptions peuvent être volontaires ou involontaires (les deux étant plus ou moins mêlées) et toute la problématique des échanges est l’écart qu’il peut y avoir entre ce qui est émis et ce qui est reçu, mais plus encore entre ce qui est pensé chez l’émetteur et ce qui est compris chez le récepteur.

5.2.1    Émission (volontaire et involontaire)

Quand un sujet émet une information, il tente de coder ce qu’il pense pour l’énoncer de la meilleure façon possible dans le langage qui est le sien, mais aussi dans un langage accessible à son interlocuteur. Ce langage procède de la langue utilisée, mais aussi des imprégnations et habitudes culturelles que le sujet a introjectées au cours de son existence. Ce codage procède alors de mécanismes conscients… et aussi de mécanismes inconscients. Ainsi, le rôle de la volonté reste un peu obscur en ce domaine, même pour ce qui semble volontaire et conscient.

Dans les situations relationnelles, le sujet cherche plus à seulement dire qu’à être compris. Il « soulage » tout simplement un irrépressible besoin d’expression et se soucie peu de son interlocuteur. Cela le conduit à souvent couper la parole et à intervenir de façon intempestive et peu opportune. Les éléments inconscients priment alors sur les éléments conscients. Il s’agit d’un relationnel pulsionnel, comme un élan du « ça ».

Dans les cas où il y a une intention, un projet d’être compris, nous trouverons une tentative d’optimiser l’élaboration du message, un choix du moment opportun pour l’énoncer. Mais il peut se faire qu’ici le projet soit d’imposer une vue, de faire primer de façon stratégique sa parole sur celle de l’autre. Nous trouverons là une habileté. Il s’agit d’un relationnel stratégique, construit par le « moi ».

(si nécessaire, voir la publication de novembre 2005 « Le ça, le moi le surmoi et le soi » où les définitions dans le « dico glossaire »)

Quand la politesse et la retenue viennent freiner ces élans égoïstes (qui néanmoins restent là en arrière-plan) nous avons l’effet tempérant du « surmoi ». Dans ces situations plus ou moins élaborées, manipulatrices, ou faussement respectueuses, l’interlocuteur ne vaut que comme cible instrumentalisée ou comme menace à évincer, et n’est pas vraiment considéré. Il ne s’agit que de relationnel, de lien, d’affect plus ou moins discret, d’intérêts plus ou moins conscients, s’énonçant dans un artificiel respect des règles apprises ou culturellement imprégnées (introjectées). Dans ce « faux respect », il s’agit d’un relationnel de convenances, produit par le « surmoi ». Une forme de béquille ou de prothèse pour pallier un handicap au niveau de la vraie communication.

À cette élaboration  de signes, plus ou moins soignée, partiellement dictée par notre éducation, notre culture et nos paradigmes inconscients, s’ajoutent nos émotions et nos sensations que notre corps et l’intonation de notre voix refléteront, venant infléchir le sens de nos propos. C’est le non-verbal, sur lequel nous reviendrons dans quelques lignes.

Dans les situations communicantes, le sujet tient compte de son interlocuteur et son projet d’être compris s’accompagne d’un respect de l’autre. Tout cela se construit au niveau du « Soi ». L’élaboration de l’information émise se fait avec soin, non à des fins de manipulation, mais à des fins de clarté et de partage réel. Néanmoins, le codage se fait en fonction de ce qui est disponible dans la conscience du sujet émetteur, plus ou moins influencé par les données inconscientes et les paradigmes qui servent d’appuis à la construction sémantique (phrases et mots), mais aussi à la gestuelle et à l’intonation de la voix qui viendront appuyer le sens. Si le sujet est communicant, nous aurons une congruence (harmonie entre ce qui est dit, ce qui est pensé, et ce qui est ressenti), rendant le sujet émetteur entendable, crédible, non dangereux, rencontrable… même en cas de désaccords de pensée chez le récepteur.

Il arrive souvent qu’au cours d’un tel échange le sujet émetteur clarifie sa propre pensée en l’énonçant… voire la découvre ! Non seulement il éclaire son interlocuteur, mais s’il est ouvert, il peut ainsi s’éclairer lui-même par ce partage. En effet, énoncer avec soin quelque chose pour autrui le rend plus clair pour soi. Cela nous laisse déjà entrevoir que la communication qui est un état d’ouverture envers autrui peut aussi être considérée sous l’angle d’une ouverture de soi envers soi-même. D’autant plus que pour énoncer quelque chose avec précision et clarté, il convient pour un être d’être très à l’écoute de sa propre pensée, afin d’en rendre compte le mieux possible, tout en étant attentif à l’autre pour ajuster le propos. Ce propos peut parois surprendre l’émetteur lui-même qui se retrouve à dire des précisions inattendues de sa conscience. La magie d’un échange s’opère ainsi en une clarification réciproque, et quasi simultanée, chez l’émetteur et chez le récepteur.

Notons que l’on peut très bien n’être aussi qu’en relation avec soi-même… c’est d’ailleurs ce qui fait la plupart de nos symptômes de psychopathologie qui sont autant de « liens » entre « Soi » et « ce qu’on a rejeté de soi »… comme des invitations à une ouverture de Soi à ces parts de Soi, à une restauration de l’état communicant (ouvert) au sein de sa psyché. (voir la publication d’avril  2004  « Communication thérapeutique »)

5.2.2    Réception (volontaire et involontaire)

Quand un sujet reçoit une information, il tente de la décoder à l’aide des éléments dont il dispose concernant le langage utilisé par son interlocuteur. Ce décodage s’opère avec une réflexion, mais celui-ci est plus ou moins influencé par de multiples facteurs liés à ce que la mémoire à emmagasiné au cours de sa vie. Cette mémoire concerne les acquisitions conscientes, mais aussi toutes sortes de réactions expérientielles que le sujet a pu éprouver en telle ou telle circonstance, ainsi que son imprégnation culturelle le portant à spontanément attribuer un sens ou un autre à ce qui lui est adressé. Nous noterons que l’information sémantique (mots) est accompagnée d’un non-verbal qui est un grand pourvoyeur de sens (la façon de dire peut modifier la signification… jusqu’à inverser le sens, comme par exemple dans l’ironie).

Dans les situations relationnelles, l’information est priorisée, l’émetteur n’est pas perçu, les nuances de sens restent imperceptibles et le décodage se fait du seul point de vue du récepteur. Ce dernier ne tenant pas compte de l’autre fait un décodage au « premier degré », sans aucune subtilité. Son interprétation, selon le degré d’accord ou de désaccord, va provoquer chez lui une réaction (automatique) de profit ou de rejet. L’échange peut alors se transformer en une joute coûteuse en énergie, et stérile en termes de compréhension. Les distorsions de sens s’amplifient au cours de l’échange, les malentendus se succèdent. Quand l’information est jugée irrecevable, une situation conflictuelle ou manipulatrice commence à s’installer. Quand l’information est jugée acceptable, elle est néanmoins seulement interprétée du point de vue du récepteur dont les idées priment sur celles de l’émetteur. Une fascination s’opère… et le sens se perd. L’échange s’en retrouve stérile malgré l’éventuelle abondance du flux (épuisement ou stress des interlocuteurs). Il se déploie une distorsion de sens qui s’amplifie au cours de l’échange (au lieu de se réduire, quelque soit l’effort accompli). Le « moi » engage des stratégies de défense contre ce qui le met en danger, et de profit avec ce qui sert ses intérêts. Cette situation, purement intéressée, rend le récepteur extrêmement vulnérable à l’affect. Attaques, protections, profits, gouvernent l’échange, chacun restant dans son monde et s’adressant des informations, tels des « projectiles » plus ou moins utilisables, plus ou moins dangereux, plus ou moins insignifiants. L’intellect permet parfois à ce stade d’élaborer des stratégies qui, même performantes, ne le sont jamais dans le sens de la compréhension mais seulement dans celui du combat ou du profit, de la manipulation ou du conflit (affiché ou implicite).

Dans les situations communicationnelles, l’être est priorisé. Le récepteur tient compte du point de vue de l’émetteur et ajuste son décodage avec une volonté de compréhension. Même quand l’information suscite en lui un désaccord,  il tente d’accéder à ce qui motive son interlocuteur à penser ainsi. Le « ça » n’impose plus ses pulsions, le « moi » n’opère plus de stratégies, le « Soi » se permet d’exister sans se sentir menacé et autorise à l’autre sa propre existence. Il a l’élan d’accéder au sens des différences de pensée, en les vivant comme des richesses potentielles et non comme des menaces. Les flux d’informations s’écoulent librement, les accès au sens se font aisément, la rencontre des interlocuteurs est effective, l’information ne subit plus de distorsion excessive, l’enrichissement réciproque peut s’accomplir.

5.2.3    Au moins deux types d’informations

Que les interlocuteurs soient communicants (ouverts) ou relationnels (reliés), dans les deux cas, nous avons deux types d’informations : les informations verbales et les informations non-verbales. Ces deux types d’informations accomplissent (généralement ensemble) le trajet d’une conscience à l’autre. Puis, selon l’ouverture de ces consciences*, soit les informations  restent partiellement sur ce seuil (avec distorsions de sens), soit elles poursuivent leur chemin jusqu’à chaque interlocuteur (avec codage/décodage plus précis et plus juste).

*ATTENTION : La conscience n’est pas « ce qui perçoit », mais « ce à travers quoi on perçoit ». Celle-ci est plus ou moins ouverte. Pareillement au champ visuel, nous avons un champ de conscience plus ou moins étroit ou plus ou moins vaste, permettant un accès au sens plus ou moins limité.

Nous devons au professeur américain Albert Merhabian (né en 1939) des éléments précis sur la nature des informations qui circulent entre deux êtres. Ses études nous proposent que celles-ci,  dans un échange, sont composées de 7% de verbal (mots), de 38% de vocal (intonations de la voix), de 55% de visuel (expressions du corps, gestes mimiques, regard). Ce qui nous donne 7% au niveau des mots, et 93% au niveau du non-verbal.

En effet, une même phrase peut signifier une chose ou son contraire selon le non-verbal qui l’accompagne. La communication n’est donc pas seulement une affaire de mots, même si ceux-ci ont de l’importance et méritent du soin. Le sens vient d’une intrication complexe de mots, de vocal, et de visuel.

Dans ces informations, nous trouvons une part associée à la volonté et une part ne dépendant pas de notre volonté. Les mots semblent volontairement choisis, mais même en dehors des lapsus (qui ont fait couler beaucoup d’encre), nous utilisons un vocabulaire plus ou moins imposé par des fondements culturels, des élans émotionnels, des associations dominantes en fonction de nos expériences antérieures. Néanmoins, une expérience suffisante dans l’élaboration du verbe peut rendre celui-ci plus performant, plus précis. Quant au non-verbal, une part de celui-ci peut être décidée par l’émetteur, mais l’essentiel de ce type d’information se construit involontairement et reflète à son insu si celui qui s’exprime est congruent ou non (si son propos est ou non en accord avec sa pensée).

Même un acteur, professionnel semblant maîtriser le non-verbal, doit pour que celui-ci soit optimisé se mettre dans l’état de pensée du personnage qu’il joue. Il ne peut construire ce non verbal de façon totalement artificielle. Le non-verbal est une sorte de trace de la posture intérieure de l’interlocuteur. Le sujet peut modifier sa posture, mais seulement très peu le non-verbal qui va avec celle-ci.

Cependant, nous devrons ajouter à ces deux types de flux (concernant les objets informations), une notion supplémentaire de flux existentiel (celui des sujets en présence, du fait de leur présence). Examinons successivement ces trois flux.

5.3Le flux d’informations verbales

Ce que nous appelons « verbal » concerne les mots, la sémantique. Certes, nous savons qu’une phrase, selon le non-verbal qui l’accompagne peut changer de sens jusqu’à son contraire. Un simple « merci » peut exprimer une extrême gratitude… ou avec un ton méprisant « tu ne perds rien pour attendre ! ». Mais le verbal est lui-même empli de tout un monde. Il véhicule, provoque, élabore aussi des modes de pensée multiples. Le langage verbal est une chose complexe en laquelle de nombreux paramètres sont intriqués. Si le verbal, selon Merhabian, ne représente que 7% de l’information, ces 7% sont d’une importance capitale dans l’accès au sens, dans ce qui est transmis consciemment, mais aussi dans ce qui est transmis inconsciemment.

Les mots choisis sont porteurs en eux-mêmes d’informations qui infléchissent un mode de pensée ou un autre. C’est pourquoi passer d’une langue à une autre n’est pas si simple. C’est d’ailleurs le grand défi des traducteurs. Ce n’est pas pour rien qu’on les appelle aussi avec justesse « interprètes » (comme des musiciens jouant « une partition de la pensée humaine »). Cela ne se résume pas à une maîtrise de vocabulaire et de grammaire, mais s’étend jusqu’à des modes de pensée différents. Le français « comprend » (il co-prend, il prend ensemble), l’anglais « understand » (il se tient en dessous, humilité), l’allemand « verstehen » (il se tient debout, devant, fait face). Ces trois langues énoncent chacune un élément essentiel de l’accès au sens, mais ces trois postures sont différentes. Le russe ne dit pas « j’ai », mais « chez moi il y a »… posture également très différente. Les langues se construisent autour du mode de pensée d’un peuple, et sont emplies de merveilleuses subtilités qui parlent de l’humain avec une dimension très touchante de la psyché.

Suite à un « merci » par exemple, l’habitude culturelle française fait dire « de rien ». L’espagnol qui a choisi de remercier par un « gracias » peut aussi rétorquer un « de nada ». Pourtant dans ces deux langues il existe une autre option. En France, dans la région Midi-Pyrénées, on ne dit pas « de rien », mais « avec plaisir ». Les Espagnols peuvent aussi utiliser « mucho gusto » (beaucoup de saveur) qui en est proche. Nous notons dans ces deux langues que dire « merci » en français (je suis à ta merci, en dette) est différent que de dire « gracias »  en espagnol (je rends grâce). Ces petits exemples sont justes là pour nous faire effleurer que le langage verbal c’est aussi toute une construction culturelle, un mode de pensée, une articulation particulière de nos idées. Toutes différentes et toutes emplies d’une grande richesse concernant l’humain.

Il faut beaucoup d’ouverture d’esprit pour saisir ce qu’un interlocuteur tente de nous transmettre. Les ajustements verbaux se font par tentatives successives, par allers-retours répétés, jusqu’à une précision satisfaisante, tant pour l’émetteur que pour le récepteur. Ces seuls 7% peuvent être correcteurs ou amplificateurs de distordion, et demandent un grand partenariat entre les deux pôles de l’échange.

5.4Le flux d’informations non-verbales

Ce que nous appelons « non-verbal », c’est tout ce qui n’est pas sémantique, tout l’informationnel qui n’est pas « mot », mais qui se trouve tout de même être « expression » (consciente ou non). Si on ne peut pas avoir de verbal sans non-verbal, on peut avoir un non-verbal sans verbal. Le silence est empli de « messages » discrets, mais bien présents. C’est ce qui a conduit Paul Watzlawick à affirmer qu’on ne peut pas ne pas communiquer (réduisant la communication à l’information). Nous préciserons qu’en effet, il ne peut pas ne pas y avoir d’information, mais qu’on peut très bien être ouvert (communicant) ou fermé (restant cependant relationnel, en lien, affecté) quand celle-ci circule.

Le non-verbal peut être volontaire, comme certains gestes venant appuyer le sens du propos. Ce côté volontaire ne l’est plus tellement quand on se surprend à faire des gestes pour appuyer notre expression au téléphone !? Justement, il se trouve que nos gestes ne sont pas qu’à destination de notre interlocuteur, ils viennent aussi aider l’émetteur dans sa propre construction verbale, comme si cela lui permettait de mieux préciser sa propre pensée. Nous trouvons tout cela entre des personnes de bonne volonté tentant de se comprendre avec justesse.

Le non-verbal qui vient dans ces exemples soutenir notre expression peut prendre une toute autre tournure. Il dégage, à notre insu, ce que nous pensons, notre état, notre positionnement vis-à-vis d’une idée, vis-à-vis de notre interlocuteur. Il trahit ce que nous tentons de dissimuler par convenances ou par stratégies, ou ce que nous avons inconsciemment peur de révéler. Il reflète cruellement la présence ou l’absence de congruence, que nous le voulions ou non.

Le non-verbal se gère assez peu volontairement. Il résulte d’une posture, d’une disposition d’esprit plus que d’un choix déterminé chez l’émetteur. Si nous ne pouvons que partiellement (et finalement assez peu) agir sur lui, nous pouvons par contre placer notre volonté dans nos choix de posture vis-à-vis d’autrui, dans ce qui mobilisera notre attention. Cela se résume simplement à la chose suivante : aurons-nous notre attention mobilisée par un être (placé en premier plan par rapport à l’information) ou bien aurons-nous notre intérêt mobilisé par un objet (projet,  information, placés au premier plan par rapport à l’être qui nous fait face). Finalement, serons-nous communicants ou bien relationnels ? Ces 93% peuvent ainsi se retrouver vecteurs de sens autant que de contresens selon l’option dans laquelle nous nous plaçons.

Notons que plus l’information est importante, plus il est essentiel que celle-ci soit reçue,  plus il est fondamental que notre interlocuteur existe… donc plus il est fondamental de placer celui-ci au premier plan… c'est-à-dire d’être communicants.

5.5Le flux existentiel

Cependant, il n’y a pas que l’information au sens objectal (objet) qui circule. Les « choses » verbales ou non-verbales sont accompagnées d’un troisième type de flux : le flux existentiel.

Ici nous quittons le monde des objets pour toucher l’indéfinissable, presque l’indicible, mais profondément réel. Le flux existentiel n’est pas vraiment analysable et ne saurait toucher l’intellect. Comparable à une sorte d’émanation de la présence et du concernement des êtres entre eux, le flux existentiel laisse une impression de bienveillance qui favorise l’ouverture de conscience (et donc la communication). On dit des êtres capables de cela qu’ils ont du charisme (du grec « charis » : touché par la grâce d’autrui). Il émane d’eux une sorte de « fragrance existentielle ».

Nous verrons au chapitre 6.1 [Validations] le rôle fondamental de ce flux. Accompagné de non-verbal, il est cependant plus subtil que le non verbal. Il opère plus par sensation que par transmission, par expérience que par translation. Pareil à une sorte « d’effluve délicate », il « diffuse », tel un parfum, dans un espace de bienveillance qui englobe les interlocuteurs, un peu comme dans ce que Carl Rogers évoquait à la fin de sa vie en énonçant la « présence » comme quatrième clé de la communication (s’ajoutant à l’empathie, à la confiance ou considération inconditionnelle, et à la congruence). Peinant à nommer une telle subtilité,  il parla d’une sorte d’« espace transcendant »* où se retrouvent les deux interlocuteurs, où l’un perçoit l’autre et réciproquement. C’est ce flux qui s’expérimente quand on est communicant… et qui est absent quand on est relationnel.

*« J’ai l’impression, que mon esprit est entré en contact avec celui de l’autre, que notre relation se dépasse elle-même et s’intègre dans quelque chose qui la transcende et qu’adviennent alors, dans toute leur profondeur, l’épanouissement, le salut et l’énergie » (Rogers, 2001, p.168-169) . Cité dans le très intéressant article de André Botteman  (écrit à l’occasion du centenaire de Rogers), qui rapporte de nombreux propos de Brian Thorne, un de ses derniers disciples (Botteman, 2004)

Une telle notion introduit l’idée de « tact psychique ». Tout se passe comme si les êtres communicants étaient dans ce type de tact, comme évoqué au chapitre 4.1 [Touché ou affecté]. Ainsi, la quête de la « bonne distance » devient une notion obsolète (le « tact » nécessite « contact »). La bonne distance, c’est quand il n’y a pas de distance, et « avoir du tact » signifie « se comporter avec délicatesse ». L’haptonomie de Frans Veldman (déjà cité précédemment) est une des rares approches à le mentionner, à le vivre, et à le faire vivre. Nous parlons habituellement de contacts humains, et par définition, un contact n’existe que s’il n’y a pas de distance. Cela aurait dû nous interpeler depuis longtemps.

Avec le « flux existentiel », nous sommes touchés (par l’être) sans cependant être affectés (par son problème). On pourrait l’assimiler à une forme de « non-dit », mais comme il s’y trouve une expression de Soi (sorte d’émanation de Soi), je le différencierai du non-dit, qui lui n’est pas du tout exprimé et constitue un autre élément.

Même si le non-verbal accompagne ce flux existentiel, il ne le porte ni le constitue. La « substance » du flux existentiel est « au-delà » du non-verbal.

5.6Le non-dit, sans flux ni manifestation

Hors des « flux » ou des « effluves », nous avons aussi le « non-dit », abusivement assimilé au non-verbal. Or ce qui est « non-dit », comme son nom l’indique, n’est pas dit du tout (ni en verbal, ni en non-verbal). Il s’agit là d’un ressenti quasiment inconscient chez le sujet lui-même, que je distinguerai du flux existentiel, car il n’est pas manifesté, ni vers l’extérieur, ni vers l’intérieur de soi. Par exemple, un être en souffrance n’est pas forcément conscient de sa souffrance, mais attribuant à autrui son mal-être, il éprouve parfois de la colère envers son interlocuteur. Par convention sociale (surmoi) il tentera de dissimuler cette colère. Alors il parlera (verbal) avec courtoisie, laissera passer une colère (non-verbal) plus ou moins contenue, tout en éprouvant une douleur (non dit) que sa conscience ne capte pas et qui ne s’exprime d’aucune manière. Le non-dit n’est pas dit à autrui, mais souvent pas même dit à soi-même. Nous avons donc : 1/le dit verbal, 2/le dit non-verbal, et 3/le non-dit. Le flux existentiel pourrait être assimilé au non-dit, mais il convient de l’en distinguer en ce sens où ce positionnement existentiel est conscient, contrairement au non-dit qui n’est ni conscient, ni exprimé nulle part. Le flux existentiel trouve sa source dans le conscient, alors que le non-dit trouve sa source dans l’inconscient.

5.7Trouver l’essentiel

Il y a tellement de flux, d’expressions, de sous-entendus, d’émanations discrètes, que nous pouvons finalement nous demander quel est le message réel. Quel est l’essentiel de ce qui circule ? Qu’est-ce qui peut conduire à une réelle compréhension entre deux interlocuteurs ?

La réalité doit être considérée tant sur le plan objectif que sur le plan subjectif (l’objectal et le subjectal). Il y a les signes, les mots, avec leurs significations convenues, établies qui constituent le lieu des choses (l’objectivable). Puis il y a les points de vue différents, les états d’âme, les états d’ouverture ou de lien, le conscient, l’inconscient… tout cela constitue le côté subjectif d’un échange. L’ensemble des deux permet d’aboutir ou non à un fructueux partage. La dimension objectale des mots n’est déjà pas si simple, comme nous le verrons au chapitre 7 (« Le langage »), mais la dimension subjectale des êtres est encore bien plus subtile. Nous aurons avantage à clarifier la notion de reconnaissance (des êtres) et de valeur (des choses) en les différenciant avec précision. Ainsi, le chapitre suivant permettra d’aller encore un peu plus loin dans ce qui fonde la communication.

6   Validations et reconnaissance

6.1Validations

La validation  est reconnaissance, et non évaluation. Cette reconnaissance signifie « oui, c’est ». Cela atteste, la présence et l’existence de ce qui est, comme étant accompli. En maïeusthésie nous dénombrons 6 validations :

1/Accusé de réception (qui atteste que l’on a reçu l’information).

2/Message de compréhension (qui atteste que l’on a accédé au sens de cette information).

3/Message d’accueil (qui atteste qu’on accorde à l’information une justesse aux yeux de l’émetteur).

4/Message de gratitude (qui atteste que les propos de l’autre ne nous sont pas dus, surtout quand il s’agit d’une réponse à notre question).

5/Validation du fondement du sens, ou « validation cognitive » (qui atteste que nous reconnaissons pleinement le fondement du sens de l’information aux yeux de notre interlocuteur).

6/Validation existentielle (qui atteste de la réjouissance qu’on éprouve à la présence de l’autre).

Il est à noter que ces 6 validations quoique distinctes, s’expriment simultanément, d’un regard, d’un mot, d’un sourire qui les manifeste toutes (ou du moins celles qui sont présentes, c'est-à-dire 1 ou 1+2 ou 1+2+3 ou 1+2+3+4 ou 1+2+3+4+5 ou 1+2+3+4+5+6, avec une dimension spéciale pour la 6).

Ces messages confirment chaque étape. Quand l’information est reçue, un accusé de réception l’atteste. Quand elle est comprise, le cheminement se poursuit par un message de compréhension*.

*Nous noterons avec soin que « recevoir » n’implique pas « comprendre »… mais aussi que « comprendre » n’implique pas forcément « accueillir ».

 La troisième validation sera un message d’accueil, certifiant que le sujet récepteur accorde au sujet émetteur que telle est sa pensée (et implicitement que s’il en est ainsi, il a en lui une raison qui le fonde avec justesse). Ces 3 étapes distinctes, à partir d’« accueillir », témoignent de la présence de l’état communicant.

Puis un échange en interaction fait que le récepteur questionne l’émetteur pour s’approcher au plus près du fondement de la pensée de celui-ci. À chaque réponse il témoigne de sa reconnaissance par un message de gratitude (car aucune réponse ne lui est due). Lorsqu’un fondement cognitif suffisamment signifiant en émerge, il explicite cet aboutissement  par l’ultime validation qu’est le message de cohérence (ou « validation cognitive »), attestant clairement que si tel est le fondement, la pensée initialement exprimée est tout à fait juste (de façon purement relative). L’ensemble d’un échange est sensé se dérouler sur fond de « validation existentielle » qui est la reconnaissance fondamentale attendue par chacun (l’individu compte plus que l’information).

Je ne donnerai pas plus de détails sur ces notions qui sont très finement détaillées dans la publication de janvier 2012 « Non directivité  et validations ».

6.2Reconnaissance

Nous voici sans doute au niveau le plus délicat de la communication. Hors du champ objectal, hors des valeurs… nous sommes au niveau le plus subtil : celui de l’existentiel (et non plus de l’informationnel).

Les informations sont des objets, les interlocuteurs sont des êtres. Les êtres sont en dehors du champ des valeurs. Seuls les objets peuvent être estimés, mesurés évalués. Cela remet alors en cause la notion l’estime de soi (pourtant si recherchée) car les êtres sont par définition inestimables. La prudence nous fera distinguer clairement l’« estime » et la « reconnaissance », qui sont deux quêtes très différentes… au point que la notion d’estime de soi est un piège si elle se conçoit en termes de finalité. En effet, le Soi est au-delà des valeurs et ne peut que se trouver  déchu par une estimation (aussi grande que soit la valeur qu’on lui accorde). L’« estime » est un ersatz de « reconnaissance », et le vrai besoin de l’être (du Soi) est un besoin de reconnaissance et non un besoin d’estime (seul l’ego, le moi, est dans le besoin d’estime). Cela nous reprécise que la communication (ouverture, attention, être) se situe au niveau du Soi (source d’humanité), et que la relation (lien, intérêt, objet) se place au niveau du moi (conflits, profits, affects).

Le besoin de reconnaissance fait partie des besoins ontiques fondamentaux exposés au chapitre 3.3 de cet article [les besoins ontiques comme socle] (voir aussi publication d’octobre 2008  « Abraham Maslow »). La frustration sur le plan de la reconnaissance rend insatiablement avide au niveau des autres besoins (physiques et psychosociaux). Mais, comme le souligne judicieusement Maslow, nous ne sommes jamais pleinement satisfaits, ni pleinement insatisfaits au niveau de chacun de tous nos besoins, et nous avons une sorte d’« alchimie de satisfactions et d’insatisfactions partielles généralisées » qui conduisent notre vie, nos actes, nos positionnements, nos choix, nos réactions, nos options… C’est justement pour cela que la notion de reconnaissance est au cœur des processus d’échanges entre les êtres. Nous trouvons là la notion de « validation existentielle ».

Cette reconnaissance n’est pas un élément qui vient s’ajouter quand tous les autres sont présents, mais une posture qui est là tout au long d’un échange et qui fait que celui-ci se déroule de façon satisfaisante. On peut même préciser que cette posture est censée exister dès le début d’un entretien (et même le précéder). Sans cette attitude de reconnaissance, le vide existentiel qui en résulte enclenche des processus objectaux du moi avec toutes ses dérives : retour dans le monde des proies et des prédateurs avec force, énergie, défiance, pouvoir, manipulation, conflit, fuite (tous en subtilités inconscientes). En lieu et place d’un monde du Soi (fleuron de notre évolution), nous n’avons plus qu’un monde du moi (ancestral, primitif, si coûteux et si peu efficace, en comparaison, même s’il a eu un jour ses nécessités).

Dans la reconnaissance (qui se déroule sans mots et au-delà du non-verbal, sous forme d’effluve existentielle), nous nous sentons touchés par la présence de l’autre, et non affectés par ses problèmes. Ce bonheur que nous éprouvons face à la présence de l’autre suffit à disposer différemment l’échange qui va avoir lieu. On ne peut nier que le non-verbal accompagne l’expression de ce phénomène existentiel, mais on peut le soupçonner d’être réciproquement perçu d’une façon bien plus subtile, dans l’espace  transcendant auquel Carl Rogers fit allusion vers la fin de sa vie (Rogers, 2001, p.168-169) .

La zone de la considération peut sembler bien éthérée et utopique. Qu’en est-il, dans notre monde si complexe de joutes et de défiances, d’une telle attitude qui pourrait inspirer les moqueurs de la traiter d’enfantine, illusoire, œuvre d’un vestige de la pensée magique ? Il se trouve un secteur de la psychologie qui a tenté d’objectiver l’impact de cet état subjectif. La psychologie positive a expérimenté scientifiquement que le bonheur, le bien-être, est bien plus qu’une conséquence… c’est une source, et même une source dont la contagion bénéficie à tout un environnement :

« Dans une étude examinant le bonheur de cinq mille personnes sur une période de vingt ans, ces chercheurs ont montré que, lorsqu’une personne devient plus heureuse, cette augmentation de bonheur se propage dans son réseau social et ce, jusqu’à trois degrés de séparation. Ainsi lorsque le niveau de bonheur d’un individu augmente significativement, ses amis vivant dans un périmètre de 2 kilomètres ont 25% de chances de devenir eux-mêmes plus heureux. Les amis des amis ont quant à eux environ 10% de chances de devenir eux-mêmes plus heureux, et les amis des amis des amis 5,6%. » (Leconte, 2009, p. 24).

« Les études sur la contagion émotionnelle, par exemple, montrent que les émotions positives peuvent se transférer à travers les réseaux sociaux des personnes, avec effet de ricochet des émotions positives. » (Martin-Krumm ; Tarquinio, p.380).

Même quand la préoccupation est d’ordre économique :

« Les résultats visés, même économiques, sont souvent la conséquence du bien-être, plutôt que la cause » (ibid, p 76). 

Avec un impact sur les compétences : « 75% des participants chez qui on avait introduit des émotions positives étaient capables de résoudre le problème par rapport à 20% du groupe neutre et 13% du groupe négatif » (ibid, p.371).

(Pour plus de précisions sur ce sujet, voir la publication d’avril 2012 « Psychologie positive »).

Nous noterons que même en économie, en rentabilité, les tentatives d’objectivations, de récompenses, de flatteries objectales par des motivations extrinsèques (touchant la possession d’objets) sont bien moins performantes que des motivations intrinsèques (touchant la satisfaction de l’être). L’économiste Maya Beauvallet nous en rend compte dans son ouvrage « Les stratégies absurdes – Comment faire pire en croyant faire mieux » où elle démantèle par des études statistiques précises toutes ces croyances désuètes en la toute puissance objectale (Beauvallet, 2009, p.18)

L’aspect existentiel, habituellement négligé dans les descriptions de la communication, ne peut plus être considéré comme une sorte de complément subsidiaire. Il doit prendre place dans les fondements mêmes de la qualité des échanges. Des praticiens comme Carl Rogers (Approche centrée sur la personne) ou Marschall Rosenberg (Communication non violente) devaient en user, même s’ils ne nous l’ont pas décrit explicitement. Si nous examinons de près leurs travaux, nous percevons clairement que leurs mises en œuvre étaient habitées par cette posture si délicate à décrire. Nous découvrons aussi pourquoi de nombreux « techniciens objectivants » de la communication ont éludé ces aspects, nous limitant aux informations, aux émetteurs et récepteurs, aux codages et décodages, aux problèmes, aux stratégies et aux solutions.

En fait, la reconnaissance est au centre du processus et tout le reste en découle. « Re-co-naissance », c’est « de nouveau-ensemble-naître », c’est cet « espace transcendant » de la « co-présence » dont Rogers a tenté la mise en mots.

Cette reconnaissance s’accomplit  au niveau du flux existentiel qui est censé être présent tout au long de l’échange, et même le précéder. Il s’accompagne d’une sensation de réjouissance : état profond, discret, surtout pas euphorique, mais implicitement exprimé (effluve existentielle). J’y ai consacré une publication en septembre 2008 « Validation existentielle ». Cela concerne tous types d’échanges. Mais, plus précisément en psychothérapie, ce flux existentiel implique une posture que j’ai décrite également avec précision dans ma publication de décembre 2007 « Le positionnement du praticien ».

7   Le langage

L’être humain a le privilège de disposer d’un langage précis. À première vue cela semble simple, évident. Mais le langage contient toute une histoire. Les mots et les modes d’expression se sont élaborés en même temps que l’ouverture de conscience (il est difficile de savoir lequel engendre l’autre). L’intrication des deux en rend l’étude délicate, car plus il y a de conscience, plus les mots deviennent précis… et plus les mots deviennent précis plus ils permettent une ouverture de conscience. Comme nous l’avons vu au chapitre 5.3 [Le flux d’informations verbales] chaque peuple a développé un langage spécifique. Les différences entre les langues peuvent souvent se trouver en lien avec une façon d’appréhender le monde, de le comprendre, d’y accéder, de le découvrir, en rapport étroit avec la conscience, les intuitions, les développements. Dans ma publication d’avril 2009 « De l’espace et du temps » au chapitre 4.1 je cite le langage du peuple Amaya de Bolivie qui place sémantiquement (et en non-verbal) le futur derrière et la passé devant. Mais chez nous aussi ce qui vient après n’est-il pas dit « postérieur » et ce qui est passé dit « antérieur » ? Si nous accordons à cela une possible justesse, qu’est-ce que le langage tente ainsi d’éclairer (ou de simplement refléter) dans notre conscience ?

7.1Le sens

Nous avons des mots, des phrases, et finalement du sens. Le mot « sens » est étonnant, car il désigne de nombreuses choses : signification (sémantique), outil de perception (physiologique), côté dans une direction (géométrique). Nous découvrons déjà avec lui qu’un même mot dirige notre intellect dans plusieurs directions possibles, et que par des mécanismes de déductions contextuelles, nous avons une probabilité de signification. Les mots doivent être précis, néanmoins leur contextualisation est fondamentale. Nous découvrons ainsi que l’accès au sens est une probabilité (plus ou moins grande) qui demande toujours vérification de la part du récepteur auprès de l’émetteur.

Au-delà de la langue des différents peuples, nous constatons aussi que chaque corporation (dans un même peuple) a son langage, ses usages, ses précisions. Un architecte n’utilise pas le même langage qu’un médecin, qui lui-même parle différemment du psychothérapeute, dont le langage n’est pas celui d’un juriste, aucun d’entre eux n’ayant l’usage de la langue du poète… dans une même langue nationale, il y a plein de « sous langages ».

7.2Mots associés à  l’objectal

L’essentiel des mots est associé à ce qui est objectal : les choses, les actions. Une table, un bureau, une maison, travailler, manger, construire. Chaque chose et chaque action a son vocabulaire correspondant. Nous avons là la plus grande liste du vocabulaire (des milliers de mots).

Dans cette zone objectale, nous avons aussi les « objets ou actions subtils » que sont les pensées, la réflexion, la mémoire, se rappeler, croire, les idées… Cela n’appartient pas à la dimension existentielle qui, elle, est sémantiquement beaucoup plus restreinte.

7.3Mots associés à l’existentiel

Les mots associés à l’existentiel sont beaucoup moins nombreux (probablement pas plus de 200) : l’être, l’âme, bon, généreux, profond, pertinent, considération, tact, justice, justesse, harmonie, équilibre, amour, générosité, douceur, reconnaissance…

Si nous retirions de tels mots de notre langage, nous serions très en peine de nommer tout ce dont nous parlons dans cet article. Nous en serions réduits à des descriptions de « choses » ou de « mécanismes »… ce qui malheureusement se trouve trop souvent être le cas quand ce sujet est abordé par de nombreux auteurs qui œuvrent en techniciens chevronnés. Naturellement rien n’est tout à fait ceci ou tout à fait cela, il s’agit seulement d’une tendance à ne pas utiliser suffisamment l’existentiel par un excessif souci d’objectivation. Il y a toujours de la richesse en chaque théorisation, même existentiellement tronquée.

7.4Histoire et justesse des mots

Les mots sont chargés d’une histoire… et d’un usage. Cela les place dans la conscience collective, et dans l’inconscient collectif, d’une manière telle que des réactions ou des représentations émergent chez les êtres quand on les utilise.

Utiliser les « mots justes » pour manifester ce que l’on souhaite exprimer, c’est un peu comme jouer de la musique avec un instrument bien accordé. C’est une forme d’harmonie qui donne satisfaction, tant à l’émetteur qu’au récepteur. Les mots « à peu près » sonnent comme un instrument  désaccordé, et la dissonance qui en résulte rend l’écoute difficile, voire pénible.

Cette notion d’harmonie qui fait correspondre exactement les mots avec les pensées peut sembler un peu trop musicale ou artistique. Pourtant, les mots sont comme porteurs d’une harmonie plus ou moins implicite, et on n’exprime pas une idée avec n’importe quels termes. Même si l’on ne sait pas vraiment pour quelle raison, il semble que les mots soient porteurs de quelque chose d’indéfinissable qui ne laisse pas la même sensation selon ceux que l’on utilise. Une vigilance à propos du langage est donc importante pour communiquer, pas seulement par convenance, mais par respect de la justesse.

Concernant cette « vibration » plus ou moins harmonieuse des mots, les travaux de Masaru Emoto (auteur japonais) sont particulièrement intéressants. L’eau gelée cristallise quand elle se réchauffe (cristal de neige), et ce phénomène est purement physique. Mais Masaru Emoto (2006) a montré étonnamment que la qualité de cette cristallisation dépend de ce qui est associé à cette eau… par exemple juste des mots que l’on inscrit sur le flacon ! Ainsi, inscrire le mot « amour » ou le mot « guerre » ne donne pas le même résultat : sur une même eau, le premier permet la cristallisation, pas le second. Certes, ces expériences sont critiquées, car non réalisées en double aveugle, mais laissons les nous interpeler ne serait-ce qu’au niveau de notre intuition. Nous savons très bien que d’entendre certaines choses est apaisant et d’autre non. Ces sensations d’harmonie ou de dissonance ne sont pas étrangères à qui s’investit un peu dans l’écoute.

(Voire publication de février 2010 « Des mots et des intuitions »)

7.5Développer le sens du sens

Comme un sixième sens qui serait progressivement apparu avec le langage, nous pourrions développer plus finement le sens du sens, un sens aigu de la signification. Nouvel axe pour notre sensibilité, pour notre acuité, qui nous permet d’être amis avec le langage, de l’ajuster, de l’écouter, de le réajuster… pareil à un musicien, amoureux de la musique et de son instrument, mettant tout en œuvre pour donner le meilleur concert possible, mais aussi pour jouer pour lui-même une musique dont la profondeur, l’harmonie et la justesse le remplit. Si un poète travaille ses mots jusqu’à un tel résultat, sans pour autant faire des échanges quotidiens une continuelle poésie, nous gagnerions à développer une attitude attentionnée concernant l’harmonie des idées et des mots.

Devenir plus sensibles à ce sujet, c’est offrir plus d’opportunités à notre conscience de s’ouvrir, c’est s’offrir une plus grande opportunité d’humanité, c’est œuvrer pour une continuation de cette évolution qui nous a conduit ici à « être humain » (Darwin était le premier à souligner cette ouverture et cette humanité au fil de l’évolution).

Le sens du sens n’est pas alors réservé à des intellectuels, mais à tout être qui s’exprime et qui écoute, qui lit ou qui écrit.  Ne nous y trompons pas : une approche purement intellectuelle de cette faculté la dépouillerait de ce qu’elle a de plus précieux, de plus humain, de plus commun à tous. Loin d’être élitiste elle fait partie de ce qui nous constitue et l’argot ou la langue populaire sont pareillement de la dentelle construite pour parler de l’âme. Comme nous le rappelle André de Peretti en citant G.Y. Kervren « L’imperceptible n’est pas indescriptible » (2011, p.140). La candeur sera altérée par le besoin primitif de « sécurisation recherchée en prenant distance par rapport à l’étrangeté » (ibid p.128). Assurance et lâcher prise seront nos alliés, ainsi qu’une capacité sereine à remettre en cause nos paradigmes : « Ainsi toute opération d’assimilation, d’accommodation, d’actualisation [..] ne peut-elle s’effectuer qu’en éliminant certains éléments saisis […] comment ne pas souiller nos propos et actes par leurs références ou inertie ? » (ibid. 99)

Prendre le risque du « non savoir », de la découverte, du plaisir de la nouveauté. Oser trouver richesse auprès de nos interlocuteurs, faire de chacun d’eux un possible enseignant de ce que nous n’avons pas encore pris en compte. Telle est la candeur tranquille d’un adulte en pleine maturité, prêt à être vraiment communicant. Nous voilà rendus très loin de la puérilité ! Nous avons là une posture qui reflète une individuation (Carl Jung- 1973) suffisamment accomplie pour permettre une vraie rencontre de l’autre.

7.6Candeur et assurance

Dans les échanges, les écueils ne viennent pas du fait que nous connaissons mal les mots, mais seulement du fait que nous ne considérons pas suffisamment notre interlocuteur comme un partenaire (que l’on soit émetteur ou récepteur). Le langage s’affine au fur et à mesure de son usage, et son usage se fait en l’utilisant (Lapalisse n’aurait pas dit mieux !)… mais précisons que c’est en l’utilisant avec cette attitude de partenariat. L’état communicant (état d’ouverture) nous conduit à gagner en expertise à ce sujet, à dire de mieux en mieux, et à comprendre de mieux en mieux ce qui nous est dit.

Un enfant commence par repérer les mimiques, les regards, les attitudes… puis intègre progressivement les mots, les phrases, les tournures, qui  le conduisent à repérer de plus en plus finement les attitudes, etc.  L’adulte a déjà un bagage à ce sujet qui est un avantage, mais qui peut aussi être un inconvénient, car il y perd la candeur initiale. Or la communication ne peut être réelle qu’avec candeur. La candeur n’a rien de puéril. Elle est même la signature d’un adulte en maturité qui ne se sent pas en danger de découvrir ce qu’il ne sait pas, qui le vit même avec bonheur, avec délice. La vie s’offre ainsi avec une possibilité de réjouissance favorable à la qualité des échanges, sans vulnérabilité (au contraire) allant dans le sens des découvertes réalisées en psychologie positive*.

*Voire publication d’avril 2012 « Psychologie positive »

8   Être communicant

Les échanges entre les êtres s’accomplissent riches du verbal avec ses innombrables subtilités signifiantes, du non-verbal avec ses aspects volontaires et involontaires révélateurs, du flux existentiel avec la reconnaissance qui fait exister les interlocuteurs, du non-dit qui échappe à tout le monde et laisse en sommeil des éléments capitaux. Parfois fructueux, parfois chaotiques, à d’autres moments désastreux… ces échanges se font au mieux et chacun rêve de les optimiser.

Il se trouve que les archaïsmes de la peur et du pouvoir (archaïsmes du moi) viennent en entraver la fluidité apportée par la confiance, la considération et l’individuation (venant du Soi).

Au-delà de toutes les complexités apparentes, nous pouvons distinguer deux modes d’échanges : celui où l’information est en premier plan, celui où l’être est en premier plan. Prioriser le quelqu’un ou le quelque chose, voilà ce qui fait la différence.

8.1Être relationnel

Le lien vaut comme une attente d’ouverture, mais ne peut être source de compréhension ou d’enrichissement réciproque. Il ne fait que sécuriser une situation fermée, sans contact, où l’information est interprétée du seul point de vue du récepteur donc, la plupart du temps, de façon erronée. Il ne s’agit que d’une illusion d’échanges qui, s’il peut être rassurant ou ludique, n’est pas productif.

Créer du lien ? C’est sans doute mieux que de définitivement manquer les possibilités d’échanges. Ceux-ci restent au moins potentiellement possibles ! Mais cette étape n’est pas la communication. C’est seulement un antidote au désert, une étape préliminaire. La relation ne permet pas vraiment de rencontrer qui que ce soit, car chacun ne fait là que suivre sa propre pensée et fantasmer celle de l’autre. Chacun tenant à son information, pareil à un enfant s’accrochant à son doudou. Donald Wood Winnicott y verrait probablement un objet transitionnel, c'est-à-dire quelque chose qui n’est pas soi, sur lequel on a un pouvoir et qui rassure, mais qui n’est aucunement cet autre qui nous échappe sans cesse.

8.2Être communicant

Être communicant, plus qu’une attitude d’expert, c’est simplement être un humain dans son humanité. C’est se laisser porter vers ce processus de l’évolution qui vise à l’ouverture, à la coopération, en même temps qu’à l’individuation (et non à l’individualisme). C’est humblement accepter de ne pas y arriver, accepter de découvrir, de rechercher, d’ajuster. C’est se trouver en apprentissage de la vie tout au long de la vie, avec tout ce que cela peut comporter d’erreurs pleines d’enseignements. Toute personne cherchant la perfection en matière de communication viendrait la stériliser.

Un être communicant garde sa quête de justesse et d’harmonie, d’ajustements réciproques et constants, son acceptation de l’ignorance comme source de découvertes. Prenons soin de notre candeur et de notre sensibilité, comprenant qu’un être communicant est sensible (il perçoit) alors, qu’un être relationnel est émotif (il fantasme au lieu de percevoir).

Être communicant c’est privilégier le « quelqu’un » par rapport au « quelque chose », c’est avoir du charisme (percevoir la grâce de l’autre), manifester de l’existentiel et de la réjouissance, c’est valider les justesses de l’autre sans renoncer aux nôtres, c’est être dans la reconnaissance de notre interlocuteur autant que de soi-même.

8.3Se faire comprendre

Bien se faire comprendre est un enjeu majeur de la communication. Pour y parvenir, nous devons clarifier un paradoxe : quand l’information est importante (voire vitale), ne doit-elle pas être considérée avec soin et devenir prioritaire ? Par exemple, avec les règles d’hygiène et de sécurité en entreprise (protocoles, alertes, implications), ou avec les recommandations de la sécurité routière (vitesse, vigilance, repos…), ou celles de santé publique (alimentation, tabac, alcool, exercice). En pareils cas l’information est si essentielle qu’on pourrait la rendre prioritaire et placer l’interlocuteur en second plan. Or moins on considère l’interlocuteur… moins il existe ; et moins il existe… moins il a de chance de nous entendre. Même en ces situations extrêmes l’interlocuteur doit être placé en premier plan pour être réceptif. Il ne peut en aucun cas être considéré comme un réceptacle passif en lequel il conviendrait de judicieusement introduire des données soigneusement ciselées.

8.4Soin et curiosité

Une façon d’être communicant, c’est d’être curieux de l’autre (cure=soin), accepter de se faire éclairer par lui. Riches de nos pensées, voyager en lui, avec lui, vers les siennes (découvrant son point de vue sur les nôtres). Cela est particulièrement précieux dans le couple ou avec les enfants. Nos proches, que nous aimons tant, font peut-être partie de ceux avec qui nous sommes le moins communicants. En effet, croyant les connaître, nous sommes appauvris en désir de les découvrir, appauvris en candeur à leur sujet. Nous leur laissons trop peu la possibilité de développer leurs propres points de vue. Les idées sont convenues, peu discutables, chacun dans son monde… et les échanges sont de réguliers petits « conflits » (quand ce ne sont pas de grands conflits), car finalement chacun se revendique un peu (et il a raison), mais, hélas, ne voit pas l'autre. Lieux de vacance, repas, restaurants, films, émissions de télévision, livres, journaux, actualités, loisirs, travail… autant de thèmes où la relation primera souvent sur la communication.

Découvrons-nous, découvrons l’autre, rencontrons-nous, déployons notre état communicant.

9   Un chemin vers la simplicité

9.1Technicité et connaissances

Les connaissances techniques sont utiles. La psychologie nous éclaire sur bien des éléments (tant la psychologie classique que la psychologie positive). La linguistique l’est aussi, la maîtrise des mots justes, l’étymologie, l’histoire… tout cela est précieux. L’humanisme, la science, l’évolution… tout participe à un éclairage de plus en plus fin.

La recherche doit rester ouverte et dépasser largement les limites de cet article qui ne prétend à aucune limitation du thème, ni à en avoir évoqué les seules vérités possibles. Sa prétention est juste d’avoir mis en relief quelques points trop souvent délaissés et de proposer une description possible en termes d’objet et de sujet (de quelque chose et de quelqu’un), de priorisation et de validations.  

9.2Spontanéité et bon sens

Que tout cela ne nous éloigne jamais du fait que le bon sens et la spontanéité sont des éléments majeurs à préserver. Le risque, en étudiant un tel sujet, est de se mettre à tout analyser, à vouloir maîtriser, contrôler… puis de nourrir des rêves de perfection.

Les failles et les irrégularités font partie de la richesse de chacun, et tout le propos de cet article est de permettre de naviguer avec celles des autres et de soi-même vers un bonheur réciproque.  J’aime particulièrement l’ouvrage de Marc Vella « Éloge de la fausse note » qui est une magnifique invitation  à la vie, où l’imperfection (ou ce qu’on croit tel) peut être source d’harmonie pour qui sait regarder en humain.

Thierry TOURNEBISE

 

Bibliographie

Beauvallet, Maya
Les stratégies absurdes – Le seuil, 2009

Botteman, André
-
Un testament de Carl Rogers- Revue francophone  internationale Carriérologie, 2004 (Volume 9, numéro 3)

Jung, Carl Gustav
-Ma vie -Folio Gallimard, 1973

Freud Sigmund,
-Le narcissisme -Tchou Sand, 1985

Heidegger, Martin
-Être et temps – Gallimard 1986

Leconte, Jacques
-Introduction à la psychologie positive – Dunod, 2009

Martin-Krumm Charles  et Tarquinio Cyril
-Traité de psychologie positive -De Boek 2011

Masaru Emoto
-L’eau mémoire de nos émotions– Éditeur Guy Trédaniel, 2006
http://www.hado.net/

Maslow Abraham
-Être humain - Eyrolles, 2006
-Devenir le meilleur de soi-même – Eyrolles, 2008

Peretti (de), André
-Le sens du sens –Lavoisier, 2011

Rogers, Carl Ransom  

-L’approche centrée sur la personne. Anthologie de textes présentés par Howard Kirschenbaum et Valérie Land Henserson. Trad. de Henri- Richon Georges. Editions Randin S.A. , Lausanne 2001.

Tort Patrick
-Darwin et le darwinisme –Puf, 2009
-Darwin n’est pas celui qu’on croit- Le cavalier Bleu éditions, 2010

Tournebise, Thierry
-Le grand livre du psychothérapeute – Eyrolles, 2011
-L’art d’être communicant –Dangles 2008

Vella Marc
-Éloge de la fausse note –Le jour 2011

Lien internes citées

Assertivité (septembre 2001)  

Reformulation (novembre 2002).

Communication thérapeutique (avril 2004)

Le ça, le moi, le surmoi et le Soi novembre 2005

Le positionnement du praticien (décembre 2007)

Éloge de la différence (août 2008)

Validation existentielle (septembre 2008)

Abraham Maslow  (octobre 2008)

De l’espace et du temps (avril 2009)

 Des mots et des intuitions (février 2010)

Non directivité et validation (janvier 2012)

Psychologie positive (d’avril 2012)

Mieux comprendre la psychose (octobre 2012)

 

dico glossaire (2012)