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Un Quelqu'un en habit de Personne
20/03/2001    -    © copyright Thierry TOURNEBISE

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Cet article concerne tous ceux qui souhaitent mieux comprendre les notions d'affirmation de soi, maîtrise de soi, ego, personnalité, statut social, ...etc. 

Ces notions, associées à la vie professionnelle ou personnelle, invitent à une plus grande qualité de communication avec ceux qui nous entourent, tant dans le travail que dans la vie familiale... que dans le rapport que chacun entretien avec soi-même. 

Être ou paraître ?

Superbe contradiction que le mot "personne". Il veut en même temps dire "Quelqu’un" et "Pas quelqu’un" Nous comprenons bien cela quand nous découvrons que personne vient de personna qui, en langue étrusque, signifiait masque de théâtre. Nous voilà donc dans une histoire d’identité et de masques.

Ce double sens du mot "personne", apparemment contradictoire, s’harmonise très bien avec le fait que la personnalité ne désigne pas ce que nous sommes, mais plutôt le (ou les) personnage(s) que nous jouons. Le "quelqu’un" est l’acteur, l’individu. La personnalité, elle, est le personnage joué. Une sorte de stratégie carnavalesque inconsciente pour assurer notre quotidien social.

Le mois dernier je vous ai proposé un article sur la passion qui permet de sortir de l’ego. La St Valentin était le symbole de cette sortie du moi. Mais ce jeu de cache-cache entre le quelqu’un et le personne, trouve aussi une autre opportunité en février. Nous célébrons ainsi ce mois là deux fêtes remarquables que pourtant rien ne semble réunir : la St valentin le14, et le mardi-gras qui se trouve le 27 en 2001 et le 12 en 2002.

Ces fêtes se poursuivent en alternance dans une amusante opposition : le mardi-gras annonce le carême avec ses quarante jours de jeûne et d’abstinence alors que la St Valentin nous invite à la passion amoureuse. Quand le mardi-gras tombe avant la saint Valentin… la fête des amoureux au beau milieu de l’abstinence!… ce n’est vraiment pas de chance !

Heureusement, les amoureux sont certainement suffisamment amoureux pour vivre tout de même ce qu’ils ont à vivre !

Bas les masques avant le printemps

Comme pour mieux symboliser notre problématique d’un excès de personnage, les masques et les costumes, juste avant le mois de mars nous préparent sans doute à devenir un "quelqu’un plus authentique". Peut être les cendres du bonhomme carnaval constitueront-elles un bon engrais pour amender notre conscience souvent trop peu fertile.

Le printemps est un moment de renaissance où, au sortir de l’hiver, la végétation qui semblait morte revient à la vie. Plus de soleil, des journées de plus en plus longues, une déferlante de pollinisation et de fécondation. Comme la promesse d’une vie qui commence.

Ce n’est pas pour rien que le mot "printemps" signifie "premier temps" du latin primus tempus. C’est une sorte de prime time de la vie. Remarquez que si nous comptons les mois en tenant compte du nombre contenu dans leur nom, nous trouvons : décembre (dix), novembre (neuf), octobre (huit), septembre (sept) en remontant ainsi en arrière nous pouvons poursuivre avec les autres mois qui ne portent plus le stigmate de leur nombre pour arriver à mars (un) Voici donc une autre sorte de premier mois.

Après le premier janvier, qui est notre "premier temps" de l’année, mars marque un second "premier temps" : celui de la renaissance de la vie. Pour préparer cet événement, février nous propose la St Valentin avec la passion qui libèrera de l’ego et le mardi-gras qui invite à la disparition des apparences avec la crémation du personnage carnaval.

Ces deux fêtes nous préparent à un "premier temps" d’authenticité après avoir traversé la passion et la mascarade.

Une certaine façon de jouer la vie

L’hiver, les arbres semblent morts. Mais nous savons tous qu’en réalité, ils cachent en eux une vie encore invisible.

Peut être le carnaval nous rappelle-t-il que, d’une manière similaire, les êtres humains cachent ce qu’ils sont derrière une apparence dérisoire ou grotesque. Et cette apparence ne laisse pas non-plus présager de la vie ni de la si précieuse dimension de l’individu.

Ces costumes sont une façon de jouer la vie sans être vu… ou plutôt d’être vu sans être reconnu. Ce paradoxe de vouloir être vu sans être reconnu anime notre existence sociale où l’intérêt (pour les choses) est souvent plus important que l’attention (pour les gens) Cela conduit tout naturellement à faire l’intéressant avec quelque chose d’extravagant pour se faire remarquer… mais sans être reconnu.

Cet excès de l’intérêt donne au monde un aspect aussi mort que les arbres dénudés, et il faut au moins le carnaval pour sortir de cet endormissement hivernal (de même qu’il fallait aussi au moins la passion pour sortir de l’ego).

Les "autres" admireront le "costume" sans pour autant atteindre l’intimité de l’être. D’un autre côté, cela permettra à l’être de s’exprimer comme bon lui semble puisque grâce à son costume il ne peut être identifié.

Il peut ainsi se libérer de ses refoulements dans un lâcher prise salutaire. Il prépare alors l’émergence de la vie qui est en lui et, de cette manière, peut s’exprimer à l’abri des "prédateurs" de différence.

Ce "costumage" ressemble curieusement à notre quotidien habituel. Comme si au moment du carnaval on se mettait à faire symboliquement ce qui se fait tout au long de l’année… sauf que dans le carnaval c’est caricatural et exacerbé.

Notre costume quotidien

Dans une sorte de dévotion pour le factice, la diversion quotidienne, que représentent le costume, le statut social ou professionnel est très présente. Cette diversion est si présente que l’on dit "je suis médecin", "je suis tourneur", "je suis agent d’entretien", "je suis directeur"… s’agit-il de la fonction, de l’individu ou du personnage? On entend même des personnes ayant vécu la dépendance à l’alcool dire "je suis malade alcoolique" ou d’anciens toxicomanes dire "je suis ex toxicomane" comme s’il s’agissait d’une identité!

Nous sentons ici une valse des étiquettes qui fait les mirages et la douleur de la société et du monde professionnel. Dans ce dernier, la douleur se trouve même entretenue par le terrible "credo" selon lequel il est de bon ton de "savoir se vendre" (voir à se sujet l’article "Chercheurs d’emplois" d’octobre 2000). 

L’étiquetage fait, il n’y a plus qu’à se mettre sur l’étalage !

Notre époque mélange ainsi la production, les producteurs, les fonctions professionnels et les statuts sans les différencier de l’humain. Nous constatons alors que les gens adoptent comme identité le déguisement que constitue leur personnage. Mieux encore, il se font souvent "tailler un costume" par les collègues ou les voisins… quand ce n’est pas par les membres de leur propre famille !

Quand celui qui est déguisé, en plus se fait costumer… où est la véritable identité ?

Une telle fragilité de l’existence à travers le statut n’est vraiment conscientisée que par ceux qui en sont privés. Rien de tel qu'une "bonne période de chômage" par exemple pour réaliser à quel point le personnage professionnel sert de soutient et nous porte à nous croire plus forts que nous ne le sommes. L’apparente affirmation de soi, de celui qui est bien installé dans la vie, est vite mise à mal par une perte de statut.

Pour se déguiser, certains mettent des masques, d’autres des costumes… d’autres des statues (oh pardon ! des statuts) Il y a des personnages en béton, d’autres de marbre. Certes ces déguisements sont un peu lourds, peu maniables, mais il semble que ceux qui les portent n’assurent leur sécurité qu’à ce prix.

"Personnagite" généralisée

Dans le travail

Le monde professionnel semble le lieu privilégié pour s’habiller en personnage. Quand vous parlez à votre directeur ou à votre collaborateur, vous adressez vous à l’individu qui est à ce poste ou à la FONCTION?

Trop souvent, parfois toujours, on s’adresse avant tout à la fonction. Ceci appuyé par le fait qu’on doit être interchangeable, que nul n’est indispensable et qu’il faut que le travail continue même en l’absence de l’agent. Si ces derniers points sont justes, ils n’empêchent en rien le fait que quand quelqu’un se trouve à un poste, ce n’est pas au poste qu’on s’adresse mais au "quelqu’un" qui s’y trouve, même s’il n’est qu’intérimaire.

Cela n’a rien à voir avec de l’amitié ou du copinage, ni même avec l’habitude de voir toujours la même tête. C’est simplement la logique qui veut qu’on s’adresse au "quelqu’un" plutôt qu’au "quelque chose". Ceci est même un fondement (hélas trop méconnu) de la valorisation des ressources humaines (article sur la distance dans le management).

Quand vous montez dans un taxi, vous adressez-vous au chauffeur ou au volant ? Essayons de nous rappeler qu’une fonction n’est qu’un poste de pilotage et ne peut en aucun cas être un interlocuteur. Il serait utile de parler au pilote plutôt que d’entretenir un échange illusoire et stérile avec un volant ou un manche à balai. Qu’il s’agisse d’un pilote d’avion ou d’un agent d’entretien, aucun n’aimera être assimilé à un manche à balai.

Dans la famille

Quand nous sortons du domaine professionnel, nous pensons peut-être en avoir fini avec les personnages pour aller vers une vie familiale plus riche de compréhension et d’authenticité.

Malheureusement l’épidémie de "personnagite" ne touche pas que le monde professionnel. La contagion est sérieuse !

Quand nous parlons à notre enfant, nous adressons nous à l’individu qu’il (ou elle) est ou nous adressons-nous à NOTRE ENFANT? Quand nous parlons à notre conjoint, parlons-nous à l’individu qu’il (ou elle) est ou parlons-nous à NOTRE CONJOINT? Quand nous avons un échange avec l’un de nos parents, avons-nous un échange avec l’homme ou la femme qu’est notre parent ou bien avons-nous un échange avec NOTRE PARENT?

Ici le personnage n’est plus une fonction, mais une position dans l’organigramme familial. Au lieu de s’adresser à l’individu qui se trouve à cette place il y a une fâcheuse tendance à s’adresser à la place elle-même. Alors cela devient comme dans le jeu des 7 familles: dans la famille Personne je voudrais la mère !

Curieusement les gens qu’on aime le plus, sont souvent ceux qu’on entend le moins. Croyant les connaître nous passons notre temps à les imaginer plus qu’à les écouter. Nous les "connaissons" tellement qu’ils n’ont pas prononcé trois mots et nous "savons" ce qu’ils vont dire… alors nous imaginons le reste, omettant simplement de nous ouvrir à ce qu’ils avaient vraiment à exprimer. Si cela vous étonne, lisez l’article de novembre sur les pièges de l’empathie.

La farandole costumée du carnaval est une bonne représentation de notre quotidien où le masque semble dominer le monde relationnel. Et il y a un roi dans cette fête : le Bonhomme Carnaval. C’est le plus gros et le plus grotesque. On finit le défilé en le brûlant dans la joie… et ce, malgré le temps, le soin et l’énergie dépensés à le fabriquer.

Saurons nous faire de même avec nos représentations factices ? Peut être leurs cendres fertiliseront-elles le sol afin de le préparer à un premier temps. Un printemps de l’individu qui, enfin reconnu et existant, deviendra riche de créativité, d’énergie, de communication, de travail, de respect, de considération et de tout ce qui fait la vie.

De la personnalité vers l’individu

Idées et réalités

Notre énergie est souvent bien plus investie à soigner notre personnage plutôt qu’à permettre à l’individu que nous sommes d’exister. Il en découle que nous sommes souvent maladroits quand il s’agit de permettre aux autres d’exister aussi.

Certes nous débordons de bonnes intentions, de bonnes idées et de générosité. Mais nous sommes plus doués en philosophie du respect d’autrui que dans l’attitude de respect elle-même.

Nous sommes prêts à généreusement défendre des idées sur l’accueil de la différence et contre le racismemais sommes nous seulement prêts à entendre une simple différence de point de vue, même de notre conjoint, sur un film, une émission télé, un lieu de vacances, sur le fait d’avoir ou non plus d’enfants, sur ses parents (et bien d’autres thèmes…) ! ?

Il faut se rendre à l’évidence que la réalité n’est pas philosophique. Même si la philosophie est utile, les représentations mentales ne sont pas tout. Guignol a du succès pour les enfants. Les marionnettes peuvent être un art. Mais elles ne peuvent être considérées comme des êtres humains. Le guignol que nous nous fabriquons n’est peut-être pas toute la vie, même si parfois il symbolise très bien nos faiblesses et nos meurtrissures !

Un moment déterminant

Souvent, l’individu ne prend conscience de tout cela que quand l’énergie qu’il utilise pour élaborer son (ou ses) personnages vient à lui manquer. Cela survient parfois pour des raisons de maladie qui le privent de ses ressources habituelles. Cela peut aussi survenir quand il atteint un grand âge ne lui permettant plus de faire semblant. Cela arrive également quand il traverse l’épreuve de la déprime où l’absence d’intérêt révèle le dérisoire des illusions de l’activisme.

Non accompagnés, il arrive que de tels moments le cassent plus qu’ils ne l’aident à se construire car notre culture nous a plus habitué à les combattre qu’à en tirer profit. Ne nous a-t-on pas répété qu’il faut être beau et fort, ne pas trop s’écouter, rester jeune, se dépasser, être brillant…

Avons-nous entendu une invitation à être soi ? Avons nous entendu que ce soi est précieux. Avons nous entendu que celui que nous sommes, tous ceux que nous avons étés et tous ceux dont nous sommes issus sont précieux et fondent notre structure psychique. Avons nous entendu que c’est même ce qu’il y a de plus précieux en nous ? Que c’est la ressource qui nous donne notre énergie et notre créativité ?

Non. Nous avons plutôt entendu "ne t’écoute pas, maîtrise toi" (signifiant innocemment: "ce que tu es n’est pas terrible, remplace le par autre chose!")

Alors, malmené par ces injonctions répétitives, un individu n’a souvent pas accompli cette forme de naissance dans sa vie courante. Il développera plutôt l’habitude de jouer des personnages dans lesquels il aura tendance à se noyer.

Dans son grand âge, il lui restera tout de même l’opportunité de la maison de retraite pour découvrir d’un seul coup un monde privé de compensations et de faux-semblants. Espérons qu’il s’y trouvera du personnel compétent, capable de l’aider à accoucher enfin de lui-même. Mieux vaut cela à la dernière étape de la vie que pas du tout! Mais pour faire d’une maison de retraite un lieu propice à une telle naissance, il est utile de former le personnel à des nuances auxquelles il n’est pas habitué. Il y aurait à ce sujet beaucoup de choses à dire sur l’autonomie et la démence dont je parlerai dans un prochain article.

Présence et affirmation de soi

Au fond, pourquoi attendre cette ultime possibilité ? Chaque fin de carnaval nous invite déjà à ne pas nous accrocher aux apparences grotesques.

Chaque Bonhomme carnaval brûlé nous invite à ce premier temps de l’existence. Un printemps de l’individu qui jusque là se trouvait caché dans du bois mort et peut soudain laisser émerger la vie qui sommeille en lui.

L’affirmation de soi, c’est l’accueil de soi. L’accueil de soi, c’est l’accueil de celui que l’on est, de tous ceux que l’on a étés et de tous ceux dont nous sommes issus.

Chaque instant du quotidien, chaque ressenti présent est une opportunité nous accompagnant vers la "mise au monde" de ces multiples parts de soi en attente. Que ce soit de façon spontanée ou au cours d’une psychothérapie, ceci est un processus naturel qui fonde la vie de chacun d’entre nous.

C’est ainsi que nous gagnons en maturité, en présence et en authenticité au fur et à mesure du déroulement de notre existence.

Ceci nous conduit à être de plus en plus soi-même afin d’être de plus en plus ouvert aux autres. Nous avons ainsi de plus en plus de présence et de moins en moins d’ego. Nous savons alors différencier la qualité sociale de celui qui est brillant (pour ne pas dire clinquant) et de celui qui a de la présence.

Il ne s'agit pas de devenir un autre, mais plutôt de cesser d'être une autre.

Au fond, le mot présent ayant plusieurs sens, "être présent" signifie aussi "être cadeau" Si nous avons bien compris la différence entre la spontanéité et la réactivité, être soi, c’est offrir à l’autre ce qu’il y a de meilleur en nous.

Thierry TOURNEBISE

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