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Éclairer sans produire d'ombre
25/12/2000      -    © copyright Thierry TOURNEBISE

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Des lumières bien fêtes

Les illuminations de ces fêtes de fin d'année 2000, soulignent un moment de joie rempli de souhaits et de cadeaux.... Même si elles font en même temps un peu  ressortir quelques ombres d'inégalités, car tout le monde n'a pas les mêmes moyens de faire la fête, les arbres, les rues et les villes sont néanmoins enguirlandés et cela ressemble à un moment de féerie.

"Illuminer". "Éclairer". Ce sont des termes également utilisés pour parler de notre pensée. Nous parlerons d'une idée lumineuse. Nous demanderons parfois à être éclairé (recevoir une explication). Nous dirons faire la lumière sur un problème (le résoudre).

On peut aussi se faire enguirlander... ça revient même à dire que là, c'est notre fête...! Et ça n'a rien de féerique! Ainsi,  il arrive parfois qu'une personne veuille nous éclairer sans que nous le souhaitions. Cette lumière imposée vient souvent ternir notre pensée personnelle et notre interlocuteur, pour manifester l'éclat de son point de vue, s'acharne  à mettre le nôtre dans l'ombre. Comme si notre pensée (à nous) n'avait pas de valeur, ne méritait pas de lumière. Alors nous nous sentons un peu enguirlandé... mais avec les pensées "lumineuses" de l'autre... et ça, c'est plus encombrant que décoratif!

Grâce à l'ombre et la lumière, certains contrastes donnent du relief (comme en peinture, dessin, photo etc.). Mais sur le plan humain, les contrastes semblent hélas moins appréciés. Trop souvent, nous assistons à une pratique qui fait disparaître les reliefs que nous offrent les différences de pensée. Cette pratique risque de conduire à un monde ressemblant à une photocopie ratée de la pensée de quelques-uns (soit toute noire soit toute blanche).

Je trouve que cette période de fin d'année est un moment propice pour examiner ce que nous montrent ces jeux d'ombres et de lumières. Voyons s'il est possible d'éclairer sans produire d'ombre car il semble que, même en physique optique, les deux soient associés.

Un effet inattendu de l'éclairage

Un des effets inattendus de la lumière, c’est que plus l'éclairage est fort, plus il génère d' ombre. Il y a toujours une face éclairée et une face cachée.

On le voit particulièrement bien sur notre Lune. Le côté  éclairé par le soleil est lumineux et chaud… et dans le même temps, il en découle que l’autre côté est sombre et froid

En serait-il de même des idées? Plus on les éclaire d’un côté, plus elles deviennent sombres de l’autre? En effet, ce qui satisfait l’intellect sous un angle, augmente souvent sa frustration sous un autre!

La source des conflits vient souvent du fait que chacun veut éclairer sa propre face (son point de vue à lui), interdisant aux autres d’éclairer la leur (leur point de vue à eux). Chacun refusant à l’autre la "lumière" qui lui revient sous prétexte qu’il n’y aurait qu’une vérité, digne d’être éclairée pour être adoptée par tous. On voit ici poindre le sectarisme avec la destruction organisée des points de vue différents.

C’est évidemment un fléau de l’évolution humaine. Même les bonnes idées, quand elles deviennent sectaires, deviennent dangereuses.

Nous trouvons là une parfaite illustration : essayer de convaincre, c’est éclairer tout en faisant de l’ombre. C’est mettre son propre point de vue en lumière en faisant de l’ombre à l’interlocuteur. C’est mettre la pensée de l’autre à l’ombre (pour ne pas dire l’enfermer dans une prison ou des oubliettes).

Éclairer l’endroit et l’envers

Quand vous éclairez un objet vous n’augmentez la visibilité que d’une face de cet objet. Pour le voir entièrement, il vous faudra aussi en éclairer l’autre face. C’est à dire vous mettre au point de vue opposé.

Mais nous manquons de souplesse pour un tel exercice. Nous aimons surtout défendre notre point de vue. Trop souvent, seul l’éclairage de notre point de vue compte! Le côté opposé (pour ne pas dire adverse) ne mérite aucune lumière… si ce n’est des lasers pour l’exploser !

C’est tout le problème des pensées partiales. Problème de sectes, bien sûr, mais aussi problème terriblement quotidien de la communication où chacun défend sa pensée… et plutôt que de la partager il l’impose.

Peut être celui qui est atteint d’idéologisme doit-il simplement apprendre à repasser. Oui vous avez bien lu repasser!

Amusante analogie : L’accès à la vérité, c’est comme quand on repasse le linge. Le repassage optimum sera atteint quand on aura repassé l’endroit et l’envers de l’étoffe. La vérité est sans doute comme une telle étoffe. Il faut en éclairer les deux faces pour qu’il ne s’y trouve plus d’ombre ni de plis.

Pour cela saurons-nous apprendre à éclairer aussi le point de vue de l’autre afin qu’il n’ait pas besoin de se battre pour être entendu. Saurons-nous lui donner une qualité d’écoute et de confiance qui lui permette de s’exprimer plus facilement. Saurons-nous avoir pour projet d’accéder à " sa vérité " pour ensuite, et ensuite seulement, lui faire par de la nôtre ?

Ne pas confondre Lux et  Passage

Le lux est une unité de mesure de la luminosité. Vous avez sans doute remarqué qu'il y en a particulièrement peu dans un tunnel. Quoi de plus sombre qu’un tunnel ! "être dans le tunnel", ne symbolise-t-il pas "être dans l’ombre", "être dans les problèmes". Pourtant un tunnel, c’est une lumière ! Cela mérite quelques explications:

Sans doute je m’amuse à jouer sur les mots, mais là c’est franchement trop tentant ! Une lumière ce n’est pas seulement un éclairage, mais aussi un passage. Par exemple le centre d’un tube s’appelle la "lumière du tube". Toutes les personnes ayant travaillé dans un laboratoire connaissent bien ce terme pour parler de leur matériel tubulaire. Un trou ou une fenêtre dans un mur s’appellent aussi une lumière. Un tunnel dans une montagne, c’est donc aussi une lumière dans la montagne.

Être dans le tunnel c’est donc aussi être dans la lumière!

L'analogie vous semble-t-elle excessive? Pourtant nous avons tous observé dans notre vie, que les moments difficiles (les zones d'ombre) sont souvent ceux par lesquels nous avons le plus progressé. Ces zones d'ombre, curieusement, nous ont fréquemment permis de grandir, de gagner en maturité... elles nous ont éclairés!

Naturellement nous ne disons une telle chose qu'après être passé dans le tunnel! Car quand nous y sommes, ça ressemble plus à un obstacle qu'à une ouverture.

Projecteurs et ouvertures

Le mot lumière désigne donc deux concepts différents : éclairage ou passage.

Parfois les analogies nous aident à comprendre. Pour cela il faut oser s’éloigner quelques instants de la pensée habituelle. Le fait que le mot lumière désigne en même temps "éclairage" et "passage" nous renseigne un peu sur l’attitude qui nous permet de mieux communiquer, de mieux aborder les différences de points de vue, et même de mieux accéder à ce qui est en nous.

Avec l’intellect, nous avons pris l’habitude de comprendre en réfléchissant (réfléchir pour faire la lumière sur quelque chose… curieux, non !).

Pourtant, plus nous réfléchissons, plus nous développons en même temps des zones d’ombre. Par exemple la science, tout en nous sortant (fort heureusement) de l’obscurantisme médiéval, nous a montré la dimension de notre ignorance.

Nous pourrions dire que l’éclairage correspond à l’intellect et l’ouverture à la conscience.

La science éclaire, la conscience s’ouvre. Les deux ont de l’importance, mais elles n’opèrent pas de la même façon. Dans un prochain article, je parlerai de ce lien particulier entre la science et la conscience.

Habituellement, quand nous parlons d’éclairer, de faire la lumière, d’y voir clair, de comprendre, nous pensons surtout à une puissance de réflexion résultant d’un capacité intellectuelle. Or si cela fonctionne pour résoudre un problème mathématique (encore que l’intuition y a aussi de l’importance), ça ne marche pas pour résoudre les problèmes humains.

La qualité de la communication entre les humains dépend plus de l’ouverture d’esprit que de la capacité intellectuelle. Pour mieux communiquer, il est préférable d’être ouvert plutôt que d’être brillant.

Quelqu’un qui a une ouverture d’esprit aura de la présence et semblera "lumineux", chaleureux, mais sans affectivité (lire l’article sur le piège de l’empathie). Quelqu’un qui essayera d’être brillant sera clinquant, étouffant. Dépourvu de chaleur humaine, même avec du charisme, il ne fera que brûler ou étouffer ceux qui l’approchent (même admiratifs, ils ne seront qu’éblouis, aveuglés, endormis).

Ce qui est vrai pour la communication avec autrui l’est tout autant dans la communication avec soi-même.

Des Ombres comme des Lumières

Cette attitude d’ouverture avec les autres est également fondamentale avec soi-même. Mais saurons-nous nous ouvrir, en nous, à ce qui habituellement nous gêne ?

Combien de fois nous a-t-on rejoué la fable de l’ombre qui est en nous!? Depuis les fautes, les pêchés, le mal et les démons qui nous habitent jusqu’à cet inconscient psy, rempli de choses plus ou moins malsaines où un enfant a la pulsion de tuer son père et de coucher avec sa mère… Certes, aussi bien la religion que la psychologie méritent un regard plus nuancé que ces quelques mots que je viens de jeter dans ce paragraphe. Mais il n’en demeure pas moins que telle est la culture véhiculée, telle est la résultante dans l’esprit du plus grand nombre de personnes. Il n’en demeure pas moins non plus que la lutte contre le mal, hélas,  continue… même si c’est sous des formes plus modernes : Que la lumière soit plus forte… tous à vos lasers! Il faut éradiquer l'ombre, l'exploser !

C’est sûrement là le piège. C’est justement ce type de lumière qui génère de l’ombre. Plus on éclaire pour vaincre, plus on croit y voir clair, plus le mystère s’épaissit, plus l'ombre augmente. Souvent ce que nous identifions comme mal être n'est en fait que ce qui souligne un manque, une zone de vie restée vide, qui attend d'être comblée de notre attention.

Rappelons nous plus haut de l’exemple du tunnel dans la montagne. Et si ce qui semble être de l’ombre n’était en fait qu’un passage. Un passage vers une part de nous-même qui attend un peu d’attention, un peu de considération, un peu d’écoute, de chaleur, un peu d’amour ?

Tout le travail thérapeutique à faire n’est autre que d’accomplir une rencontre entre celui que nous sommes et cette part de soi qui attend.

Pour accomplir cette rencontre aurons-nous l’idée ou le courage de considérer ce qui semble sombre, comme un passage, comme une lumière (comme pour le tube ou le tunnel) conduisant vers ce qui attend notre attention pour guérir?

Seulement faire le lien entre ce passé et ce présent, ce n’est qu’éclairer. Cela peut générer de l’ombre et produire l’inverse de l’effet attendu. Par exemple une personne découvrant qu'elle a développé les mêmes défauts que ses parents peut se désespérer, lutter contre ses défauts et finalement se mettre à se rejeter elle-même (comme elle a autrefois rejeté ses parents). Au contraire elle aurait pu utiliser cette ombre comme une opportunité pour comprendre ses parents. Elle n'aurait pas eu à se rejeter elle-même et en plus, elle aurait récupéré la dimension manquante de ceux dont elle est issue. D'autre part le défaut aurait spontanément disparu car sa seule raison d'être était de permettre un tel cheminement de réhabilitation.

S’ouvrir, c’est vraiment combler le manque, réparer et se libérer définitivement, sans déplacer le problème. C’est éclairer les deux faces à la fois , c’est rendre sa juste place à ce qui était resté en suspend, comme dans une parenthèse de vie et qui attendait notre regard pour venir au monde. Dans l'exemple ci-dessus, c'est vraiment éclairer le parent autant que soi-même. Éclairer l'un ne fait plus d'ombre à l'autre! C'est bien plus qu'un éclairage, c'est une ouverture donnant existence à chacun.

S’ouvrir c’est offrir une lumière à celui qui attend. Lui offrir une lumière, c’est à dire un passage pour être reconnu, entendu, considéré, accueilli, soigné.

La nuit du présent et le présent de la nuit

Nous arrivons donc aux fêtes de Noël et c’est le moment des cadeaux. La nuit de Noël, sous notre latitude est celle du solstice d’hiver (précisément le 21 ou 22 décembre), où la nuit la plus longue précède le premier jour qui rallonge !

C’est donc cet instant particulier de la nuit la plus longue, de l’ombre la plus épaisse… et pourtant celle où les cadeaux vont arriver.

C’est la nuit du présent (du cadeau). C’est donc le moment à vivre pour recevoir le présent de la nuit. C’est à dire ce passage qui permet d’aller vers plus de jour. Ce passage, même quand il est sombre, n'est peut-être qu'un généreux tunnel offrant un judicieux passage vers soi et vers les autres.

Cette nuit du présent peut être la symbolique de l'instant présent (l'instant cadeau), qui à chaque moment de l'existence peut donner beaucoup à celui qui s'y ouvre.

Un des cadeaux à s’offrir et à offrir aux autres est sûrement  d’apprendre à éclairer sans faire d’ombre, à expliquer sans chercher à convaincre. Développer une attitude de respect. Développer cette attitude envers les autres, mais aussi envers soi-même (il est plus important de savoir accueillir ce qu'on est que d'apprendre à le maîtriser). Pour être meilleur, ne devenons pas un autre: cessons plutôt d'être un autre.

Les différents articles de ce site vous indiqueront quelques pistes pour y parvenir. Que ce soit sur la communication, sur la psychothérapie ou sur les diverses applications personnelles, familiales ou professionnelles

De nombreux détails se trouvent aussi à votre disposition dans les publications d'ouvrages dont vous trouverez les titres sur ce site

De la peur du noir quand on est petit, aux besoins d’explications quand on est grand, la même inquiétude nous poursuit:: nous n'aimons pas ne pas savoir, ni ne pas voir.  Pour s'en libérer, pour ne plus subir l'ombre, il est probablement plus important  d'être ouvert que d'être brillant. Inutile de se déguiser en sapin de noël avec des guirlandes clignotantes!

Sur l'acception de "ne pas savoir", je vous proposerai aussi plus tard un article car c'est un point fondamental.

 

Thierry TOURNEBISE

 

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