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Validation existentielle

Point majeur dans l'aide psychologique

10 septembre 2008    -    © copyright Thierry TOURNEBISE

 

Il y a déjà de nombreuses années que la validation est au cœur de mon approche de la communication, de la psychothérapie et de l’accompagnement psychologique telle que je la propose en maïeusthésie. Mais il n’y a pourtant pas si longtemps que je suis en mesure d’en formuler le principe sur le plan existentiel, avec une précision suffisante pour ne pas la dénaturer, surtout par écrit, dans une publication.

En effet la validation existentielle est tout sauf technique. Elle ne peut se ramener à quelques explications ou méthodologies, aussi précises et délicates soient-elles. Il s’agit d’ouverture, de sensibilité et de reconnaissance (ça je l’ai déjà souvent évoqué dans mes écrits), mais avec des  nuances supplémentaires essentielles.

Je vais tenter ici de la mettre en mots afin d’offrir aux praticiens quelques aspects de cette validation, dont certains reconnaîtront des choses qu’ils pratiquent, et dont d’autres pourront ajouter ces nouvelles nuances à la façon d’aborder leurs patients. Les usagers de l’aide psy sont aussi concernés ici pour comprendre ce qui fait les ressentis de celui qui reçoit une telle aide

 

Sommaire

1 Notions existentielles 
-Divers auteurs
-Feed-back: notion trop floue
-Précisions sur les types de validation
2 Le pas existentiel
-Définition de "existentiel"
-De la validation cognitive à la validation existentielle
3 La validation existentielle

-Ce qu'on regarde "fait notre regard"

-Savoir "être touché"-Ressentir une réjouissance affirmée

-Le sens des flux

4 Incidence dans l'aide psychologique

-Chercher la justesse et non l'erreur
-Besoins élevés et accomplissement
-Durée et profondeur des thérapies

-Néanmoins toute une vie pour le "Soi"

Bibliographie

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1     Notions existentielles

1.1Divers auteurs

La validation n’est pas un phénomène nouveau. De façon implicite, divers praticiens l’approchent à leur façon, sous l’angle de leur expérience ou de leurs recherches.

C’est avec bonheur que nous lisons Carl Rogers nous invitant à une reconnaissance inconditionnelle du Soi, entre autre avec l’exemple de Mrs Oak (2005, p.57). André de Peretti, ami personnel de Rogers le cite dans son ouvrage Présence de Carl Rogers : « Pour moi l’individu qui parle est plein de valeur (worthwile), digne d’être compris, en conséquence il est plein de valeur pour avoir exprimé quelque chose. Des collègues disent qu’en ce sens je "valide ", la personne » (de Peretti - 1997, p.211). Rogers, dans son ouvrage La relation d’aide et la psychothérapie,  nous énonce ce qui entrave la validation « Souvent le début d’une étude diagnostique d’un individu, barre effectivement la route à une aide satisfaisante » (Rogers, 1996, p.63). En effet, une idée préconçue ne permet pas de valider le patient dans ce qu’il est, ni dans ce qu’il ressent. Nous avons trop souvent confondu la psychologie « qui mesure afin de diagnostiquer », faisant du praticien une sorte de géomètre de la psyché, et la psychothérapie « qui accompagne le sujet en souffrance », faisant du praticien une sorte d’accoucheur de la psyché.

 Abraham Maslow, docteur en psychologie, nous interpelle sur le fait que « la majeure partie de nos connaissances sur la motivation humaine ne provient pas des psychologues, mais de la pratique des psychothérapeutes » (2008, p.55). Naturellement ce clivage un peu dichotomique des deux professions n’est pas toujours juste car certains psychologues sont aussi psychothérapeutes.  Cependant, à la base, il ne s’agit pas vraiment des mêmes métiers.

Parlant de son approche humaniste en psychothérapie, Carl Rogers précise : « Cette nouvelle perception, cette compréhension et cette acceptation de soi constituent le plus important aspect de la méthode » (Rogers - 1996, p.53).  De Peretti le cite « Il est relatif à moi qui me réjouit du privilège d’être la sage-femme d’une nouvelle personnalité, qui assiste avec une stupeur sacrée à l’émergence d’un moi, d’une personne, qui voit se dérouler une naissance à laquelle j’ai pris une importante part de facilitation » (De Peretti, p.1997, p.17) ajoutant « ... nous portons une attention émerveillée aux forces puissantes et ordonnées qui sont évidentes dans toute l’expérience, forces qui semblent profondément enracinées dans l’univers total » (ibid.) Je parlerai plutôt d’émergence d’un « Soi », que d’émergence d’un « moi », dans l’expérience rapportée par Rogers, mais je ne peux que partager son propos sur de nombreux points. J’ai déjà abordé cela en détail dans ma publication d’avril 2008 « Psychopathologie ».

Nous aurons le même bonheur à découvrir que Roger Muchielli nous invite à la reconnaissance du vécu plus que de l’événement, en ne posant que des questions sémantiques (questions décontextualisées, portant sur le ressenti) permettant d’identifier des patterns (liens émotionnels entre plusieurs situations différentes) (p.65, 2004) De son côté, Jean-Claude Abric nous rappelle « l’orientation non directive » de Rogers où le « client » se sent accepté et peut ainsi communiquer avec lui-même (2004 p.38)

Nous pouvons aussi nous réjouir particulièrement du propos de Karl Jaspers nous confiant dans son ouvrage Psychopathologie générale : « Dans la vie psychique malade comme dans la vie saine, l’esprit est présent » (2000, p274). Il nous montre ainsi notre interlocuteur en attente de reconnaissance, toujours présent dans toutes les situations, pourvu que sa pathologie ne nous aveugle pas sur  le fait que lui, il est bien là.  

Nous ne pouvons aussi qu’être touché de lire avec quelle humilité Donald Wood Winnicott nous confie comment il a manqué la reconnaissance de certains de ces patients : « Je suis consterné quand je pense aux changements profonds que j’ai empêchés ou retardés chez les patients appartenant à une certaine catégorie nosographique par mon besoin personnel d’interpréter. […] C’est le patient et le patient seul qui détient les réponses » (1971,  p.163). Il s’est aperçu, comme Rogers combien la connaissance en psychopathologie peut conduire à  l’inverse de ce pour quoi on l’utilise.

S’approchant au plus près de la notion de validation nous trouverons surtout avec un grand délice Noami Feil. Elle nous apprend à reconnaître une valeur inestimable dans les propos apparemment incohérents d’une personne démente de type Alzheimer. Elle nous montre qu’on n’a pas besoin de savoir de qui parle le sujet pour valider l’importance que cet « autre » a pour lui. Je vous invite à ce propos à découvrir la touchante histoire de Florence Trew, qu’elle  nous rapporte dans son excellent ouvrage « Validation mode d’emploi » (1997, p.19)

Dans la notion existentielle, nous pourrions aussi parler de Martin Heidegger avec le Dasein (« l’être là » ou « l’être au monde »), Eugène Gendlin avec le focusing (2006), ainsi que Gordon Allport et Rollo May (1971) ou, en psychanalyse, Jung introduisant la notion du Soi (voir à ce sujet la publication « ça, moi, surmoi et Soi » de novembre 2005). Ces praticiens et auteurs nous proposent une prise en compte de l’Être, plus mise en avant que la psychopathologie.

Abraham Maslow, est hélas trop souvent évoqué de façon réductrice avec la fameuse « pyramide des besoins »… alors que cette illustration « pyramidale » ne vient pas de lui mais de quelques successeurs qui ont interprété son propos. Maslow propose, en fait, un regard très sensible sur l’humain, très nuancé et rempli d’humanité. Il se désolait qu’on mette son attention sur la pathologie plutôt que sur les potentialités, que la psychologie ait passé tant de temps sur ce qui fait la maladie, au lieu de se demander ce qui fait la santé. Concernant l’enfant il nous fait même remarquer que le regard porté par les praticiens ressemble à une projection des problèmes de l’adulte sur l’enfant, dont ils ignorent la richesse fondamentale (2008, p.151)

Nous ne pouvons qu’être profondément reconnaissant à tous ces praticiens qui ont attiré notre attention vers l’être comme comptant plus que les idées ou les techniques, même en cognitivisme, avec par exemple Jérôme Bruner qui dénonce ces dérives « psychothéchnologiques » comme étant de vulgaires « méthodolâtries » nous éloignant de la réalité de l’individu (1997, p.13). Dans un autre domaine nous serons sensible à René Descartes qui insistait sur l’importance que les potentialités ne soient pas assombries par le fait de suivre aveuglément ses précepteurs : « Je suis né, je l’avoue, avec une tournure d’esprit telle, que le plus grand plaisir de l’étude a toujours été pour moi, non pas d’écouter les raisons des autres, mais de les trouver par mes propres moyens » (Règles pour la direction de l’esprit, Règle X, 1999, p.69) et parlant de celui qui se laisse piéger par les dogmes  « …dès l’enfance il a pris pour la raison ce qui ne reposait que sur l’autorité de ses précepteurs… » (1999, p.898). Il avait remarqué à quel point un échafaudage intellectuel assombrit les potentialités du bon sens et de la valeur d’un individu. Il aurait tout aussi bien pu, comme Bruner, parler des pièges de la « méthodolâtrie ».

Abraham Maslow nous fait,  lui aussi, remarquer que « Une personnes qui se soumet volontiers aux forces de distorsion présentes dans la culture (c'est-à-dire un sujet conforme aux normes établies) peut parfois se révéler moins saine qu’un délinquant, un criminel ou un individu névrosé prouvant par ses réactions qu’il possède suffisamment de courage pour défendre son intégrité psychique » (2008, p.110). Certains penseront qu’il va un peu loin, mais les exemples ont besoin d’être forts pour réveiller l’endormissement de la pensée auquel nous nous sommes parfois accoutumés. Un petit aiguillon caricatural est, en effet, un excellent stimulant.

Ainsi, beaucoup d’êtres humains ont abordé ce thème d’une façon ou d’une autre et je ne peux tous les évoquer (je ne les connais pas tous non plus). Nous nous devons de leur en être très reconnaissants.

1.2Feed-back: notion trop floue

La validation est finalement un cas particulier de ce que certains se plaisent à nommer « feed-back ». Ce mot signifie littéralement « nourriture » et « arrière » (nourrit par ce qui s’est passé avant). En français on parlerait de « rétroaction » où ce qui suit est ajusté par ce qui précède. La validation est un cas particulier où ce qui suit s’ajuste à ce qui précède. L’idée rétroaction ou de feed-back  est en effet très générale, puisque un sujet énonçant quelque chose peut aussi conduire le praticien à lui poser une question et non à donner une validation… ou à faire les deux. Le fait de poser une question est aussi une forme de « rétroaction » et c’est même le principe du guidage non directif utilisé en maïeusthésie (proche de la découverte guidée des cognitivistes) où le praticien qui demande, se laisse guider par les réponses de son patient pour poser les questions appropriées qui en découlent (voir publication « Communication thérapeutique » d’avril 2004  à  « Guidage non directif ».

Si nous parlons de validation, nous ne pouvons nous contenter des termes « feed-back » ou « rétroaction ». En effet, même un coup de poing en réponse à un propos pourrait être une forme de feed-back… naturellement nous sommes alors loin de la validation… et encore plus de la validation existentielle ! La validation est un type particulier de feed-back : un retour offrant une confirmation, une reconnaissance.

 Mais même en utilisant le mot « validation », il apparait que celle-ci peut n’être que partielle. Ce mot, lui non plus, ne fait pas assez ressortir les différents plans sur lesquels se fait le « retour ». Le terme consacré « d’accusé de réception » est bien pâle, lui aussi, pour refléter l’ensemble des possibilités.

1.3Précisions sur les types de validation

Pour ma part, déjà avant 1988,  j’avais pointé que, ne serait-ce qu’en communication, il convient de valider ce que nous adresse notre interlocuteur sur quatre plans : la réception, la compréhension, l’accueil et la cohérence. Un cinquième plan existait de façon implicite, mais je ne l’ai énoncé de façon explicite qu’en 1996 dans « Chaleureuse rencontre avec soi-même » (Dangles) : il s’agissait de la gratitude… car aucune confidence, ni aucune réponse, ne nous sont dues.

Dans ce cas il ne suffit plus seulement d’accueillir mais aussi de remercier notre interlocuteur pour la réponse qu’il nous adresse. Nous avions alors cinq zones de validation : la réception (confirmée par un accusé de réception), la compréhension (confirmée par un message de compréhension), l’accueil (confirmé par un message d’accueil), la gratitude (confirmée par un message de gratitude), la cohérence (confirmée par un message de cohérence, ou validation cognitive).

Chacune de ces validations n’implique pas forcément la suivante. Ainsi, on peut très bien recevoir sans comprendre, ou comprendre sans accueillir, ou accueillir sans remercier, ou remercier sans valider la cohérence. Ce qui est troublant, c’est que ces validations sont le plus souvent exprimées juste en non verbal et ne sont généralement portées que par un seul mot ordinaire, négligeable, du genre « ok » ou « d’accord ». Ces différents niveaux de validation voyagent en même temps et non successivement ! C’est sans doute ce qui fait qu’on a peiné à les différencier et qu’on en a globalisé l’ensemble sous la dénomination de « feed-back » ou « d’accusé de réception ». En analyse transactionnelle (fondée par Eric Berne), le feed-back spécifique est désigné avec plus de précision par le mot « stroke », et est considéré comme une sorte de « caresse psychologique » où nous nous rapprochons de la dimension existentielle, et surtout de la notion de « tact psychique » si bien défini dans le mot « empathie » vu sous son origine allemande « Einfühlung » (où fülhen signifie justement « tact psychique »).

La différenciation de « recevoir », « comprendre », « accueillir », « remercier » et « valider la raison » est spécifique à la maïeusthésie. Nous y remarquons que s’il n’y a que « recevoir » et « comprendre », nous ne dépassons pas le niveau de la « relation » où l’information (objet) compte plus que les êtres,  alors qu’à partir d’« accueillir », nous entrons dans les niveaux de « communication » où l’interlocuteur (l’être) compte plus que l’information (objet). Vous trouverez des détails précis sur les différences entre « relation » et « communication » dans la publication de septembre 2001 « Assertivité ». Nous voyons, bien sûr, qu’il s’agit plus d’une attitude que d’une action ou d’une verbalisation particulière.

Dans les formations que je dispense, ces différents points et niveaux de validation sont largement mis en œuvre, nuancés et expérimentés avec précision, ainsi que le vécu résultant de leur présence ou de leur absence.

Pourtant, la notion de validation contient de façon implicite un niveau supplémentaire : le niveau existentiel. Il ne s’agit plus simplement de recevoir, comprendre accueillir, remercier ou valider la raison, mais aussi de donner de la reconnaissance à son interlocuteur. Pas seulement une reconnaissance de ce qu’il nous envoie, mais une reconnaissance de « Lui », en tant qu’individu.

Ceci peut sembler une évidence pour quiconque souhaite offrir un peu de délicatesse dans ses rapports humains… pourtant il y a là d’importantes précisions à apporter pour bien cerner ce qu’on peut entendre par « validation existentielle », grâce à un « message de reconnaissance ». Ilse trouve que cette reconnaissance ne vient pas forcément de quelque chose (même de très délicat) qu’on donne à l’autre… et c’est là la précision importante.

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2   Le pas existentiel

2.1Définition de « existentiel »

La psychologie existentielle et la psychologie humaniste ont bien mis l’accent sur l’être humain. Les praticiens et auteurs, cités plus haut, en sont quelques représentants, ayant œuvré avec toute la délicatesse que leur expérience, leur sensibilité et leur professionnalisme leur ont permis de mettre en œuvre.

Le mot « exister » vient du latin existere signifiant « se manifester », « sortir de » où nous avons ex signifiant « hors de » et sistere signifiant « être placé », venant de la racine indoeuropéenne sta signifiant « être debout » (le robert, dictionnaire historique de la langue française). Au XVIIe le mot « exister » est utilisé pour dire qu’on a de l’importance, de la valeur, pour quelqu’un*. Le mot « existence », quant à lui,  a été utilisé au XVIIIe pour désigner le fait d’exister, mais aussi l’ensemble de la vie de celui qui existe, considérée dans sa durée et dans son contenu*. Au XXe,  avec Bergson, le mot « existentiel » apparaît en philosophie, et est utilisé pour définir l’ensemble de la réalité vécue par un individu*. Karl Jaspers fut parmi les praticiens qui accordèrent une importance toute particulière à ce concept.

(* Le Robert  - Dictionnaire Historique de la langue française)

Tenir compte de l’humain n’est pas tâche aisée pour un praticien qui serait exagérément soucieux de l’opinion de ses confrères. Nous atteignons souvent ce paradoxe qui fait que le psy qui choisit de considérer l’humain, non comme un objet d’étude scientifique, mais comme un être à considérer et à rencontrer, peut se retrouver taxé d’idéaliste tourné vers de « gentilles mièvreries ». « Rogers fut pris à partie pour ses conceptions qualifiées "d’angéliques" », le mot étant bien sûr  ici avant tout péjoratif (de Peretti, 1997, p.116). Cette propension à trouver un peu niaise l’idée qui consiste à considérer l’être humain est sans doute une juste réaction face à certaines dérives métaphysiques sur le sujet, certes ! Mais prétendre s’occuper de l’humain sur le plan de sa psyché, sans considérer l’humain, semble une aberration absolue, toute aussi niaise !

Abraham Maslow, qui avait été séduit, au début de ses études et de sa carrière, par les behavioristes (comportementalistes) du fait de la possibilité expérimentale de cette approche, s’est vite rendu compte que leur approche fonctionne mieux en laboratoire qu’en réalité. Il remarqua surtout combien il est désolant qu’on se limite à considérer l’humain dans ce qui ne va pas en lui, en continuant à ignorer ses potentialités. Il remarquait que si on a beaucoup écrit sur la psychopathologie, on n’a quasiment rien dit sur la santé mentale, soulignant qu’on ne peut se satisfaire de définir la notion de santé simplement par l’absence de maladie. Il dit par exemple : « A ceux qui préfèrent voir plutôt qu’être aveugle, se sentir bien plutôt que se sentir mal, l’intégralité de l’être plutôt que l’infirmité, on peut conseiller de chercher la santé psychique » (2008, p.34) Il ajoute  un peu plus loin : « La démonstration qu’il peut exister et qu’il existe réellement des gens merveilleux –même s’ils sont rares et s’ils ont des pieds d’argile- suffit à nous donner le courage, l’espoir, la force de continuer à lutter, à avoir foi en nous-mêmes et dans nos propres possibilités de croissance »

Rappelons-nous que nous avons tendance à aller là où nous regardons. Quand il y a un obstacle sur la route il est plus aisé de regarder vers où nous devons aller pour l’éviter, que de regarder l’obstacle lui-même. C’est pour cette raison que, en tant que piéton, il est recommandé de ne pas marcher à l’intérieur de la barrière de sécurité d’une autoroute, car nous regardant par curiosité, il finit par y avoir un chauffeur qui involontairement nous fonce dessus (durée de vie moyenne estimée  pour une personne marchant du mauvais côté de la barrière de sécurité : 20mn !)

De la même manière si nous prenons le parti de regarder la psychopathologie c’est vers la psychopathologie que nous allons (gare à l’accident !). Si, au contraire, nous prenons le parti de regarder l’individu, c’est vers l’individu que nous allons. Naturellement, il ne s’agit pas de ne pas voir la psychopathologie (comme pour l’obstacle sur la route), mais de ne pas fixer notre attention dessus et de la tourner préférentiellement vers là où nous sommes sensés aller : c’est à dire vers l’individu, vers l’être, vers le quelqu’un à qui nous apportons un accompagnement psychologique. Regardons là où nous sommes sensés aller ! Il n’y a là que du simple bon sens qui, non seulement ne retranche rien au professionnalisme, mais au contraire fait du praticien en psy un professionnel confirmé, ne se laissant pas distraire de l’essentiel de son travail.

2.2 De la validation cognitive
à la validation existentielle

Après avoir reçu, compris, accueilli et remercié, le cinquième point de validation porte, en maïeusthésie, sur la reconnaissance de la cohérence. Je parlerai là de « validation cognitive », quand nous sommes capables de dire à notre interlocuteur « s’il y a eu ceci, je comprends qu’il y ait maintenant cela ». Le « guidage non directif », permettant de parvenir à ce point, ressemble à la « découverte guidée » utilisée par les cognitivistes (Daniel Nollet, 2004, p.161), mais aussi en diffère beaucoup. Elle y ressemble par la candeur des questions (un très juste « non savoir a priori »), par le non jugement, par le respect, par la liberté de réponse donnée au patient. Elle en diffère cependant grandement par ce que l’on fait de ce qu’on a trouvé… par ce qu’on fait de la raison, du fondement cognitif,  ainsi mis à jour. Le projet avec la découverte guidée est de conduire la patient vers ses « propres illogismes ou perceptions erronées ». Ainsi, le cognitiviste tentera de trouver le fondement cognitif source du trouble pour, le démasquant, « libérer la personne de son erreur ». De son côté, le praticien en maïeusthésie, s’en sert différemment. Il l’utilisera pour offrir à celui qu’il aide un supplément de fondement et de reconnaissance. Il y pointe une pertinence et non une erreur. De ce fondement de la raison (de la cause), il résulte une assise plus stable de son patient, lui permettant spontanément de reconsidérer sa perception, mais sans que rien n’ai été dévalorisé.

Cette validation cognitive peut porter sur des choses récentes, comme sur des choses anciennes. Par exemple « Si vous vous êtes fâché avec cette personne tout à l’heure, je comprends que vous soyez encore en colère maintenant », aussi bien que « Si vous vous êtes senti à ce point abandonné quand vos parents vous ont laissé chez votre grand-mère, je comprend qu’aujourd’hui vous soyez si sensible au fait qu’on vous ignore ». L’idée de la validation cognitive (ou message de cohérence) est de confirmer que nous comprenons parfaitement que « s’il y a eu ceci, ça puisse impliquer que maintenant il y ait cela ». En cas d’exactions, il ne s’agit jamais ici d’excuses ou de déresponsabilisation, mais au contraire de reconnaissance et de compréhension permettant au sujet de mieux se responsabiliser. En effet, pour être responsable, pour se mettre aux commandes de sa propre vie, il convient déjà de se sentir exister… et pour mieux exister il convient de se sentir reconnu.

La notion de validation cognitive, aussi fondamentale soit-elle, ne rend pourtant pas compte d’une certaine dimension supplémentaire : celle du contact avec l’individu, celle de la réhabilitation, celle de la reconnaissance… celle de l’existentiel

Il y a déjà bien longtemps que j’insiste sur le fait que face au patient se « révélant », le praticien compétant est sensé être « touché » et même « se réjouir ». Je n’hésite pas à même affirmer que le « moment thérapeutique » est celui où le praticien ressent et laisse paraitre cette « réjouissance »… et que sans cette réjouissance, il n’y a pas vraiment d’aide, ni de soutient, ni  de thérapie pour celui qu’on accompagne, ou que s’il y a une aide, celle-ci n’a pas la portée attendue.

Naturellement cela va à l’encontre de la notion de « distance thérapeutique » ou de « distance professionnelle », du moins quand ces concepts sont insuffisamment précisés. Pour être bien comprise cette notion de « réjouissance » mérite quelques précisions car il ne s’agit aucunement d’une familiarité ou d’une niaise expression béate. Il s’agit de quelque chose de discret, de profond, de respectueux, de jamais déplacé et qui ne peut être feint. L’expliquer, sans choquer ni susciter de sarcasmes, est tellement une gageure que j’ai attendu jusqu’à maintenant pour la mettre en mots… et je dois avouer aussi que je ne disposais pas encore d’une perception suffisamment claire de ce que je faisais (même si je le faisais depuis longtemps) et ressentais en thérapie pour, en tant que praticien, l’énoncer avec la clarté nécessaire. Passer du praticien au théoricien demande souvent une longue maturation de ce qui est expérimenté.

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3   La validation existentielle

La validation existentielle dépend 1/ de ce que nous regardons (vers où nous portons notre attention), 2/du fait de savoir être touché (et non affecté), 3/De la capacité de réjouissance du praticien, 4/Du sens du flux

3.1Ce qu’on regarde « fait notre regard »

Nous venons de voir que nous avons tendance à « aller » vers « où nous regardons » (en voiture il est extrêmement difficile de rouler droit tout en regardant sur le côté). Donc, si nous regardons vers la psychopathologie, nous allons spontanément vers la psychopathologie… et risquons ainsi de manquer l’individu que l’on prétend aider.

Cela peut conduire à une dérive consistant à faire du sujet aidé une sorte « d’objet de soin ». Le praticien devient alors une sorte d’habile « technicien de la psyché » … s’occupant d’un objet qu’il épure, qu’il libère ou qu’il ajuste (pour satisfaire à ce que prédisent les théories, comme nous le fait remarquer Winnicott cité plus haut). Il manque alors de s’occuper de quelqu’un venant au monde, accédant à lui-même… il manque de permettre à ce qu’il est vraiment d’émerger.

Il s’agit là de nuances extrêmement importantes puisqu’elles conduisent le praticien soit à combattre quelque chose qui ne va pas (combattre le « mal » ?), soit à accompagner un individu venant au monde, faisant émerger une précieuse part de lui-même. En caricaturant le propos : le praticien sera-t-il dans l’ancestrale culture des exorcistes, des purgateurs ou des « saigneurs » (ceux qui font les saignées pour enlever le mauvais sang) ?, ou bien sera-t-il dans l’élan de la sage femme permettant à la mère de mettre au monde son enfant ?

Cette façon de concevoir la thérapie ferait sans doute plaisir à Maslow, qui se désolait que la psychologie ait opté trop souvent et depuis trop longtemps pour un « façonnage, en vertu du principe que les profondeurs de la nature humaine sont dangereuses, maléfiques, prédatrices et voraces » (2008, p.202). Il souhaitait ardemment que la psychologie revisite ses fondements et il y a lui-même grandement contribué.

Voilà donc une précision majeure dont on pourrait penser qu’elle est suffisante tant elle est essentielle. Et bien pourtant, il s’y ajoute quelque chose d’encore plus important, pourtant si discret qu’on pourrait le manquer. C’est même ce qui fait toute la différence ! On ne peut ici se contenter d’un protocole technique, aussi généreux soit-il.

Concernant la conséquence qu’il y a à se tourner vers la pathologie plutôt que vers le sujet lui-même, le point le plus important est le regard que cela produit de la part de celui qui regarde. Se sent-il affecté, ou se sent-il comblé ?

Doit-il cacher sa réaction d’affect et devenir froid et non congruent ? Doit-il au contraire laisser voir franchement sa réaction d’affect afin de rester congruent ? Ni l’un ni l’autre ! S’il porte son attention sur le sujet lui-même, il n’a ni à cacher ni à montrer sa réaction d’affect, tout simplement parce qu’il n’en a pas. Il n’est pas froid pour autant car, au lieu de se sentir affecté (impact psychologique), il se sent touché (rencontre de l’autre dans sa justesse, rencontre de la vie). Naturellement encore faut-il avoir clairement différencié le fait d’être affecté et le fait d’être touché, afin, pour éviter d’être affecté, de ne pas s’empêcher d’être touché ! Un praticien qui ne se sent pas touché ne sera pas capable de la validation existentielle dont nous allons parler.

Nous retiendrons simplement que celui qui regarde ce qui ne va pas chez l’autre a naturellement le regard de quelqu’un qui voit ce qui ne va pas, et que celui qui regarde l’autre en tant qu’individu a naturellement le regard de celui qui voit un individu.

Si nous prenons l’exemple d’une personne confiant à son praticien qu’enfant elle a été maltraitée ou violée : dans le premier cas le praticien aura les yeux de quelqu’un qui regarde une maltraitance ou un viol (c'est-à-dire qu’il sera naturellement horrifié… ou blindé) ; dans le deuxième cas, au lieu de se fixer sur la circonstance (qu’il n’ignore pas pour autant), il regarde l’enfant qui a vécu cela, il voit simplement cette enfant que son patient  lui présente et il se sent heureux de la rencontrer… car ce qui est horrible, c’est ce qu’on lui a fait, pas elle !

Voilà justement le problème qu’a eu le sujet tout au long de sa vie : à chaque fois qu’elle a évoqué cette enfant, comme ses interlocuteurs avaient tendance à ne voir que l’horreur des circonstances… c’est un peu comme si l’enfant était elle-même une horreur. C’est du moins ce qu’elle lisait dans leurs regards et, finalement elle ne pouvait plus la montrer sans craindre de faire peur.  

Au contraire, face à quelqu’un qui voit plus l’enfant que la circonstance, elle n’a plus besoin de la cacher, car le regard qu’elle reçoit montre le bonheur de la voir. A partir de là, elle pourra réduire la fracture qu’elle avait gardée dans sa psyché entre elle-même et cette enfant qu’elle fut. Les symptômes initiaux disparaissent alors, car le rôle initial qu’ils avaient, de permettre de retrouver cette enfant qu’elle fut, n’a plus lieu d’être (voir la publication d’avril 2008 « Psychopathologie » au chapitre « le regard maïeusthésique »)

3.2Savoir "être touché"

La distance thérapeutique ! Voilà un mythe tenace. Il a cependant son juste fondement, comme chaque chose qui, au premier abord ne semble pas exacte. Pour le praticien qui choisit de se tourner préférentiellement vers le problème à résoudre, vers la douleur à calmer, ou vers les attitudes à corriger, ou vers la circonstance à éliminer (surtout si elle est horrible), il semble juste de maintenir une « bonne distance ». Mais nous noterons que la distance doit être prise avec  le problème ou avec la circonstance… jamais avec l’individu qui a vécu cette circonstance. Encore faut-il les avoir clairement différenciés l’un de l’autre ! Sinon le praticien se retrouve en train de prendre une distance avec son patient et cela ne peut être satisfaisant.

Nous nous rappellerons que l’empathie, à l’origine, en allemand, se dit Einfühlungfühlen signifie « tact psychique » (Theodor Lipps, Sandor Ferenczi), presque au même titre que l’hapsy en haptonomie (Frans Veldmann, 2001, p.71).

Le « courant » ne passe que s’il y a contact et non s’il y a distance (aussi petite soit elle). Le « courant », ici, pourrait être assimilé au « flux existentiel » (ou flux de vie) dont le patient a profondément besoin pour se construire. Il le reçoit du praticien, sans rien lui ôter, car la vie n’est pas comparable à l’énergie. La vie est « être » alors que l’énergie est « faire ou avoir ». Ceux qui se tournent vers un problème à résoudre, ou vers une erreur à corriger, sont obligés d’investir leur énergie et peuvent se trouver en situation de devoir se protéger pour ne pas s’épuiser. Ceux qui ont fait la différence d’avec le flux de vie et se tournent préférentiellement vers l’individu, vers l’être, ne ressentent pas d’épuisement, tout en donnant beaucoup, sans jamais rien perdre, et aussi sans jamais se charger de quoi que ce soit.

Être touché c’est se trouver face à un individu et avoir le sentiment de se trouver face à la vie. Il y a là une grande différence avec le fait d’être affecté. Car celui qui est affecté reçoit un impact, alors que celui qui est touché rencontre la vie. La sensation n’est pas du même ordre. L’une nécessite de se protéger alors que l’autre est même une ressource. Le praticien, lorsqu’il est touché, reçoit une ressource. Il reçoit sans rien prendre à son interlocuteur, bien au contraire. Cela peut sembler un paradoxe et mérite quelques précisions supplémentaires.

3.3Ressentir une réjouissance affirmée

Quand le praticien est « touché », il reçoit une ressource sans rien ôter à son interlocuteur. Cela lui permet d’exercer son métier sans épuisement et avec une plus grande efficacité. Cette plus grande efficacité ne vient pas seulement du fait que cela lui demande moins d’énergie, mais aussi du fait, qu’en même temps, cela apporte beaucoup à son interlocuteur.

Cette règle n’existe pas qu’en psychothérapie. Qu’il s’agisse de Winnicott ou de Veldman,  le rôle que joue le regard de la mère auprès de l’enfant est évoqué comme étant très important. L’enfant se sent-il regardé comme source de soucis, ou bien comme source de réjouissance ? Selon ce que l’enfant « lira » dans le regard de sa mère (et de ceux qui l’entourent), il se sentira confirmé ou non, dans la base (le fondement) de son existence au monde. Cela lui donne sa place. Nous trouvons ainsi la confirmation de l’« être au monde » ou de l’« être là » des psychologues existentiels ou du « Dasein » (ce qui veut dire la même chose), des praticiens de la Dasein-analyse.

Nous devons comprendre que quand le patient évoque qu’à un moment de sa vie il a souffert, ce n’est ni ce qui s’est passé, ni sa souffrance qu’il nous présente, mais celui qu’il était à ce moment là. Il ne s’agit en aucun cas du contact avec un événement traumatisant, mais d’une rencontre avec celui qu’il était. Quand il présente celui qu’il était au praticien qu’il consulte, il a besoin que ce praticien soit heureux de le rencontrer. Bien involontairement le patient « guette » la réaction du praticien, afin de vérifier si cette part de lui qu’il vient de lui présenter lui est agréable à rencontrer ou non.

La praticien qui aura son attention fixée sur un problème à résoudre, sur une psychopathologie à guérir, sur un traumatisme dont il faut se libérer, sur un processus cognitif qu’il faut modifier ou un comportement nouveau à acquérir pour en remplacer un mauvais… n’aura pas, dans son regard, l’étincelle de réjouissance que l’on a naturellement quand on fait une belle rencontre. Or, du moins dans un premier temps, cette étincelle est tout ce dont le patient a besoin. Naturellement cela est à la fois très simple et très difficile, car une telle étincelle n’est pas une chose qui se décrète dans un protocole thérapeutique. Il s’agit juste d’un positionnement, d’un projet et d’une orientation de l’attention (voir la publication de  décembre 2007 « Le positionnement du praticien »)

Savoir recevoir la vie émanant de l’autre, donne une place à cette vie en lui. Cette réjouissance ne peut être feinte. La congruence, mise en exergue par Carl Rogers comme nécessaire attitude du praticien, est ici plus qu’évidemment incontournable. Toute réjouissance feinte deviendrait une insupportable et indigne niaiserie. Quand cette notion de réjouissance est ainsi mal comprise, elle peut d’ailleurs nourrir les gogos des détracteurs de cette notion, chez qui la sensibilité ne permet pas encore de saisir cette nuance dans toute sa dimension humaine. Il est bien évident, à leur décharge, que sans la nuance, cela n’a pas de sens.

Pourtant quand l’autre nous présente ce qu’il y a de plus précieux en lui (c'est-à-dire cette part de lui-même qu’il a, jusque là, dû maintenir dans l’ombre) il a profondément besoin de sentir que son interlocuteur en éprouve un certain bonheur. Il est fondamental pour lui de ne pas avoir la désagréable sensation de nous avoir présenté une horreur. Tout se passe comme s’il avait dû garder à l’abri des regards, dans une sorte de « placard de la psyché », cette part de lui, jusque là jugée comme « non présentable ». Si dans un élan de confiance en son thérapeute il la montre, il ne supportera pas que celui-ci s’en afflige. Car cela confirmerait la « non- présentabilité » de cette part de soi et le conduirait à l’enfouir plus profondément. Il est même désolant que certains praticiens visent même à l’en débarrasser, en tentant de provoquer une plus grande distance d’avec « cela », par de douteuses visualisations.

Par exemple cette psychothérapeute qui permet à sa patiente de retrouver l’enfant qu’elle était, bébé, face à sa mère veuve. Comme l’enfant avait été éprouvée par le deuil vécu par sa mère, qui alors lui montrait trop de tristesse, la thérapeute invite sa patiente a « dire » à l’enfant qu’elle était « Il s’agit de la douleur de ta mère, pas de la tienne. Elle ne te concerne pas et tu n’as pas à en souffrir ! ». Or il se trouve que la mère fait partie de la structure psychique de l’enfant et que l’amputer de cette part revient à la déstabiliser. Ici le praticien aurait pu se sentir touché par cette femme qu’était la mère et dont probablement personne n’a jamais entendu la souffrance. Elle aurait dû se réjouir de cette émergence de l’être et inviter sa patiente à dire à l’enfant de regarder cette femme qu’est sa mère et de lui « dire » qu’elle entend combien son deuil est douloureux. Cela aurait amené, dans la dimension psychique, un apaisement chez la mère et chez l’enfant, puis chez la patiente, dont le symptôme d’angoisse actuel ne faisait qu’inviter à faire ces rencontres et réhabilitations.

Dans cet exemple, si le praticien voit le deuil, il est spontanément et naturellement affecté. Il tendra alors à vouloir libérer sa patiente de ce poids. Si par contre il voit une femme que personne n’a jamais entendu et qui se présente là, démunie, « inexistante, comme venant au monde pour la première fois » (c’est en quelque sorte sa première sortie hors du « placard » de la psyché), il se sentira spontanément touché par cette émergence de vie, et cette étincelle qui apparaitra naturellement dans son regard produira un effet thérapeutique. Nous voyons là qu’il s’agit plus d’un état que d’une action et que toute action envisagée sans l’état ne peut donner de résultats satisfaisants.

On pourrait penser que cette faculté d’être touché est une sorte de marque « d’amour » au sens le plus noble du terme, c'est-à-dire de considération, de générosité, de reconnaissance… Pourtant la notion de validation existentielle ne peut se contenter de cela. Mais si la notion « d’amour » n’est pas suffisante, alors qu’y a-t-il au dessus ? En effet nous avons déjà le sentiment d’avoir été bien loin, d’avoir fait voler en éclat les présupposés de distance thérapeutique, sans pour autant tomber dans aucune affectivité, ni aucune familiarité, nous avons donné une grande considération… que peut-il y a voir de plus ? C’est ce que nous allons aborder dans le chapitre suivant : « le sens des flux »..

3.4Le sens des flux

Dans tout ce qui précède, nous avons pu explorer la sensibilité et la générosité du praticien face à son patient. Nous en avons parcouru de nombreuses subtilités sur le  plan existentiel… et pourtant il y manque une composante fondamentale sans laquelle tout le reste ne peut être suffisamment porteur.

Cette composante, c’est le sens du flux. Quand le positionnement du praticien est correct, quand il tourne son attention vers le sujet plutôt que vers le problème et quand son projet est la rencontre plutôt que la solution, nous voyons à quel point il peut émaner d’un praticien générosité, reconnaissance, « amour », considération…etc. Mais ce qui ne doit pas nous échapper, c’est qu’ici le sens du flux de générosité va surtout du praticien vers son patient, plus que du patient vers le praticien.

La précision supplémentaire est là : le flux de générosité doit aussi aller du patient vers le praticien et le praticien se doit de le recevoir.

Quand le praticien voit son patient, ainsi que cette part de lui-même que celui-ci lui présente, il se doit d’être touché et d’en manifester une réjouissance. Je ne fais ici que répéter ce que j’ai déjà dit plus haut, mais je souhaite y ajouter une subtilité fondamentale. Tout « l’amour » qu’on peut donner, avec la délicatesse la plus absolue, peut se transformer en une sorte de « douce violence », si celui qui envoie ce flux vers l’autre ne montre pas qu’il reçoit lui-même quelque chose d’infiniment précieux.

Recevoir tant de générosité de la part de l’autre alors qu’on pense ne pas avoir de valeur soi-même peut avoir un effet néfaste, car le sujet se sent ainsi redevable, assombri… comme s’il ne pouvait mériter une telle chose. Il ne s’agira pas de le convaincre qu’il mérite cette générosité… mais de le lui montrer. Et la façon de le lui montrer est simplement de permettre au flux de circuler aussi de lui vers soi. C'est-à-dire que le praticien adresse à son patient toute cette considération et cette générosité, mais qu’il reçoit en même temps de lui le fait d’avoir le privilège de le rencontrer, le fait de se trouver en contact avec la vie, le fait de recevoir ce qu’il y a de plus précieux en l’autre… c'est-à-dire l’autre lui-même.

Note : J’ai déjà vu dans les formations que j’anime pour de praticiens, que toute la générosité et la considération peuvent être là, de façon approfondie, avec une grande qualité… et que cependant si cette notion de « réjouissance » face à ce qui est précieux en l’autre n’est pas présente… alors le moment thérapeutique ne se produit pas avec la dimension souhaitable.

Comme vous le constatez, la mise en mots d’une telle subtilité est risquée car elle peut vite se trouver dévalorisée par quelques détracteurs qui n’en perçoivent pas la profondeur. Cette profondeur n’ayant rien de technique, peine à être nommée et peut se retrouver la proie facile de ceux qui ne veulent pas regarder par là. Cela me fait penser à Maslow parlant des besoins fondamentaux pour finir en évoquant les besoins élevés concernant l’être, ou « besoins ontiques » (amour, respect, connaissance, sagesse, accomplissement de soi) en soulignant « …plus les besoins sont élevés, plus ils sont faibles instables et fragiles. Nous en arrivons à ce paradoxe que nos instincts humains, du moins ce qu’il en reste, sont si faibles qu’ils doivent être protégés contre la culture, contre l’éducation, contre l’apprentissage – en un mot, contre le risque d’être étouffés par l’environnement » (2008, p.119). Il met en évidence le paradoxe entre la force des besoins les moins élevés et la fragilité des autres. Nous avons les moins élevés (très puissants) en commun avec les animaux, et les autres qui sont propres aux humains, et qui obéissent aussi à une logique instinctuelle, mais d’une nature différente (c’est de cet instinct subtil dont il parle ci-dessus). Ces besoins élevés sont en quelque sorte le sens de la vie de l’humain, son aspiration profonde, même si ceux-ci ne peuvent se révéler que quand les autres besoins sont devenus moins prégnants, car suffisamment satisfaits. Nous pourrions ici parler d’une sorte de pulsion existentielle venant du Soi (voir publication de novembre 2005  sur « ça moi, surmoi et Soi » )

Il s’agit finalement de cette validation du « bon en soi présent et à venir », comme nous le propose Veldman.

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4   Incidence dans l’aide psychologique

4.1Chercher la justesse et non l’erreur

Abraham Maslow s’est désolé qu’on ne pointe pas assez ce qui se produit avec justesse chez l’être humain, et qu’on prenne trop le parti de chercher les travers et les psychopathologies en négligeant les ressources permettant la santé psychique.

La psychologie positive semble en partie y remédier, car elle prend le parti de mettre l’attention sur ce qui va. Sonja Lyubomirsky (2008), directrice du laboratoire de psychologie positive de l’université de Californie, s’appuyant sur différentes études,  nous invite à trouver, par exemple, des motifs de réjouissance et à exprimer notre gratitude chaque jour pendant une semaine (p.97-98). Cette attention sur le « positif », associée à une attitude de reconnaissance active,  est semble-t-il une belle ressource puisque, dit-elle, on parvient ainsi à mieux remonter des déprimés qu’en cherchant en eux ce qui ne va pas. Après tout, tout  ce qui fonctionne pour procurer du mieux être ne peut qu’être pris en considération. Pourtant, la psychologie positive doit aussi être utilisée avec discernement, car il ne serait pas souhaitable qu’elle soit utilisée pour occulter ce que nous sommes sensés réhabiliter en nous.

La psychologie positive nous ressource,  mais risque de nous éloigner de nous-mêmes, en nous distrayant de ce que nous avons à réhabiliter en soi. Les thérapies de type analytique, au contraire, nous font aller profondément en soi, mais elles remuent des douleurs qui risquent de nous enfoncer plus bas.

Nous devrions trouver une façon de procéder qui tient un peu des deux, mais ne correspond exactement à aucune d’elles. Finalement nous le réaliserons en ayant cette réjouissance, mais cela se fera en retrouvant celui que nous avons été, et non en l’occultant avec un détournement d’attention. Nous ne négligerons pas ce qui fait nos bases et doit être réhabilité, mais comme nous nous tournerons vers celui que nous étions et non vers ce qui s’est produit autrefois (vers l’être et non vers l’événementiel), nous aurons en même temps la réjouissance et la réhabilitation.

La psychologie positive, comme les démarches analytiques et bien d’autres, en sont bien trop souvent (pour ne pas dire « toujours ») à vouloir éliminer ou corriger quelque chose. Les deux approches n’ont pas les mêmes avantages, ni les mêmes inconvénients, mais nous interpellent toutes deux sur des fondements majeurs : d’une part nous ne pouvons vivre sans nous ressourcer à ce qui nous réjouit, d’autre part nous ne pouvons vivre sans réhabiliter ce qui, en nous, attend de trouver sa place.

La validation existentielle nous apporte les deux avantages en même temps : une source de réjouissance et une réhabilitation de soi.

Pour parvenir à ce résultat, le praticien devra considérer son patient comme quelqu’un allant naturellement vers ce qui est juste en lui, et considérer ses symptômes comme des « signes » adressés par des « parts de lui en attente de réhabilitation ».

Face à un symptôme, le praticien ne se demandera pas « Qu’est ce qui fait que ça na va pas, afin d’y remédier ? », mais plutôt  « En quoi cela va très bien, en quoi cela est-il juste pour aller vers une part de soi à réhabiliter, afin d’accomplir une réhabilitation ? ».

Il ne fera ainsi qu’accomplir un pertinent cheminement déjà en cours et n’aura à investir aucune énergie pour faire corriger ou faire éliminer quoi que ce soit chez son patient. Il ne sera que l’accoucheur, permettant à une naissance en cours de se réaliser. Il cherchera la justesse en cours d’accomplissement et  non le travers source de déséquilibre (voir la publication d’avril 2008 « Psychopathologie » au chapitre « le regard maïeusthésique »

4.2Autonomie et sérénité du patient

La vie d’un être humain comporte une ambigüité majeure : il doit d’une part s’affranchir de la dépendance à autrui en développant une affirmation de soi le rendant moins vulnérable à son environnement… il doit d’autre part intégrer qu’il n’existe pas sans les autres (même les gêneurs), car l’existence des autres a, d’une certaine façon, induit la sienne.

Il existe ainsi entre les êtres une synergie (systémie) où chacun n’existe que du fait que d’autres existent. Pourtant cette reconnaissance des autres n’est possible qu’avec suffisamment d’affirmation de soi ! La contradiction semble insoluble, mais le paradoxe se doit d’être abordé avec sérénité, car aucune des deux parties ne peut être occultée.

L’existence « a priori, hors de tout contexte » semble difficile à envisager (pour ne pas dire impossible)… et pourtant il arrive souvent, de toute évidence, que le contexte empêche, ou entrave, l’émergence de soi !

Même en génétique, Denis Noble, pionnier de la biologie des systèmes, nous explique que sur le plan de l’organisme, on a cru à tort que la source est exclusivement le génome. Il nous précise « ce qui est impliqué dans le développement d’un organisme est bien d’avantage que le génome. S’il existe une partition de la musique de la vie, ce n’est pas le génome, ou du moins il n’est pas seul. L’ADN n’agit jamais en dehors du contexte d’une cellule. Et nous héritons de bien plus que de notre seul ADN. […] Nous héritons aussi (simple bagatelle…) du monde. » (La musique de la vie, 2007, p.77)

Denis Noble, dans tout son ouvrage, insiste sur le fait de l’interdépendance entre le monde et l’individu. Nous dépendons de ce qui est dans notre environnement immédiat, mais ne sommes pas pour autant affranchis de notre environnement lointain. Les autres humains jouent un rôle dans l’existence de chacun, et chacun joue un rôle dans l’existence des autres humains (ça fait déjà beaucoup), mais les humains n’existeraient pas sans leur planète, qui elle-même n’existerait pas sans son soleil, qui lui-même ne serait pas sans la galaxie qui le porte, qui elle-même ne saurait « être » sans l’univers qui la contient avec ses innombrables consœurs…etc.

Nous pourrons faire la même observation sur le plan psychologique. Nous dépendons, au minimum, de ce qui est proche de nous, mais aussi de ce qui est (apparemment) plus loin de nous. Notre état d’esprit du moment dépend de ce qui nous entoure maintenant, mais aussi des ressentis de celui que nous étions quelques instants plus tôt. Par exemple une colère récente influe sur notre façon de percevoir le monde présent. Mais cette façon de percevoir le monde présent est aussi influencée par celui que nous avons été dans les différents moments de notre vie, depuis notre conception (ça fait beaucoup aussi !). Et il semble que nous portions en nous également, sur le plan transgénérationnel, les vécus de ceux que furent nos ascendants, et que certains de nos symptômes ne soient là que nous aider à leur donner leur juste place. Ce ne sont pas leurs fardeaux que nous trainons, mais un précieux moyen de ne pas manquer leur réhabilitation (car ils font  partie de la structure de notre psyché).

Donc nous sommes sensés aboutir vers un supplément d’affirmation de soi (autonomie) afin de mieux vivre dans le monde qui nous entoure… duquel (qu’on le veuille ou non) nous sommes issus. Le paradoxe est que pour être soi il convient de valider ses bases, et que pour valider ses bases il convient déjà (au moins un peu) d’être soi.

Quand, en thérapie, le praticien donne de la reconnaissance par la réjouissance qu’il laisse se manifester, il permet à son patient une suffisante affirmation de soi pour accueillir les bases qui lui manquent (ces bases qui le constituent, mais dont il s’est coupé). D’autre part, quand le patient présente ces bases à son praticien, guettant sa réaction, il leur donnera plus volontiers leur place face à celui qui s’en réjouit, que face à celui qui s’en afflige.

Le praticien donne ainsi place non seulement à son patient, mais aussi à toutes ces parts qui émergent et sont autant de fondements à restaurer dans leur juste place. Sans ces fondements, le patient ne peut pas « être » de façon stable et c’est là la source de ses symptômes. Ils lui servent à ne manquer aucune de ces parts (ou à pouvoir vivre sans elles, en attendant qu’une maturité nouvelle lui permette leur réhabilitation)

Nous entendons souvent  parler d’affect en psychologie, de dépendance, de cordon… puis d’autonomie, de couper le cordon…etc. En étant plus attentif, nous remarquerons avec précision que le cordon représente un nécessaire attachement pour ne pas perdre ce que nous ne sommes pas encore en mesure de rencontrer.

Le cordon est un attachement qui nous évite de nous éloigner, tant qu’un canal existentiel n’est pas ouvert. Plus un enfant et une mère se voient en tant qu’êtres (et non en tant que « mon parent » ou « mon enfant ») moins ils ont besoin du cordon.

Le cordon libidinal de besoin (qui est une « attache » non sexuelle1) se défait naturellement quand un canal existentiel de rencontre s’est ouvert. Car, là, on sait désormais qu’on ne se perdra jamais !

1 Pour plus de précision sur cette notion, lire sur ce site « Libido, amour et autres flux » (mars 2005) et « le ça, le moi, le surmoi et le soi »  (novembre 2005)

Nous retrouvons cela dans le couple, de la « passion besoin » où l’on est fortement attaché faute d’avoir encore su ouvrir un canal existentiel… jusqu’à « l’amour rencontre » où cela a pu s’accomplir (voir à ce sujet la publication de février 2001  « Passion »).  Même aussi dans le deuil où le « cordon obsessionnel de la douleur » permet d’avoir l’assurance de pas oublier l’être perdu, jusqu’à ce que l’ouverture d’un canal existentiel posthume envers lui, donne une telle assurance. Généralement le deuil se termine à ce moment là (voir la publication d’avril 2003   « Humaniser la fin de vie »).

L’autonomie ne vient pas du fait de « couper un lien », mais d’« ouvrir un canal ». Quand le canal existentiel s’ouvre, le lien disparait naturellement car il avait juste pour rôle de nous éviter de manquer cette réalisation.

Par sa réjouissance, le praticien ne crée donc ici ni transfert ni dépendance chez son patient, ni lien, ni rupture de lien. Cette réjouissance ne signifie en aucun cas que le praticien est dans une quelconque affectivité, mais plutôt qu’il est « touché ». C’est parce qu’il est touché que la vie « s’allume » chez son patient et que celui-ci peut exister en tant que lui-même. Ainsi il s’approche d’une autonomie telle qu’au bout d’un moment, il peut valider en lui des parts de soi sans passer par son thérapeute. Un tel cheminement lui permet de trouver sa propre place, dans son propre environnement intérieur, afin de plus aisément rencontrer le monde extérieur.

4.3Besoins élevés et accomplissement

Abraham Maslow insiste sur la hiérarchie des besoins, en distinguant les « besoins fondamentaux » (nourriture, sexe, sécurité, estime…) et les « besoins ontiques » (amour, considération, accomplissement de soi, …). Ces besoins sont le plus souvent illustrés par une pyramide où les besoins fondamentaux constituent une base large, et les besoins ontiques une pointe étroite. Nous noterons cependant que Maslow lui-même n’a jamais fait cette illustration pyramidale des besoins et que nous la devons seulement à ceux qui, ultérieurement, ont prolongé son propos. Si la hiérarchie des besoins semble une réalité plus que pertinente, surtout si on ne manque pas d’approfondir la notion de besoins ontiques, la représentation en pyramide me paraît mal adaptée, et parfaitement significative de là où nous mettons nos priorités.

Avant de poursuivre le propos, rappelons nous que ce que Maslow appelle « besoins fondamentaux » c’est l’ensemble de la catégorie des besoins physiologiques (nourriture, survie corporelle), et des besoins socio-psychologiques (de sécurité, appartenance, estime). Ensuite, ce qu’il appelle les « besoins ontiques », ce sont ceux qui appartiennent à la catégorie des besoins d’amour, d’accomplissement de soi, mais aussi d’esthétique, de justice, de cognition… etc. (2008, p.57-68).

Concernant la hiérarchie il précise : « Nous nous sommes jusqu’à présent exprimés comme si cette hiérarchie répondait à un ordre fixe mais, en fait, elle est bien moins rigide que nous avons pu le laisser entendre » (ibid, p.72). Il observe seulement une sorte de rapport entre les deux types de besoins (fondamentaux ou ontiques) « les individus qui ont connu les deux tiennent généralement le respect de soi-même pour une expérience subjective de plus grande valeur que le fait d’avoir le ventre plein » (Maslow, 2008, p.116-117).

NB Je consacrerai ma prochaine publication à Maslow et à son développement si précis et délicat de la psychologie humaniste. Vous y trouverez toutes les précisions nécessaires concernant la hiérarchie des besoins fondamentaux et ontiques et même une représentation graphique non pyramidale originale. (à paraître aussi en septembre)

Par la « validation existentielle », nous satisfaisons à ce besoin essentiel d’existence, d’estime de soi et d’amour (besoin ontique). Cela permet d’examiner tout le reste avec plus de sérénité, plus de confiance et même plus d’autonomie.

Avoir bien compris la notion de sens des flux est primordial pour le praticien. Car un praticien qui veut « tellement aider » deviendrait maladroit. Par cet « éclairage » qu’il voudrait produire chez son patient il ne ferait qu’augmenter l’ombre que ce dernier porte en lui. L’art pour le praticien est « d’éclairer sans produire d’ombre » et il réalise cela par sa propre réjouissance, par le fait qu’il est touché et non par le fait qu’il essaye de toucher l’autre ou d’avoir un effet sur lui (je m’étais amusé à rédiger une publication sur ce paradoxe en décembre 2000 « Eclairer sans produire d’ombre ». Vous en avez une version plus élaborée dans celle d’août 2007 « Bientraitance »)

La validation existentielle est le moyen sécurisé par lequel un patient se révèle, avec une sensation de bien être et de plénitude… Même s’il passe par des moments émotionnels forts, cette validation permanente des besoins supérieurs fait que le flux de vie s’écoule de nouveau en lui. Il peut se sentir « vidé » (d’énergie), mais « plein » (de ce qui est, avec justesse, en lui). Il se sent à la fois plus plein et plus léger, mais aussi mieux posé et moins attaché (encore des paradoxes). Il ne se sent vidé d’énergie qu’à cause de ces années de lutte qu’il a livré contre lui-même, soit spontanément, soit en y étant encouragé par un entourage maladroit.

4.4Durée et profondeur des thérapies

L’on croit quelque fois que la profondeur de la thérapie peut être associée à sa durée. Il est bien évident qu’il ne suffit pas d’une durée pour avoir une certitude de qualité. Mais la question est de savoir si une thérapie courte peut avoir une profondeur suffisante pour conduire de façon stable un individu vers lui-même.

Mieux vaut sans doute une thérapie courte conduisant à des réhabilitations qu’une thérapie longue et laborieuse visant à des éliminations ou corrections. Les résistances qu’on y trouverait ne seraient pas l’œuvre du patient, mais la juste conséquence d’une sorte de chemin « à l’envers » du praticien tentant d’inculquer ses propres projections théoriques. « …la résistance à la thérapie et au thérapeute n’est ni une phase inévitable, ni une phase désirable de la psychothérapie, mais elle naît avant tout des piètres techniques de l’aidant dans le maniement des problèmes et des sentiments du client. » (Rogers, 1996, p.155) [Rogers a remplacé le mot « patient » par « client »] « Dans la littérature il est tellement souvent question de résistances du malade que cela pourrait donner à penser qu’on tente de lui imposer des directives, alors que c’est en lui que de façon naturelle, doivent croître les forces de guérison » (Jung, 1973, p.157)  

Avec la validation existentielle nous avons cette potentialité d’aller vers ce qui est juste et précieux en le patient afin de le réhabiliter, et non vers ce qui est mauvais en lui pour l’en défaire. Nous avons  alors, de sa part, une participation spontanée et généreuse. Il « va » très vite, en lui, là où c’est important. D’autant plus que le chemin en est balisé par les symptômes et les résistances, comme avec une sorte de fil d’Ariane, qu’il suffit de suivre avec confiance pour aboutir à destination… à destination de la part de soi en attente d’être rencontrée;

« Ce vers quoi nous dirigeons notre attention ! », voilà le point que nous avons déjà évoqué plus haut. Si un praticien propose de retrouver le mauvais en soi pour s’en défaire, c’est évidement vers ce « mauvais » qu’il va avec son patient. Il est alors naturel que cela soit source de craintes. Si au contraire le patient se sent invité à aller vers ce qui est précieux en lui, même s’il rencontre des difficultés il y va volontiers. Cela permet souvent, dans le cadre d’un seul entretien, d’aller très en profondeur et parfois même d’accomplir une réhabilitation majeure. Le plus souvent quelques entretiens sont ici nécessaires… mais peu. Nous sommes donc en situation de thérapie courte, pour ne pas dire « très courte ».

Nous devrons cependant différencier une personne qui consulte à cause d’une sensation, d’une phobie ou d’une pulsion précise, et celle qui consulte pour accéder à une vie plus remplie, plus accomplie en comprenant et vivant mieux les enjeux qui sont en elle. Ce deuxième cas donnera place à des thérapies plus longues, dont le projet est différent.

Cependant l’autonomie doit toujours rester en conscience, car créer une dépendance ne serait pas acceptable. C’est d’ailleurs un des points important de la charte du praticien (qui sera publiée prochainement en septembre 2008 sur ce site avec les processus de certification, à venir en juillet 2009 pour les professionnels).

4.5Néanmoins toute une vie pour le « Soi »

Toute une vie vers « Soi », libre du « moi », capable de mieux rencontrer les autres (lire la publication de novembre 2005   « le ça, le moi, le surmoi et le Soi »). Naturellement nous aurons la prudence de considérer que quelque séances ne font pas l’aboutissement absolu… mais l’absolu, c’est quoi ?

Si nous revisitons la pyramide des besoins, injustement imputée à Maslow, la large base des besoins fondamentaux n’a de sens qui si on considère la large étendue et la ressource que constituent les besoins ontiques qu’un tout petit sommet ne convient pas à représenter (cela sera abordé avec précision dans ma prochaine publication). Que veut dire « l’aboutissement d’un accomplissement de soi ? ». Maslow nous propose « Etre ce qu’on a à être »… le projet est juste, mais il se peut qu’il représente l’ensemble d’une vie et ne puisse entrer dans un processus psychothérapique. La psychothérapie initialise le processus, l’individu le poursuit tout au long de son existence.

Il est tout à fait possible d’apporter en quelques séances de thérapie (parfois en une seule) une réhabilitation très profonde de l’individu dans sa psyché, sans rien occulter ou déplacer, sans rien ignorer… tout cela en accomplissant avec respect ce qui se fait déjà en lui ! Nous ne pouvons cependant pas en déduire que cela est suffisant !... Pas plus que nous ne pouvons en déduire que cela doive forcément durer plus longtemps !

L’accompagnement est nécessaire sur des points clés, sur des zones délicates, mais le reste se fait par le principe même de la vie. L’existence, telle qu’elle se présente à l’individu, est source de croissance, pourvu qu’on ne l’entrave pas avec des pensées uniques, des croyances ou des idées fixes qui conduiraient les praticiens à se désoler d’avoir empêché ces patients d’accéder à eux-mêmes (comme Winnicott nous le dit pour lui avec tant de générosité et de franchise)

Nous nous rappellerons surtout que la validation existentielle ne provient pas d’une générosité du praticien, mais d’une sensibilité qu’il a face à la générosité de son patient qui se montre et qui lui offre à rencontrer ces précieuses parts de lui-même (thème déjà abordé dans la publication d'août 2000 « Le mythe de la transaction »)

L’importance du sens du flux ! Voilà ce qu’il convient de se rappeler principalement.

Plus on veut « envoyer » quelque chose vers l’autre pour l’aider, plus on risque de faire de l’ombre en lui, plus on risque de le dévaloriser. Quand le patient se montre, le praticien est sensé être touché par cette précieuse émergence, avant même que le patient n’ait eu lui-même conscience de cet aspect précieux. C’est ce qu’il lit dans le regard (de celui qui l’accompagne) qui le porte, qui le conduit vers ce « bout de soi » qui l’attend (plus qu’il ne l’attend) pour qu’on lui rendre son intégrité, pour fortifier ses bases, pour lui donner le sentiment de plénitude attendu.

Ce processus existe dans la vie naturelle, à chaque fois que quelqu’un est heureux de nous voir. En thérapie, le professionnel se doit d’être particulièrement compétent sur ce point, en ce sens qu’il sera aussi dans cette attitude face à chaque part de vie qui lui est présentée.

Le praticien perçoit celui qui le consulte avec toute la profondeur d’une vie entière. Il n’offre pas son attention seulement à celui qu’il a en face de lui, mais aussi à tous ceux que celui-ci a été, et même à tous ceux dont celui-ci est issu.

Quoi qu’il se soit passé, il veille tout particulièrement à ne rien abimer et se gardera de toute culpabilisation de qui que ce soit (lire à ce sujet la publication de novembre 2004   « Ne plus induire de culpabilisation chez les patients ou les parents »)

On peut même imaginer que l’attention du praticien se porte vers celui « en devenir »  qu’est son patient. Ne voyez là aucune lecture du futur, mais une simple confiance en la potentialité de l’homme.

Cela me fait penser au propos de l’astrophysicien Thrin Xuan Thuan (1991, p.278) nous parlant d’« anthropie » pour l’univers (de anthropos « humain »). Dans la suite de l’astronome britannique Brandon Carter, Il définit  l’« anthropie » comme le fait que l’univers contienne déjà « l’homme en devenir » dès ses débuts, et que d’une certaine façon l’homme fait partie de son « projet ». Il ne se base pour cela sur aucune métaphysique, mais sur des données statistiques, indiquant la probabilité qu’il y avait à ce que l’homme apparaisse, et la précision nécessaire dans les composantes initiales  pour que le « miracle » se produise : « la précision stupéfiante du réglage de la densité initiale de l’univers est comparable à celle que devrait montrer un archer pour planter une flèche dans une cible carrée d’un centimètre de côté qui serait placée aux confins de l’univers, à une distance de quelques 14 milliard d’années-lumière. » (2008, p.43). Les auteurs Thrin Xuan Thuan et Carter se sont amusés avec ce mot « anthropie » qui définit un ordre croissant par opposition au terme « entropie » (deuxième principe de la thermodynamique) qui désigne un désordre croissant. On pourrait dire que l’« anthropie » correspond à une pulsion existentielle (vie) et que l’« entropie » correspond à une pulsion énergétique (libido).

Ainsi le praticien se tourne vers son patient en devenir (qui est une sorte de ressource organisationnelle et existentielle), autant que vers celui qu’il a été, autant que vers ceux dont il est issu (constituant ses bases)… Il se réjouit à chaque émergence dont il se laisse toucher. Il a confiance dans le « projet anthropique » qui pousse son patient dans le juste sens.  Sa réjouissance « allume » la vie à chaque émergence en son interlocuteur qui peut ainsi « réunir » sa psyché, souvent victime de nombreuses fractures intérieures.

Le praticien ne fait que se laisser conduire par son patient là où c’est juste en lui. D’ailleurs ne dit-on pas « suivre son patient »  (et non pas « se faire suivre par son patient ») ! Je terminerai en soulignant que Maslow a pointé la faculté d’émerveillement comme signe de santé psychique (2008, p.209 et 220) et cet aspect est le moins qu’on puisse attendre d’un praticien.

Thierry TOURNEBISE

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Bibliographie

Abric, Jean-Claude
Psychologie de la communication – Armand Colin 2004

Allport, Gordon
- Psychologie existentielle – Editions Epi, 1971

Descartes, René
-
Descartes, Œuvres Lettres - Règles pour la direction de l’espritLa recherche de la vérité par la lumière naturelle – Méditations – Discours de la méthode  « Bibliothèque de la Pléiade » Gallimard – Lonrai, 1999  

Bruner Jerome
-Car la culture donne forme à l’esprit  - Gehorg Eshel, Genève 1997

Feil, Naomi
-
Validation mode d’emploi- Pradel,1997

Gendlin, Eugène
-Focusing au centre de soi – Editions de l’Homme 2006

Jaspers Karl
-Psychopathologie générale – PUF les introuvables 2000

Lyubomirsky Sonja
-Comment être heureux…  et le rester – Flammarion 2008

Maslow Abraham
-Devenir le meilleur de soi-même – Eyrolles, 2008
-Psychologie existentielle – Editions Epi, 1971

May, Rollo
- Psychologie existentielle – Editions Epi, 1971

Mucchielli, Roger
-L’entretien face à face dans la relation d’aide – ESF 2004

Noble, Denis
-La musique de la vie, la biologie au-delà du génome - Seuil 2007

Nollet, Daniel
-Manuel de thérapie comportementale et cognitive – Dunod, Paris 2004

Preretti (de) André
-Présence de Carl Rogers- Erès, 1997

Rogers, Carl
-Le développement de la personne – Interéditions, 2005
-La relation d’aide et la psychothéapie – ESF 1996
-Psychologie existentielle – Editions Epi, 1971

Thrin Xuan Thuan
-La mélodie secrète de l’univers- Folio essais Gallimard 1991
- Le monde s’est-il créé tout seul ? – Albin Michel, 2008

Tournebise Thierry
-L'art d'être communicant - Dangles, 2008
-L'écoute thérapeutique - ESF 2001-2005 et prochainement réédité en 2009
-Chaleureuse rencontre avec soi-même - Dangles, -1996
-Citations de publicaitons dans ce site:
Le mythe de la transaction
Aout 2000
Les pièges de l’empathie »
Novembre 2000
Eclairer sans produire d’ombre
décembre 2000 
Passion
février 2001 
Le non savoir source de compétences
avril 2001
l’Assertivité
septembre 2001
Humaniser la fin de vie
avril 2003 
Communication thérapeutique »
avril 2004
Ne plus induire de culpabilisation chez les patients ou les parents
novembre 2004   
Libido, amour et autres flux
mars 2005
le ça, le moi, le surmoi et le soi
  novembre 2005
René Descartes
Novembre 2006
Le Focusing - Eugène Gendlin
Juillet 2007

Bientraitance
août 2007
Le positionnement du praticien
 décembre 2007
Psychopathologie »
avril 2008

Veldman, Frans
-L’haptonomie, science de l’affectivité – PUF, 2001

Winnicott, Donald Wood
-Jeu et réalité - Folio Gallimard 1975 

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