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Distance physique et proximité sociale
-Déconfinement-

10 mai s 2020   -    © copyright Thierry TOURNEBISE

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Pandémie Covid-19    mai 2020

Saurons-nous en finir avec ce terme inapproprié de « distanciation sociale ». C’est de distance physique dont nous devons parler, pas de distance sociale. D’autant plus que cette distance physique semble au contraire produire un rapprochement social.

La distance sociale est un mal dévastateur des sociétés. Puissions-nous ne pas l’aggraver en la sollicitant sans cesse, en la réclamant comme une solution, car il se peut que la distance sociale soit un autre type de mal sans doute plus pernicieux que le virus. Là où une distance physique est une nécessité sanitaire, ne mettons pas en plus la distance sociale.

Nous vivons ici une opportunité de nous rapprocher, grâce à la distance physique qui sollicite notre inventivité pour accroître la proximité de notre humanité.

Sommaire

1 Peur et confiance : invitation paradoxale
- Au début, peur suffisante pour se confiner – Puis confiance suffisante pour se déconfiner

2 Le « Graal » de la bonne distance
- Déjà un leurre en communication – Distinct ne signifie pas distant -L’incontournable tact psychique

3 Moins de corporel, plus de tact
- Le manque souligne la nécessité - Une quête existentielle – Injonction de distance qui rapproche

4 L’humanité plus forte que la distance
- Corona : un effet collatéral paradoxal – L’élan naturel de proximité humaine source d’une nouvelle économie

5 Davantage de proximité sociale
- Bien-être, santé et longévité – Mobilisation, entraide, gratitude – Se souvenir de ce pas accompli


Bibliographie du site

 

1.Peur et confiance : invitation paradoxale

1.1.  Au début, peur suffisante pour se confiner

Après l’inquiétude lors de la pandémie naissante, le sentiment s’est transformé en peur suffisante pour que chacun reste quasi spontanément chez lui. Avec une demande de l’État, agrémentée de quelques contrôles pour les contrevenants, finalement assez peu nombreux, le civisme est désormais de rester à la maison, afin de respecter la requête gouvernementale. Le civisme consiste alors désormais à rester physiquement à distance d’autrui.

Ce moment du choc étant passé, se dessine une nouvelle façon de vivre : « Comment va-t-on faire ? ». Approvisionnement et nourriture ne manquent pas, pour certains salariés il y a du télétravail, pour d’autres apparaît une rémunération au chômage partiel, pour des indépendants il y a de aides de l’Etat (qui sans doute ne vont pas partout là où il le faudrait, mais ces mesures ont le mérite d’exister)… sans oublier ceux qui, avec leurs professions, continuent à œuvrer sur le terrain d’une façon nouvelle.

Tout semble s’organiser autour d’un confinement relativement consenti supporté avec un mélange d’inconfort, de surprise, de saveurs nouvelles concernant une vie où soudainement l’on a du temps… souvent, beaucoup de temps.

Pour ceux qui peuvent le saisir, cela devient une opportunité pour ralentir le rythme, pour oser une écoute de soi, et aussi une écoute des proches quand on partage son toit en couple, en famille. Une rencontre et une connivence retrouvées, des activités redécouvertes, d’anciennes passions ressuscitées, pour le plus grand bonheur de chacun.

Nous n’oublierons pas cependant que pour certains ce fut plutôt un calvaire de violences accrues, car là où il y en avait avant, la proximité en continue ne les a hélas pas apaisées… au contraire. Nous n’oublierons pas non plus qu’environ quarante pour cent des personnes se seraient trouvées moralement un peu effondrées (difficile pour eux de saisir cette opportunité, même en l’absence de problèmes matériels majeurs).

Ne pas s’agiter sans cesse, être à l’écoute, se voir, se rencontrer, vivre autrement, ne plus compenser… grande opportunité, si inhabituelle qu’elle peut en être déroutante. Il faut préciser qu’en plus nous baignons dans un climat d’incertitude où l’on ne peut faire de projets, où les informations se contredisent souvent : on les découvre au jour le jour avec un quotidien décompte des morts sur tous les écrans. Cela n’est pas favorable à la détente, c’est le moins qu’on puisse dire.

Quand la peur s’est bien installée, ce confinement qui semble pourtant un peu long ne se lâche pas sans craintes, un peu comme ce bébé privé d’immunité, médicalement sécurisé dans une bulle : après traitements il peut enfin sortir de cette protection et aller dans les bras de sa mère… mais il manifeste une peur et s’accroche à la paroi craignant de quitter cet unique endroit qu’il connaît depuis son premier jour.

1.2.  Puis, confiance suffisante pour se déconfiner

Après une peur suffisante pour accepter docilement le confinement, comment insuffler une confiance toute aussi suffisante pour vivre sans crainte le déconfinement… mais en gardant assez de prudence (donc encore des craintes) pour respecter les mesures sanitaires nécessaires. Bien sûr il y a les possibles médicaments et l’éventualité de vaccins… tout en sachant qu’il se peut que l’immunité soit éphémère.

Les plus éminents spécialistes donnent de multiples informations (parfois contradictoires) attestant que nous manquons de beaucoup d’éléments, que nous ne savons hélas pas grand-chose, que la recherche travaille assidûment de façon internationale (ou presque, car l’info ne circule pas toujours bien entre les chercheurs).

Il semble étonnamment difficile de permettre un partage fructueux entre les plus grands épidémiologistes (plusieurs sont en désaccord), en vue de de sains débats d’idées. Alors, en attendant les grandes découvertes, faute de mieux, reste la recommandation des gestes barrières, des masques, de la « distanciation sociale ».  

En France, même notre premier ministre Edouard Philippe, lors d’une de ses interventions, a dénoncé ce terme pour le remplacer par « distanciation physique » qui lui semblait plus juste. Ce terme de « distanciation sociale », qui est martelé en permanence dans les médias, mérite une précision. D’ailleurs ce n’est pas la première fois que nous entendons parler de « distance ». En communication, nous avons vu également obsessionnellement martelée la fameuse notion de « bonne distance ».

Pour que ces gestes barrières fonctionnent, il ne faut pas trop être rassuré afin d’éviter tout relâchement. Garder suffisamment de peur reste la règle, mais cette fois-ci tout en ayant assez de confiance. Une situation émotionnellement paradoxale qui nous met cognitivement en fragilité.

Afin de trouver une protection efficace, il serait bon aussi de sensibiliser tout un chacun à notre propre immunité naturelle qui, sans être absolue, est toujours accrue avec une bonne hygiène de vie. La santé est une vie en harmonie avec une multitude de bactéries ou virus, notamment avec notre biotope intestinal qui comporte plus de micro-organismes que nous n’avons de cellules dans le corps, mais aussi de micro-organismes externes avec lesquels nous devons vivre en bonne entente. Leur disparition entraînerait aussi notre mort. Il est bon de ne pas les diaboliser, même s’il ne faut surtout pas nier que certains sont pathogènes, voire mortels.

Notre corps est fait pour vivre en symbiose systémique avec ce qui l’entoure, pour ne pas dire en communication. Il ne semble pas sain de ne vivre qu’avec l’option de la bio-guerre sous forme de « bio-terminator ». Nous n’aurons jamais assez d’éléments en faveur de notre santé (ceux de la médecine et ceux de notre hygiène de vie). Avec une vie suffisamment saine, Il ne s’agit pas d’espérer une immortalité (nous en serions sans doute bien embarrassés), mais une vie qui se déroule de la meilleure façon possible jusqu’à son terme, sachant que dans notre pays et dans le monde il y a des arrivées et des départs en permanence*, et qu’il en sera toujours ainsi. Pourvu cependant que nous sachions traverser notre vie en étant dans une saine synergie avec la nature qui nous entoure, dont nous faisons partie et dont nous sommes constitués. Saurons-nous y apporter notre part de participation à un juste équilibre, en y déployant aussi notre humanité, notre sensibilité notre créativité, notre sociabilité, notre éco-responsabilité ?

*En France : 753.000 naissances en 2019 - 612.000 décès en 2019 (1.676 morts par jour) toutes causes confondues. Tabac : 75.000 morts par an (2018) - Excès d’alcool : 41.000 morts.

Dans le monde : 147.000.000 naissances en 2017 et 57.000.000 de décès (157.000 morts par jour) - Mauvaise alimentation : des études mondiales semblent montrer qu’elle produit environ une mort sur 5 - Pollution : 7 millions de morts en 2012 dont 3.300.000 par pollution de l’air. https://www.planetoscope.com/natalite/16-naissances-dans-le-monde.html . Il y a de quoi faire pour promouvoir la vie !  

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2.Le « Graal » de la bonne distance

2.1.  Déjà un leurre en communication

En communication, l’on parle de « bonne distance ». Ici aussi, l’on confond la distance physique de la distance psychique.

Socialement, il est vrai que, même hors crise sanitaire, il y a des protocoles de distances physiques, ou de gestes, en fonction des situations. Serrer la main, faire un check, offrir un Hug, embrasser, saluer par un signe de la main, ôter son chapeau ou sa casquette, baiser la main d’une dame, juste dire « bonjour », ou « salut », offrir un gracieux « namasté » avec les mains jointes sur la poitrine, ou même simplement un sourire, etc.

Désormais le check est préféré, si possible avec les coudes ou même les pieds. Discuter à une distance de 1 mètre est proposé comme une sécurité sanitaire correcte.

En fait peu importe la distance physique que demande le protocole. On peut aisément le respecter selon les codes en vigueur. Par contre, sur le plan psychologique, ce qui compte ce n’est pas la distance psychique, mais le tact psychique (tact, contact au niveau existentiel).

Notre sociabilité est faite de notre humanité qui éprouve le besoin de s’exprimer. Il ne s’agit donc pas de « distances sociales », mais de moyens pour exprimer socialement notre humanité, notre proximité existentielle.

Ce tact existentiel s’est malencontreusement décliné en une empathie mal comprise avec l’idée que, pour être plus chaleureux, il convient de savoir se mettre à la place de l’autre. En fait se mettre à la place de l’autre est aussi inutile qu’impossible. Quand bien même nous y parviendrions, nous ne ferions que découvrir ce que nous sentons à sa place, mais ne saurions toujours pas ce qu’il sent à la sienne. L’empathie c’est plutôt être distinct (je ne suis pas l’autre), sans être distant (et même être en tact psychique comme le dit si bien le mot empathie en allemand : Einfühlung où fühlen est le tact psychique).

Alors cet écueil de croire qu’il faut se mettre à la place (fusion et confusion) a vite été compensé par le leurre tout aussi prégnant de la « bonne distance » (se protéger de l’affect) comme nécessité pour une bonne communication. Ayant sans doute l’intuition de cette inadéquation, les canadiens ont préféré la notion de « bonne proximité » (mais la proximité n’est pas encore le tact).

Si l’affect embrouille effectivement les échange, déforme les informations et entame notre compréhension, l’absence d’affect ne signifie pas une absence de sensibilité.

L’affect résulte de la distance (faisant qu’on fantasme l’autre plus qu’on ne le rencontre, avec de multiples réactivations intérieures). La sensibilité, elle, résulte de notre tact psychique et engendre une vraie délicatesse grâce à une authentique rencontre (avoir du tact). Avec la sensibilité, les échanges sont plus fructueux, les informations non déformées sont abordées en partenariat, tout est plus clair, chacun se sent reconnu, et compris. Sensible nous percevons, affecté nous imaginons. Comme l’affect engendre des inconforts, il arrive alors qu’on opte pour l’anesthésie. Nous ressortons de l’anesthésie grâce aux émotions (é-mouvoir remettre en mouvement) avant de rejoindre la sensibilité. Il importe de comprendre qu’on est émotif (fantasmes) par manque de sensibilité (perception).

2.2.  Distinct ne signifie pas distant

Il ne s’agit pas de s’éloigner l’un de l’autre pour être communicants mais de s’ouvrir l’un à l’autre. Être communicant, c’est « être ouvert ». Il nous sera utile de comprendre que le vécu d’autrui n’est pas le nôtre, que nous avons chacun une perception du monde qui nous est propre. Être communicant c’est aller à la rencontre de l’autre et découvrir le monde perçu par lui.

Se mettre à sa place pour comprendre ce qu’il perçoit est illusoire, car sa perception du monde est liée à de multiples facteurs dont il a cumulé l’expérience depuis qu’il existe. Il ne s’agit pas non plus de trouver la bonne distance ou la bonne proximité… mais plutôt de s’ouvrir, d’oser le tact, avec la conscience que nos perceptions sont différentes, même face à des choses ou des événements identiques.

Le problème justement en communication, c’est la distance. Elle est à abolir. La fameuse « bonne distance », c’est quand il n’y en a pas et que nous sommes en contact : « être distincts sans être distants », donc une distance zéro ! Mais nous parlons là de distance psychique et non de distance physique. Que nous soyons physiquement à 30 cm, à 50 cm, à 1 mètre, à 10 mètres ou à des kilomètres, voire à l’autre bout de la planète n’y change rien, pourvu que nous ayons un moyen technique d’échanger nos informations quand la distance physique ne le permet plus directement.

Nous avons ce même phénomène avec nous-même. Celui que nous sommes aujourd’hui peine souvent à prendre la mesure de ce qui était perçu par celui que nous étions autrefois. La mémoire a remasterisé les faits, et ce que nous percevons dans un souvenir est plus ou moins un mélange d’autrefois et d’aujourd’hui qui ne rend pas bien compte de ce qui a été éprouvé par celui que nous étions. Curieusement il s’agit aussi de savoir être distinct de celui que nous étions pour mieux le rencontrer, mieux l’entendre, le comprendre, lui donner toute sa place. Nous avons ainsi une façon de consolider nos fondements.

2.3.  L’incontournable tact psychique

Donc peu importe la distance physique choisie (ou imposée par protocole culturel ou sanitaire) entre les interlocuteurs, ce qui compte c’est le tact psychique et l’ouverture. C’est la conscience que nous sommes distincts, que nous avons une perception du monde différente.

C’est en même temps ce qui rend la communication possible et ce qui la rend essentielle. En effet, de ces différences vont naître des richesses, de la créativité. Rien n’est pire qu’une pensée figée, unique, imposée. Dans ma publication de juin 2020 « Le danger de convaincre », je rappelle que convaincre, c’est produire de la pensée unique. Nous ne confondrons pas le fait de partager soigneusement des points de vue avec le fait de chercher à convaincre. S’il est nécessaire de soigner sa façon de dire ou de présenter les choses, ce n’est pas pour convaincre, c’est juste faire en sorte que l’information reçue corresponde bien à ce que nous souhaitions évoquer. Si nous y tenons compte des références de l’autre c’est pour qu’il puisse s’en faire une juste représentation, pas pour qu’il y adhère. Celui qui reçoit notre information doit toujours rester libre de sa propre pensée au sujet de ce qu’on lui présente.

Les propos intéressants suscitent l’intérêt. Les êtres attentionnés suscitent l’attention. Faire l’intéressant ou être intéressé (chercher un profit) produit un environnement où les choses comptent plus que les Êtres. Un monde de distance où, faute de savoir être en contact, nous sommes en lien d’intérêts. Le lien est le moins mauvais moyen que nous avons imaginé pour ne pas nous perdre tout à fait, en attendant de savoir nous rencontrer.

Avec l’intérêt nous sommes intéressés (quête de profit), avec l’attention nous sommes attentionnés (délicatesse).

 La distance psychique produit cette nécessité de l’intérêt afin de créer du lien pour ne pas risquer de se manquer ou de se perdre. Avec le tact psychique, les Êtres comptant plus que les choses, nous ne risquons pas de nous perdre, de nous manquer. Les liens se dénouent sans se rompre, avec liberté et respect, les échanges se font plus simplement, plus sainement. Nos différences peuvent se partager sans heurts, comme source de créativité, de déploiement.

D’ailleurs « avoir du tact » signifie « être dans la délicatesse ».  

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3.Moins de corporel, plus de tact

3.1.  Le manque souligne la nécessité

Quand le tact corporel disparaît, le tact psychique devient une ressource à ne pas manquer. Sans même s’en rendre compte, la recherche de cette proximité existentielle se met en route.

La technologie, si souvent pointée du doigt comme source de désinvestissement de notre humanité, en devient soudain un moyen d’expression essentiel. Partage de créativité, réseaux sociaux, propositions d’aides ou de soutiens en ligne, concerts en individuel et, plus fort encore, des regroupements de musiciens jouant des œuvres ensemble tout en étant physiquement loin les uns des autres. Différents logiciels de conférence permettent d’avoir le son et l’image de nos proches « lointains » sur nos écrans.

L’absence de contact physique a mis en exergue l’impérieuse nécessité d’une proximité familiale et sociale.

3.2.  Une quête existentielle

Quelles que soient les barrières et la distance physique, nous sommes naturellement portés vers une proximité sociale. Cela ne se réfléchit pas, c’est juste l’expression de notre humanité. Bien sûr il se peut que chez certains celle-ci soit partie si loin qu’elle peine, même en cette circonstance exceptionnelle, à revenir à la conscience.

Nous voyons aussi émerger des insatisfactions, des revendications, des peurs d’un autre type, des mises en garde contre les dangers d’une e-surveillance malsaine au nom de notre sécurité. Sont évoquées des mises en garde pour ne pas nous laisser berner par des manipulations. Certains vont jusqu’à des développements proches de théories du complot. Certes ne soyons pas naïfs, il n’y a pas que de la bienveillance. A tous les niveaux, les soifs d’argent et de pouvoir sont bien là également et œuvrent depuis la nuit des temps, mais avec des moyens de plus en plus sophistiqués (déjà quand les industriels du XVIIIe siècle brûlèrent les maisons de paysans pour les conduire à travailler à l’usine en état de soumission - excellente émission sur Arte à ce sujet). Cependant il est souhaitable que ces excès malsains ne masquent pas les magnifiques élans de ce qu’il y a de plus humain en nous. Pour qui sait le voir il y a vraiment de quoi s’émerveiller.

Notre quête de sens y trouve son compte.

3.3.  Injonction de distance qui rapproche

La maladroite demande de « distanciation sociale » n’a heureusement pas été suivie, en ce sens où nous assistons au contraire à un « rapprochement social ». La distanciation n’a heureusement été que physique.

La raison pour laquelle le terme « distanciation sociale » a été retenue reste mystérieuse.  Mais quand on voit qu’il est enseigné dans de grandes écoles de communication qu’il convient de « trouver la bonne distance » et au niveau des besoins fondamentaux de tenir compte de la pyramide de Maslow (qui n’a jamais parlé de pyramide, mais juste de hiérarchie des besoins) on sent bien que le sujet est resté confus. D’autant plus que les besoins existentiels (que Maslow nomme « besoins ontiques ») sont souvent évoqués comme étant, au sommet de cette pyramide alors que Maslow les souligne comme essentiels et que sans que ceux-ci ne soient satisfaits, il reste une insatisfaction de fond insatiable.

Le thème de l’humanité préoccupe le monde, mais son côté indicible, et à peine concevable au niveau de la pensée, le rend flou à nos moyens cognitifs, aussi savants soient-ils.

La quête de besoins est avant tout ontique (existentielle) et quand le reste s’efface celui-ci ressort sur le devant de la scène. La distance imposée des corps invite au rapprochement de nos humanités afin de satisfaire nos besoins les plus profonds, ceux qui donnent sens à notre vie. Les psychologues en psychologie positive ont bien identifié notre besoin de sens (besoin eudémonique), notre besoin d’autonomie (décider par soi-même) et notre besoin de proximité sociale.

Voire publication de juin 2019 « Les besoins »  

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4.L’humanité plus forte que la distance

4.1.  Corona : un effet collatéral paradoxal

La distance ne vient pas à bout de notre humanité mais au contraire la stimule. Notre besoin de proximité sociale l’emporte sur la distance physique. La peur n’en vient pas à bout et la solidarité s’y déploie. On pourrait même constater que ce corona nous réveille de notre absence de lucidité. Il émerge un goût pour la proximité de la production, pour la reconnaissance des métiers humbles habituellement oubliés ou peu considérés : éboueurs, personnel d’entretien, caissière de grandes surfaces, agriculteurs, éleveurs, transporteurs routiers, etc. qui désormais se retrouvent à l’honneur. Et des métiers considérés, mais oubliés au niveau des moyens, comme les soignants, médecins, personnel hospitalier, qui vont probablement être mieux pourvus.

C’est comme si l’on avait oublié ceux qui sont essentiels à notre vie collective, à notre sécurité, à notre santé… il se retrouvent, comme certains journalistes se sont amusés à le dire « premiers de cordée ». Et la collectivité en prend conscience, leur rend hommage.

Dans les foyers les Êtres retrouvent du temps, de la proximité, une possible écoute. Évasion, compensations… ce qui habituellement anesthésie notre sensibilité est moins disponible et favorise ainsi l’émergence d’une opportunité de rencontre, de rencontre de Soi (nous sommes généralement peu attentifs à qui nous sommes). Nous avons aussi la rencontre de ces Êtres qui comptent pour nous. Celle-ci est soudainement facilitée, riches de notre candeur et de notre curiosité (jusque-là, croyant les connaître nous les regardions et les écoutions trop peu).

Avec ce phénomène corona, paradoxalement, en dépit de la peur, l’humanité qui est en nous respire, et même la nature se réjouit de cette pause dans un grand souffle mondial où la pollution diminue de façon fulgurante, épargnant plusieurs dizaines de milliers de vies sur ces deux mois (75.000 rien qu’en Chine). Certains journalistes nous disent même qu’ainsi plus de vies ont été épargnées que de vies ne se sont éteintes. Si chaque vie qui s’éteint est une grande tristesse, toutes ces vies épargnées sont une grande joie. Si nous avons tristement vu chaque jour le décompte des morts aux informations… nous sommes aussi en droit de nous demander ce qu’aurait produit sur notre moral de voir aussi chaque jour un décompte des vies épargnées grâce à cette quasi-disparition de la pollution ! Une telle opportunité est aussi vraiment exceptionnelle et, même si nous ne devons surtout pas dire ou penser quel le covid-19 est moins grave que la pollution, nous nous devons de ne pas ignorer ce phénomène et de savourer l'opportunité de ce bénéfice vital.

Après avoir vu à quel point chaque existence est précieuse et combien la nature y contribue, peut-être y gagnerons-nous une plus grande sagesse écologique pleinement au service de la Vie et libre de toute idéologie.

4.2.  L’élan naturel de proximité humaine, source d’une nouvelle économie

La situation économique mondiale semble mise à mal par cette crise sanitaire. Il est vrai que le coût en est exorbitant et qu’il faudra y faire face, que cela prendra aussi du temps... sans doute plus que deux mois ! Pourtant ce réveil de conscience qui en résulte, et cette humanité qui s’y déploie, sont les meilleures garanties d’un renouveau économique éclatant. Les chercheurs en psychologie positive ont remarqué que :

« Les résultats visés, même économiques, sont souvent la conséquence du bien-être, plutôt que la cause ».
(Martin-Krumm Charles et Tarquinio Cyril -Traité de psychologie positive -De Boeck 2011-p.76). 

Notre élan de proximité humaine favorise en même temps une optimisation de l’économie. On a souvent analysé la situation à l’envers, pensant que le développement économique apporterait le bien-être, alors que c’est le bien-être qui favorise le développement économique… une véritable révolution de la pensée, une nouvelle perspective très prometteuse.

Parler de distanciation sociale est donc une grande maladresse, car grâce à la distanciation physique, notre élan naturel de proximité sociale a trouvé une opportunité pour s’exprimer, notre bien-être a trouvé une nouvelle voie d’expression, notre économie pourra alors bénéficier de plus d’intelligence, de plus d’efficience… irons-nous jusqu’à dire de « plus de sagesse » ?  

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5.Davantage de proximité sociale   

5.1.  Bien-être, santé et longévité

En plus de la communication avec soi-même et avec autrui, il se trouve un bénéfice collatéral sur la santé. Outre que le bien-être puisse être potentiellement source d’un meilleur fonctionnement économique, il joue favorablement également sur notre équilibre biologique (donc aussi sur le coût médical).

« Des études sur l’espoir comme facteur de sens ont également montré l’influence de nos états de pensée sur la maladie […] importance de la foi inébranlable des patients dans le système de guérison […] lorsque le malade se met à espérer, son cortex cérébral gauche engendre des pensées positives qui inhibent le sentiment de peur produit par les amygdales limbiques » (Traité de psychologie positive, p.436, 437).

Donc sachons prendre soin de ce mécanisme inestimable. Des études montrent même l’impact de ce bien-être sur la longévité :

Etude rapportée dans « Psychosomatic medecin », sur 43 391 adultes :
« Le risque de mortalité causée par toutes les causes était significativement plus élevé chez les sujets qui n'ont pas trouvé le sens de l' Ikigai*par rapport à celui des sujets qui ont découvert un sentiment d' Ikigai ; le taux de risque ajusté multivarié (intervalle de confiance de 95%) était de 1,5 (1,3 – 1,7). En ce qui concerne la mortalité spécifique à la cause, les sujets qui n'ont pas trouvé le sens de l'Ikigai ont été significativement associés à un risque accru de maladies cardiovasculaires (1,6; 1,3 – 2,0) et de mortalité par cause externe (1,9; 1,1 – 3,3), mais non de la mortalité par cancer (1,3; 1,0 – 1,6) » (Psychosomatic medecin - juillet-août 2008-volume 70-numéro 6 - p 709-715).

*L’Ikigai est pour les japonais l’art du du bonheur, de se réveiller chaque matin en joie, d’une vie qui a un sens

Il est essentiel que notre humanité trouve dans ces éléments les ressources dont elle a besoin, et ne se laisse pas impressionner par les discours défaitistes, négatifs, qui ne sélectionnent que le drame, histoire de mobiliser notre attention au mauvais endroit pour des raison obscures d’audimat. Ces éléments sont suffisamment essentiels pour qu’ils se retrouvent à la une de l’actualité.

5.2.  Mobilisation, entraide, gratitude

Ne pouvant vivre la proximité physique, la proximité sociale de certains en a été exacerbée. Distribution de repas, distribution de denrées agricoles, de fleurs, concerts en plein air devant les fenêtres, fonds de soutien privés, soignants se confinant avec leurs résidents d’EHPAD pour leur offrir une vie plus riche, plus digne.  De multiples mobilisations d’entre-aide se sont déployées avec beaucoup d’inventivité. Comme si chacun disait au fond de son cœur « confinement, tu n’auras pas ma liberté d’humanité ! »

Il en a résulté de la considération, de la gratitude. La reconnaissance éprouvée par les Êtres touchés en voyant cette expression d’humanité donne un nouveau climat. On l’a vue aussi en psychologie positive : la capacité à s’émerveiller et à donner de la gratitude sont source d’équilibre mental et biologique.

5.3.  Se souvenir de ce pas accompli

Espérons que nous nous souviendrons de ce moment d’exception. « Le jour d’après », loin de ressembler aux films catastrophes dont nous avons été abreuvés, sera lumineux et marquera l’histoire comme un moment où l’humanité s’est réveillée de ses illusions, a repris sa vie en main… en tout cas on peut espérer que nul ne manquera cette opportunité et saura ainsi marquer l’Histoire.

Il serait tentant d’en retenir l’aspect catastrophe. Il est vrai qu’il ne faut surtout pas oublier les peines qui en ont résulté et savoir honorer ceux qui en ont été les victimes. Mais ne pas mettre en avant ces vies sauvées, cette conscience manifestée, cette conversion du système économique, serait tout autant, voir bien plus criminel. Oui, car c’est le sel de notre bonheur, de notre déploiement, du sens de notre vie, qui peut chaque jour nous nourrir un peu plus… et cela au niveau de toute la planète.

Thierry TOURNEBISE
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