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Liberté et richesse de pensée
25/09/2000    -    © copyright Thierry TOURNEBISE

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« Je suis né, je l’avoue, avec une tournure d’esprit telle, que le plus grand plaisir de l’étude a toujours été pour moi, non pas d’écouter les raisons des autres, mais de les trouver par mes propres moyens » (René Descartes Règles pour la direction de l’esprit, Règle X)

Lire aussi la publication de novembre 2006 
René Descartes L'élan d'une Science Humaine

Rester libre des écoles de pensée

Pour mener une réflexion constructive, la pensée doit s'organiser et se structurer. Une certaine rigueur est ainsi nécessaire afin que la réflexion ne parte pas dans tous les sens et évite de confondre les hypothèses et les certitudes.

Pourtant,  la créativité et la richesse d'une réflexion n'apparaissent que si la pensée se sent  libre de vagabonder comme bon lui semble. 

C'est là tout le paradoxe des enseignements. Pour être enseignée, une idée doit être organisée afin d'être transmise. Mais le risque de cette organisation est qu'elle peut la rendre rigide et constituer une sorte de dogme. Alors, même si le projet initial est d'enrichir la réflexion de ceux qui étudient, il se produit l'inverse.

Souvent un enseignement produit malencontreusement cette rigidité et conduit à des idées exclusives. Quelle qu'en soit la richesse, il ferme alors l'esprit et freine sa réflexion. 

Nous ressentons bien cette nécessité d'être libre des écoles de pensée afin de ne s'enfermer dans rien. S'il est évident que le premier danger est représenté par les sectes, la pensée sectaire est aussi une belle entrave dans tous les domaines de la société (sport, travail, politique, vie familiale ...etc. 

Or, si pour la sécurité de notre liberté les sectes sont identifiables, la pensée sectaire, elle, est beaucoup plus pernicieuse car elle se trouve n'importe où.

Un peu de clarté sur ce qu'est la liberté de penser est donc un moyen de ne pas se laisser abuser et de garder une réflexion fructueuse et une créativité satisfaisante. C'est aussi le moyen de ne pas renier ce que nous ressentons profondément et qui constitue l'essence de nous-mêmes.

Rester libre même de la liberté

Ne s'attacher à aucune école  est donc une condition nécessaire à la richesse de pensée, à la progression et au respect de soi. Mais elle n'est pas suffisante car le risque est alors de prendre une distance excessive avec la pensée des autres

C'est aussi un piège d'être "attaché à la liberté"... cela peut sembler  paradoxal, mais c'est aussi un attachement!

Tout contient une richesse. A trop se protéger, à trop craindre la rigidité, à trop craindre d'être pollué par autrui, à trop défendre ses propres idées, croyances et attachements personnels, on risque de passer à côté des nombreuses ressources qui nous entourent.

La liberté doit s'accompagner d'ouverture d'esprit, sinon elle se transforme en anarchie ou en individualisme tournant en rond dans une réflexion personnelle stérile.

Autant l'attachement à une école de pensée ferme l'esprit, autant l'attachement à la liberté ferme la réflexion. Si nous sommes attachés (même à la liberté), nous ne sommes pas libres! 

Liberté sans attachement

Le protectionnisme intellectuel et ses querelles de clochers sont évidemment nuisibles à une réflexion saine et productive. L'attachement à la liberté réserve quelques pièges aussi. Alors quelle est l'attitude juste?

Il s'agit de trouver ce délicat équilibre qui n'est ni l'un, ni l'autre... ni entre les deux. L'erreur consiste souvent à croire que la sagesse se trouve comme une moyenne entre deux extrêmes. C'est certainement une aberration. La moyenne de deux erreurs ne donne pas une chose juste. Ce qui est juste n'est, ni l'un, ni l'autre, ni entre les deux. C'est autre chose

Cette autre chose est une ouverture d'esprit aux deux possibilités auxquelles on pense (plus à d'autres éventualités que nous ne connaissons pas encore) sans être attaché à aucune. C'est de ne pas être attaché du tout et de se sentir libre de considérer toute pensée nouvelle sans risque de pollution intellectuelle.

Hypothèses et certitudes

La pensée scientifique a tenté de se rapprocher de cette sagesse en séparant bien les hypothèses des certitudes. L'esprit scientifique, en principe, ne considère comme vrai ou faux que ce qui a été démontré par l'expérience. Ainsi, tout ce qui n'est pas explicitement démontré par l'expérience comme vrai ou faux reste alors dans le champs des hypothèses possibles

Pour un scientifique, une chose n'est acceptée comme une certitude que quand, de façon reproductible, une expérience au protocole précis donne systématiquement le même résultat. Mais notons qu'il y a une grande différence entre :

- Ne retenir comme vrai que ce qui est démontré (ceci est parfaitement correct et reflète une certaine sagesse)
- Considérer comme faux ce qui n'est pas démontré (ceci est parfaitement abusif et reflète une certaine folie)

Le scientifique a souvent perdu toute sagesse, en développant un nouveau système de croyance considérant comme faux ce que l'expérience n'a ni avéré ni réfuté . Sa peur des croyances (légitime) le plonge alors inconsciemment dans d'autres croyances (pernicieuses) qui lui ferment des champs d'exploration nouveaux. 

Heureusement, tous les scientifiques ne tombent pas dans ce piège et c'est ainsi que certain d'entre eux ont permis les avancées plus innovantes (les autres ne font que tourner en rond en ronronnant ce qu'on leur a enseigné). 

Les ressources en soi

Pour accéder aux hypothèses, il est utile d'être ouvert à ce qui nous vient de l'extérieur, mais aussi et surtout d'être ouvert à tout ce qui nous vient de l'intérieur

Ce qui nous vient à l'esprit, ce que nous ressentons, nos intuitions,  constituent un réservoir extraordinaire de créativité (poétique, scientifique, humaine, technique ....) Or nous sommes généralement assez inconscients de ce potentiel qui n'est culturellement accordé qu'aux artistes, aux poètes... et encore seulement à ceux que les musées ou la littérature nous mettent en exergue car le talent ne semble réservé qu'à une élite! 

De cette façon qui ose s'aventurer dans une créativité qui sort des sentiers battus? Nous pouvons remarquer, que quand il y a les maîtres... et ceux qui les admirent, le potentiel de chacun s'étiole (mais naturellement on peut apprécier quelqu'un, et ce qu'il fait sans tomber dans cette fascination).

Il y a tellement de choses que nous ressentons et que nous avons pris l'habitude de ne pas entendre, en laissant aux spécialistes le soin de penser pour nous! Cependant, pour chaque chose nouvelle, il a fallu que quelqu'un y pense en premier. Or ce quelqu'un peut être n'importe lequel d'entre nous et il est important de ne pas laisser autrui décider à notre place de ce que nous ressentons et pensons.

Nos ressources intérieures sont plus importantes que nous ne l'imaginons. Pour chaque chose qui se passe nous avons une idée, un ressenti. Celui-ci peut être le point de départ d'un regard nouveau sur quelque chose que personne n'avait vu ainsi auparavant.

Naturellement tout ce que nous pensons et ressentons est juste, par rapport à ce que contiennent notre histoire et notre esprit, mais ne l'est pas forcément par rapport à des éléments objectifs extérieurs. S'accorder cette créativité est important, mais l'accompagner de rigueur et d'humilité l'est tout autant

 

L'humilité d'écouter l'autre

Quand nous avons trouvé et réhabilité cette ressource intérieure, celle-ci peut encore être polluée par notre ego. De même que l'adolescent a plein d'idées et rejette ce que pensent ses parents, celui qui retrouve cette ressource intérieure risque de se croire investit d'une vérité unique et de ne plus écouter les autres. 

Alors qu'il vient d'échapper à l'enfermement sectaire dans la pensée d'autrui, il tombe maintenant dans la prison intellectuelle qu'il vient de se fabriquer lui-même. Or, que la secte soit dehors ou dedans... la liberté en prend un coup!

Dans notre culture (et dans beaucoup d'autres), il est urgent de réapprendre (ou d'apprendre) à écouter et entendre ce qui est en nous. La valeur de nos ressentis et de nos pensées a trop été bafouée. Mais dans le même temps il est fondamental de garder une ouverture d'esprit sur les découvertes et la pensée des autres.

C'est l'ensemble de notre propre créativité et celle des autres qui permet la plus grande richesse. S'il est judicieux de ne pas permettre à la pensée d'autrui de gérer notre réflexion et de développer en nous des croyances réductrices, il est tout aussi fondamental d' y rester ouvert.

C'est ce que j'appelle l'affirmation de soi sans ego. Elle permet d'oser être vu sans avoir besoin de se mettre en avant, de n'avoir ni fierté ni effacement. D'être présent plutôt que brillant (clinquant)

Mais ne tirons pas à boulet rouge sur cet ego... c'est la moins mauvaise solution en attendant de développer suffisamment d'affirmation de soi. 

 

La maturité de penser par soi-même

L'affirmation de soi sans ego permet de considérer ce qui est reçu de l'extérieur avec acuité et de privilégier ce qui est en accord avec notre ressenti et notre expérience.  

De la même manière cette affirmation de soi sans ego permet de confronter ce qui est ressenti en soi avec ce qui nous vient de l'extérieur

L'affirmation de soi  sans ego permet de s'ouvrir à ce (et surtout à "ceux") qui nous entourent sans pour autant les laisser nous dicter notre pensée. Il en résulte une créativité accrue . 

Cette "liberté de pensée" est riche et structurante. Elle est bien sûr très différente du désordre anarchique qui ressemble seulement à une révolte d'adolescent. Elle est le signe d'une maturité qui marque peut-être un passage à l'état adulte.

Trop souvent la pensée est soit rigide quand elle se veut rigoureuse soit confuse quand elle se veut libre. Elle gagne à n'être ni rigide ni confuse. On accède ainsi en même temps à sa propre richesse intérieure tout en bénéficiant des inestimables apports extérieurs. 

Beaucoup de gens ont pensé des choses fabuleuses à toutes les époques. Il y a ceux qu'on connaît (certains scientifiques, philosophes, poètes ...etc.) puis tous les autres... N'oublions pas qu'il y a certainement eu une infinité d'hommes et de femmes qui ont eu des ressentis subtils, des regards nuancés sur la vie, des idées géniales... mais qui n'ont pas laissé de postérité.

Il y en a eu et il y en a aujourd'hui. Nous en faisons tous partie.

Conclusion

La liberté de pensée est quelque chose de plus rare qu'il n'y paraît. Elle est pourtant une composante incontournable de la créativité. Il y a toujours eu des personnes qui ont pensé les premiers à certaines choses innovantes. Ce peut être chacun d'entre nous. 

Cette inspiration et cette acuité jaillissent particulièrement quand la liberté est associée à l'affirmation de soi sans ego permettant en même temps d'être ouvert à soi et au monde qui nous entoure. Elles jaillissent encore mieux quand on est libre même de la liberté!

Cela permet un cheminement souple mais rigoureux, lucide et sensible, libre des dogmes et des croyances, sans pour autant passer à côté de la richesse qu'ils véhiculent.

Je vous livre dans cet article ce qui fait partie de mon expérience. La vôtre vous conduit peut-être à penser avec d'autres nuances... ou peut être même de façon opposée? Certainement avons-nous chacun des raisons pertinentes qui appellent réflexion et remise en cause. Nous avançons tous grâce à ces remises en cause qui ne sont possibles que lorsque nous sommes libres des dogmes autant que des modes.

Ainsi, tout ce qui est écrit dans ce site sur la communication , la psychothérapie  et la maïeusthésie doit rester évolutif et sera sans cesse ajusté par l'expérience à venir. Chacun de vous , riche de sa propre expérience peut lui trouver des ajustements et des développements auxquels je n'ai pas pensé car nos expériences de vie sont différentes. Ce qui échappe à l'un peut être vu par l'autre et vice versa. 

La richesse de la pensée naît de la liberté et de la communication.

Thierry TOURNEBISE

 

 

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René Descartes L'élan d'une Science Humaine

 

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