Page d'accueil 

Documents publiés en ligne

Retour publications

Quiétude sanitaire

Proximité planétaire

Février 2022   -    © copyright Thierry TOURNEBISE

 

 

ABONNEMENT LETTRE INFO gratuite

En mai 2020, la situation sanitaire m’a conduit à écrire « Distance physique et proximité sociale - déconfinement ».
Un an et demi après, toujours en situation sanitaire délicate, je choisis de revenir sur le sujet avec de nouvelles précisions.

Cet espace planétaire, qui nous accueille depuis quelques millions d’années, mérite notre délicatesse et notre gratitude. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre quoi que ce soit, mais simplement de mieux le voir, de mieux en avoir conscience. Saurions-nous y vivre dans la quiétude sanitaire ?

Certes, s’occuper de la santé mondiale n’est pas une mince affaire ! La situation est plus que subtile pour ceux qui doivent la gérer. La critique est bien plus aisée que la mise en œuvre. Néanmoins, arrivant à une époque où l’on pensait maîtriser les pathologies, ce qui se produit actuellement invite à l’humilité et à la recherche, afin de mettre en œuvre notre humanité d’une façon la plus généreuse possible. Cela invite les penseurs, les chercheurs, et les cœurs, à la proximité. Toute priorité financière ou idéologique en la matière devient dangereuse et le regard se doit de devenir systémique, en ouverture cordiale au monde et à son fonctionnement interactif si nuancé. Au cours de tant de siècles, notre humanité a œuvré pour développer une « proximité sociale » et résoudre les ségrégations de toutes sortes  (si l’on en croit le zoologue Kropotkine dans son ouvrage très documenté « L’entraide »). Ainsi la notion de « distanciation sociale » risque malencontreusement de sous-entendre un recul sur ce point ! Nous aurions pu parler de distance corporelle assortie d’une proximité sociale ! Cela aurait été une belle option pour déployer les bonnes volontés et un meilleur respect des consignes sanitaires.

Voici quelques lignes, juste pour enrichir notre réflexion, pour nous apaiser, pour nous réchauffer, pour existentiellement nous rapprocher… garder le plus profond de notre humanité, « oser être » et nous libérer d’un stress dont on sait parfaitement aujourd’hui, de façon objectivable, qu’il affaiblit nos défenses immunitaires. Donc, qui voudrait nous stresser pour nous conduire à obtempérer ou à nous révolter serait particulièrement contreproductif pendant cette crise sanitaire.

 

Sommaire

1 Le choix sémantique
-Distanciation – « Distanciation physique » assortie d’une « proximité sociale » - Distanciation faciale - Proximité sociale -Proximité cordiale

2 Les peurs concernant l’autre
-Peur d’autrui – Peur pour autrui

3 La santé, la vie et la mort
- Notre maladresse à définir la vie- Notre maladresse à définir la mort – Notre maladresse à prendre soin de la santé

4 Une opportunité exceptionnelle
-Confiance retrouvée – Le stress source pathogène – La paix source de santé – La proximité essentielle – Notre psychologie – Génome, épigénétique, conscience – Notre bionome – Notre habitat planétaire

5 La vie avant tout
-Proximité existentielle avec l’autre – Proximité existentielle avec soi-même – Miser sur un partenariat avec la vie – Œuvre de conscience et de créativité – Hors des jugements hâtifs – Plus de quiétude

Bibliographie
Bibliographie du site

 

1    Le choix sémantique

1.1    Distanciation

La notion de distance est une option qui ne date pas d’hier. Dans la communication, et même dans les soins médicaux ou psychologiques, nous avons souvent entendu parler de « quête de la bonne distance » afin de ne pas tomber dans l’affect et d’avoir néanmoins une humanité signifiante. L’idée est ici de « savoir se protéger » et de « ne pas agir en étant embrouillé dans l’affect ».

Ce n’est donc pas une nouveauté de se protéger avec une distance… Quand on ne craint pas les virus, il semblerait que l’on craigne les émotions !

Comme il semble incontournable d’avoir néanmoins de l’humanité, il a aussi été question d’empathie. Mais là, à l’opposé de l’idée de distance, il a été compris qu’il faudrait savoir se « mettre à la place de l’autre ». Ici aussi quel malentendu : il n’a jamais s’agit de se mettre à la place de l’autre ! : il s’agit plutôt de savoir « être distinct, sans être distant »*. Cela est si bien énoncé par exemple en haptonomie, où la notion de « tact psychique » est essentielle (Veldman – « L’haptonomie science de l’affectivité », 2001). Même quand une distance physique convenable est requise, on est sensé rester en tact psychique. Nous devons donc avoir une vigilance sur la cohérence à ce sujet.

*Voir sur ce site la publication de novembre 2000 « Les pièges de l’empathie » 

La cohérence est parfois mise à mal, comme les inscriptions sur la porte de cette banque où j’ai lu côte-à-côte « interdiction d’entrer à visage couvert » - « masque obligatoire ». Même si ce n’est pas toujours facile, il y a avantage à pister les incohérences car elles altèrent notre confiance. Dans le meilleur des cas, comme dans l’exemple ci-dessus, elles font sourire. Dans le pire des cas, elles mettent en colère et anéantissent la possibilité d’une cordiale coopération.

1.2    « Distanciation physique » assortie d’une « proximité sociale »

Si l’option de distance peut faire sens, de quelle distance s’agit-il ? S’il s’agit d’éviter une contamination virale, la « distanciation physique » semble une option raisonnable, notamment une « distanciation faciale ». Alors pourquoi « sociale » ?

Social : « société » vient du latin societas, signifiant « association, réunion, communauté », dont a émergé socius signifiant « compagnon, associé, allié », y compris dans le sens « nuptial, conjugal ».  Ainsi, il s’agit de « communication, de rapport entre les personnes qui ont quelque chose en commun »… actuellement, l’évidence est que la planète entière a en commun le Covid 19 ! Mais cela ne fait que révéler que nous avons aussi en commun l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons, et tout l’écosystème qui nous entoure.

Nous avons aussi : « Sentiment d’alliance éprouvé pour autrui, et le lien qui en résulte » (saurons-nous planétairement faire alliance et nous rapprocher face à ce danger commun ?). Si bien que « avoir société avec quelqu’un » signifie « fréquenter ». Et, au XVIIe siècle, la société prend le sens de « la compagnie des autres ». Puis « faire société » exprime « se réunir entre amis ». Toujours à cette époque, nous trouvons « Vivre en société s’opposant à l’état de nature ».

Vers 1830 l’adjectif « social » qualifie le « rapport entre les classes de la société ». Cette notion de classes sociales est intéressante car c’est elle qui rend assez insupportable l’idée de « distanciation sociale »*.

*Si l’on avait parlé de « distanciation raciale » on aurait eu à juste titre un tollé d’indignation généralisé. La société se doit de rester en proximité sociale et non en distance, surtout en cas de nécessaire coopération concernant la distance physique.

Puis vers le XVIIIe siècle, l’on voit apparaître la « haute société », la « bonne société » (donc distance entre différentes catégories sociales).  Au XIXe apparaît la sociologie qui est la science qui étudie ces phénomènes.

Toutes ces notions historiques sont évoquées dans le « Dictionnaire historique de la langue française » de Alain Rey, édité chez Robert en octobre 2004.

L’idée de « distanciation sociale » flirte ainsi hélas avec « ségrégation » dans des zones plus ou moins troubles, invitant à la distance ceux qui ont un élan de proximité. Il pourrait involontairement en résulter un trouble social très dommageable.

Nous serions plus juste à parler de « distanciation physique » assortie d’une « proximité sociale ».

1.3    Distanciation faciale

Finalement, en termes du risque viral, le plus grand risque est la « proximité faciale », et non « la proximité sociale ». Il semble raisonnable de ne pas être en face à face sans masque afin de ne pas exposer l’autre, ou de ne pas s’exposer soi-même, à des gouttelettes flottantes exhalées. Celles-ci se trouvent exprimées malencontreusement avec les propos partagés ! L’idée de distance sociale doit être distinguée de la nécessaire distance physique et se trouve même être une des idées les plus malencontreuses à une époque où justement, plus que jamais, la quête, le besoin fondamental, est « la proximité de Êtres dans leur humanité » face à un objectif commun : « la santé planétaire ».

1.4    Proximité sociale

La quête essentielle de notre humanité est la proximité sociale. Nous trouvons cela déjà exprimé par Charles Darwin qui énonce la coopération comme un phénomène d’adaptation plus performant que la concurrence :

« Chez les animaux qui tiraient des bénéfices de cette vie en étroite association, les individus qui prenaient le plus de plaisir à cette vie sociale étaient ceux qui échappaient le mieux à divers dangers ; tandis que ceux qui étaient le moins attachés à leurs camarades, et qui vivaient d’une façon solitaire, périssaient en grand nombre. » (Darwin, 2013, p.243)

« Cette vertu [Humanité], l’une des plus nobles dont l’homme soit doué, semble provenir incidemment de ce que nos sympathies deviennent plus délicates et se diffusent plus largement à tous les êtres sensibles. » (Darwin, 2013, p.266)

« [...] l’amour désintéressé pour toutes les créatures vivantes, qui est l’attribut le plus noble de l’homme [...] » (Darwin, 2013, p.270)

A propos de Darwin on a souvent parlé de « la raison du plus fort », alors qu’il évoquait celle du « mieux adapté », le mieux adapté étant « celui qui est dans la coopération » plus dans la concurrence. Le terme « distanciation sociale », aurait sans doute été insupportable à Darwin, grand humaniste, pour qui tout type de ségrégation était inadmissible.

Marylène Patou-Mathis (préhistorienne contemporaine) dans son ouvrage « Préhistoire de la guerre et de la violence » (Odile Jacob, 2013), nous expose sur des bases scientifiques que l’homme du paléolithique était empli d’humanité (soin aux démunis, aux handicapés, aux blessés, pas de guerres). Pierre Kropotkine, zoologue cité par Maslow, conduit cette étude depuis le règne animal, puis la préhistoire, puis les barbares, puis l’antiquité et le moyen âge jusqu’à notre époque, dans son ouvrage « L’entraide » extrêmement documenté. On voit comment les êtres humains (les animaux aussi) se sont joués des difficultés de survie, grâce à une extrême propension à l’entraide, à toutes les époques de notre histoire (« L’entraide - un facteur de l’évolution » Les éditions invisibles - d’après l’édition Alfred Coste, 1938 – ouvrage original 1902).

Il semble donc que la proximité sociale soit un facteur majeur de l’évolution, et que la distanciation sociale (selon le sens propre des mots), nous expose à une mise en danger de l’humanité qui nous constitue autant que nous la constituons, et que tant de millénaires d’évolution nous ont permis d’acquérir comme facteur essentiel de notre survie. Souhaitons alors que ce virus nous rapproche socialement en profondeur (objectif commun), même si temporairement il nous éloigne physiquement.

1.5    Proximité cordiale

Nous pourrions éviter cet écueil en évoquant l’idée de « proximité cordiale », c’est-à-dire de proximité du cœur.

Il semble que « distanciation physique » ou « distanciation faciale » associés à « proximité cordiale » serait une belle alternative à « distanciation sociale ».

Même si cela va sans dire, je crois sincèrement que cela va bien mieux en le disant. Certains diront « oui mais cela est sous-entendu ! ». Evidemment, je veux bien le croire. Mais les mots sont chargés d’un sens porté par des siècles d’usage et impriment à notre insu un éprouvé qui peut tourner notre attention vers un mauvais endroit (et ce n’est vraiment pas le moment de s’égarer).

Outre les notions sociologiques, nous n’oublierons pas que sur le plan sanitaire le stress est une des sources pathogènes venant fragiliser notre immunité naturelle (il ne s’agit pas ici d’une idée philosophique, mais d’un fait scientifiquement objectivable). Ce n’est donc pas le moment d’infléchir l’efficience de notre immunité naturelle par des propos vindicatifs ou autoritaires, quelle que soit l’orientation de ceux-ci : pour ou contre quoi que ce soit, avec des menaces, avec des propos incitant soit à la révolte, soit à la soumission.

Il s’agit de privilégier le bon sens, le partage ou les échanges, la mise sur la table des données quelles qu’elles soient. Nous y trouverons avantage, sans oublier les propos du philosophe anglais John Stuart Mill :

« Si tous les hommes moins un partageaient la même opinion, ils n’en auraient pas pour autant le droit d’imposer silence à cette personne, pas plus que celle-ci, d’imposer silence aux hommes si elle en avait le pouvoir » (Stuart Mill, 1990, p.85).

« […] ce qu’il y a de particulièrement néfaste à imposer le silence à l’expression d’une opinion, c’est que cela revient à voler l’humanité : tant la postérité que la génération présente, les détracteurs de cette opinion davantage encore que ses détenteurs » (ibid).

« Si l’opinion est juste, on les prive de l’occasion d’échanger l’erreur pour la vérité ; si elle est fausse, ils perdent aussi un bénéfice presque aussi considérable : une perception plus vive de la vérité que produit la confrontation avec l’erreur » (ibid).

retour sommaire

2    Les peurs concernant l’autre

2.1    Peur d’autrui

Considérer autrui comme un danger létal potentiel est une option très malsaine. Particulièrement quand il s’agit de nos proches. Véhiculer l’idée que l’on peut mourir à cause d’une personne que l’on aime ne peut être brandi comme une saine menace. Nous retrouvons là une analogie avec ces légendes populaires qui ont effrayé tant d’enfants. Celles où un monstre ou un démon pouvait prendre l’apparence de gens que l’on connaît. Cette légende évoque ainsi une menace indétectable incitant à la méfiance généralisée… y compris de ses proches. Quelle tristesse… ! D’où a bien pu venir l’idée d’initier une telle légende et d’instiller une telle crainte ?

Nous avons tous été choqués par ce spot de campagne où une mère, après un repas d’anniversaire avec ses enfants, se retrouve en réanimation. Les images festives familiales et heureuses y sont aussitôt suivi d’images dramatiques et d’avertissements culpabilisants. Bien sûr, cela peut arriver ! Une telle initiative a sans doute été engendrée par une grande inquiétude de nos responsables sanitaires qui, paniqués par l’urgence, n’ont alors pas envisagé les effets secondaires de cette option anxiogène. L’idée se révéla malencontreuse et, Dieu merci, comme le stress a ouvertement été dénoncé médicalement comme source pathogène, les spots suivants ont été traités avec de l’humour et un cœur plus léger pour inciter à respecter les gestes barrière avec plus d’efficacité. Ce fut une saine réaction.

Créer un climat de défiance et de peur d’autrui ne peut être une option satisfaisante. Le défi est à la fois de sensibiliser à ces fameux gestes barrière et néanmoins de garder une proximité sociale. Tout ce qui génère de la distance sociale, en ce temps covid où la cohésion nous est tellement nécessaire, est profondément néfaste à la survie de notre humanité.

Autrui n’est pas un danger, mais un partenaire… et il conviendrait de plus souvent évoquer la proximité cordiale.

2.2    La peur pour autrui

L’autre écueil est d’amener les personnes à se considérer elles-mêmes comme un risque létal pour autrui : « L’autre meurt à cause de moi ! ». Voici un sous-entendu abominable, générant un sentiment de ne pas mériter d’être dans le monde…  et même d’être voué à en être banni.

De plus, cela engendre par exemple une scission entre les vaccinés et les non vaccinés (de moins en moins nombreux, mais tout autant respectables les uns que les autres). Au-delà de toute polémique concernant son efficacité pour chacun, le vaccin n’empêche hélas aucunement d’être vecteur du virus vers autrui. Inciter à une responsabilité raisonnable, à des gestes sanitaires cohérents, semble nécessaire. Cependant, la subtilité voudrait que cela se fasse en rapprochant psychiquement les êtres les uns des autres et non en créant implicitement des catégories qui se placent insidieusement dos à dos ou en face à face violent. Sinon, nous nous exposons à une perte de cohésion sociale, et même parfois à une perte de cohérence des propos… l’ennui principal étant que cela altère la confiance (dont nous avons particulièrement besoin ce moment) !

retour sommaire

3    La santé, la vie et la mort

3.1    Notre maladresse à définir la vie

Au début de notre ère il y a 2000 ans, Sénèque évoquait que la vie n’est pas longue du fait de sa durée mais du fait qu’on n’en a rien retranché. Concernant ceux qui y sont parvenus il énonce les bénéfices :

« Toutes les années antérieures à eux leur sont acquises […] Aucun siècle ne nous est interdit » (XIV-1 ; ibid., p.127), « […] la nature nous admet dans la communauté du temps tout entier. » (XIV-2 ; ibid.,p.127). « C’est le propre d’un grand homme, crois moi, et qui s’élève au-dessus des erreurs humaines, que de ne rien laisser soustraire de son temps. » (VII-4, p.113)

Concernant ceux qui ont échoué et se sont perdus en compensations il énonce lal conséquence :

« Leur esprit est encore dans l’enfance quand la vieillesse les accable : sans préparation ni défense, voilà comment ils y parviennent » (IX-3, 2005, p.117).

Pus proche de nous Pierre Teilhard de Chardin, paléontologue, nous propose de différencier trois aspects : la Géosphère (zone de l’énergie physicochimique) la biosphère (zone de l’énergie vitale, celle de la vie cellulaire sur la planète) puis la Noosphère (zone de la dimension existentielle, ontique, psychique)*. Nous avons alors d’un côté l’énergie vitale liée à l’écosystème planétaire, de l’autre une source psychique qui se comporte comme distincte de la première (même si les deux sont reliées).

* « Le phénomène humain », Teilhard de Chardin, 1955, p.199).

Quand nous parlons de la Vie, de quoi parlons-nous ? Parlons-nous de l’équilibre biologique (écosystème) ou de l’équilibre psychique (psyché, conscience) ? Parlons-nous des êtres cellulaires ou des Êtres psychiques. Parlons-nous de « vie » ou de « Vie ». Nous pouvons remarquer que la Vie c’est « être » alors que l’énergie c’est « faire », sans oublier que les deux sont néanmoins reliés.

Les deux sont importants, reliés, mais pas de même nature. Il semble que nous ne soyons pas adroits pour prendre soin de la biosphère (écologie, écosystèmes) où joue l’énergie vitale dans la pertinence de sa circulation extérieure ou intérieure. Il semble que nous soyons encore moins adroits pour prendre soin de la Noosphère (équilibre psychique).

Dans les deux cas, respecter la diversité, la cohésion, la pertinence, et la conscience semble une option incontournable.

Abraham Maslow :

« Non seulement l’homme est une PARTIE de la nature, et la nature est une part de lui, mais il doit aussi être isomorphe (semblable à elle) afin d’être viable en elle. » (Maslow - 2006, p.367).

« Être capable de voir l’universel dans et à travers le particulier, et l’éternel dans et à travers le temporel et le momentané » (Maslow, 2006, p.137).

John Stuart Mill :

« Ce n’est pas en noyant dans l’uniformité tout ce qu’il y a d’individuel chez les hommes, mais en le cultivant et en le développant dans les limites imposées par les droits et les intérêts d’autrui, qu’ils deviennent un noble et bel objet de contemplation » (Mill, 1990., p.157)

« Est utile tout ce qui donne le bonheur sans nuire à tout ce qui vit. […] cet idéal n’est pas le plus grand bonheur de l’agent lui-même, mais la plus grande somme de bonheur totalisé […] une existence aussi exempte que possible de douleurs, aussi riche que possible de jouissances, envisagées du double point de vue de la quantité et de la qualité ».

« Une existence telle qu’on vient de la décrire pourrait être assurée dans la plus large mesure possible, à tous les hommes ; et point seulement à eux, mais autant que la nature des choses le comporte, à tous les êtres sentant de la création ». (Mill, 1988, p.57 -58).

Comment cerner ce dont il s’agit quand nous parlons de « Vie » alors qu’une telle dimension nous intimide au point que Maslow remarque :

« Il s’agit d’une chose que non seulement nous ne connaissons pas, mais que nous avons peur de connaître » (2006. 104).

De ce fait nous pouvons être physiquement et socialement dynamiques, pleins d’énergie, et cependant existentiellement éteints (comme le dénonçait Sénèque), quasiment végétatifs. Or il s’agit de prendre soin d’un tout car, ainsi que nous le verrons ci-après, notre état psychique joue sur notre état physique.

3.2    Notre maladresse à définir la mort

Il y a la mort d’autrui, et aussi notre propre mort.

Concernant celle d’autrui j’ai édité une publication sur le deuil mars 2011 : « Le deuil – comprendre, accompagner ». On y trouve que « faire son deuil », c’est « faire sa douleur » afin de se procurer la sécurité de ne pas oublier, et que ce n’est que quand on acquière cette assurance de ne pas oublier que la douleur disparaît (et non pas oubliant pour passer à autre chose, comme cela est trop souvent proposé).

Il y a aussi l’accompagnement jusqu’au bout de la vie, pour lequel j’ai édité la publication « Humaniser la fin de vie » en avril 2003. On trouve que la douleur y est moins grande quand on ne s’est pas manqué, quand chacun a su rencontrer l’autre et se montrer à lui dans la vérité de ses ressentis.

Concernant la nôtre, le sujet est bien délicat. Tant qu’elle est loin nous avons un sentiment d’éternité qui la rend hors sujet. Quand elle est proche, comme l’a souligné Elisabeth Kübler-Ross, il y a le déni, la révolte, le marchandage, la dépression puis l’acceptation, comme à chaque fois que l’on est confronté à bien plus que l’on ne peut spontanément supporter (et là c’est particulièrement le cas !). Il y a un état de choc face à l’inconcevable. Que l’on soit croyant ou athée, le fait d’une fin indiquant qu’il ne s’agit plus d’éternité est comme un tsunami existentiel. Pourtant on le sait depuis toujours… mais seulement intellectuellement. Nous n’avons pas été culturellement habitués à prendre soin de ce que Teilhard de Chardin appelle « Noosphère ». Cette dimension psychique si propice à donner à notre vie la complétude, source de cette paix qui peut nous accompagner jusqu’au bout.

Entre le « rien » de l’athée et la « félicité » (éventuelle) du croyant (passant aussi parfois par les craintes de châtiments spirituels) il y a surtout la réalité du vécu éprouvé qui peine à trouver des oreilles pour l’entendre, des mots pour le dire, et même des pensées pour se le représenter.

Nous abordons alors l’indicible, le non pensable… mais profondément éprouvé ! Nous n’avons pas été culturellement éduqué pour poser des mots sur ce qui peine à se penser. Alors chacun reste seul avec ce qu’il éprouve… la crainte n’en est que plus grande.

Finalement nous constatons des maladresses pour prendre soin de la vie, pour évoquer la mort, et aussi pour prendre soin de la santé. Concernant la santé, celle-ci est censée aller bien au-delà de l’absence de maladie.

3.3    Notre maladresse à prendre soin de la santé

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) nous précise depuis longtemps que « La santé n’est pas l’absence de maladie, mais un équilibre physique, psychique et social ». Cette justesse est particulièrement d’actualité aujourd’hui, où l’on peut même ajouter de façon scientifique, pragmatique, et …« écologique ».

L’investissement des soignants et médecins concernant notre santé ne peut que nous toucher profondément. Pour une efficacité encore plus grande, il conviendrait d’étendre cet investissement au-delà du monde soignant… de l’étendre dans un fonctionnement environnemental dont la systémie est hélas trop souvent délaissée, voir ignorée.

La biodiversité comme source essentielle :

« Depuis le milieu des années 2000, en effet, des dizaines de scientifiques internationaux tirent la sonnette d’alarme : la pression qu’exercent les activités humaines sur la biodiversité crée les conditions d’une "épidémie de pandémie". » (Robin, 2021, p.13).

Stephen Morse* est épidémiologiste américain, chercheur, spécialiste des maladies infectieuses émergentes. Marie-Monique Robin, qui l’a interviewé, précise :

« Je ne sais combien de fois il a interrompu son récit pour déplorer l’incroyable échec que représente à ses yeux la pandémie de covid-19. » (Robin, 2021, p.31).

*Stephen Morse a été conseiller sur l’épidémiologie des maladies infectieuses et sur l’amélioration des systèmes d’alerte précoce des maladies auprès de nombreuses organisations gouvernementales et internationales.

Concernant la conférence de Washington en 1989 (il y a plus de 30 ans !), sur les virus émergents, il précise :

« Cette conférence est fondatrice d’un nouveau type de connaissances scientifiques parce qu’elle entérine un concept innovant : celui de virus émergent, avec une causalité anthropique. En d’autres termes, ce sont les activités humaines qui constituent le principal facteur du risque sanitaire » (ibid.).

Puis il répond de façon assez crue à la question que lui pose Marie-Monique Robin :

« Est-ce que la "guerre contre le virus" a des points communs avec d’autres luttes emblématiques des Etats-Unis comme la "guerre contre le cancer", la "guerre contre la drogue" ou la "guerre contre la terreur" ?

Après un long temps de réflexion Stephen Morse a répondu sur un ton subitement très ferme : "Elles ont en commun qu’elles coûtent très cher et qu’elles sont infinies parce qu’elles ne s’attaquent pas aux causes…" » (Robin, 2021, p.51).

Louis Pasteur nous avait habitué à plus de tranquillité face aux infections, grâce à ses découvertes révolutionnaires à l’époque. Il semble que la recherche et la médecine soient désormais invitées à l’humilité face à ces nouveaux phénomènes (maladies infectieuses émergentes ou « MIE »). En dépit de multiples avertissements éclairés depuis une trentaine d’années, toute cette communauté de recherche a été ignorée. Tout se passe un peu comme si l’on voulait se protéger du feu avec des palissades en bois ! Désormais, ce n’est plus tant « comment se protéger de la bactérie ou du virus lui-même », mais comment faire en sorte que l’environnement dans lequel nous vivons n’en produise pas en surnombre.

Pourtant de nombreux chercheurs parlent depuis tellement longtemps d’écologie générale, de santé environnementale, et même d’écologie intérieure : alimentation, biotope intestinal, microbiome (bactéries qui peuplent notre corps et accompagnent la plupart de nos fonctionnements vitaux, y compris notre immunité), épigénétique, hygiène de vie, etc. Il s’agit alors plus d’un délicat partenariat que d’une lutte, afin de prendre soin de notre environnement et de nos défenses immunitaires naturelles, sans les impacter par des artifices (où la célèbre composante « bénéfice risque » mériterait plus de finesse).

Il ne s’agit pas d’une lubie locale de quelques illuminés :

« En mai 2019, cent cinquante experts en sciences naturelles et sociales, issus de cinquante pays et appuyés par deux-cent cinquante scientifiques d’autres disciplines, ont rendu un premier rapport de 1.700 pages qui faisait la synthèse de 15.000 références bibliographiques sur l’état de la biodiversité. […] Un million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction (sur 8 millions recensées), […] inédit dans l’histoire de l’humanité […] ­nous sommes entrés dans la sixième extinction de la biodiversité » (Robin, 2021, p.93).

Tout cela au point qu’on y parle d’une nouvelle ère géologique, baptisée « anthropocène » (l’ère de l’humain), où l’humain représente la principale « force géologique » source de changements environnementaux.

Désormais, prendre soin de la santé, revient à prendre soin de tout cela. On savait cela, comme le souligne Serge Moran parasitologue :

« Depuis le milieu des années 2000 des dizaines de scientifiques internationaux tirent la sonnette d’alarme. » (Robin, 2021, p.13).

Soixante-deux scientifiques interrogés :

« La pandémie qui paralyse le monde depuis le début 2020 n’est donc que la face émergée de l’iceberg […] soixante-deux scientifiques interrogés pour ce livre sont formels. Et c’est pourquoi de manière unanime, ils affirment que la solution n’est pas de courir après un énième vaccin, censé protéger contre une énième maladie infectieuse […] mais de s’interroger sur la place des humains sur la planète […] On ne peut pas dire qu’on ne savait pas ». (ibid., p.15).

Il ne s’agit surtout pas du propos anti-vaccinal d’un idéologiste partisan, mais d’un scientifique invitant à des solutions les plus efficaces possible. Qu’il faille gérer l’urgence immédiate reste une réalité (qui est loin d’être simple), mais le phénomène global reste malheureusement absent des différents discours sanitaires. Or avec la crise sanitaire, nous disposons d’une opportunité exceptionnelle d’éveil des consciences à ce sujet. Il serait magnifique de profiter de cette opportunité pour sensibiliser l’humanité à cette réalité systémique, pour favoriser l’engagement de chacun (si ce n’est pour y contribuer, au moins d’en être conscient).

Notons aussi que ces encombrants parasites (dont les virus font partie) ne semblent pas être une erreur de la nature puisqu’ils représentent plus de la moitié des êtres vivants sur la planète. Stephen Morse, cité par Marie-Monique Robin :

« Aujourd’hui on n’a décrit que 10% des espèces de parasites, qui, avec les microbes et les virus, représentent plus de la moitié des organismes vivant sur terre ». (Robin, 2021, p55).

Il s’agit donc plus d’un équilibre à retrouver que d’un combat à mener, car ils représentent une alarme essentielle en produisant des maladies infectieuses émergentes, nous invitant à revisiter notre rapport au monde.  

retour sommaire

4    Une opportunité exceptionnelle

4.1    Confiance retrouvée

Il serait malsain de nous inviter à nous méfier de la nature, à nous placer au-dessus d’elle dans un naïf esprit de supériorité. L’intelligence de l’humanité qui s’est formidablement développée depuis la nuit des temps jusqu’à nos jours, devrait permettre aujourd’hui un partenariat éclairé avec tout ce qui a contribué à notre évolution.

Naturellement, il serait tout autant malsain de ne rien faire sous prétexte de confiance et de laisser la nature nous décimer avec différentes maladies infectieuses émergentes (MIE, dont le covid n’est qu’une possibilité parmi bien d’autres). La nature ne fait que s’ajuster par rapport à nos excès et ces signaux sont surtout des alarmes nous invitant à trouver la plus juste posture, et non des menaces malintentionnées venant d’un ennemi.

Nous avons scientifiquement à ce jour plus de moyens pour une analyse systémique afin de trouver l’ajustement le plus adapté. Comme le disait Darwin, c’est le mieux adapté qui survit… et le mieux adapté est celui qui sait œuvrer en coopération (l’esprit de concurrence étant alors un comportement fossile qui nous met en danger).

Nous avons à ce jour aussi les moyens de cette coopération, mais une coopération qui prend aussi en compte la nature… cette nature dont nous sommes issus, qui nous constitue, autant qu’elle nous entoure.

4.2    Les stress source pathogène

Il est pleinement reconnu que le stress est pathogène et que la tranquillité est source de santé. La tranquillité favorise l’immunité, mais aussi le rétablissement. Bien-sûr le stress et la tranquillité ne sont pas tout, mais leur contribution est plus que signifiante. Des études menées par des chercheurs en psychologie positive en rendent compte avec précision :

« Le système immunitaire est influencé par le bien-être des individus […] Les gens plus heureux sont moins susceptibles d’attraper un virus du rhume et de la grippe que les gens malheureux […]… parmi les patients atteints de cancer, le fait de vivre plus de moments  d’élévation morale (petits évènements positifs) et moins d’ennui quotidien (petits événements négatifs) était corrélé avec le fait de posséder plus de cellules tueuses naturelles (cellules immunitaires qui attaquent les pathogènes envahissants) » (Martin-Krumm Charles et Tarquinio Cyril - Traité de psychologie positive, p.107-108).

Ainsi la société a une responsabilité notoire concernant notre santé et notre longévité :

« Le bien-être dans les sociétés prédit la longévité de ses citoyens […] il est possible que le bien-être soit la cause de la longévité » (ibid., p.89).

Et cet élément est loin d’être négligeable. Il ne s’agit pas d’un simple petit avantage, puisque l’absence de bonheur est aussi impactante que le tabagisme :

« Le bonheur augmente l’espérance de vie, avec un effet comparable à celui de la présence ou de l’absence du tabagisme » (ibid., p.162).

Quand on voit ce qui est investi pour la lutte contre le tabagisme, ne pourrait-on en faire autant pour favoriser la tranquillité et le bonheur de chacun ? car finalement, si fumer tue, le stress et la tristesse aussi ! L’enjeu est alors d’informer sans menacer ni terroriser, de responsabiliser sans infantiliser. Pas si simple, mais voici un enjeu qui mériterait qu’on s’en occupe davantage.

Cela ne joue pas que sur notre santé initiale, mais aussi sur notre rétablissement :

« Dans une étude classique, Ulrich […] a étudié les patients postopératoires qui étaient placés dans des chambres avec vue agréable ou désagréable. Ceux qui avaient une vue sur des arbres, plutôt que sur un mur de brique, pouvaient quitter l’hôpital plus rapidement laissant penser que la vue agréable accélérait le rétablissement » d’autres études ont montré que « le bien-être préopératoire prédisait une meilleure récupération après l’intervention chirurgicale » (ibid., p.106).

En France, la Haute autorité de santé l’a bien remarqué puisqu’elle promeut la bientraitance et le partenariat soignant/soigné (j’ai formé beaucoup de personnel hospitalier sur ces thèmes pendant plus de 30 années). Mais l’intention, aussi louable soit-elle, doit s’accompagner de moyens. En effet sur le terrain, les soignants sont soumis à un stress important qui leur rend cette tâche bien difficile et même menace leur propre équilibre.

4.3    La paix source de santé

L’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) nous propose donc que la santé n’est pas l’absence de maladie mais un équilibre biologique, mental et social. Donc tout équilibre artificiel qui ne ferait que masquer des dysfonctionnements est proscrit (du moins en théorie !) car illusoire.

Bien avant, Baruch Spinoza nous faisait remarquer que la paix n’est pas l’absence de guerre, mais la concorde des âmes (Spinoza - 1962, p.954). En effet, une paix artificielle obtenue par la soumission, laisse dormir une révolte potentielle… qui risque d’exploser à tous moments.

De la même façon il s’agit d’informer sans terroriser. Mais nous savons tous que si les oreilles et les consciences peinent à s’ouvrir en situations de stress, elles peinent aussi à s’ouvrir quand on s’est installé dans le confort. Qui n’a pas déjà entendu que « une crise, c’est aussi une opportunité » !

Si trop d’inconfort nous effondre, trop de confort nous endort. Ainsi, ce que nous prenons pour des menaces, si elles sont entendues à temps, peut être considéré comme des signaux invitant à mieux prendre soin de nous et d’autrui. C’est sans doute cette ambigüité qui fait que les messages sanitaires qui nous sont proposés oscillent entre menace et sourire (soit une mère se retrouvant en réanimation après un anniversaire avec ses enfants – soit des personnes souriantes réalisant des gestes barrières avec le cœur léger).

Quant à la situation sanitaire actuelle, elle invite tous nos chercheurs en médecine, pharmacie, psychologie, à de nouvelles investigations. Il arrivait qu’au cœur de ces métiers nous percevions de l’autosatisfaction, voire de la suffisance, parfois du mépris envers ceux qui ne pensent pas pareil (c’est le propre du glissement vers des dérives sectaires). Nous sommes alors invités ici à une meilleure prise en compte des différents points de vue. Une paix retrouvée à ce sujet, assortie de conscience, de bienveillance, de partenariat et d’humilité, serait une source favorable à notre santé.

4.4    La proximité essentielle

Puisque la paix n’est pas l’absence de guerre mais la concorde des âmes, la concorde viendra de la proximité des cœurs, c’est-à-dire de la proximité cordiale.

Une proximité sociale où les Êtres sont concernés les uns par les autres, où quelle que soit la distance physique, la proximité existentielle préserve ce que notre humanité a développé de plus noble après tout ce temps d’évolution (ainsi que la faisait remarquer Darwin cité précédemment). Depuis le L.U.C.A.* jusqu’à l’humain, restons riches de cette conscience systémique où chacun doit à tout et où tout doit à chacun. La synergie des fonctionnements y est équilibrée et on ne peut faire l’impasse sur un éco-fonctionnement libre de toute idéologie ou de toute idée partisane. Soyons juste en ouverture à la Vie, juste en conscience plutôt qu’en inconscience (inconscience qui n’est qu’une sorte de déni des évidences).

*Last Universal Common Ancestor : le plus ancien ancêtre commun, première cellule vivante.

Cette proximité permet alors de prendre soin de la précieuse émergence humaine, de nous sentir pleinement à notre place, de réduire les risques de MIE (maladies infectieuses émergentes), et ainsi pouvoir goûter notre humanité dans ce qu’elle a de meilleur.

4.5    Notre psychologie

Nous avons une tendance naturelle à l’évitement de l’inconfort. Il est vrai que le besoin de plaisir (besoin hédonique) nous porte à rechercher ce qui est agréable et à fuir ce qui ne l’est pas (initialement prévu pour assurer notre survie). Mais contrairement aux philosophes hédonistes (Démocrite, Epicure) qui savaient trouver le plaisir en chaque chose qui se présentait à eux quelle qu’elle soit, nous, nous recherchons uniquement les choses qui nous font plaisir facilement (compensations). Ainsi, au lieu de goûter la vie, nous goûtons des artifices pour oublier que nous avons perdu le sens des saveurs (et là ce n’est pas le Covid !).

Quand le déplaisir va jusqu’à la douleur ou au choc, notre psyché se clive pour ne pas nous exposer à ce qui, en elle, a été submergé par une violente douleur ou émotion. Ce clivage nous protège, et en même temps il crée un manque de Soi que nous sommes portés à compenser afin qu’il ne nous déséquilibre pas trop.

La Vie étant naturellement en quête de complétude, elle nous conduira régulièrement à reconsidérer ce clivage, jusqu’à une possible réintégration. De multiples signaux (symptômes) se produisent alors pour nous inviter à revisiter, à la lumière de notre maturité, ce que jadis nous n’avons pas su assimiler.

Parmi les besoins fondamentaux chez l’humain, nous distinguons le besoin Hédonique (de plaisir), mais aussi le besoin d’Autonomie (faire par soi-même), le besoin Eudémonique (besoins de sens), le besoin de Considération (exister aux yeux d’autrui), le besoin de Compétence (pouvoir mettre en œuvre nos aptitudes). C’est du moins ce que nous expose la psychologie positive*.

*vous pouvez voir sur ce site la publication de juin 2019  « Les Besoins »

Le besoin Hédonique est destiné à prendre soin de notre corps (tant qu’il n’est pas détourné en simples compensations). Le besoin d’Autonomie prend soin de notre capacité de survie immédiate, d’initiative et d’efficacité (tant qu’il ne se dénature pas en autocentrisme ou en illusoire autarcie, coupé du monde). Le besoin Eudémonique prend soin de notre élan de vie vers un sens (tant qu’il n’est pas détourné en idéologies qui nous endorment). Le besoin de Considération, lui, nous porte naturellement les uns vers les autres (tant qu’il n’est pas détourné en délire égotique). Quant au besoin de Compétence, il nous porte à l’action (tant qu’il n’est pas détourné en manies compensatrices).

Chacun des besoins a sa nécessité et sa pertinence, mais aussi ses possibles écarts nous éloignant de la sécurité attendue et même de notre accomplissement.

4.6    Génome, épigénétique, conscience

Notre génome, héritage venant de nos ascendants et même de toute l’histoire de la Vie, nous est donné dès la naissance. Il y a aussi l’épigénome qui lui, va être l’ajustement du fonctionnement de nos gènes s’adaptant en fonction de notre environnement physique ou psychologique. Ils s’ajustent en s’ouvrant, se fermant ou en s’associant, permettant d’engendrer les protéines dont nous avons corporellement besoin pour notre équilibre personnel et environnemental.

Denis Noble, généticien et chercheur, nous éclaire sur le fait que le génome à lui seul n’est rien :

« Sans les gènes nous ne serions rien. Mais il est tout aussi vrai qu’avec les gènes seuls nous ne serions rien non plus » (2007, p.83).

« …ce qui est impliqué dans le développement d’un organisme est bien davantage que le génome. S’il existe une partition pour la musique de la vie, ce n’est pas le génome, ou du moins n’est-il pas seul. L’ADN n’agit jamais en dehors du contexte d’une cellule. Et nous héritons de bien plus que notre seul ADN. Nous héritons de l’ovule de la mère avec toute sa machinerie qui va avec, y compris les mitochondries les ribosomes, et d’autres composants cytoplasmiques […]. C’est seulement dans un œuf fertilisé, en présence de toutes les protéines, tous les lipides et autres mécanismes cellulaires, que le processus de lecture du génome peut avoir lieu. (ibid, pp, 83-84).

Il dénonce la croyance au « tout génétique » et ouvre à la subtilité de la psyché :

« C’est l’illusion que l’ADN est la cause de la vie, de la même façon que le CD serait la cause de l’émotion produite en moi par le trio de Schubert » (ibid, p.20).

« Le ”soi“ n’est pas un objet neuronal » (2007, p.209). 

Il précise même aussitôt cette subtile distinction :

« Il est aussi que ”je“ ou ”moi“ ou ”vous“ ne sont pas des entités de même niveau que le cerveau. Ce ne sont pas des objets au sens où le cerveau est un objet. Mes neurones sont des objets, mon cerveau est un objet, mais ”je“ ne se trouve nulle part. Cela ne signifie pas qu’il n’est pas quelque part ».

4.7    Notre bionome

Le bionome est l’ensemble des bactéries de notre organisme. Nous parlons souvent du biotope intestinal qui en est une partie. Cela représente beaucoup plus d’organismes que le nombre de cellules de notre corps et nous leur devons l’équilibre de notre santé.

Microbiote intestinal (flore intestinale), Une piste sérieuse pour comprendre l’origine de nombreuses maladies (Inserm publication du 18/10/2020 : Microbiote intestinal (flore intestinale) Inserm, La science pour la santé) :

« Notre tube digestif abrite pas moins de 1013 micro-organismes, soit autant que le nombre de cellules qui constituent notre corps. Cet ensemble de bactéries, virus, parasites et champignons non pathogènes constitue notre microbiote intestinal (ou flore intestinale).
Son rôle est de mieux en mieux connu et les chercheurs tentent aujourd’hui de comprendre les liens entre ses déséquilibres et certaines pathologies, en particulier parmi les maladies auto-immunes et inflammatoires ».

Tari Haahtela, allergologue à l’hôpital universitaire de Helsinki en Finlande, mentionne deux couches de biodiversité constituées des microbes vivant dans notre organisme (bionome) et de ceux vivant dans notre environnement (biotope).

Nous avons ainsi l’hygiénisme qui tend à l’élimination des agents infectieux, et la biodiversité qui tend à préserver un équilibre global. Les deux concepts ont leur place, mais l’hygiénisme, si utile et salutaire soit-il, a pris toute la place et il reste à prendre en compte aussi un subtil écosystème… car poussé à l’extrême, l’hygiénisme peut même devenir contreproductif en amputant notre bionome.

Richard Ostfeld et Felicia Keesing, sont un couple de chercheurs, écologues de la santé au Cary Institut of Ecosystem Studies (Robin, 2021, p.138). Ils tentent de toucher les consciences sur des points essentiels :   

 « Chaque maladie infectieuse est intrinsèquement un système écologique. […] Je pense que la pandémie du Covid-19 signe un échec collectif : cellui de ne pas avoir pris les avertissements des scientifiques au sérieux » (Robin, 2021, p.143-144).

Tari Haahtela et sa collègue Dr Tiina Laatikainen :

« Le contact avec l’environnement naturel enrichit le bionome humain, promeut l’équilibre immunitaire et protège des allergies et des désordres inflammatoires » (p.180).

« Tout indique que la dysbiose* est à l’origine non seulement d’allergies, mais aussi de maladies chroniques inflammatoires […]. Elle peut aussi accentuer les effets d’une maladie infectieuse comme la covid-19, une hypothèse qui reste bien-sûr à vérifier » (p.187).

*Altération du bionome

Propos qui restent avec une prudence de scientifiques concernant le Covid. Mais ces recherches révèlent un lien entre la santé et la biodiversité (interne et environnementale). Notre quiétude viendra donc de cette diversité.

4.8    Notre habitat planétaire

Lorsque qu’un locataire quitte son logement, il y a généralement un état des lieux. Si l’état en est défectueux, au-delà de la dégradation naturelle… il en est pénalisé et ne récupère pas sa caution !

Concernant la planète nous ne sommes que locataires (aucunement propriétaires). Nous y avons un bail à vie, et la fin de bail… c’est la fin de notre vie ! Je ne sais si nous y perdons une caution en fonction de l’état des lieux que nous laissons derrière nous, mais ce qui est certain c’est que nous laissons à nos successeurs un héritage qui peut se révéler encombrant.

Outre les multiples « maladresses » écologiques endommageant notre espace planétaire, nous avons même aujourd’hui la capacité d’intervenir sur le génome d’une espèce. Et il n’y a pas que les Organismes Génétiquement Modifiés au niveau des céréales où l’on peut craindre des imprudences : la science a su intervenir sur le génome d’un moustique vecteur de paludisme, rendre stérile sa descendance, et en éradiquer la présence dans la nature (« La saga du CRISPR - la révolution génétique qui va changer notre espèce » Aline Richard Zivohlava – Flammarion 2021, p.12). C’est à la fois remarquable et inquiétant car il s’agit finalement d’un ensemble systémique sur lequel on intervient sans forcément en mesurer la conséquence globale à long terme. Et, une fois qu’on sait le faire, jusqu’où osera-t-on?  Le Pr Chinois He Jiankui et son équipe ont modifié génétiquement deux jumelles humaines, lors de la fécondation in-vitro, afin d’ultérieurement les protéger du sida (ibid. p.7-8). Ces jumelles sont ainsi venues au monde génétiquement modifiées. Modification génétique avec effet sur la descendance… Plus notre pouvoir est grand, plus notre responsabilité l’est aussi. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »… et même éventuellement de la planète !

Nous nous devons de laisser à nos successeurs un lieu de vie où ils pourront s’épanouir et apporter leur contribution au déploiement de la vie et de la conscience… sans avoir à acquitter une « dette infinie » ! Cela doit attirer notre vigilance, car, ainsi que nous le disait Stephen Morse à propos de nos différentes luttes (virus, cancer, drogue, terreur) :

« "Elles ont en commun qu’elles coûtent très cher et qu’elles sont infinies parce qu’elles ne s’attaquent pas aux causes…" » (Robin, 2021, p.51).

Prenons soin des phénomènes à leur source, avec une conscience des enjeux systémiques à long terme. Alors nous prendrons soin de notre quiétude à tous.  

retour sommaire

5    La vie avant tout

5.1    Proximité existentielle avec l’autre

Le contexte sanitaire depuis 2019 reste un défi de proximité sociale (car l’amélioration ne peut venir que d’une œuvre commune). Chacun gagnerait à se sentir concerné par autrui, attentionné, tout en délicatesse et en considération, dans le respect des différences, dans l’enrichissement de la diversité des pensées et des paroles. Le philosophe anglais John Stuart Mill nous proposait déjà clairement une telle chose au XIXe siècle (cela vaut aussi pour la recherche, si l’on en croit Albert Jacquard, généticien contemporain, cité un peu plus loin en 5.4).

Notre humanité est censée ainsi se déployer dans ses ramifications le plus subtiles.

« La nature humaine n’est pas une machine qui se construit d’après un modèle et qui se programme pour faire exactement le travail qu’on lui prescrit, c’est un arbre qui doit croître et se développer de tous côtés, selon la tendance des forces intérieures qui en font un être vivant » (Stuart Mill, 1990, p.151).

Comme la paix n’étant pas juste l’absence de guerre mais la concorde des âmes (comme nous l’avons vu avec Spinoza), sachons être en proximité avec chaque autre. Faisons au mieux à ce sujet et, à défaut, au moins soyons en tolérance… (sachant cependant que « tolérer », ce n’est que « supporter » et n’est pas si glorieux. C’est encore bien loin de la considération, mais quand même mieux que violence ou dénigrement).

Peut-être pourrions-nous retrouver notre capacité à nous émerveiller face à la Vie. Pas de façon niaise ou puérile, mais dans une réjouissance parfaitement consciente de faire partie de cette aventure de la Vie, débutée il y a tant de millions d’années.

Ce rapprochement existentiel, bien sûr, ne se peut que si nous avons une conscience existentielle d’autrui. Toute considération d’autrui comme un concurrent, une insignifiance ou une nuisance, ne serait qu’un comportement fossile. Comme nous le précisait Charles Darwin, arrivé à l’homme, le comportement le mieux adapté est la coopération. Evitons donc de nous fossiliser en défiance, en jugements, en rejets. Stuart Mill, raisonnablement, attire notre attention sur le fait que « faire taire une personne, c’est amputer l’humanité ! »… car, en effet, si elle a raison cela revient à priver l’humanité de cette richesse, et si elle a tort cela revient à priver l’humanité de préciser sa propre justesse grâce à l’erreur énoncée.

Au-delà de tout cela, saurons-nous simplement nous laisser toucher par la Vie, par ce qui nous anime ? Saurons-nous regarder chaque Être comme un Univers, ainsi que l’a fait Yann Arthus Bertrand dans son film « Human » où l’on sent cet horizon intime dans chaque regard, chaque parole énoncée par un humain de la planète ?

Un horizon intime auquel nous n’accédons que si nous acceptons de passer par cet autre… pour finalement trouver ce qu’il y a de plus intime en nous, car comme le disait Carl Rogers, « plus c’est intime plus c’est général ». Aller vers l’Autre permet d’aller vers Soi, et aller vers Soi permet d’aller vers l’Autre.

« Ce qui est le plus personnel est aussi ce qu’il y a de plus général. » (Rogers, 2005, p.22).

De même que le propose Abraham Maslow :

« Être capable de voir l’universel dans et à travers le particulier et l’éternel dans et à travers le temporel et le momentané » (Maslow, 2006, p.137).

« En un mot ils se ressemblent en étant simultanément très différents les uns des autres (Maslow, 2008, p.237), « Plus un besoin est élevé, plus il appartient en propre à l’espèce humaine » (p.114).

5.2    Proximité existentielle avec soi-même

Si la défiance vis-à-vis d’autrui est dommageable, celle vis-à-vis de soi-même l’est aussi. A-t-on déjà pensé à une distanciation d’avec soi-même ? Il semble que oui, et même suffisamment pour que Abraham Maslow s’indigne que certains proposent :

« […] que les profondeurs de la nature humaine sont dangereuses, maléfiques, prédatrices et voraces ».  (Maslow, 2008, p.202).

Il dénonce toute tentative de distanciation d’avec soi-même :

« Toute croyance qui incite les hommes à se méfier d’eux-mêmes et des autres sans nécessité et à douter sans fondement des possibilités humaines, doit être considérée partiellement responsable des guerres, des rivalités entre les races et des massacres perpétrés au nom de la religion » (ibid. p.107).

Toute tentative de nous conduire à nous méfier de ce qui est en nous, est une tentative de nous éloigner de nous-même. Devrions-nous changer pour devenir meilleur ? Il suffirait sans doute de cesser de tenter d’avoir l’air de ce que nous ne sommes pas. Ainsi que je l’écrivais en 4e de couverture de mon premier ouvrage déjà en 1995 (Se comprendre avec ou sans mots – devenu L’art d’être communicant en 2008) : « Il ne s’agit pas de devenir un autre, mais de cesser d’être un autre ».

« Ce que l’on devrait être est pratiquement identique à ce que l’on est au plus profond de soi […] L’être et le devenir sont côte à côte concomitants. » (Maslow, 2006, p.134).

« Un homme doit être ce qu’il peut être. Il doit être vrai avec sa propre nature » (Maslow, 2008, p.66).

5.3    Miser sur un partenariat avec la Vie

La logique de combat comporte des risques. Se glisser dans la pertinence de notre écosystème semble bien plus juste que de combattre la nature. Si la domestication de celle-ci depuis le néolithique nous a permis tant de progrès, nous assistons désormais à un glissement où il s’agit plus d’assujettir la nature que de jouer avec elle pour notre mieux être.

D’une logique naturelle de sécurité et de confort nous en sommes venus à une consommation si gourmande qu’elle engage désormais un crédit inquiétant : en 2020, c’est au mois d’août que nous avons consommé tout ce que la nature est capable de produire en 12 mois*. A ce rythme il nous faudrait 1,7 planète Terre chaque année pour satisfaire nos besoins en toute tranquillité… Disposer de 0,7 planète en plus, c’est de la science-fiction ! (sachant que ce n’est qu’une moyenne, car concernant certains pays, si toute l’humanité faisait comme eux, nous consommerions plus de 8 planètes par an !).

*Aurore Market le Blog
Environnement : la consommation des ressources naturelles a été dépassée (auroremarket.fr)

L’idée de « croissance permanente » pour s’en sortir est le reflet d’une inconséquence intellectuelle (sur le plan corporel ce serait une évidence : toute partie corporelle qui ne ferait que croître indéfiniment finirait par mettre l’organisme en danger !). Notre écosystème est en équilibre subtil, et toute zone qui décide une croissance permanente ne peut qu’ être source de troubles pour la totalité. Safa Motesharrei, riche d’un doctorat en mathématiques appliquées aux politiques publiques et d’un doctorat de physique nous fait remarquer ironiquement :

« Nul besoin d’être fort en maths pour comprendre qu’une croissance quantitativement illimitée – toujours plus de production et plus de consommation – sur une planète limitée en termes de ressources et de capacité d’absorption des déchets est mathématiquement impossible » (Robin, 2021, p.316 [et p.301]).

Cette inconséquence intellectuelle, et cet étonnant manque de conscience, semblent hélas assez répandus si l’on en croit l’économiste Maya Bacache-Beauvallet* dans son ouvrage « Les stratégies absurdes – comment faire pire en croyant faire mieux ». Elle décrit minutieusement comment de soi-disant remèdes engendrent plus de problèmes qu’ils n’en résolvent. Elle donne de nombreux exemples glanés dans notre vie économique, éducative, sanitaire, sociale etc. Il ne s’agit alors que de rafistolages malheureux masquant une situation alarmante qui ne fait que s’aggraver. Là il ne s’agit pas d’intuitions idéologistes, mais d’une étude chiffrée très sérieuse, réalisée par une économiste.

* Maya Beauvallet Professeur de sciences économiques Telecom ParisTech - Membre du Haut Conseil des finances publique

Sans doute y verrions-nous plus clair si nous distinguions « déploiement » et « développement ». Le déploiement révèle ce qui existait déjà, mais en attente de se manifester, alors que le développement consiste en un ajout de quelque chose. Ainsi par exemple la personnalité (le Moi) se développe, alors que l’Être (le Soi) se déploie.

-Se développer consiste à prendre dans l’environnement quelque chose à notre profit pour réaliser un ajout (cela prend quelque chose à l’extérieur).

-Se déployer consiste à révéler ce qui est déjà en soi potentiellement et à en faire bénéficier l’environnement (cela apporte quelque chose à l’extérieur).

 

En réalité, la vie participe des deux, mais en équilibre et en justes allers-retours. Comme le disait Maslow (texte cité précédemment) :

« Non seulement l’homme est une PARTIE de la nature, et la nature est une part de lui, mais il doit aussi être isomorphe (semblable à elle) afin d’être viable en elle. » 

Dans cette nature, les parasites (virus, bactéries et autres) représentent plus de la moitié des êtres vivants sur Terre (Robin, 2021, p.55). Il ne peut s’agir d’une erreur de l’évolution ! Il s’y développe des collaborations avec des stratégies immunitaires (ibid.p.56). ll y aurait un fonctionnement systémique à trouver en justesse, qui ne peut se résumer à du combat. La santé n’est pas l’absence de maladie mais un équilibre physique mental et social (OMS). Il ne s’agit pas d’une sorte d’idéologie écologiste, mais du respect d’un écosystème qui a su gérer, en quelques millions d’années, bien plus de choses que nous ne sommes capables d’en penser avec nos petits flashs cognitifs, aussi savants soient-ils. Comme le disait Louis Leprince Ringuet (physicien, chercheur, académicien) à une animatrice à la télévision « Un savant c’est juste quelqu’un dont l’ignorance a quelques lacunes ».

L’humilité et la conscience sont essentielles, la coopération l’emporte sur la concurrence. Toute division est source de dépérissement. La défiance généralisée ne peut être la solution.

Et si nous prenons un peu « d’altitude », ou plutôt de « vastitude », les recherches de l’astrophysicien David Elbaz conduisent à découvrir qu’une des clés de l’univers est de produire des photons, c’est-à-dire de la lumière. Comme si cela en donnait le sens vers plus d’entropie, qui ne doit chez lui pas être entendu comme « plus de désordre »… au contraire :

« Mais la vie excelle plus que tout autre dans cet exercice où la réunion d’éléments matériels offre à l’univers une capacité nouvelle de répondre à sa propension à engendrer de la lumière. On l’a vu en montrant qu’un atome rayonne 200.000 fois plus de lumière dans un être vivant que dans le soleil. » (Elbaz, 2021, p.200).

Ainsi nous aurons avantage à sortir de notre sillon cognitif et à découvrir un horizon plus vaste prenant en compte de multiples pertinences systémiques sources d’évolution.

Une telle option semble apparaître quand Sir Andrew Haines, médecin, chercheur réputé en épidémiologie, ayant collaboré avec l’OMS et le GIEC se réjouit d’une avancée qu’il partage avec Marie-Monique Robin :

« Trois-cent-cinquante associations médicales représentant 40 millions de professionnels de la santé issus de quatre-vingt-dix pays, avaient adressé une lettre aux dirigeants du G20 leur demandant de "placer la santé publique au cœur de l’après-covid-19". […] "utiliser les milliards de dollars investis dans la relance pour encourager des changements qui soutiennent la santé humaine, économique et planétaire dans le futur" » (Robin 2021, p.242).

5.4    Œuvre de conscience et de créativité

Favoriser la vie, favoriser la conscience, rester ouvert et sensible, imaginatif, attentionné. La soumission n’est pas avantageuse. Comme le disait René Descartes :

« Certes l’entendement seul est capable de percevoir la vérité ; mais il doit être aidé cependant par l’imagination, les sens et la mémoire, afin que nous ne laissions de côté aucune de nos facultés » (Règles pour la direction de l’esprit Règle XII, 1999, p.75).

« …la pluralité des voix n’est pas une preuve qui vaille rien pour les vérités un peu mal aisées à découvrir, à cause qu’il est souvent bien plus vraisemblable qu’un homme seul les ait rencontrées que tout un peuple » (Le discours de la méthode, 2000, p.41).

Quant à la difficulté d’un thème abordé, il ajoute :

« Il ne servirait à rien de compter les voix pour suivre l’opinion qui a le plus de partisans : car, s’il s’agit d’une question difficile il est plus sage de croire que sur ce point la vérité n’a pu être découverte que par peu de gens et non par beaucoup. Quand bien même d’ailleurs tous seraient d’accord entre eux. » (Règles pour la direction de l’esprit Règle III, 1999, p.43).

Voilà ce que devrait envisager un cartésien ! Les réponses ne sont donc pas aisées et réclament un regard tout en subtilité, en vastitude, libre des limitations et d’éventuels faux étayages, imaginatif, créatif.

Dans son ouvrage « Petite philosophie de l’improvisation », le musicien Ibrahim Maalouf invite à la créativité et à la liberté que représente l’improvisation. Il le dit dans son domaine artistique de musicien trompettiste et pianiste. Il nous cite aussi dans son ouvrage un intéressant propos d’Albert Jacquard (célèbre généticien) :

« Le grand biologiste et généticien Albert Jacquard, disait que la compétition "c’est réquisitionner toute son intelligence et ses capacités pour étudier des choses qui ne nous intéressent pas forcément, mais qui sont au programme. Et par conséquent, c’est faire acte de soumission, c’est faire preuve de conformisme. Et actuellement, le système des grandes écoles, le système de la compétition, ne fait que sélectionner les plus conformes. On entre dans un mode qui doit se renouveler. Plus on est conformiste, plus on est dangereux. Par conséquent on est en train de sélectionner les gens les plus dangereux, ceux qui ne seront pas capables d’imagination." C’était dans l’émission de la RTBF en 1994. » (Maalouf , 2021, p.77-78)

Nous avons plus que jamais besoin de cette ressource de la créativité. Tâchons de faire en sorte que ces ressources ne se retrouvent anéanties par quelques personnes en révolte s’exprimant de façon plus ou moins délicate, ou d’autres en situation de force incitant à la soumission. Ne fustigeons pas nos chercheurs, mais donnons-leur la considération qui stimulera leur ouverture et leur sensibilité.

Souhaitons qu’à partir de l’année 2022 dans laquelle nous arrivons, cette lucidité fasse partie intégrante de ce qui peut être partagé, ainsi que le proposait John Stuart Mil cité précédemment : ne pas amputer l’humanité par le rejet ou le mépris de la parole d’une personne, ou pire encore par le rejet de la personne elle-même.

5.5    Hors des jugements hâtifs

Il semble sage de ne pas juger hâtivement ceux qui gèrent une situation aussi délicate que la situation sanitaire actuelle. Quand la situation devient très complexe, ceux qui ont la charge de la gérer font au mieux et tous jugements hâtifs seraient dommageables, de notre part… tout autant que de la leur, car cela n’est simple pour personne. En revanche chacun peut y amener sa contribution en élargissant le débat. S’il ne s’agit pas de juger ce qui se fait (et encore moins ceux qui font), on peut toutefois regretter une absence essentielle :  combien de fois avons-nous entendu parler de la problématique d’effondrement de la biodiversité comme source majeure des MIE (maladies infectieuses émergeantes), dont le Covid-19 ? Très peu, quasiment pas, alors que cela devrait être au cœur du débat afin d’amorcer une réflexion vers un résultat durable.

Même s’il faut aussi gérer l’urgence immédiate d’un point de vue hygiéniste (ce qui est déjà d’une grande complexité), on ne peut ignorer la source de ces MIE en enclenchant le fait de prendre soin de la biodiversité. Il y a le phénomène « hygiéniste » et le phénomène « biodiversité ». Il ne s’agit pas de deux phénomènes à mettre dos à dos. Ils se complètent. Mais si on ignore le second il peut hélas se produire ce que dénonçait le célèbre épidémiologiste américain Stephen Morse, déjà cité précédemment concernant nos luttes :

« "Elles ont en commun qu’elles coûtent très cher et qu’elles sont infinies parce qu’elles ne s’attaquent pas aux causes…" » (Robin, 2021, p.51).

S’agit-il d’un aveuglement ? Albert Jacquard aurait-il eu une vision juste de la problématique à propos de la capacité d’innovation ?

Nous pouvons sincèrement espérer que la situation sanitaire actuelle soit une magnifique opportunité de traiter le problème à la source et de ne pas se contenter d’en effacer les manifestations en surface. De le voir plus comme une opportunité qui nous réveille de notre éco-somnolence et non pas seulement comme une catastrophe (cela fait plus de 20 ans que de très nombreux scientifiques nous avertissent). Il n’est bien sûr pas question de minimiser toutes les détresses endurées pas tant de monde, mais elles sont hélas le prix d’une inconséquence qui a duré sans doute trop longtemps, et dont la situation actuelle nous incite sérieusement à sortir.

5.6    Plus de quiétude

La Vie accomplit son œuvre. Soyons en amitié avec ce qui s’accomplit depuis des temps immémoriaux, et qui a fait que nous sommes ici aujourd’hui (depuis le L.U.C.A. jusqu’à nous). Soyons en vigilance de ne pas être en lutte contre ce qui nous a constitués. Sachons mieux suivre le fil de la Vie, en générosité, en proximité cordiale, concernés par l’humanité qui est en chacun de nous, et par l’équilibre de notre habitat planétaire.

Ayant négligé un logement, nous pouvons déménager d’un appartement ou d’une maison devenus insalubres et nuisant à notre santé. Cependant, il n’est pas possible de quitter une planète dépouillée qui deviendrait dangereuse pour notre survie. Il s’agit alors urgemment de prendre soin de notre Géo-habitat pour prendre soin de notre santé. Nous en obtiendrons une plus grande quiétude sanitaire. Faisons coopérer un hygiénisme raisonnable avec un soin raisonnable concernant la biodiversité, la santé environnementale (ne les mettons pas en opposition). Cela est aussi subtil, sinon plus, que les enjeux climatiques (si importants également et pourtant relativement négligés, en dépit des nombreuses COP*).

* La conférence des parties (CP ; en anglais Conférence of the Parties, COP1), également appelée conférence des États signataires, est un terme générique qui désigne l'organe suprême de certaines conventions (Wikipédia).

Nous devons l’hygiénisme à Louis Pasteur, qui nous offrit une véritable révolution dans la gestion des infections. A qui devrons-nous ce soin accordé à une écologie de la santé grâce à la biodiversité (santé environnementale). Qui nous apportera une révolution toute aussi grande ?

De nombreuses personnes en parlent depuis longtemps :  plus de 200 scientifiques participant à la conférence de Washington de 1989, généticiens, prix Nobel de médecine, épidémiologistes, virologues… etc., invitant à développer la recherche concernant l’origine de ce que nous appelons « virus émergents » (Robin, 2021, p.28). Il apparaît que les MIE (maladie infectieuses émergentes) ont une source anthropique, c’est-à-dire découlent des activités humaines. Soixante-dix scientifiques interrogés sont formels :

 « On ne peut pas dire qu’on ne savait pas » (Robin, 2001, p.15).

La Professeure de médecine cellulaire et moléculaire Donna Vercelli qui enseigne à l’université de Tucson est aussi directrice du Centre de biologie des maladies complexes. Elle nous partage :

« Comme tous les médecins de ma génération, j’ai appris dans mes cours de microbiologie à exterminer les microbes à grand renfort d’antibiotiques. La première fois que j’ai entendu parler des « bactéries commensales »*, ça m’a paru complètement surréaliste […] nous découvrons, pratiquement chaque jour, une nouvelle espèce de microbes qui font toutes sortes de choses dans nos organismes et ça pousse à tout repenser. » (Robin, 2021, p.188).

*Bactéries commensales : flore bactérienne transmise par la mère au nouveau-né, lui permettant une protection contre les bactéries pathogènes.

La tranquillité et le partenariat de chacun seront d’autant plus présents si nous voyons que l’ensemble de la situation est pris en compte, libre de tout dogmatisme, avec conscience, notamment concernant les problématiques environnementales de la santé planétaire. Ces données doivent à chaque instant faire partie des éléments pris en compte par la recherche. Tout habitant de la planète se doit d’en prendre soin du mieux qu’il peut.

Qui inflige à notre planète une nuisance majeure s’éloigne de ce qui a fait de lui un humain en ce sens où ce qu’il maltraite est ce qui lui a permis d’être au monde. C’est pire que s’il détruisait ses géniteurs (ce qui est déjà très grave) car il détruit aussi l’avenir de tous ceux qui ont été engendrés (c’est en quelque sorte fratricide). Cela peut être par ignorance, ou par un malheureux enchaînement de circonstances, ou par soif d’avoir ou de pouvoir. Quelle qu’en soit la raison, y remédier avec délicatesse devient essentiel et la crise sanitaire que nous traversons semble être la manifestation possiblement salutaire par laquelle les questions de fond vont faire surface, nourrir le savoir, enrichir la connaissance, ouvrir la conscience, et permettre aux humains de vivre en meilleurs termes entre eux et avec leur environnement… car, ici, tous sont concernés par un objectif commun.

Contrairement aux apparences, cette tempête sanitaire peut animer notre quiétude car enfin nous disposons d’une opportunité pour que l’essentiel soit pris en compte. Certes encore timidement, car nous sommes encore excessivement dans un presque « tout hygiénisme »… mais la brèche est ouverte et nous pourrons adjoindre à un hygiénisme raisonnable, une écologie de la santé (santé environnementale) elle aussi raisonnable sans mettre quoi que ce soit en opposition ou en combat, mais en favorisant une ouverture vers plus de vastitude. Être ainsi dans un délicat partenariat intégratif. Une proximité planétaire des humains entre eux et des humains avec la nature qui ouvre une nouvelle voie dont nous avions tant besoin hors de toute idéologie.

 

Thierry TOURNEBISE  

retour sommaire

 

Bibliographie

Bacache-Beauvallet, Maya
-Les stratégies absurdes Comment faire pire en croyant faire mieux - Seuil, 2009

Darwin, Charles
-La filiation de l’homme – Honoré Champion Editeur, 2013

Descartes, René
-Descartes, Œuvres Lettres - Règles pour la direction de l’esprit – La recherche de la vérité par la lumière naturelle – Méditations – Discours de la méthode  « Bibliothèque de la Pléiade » Gallimard Lonrai, 1999  
-Le discours de la méthode – Flammarion, Paris, 2000

Elbaz, David
-La plus belle ruse de la lumière – Odile jacob, 2021

Kropotkine, Pierre
-L’entraide – un facteur de l’évolution – Editions invisibles - ouvrage initial, 1902

Maalouf, Ibrahim
-Petite philosophie de l’improvisation – éditions EQUATEUR Mister Ibé, 2021

Martin-Krumm Charles et Tarquinio Cyril
-Traité de psychologie positive -De Boeck, 2011

Maslow, Abraham
-Être humain - Eyrolles, 2006
-Devenir le meilleur de soi-même –
 Eyrolles, 2008

Mill, John, Stuart
-L’utilitarisme – Flammarion, Champs classiques, 1988
-De la liberté - Gallimard, folio essais, 1990

Noble, Denis
-La musique de la vie. La biologie au-delà du génome –Seuil, 2007

Patou-Mathis, Marylène
-Préhistoire de la violence et de la guerre – Odile Jacob, 2013

Richard Zivohlava, Aline
-La saga du CRISPER - la révolution génétique qui va changer notre espèce – Flammarion, 2021

Robin, Marie-Monique
-La fabrique des pandémies – éditions La découverte, 2021

Rogers, Carl Ransom
-Le développement de la personne – Interéditions Dunod, 2005 

Sénèque
-La brièveté de la vie – GF Flammarion, 2005

Spinoza, Baruch
Œuvres complètes - Bibliothèque la Pléiade Gallimard – Etampes, 1962

Teilhard de Chardin, Pierre
-Le phénomène Humain- Editions du Seuil, 1955

Veldman, Frans
-L’haptonomie, science de l’affectivité – PUF, 2001  

retour sommaire

Liens

Liens internes  

Les pièges de l’empathie novembre 2000
Le deuil – comprendre, accompagner 
mars 2011
Humaniser la fin de vie
avril 2003

 Liens externes  

-Inserm
Microbiote intestinal (flore intestinale),
Une piste sérieuse pour comprendre l’origine de nombreuses maladies (Inserm publication du 18/10/2020) :
Microbiote intestinal (flore intestinale) - Inserm La science pour la santé

 

Aurore Market le Blog
Environnement : la consommation des ressources naturelles a été dépassée (auroremarket.fr)