Cette dépression, après l’accouchement est assez connue.
Imputable en partie aux modifications hormonales, elle est surtout la résultante
d’un changement fondamental de la morphologie et de l’habitation de son
propre corps.
Le ventre a perdu son volume… et son contenu.
Trop souvent, la préparation à l’accouchement ne prévoit pas la
préparation à la naissance, c’est à dire l’individualisation et la
communication de la mère et de l’enfant. L’heureux événement se
transforme alors en déchirure, en arrachement dont le vide qui en résulte est
un effondrement.
Si la dépression de la mère est connue (bien que souvent mal prise en
charge, psychologiquement), la déprime de l’enfant n’effleure
généralement même pas les
consciences. L’enfant, lors de ce passage du monde de continuité vers le
monde de discontinuité se retrouve séparé, seul, en attente de la suite… Ce
passage est un changement d’univers radical et sans retour.
Venant de quitter le nid physiologique, il lui faudra apprendre à vivre de
cette façon nouvelle. Pour y parvenir, il a encore besoin du nid
psychologique de sa mère.
Craindre qu’à cet âge un enfant prenne de mauvaises
habitudes est aussi ridicule que si on avait cru que le ventre de la mère est
une mauvaise habitude entre 0 et 9 mois. Il y a un temps pour chaque étape de
la vie. Celle-ci requiert la présence de la mère qu’il est
maladroit de réglementer… car elle est la mieux placée pour en ressentir l’équilibre
adapté à son enfant.
L’allaitement est une sorte de prolongement du nid physiologique.
Pour passer le cap vers cette discontinuité, le nouveau-né trouvera ici la
chaleur maternelle qui lui est nécessaire.
Naturellement le nid psychologique peut aussi s’exprimer avec des biberons,
en caressant l’enfant, en lui parlant, en lui donnant de l’attention. Mais
la chaleur et le côté charnel du sein en font un contact d’exception,
tant pour la mère que pour l’enfant.
Trop souvent, des mères ont été découragées d’allaiter. Heureusement,
de plus en plus les mères sont, au contraire, encouragées à cette pratique
dans laquelle la qualité du lait est inestimable... mais aussi dans laquelle le
contact est particulièrement nourricier. Il l’est pour l’enfant, mais
il l’est aussi pour la mère qui trouve ici une heureuse continuité.
Une étape autour de laquelle la famille, père, frères, sœurs, s’organisent
différemment. Avec le bonheur, se joue en même temps quelques frustrations
quand le mari, les frères et sœurs se sentent un peu délaissés par cette
mère si attentionnée à ce nouveau né.
Certaines séparations, d'un tout autre genre, sont
bien plus délicates.
Avant d’aborder la fin de l’article, où j’évoquerai le cheminement
de l’enfant vers de plus en plus d’existence, j’aimerais d’abord
évoquer un regard subtil et nuancé sur quelques situations délicates.
Quand la naissance se produit, il y a passage d’un enfant en soi à un
enfant hors de soi. Si le travail d’individualisation s’est bien fait, cette
étape est vécue comme un grand bonheur. Dans le cas contraire, l’heureux
événement produit parfois, comme nous l’avons vu plus haut, un état
dépressif, un état de manque douloureux, qui n’est pas du qu’à un
changement hormonal.
Si la grossesse se passe bien, j’ai déjà abordé le sujet et il n’est
pas utile de lire ce paragraphe, vous pouvez alors directement passer au
suivant.
Par contre, en cas de grossesse difficile, de fausse couche, d’IVG
(interruption volontaire de grossesse) ou d’ITG (interruption
thérapeutique de grossesse), ce paragraphe est très important.
J’ai un peu hésité à évoquer ces cas dans cet article de l’enfant à
naître, mais comme il y s’agit aussi de rencontre avec l’enfant, je
ne pouvais l’ignorer. Ces nuances ne feront que mieux prendre conscience de l’importance
de la rencontre… dans tous les cas.
Trop souvent on pense résoudre le problème en invitant à prendre de la
distance d’avec l’enfant pour ne pas s’y attacher, dans le but de ne
pas trop souffrir de le perdre!
Même si de nombreux soignants ont compris qu’il est préférable de faire l’inverse,
ces situations restent délicates. Paradoxalement, c’est celle de l’IVG (la
plus courante) qui est la moins bien accompagnée.
Pourtant, on quitte mieux ce qu’on a rencontré que ce qu’on a manqué.
L'IVG est certainement une avancée. Les grossesses non désirées, les
interruptions clandestines meurtrières pour les mères, l’exploitation de la
détresse de femmes par les autres, la souffrance des enfants violemment non
désirés… autant de raisons de considérer que c’est une avancée
prodigieuse.
Mais le fait que ce soit une avancée ne doit pas pour autant nous
conduire à en banaliser la pratique. Quand je parle de banalisation
indésirable, je ne parle pas du nombre, mais de la manière.
Je vois trop de femmes ayant vécu une IVG par choix, récemment ou il y a
longtemps, me livrer en consultation, la détresse qui leur en est restée.
Même de nombreuses années après, il reste un travail de réhabilitation à
faire : la réhabilitation de la mère meurtrie qu’elle fut à ce moment
et la réhabilitation de l’enfant qu’elle a choisi de ne pas garder.
Ce travail peut être accompli beaucoup plus tard, mais il serait
préférable que la femme soit accompagnée dans ce sens au moment de l’événement.
Un tel accompagnement l’amène à bien ressentir ce qui motive son choix.
Il ne s’agit surtout pas de la détourner de ce qui motive sa décision. Au
contraire il s’agit de l’aider à asseoir ce qui la fonde.
Quand la décision est de ne pas garder l’enfant, il est important qu’elle
ose mettre l’attention sur lui et qu’elle ose lui expliquer qu’elle
ne peut pas le garder. Elle devrait lui ouvrir son ressenti
sans
détour et néanmoins accueillir ce que lui a fait vivre ce bref temps de
partage se limitant à quelques semaines.
Un véritable au revoir ne peut s’accomplir qu’après une véritable
rencontre. Attention, je le répète, une telle démarche n’a surtout pas pour projet, lui
faisant rencontrer l’enfant, de la détourner de sa décision. Le projet
est qu’elle l’assume et la partage avec l’enfant, puis quelle accepte de l’accompagner
vers cette séparation.
Elle en sera moins vide, moins meurtrie, moins coupable. Ultérieurement
le manque en sera moins douloureux… car la rencontre aura eu lieu. Ignorer cet
enfant produit au contraire un regret profond et récurrent.
Séparation spontanée (Fausse couche)
Là il ne s’agit plus de choix. La nature semble lâcher la mère et l’enfant
qui vont devoir mettre un terme à cette rencontre. Soit cela se produit de
façon un peu attendue ou redoutée (grossesse à risque) soit cela se produit
sans crier gare de façon soudaine.
Dans tous les cas cela ne remet pas en cause la nécessité impérieuse de la
rencontre mère enfant. Au contraire, un enfant perdu, quelque soit l’avancée
de la grossesse doit avoir une place privilégiée dans le cœur de la mère.
Il doit faire partie de son histoire comme ayant existé. L’ignorer c’est le
faire disparaître une seconde fois et cela, généralement, la mère ne peut l’accepter.
Je me souviens d’un couple me consultant pour un trouble du comportement de
leur quatrième enfant. Nous trouvâmes que la mère eut une fausse couche avant
la naissance du premier. Avec tendresse son mari lui avait dit, dans le but de
la rassurer "ce n’est pas grave, ma chérie, nous en aurons un
autre!" Le "Ce n’est pas grave" était resté gravé en elle
comme une profonde douleur.
Cela fait partie des phrases à ne plus dire.
L’enfant perdu doit exister dans le cœur de la mère et aussi être
reconnu, dans son importance, par les autres. Pour les enfants suivants il
fera partie de l’histoire familiale, ne sera pas occulté, il aura sa place
dans le cœur de tous.
Il ne s’agit surtout pas de pensées morbides, ni d’incitation à la
commémoration perpétuelle. Au contraire lui donner existence permet de se
libérer de la pesanteur et de l’obsession.
Naturellement, si parfois une mère choisit plutôt l’oubli, car cela lui
semble momentanément plus acceptable pour survivre, cela doit être
profondément respecté. Il ne s’agit en aucun cas de lui imposer ce contact
avec son enfant… il s’agit plutôt de savoir repérer le moment où elle le
souhaite, et alors de le lui permettre. Alors, on saura l’accompagner pour
faciliter cette rencontre valorisante et libératrice.
Séparation thérapeutique (ITG)
Si les deux premières situations de l'lVG et de la fausse couche sont
délicates, l’Interruption Thérapeutique de Grossesse l’est encore plus. Il
y s’agit d’un enfant désiré chez qui on découvre une pathologie grave,
justifiant d'interrompre la grossesse (après réflexion d’éthique en équipe et avec les parents).
Cela est d’autant plus délicat quand cette révélation pathologique se
fait tard dans la grossesse, par exemple à six ou huit mois.
Dans l’IVG l’enfant est à son tout début, alors que dans
l'ITG, il est beaucoup plus
proche du terme, beaucoup plus proche de nous. En dehors du problème d’éthique
que pose cette situation, c’est une profonde meurtrissure pour les parents…
et en particulier pour la mère.
Dans ce cas aussi la communication, avec cet enfant qu’on ne gardera pas, est
de première importance. Il s’agit d’une sorte d’euthanasie intra
utérine, et la femme doit accoucher ainsi d’un enfant décédé avant la
naissance.
Le temps où l’on faisait vite, puis comme si rien ne s’était passé est
heureusement révolu. De nombreuses équipes médicales ont compris qu’il
fallait considérer l’enfant comme né puis décédé avec une place dans l’état
civil. Ils mettent aussi un soin tout particulier à préparer l’enfant
pour le présenter à la mère qui ainsi fera mieux son deuil.
Naturellement il se peut
que la mère ne le souhaite pas.
Dans ce cas,
l’équipe prend des photos qui seront à la disposition de la mère quand elle
le souhaitera.
Ces délicatesses sont un immense progrès auquel on ajoutera toute la
communication prénatale telle que décrite ci-dessus.
Là aussi la séparation est moins douloureuse si on ne s’est pas manqué.