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Animer une formation

Le tour de table pédagogique

  septembre 2017   -    © copyright Thierry TOURNEBISE

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Animer une formation suppose de bien connaître le thème que l’on va enseigner, mais cela ne suffit pas. Non seulement il s’agit de disposer d’un savoir suffisant concernant ce thème, mais en plus le formateur doit pouvoir mettre en lien n’importe lequel des éléments de ce savoir avec ce qui est apporté par les participants. Ce savoir devient culture, connaissance, et ne se résume plus à de simples concepts intellectuellement mémorisés et classés.

Le formateur est même censé enseigner, tout en ayant une posture de chercheur : il apprend en même temps qu’il enseigne… et surtout, il apprend de ceux à qui il enseigne, comme si les stagiaires et le formateur formaient « une équipe de recherche autour du thème annoncé ». Bien sûr il dispose de plus de savoir que les stagiaires, mais il reste en recherche d’ajouts, de précisions nouvelles, de subtilités, de compléments, de remises en cause pertinentes.

Il ressort de cela un enseignement dynamique, motivant, mémorisable. Il marque la mémoire de quelques empreintes durables, d’autant plus qu’il s’appuie sur des mises en résonance avec des éléments dont dispose déjà l’apprenant. Il ne recherche ni l’« ensemencement » de la pensée avec des données nouvelles, ni une sorte de « teinture » qui opèrerait par imprégnation. Sa pédagogie opère plus par « résonance » que par « raisonnance » !

 

Sommaire

1 Le savoir et la connaissance
 – Le savoir – La connaissance – La culture

2 Préparer la formation
- Organiser l’information – Le plan

3 Le tour de table pédagogique
- Présentation et vérification – Le tour de table initial – Un outil majeur – Le tour de table proprement dit – Exemples d’expressions

 

 

4 Le déroulement de la formation
-Apports théoriques : Questions et ajustements – Les oppositions – Exposé de la théorie
-Les mises en œuvre :
Entraînement ou mise en situation ? – La problématique du non verbal – Présentation - Exploitation des outils pédagogiques – Exploitation des situations professionnelles mises en œuvre - Panacher les possibilités - Revisiter la théorie

5 La fin de la formation
-Le retour vers les collègues – La formation professionnelle – L’humanité de la formation

 

Bibliographie  
Bibliographie du site

 

Précédente publication sur la pédagogie en février 2007
« 
Pédagogie - l’art du savoir et de la saveur »

1    Le savoir et la connaissance

1.1 Le savoir

L’étymologie de « savoir »* est la même que celle de « saveur », « sapidité ». D’une certaine façon, c’est une affaire de goût ! Dans sa version la plus agréable il va flatter le « palais intellectuel ». C’est pourquoi, en début de stage, le tour de table que j’appelle « tour de table pédagogique » ressemble à une sorte de « mise en bouche » telle qu’on peut en trouver dans un restaurant gastronomique, juste avant la dégustation du repas proprement dit.

*-Le mot « savoir » vient du latin sapĕre « avoir du gôut », « exhaler une odeur », « sentir par le sens du goût » et au figuré « avoir du discernement, du jugement ; être sage ».
-Le mot « saveur » vient, lui, du latin sapor, qui signifie « goût, saveur caractéristique d’une chose », « odeur », « parfum », « action de goûter ». Ce mot est un dérivé de sapere. Nous avons le même type de rapport entre « sapidité » (qui a une saveur) et « sapience» (sagesse). Nous constatons ainsi que le lien est solide entre ces deux mots de « savoir » et de « saveur ».
-Le mot « sapidité » vient du latin sapidus signifiant « qui a du goût, de la saveur », mais aussi, au figuré « sage, vertueux ». Ce qui n’a pas de goût est dit « insipide ».
-Le mot « sapience » vient du latin sapientia « intelligence, bon sens ». Ce mot traduit le sophia (sagesse) grec. Sapientialis signifie « intellectuel ». Sapiens (intelligent, sage, raisonnable) est le participe présent adjectivé de sapere, que nous avons vu plus haut, pour « savoir » et « saveur ».

(Extrait de la publication de février 2007 « Pédagogie » sur ce site).

« Savoir » a aussi la même étymologie que sagesse, sapiens. De ce fait il reflète aussi une sensibilité à l’humain, à la vie, pour ne pas dire à l’« Univers ». La notion d’« Univers » ne signifie pas ici l’étendue du savoir, mais celle de la curiosité bienveillante qui anime le chercheur, tel que le proposait René Descartes : ce savoir suppose de ne pas perdre son bon sens, sa capacité à douter, sa créativité et sa sensibilité. Celui qui sait ne peut se contenter d’accumuler des données. Il est appelé à rejoindre la connaissance, c’est-à-dire le « co-naître ». Ainsi, il se doit « d’habiter » cette zone nouvellement découverte, d’y « naître », de se la rendre familière, de s’y sentir chez-lui.

1.2 La connaissance

Co-naître, c’est « naître avec ». C’est quand le savoir rejoint la connaissance, c’est que celui qui sait « naît » au côté de ce qu’il a rencontré ou découvert.

Il semble pourtant, paradoxalement, que la connaissance précède le savoir, un peu « comme si nous connaissions déjà ce que nous ne savons pas encore ».

Un petit vertige nous saisit face à ce paradoxe : nous connaissons déjà ce que nous ne savons pas encore… pourtant en apprenant, le savoir que l’on acquière doit rejoindre la connaissance !

Tout se passe comme si nous avions en nous une connaissance inconsciente… et comme si « apprendre » consistait seulement à « rendre ce savoir conscient ».

L’idée est sans doute audacieuse, improbable, certainement imparfaitement vraie, et pourtant pas tout à fait fausse non plus. Mais je ne cherche pas à énoncer une vérité absolue. Je me contenterai d’un nouveau paradigme permettant d’appréhender la formation de telle façon que l’enseignement soit plus « animant », plus « résonant » (et moins raisonnant), plus proche de la vie qui habite chacun.

Cela permet de prendre une sorte d’appui dans un « chez-nous » d’humanité familier, « dont nous ne savons rien », mais « qui ne nous est pourtant pas étranger ».

Tout cela n’enlève rien au fait qu’un formateur doive amener des apports, qu’il doive en avoir la maîtrise. Mais sa façon de le faire peut en être pédagogiquement améliorée, grâce à la posture qu’il adopte en regard du savoir et de la connaissance.

1.3 La culture

Ce qui est su et intégré a rejoint une sorte de « connaissance » et ressemble à une « culture » intime dont il est difficille de dire si c’est quelque chose qui nous habite ou quelque chose que nous habitons.

Michael Erard (linguiste) nous propose un ouvrage sur les « hyperpolyglottes »,  personnes qui parlent plus de 6 langues… certains jusqu’à plus d’une cinquantaine : « Adieu Babel » (2016). Il y mentionne à propos du langage que dans certaines régions du monde le langage nous habille et fait partie de notre apparence. Il permet même d’affirmer une identité :

« On ne le met pas à l’intérieur de soi, on s’enveloppe plutôt dedans » (2016, p.58)

Le savoir, lui aussi, fait un peu office d’identité sociale. Mais quand on arrive à la connaissance, il déborde la cadre social et signe une appartenance à l’humanité : c’est alors en même temps quelque chose qui nous habite et un « endroit » d’humanité dans lequel nous sommes profondément chez nous.

Le simple savoir, concernant des données à mémoriser ou même à classer, ou mieux à relier entre elles, n’arrive pas encore à ce niveau d’un « chez-nous familier ». Quand on parvient à cet « endroit-là », seulement à ce stade …se révélant familier il devient culture. Dans son ouvrage « Car la culture donne forme à l’esprit », Jerome Bruner (professeur de psychologie, cognitiviste) dénonce les discours soi-disant savants, quand il s’agit d’aborder la subtilité :

dès «… qu’on commence à prendre à bras le corps les universaux, les hypothèses et les théories, ces appariements apparaissent pour ce qu’ils sont : bricolés pour l’occasion » (Bruner,1997, p.30).

Quand le savoir rejoint la connaissance et se fait culture, il sort du « bricolage intellectuel » qui, aussi sophistiqué soit-il, reste un « fragile échafaudage » éloigné du bon sens.

René Descartes était très sensible à cette posture et au bon sens. On sait rarement qu’il prônait l’ouverture d’esprit et l’originalité, qu’il invitait à étudier « en soi-même ». Il dénonçait le risque du savoir purement intellectuel, affirmant que celui qui se confit aveuglément à l’autorité savante a perdu son bon sens :

« …dès l’enfance il a pris pour la raison ce qui ne reposait que sur l’autorité de ses précepteurs… » (Recherche de la vérité par la lumière naturelle 1999, p.898). 

Cette culture se doit d’être une assise solide, si solide qu’elle ne craint pas la nouveauté, la remise en cause, les découvertes. Le pire serait qu’elle devienne un enfermement rendant hostile à la nouveauté, une sorte de forteresse enclavée limitant l’ouverture, bloquant l’esprit de recherche, la sensibilité... témoignant ainsi de sa fragilité. Plus un enseignant est hostile à la nouveauté, plus il témoigne ainsi de la fragilité de sa culture qui n’est que savoir. Les enseignants, même universitaires, peuvent aisément tomber dans ce piège. La pédagogie n’est pas une mince affaire.

Il me plait souvent de citer Louis Leprince-Ringuet (1901-2000, physicien et historien des sciences), qui lors d’une émission de télévision nous proposa une définition du « savant » :

« Un savant, c’est quelqu’un dont l’ignorance a quelques lacunes »

Ainsi, le « savant » a plus de non savoir que de savoir… et c’est probablement ce qui fait sa dynamique, son esprit de recherche, son ouverture et sa sensibilité. Il est ainsi tourné vers l’« Univers » avec une sorte d’« ignorance tranquille », appuyée sur un fondement culturel signifiant, qui lui permet d’aborder humblement la nouveauté avec délice.  

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2    Préparer sa formation

2.1 Organiser l’information

Pour préparer une formation, les données à transmettre doivent être organisées de telle façon qu’elles soient intelligibles et recevables par les apprenants.

Structurer l’information peut sembler une chose simple. En fait cela peut se révéler assez délicat quand les éléments qui la constituent sont intriqués : il faut souvent un peu des informations d’après pour comprendre celles d’avant, mais celles d’après sont inaccessibles sans celles d’avant. Il faudra alors entrecroiser les apports de façon à donner de « ce qu’il faut, quand il faut », au risque de contrarier la logique absolue.

Par exemple comment parler d’alphabet sans parler de lettres, et comment parler de lettres sans parler d’alphabet ? La situation peut vite se révéler délicate, surtout avec des données complexes. Le « ceci avant cela » se révèle être un choix arbitraire entre plusieurs possibilités (comportant chacune des avantages et des inconvénients).

Il convient aussi de faire des catégories d’information. Cette tâche peut aussi se révéler délicate. Les lettres seront-elles considérées par rapport à leur place dans l’alphabet (logique habituelle) ? Par rapport à leur catégorie de sonorité (douce ou dure) ? Par rapport à leur fréquence d’usage (comme le font les orthophonistes pour permettre à une personne paralysée, qui ne parle pas et n’écrit pas, de pointer les lettres du mot qu’ils veulent « dire ») ? Ou encore par rapport à leur catégorie de forme (par exemple rondes, angulaires, symétriques) etc.

Doit-on classer les lettres parmi les signes ? Parmi des éléments d’alphabet ? Parmi des éléments de mots ? Doit-on parler des mots avant les lettres, des mots qui sont des éléments de phrase ? Mais alors, quand doit-on parler des phrases, car les lettres sont des éléments de phrase aussi ! Comment organiser cette information ? Il semble plus simple de parler de lettres, puis d’alphabet, puis de mots, puis de phrases. L’enchaînement semble logique. Pourtant, est-ce le meilleur, le plus favorable à l’intégration pour l’apprenant ?

Le formateur peut choisir de montrer des phrases constituées de mots pour ensuite faire remarquer les lettres, et leur fréquence peut être une autre option. Doit-on partir de l’architecture graphique d’un texte global pour montrer les paragraphes puis les phrases puis les mots. Ou bien directement y remarquer les mots pour ensuite voir qu’ils constituent des ensembles de lettres.

Je suis parti d’un exemple « simple », afin de montrer que même sur un thème simple, la réflexion pédagogique peut vite devenir très complexe. Heureusement, le bon sens nous guide un peu, mais parfois notre première impression n’est pas la bonne. Alors cela demande réflexion, inspiration, créativité, tentatives inattendues, et surtout partenariat continuel avec les apprenants. Seul le résultat final donnera son verdict : l’apprenant aura-t-il pu s’approprier ce qui lui a été enseigné d’une façon utilisable ? L’on aimerait bien mesurer cela de façon objectivable. Mais l’utilisation simpliste d’une liste de QCM (questions à choix multiple) qui prétend une telle objectivation des acquis, ne rend pas compte de l’intégration. Une telle liste de QCM est une commodité, mais en termes d’intégration son résultat est un leurre (tant pour l’étudiant que pour l’enseignant).

2.2 Le plan

Il résulte de cette organisation de l’information un plan. Celui-ci est important pour le déroulé de l’exposé, mais aussi parce que le formateur se devra de le présenter en début de formation : place et ordre des données théoriques, place et ordre des exercices ou des mises en œuvre. Un peu comme une carte à grande échelle : on y voit une région. En diminuant l’échelle, ensuite on y voit un département, puis on peut y explorer des villes. Mais, là aussi, dans l’énoncé, l’ordre des départements ou des villes reste à déterminer(par ordre alphabétique, par lieu géographique, par superficie, par nombre de population… etc.) !

Le plan semble une solution parfaite. Pourtant son déroulement sera agrémenté d’exemples venant illustrer le propos. Mais ceux-ci peuvent parfois servir à plusieurs endroits de l’exposé, introduire un élément qui ne peut être utilisé que partiellement… puis être repris ultérieurement pour un autre aspect.

Par exemple, on peut choisir de parler de poésie (verbale) pour monter comment on peut utiliser des mots, avant d’en arriver aux lettres. Mais on peut aussi prendre l’option de parler d’informations journalistiques, ou de romans, ou d’essais. Ou encore de panneaux indicateurs pour s’orienter (en mettant l’accent sur le service rendu pour trouver son chemin).

On peut ainsi choisir de montrer la finalité avant de montrer un élément initial, surtout au niveau des exemples censés motiver l’apprenant. L’avantage est que cela donne du sens à ce qu’il étudie. Mais à ce petit jeu ne risque-t-on pas parfois d’aller trop vite, de submerger l’apprenant, puis de découvrir rapidement qu’il faut plus d’éléments étudiés avant de bénéficier de cet exemple, qui alors devient contreproductif ? Cela dépend de la pertinence, de l’adaptation au contexte et ne peut se résumer à une règle.

Établir trop de règles par avance est sans doute peu pertinent. En effet, lors de l’exposé, l’enseignant ou le formateur devra, en plus, s’ajuster aux réactions des apprenants. Il arrive même que des notions simples (en apparence évidentes) posent problème. Lors d’une formation sur la relation d’aide, j’évoque la notion de « structure de la psyché ». Alors que la difficulté porte habituellement sur l’idée de « structure », un soignant me demande « c’est quoi la psyché ? ». Surpris, je me suis finalement trouvé en peine de donner une définition immédiatement satisfaisante. Après des périphrases et un dépassement des zones d’information que j’avais prévu d’aborder, un modeste début de réponse a pu émerger. J’ai été très reconnaissant envers ce stagiaire qui remettait en cause une évidence (apparente) et forçait la précision du formateur. Un moment d’une grande richesse, mais où des dépassements se sont opérés. Le formateur, en de pareils moments se trouve formé par les apprenants… tant pis pour le plan (qui doit quand même avoir existé, quitte à être remis en cause en cours de chemin) …c’est un grand moment de partenariat !

En ce sens le formateur sera toujours un peu comme un équilibriste ajustant sans cesse une assise suffisante mais indéfiniment perfectible, afin de pouvoir faire avancer sans chuter ses apprenants.  

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3    Le tour de table pédagogique

3.1 Présentation et vérification

Le formateur présente son thème et son plan afin de définir le « paysage » de ce qui va être abordé. Etape rapide mais essentielle qui « plante un peu le décor » où l’on va s’amuser à faire des découvertes. Généralement, les participants savent le thème abordé et sont venus pour l’étudier. Seul le plan leur est inconnu. Leur employeur a réalisé avec soin un cahier des charges, avant de solliciter les services d’un formateur. Le plus souvent les stagiaires ont eu accès au programme, qui leur donne un aperçu du contenu (mais pas toujours !).

Il arrive pourtant que le formateur découvre des stagiaires qui ont été « parachutés » dans la formation au dernier moment …et en connaissant à peine le thème. Parfois, c’est plus rare, certains ne voulaient même pas y venir.

Il s’agit alors pour le formateur de composer avec délicatesse, afin que ces collaborateurs contrariés y trouvent tout de même une place satisfaisante, une expression possible, qu’ils y reçoivent une reconnaissance. De tels stagiaires ne doivent pas se sentir jugés ni laissés de côté. Ceux qui les ont inscrits contre leur gré doivent aussi être respectés hors de toute polémique.

Tenant compte de cela, le formateur présentera son thème et surtout son plan, afin que chacun comprenne le chemin par lequel on va passer pour réaliser les acquisitions prévues dans les objectifs de la formation.

3.2 Le tour de table initial

Il est difficile de commencer une formation sans tour de table. Il peut être tentant de ne pas en faire quand la formation est très courte (deux journées). On peut exceptionnellement en faire l’impasse si les participants se connaissent déjà et poursuivent un processus déjà engagé. Cependant, dans la plupart des situations ce n’est pas souhaitable. Comme l’exercice peut être fastidieux il a été imaginé différentes façons de le faire : par exemple la « présentation croisée », où les stagiaires se présentent entre eux deux par deux, puis ensuite chacun, lors du tour de table, présente son voisin ; ou encore on demande la « réalisation d’un blason » qui représente au mieux le participant, ou le « portrait chinois » où il se décrit par des analogies par rapport à une liste de qualificatifs, d’objets ou de personnes célèbres proposée*.

*Exemple sur le site « Pedagoforme » http://www.pedagoform-formation-professionnelle.com/2014/09/debut-d-activite-pedagogique-utiliser-un-brise-glace.html  http://tenseignes-tu.com/pratiques-de-classe/brise-glace/

La difficulté fait que ces processus sont parfois ludiques, parfois sophistiqués, parfois artificiels. Pourtant il ne s’agit jamais de « déguiser » ce moment, mais d’en faire quelque chose d’aussi juste que possible, venant favoriser le partage, le rencontre, la qualité de la suite de la formation. Il ne s’agit pas d’une simple formalité !

Pour ma part je souhaite privilégier ce que je nomme le « tour de table pédagogique ». Il est un pivot essentiel de la formation, dont j’ai pu constater que les stagiaires ayant l’expérience de nombreux stages n’avaient jamais rencontré cette façon de faire. Le plus étonnant est que même des formateurs expérimentés (plus de 10 ans d’expérience) que je reçois en « formation de formateurs » n’en avait pas non plus l’idée et en trouvent la mise en œuvre délicate à réaliser. Cette mise en œuvre demande de la part du formateur souplesse, posture communicante, attitude sécurisante (mais non infantilisante) et reconnaissante, élan de découverte, capacité de réjouissance, mise en lien de ce qui est dit avec le contenu du stage …etc.

3.3 Un outil majeur

Le tour de table pédagogique se situe hors de tout gadget qui viendrait artificiellement produire de la motivation ou de la distraction. Le projet est la rencontre et le partage, la validation des attentes exprimées et surtout leur mise en lien avec ce qui va être apporté. A cette occasion, une présentation sommaire de divers apports ultérieurs peut se faire au gré des émergences qu’amènent les stagiaires quand ils évoquent, tour à tour, leurs préoccupations professionnelles. Là il ne s’agit plus du plan, mais de présentations informelles ajustées à l’opportunité qu’offre chacun. Chacun se retrouve ainsi contribuer aux apports qui enrichissent tout le monde et prend sa place dans le groupe, car il en reçoit une gratitude de la part du formateur au nom de tous.

 

Cette mise en rapport entre ce qui est exprimé et divers éléments de la formation qui va avoir lieu a deux buts : l’un est de donner un premier aperçu de ce qui sera abordé (premier contact avec le thème), l’autre est de placer chaque stagiaire comme co-auteur pertinent de la formation (existence et motivation). Le point clé est surtout la reconnaissance de chacun dans ce qu’il apporte de plus inestimable, y compris celui qui ne voulait pas venir, et qui témoigne ainsi d’une réalité professionnelle où les contraintes peuvent représenter une pénibilité. Même quelqu’un qui ne souhaite pas (ou ne peut pas) parler donne l’opportunité de découvrir ce qu’est le respect de la discrétion, nous fait découvrir concrètement le fait qu’aucune parole ne nous est due, que notre gratitude doit toujours être présente dans les échanges quels qu’ils soient. Aucune situation n’est un échec et même les difficultés sont des opportunités.

Cela consomme un peu de temps, mais ce temps n’est pas un temps sacrifié : il fait partie de la démarche pédagogique globale et se révèle facilitant pour la suite.

Si la formation est assez longue (par exemple 3 à 5 jours) le formateur y consacrera entre 2 et 3h. Si elle est courte (deux journées) il devra le limiter à deux heures maximum.

Pourquoi tout ce temps ? Il ne s’agit pas simplement de dire « Bonjour, je m’appelle Jean, je suis infirmier, je travaille dans le service de gériatrie » !  C’est un moment pédagogique fondamental où il se passe bien plus :

-Enoncé des besoins réels rencontrés sur le terrain professionnel (souvent différents du cahier des charges pourtant réalisé avec soin).

-Expression du vécu du stagiaire sur le terrain professionnel. Parfois occasion de se sentir entendu sur des points délicats trop souvent délaissés ou passés inaperçus dans son travail.

-Mise en lien de ce qui va être apporté au cours de la formation avec chacun des éléments ainsi révélés, permettant de raccrocher ces apports aux réalités.

-Gratitude envers chacun des stagiaires pour l’éclairage qu’il permet grâce à ce qu’il révèle, grâce à sa participation en co-auteur de la formation.

-Le formateur y aura une posture d’apprenant et de chercheur, heureux des stagiaires avec qui il travaille en équipe, tous ensemble tournés vers la plus grande justesse professionnelle possible. Bien que le formateur maîtrise son thème, il va néanmoins chaque fois apprendre beaucoup de ceux à qui il enseigne.

3.4 Le tour de table proprement dit

Par exemple, dans un établissement de soins, le thème de la formation est « La bientraitance ». Le stagiaire dit « Bonjour, je m’appelle Jean, je suis infirmier, je travaille dans le service de gériatrie ».

Cela est de peu d’utilité s’il n’y ajoute rien.  Soit il ajoute spontanément quelque chose, par exemple « La bientraitance ! comme si nous ne nous occupions pas bien des patients ! » ; soit il n’ajoute rien, et dans ce cas le formateur devra solliciter l’expression de quelque chose de plus, mais avec un très grand respect, sans générer la moindre tension ou inconfort. Nous verrons comment.

Si la stagiaire ajoute spontanément : « La bientraitance ! Comme si nous ne nous occupions pas bien des patients ! », il manifeste le désagrément d’avoir été inscrit à un tel thème. Le formateur est censé « recycler » cet inconvénient en ressource. Il dira par exemple « Vous avez tout à fait raison, les soignants ont de l’humanité, sinon ils ne feraient pas ce métier. Si aborder ce thème sous-entend le contraire c’est forcément inadapté. En fait cette humanité dont dispose chacun ne manque pas, mais elle est parfois difficile à manifester. Ce que nous verrons ici ce n’est pas comment en avoir plus, mais comment être plus à l’aise avec celle que l’on a naturellement ».

Si le stagiaire n’avait rien ajouté, alors le formateur sollicite un complément. Par exemple et de façon fluide : « En quoi le thème de la bientraitance peut apporter quelque chose de plus dans votre travail ? (question ouverte) Avez-vous remarqué des situations où cela pourrait vous être utile ? (question fermée*) ».

*La question fermée facilite une réponse simple dont l’intellect ne vient pas perturber l’authenticité.

Soit le stagiaire répond facilement, et l’opportunité de ce qu’il dit nourrit de nouvelles précisions que peut apporter le formateur. Soit il reste toujours silencieux, voire embarrassé. Dans ce second cas il ne doit pas pour autant se retrouver en échec, et le formateur accompagnera son expression avec délicatesse : « C’est vrai qu’il se passe de multiples choses dans une journée professionnelle et leur mise en mots n’est pas aisée » (validation de la pertinence de la non réponse). A ce stade le stagiaire peut se sentir validé et non acculé. Le formateur ajoutera « Y a-t-il des situations où l’on souhaiterait être délicat, mais ce n’est pas si facile ? » (question fermée facilitante, où il est aisé de répondre oui ou non). S’il répond « oui », alors le formateur demande « Auriez-vous un exemple ? », sans mettre la moindre pression. S’il donne cet exemple cela devient un appui pour énoncer quelques éléments d’apports, en rapport avec cette réalité du terrain professionnel, s’il n’en trouve pas le formateur dira « En effet il se passe bien des choses dans un service, mais comme la mise en mots en est difficile, cela rend plus difficile de remédier aux difficultés rencontrées. Néanmoins celui qui y travaille les rencontre, et même parfois peut en souffrir. Ce que nous ferons dans cette formation, c’est justement de mieux pouvoir énoncer ce qui est rencontré concrètement sur le terrain professionnel. Merci de bien nous avoir montré ce point essentiel de la difficulté d’énoncer ce que nous rencontrons. Ce sera un aspect important de ce que nous aborderons ».

De stagiaire en stagiaire, le tour de table se poursuit, chacun peut y sentir qu’il participe à quelque chose de pertinent, de constructif, qui n’est jamais « à côté », que ce qu’il dit ou ne dit pas est toujours validé dans ses justesses et se révèle de grande utilité pour l’apprentissage de tous.

3.5 Exemples d’expressions

Le premier stagiaire :

« Il y a longtemps que je voulais suivre ce stage. Dans le service nous rencontrons des situations délicates, parfois de l’agressivité des patients ou des familles et ce n’est pas facile de rester tranquille face à ça ».

Le formateur :

« Effectivement, en théorie l’on sait bien que le métier consiste en de la délicatesse et du respect de la part des professionnels. En théorie c’est clair, mais quand on est exposé à la violence d’un usager ou de l’un de ses proches, comment garder cette posture ? D’un côté on ne peut pas ne rien dire, et de l’autre on ne peut pas être désobligeant.

Ce que nous allons voir, c’est la différence entre le fait d’être affecté et celui d’être touché. Si nous regardons seulement ce que fait l’autre, quand il est agressif nous sommes naturellement affectés. Si nous choisissons de privilégier notre attention vers celui qu’il est et lui accordons qu’il tente de dire quelque chose d’important que personne n’a dû entendre, nous sommes naturellement plus détendus. Nous verrons cette posture facilitante, mais aussi le type d’échange verbal qui sera le plus pertinent. Le non verbal sera aussi très présent dans toutes nos investigations. Il représente 93% de l’information échangée entre des gens qui se parlent ».

Merci de votre apport (être reconnaissant pour la contribution que le stagiaire vient d’apporter, permettant de faire une première présentation de ce qui sera abordé ultérieurement).

Et pour vous ? (invitant le collègue suivant dans le tour de table)

 Le stagiaire suivant :

« Bonjour, je m’appelle Anaëlle. Je suis aide-soignante en USLD (unité de séjour longue durée). Le sujet de la bientraitance est souvent abordé et j’ai souhaité suivre cette formation car nous ne savons pas toujours clairement ce qui est le plus "bientraitant". Si le patient refuse le soin, est-on bientraitant en acceptant de ne pas le faire ou bien en le lui imposant ? Les deux situations sont insatisfaisantes. »

Le formateur :

« Vous avez parfaitement perçu l’ambiguïté. Laisser une personne sans soin, à sa demande, est en même temps un respect de sa volonté et un manquement professionnel. Mais le lui imposer, sous prétexte d’être professionnel, est une forme de maltraitance ordinaire, même si son hygiène ou sa santé en dépendent. Finalement comment le soignant peut-il agir de la meilleure façon ?

Votre remarque est importante car elle nous conduit à différencier clairement la « maltraitance » proprement dite de la « maltraitance ordinaire ». La maltraitance proprement dite, qui est punissable par la loi, concerne les violences avérées, les insultes, les refus de soin, les sévices, les vols et détournements, les menaces, les abus sexuels… Même s’il faut aussi s’en préoccuper, cela ne concerne qu’une minorité de faits. La maltraitance ordinaire, elle, est à la fois beaucoup moins grave, mais infiniment plus fréquente et de ce fait très dommageable. Elle passe souvent inaperçue en dépit de l’humanité des soignants. Ce que vous proposez en est un exemple. Si je ne fais pas le soin je ne suis pas bientraitant, si je le fais je ne le suis pas non plus !

En principe le soin doit être fait. Mais le sujet qui le refuse, même si probablement il va le recevoir, doit impérativement être entendu dans son refus. Il ne peut en même temps recevoir un soin qu’il ne souhaite pas, et en plus se retrouver nié dans ce qu’il dit, voire culpabilisé. Il s’agirait alors pour lui d’une double peine ! Nous verrons au cours de cette formation comment s’y prendre concrètement. Il ne s’agira pas simplement de commenter la situation et de dire faisons ceci, faisons cela, mais de vraiment le mettre en œuvre et de l’expérimenter.

Merci pour cette opportunité de mise en relief.

Invitant le collègue suivant dans le tour de table : « Que souhaitez-vous trouver dans cette formation, qu’est-ce qui vous a conduit à vous y inscrire ? »

Le stagiaire suivant :

Moi je ne souhaitais pas tellement y venir. Mon cadre m’y a inscrit, mais je pense que depuis 25 ans que je fais ce métier je ne suis pas indélicat avec les patients.

(Nous remarquons que du fait de sa tension il n’annonce pas son prénom)

Le formateur :

« Professionnellement, vous ne vous sentez pas bientraité semble-t-il !? (reformulation, validation). Ce que vous évoquez est excellent car cela montre que l’intention de votre cadre de vous faire bénéficier de cette formation peut être éprouvé comme très inconfortable. Nous voyons alors que, sans vouloir le mal d’un collaborateur ou d’un patient, il peut arriver que l’on manque de délicatesse et qu’apparaisse ce qu’on appelle une maltraitance ordinaire. Votre cadre a ses raisons de vous proposer ce stage, vous avez les vôtres de ne pas le souhaiter. Il n’y a pas de doute sur le fait que vous avez tous les deux chacun votre raison ! La difficulté est de parvenir à bien fonctionner ensemble tout en ayant des points de vue différents, voire opposés.

Nous sommes au cœur du problème que nous allons traiter dans cette formation. Avec une telle expertise à propos de ce qu’on peut ressentir en pareil cas… vous avez un atout supplémentaire pour vous occuper des patients ! Cela nous montre aussi de façon précise que la bientraitance ne concerne pas que les patients ou leurs proches, mais aussi les collègues, les collaborateurs, les cadres ou directeurs. Tout le monde a besoin de se sentir bientraité : vous, votre cadre, les membres de la direction, les patients, leurs proches… tout le monde. C’est un principe d’humanité et non de statut. La bientraitance à un endroit est reliée à la bientraitance à un autre… tout le monde est concerné. Le manque de bientraitance à un endroit peut générer un manque de bientraitance à un autre. On appelle ça des « interactions systémiques ». Nous allons vraiment nous occuper de cela. Cependant, est-ce acceptable pour vous de suivre ce stage ? »

Le stagiaire :

« Maintenant que j’y suis, je vais tâcher d’en tirer le meilleur. Il y a toujours des choses à apprendre ».

Le formateur :

« En tout cas merci pour votre franchise et aussi pour cette opportunité d’évoquer cet aspect de la bientraitance »

Puis le formateur invite le stagiaire suivant à s’exprimer. Chaque participant, qu’il soit heureux ou contrarié d’être là, offre une inestimable opportunité d’aborder un des aspects qui sera développé ultérieurement.

Je mettrai en garde le formateur qui serait tenté d’instrumentaliser ses stagiaires pour placer « son truc ». Il ne s’agit sûrement pas de manipulation, mais de partenariat. La reconnaissance qui y est accordée n’est en aucun cas une motivation artificielle mais une sorte de collaboration sincère entre deux chercheurs qui veulent aller vers quelque chose qui soit le plus juste possible.

A la fin de ce « tour de table pédagogique » riche en apports, commence la partie « apports théoriques structurés » (bien sûr entre les deux il y a une pause). Il vient d’y avoir de nombreux apports au cours du tour de table, qui ont été ajustés en fonction des situations de chacun. Dans la suite, ces éléments vont être développés en suivant le plan annoncé. Même si des questions pourront à tout instant être posées le formateur va aborder le déroulement de son plan.  

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4    Le déroulement de la formation

Une formation comporte des apports théoriques structurés, des exemples venant illustrer le propos, et des mises en œuvre permettant d’appréhender concrètement la théorie.

4.1 Les apports théoriques

Les apports théoriques sont structurés tel que le plan l’avait annoncé. Ils ne sont pas pour autant proposés de façon « magistrale » (c’est-à-dire « sans intervention des participants ») tel que cela peut se faire dans un cours. Le déroulé se fait, d’une part agrémenté d’exemples venant illustrer le propos, d’autre part en interaction avec les participants. Le formateur pourra utiliser des exemples professionnels de son cru, mais s’appuiera surtout sur ceux des stagiaires (révélés dans le tour de table, ou énoncés à l’occasion de l’exposé). Il ne manquera pas aussi de s’appuyer sur leurs réactions. Sa pédagogie dépend pleinement de sa capacité à faire cela, non comme une sorte de « technique interactive » mais dans un esprit de co-animation, et même de co-recherche, où il est en capacité de s’émerveiller des contributions de chacun, le conduisant à ajouter de la précision ou de la clarté.

4.1.1    Questions et ajustements

Les participants sont invités à poser des questions quand cela leur semble nécessaire. Non seulement cela leur permet de clarifier directement ce qui leur est obscur, mais cela rend un inestimable service à tous ceux qui n’ont pas osé demander. Même pour ceux qui avaient compris, les nuances ajoutées viennent apporter des éclairages innovants. Pour cela le formateur doit pouvoir « se promener avec aisance » dans l’ensemble des données et références dont il dispose et les ajuster aux interrogations. Le formateur va donc continuellement ajuster ses apports afin d’en rendre la réception aussi claire que possible. Il ne s’éloigne pas pour autant de son fil directeur.

Ces interventions des stagiaires sont inestimables car elles fournissent des compléments dans l’architecture de l’exposé. Des stagiaires exigeants sont une belle opportunité pour produire une formation de qualité. Quelle que soit l’étendue des connaissances du formateur, il peut lui arriver de ne pas savoir répondre. Il aura alors avantage à le dire franchement, tout en remerciant le participant d’oser l’amener dans une zone où une recherche s’avère nécessaire. S’il le peut, le formateur répondra lors de prochaines journées. Il doit même en faire un moment didactique offrant aux apprenants de rester ouverts à la recherche même quand ils savent déjà beaucoup de choses, et d’accepter une ignorance comme une opportunité.

Nombre des questions posées sont simplement de véritables quêtes du stagiaire. Par exemple concernant la bientraitance :

« Quand nous manquons de temps, cela est-il aussi possible ? »

« Est-ce qu’il y a des expressions préférables à d’autres ? »

« Y a-t-il moyen d’être communicant avec un patient violent, agressif ? »

« Les collègues ne risquent-t-ils de nous trouver bizarre si on fait ça ? »

« Qu’est-ce que la bientraitance face à un patient dément ? »

Chacune de ces questions est une occasion d’aller plus loin dans l’exposé, en s’appuyant directement sur ce qui préoccupe les participants. Bien sûr le formateur connaît beaucoup de situations professionnelles, mais celles-ci sont les meilleures pour les personnes concernées.

Ici, les questions sont posées de façon saine, vraiment pour savoir, et le formateur y répond simplement et directement, avec son expertise.

4.1.2    Les oppositions

Il est des moments moins constructifs où un ou plusieurs stagiaires sont en désaccord avec ce qui est proposé (voire parfois en désaccord entre eux). C’est bien sûr tout à fait leur droit, car un enseignant ne doit en aucun cas se placer en affirmations péremptoires et définitives (rappelez-vous que nous sommes en co-recherche). Le formateur reste ouvert à toutes les éventualités, mais « l’esprit tranchant » du stagiaire présente ici autre chose.

L’opposition n’est jamais un problème quand elle est une saine opposition, quand elle vient d’une personne qui cherche simplement à en savoir plus, avec rigueur, souhaitant étendre son champ d’investigation, avec des références assurées. Cependant, il est aussi des personnes qui, pour des raisons qui leur appartiennent (et méritent respect), sont en opposition systématique et tranchante. C’est assez rare, mais ça arrive quelques fois.

Souvent, la violence n’est qu’implicite : dans ce cas les questions précédentes seront posées, mais avec un non verbal suspicieux.  Les questions sont alors de fausses questions qui ne cherchent pas à approfondir le thème mais à enrayer l’exposé, mettre à mal le formateur, accomplir une revendication. Dans tous les cas il y a une raison pertinente, mais elle n’apparaît pas immédiatement et le formateur qui « répond à cette question apparente » va dans une mauvaise direction et se met en difficulté. Il aura avantage à rendre l’implicite explicite :

« Quand nous manquons de temps, cela est-il aussi possible ? »
Si le non verbal de cette question présente une agressivité ou une revendication il convient de ne pas répondre (car alors ce n’est plus une question) mais de reformuler ce qui est sous-entendu :

« Cela ne vous semble pas cohérent !? »

Il s’agit plus d’ouvrir un dialogue sur ce que le stagiaire a exprimé implicitement que de répondre directement à la question apparente. La difficulté pour le formateur est que ce dialogue se devra d’être aussi long que nécessaire, mais aussi court que possible, sans en exclure les autres participants.

La violence peut aussi être explicite :  les questions elles-mêmes ont un contenu verbal tendu :

« Vous parlez de bientraitance, on voit bien que vous ne connaissez pas nos journées de travail ! »

« Pour écouter les patients, faudrait-il encore avoir du temps ! »

« Vous êtes bien gentils de nous amener la "bonne parole", mais il faudrait connaître les réalités ! »

« Ça ne peut fonctionner qu’avec des patients qui ont suivi la formation ! »

« Bien sûr il faut être poli, mais on n’est pas dans un monde de bisounours ! »

« Alors si on se fait insulter on n’a qu’à tendre l’autre joue ! »

Pour chacun de ces cas la reformulation est de mise. Il ne s’agit jamais de donner des explications, encore moins de justifier quoi que ce soit, ni de défendre son propos. D’abord valider par une reformulation, puis ouvrir la curiosité sur une nouvelle possibilité

- « Vous parlez de bientraitance, on voit bien que vous ne connaissez pas nos journées de travail ! »
« Vous avez le sentiment que vos journées sont trop lourdes pour faire ça !? Votre remarque est essentielle. Quand la charge dépasse une limite cela devient plus difficile. Nous devons tenir compte de cela. »

- « Pour écouter les patients, faudrait-il encore avoir du temps ! »
« Votre charge de travail ne vous donne pas assez de temps !? Votre préoccupation est parfaitement juste.  C’est pour cela qu’il nous faut trouver le moyen de ne pas en perdre »

- « Vous êtes bien gentils de nous amener la "bonne parole", mais il faudrait connaître les réalités ! »
« Vous vivez des difficultés sur le terrain dont personne ne tient compte !? C’est exact. On ne peut gagner en efficacité qu’en tenant compte du terrain. Je compte sur vous pour nous donner des précisions à ce sujet. Nous sommes ici pour en tenir compte. Merci de nous le rappeler »

- « Ça ne peut fonctionner qu’avec des patients qui ont suivi la formation ! »
« Vous pensez que cela ne concerne qu’un club d’initiés !? Dans ce cas vous avez raison, une telle formation ne servirait à rien. En fait, avec des gens communicants, nous n’avons besoin d’aucune précaution, cela fonctionne toujours car ils corrigent nos erreurs. C’est quand ils ne le sont pas que ce que nous sommes en train de voir est essentiel. Merci d’insister sur le fait qu’il faut pouvoir s’adresser à tout le monde. »

- « Bien sûr il faut être poli, mais on n’est pas dans un monde de bisounours »
« Vous avez raison nous ne sommes pas dans un monde de bisounours ! Il n’y a pas à subir ces insultes et encore moins à y être vulnérable. La question qui se pose est alors "concrètement comment s’y prendre ?". C’est ce que nous allons aborder. »

- « Alors si on se fait insulter on n’a qu’à tendre l’autre joue »
« En effet c’est une option, vous faites comme vous voulez ! Mais ce n’est pas de cela dont nous parlons ! Il n’est pas question de subir de l’irrespect, mais de le gérer autrement, de ne plus y être vulnérable. »

4.1.3    Exposé de la théorie

La théorie est exposée tel que prévu, mais avec les digressions que suscitent les stagiaires, soit pour gérer les difficultés énoncées ci-dessus, soit simplement pour apporter des éléments complémentaires adaptés à ce que chacun rencontre sur son terrain professionnel.

De nombreux exemples auront été évoqués (ceux du formateur ou ceux des participants). Même au stade de la théorie, le formateur prendra toujours soin de ne pas rester dans des considérations générales, mais de toujours envisager les choses sous un angle concret.

Par exemple si un stagiaire dit :

« Mais quand un patient refuse violemment un soin comment faire ? »

Le formateur dira bien sûr, par exemple « il convient de valider ce que le patient exprime et surtout pas de lui expliquer quoique ce soit, en tout cas pas en première instance ». Il pourra donner des rappels sur la validation, sur la pertinence des questions adaptées à poser au patient

…mais il devra rapidement proposer « Avez-vous un exemple pour appuyer ce dont nous parlons ? Car cela ne suffit pas d’avoir des considérations sur cette situation. Quand le patient nous dit ce qu’il nous dit, ou se comporte comme il se comporte, la vraie question est : comment faisons-nous, en paroles, en attitudes, et même en pensées. »

Si le stagiaire parvient à identifier une situation (le formateur peut l’y aider, sans aucune pression ni exigence), l’explication prendra un aspect bien plus constructif. Il importe de ne pas retomber dans ce que l’on voit dans les staffs où l’on parle beaucoup des patients, mais où l’on considère assez peu comment leur parler de façon concrète.

Finalement, le stagiaire propose : « Par exemple un membre de la famille nous dit "est-ce qu’il mange assez, au moins ?", mais de façon très agressive. Alors je lui ai répondu que oui et même que son alimentation était suivie par un diététicien ».

Le formateur pourra reprendre en invitant le stagiaire à envisager ce qui a motivé sa réponse et son explication. Celui-ci remarquera qu’il s’est senti agressé et a voulu donner une explication à propos du diététicien afin d’annuler cette agression, afin de calmer l’interlocuteur. Le formateur pourra expliquer que l’élan si naturel de « vouloir calmer » produit hélas souvent l’effet inverse, que la validation fonctionne mieux. Il invitera alors à proposer :

« Vous craignez qu’il ne mange pas convenablement !? » ou mieux encore « Vous avez à cœur qu’il ait une bonne alimentation !? », ou « Ce n’est pas facile pour vous de le laisser ici !? », puis il signalera que l’explication ne vient qu’ensuite, si le proche confirme cette reformulation.

Ceci devient alors l’opportunité concrète d’une explication sur le fait que la reformulation n’est ni un reflet ni un écho, mais plutôt une profonde reconnaissance, légèrement interrogative, afin que l’interlocuteur puisse nous recentrer si elle n’est pas juste. Ceci est également une opportunité pour préciser qu’une colère pour s’apaiser doit d’abord être reconnue.

Aussi précis que soient ces apports, ces exemples, ces illustrations, ils ne remplacent pas les mises en œuvre qui sont des trésors de précisions à explorer.

4.2 Les mises en œuvre

4.2.1    Entraînement ou mises en situation ?

A l’issue des apports théoriques arrive la partie de la formation consacrée aux « mises en situation ».

Ces « mises en situation », visent une expérimentation permettant de préciser différents paramètres : par exemple découvrir ce qui spontanément mobilise notre attention, quel est notre projet pour y faire face, dans quel but. Nous les distinguerons des « entraînements (« exercices » ou « trainings ») qui, eux, visent à s’entraîner pour acquérir une habileté verbale, cognitive ou motrice.

Les « mises en situation » (ou expérimentations) visent un « supplément de conscience ». Les « entraînements » (exercices) visent des « suppléments d’habiletés ».

Quand nous arrivons à des « mises en situation » élaborées, nous pouvons parler de « mises en œuvre », car il ne s’y trouve rien à appliquer : cela doit être « une nouvelle œuvre à chaque fois ».

« Mises en situation » ou « entraînements » sont tous deux importants, mais le projet n’y est pas le même. Nous remarquerons que le supplément de conscience doit généralement précéder le supplément d’habileté, sinon l’on risque de ne faire que singer un processus vide de sens. Bien souvent, la mise en conscience permet à de nouvelles habiletés de surgir spontanément. L’entraînement ne vient que dans un deuxième temps pour affiner ce qui ne peut se réaliser qu’avec une pratique assidue.

Parmi ces « mises en situation », nous distinguerons les « outils pédagogiques » (plus généraux) favorisant cette « mise en conscience », et les « situations du terrain professionnel » (plus précises) qui viendront affiner la sensibilité, mais aussi produire des habiletés. « Outils pédagogiques » ou « situations professionnelles » peuvent tous deux être abordés dans le mode « mise en conscience » (regard et sensibilité à acquérir) puis être prolongés dans le mode « exercice » (habileté à développer).

4.2.2    La problématique du non verbal

Il est essentiel que le formateur rappelle l’importance du non verbal (93% de l’information échangée selon Albert Mehrabian). Les travaux du Pr Jean Decety confirment ce fait, ainsi que la recherche en neurologie révélant sur le plan cérébral la synchronisation de neurones en fuseau [synchronisation émotionnelle] chez les deux interlocuteurs en 1/20.000e de seconde*.

*« nos neurones entrent sans arrêt en résonance avec ceux d’autrui ; nos intériorités sont en communication directe » (Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner – Boris Cyrulnik, Pierre Bustany, Jean-Michel Oughourlian, Christophe André, Thierry Janssen, Patrice Van Eersel – Albin Michel Poche, 2012 p.67). L’auteur parle même d’une sorte de « wifi neuronale » (p.71)

Bien comprendre que le non verbal ne se gère pas par la volonté, mais par la qualité de notre attention et de ce qui nous motive. Donc le formateur invite à mettre l’accent sur la sensibilité (tact psychique), la congruence (authenticité), la confiance, la reconnaissance, la spontanéité, etc. Le formateur précisera ce qui doit motiver l’attention du soignant ou du praticien pour y parvenir naturellement.  

Autres données sur la notion de non verbal:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Communication_non_verbale

4.2.3    Présentation

Si la durée de la formation le permet, les mises en œuvre commencent par des « outils pédagogiques » visant à la mise en conscience de points clés :

-La direction où se porte l’attention
-L’élan naturel de la reconnaissance
-La qualité des validations (qui découlent de ce qui précède)
-La capacité à trouver des questions justes pour arriver au fondement cognitif de notre interlocuteur.

Chaque outil pédagogique sera présenté avec soin afin que chacun en sente la pertinence et ait le goût de s’y impliquer suffisamment. En effet ces « outils pédagogiques » sont une version simplifiée de situations complexes permettant d’identifier sans détour les enjeux qui déterminent la nature de nos actions.

Ces « outils pédagogiques » peuvent parfois sembler « trop simples » et de ce fait doivent être présentés avec soin, car c’est justement cette simplicité qui permet de toucher l’essentiel avant d’aborder la complexité.

4.2.4    Exploitation des outils pédagogiques

Se donner de l’attention dans une situation dépouillée de toute information. Poser une question dérisoire concernant une production personnelle imaginaire, et accueillir avec gratitude la réponse (inventée) quelle qu’elle soit. Poser une succession de questions pertinentes pour toucher le fondement cognitif qui sous-tend la réponse initiale (réponse réelle) concernant un objet anodin présent dans la pièce.

Expliqués, puis mis en œuvre, ces outils pédagogiques seront exploités avec subtilité. Chaque difficulté rencontrée est une opportunité de précisions.

La mise en œuvre se fera hors de toute idée de performance. L’idée de « le vivre », « le faire », « se laisser confronter à ce qui se passe » est essentielle. De simples constats, des mises en relief, des nuances naturelles et spontanées, une sensibilité aux enjeux qui sous-tendent les manifestations etc.

Il importe que chaque difficulté rencontrée devienne de façon évidente une opportunité de mise en conscience et en aucun cas un « raté ».

4.2.5    Exploitation des situations professionnelles mises en œuvre

Aussi riches qu’ils soient, ces outils pédagogiques ne peuvent rendre compte de la complexité des situations rencontrées sur le terrain professionnel ou même simplement sur le terrain de la vie. Leur intérêt est justement de se préparer à cette complexité en se dégageant de la multitude de paramètres, pour affiner sa sensibilité, puis ensuite pouvoir finalement s’y plonger. C’est un peu comme « nager dans le petit bain » avant « d’aller dans le grand bain ».

Ces situations sont de deux types :

-Soit elles reprennent des situations rencontrées. Les formations professionnelles institutionnelles (hôpitaux, centre éducatifs, EHPAD) se limitent volontairement à ce premier type.

-Soit elles concernent directement et personnellement le stagiaire. Seules les formations professionnelles de psychopraticiens peuvent envisager ce second type, après que ce qui précède ait été réalisé (et généralement à partir du module II),

Ces situations peuvent se dérouler de différentes façons :

-Tous ensemble : un stagiaire prend la place d’un patient (ou d’un interlocuteur) qu’il a professionnellement rencontré. Il « joue » alors ce que celui-ci a manifesté lors de cette rencontre. Cela lui permet de prendre conscience de ce qui se passe en lui, selon ce qu’on lui dit. Il est demandé à l’ensemble des stagiaires de proposer concrètement une suite à chaque étape de cette situation (et non pas d’en discuter). L’avantage est que tout le monde participe, qu’il y a une implication de chacun, sans cependant que qui que ce soit ne s’expose en particulier. Dans ce type d’outil, il est parfois délicat de prendre en compte le non verbal. Ce sera donc un point sur lequel le formateur mettra particulièrement l’attention.

-En binôme face au groupe, sans soucis de performance, juste pour donner matière à différentes remarques pédagogiques utiles à tous. Le formateur pourra proposer ces remarques en fonction des opportunités. Il aura le tact nécessaire afin qu’il ne s’agisse jamais de critiques mais d’opportunités. Le stagiaire qui œuvre devra toujours se sentir valorisé pour ce qu’il permet d’aborder ou de clarifier. L’avantage est que tout le monde profite en même temps des remarques. L’inconvénient est que d’être devant le groupe met un peu une pression sur celui qui accepte cette place. De ce fait, il ne se comporte jamais comme il le ferait dans son travail. Le formateur doit le préciser afin de ne pas abîmer les compétences existantes. L’inconvénient est également que tout le monde ne peut pas passer (mais il est rare que tout le monde le souhaite !).

-En ateliers (binômes ou trinômes) supervisés par le formateur qui passe d’ateliers en ateliers. Dans ce cas il s’en suivra un débrief au cours duquel ce qui a été découvert sera partagé de façon didactique, au niveau du groupe. L’avantage est d’y avoir moins de pression et plus de liberté. L’inconvénient et que cela consomme plus de temps, et surtout que chaque expérience est vécue « hors du groupe » et ne profite pas à tous, même si on ajoute le débrief, qui ne peut jamais tout à fait en rendre compte. Réalisés trop tôt, ces ateliers peuvent laisser les stagiaires démunis et ne pas produire la progression attendue.

4.2.6    Panacher les possibilités

En fait le formateur, selon les groupes, devra mixer ou alterner ces différentes possibilités d’une façon adaptée. Difficile d’établir une règle absolue. Dans certains groupes les ateliers seront privilégiés, dans d’autres le binôme face au groupe (plusieurs binômes successifs), dans d’autres le travail avec un stagiaire « jouant » son patient (plusieurs situations) tous ensemble. On peut imaginer aussi que le formateur propose des situations diverses de son cru pour tester la réactivité des participants face à chacune d’elle.

L’expertise du formateur lui permettra d’adapter ses choix aux besoins et aux possibilités des participants.

4.2.7    Attention, il ne s’agit pas vraiment de jeux de rôles !

Dans un jeu de rôles tout le monde joue un rôle. Il se trouve que dans les situations décrites précédemment seul celui qui « fait le patient » joue un rôle en prenant sa place, tenant les propos qu’il suppose que celui-ci pourrait tenir face au soignant (mais en interaction avec celui-ci).

Le soignant ou le praticien, ou le communicant, dans cette formation ne joue aucunement un rôle. Il est même censé être le soignant qu’il est, le praticien qu’il est ou le communicant qu’il est, face à cet interlocuteur qu’il entend, comprend, perçoit comme un Être en train de lui dire ce qu’il lui dit. Il n’est pas censé imaginer celui que joue celui-ci, mais vraiment rencontrer l’Être qui lui fait face.

Celui qui est en face de lui est sa principale ressource, et il le voit en tant que tel. Quand un stagiaire me dit « Là c’est plus facile, mais quand tu ne seras pas là et que je serai seul avec le patient… ce sera plus difficile », j’aime à lui répondre « Si tu te crois seul avec ton patient, c’est que tu n’as pas vu que ton patient est là ! Il est ta ressource et fait partie de l’équipe que tu dois former avec lui ! ».

 Ceci est très important, y compris quand on fait une formation intra service où est évoqué le cas d’un patient du service. Le soignant n’est pas censé imaginer le patient du service à travers le stagiaire qui prend sa place, mais s’occuper du stagiaire qui « joue le patient » qui est « son véritable interlocuteur ». C’est à cette condition que la mise en situation fonctionne. Sinon ce n’est qu’une forme de mauvais théâtre qui ne sert à rien. Il ne s’agit pas de « situations à jouer », mais de « situations à vivre » et « d’Êtres à rencontrer ». La sensibilité, la créativité et l’humanité doivent y être présentes en permanence.

C’est pourquoi je ne parle jamais de « jeux de rôles « dans mes formations » mais de « mises en œuvre », de « mises en situations », d’« expérimentations ».

4.2.8    Revisiter la théorie

Ces mises en situations offrent de multiples opportunités de revisiter ce qui a été abordé au cours des apports théoriques. Le formateur est en mesure d’associer ce qui se passe aux éléments théoriques correspondants. Chaque phénomène qui se produit, même inattendu, offre une telle occasion. Nous avons vu au départ de cette publication que le formateur a bien plus qu’un savoir classé et hiérarchisé, mais dispose d’une connaissance, d’une « information en réseau » dont tous les éléments sont reliés entre eux. Ainsi il peut exploiter chaque émergence.

Cela permet de fixer par l’expérience, les savoirs, les connaissances, les prises de conscience etc. A cet endroit, l’expertise du formateur offre de belles possibilités d’intégrations.  

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5    La fin de la formation

5.1 Retour auprès des collègues

Les acquis de la formation ne sont en aucun cas censés diviser les équipes professionnelles. Il est donc utile d’aborder le retour dans les services. Quand il s’agit d’une « formation de service » ou « formation de pôle », la situation est plus simple car tout le personnel concerné suit la formation et, de retour sur le lieu du travail, les collègues sont au courant et sont concernés par la même chose. Quand il s’agit de formations dites « inter services » ou même « inter établissements » la situation est très différente : de retour sur le lieu du travail le professionnel se retrouve seul avec ses nouvelles acquisitions et l’accueil des collègues par rapport à ces nouveautés peut être excellent … mais aussi très frileux, voire carrément hostile.

Riches de ces nouveaux acquis, les participants vont donc retrouver leurs collègues et les voir travailler. De leur côté, ceux-ci les verront travailler d’une nouvelle manière. Les nouvelles façons de faire, les nouvelles sensibilités, peuvent parfois produire des heurts.

Dans l’idéal, l’on imagine les stagiaires faisant profiter leurs collègues de ce qu’ils ont appris, redistribuant cette connaissance avec générosité. Mais cela demande du tact ! D’une part les collègues n’ont souvent pas trop envie de recevoir de leçons, d’autre part les stagiaires, ne maîtrisant pas encore le sujet, risquent de multiples maladresses.

Une fois que l’on a découvert des choses nouvelles ce qui est inadapté saute aux yeux …et la tentation est grande de le faire remarquer, d’y apporter des remèdes ou des corrections. Le formateur prendra soin ici d’avertir les participants de prendre le même soin avec les collègues qu’avec les patients, les résidents ou les usagers (valider leurs justesses avant d’expliquer quoi que ce soit).

Si un collègue est demandeur, le stagiaire ne doit pas hésiter à expliquer (car enseigner permet à soi-même d’apprendre). Par contre, si un collège est rétif, il va prudemment se contenter de valider sa réticence et lui donner l’occasion d’en donner le fondement, afin de le valider (toute explication prématurée serait source de conflit). Pareillement face à un collègue qui critique la nouvelle façon de faire.

Rien de ce qui a été découvert ne doit être gardé que pour soi, mais rien ne doit être non plus imposé avec un enthousiasme aveugle. C’est une affaire de tact et de sensibilité …alors l’équipe peut en bénéficier.

5.2  La formation professionnelle

Les exigences techniques et administratives veulent naturellement que l’on identifie la progression des participants. D’abord leur situation initiale à propos des objectifs de la formation, ensuite l’amplitudes des acquisitions, seront identifiées afin d’attester si la formation mérite le qualificatif de « formation professionnelle ».

Cela doit être réalisé d’une part par respect du client (l’Établissement qui a passé la commande), d’autre part par respect de la DIRECCTE (ministère du travail) qui réserve une situation fiscale spécifique à la formation professionnelle.

Moment un peu fastidieux, mais qui permet de rendre compte des avancées et de l’utilité de ce qui vient d’être réalisé.

5.3 L’humanité de la formation

Ce qui précède ne peut suffire à clore une formation. De même que celle-ci débute avec un tour de table qui a pour vocation de constituer le groupe et de présenter ce qui va être réalisé, la conclusion permet aux participants d’attester de leurs découvertes, de leurs difficultés, parfois de leurs déceptions, mais souvent de leur enthousiasme.

Les besoins humains font qu’on ne peut prendre congé des personnes avec qui l’on a partagé cette expérience sans un minimum de précautions. Ainsi, chacun aura la parole dans un dernier tour de table. Le but de ce tour de table final devra être précisé : synthétiser ce qu’on y a attendu, ce qu’on y a appris, ce qu’on y a pensé, ce qu’on y a vécu.

Cela permet à chacun de clarifier ses acquis à ses propres yeux, mais aussi d’en offrir l’expression aux autres participants. En effet un stage ne se réalise pas que du fait du formateur, mais aussi du fait de la participation de chacun. De ce fait, chacun mérite un retour du vécu de chacun.

Le formateur accompagne cette expression en facilitateur. Il pourra, à son tour être reconnaissant envers chaque apprenant qui a œuvré en partenariat dans cette recherche de justesse et de précision. Il devra en témoigner à tous avec sincérité et simplicité.

Autant il n’est pas aisé de constituer un groupe quand on se rencontre pour la première fois (d’où l’accent mis sur le tour de table pédagogique), autant il n’est pas aisé de prendre congé quand des expériences de qualité ont été partagées.

Pour terminer, le formateur prendra toujours le soin d’inviter les stagiaires à la curiosité, à ne pas se limiter à ce qui a été dit dans cette formation (ni dans aucune autre), à attiser leur esprit de recherche, à leur donner des pistes et des références, à les inviter à aller même au-delà de ces références.

Il invitera les participants « à ne rien appliquer » de ce qui a été vu, mais à garder un esprit de « mises en œuvre », car c’est une œuvre différente à chaque fois et en aucun cas un « copier collé » qui ne pourrait que conduire à des déceptions.  

Thierry TOURNEBISE

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Bibliographie

Cyrulnik Boris, Bustany Pierre, Oughourlian Jean-Michel, André Christophe, Janssen Thierry, Van Eersel Patrice  
Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner Albin Michel Poche, 2012

Bruner, Jerome
-Car la culture donne forme à l’esprit – Georg Eshel - Genève, 1997

Descartes, René
-
Descartes, Œuvres Lettres - Règles pour la direction de l’espritLa recherche de la vérité par la lumière naturelle – Méditations – Discours de la méthode « Bibliothèque de la Pléiade » Gallimard – Lonrai, 1999  

Erard Michael
-Adieu Babel – Assimil 2016

Liens

Liens internes au site  

Pédagogie - l’art du savoir et de la saveur  février 2007

Liens externes

site « Pedagoforme » (cohésion des stagiaires -mise en route d’un groupe - brise glace)
 
http://www.pedagoform-formation-professionnelle.com/2014/09/debut-d-activite-pedagogique-utiliser-un-brise-glace.html  http://tenseignes-tu.com/pratiques-de-classe/brise-glace/

Autres données sur la notion de non verbal:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Communication_non_verbale