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Addiction et bonheur
- amour - existentiel - utilitarisme - sacré -

mars 2015    -    © copyright Thierry TOURNEBISE

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L’addiction n’est en aucun cas  source de bonheur, mais le manque de bonheur peut souvent conduire à l’addiction.

Il agit ici de comprendre les méandres de l’existentiel (ce qui touche à l’Être), de l’amour (de quoi s’agit-il ?) du bonheur (qu’est-ce qui le constitue et le permet ?), mais aussi de l’utilitarisme (ce qui y conduit le mieux pour chacun et pour tous) ainsi que des addictions qui assurent la compensation des manques quand nous n’y parvenons pas.

Cette publication, propose d’éclairer quelques notions concernant le bonheur, l’humanité, l’utilitarisme, afin d’assurer une liberté authentique qui ne soit pas une compensation. Nous y trouverons un  éclairage subtil sur ce qui est attendu et éprouvé, dans la vie de chacun avec respect de tous, et de tous avec le respect de chacun. Nous rencontrerons Abraham Maslow concernant les besoins ontiques (l’existentiel), John Stuart Mill, concernant l’utilitarisme (ce qui permet le bonheur personnel et social), Bruce K. Alexander concernant les addictions (montrant quelles frustrations sont en cause). Ils guideront nos pas pour une synthèse aussi proche que possible de l’humain que nous sommes, de notre environnement extérieur et intérieur, du vécu éprouvé (phénoménologie) dans notre vie individuelle ou collective.

 

Sommaire

1 Précisions
 – Au fil des mots –Interactions évidentes

2 L’amour
-Le sens commun – Définitions subtiles

3 Le bonheur
-Des choses et des Êtres – Synergie forte et faible – La psychologie positive  - Le bonheur et la hiérarchie des besoins

4 L’utilitarisme
-Le plaisir, l’utile et l’expédient  - La liberté et le bonheur – Utile à quoi ou à qui ? – Le plaisir, la réalité et le bonheur – Signature de l’humanité

 

5 Le sacré et l’humain
-Fondements et paradigmes – Croyances et sensibilité – Le spirituel et le religieux -  Simplement le plus humain en l’humain

6 Recherches innovantes sur l’addiction
-Les addictions – Bruce K. Alexander – Le « Rat Park » de l’homme – Abraham Maslow précurseur méconnu

7 Psychologie de la pertinence
- La psychologie classique  (de l’élimination) – La psychologie positive (de l’apprentissage de vie) – La psychologie de la justesse (pertinence et reconnaissance)

8 Pour conclure
- Un champs psychique – L’individuel – Le collectif

Bibliographie  

Bibliographie du site

 

1   Précisions

1.1 Au fil des mots

« Amour », « bonheur », « utilitarisme », « existentiel » et même « sacré »… ces mots ont des sens bien distincts. Ils se trouvent réunis dans cette publication pour rendre compte de quelques aspects essentiels de la vie, dont notre quête d’épanouissement. Nous y ajouterons l’« addiction » qui semble être le plus souvent une stratégie compensatrice en cas d’échec (avec son cortège de difficultés à plus ou moins long terme).

Leur sens méritera d’être précisé car, même si nous avons l’impression d’approximativement bien les connaître, en tentant d’en préciser la définition nous voyons à quel point ils peuvent échapper à notre conscience et nous laisser dans le flou.

Après les avoir précisés, nous verrons qu’ils permettent de rendre compte de notre confort de vie, mais aussi des errances dans lesquelles nous pouvons nous retrouver en dépit de notre acharnement à bien faire.

1.2 Des interactions évidentes

L’amour semble contribuer au bonheur, le bonheur témoigne de la justesse de ce que nous avons mis en œuvre dans notre vie (authenticité ou artifices ?). Ce que nous avons mis en œuvre peut avoir été plus ou moins utile pour y parvenir (utilitarisme), la sensibilité à l’existentiel nous permet de recentrer nos actions en direction d’un déploiement du Soi plutôt que de s’acharner sur le seul développement du moi (qui cependant joue aussi son rôle). Le sacré rend compte de ce qu’il y a de plus précieux en les Êtres. C’est ce qui mérite notre respect, hors de toutes croyances, comme une intuition d’humanité qui doit rester inaltérable au-delà des opinions. Il doit contribuer à l’équilibre de nos pensées, pareillement au sacrum qui, au centre de notre squelette, contribue à son équilibre, constitue un fondement de la colonne vertébrale et de tout le reste. Un déplacement du sacrum crée bien des souffrances corporelles, un déplacement du sacré au plus profond de nous cause bien des souffrances psychiques et conduit à des considérations intellectuelles altérant ce bonheur tant convoité.

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2   L’amour

2.1 Le sens commun

Le mot « amour » est utilisé pour désigner tant de choses que son sens se dilue dans la conscience et sa saveur s’affadie considérablement.

« Chercher l’amour » peut signifier « chercher le sexe », « chercher la reconnaissance » ou bien « chercher un état sacré ». Mais le sexe peut lui-même être envisagé de façon sordide ou sacrée. Quant à la reconnaissance, elle est existentielle, mais peut hélas être confondue avec l’estime (valeur d’objet, de statut, admiration), ou avec l’ego (stratégies de performances et de paraître). Enfin, le sacré, qui est censé être spirituel, peut être confondu avec le bigotisme, ou même avec le fanatisme. La valse des mots du fait de leur usage illégitime peut embrouiller la conscience de celui qui les lit ou les entend ! Celui qui s’exprime doit alors prendre de multiples précautions pour éviter les malentendus. Les anglais ont au moins distingué « like » et « love », le premier mot désignant juste une préférence d’objet alors que le second évoque un sentiment profond envers un sujet.

Parler d’amour, outre ces diverses possibilités, semble souvent dépeindre la gentillesse un peu désuète des « Bisounours » ! Est-il quelque chose de profond qui reste dans ce mot ?

Il existe d’autres mots pour parler d’humanité. Le mot « empathie » est un mot tout autant malmené puisqu’il est censé désigner : soit un état d’humanité envers autrui soit le fait de se mettre plus ou moins à la place de l’autre (ce qui produit seulement de l’affect). Ce mot semble plus « classe », plus à l’abri des railleries, mais il n’est pas beaucoup plus clair, sauf à s’attarder un peu sur son sens. L’origine allemande de ce mot, que nous devons à Sandor Ferenczi et Theodor Lipps, est Einfühlung (fühlen = tact psychique, proche de feeling en anglais) nous éclaire un peu : il ne s’agit en aucun cas de se mettre à la place de l’autre, mais de se sentir concerné par ce que celui-ci éprouve au plus profond de lui, on pourrait dire « en concernement » avec lui. Il s’agit en fait de le considérer et de le reconnaître avec ce dont il fait l’expérience, être capable de l’accompagner sans pour autant le plaindre… et encore moins le nier en tentant de le rassurer sans l’entendre. Bien des subtilités trop rarement évoquées !

Le mot « amour » désigne ce qu’il y a de plus humain en nous. Tel une incontournable nourriture de la psyché, il permet au souffle intérieur de s’accomplir quand on le reçoit, autant que quand on le donne.

2.2 Définitions subtiles

L’amour doit en fait être considéré sans désuétude comme une posture sacrée.  Hors des croyances religieuses, il comporte néanmoins une dimension « spirituelle » (qui a trait à l’esprit, à la psyché, au Soi). Même en poussant ce mot vers un acharnement « matérialiste » il continuera de désigner un état « profondément humain ». Nous prendrons soin aussi de distinguer « matérialiste » et « laïc » car « matérialiste » désigne une croyance en l’objet (qui devient le lieu sacré) alors que « laïc » signifie libre des croyances mais les permettant toutes et ouvert.

L’amour concerne les autres ou soi-même : Celui qu’on accorde à autrui, celui qu’on reçoit d’autrui et celui qu’on se donne à soi-même.

Accorder de l’amour à autrui c’est lui offrir une considération, une reconnaissance, c’est éprouver un bonheur à ce que simplement cet Être soit. Cette réjouissance éprouvée par Soi atteste de l’existence de l’autre. L’amour, c’est savoir recevoir ce qu’il y a de plus magnifique en l’autre : son humanité Ce n’est pas le « prendre », mais simplement le « recevoir ». Donner de l’amour c’est offrir le fait de se réjouir de l’existence de l’autre, c’est recevoir sa présence comme un privilège… et le lui témoigner discrètement, mais ouvertement et expressivement. Curieusement, c’est un don qui se contente de lui témoigner de ce qu’on reçoit du fait de son existence.

Recevoir de l’amour d’autrui c’est sentir en son regard que nous existons, qu’il est heureux que l’on soit, que nous n’avons pas besoin de jouer le moindre paraître pour avoir grâce à ses yeux. C’est éprouver en même temps de la proximité et de la liberté. Cela aide à simplement « être au monde » avec un sentiment de légitimité.

Quand l’enfant, arrivant au monde, reçoit cela de ses parents, le fondement de sa vie est plus stable et lui épargne quelques contorsions ultérieures de son ego. Donald Wood Winnicott (psychanalyste) et Frans Veldman (auteur de l’haptonomie) ont bien mis l’accent sur ce regard de la mère qui, par son bonheur éprouvé en le voyant, lui apporte son assurance au monde. Quand ce n’est pas le cas, la quête de bonheur de l’adulte qu’il deviendra aura à résoudre ce manque. Ce manque suscitera en lui des élans de compensations parfois illusoires, des initiatives parfois créatives… et quelquefois une insatiabilité encombrante (conduisant à divers types d’addictions). Nous verrons comment y remédier, car la quête de bonheur est aussi une quête de complétude à laquelle nous pouvons parvenir soit de façon spontanée, soit à l’aide de certaines psychothérapies.

L’amour que l’on s’accorde à soi-même est sans doute celui qui comporte le plus d’ambiguïté. Il est hélas confondu avec l’ego, l’admiration que l’on se porte, le goût du paraître et du miroir dans une sorte de narcissisme mal compris. Or celui qui s’admire de s’aime pas, car il substitue « qui il est » au profit d’une image idéalisée. Quant à Narcisse, il est amoureux de son reflet dans l’eau de la fontaine croyant que c’est un autre. Il ne fait que projeter dans le monde un « imaginaire d’autres » qui ne sont que répliques de lui. Il meurt alors de solitude, car « les vrais autres » deviennent ainsi inaccessibles. Narcisse n’est pas l’emblème de l’amour de Soi mais celui de la projection de son propre paraître sur autrui. De cette illusion naît un aveuglement qui rend autrui invisible.

L’amour de Soi est très différent. Il consiste en une conscience de ses qualités et de ses défauts, accompagnée d’un accueil et d’une considération indéfectibles, prêtes à accéder au sens de ce qui nous  habite, riche d’une vision du monde où autrui est présent. Quand Carl Gustav Jung parle du Soi, il évoque ce qui, en nous, accomplit une individuation (pleine existence) ouverte au monde, en paix avec soi-même et avec autrui. Nous sommes alors en état d’amour... et cela n’a rien de désuet ou fleur bleue. L’amour de Soi n’est pas autocentré mais témoigne d’une pleine existence permettant de s’ouvrir à autrui et de lui faire bénéficier de notre attention, de notre considération, de notre reconnaissance. L’oubli de Soi tant prôné pour avoir plus d’amour envers autrui semble une parfaite illusion car pour donner de l’amour encore faut-il au préalable exister pour en être la source. Là encore l’oubli du paraître (le moi) est confondu avec l’oubli de l’Être (le Soi).

L’état amoureux qui fait couler tant d’encres (et tant d’ancres) n’est pas un état d’amour, mais un état de besoin. Grâce à l’attirance qui le caractérise, des Êtres sont portés l’un vers l’autre, attachés par le besoin l’un de l’autre en attendant de savoir s’aimer, c'est-à-dire de se révéler l’un à l’autre tels qu’ils sont et de s’accueillir réciproquement (sans séduction ni fascination). Être attachés pour ne pas se fuir en attendant que la maturation permette de savoir s’aimer pour de vrai ! (pour plus de précisions, vous pouvez lire sur le site les publications « vivre son couple » de février 2009 et « Passion » de février 2001).

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3   Le bonheur

3.1 Des choses et des Êtres

La notion de bonheur semble aller de soi. Une sorte de lapalissade nous fera dire que le bonheur c’est quand on est heureux. Mais nous ne faisons ainsi que reculer notre quête de définition car nous sommes tout autant en peine de définir précisément ce qui nous rend heureux.

En premiere instance, pareils au personnage auquel le génie accorde trois vœux, affamés nous demandons le plat de lentilles… puis les saucisses… réalisant qu’il n’y a plus qu’un vœu… comment le choisir avec le moins de superficialité possible et ne pas se tromper !?

Un être parcourt sa vie en courant après un plein d’objets, de possessions ou de succès. Puis, arrivé au milieu de celle-ci, réalise qu’il pourrait consacrer sa deuxième moitié d’existence à plus de profondeur, plus d’authenticité. Mais comment faire ? Où sont les repères pour une telle chose que l’intuition ne suffit pas à préciser ?

Le « bonheur possessions » paraît vite désuet, le bonheur « plan de carrière » ou succès aussi, celui des « projets passionnants » également… Devenant une sorte de Tantale qui voit tout ce qu’il touche se transformer en objets inutilisables pour sa quête. Ici ce supplice de Tantale d’un nouveau type est que les Êtres eux-mêmes deviennent objets dès qu’il les approche, et il souffre de ne pouvoir les rencontrer... à quoi bon tant de choses si l’on ne rencontre personne !

Alors peut-être l’amour est-il source de bonheur, mais, comme nous venons de le voir, qu’est-ce que l’amour ? Dans le sens commun il est souvent confondu avec un besoin de l’autre qui se retrouve quasiment instrumentalisé… et bien sûr cela n’est pas de l’amour. Cette quête semble révéler que le bonheur personnel est en lien avec le bonheur d’autrui.

3.2 Synergie forte et synergie faible

Les cultures à synergie forte sont celles où le  bonheur de l’un contribue au bonheur de l’autre et réciproquement. Celles en synergie faible sont celles où le bonheur de l’un se fait au dépend de celui de l’autre. Dans son ouvrage « Être Humain » (Eyrolles, 2006, p. 223 à 236), Abraham Maslow nous rend compte des recherches de Ruth Benedict (professeur d’anthropologie à l’université de Columbia) sur cette importante notion de synergie. En plus du bonheur réciproque, deux autres caractéristiques y sont énoncées :

En synergie forte les religions évoquent des Dieux généreux et amicaux (en synergie faible les Dieux sont terrorisants, vengeurs, vindicatifs).

En synergie forte un être qui commet une faute se voit toujours offert la possibilité de la réparer vis-à-vis de la communauté (en synergie faible il est banni à jamais et doit payer éternellement, y compris sa descendance).

La notion de synergie permet de comprendre le rapport entre le bonheur de soi et celui d’autrui, que l’un ne se peut sans l’autre.

Nous verrons un peu plus loin avec l’utilitarisme de John Stuart Mill que le bonheur individuel et le  bonheur social ne peuvent être considérés sans s’étayer et se réguler mutuellement. Le bonheur, notion insaisissable et si difficile à objectiver a été étudié de près  en psychologie de la santé dite « psychologie positive ».

3.3 La psychologie positive

Nous devons à cette branche de la psychologie quelques recherches sur le sujet. Les praticiens de cette spécialité, riches de multiples résultats de recherches qu’ils ont méticuleusement mises en œuvre, nous donnent aujourd’hui des pistes précieuses (voir sur ce site la publication d’avril 2012 « Psychologie positive »).

« Le système immunitaire est influencé par le bien-être des individus […] Les gens plus heureux sont moins susceptibles d’attraper un virus du rhume et de la grippe que les gens malheureux […]… parmi les patients atteints de cancer, le fait de vivre plus de moments  d’élévation morale (petits évènements positifs) et moins d’ennui quotidien (petits événements négatifs) était corrélé avec le fait de posséder plus de cellules tueuses naturelles (cellules immunitaires qui attaquent les pathogènes envahissants) » (Traité de Psychologie Positive, p.107-108).

Selon ces recherches, l’augmentation du niveau de bonheur d’un individu influence même favorablement celui de son entourage (+25%)… jusqu’à celui de l’entourage de l’entourage (+10%) ! [Leconte, 2009, p. 24].

Sonia Lyubormirski (professeur de l’université de Californie) a mis en relief le fait que les événements ne comptent que pour 10% dans notre bonheur, la génétique 50%, et nos choix pour 40%  (Lyubormirski  2007, p.48  et Traité de Psychologie Positive p.171). Il s’agit donc d’exploiter au mieux ces 40% ! Ce bonheur, tant convoité et si bienfaisant, se décline en quelques points clés :

L’autonomie

L’autonomie c’est de pouvoir vivre selon ses propres  règles (auto-nomos). L’on confond parfois « être autonome » et « être valide ». Or, une personne handicapée peut vivre selon ses propres règles (donc être autonome) alors qu’une personne valide peut  être soumise (donc ne pas être autonome).

Il se trouve que l’autonomie (pouvoir vivre selon sa propre règle) est une composante du bonheur. Mais elle présente une difficulté majeure : elle ne peut être que partielle, car tenir compte d’autrui est socialement incontournable. Le bonheur de soi ne se peut sans le bonheur d’autrui (synergie forte) et ces deux aspects s’étayent en même temps qu’ils se limitent mutuellement.

La mise en œuvre de compétences

La mise en œuvre de quelque chose que l’on sait faire est aussi un élément majeur. C’est pourquoi le départ à la retraite peut être violent pour certains Êtres qui n’ont alors plus cette opportunité. Mais il ne s’agit pas seulement de « faire pour faire ». De cette action, il doit résulter un sentiment « d’utilité » (nous affinerons cette notion avec l’utilitarisme de John Stuart Mill).

Le simple « faire » ne suffit pas à apporter le bonheur s’il ne contient pas une dimension ontique (existentielle), c'est-à-dire s’il ne contribue pas d’une façon ou d’une autre à un plus d’harmonie, d’équilibre, d’esthétique ou directement à un accroissement du bonheur d’autrui. Qu’il s’agisse de mettre quelques fleurs dans le jardin, de maintenir les carreaux propres pour que la lumière entre dans la maison, de plier et ranger les serviettes pour qu’on les retrouve facilement ou de réaliser une grande œuvre artistique ou un monument architectural… le sentiment de contribution ontique doit être là et, pour être opérationnel, bénéficier au moins d’une petite reconnaissance (non pas d’admiration, mais juste de la reconnaissance). Un besoin de compétence satisfait contribue au niveau de bonheur d’un Être.

La capacité à goûter le plaisir (hédonisme)

La capacité à goûter le plaisir est également fondamentale. Cependant il ne s’agit pas de chercher les choses extraordinaires (quête qui alors reflète plutôt une incapacité hédoniste) mais de savoir trouver de l’extraordinaire dans l’ordinaire. Les philosophes Démocrite (460-370 av. JC) et Épicure (342-270 av. JC) nous ont enseigné cela il y a 24 siècles. Leur vie était modeste. Ils se contentaient de peu et savaient extraire l’extraordinaire de l’ordinaire, pareils à des distillateurs capables d’extraire l’essence de chaque chose. Le vrai épicurien  n’est jamais dans l’excès et sait se réjouir de tout. Loin d’être addict à quoi que ce soit il se retrouve toujours satisfait de ce qui s’offre à lui. La psychologie positive a ainsi adopté la démarche de « pleine conscience » (mindfulllness) qui conduit à une telle sensibilité salvatrice.

Le fait que sa vie ait du sens (eudémonisme)

La mise en œuvre de compétences et l’hédonisme ne sont cependant que deux éléments parmi plusieurs autres. Le bonheur est multifactoriel. Il y a aussi un besoin de sens qui doit trouver satisfaction.

Nous ne sommes pas loin de l’utilitarisme (il faut que cela serve à quelque chose, ou mieux encore, à quelqu’un, voire au divin).

Le médecin Victor Frankl (« Nos raisons de vivre, à l’école du sens de la vie » - 2009) rend clairement compte de cette dimension. Ce besoin de sens s’exprime dans ce que l’on appelle « l’eudémonisme ». Cet aspect de notre vie doit se trouver suffisamment satisfait pour contribuer à notre bonheur.

La frustration au niveau du « besoin de sens » peut conduire des jeunes désoeuvrés vers des idéologies qui, bien que douteuses ou même parfois néfastes, ont le mérite de leur donner cette impression de sens que ne leur offre pas le quotidien. Ils se perdent hélas eux-mêmes, et parfois nuisent à autrui…, mais les adultes qui leur offrent leur cadre de vie devraient s’interroger sur cette notion de « sens », si absente de ce qui leur est socialement offert.

La reconnaissance

Le besoin de reconnaissance est sans doute bien plus fort qu’on ne le croit, à condition de bien comprendre que la reconnaissance ne consiste pas en l’attribution de récompenses. La reconnaissance consiste en le bonheur que l’on éprouve à la rencontre de l’autre. Notre propre réjouissance du fait de l’autre vaut reconnaissance. D’un côté la récompense n’est que transactionnelle (pour ne pas dire « marchande »), de l’autre la reconnaissance est existentielle (pour ne pas dire « sacrée »). Si l’on sent que notre simple existence est source de bonheur pour autrui, alors quelque chose en nous touche une grâce qui nous emplit. J’ai longuement écrit sur ce sujet tant cet aspect est un fondement de la psychothérapie (publication d’octobre 2014  « Reconnaissance »).

La récompense nourrit l’ego au niveau du besoin d’estime (de valeur) alors que la reconnaissance nourrit le Soi au niveau des besoins ontiques (existentiels). La récompense, de par l’estime nous met au rang des objets (le monde des choses évaluées), la reconnaissance nous met au rang des sujets (le monde des Êtres rencontrés). La publication d’avril 2014 « Estime de Soi » aborde précisément cette distinction majeure entre l’estime et la reconnaissance.

3.4 Le bonheur et la hiérarchie des besoins

Les besoins permettant le bonheur ont été abordés par un précurseur de la psychologie positive : Abraham Maslow. Contrairement à ce qui est abusivement enseigné, il n’a jamais parlé de « pyramide des besoins », mais de « hiérarchie des besoins ». Dans cette hiérarchie, il a même placé comme fondation majeure de cet ensemble, ce que tout le monde ne place que comme une vulgaire cerise sur ce pyramidal gâteau « psycho meringué ». Loin d’être une simple cerise accessoire, cette solide fondation est constituée par les besoins ontiques. Nous pouvons envisager l’ensemble des besoins en trois catégories : les besoins physiologiques (médecine du corps), les besoins psychosociaux (psychologie du moi) et les besoins ontiques (psychologie du Soi).

Les besoins physiologiques (satisfaction du corps)

Respirer, boire, manger, ne pas avoir froid, ne pas avoir de maladie, réguler l’homéostasie de son corps, voilà des besoins purement biologiques qui, quand ils ne sont pas satisfaits place l’individu en détresse. On ne peut pas ne pas en tenir compte. Comme le dit si bien la si célèbre chanson de Coluche pour les Restos du cœur :

« Aujourd'hui, on n'a plus le droit
Ni d'avoir faim, ni d'avoir froid
Dépassé le chacun pour soi
Quand je pense à toi, je pense à moi »

Le côté trivial du corps fait partie du respect d’autrui ou de soi-même et négliger cela handicape bien sûr gravement le bonheur… ou altère même le simple fait de pouvoir vivre (la santé en pâtit rapidement, éventuellement jusqu’à la mort).

Au-delà de ces premières nécessités incontournables, il convient aussi de prendre soin du corps par une nourriture équilibrée (adaptée et sans excès), une mobilisation suffisante (exercice), autant que possible une absence de toxiques (excès d’alcool, tabac, pollution)… etc., mais sans pour autant qu’il en résulte de tristesse (d’où l’importance de la prise en compte psychologique).

Cependant il n’échappe à personne que cela ne suffit pas au bonheur. Le côté corporel est essentiel, mais d’autres aspects sont d’incontournables ingrédients sans lesquels le bonheur reste inaccessible.

Les besoins psychosociaux (satisfaction du moi)

Le besoin de sécurité est suivi de celui d’appartenance qui lui est quasiment associé. Ce besoin d’être avec d’autres nous conduit à mettre ce que nous sommes vraiment de côté, pour adopter ce qui convient à tous. Les attitudes, les statuts, les projets, les habitudes, les avoirs, les références… etc. « Ne pas être » pour « être avec tous » est une curieuse attitude de survie, mais il est bien évident que le plus grand des bonheurs vécu seul ne compte pas tout à fait. Comme le remarque le héros du film « Into the wild » quand il réalise enfin son projet de se trouver en Alaska : subjugué par la beauté du lieu… il se désole en constatant qu’il ne le partage avec personne (Histoire vraie de Christopher McCandless, réalisée en film par Sean Penn en 2007).

Ce besoin d’appartenance, permettant d’échapper à la solitude ou à l’isolement, est ensuite augmenté par le surgissement du besoin d’estime. Sécurisé par cette appartenance, le sujet tente alors d’avoir l’air de « ce qui vaut le plus aux yeux des autres ». Il n’est toujours pas lui-même. L’estime c’est la valeur, la valeur c’est l’objet : chercher à avoir de la valeur c’est se déchoir au rang d’objet (voir sur ce site la publication d’avril 2014 « L’estime de Soi, ou l’inestimable de Soi »)

Les besoins ontiques (satisfaction du Soi)

Nous touchons là avec Abraham Maslow le véritable besoin fondamental. Les besoins ontiques sont les besoins de reconnaissance, d’amour, de beauté, d’harmonie, de justesse, de justice… etc. Si ces besoins sont satisfaits, quelques frustrations sur les autres niveaux seront aisément supportées. Sinon les autres besoins resteront insatiables quoi qu’on fasse.

Le déploiement de Soi ne se fait qu’avec la satisfaction des besoins ontiques. La qualité du bonheur en dépend. Les autres besoins (prendre soin du corps, être avec une communauté, y briller quelque peu) sont nécessaires pour réguler notre équilibre. Mais au-delà du seuil de nécessité, ils ne compensent jamais un manque ontique. « Sursatisfaire » les besoins physiologiques ou psychosociaux  n’y change rien.

Le bonheur humain

A défaut d’un bonheur suffisant, les compensations permettent de supporter la frustration ontique. La dimension ontique est celle qui caractérise l’humain. Si l’on se contente des besoins corporels ou des besoins de meute, de troupeaux ou de leader, cela ne reflète que notre animalité. L’Être que nous sommes en éprouve alors une tristesse intime. L’acharnement sur les compensations conduit ainsi à rechercher des profits illusoires qui ne sont que des expédients inefficaces. Le  bonheur humain se déploie seulement dans la dimension existentielle.

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4   L’Utilitarisme

Le mot « utilitarisme » n’est pas très heureux mais ce qu’il définit, selon John Stuart Mill (1806-1873), est très intéressant concernant le bonheur.

Ce philosophe anglais du XIXe siècle s’inspira des travaux de son prédécesseur Bentham en y ajoutant beaucoup d’humanité. Si l’on peut remarquer que personne ne souhaite faire quelque chose qui ne sert à rien (d’inutile), il convient de préciser ce que signifie « servir à quelque chose »… et même plus précisément « servir à quelqu’un ».

On pourrait résumer la notion d’utilitarisme par : « est utile ce qui contribue au bonheur de quelqu’un sans nuire à la collectivité, et/ou au bonheur de tous sans nuire à aucun individu ». La notion de synergie forte évoquée précédemment y est implicitement très présente.

4.1 Le plaisir, l’utile et l’expédient

Quand Mill parle de bonheur, il évoque la notion de plaisir. Considérant cette notion bien avant Freud, il y place une dimension humaine bien plus riche que les pulsions du « ça » et les stratégies du « moi ». Il y considère de façon avant-gardiste un profond respect du « Soi », même s’il n’utilise pas ce mot.

Mill précise avec soin qu’il ne faut pas confondre l’utile et l’expédiant. L’expédient représente les moyens faciles ou extrêmes, plus ou moins honnêtes, mis en œuvre pour arriver à ses fins sans conscience. C’est, selon Freud lui-même (1985, p55-56), ce que fait le moi  qui ne s’occupe que des problématiques de proies et de prédateurs, sans préoccupations existentielles (ni personnelles ni sociales).

La mise en œuvre d’expédient est cependant assujettie à la fragilité des sentiments nobles qui, pour la plupart, n’ont pas eu l’environnement leur permettant de se déployer :

« L’aptitude à éprouver des sentiments nobles est, chez la plupart des hommes, une plante très fragile qui meurt facilement, non seulement sous l’action de forces ennemies, mais aussi par simple manque d’aliments ; […] » (Mill, 1988, p.55).

« Les hommes perdent leurs aspirations supérieures comme ils perdent leurs goûts intellectuels, parce qu’ils n’ont pas le temps ou l’occasion de les satisfaire ; et ils s’adonnent aux plaisirs inférieurs, non parce qu’ils les préfèrent délibérément, mais parce que ces plaisirs sont les seuls qui leur soient accessibles, ou les seuls dont ils soient capables de jouir un peu plus longtemps » (ibid.)

C’est un peu ici comme si John Stuart Mill avait l’intuition des travaux que fera Bruce K. Alexander autour des années 2000 à propos des addictions, mettant à jour expérimentalement que la pauvreté de l’environnement joue un plus grand rôle que l’attraction des molécules de drogues dans la dépendance (2001).

Mill dénonce les compensations superficielles qui négligent l’essentiel. On pourrait dire, avec les propos de son successeur du XXe siècle Maslow, qu’il privilégie ce qui est ontique et propose de la prudence par rapport à ce qui ne l’est pas.

« […] une existence aussi exempte que possible de douleurs, aussi riche que possible de jouissances, envisagées du double point de vue de la quantité et de la qualité ». (ibid., p.57)

Non seulement il tient compte du bonheur de chaque individu sans jamais négliger celui de la collectivité, mais aussi il tient compte du bonheur de la collectivité sans négliger celui de l’individu.

Il va encore plus loin en précisant qu’est utile ce qui contribue à un plus grand bonheur global et durable et non un simple bonheur immédiat, tout en conjuguant le personnel et le social.

« […] car cet idéal n’est pas le plus grand bonheur de l’agent lui-même, mais la plus grande somme de bonheur totalisé ». (ibid.)

Quand il parle de « bonheur totalisé », il va même encore plus loin en y incluant « tous les êtres sentant » de la nature, c'est-à-dire les animaux dont il convient aussi de se soucier. En un mot, il se préoccupe du respect de la vie au sens large.

« Une existence telle qu’on vient de la décrire pourrait être assurée dans la plus large mesure possible, à tous les hommes ; et point seulement à eux, mais autant que la nature des choses le comporte, à tous les êtres sentants de la création ». (ibid, p.58)

Jeremy Bentahm (1748 – 1832), quoique moins sensible à la dimension sociale ou à la vie étendue à tous les « êtres sentants de la création »,  allait cependant au-delà de la notion de plaisir vers celle d’« accroissement d’existence ». En effet il se peut que ce qui permet d’accroître l’existence ne soit pas agréable, et que ce qui est agréable ne l’accroisse pas.

« Ne parlons pas trop vite de bonheur ou de plaisir : un accroissement de mon existence n’est pas forcément un plaisir ; il peut même, s’il s’agit, par exemple, d’un apprentissage difficile, être associé à des souffrances, au  moins provisoires » (Jean-Pierre Clero - Bentham, 2006, p.14).

La difficulté étant de penser l’utilitarisme dans une entièreté :

« L’utilité divise les individus entre eux ; elle divise l’individu contre lui-même. Penser à son avenir peut entraver les valeurs du présent ; de même que le souci du présent peut offusquer les valeurs de l’avenir » (ibid. p.12).

Ce qui aurait certainement plus à Sénèque qui invitait à considérer l’entièreté de la vie, comme seul moyen d’avoir une longue vie (« La brièveté de la vie » 2005).

4.2 La liberté et le bonheur

L’autonomie a été pointée par la psychologie positive comme composante du bonheur. Elle va de paire avec la liberté, notion à laquelle John Stuart Mill a même consacré tout un ouvrage (« De la liberté »1990). Je l’ai abondamment cité dans ma précédente publication  de janvier 2015 « Être libre du sectarisme ».

La liberté minimum incontournable est la liberté de penser. Mill est très clair à ce sujet :

« Si tous les hommes moins un partageaient la même opinion, ils n’en auraient pas pour autant le droit d’imposer silence à cette personne, pas plus que celle-ci, d’imposer silence aux hommes si elle en avait le pouvoir » (Stuart Mill, 1990, p.85).

La liberté d’être, de penser, et même de dire (néanmoins dans le cadre du respect d’autrui) doit être inaliénable, dans la mesure où empêcher cela revient à « amputer l’humanité tout entière » :

« […] ce qu’il y a de particulièrement néfaste à imposer le silence à l’expression d’une opinion, c’est que cela revient à voler l’humanité : tant la postérité que la génération présente, les détracteurs de cette opinion davantage encore que ses détenteurs […] Si l’opinion est juste, on les prive de l’occasion d’échanger l’erreur pour la vérité ; si elle est fausse, ils perdent aussi un bénéfice presque aussi considérable : une perception  plus vive de la vérité que produit la confrontation avec l’erreur » (ibid).

Cependant, la liberté comporte une ambiguïté. Au-delà de la notion évidente qu’elle se limite naturellement (dans sa dimension sociale) là où elle porte tort à autrui, remarquons qu’être totalement libre et sans aucune limite n’est pas forcément source de bonheur. L’absence totale de limites, l’illimité, peut donner un vertige. Est-ce parce que cela altère notre besoin de compétence, en ce sens qu’être mis en difficulté nous rend astucieux ? Est-ce parce qu’on a besoin de confronter sa propre vérité à autrui pour la conforter ou l’ajuster, voire la remettre en cause ? Est-ce tout simplement parce que la solitude est encore plus impensable que le manque de liberté ?

Tout se passe comme si une liberté absolue nous privait un peu de « contenant ». Temple Grandin, femme autiste qui obtint un doctorat en biologie et accomplit de grandes choses pour le respect des animaux dans les élevages et les abattoirs, nous parle de cette ambivalence de la liberté absolue. Ne supportant pas les contacts physiques avec autrui, elle avait néanmoins inventé ce qu’elle appelait « une machine à serrer » pour s’apaiser grâce à une « contenance suffisante » :

 « Un but que je voudrais éclaircir : la but de la machine à serrer n’est pas de provoquer la soumission à une quelconque doctrine admise par la société, mais de permettre à la personne de se trouver et de s’accepter telle qu’elle est – peut-être de lui permettre de se rapprocher de Dieu et de penser à autre chose que son propre intérêt ». (Grandin 2001, p.152)

Cette ambivalence liberté/limites est évoquée dès le début de son ouvrage

« Notre corps crie son envie de contact humain, mais au moment où il se produit, nous reculons de douleurs et de confusion » (Grandin 2001, p.56)

Donna Williams, femme également autiste, nous éclaire tout autant à ce sujet :

« Tiraillée entre le désir de rejoindre le monde et la nécessité de me réfugier dans le  mien pour sauvegarder le sentiment de ma propre existence ». (Williams, p.54)

Il est touchant de voir comment ces personnes, dites autistes, nous révèlent clairement un  aspect de nous-mêmes si ambigu et si prégnant : nous souhaitons la liberté mais n’en voulons pas trop, tout en ne supportant pas de ne pas en avoir. Notre bonheur, de ce fait, tient en une alchimie subtile, un équilibre délicat entre liberté et contraintes… qu’il est bien difficile de normer.

Peut-être s’agit-il aussi d’esthésique, d’harmonie : la photo ou la peinture d’un paysage grandiose est bien plus belle avec un premier plan venant délimiter l’espace pour mieux percevoir la dimension du tout !

4.3 Utile à qui ou à quoi ?

La notion d’utilité se rapproche de celle de motivation. Ce qui est utile nous aide à trouver un sens à notre vie et satisfait l’eudémonisme (besoin de sens) contribuant ainsi à notre bonheur. Que ce soit utile à la réalisation d’un projet, utile à une personne ou à la collectivité, ou bien à soi-même… cette utilité contribue au sens.

Mais cette notion d’utilité ne recouvre pas forcément des choses matérielles : le seul fait d’une attitude, posture, disposition d’esprit, peut contribuer au bonheur d’une ou plusieurs personnes sans nuire à d’autres et la place dans le champ de l’utilitarisme (par exemple dire bonjour ou sourire à quelqu’un).

Nous ne manquerons pas de remarquer que le mot « utile » est bien trivial pour parler d’humanité et d’existentiel. Peut-être est-il mal choisi par nos amis philosophes ? Nous pouvons cependant y voir une tentative de rendre accessible à l’intellect des notions impalpables d’humanité, de savoir être, de savoir vivre ensemble.

Si ce terme peut choquer les Êtres sensibles, déjà clairement en quête d’humanité, il est cependant nécessaire pour offrir aussi cette opportunité de délicatesse à ceux qui, pragmatiques, réclament des arguments objectivables. On ne peut dire de John Stuart Mill qu’il est trop matérialiste avec ce terme puisqu’il étand sa réflexion sur la liberté et le respect« à tous les hommes ; et point seulement à eux, mais autant que la nature des choses le comporte, à tous les êtres sentants de la création ».

L’utilitarisme concerne la paix des hommes vivant ensemble, la paix de chacun autant que la paix de tous, et même celle de tous les Êtres sentants qui peuplent le monde.

Je rappellerai ici combien il prend soin de différencier « l’utile » dans cette dimension étendue et humaniste, par rapport à « l’expédient » qui ne produit qu’une satisfaction éphémère, égoïste, illusoire (souvent usurpée)… donc n’entrant pas dans le champ de « l’utile »

4.4 Le plaisir, la réalité et le bonheur

Les principes de plaisir et de réalité ont mobilisé la réflexion de Sigmund Freud dans sa recherche des fondements psychanalytiques. D’un côté la quête de plaisir est l’élan portant à satisfaire un besoin, de l’autre la réalité nécessite de tenir compte de son environnement pour y parvenir. Les frustrations résultent des conflits entre cet élan interne et ces limitations externes.

Cependant, Freud n’a pas décliné la notion de besoin de façon aussi précise  que Maslow, ni que la psychologie positive. Avant tout axé sur le besoin libidinal, il n’a pas non plus étendu le principe de réalité à la notion de société. Il n’est pas allé vers le sens du bonheur d’autrui, de prise en compte du monde tel que nous le propose Mill de façon humaniste et existentielle.

Carl Gustav Jung (« Ma vie », 1973) est allé plus loin que Freud en ajoutant aux instances du ça, du moi et du surmoi, la magnifique dimension du Soi. Celle-ci étend implicitement la notion de bonheur à celle d’individuation, qui ne se peut sans cette sensibilité au monde et à autrui. Un déploiement de l’Être tel que Leibnitz nous le propose déjà au XVIIe dans sa monadologie (1996).

De ce fait la notion de plaisir, revisitée et ajustée, ne se peut pleinement qu’avec le monde, mais sans jamais oublier qui l’on est : tout est en soi à déployer, et tout est dans le monde à rencontrer et à reconnaître… le monde participe à Soi et Soi participe au monde. Alors, la réalité, dénoncée par Freud comme s’opposant au plaisir immédiat,  devient une zone de rencontre plus qu’une limite, de rencontre d’autrui autant que de soi-même, de plaisir bien plus vaste.

Trois niveaux de « plaisir » :

La notion de plaisir peut être envisagée à trois niveaux : celui du corps (satisfactions physiologiques), celui du moi (satisfactions psychosociales), celui du Soi (satisfactions ontiques). Il semble que la frustration ontique soit la plus pernicieuse pour l’être humain lorsqu’elle se prolonge.  Les plaisirs physiologiques et psychosociaux, quand ils tentent d’aller au-delà de la nécessité, ne font généralement que masquer un manque au niveau ontique : ils tentent seulement d’assurer leur compensation par une satisfaction continuelle et insatiable (corporelle ou égotique). Il peut même en résulter des addictions, sujet que nous aborderons un peu plus loin avec des études scientifiques qui semblent confirmer cet aspect.

4.5 Signature d’humanité

Quand john Stuart Mill nous parle de cette liberté si nécessaire au bonheur, il ne manque pas de prendre beaucoup de précautions pour évoquer le respect d’autrui :  l’utilitarisme définit ce qui permet le bonheur de chacun et du plus grand nombre. Il aurait aimé les notions de systémie et de synergie forte étudiées par Ruth Benedict : là où le bonheur de l’un contribue au bonheur de l’autre et réciproquement.

Ce qui caractérise l’humain c’est que sa zone de plaisir est majoritairement ontique. Même s’il dispose de moyens de compensations dans les zones physiques (les sens) et psychosociales (les performances), il reste insatiable tant que l’humanité de sa nature n’a pu s’exprimer (l’existentiel, l’ontique). Bien des troubles psychologiques ou psychosociaux seraient épargnés, ainsi que la violence, les addictions ou la délinquance, si l’on savait proposer un environnement qui en favorise la satisfaction.

Que cette satisfaction ontique soit abordée de façon spirituelle ou matérialiste, ce qui compte, c’est la dimension subtile qu’on y met. Le matérialiste ne considérera pas d’« arrière monde » derrière les apparences, mais peut, tout en se respectant, être sensible à cette dimension subtile qui se trouve en chaque humain concerné par tous les autres. Chacun peut mettre ici sa créativité au service de ce qu’il a de plus sacré, quelle que soit sa façon de l’envisager.

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5   Le sacré et l’humain

Il est fréquent d’associer le sacré au religieux. C’est une possibilité, mais pas la seule pour ce mot. Se voulant opposé à l’utilitaire, le sacré échappe à l’objectivation. Loin du monde des « objets » ou des « choses » il désigne ce qui nous transcende (ce qui semble se tenir dans un « ailleurs »). Il donne sens à notre vie, mais pas forcément avec religiosité. Par exemple les hédonistes (Démocrite, Épicure), matérialistes par définition, pensaient le spirituel comme étant simplement une version plus subtile de l’atome. Ils n’appuyaient leur pensée sur aucun « arrière monde » et privilégiaient « l’immanence » (tout est là) sans pour autant abandonner l’idée de subtilité, donnant une autre version possible de la transcendance.

Le mot « profane » serait, lui, le « vrai » contraire de « sacré », mais il a aussi différents sens : il peut simplement désigner celui qui ne sait pas (un étudiant qui aborde une nouvelle matière est profane en celle-ci).

Le verbe « profaner » par contre signifie « anéantir une dimension subtile pour la rendre ordinaire », ou pire encore la rendre minable (ce qui est bien sûr profondément irrespectueux, indépendamment du fait que le sacré soit vrai ou faux). On a pour habitude de dire de la vie qu’elle est sacrée à son début et à sa fin : que le ventre de la femme qui porte un enfant vers le monde est un lieu sacré, que la sépulture qui clôture la vie l’est aussi…etc.  …mais saurons-nous voir aussi le sacré entre ces deux limites ?

En dépit de toutes ces définitions, accepter d’être profane, c’est accepter la candeur, oser un esprit de découverte, disposer d’une ouverture d’esprit toujours en éveil, ne pas se considérer comme disposant d’une vérité absolue… j’ajouterai qu’une telle posture ne consiste en aucun cas à profaner, mais au contraire porte à respecter ce qui est nouveau, inattendu, à découvrir. Nous retrouvons alors ici les notions de liberté et de respect abondamment développées par Mill.

5.1 Fondements et paradigmes

Pareil au sacrum qui soutient notre colonne vertébrale, le sacré  semble soutenir la structure de l’humanité qui est en nous. Que ce sacré soit spirituel ou matérialiste importe peu, qu’il soit religieux ou laïc non plus (sachant que « laïc » ne signifie pas contre la religion mais les permettant toutes y compris leur absence). Dans tous les cas, le sacré est ontique. Il constitue ce dont nous sommes censés prendre soin autant chez nous-mêmes que chez autrui. La carence concernant les besoins ontiques est, selon Maslow, une des raisons de la psychopathologie ou des désordres sociaux, voire des guerres. Nous verrons avec Bruce K. Alexander combien ces considérations prennent sens dans le domaine des addictions.

5.2 Croyance et sensibilité

Croire, c’est utiliser ce à quoi on  croit pour interpréter sa perception. Certaines croyances sont religieuses, d’autres sont scientifiques, d’autres sont matérialistes… et puis il y a même ceux qui ne croient en rien… croire en « rien » étant aussi une croyance, car « rien » n’est pas plus prouvé que « quelque chose » !

Croire c’est se couper de sa sensibilité. Même en matière de religions, il y a des Êtres qui croient (juste protocolaires) et d’autres qui ressentent (subtilement ouverts). Comme m’avait dit une fois une religieuse : « Dieu je n’y crois pas… je le sens ». Mais celui qui sent qu’il n’y a rien, doit tout autant être respecté. Ce qui importe n’est pas la croyance (en quelque chose ou en rien) mais la sensibilité préservant une nécessaire ouverture d’esprit.

5.3 Le spirituel et le religieux

Le spirituel touche au domaine ontique alors que le religieux peut parfois se contenter du psychosocial hiérarchisé et ritualisé. Si le spirituel et le religieux vont habituellement de pair, ce n’est pas toujours le cas. Outre le fait que ce qu’il y a de plus précieux peut se retrouver diminué en « idôlâtrisations » désuètes, les textes traditionnels délicats ont été détournés à maintes reprises au cours de l’histoire. C’est ainsi que les trois monothéismes (pour ne parler que d’eux) ont parlé d’amour, de respect et d’humanité…

Le judaïsme a dit « Tu ne te vengeras pas et tu ne garderas pas de rancune envers les enfants de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis Yahvé. » (Lévitique 19,18)*

*La Bible de Jérusalem  –Les  Édition du Cerf 1973

Le christianisme a dit « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres ; comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. »(Jean 13,34).

*La Bible de Jérusalem  –Les  Édition du Cerf 1973

L’islam a dit : « Repousse (le mal) par ce qui est meilleur » (23, 96 et 41, 34) « et voilà que celui avec qui tu avais une animosité devient tel un ami chaleureux » (41, 34)*

*Le  Noble Coran – Complexe Roi Fahd - an 1421 de l’Hégire

… plusieurs fois ces textes fondateurs furent récupérés par des gens de pouvoir qui les détournèrent vers des moyens de pression… et même d’oppression, allant jusqu’à la terreur. Sous prétexte de défendre leur Dieu et ses valeurs, la générosité s’est trop souvent envolée… même quand l’on trouve dans l’un de ces textes « Et quiconque lutte, ne lutte que pour lui-même, car Allah peut se passer de tout l’univers » (le Coran 29, 6). Il est vrai que les textes de chacun de ces trois monothéismes comportent aussi des parties bien moins délicates envers ceux qui ne font pas partie de la communauté où qui ne sont pas dans la règle ! Certains passages envers les non croyants ne sont pas très généreux (c’est un euphémisme !), que ce soit dans la Bible, le Talmud, l’Évangile ou le Coran. Les mécréants (les incroyants) y sont menacés, soit par les adeptes eux-mêmes, soit par le feu des enfers… certaines violences pouvant même être perpétrées, justifiées par  l’aberrante « générosité » de vouloir « sauver leurs âmes malgré eux ». Les différentes époques de l’histoire ont vu surgir ces exactions chez des êtres en quête de pouvoir (pour les moins délicats) ou en quête de sens (pour les plus authentiques), prêts à tous les excès pour satisfaire leur soif. Ainsi, les êtres indélicats ne manquent pas de s’emparer au premier degré des passages ambigus et de négliger tous les autres.

Nous savons hélas que ce fut le cas aussi de textes de philosophes comme René Descartes utilisé pour justifier une fermeture d’esprit,  et même de scientifiques comme Charles Darwin pour justifier la violence ou l’eugénisme. Ces deux hommes étaient sensibles et humanistes, défendant l’ouverture d’esprit et le respect d’autrui autant que de soi-même (je les ai souvent cités dans mes publications).

Détourner le sacré en actes de profit, de haine ou de barbarie est pour le moins éloigné de toute humanité. Le religieux peut être un allié du sacré, mais entre des mains en quête de puissance, devenir dévastateur jusqu’à tuer même la spiritualité.

5.4 Simplement le plus humain en l’humain

Le sacré n’est pas le religieux (même si ce dernier peut en être la représentation), mais simplement le plus humain en l’humain. Il est censé réunir les hommes au-delà de leurs croyances et peut même être totalement laïc : par exemple, la déclaration des droits de l’homme est un tel propos sacré qui réunit le plus grand nombre (entre les extrémités de la vie que représentent le ventre maternel et de la sépulture).

Le plus humain dans l’humain est la dimension ontique avec ses besoins d’amour, de reconnaissance, de beauté, de justice, de justesse, d’équité, d’harmonie… etc. même s’il peut prendre plusieurs moyens d’expression. Quelle que soit la forme que prend cette dimension ontique elle est respectable et sacrée puisque fondatrice de ce qui nous distingue de l’animal, nous place hors de l’esprit de meute ou de leader : en généreuse coopération elle nous réunit en humanité.

Puis, lorsque la fin de sa vie se présente, quand l’humain frôle ce qui lui semble le mieux représenter sa propre transcendance, quand il fait l’expérience de la mort imminente (NDE ou EMI) mais ne meurt pas du fait de réanimations… bien que ce soit indicible, il tente de rapporter ce qu’il vient d’expériencer : un vécu hors du commun, hors du sensoriel, de l’informationnel ou de l’intellectuel, une expérience de connaissance qui ne se transpose pas en savoir. Dix pour cent des gens réanimés ont eu un tel vécu et tentent d’en rendre compte. Ils se révèlent aujourd’hui si nombreux qu’ils sont maintenant écoutés (il y a 50 ans ils étaient seulement neuroleptisés). Jill Bolte Tailor, neuro anatomiste, nous donne sa propre expérience (« Voyage au-delà de mon cerveau » -2008), le Docteur Jean Pierre Jourdan (« Dead Line, dernière limite – 2006) nous rapporte celle de nombreux patients, poursuivant le travail du Docteur Raymond Moody… mais aussi celui du philosophe Plotin (205-270 après JC) ayant déjà évoqué le sujet à travers sa propre expérience.

Le nombre de ces témoignages, recueillis sans a priori, reflètent un aspect de l’humain qu’on ne peut négliger. Cet aspect de l’humain ne semble dépendre d’aucune croyance ou incroyance, d’aucune adhésion à quoi que ce soit. C’est sans doute ce qu’il y a de plus sacré en l’humain témoignant le plus souvent d’éléments indépendants des cultures, reflétant une racine commune qui invite au respect de chacun et de tous. Cela semble confirmer les travaux de Maslow, la posture recommandée par Mill, les propos de Plotin… et tous ceux oeuvrant vers un plus d’humanité de différentes manières.

Quelle que soit l’interprétation que l’on donne à ces témoignages et quelle que soit l’objectivation que l’on tente d’en faire (à supposer que cela puisse être objectivé), ils sont de toute façon phénoménologiquement* là et reflètent une expérience commune à des être humains de multiples cultures, croyances ou incroyances, de différentes ethnies, des hommes, des femmes des enfants… et invitent à la paix et au respect des Êtres et de la vie, les considérant comme sacrés.

*La phénoménologie est une branche de la psychologie qui étudie ce qui se manifeste. Le mot « phénomène » vient du grec « phenomena » (constellation visible, phénomène céleste, ce qui apparaît)

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6   Recherches innovantes sur l’addiction

Tous ces propos sur l’humain, l’amour, le bonheur, l’existentiel, l’ontique,  le sacré, nous conduisent tout naturellement vers la problématique des addictions. Celles-ci viennent compenser des manques grâce à des accoutumances qui ont fait couler beaucoup d’encre. Naturellement compenser ne veut en aucun cas dire combler… mais au juste, combler quoi ?

Nous courons après les plaisirs, qui ressemblent plus aux expédients dénoncés par Mill qu’à la satisfaction des besoins ontiques sur lesquels insiste Maslow. La psychologie du plaisir et de la réalité (Freud) semble à peine avoir dépassé celle de l’expédient (satisfaction facile, sans conscience) et celle de la réalité qui ne se laisse pas faire (la résistance des cibles que visent notre énergie ou notre libido).

Les études concernant les addictions sont bien plus complexes et la notion de plaisir y mérite des précisions nouvelles.

6.1 Les addictions

Des molécules

L’alcool, les drogues ou le tabac mettent le corps en contact avec des molécules chimiques. Celles-ci donnent au cerveau une modification de la perception qui peut être vécue comme agréable. Quand c’est le cas, l’individu aura tendance à vouloir la renouveler. Si sa vie habituelle comporte du stress il sera porté à abuser de ces molécules jusqu’à un point où son corps finit par les réclamer et le pousse à les prendre, non plus pour éviter ce stress, mais pour ne pas souffrir du manque de cette molécule. Nous avons là l’addiction chimique. Dans ce cadre, la molécule est généralement considérée comme source de l’accoutumance et génératrice de l’addiction.

Des comportements

Le jeu est un bon exemple d’addiction comportementale, les achats compulsifs aussi, le besoin de se mettre en danger également. Mais nous trouverons aussi le travail, le rangement, les troubles obsessionnels compulsifs, etc. Dans ces cas, il est impossible pour le sujet de « ne pas faire », la pulsion est plus forte que sa volonté. Même si chacune de ces activités peut conduire à une modification de la chimie du cerveau (auto production d’adrénaline ou d’endorphine par exemple), aucune molécule chimique externe n’est introduite dans l’organisme… il y a pourtant accoutumance.

Même la répétition d’un simple geste peut être source d’apaisement et devenir une habitude, comme nous l’explique Donna Williams, gérant ainsi les inquiétudes que l’environnement inflige à son autisme :

« À la longue, je finis par me fondre dans tout ce qui me fascinait, les motifs du papier peint ou du tapis, un bruit quelconque ou, mieux encore, le bruit sourd et répétitif que j’obtenais en me tapotant le menton. Dès lors les gens cessèrent d’être un problème : leurs paroles s’évanouirent dans un marmonnement indistinct et leur voix se réduisait à un catalogue de bruits. Je pouvais regarder au travers d’eux jusqu’à n’être plus là et même plus tard, avoir le sentiment de m’être fondue dans leur être ». (Williams, p.20)

De nombreux moyens sont ainsi utilisés pour tendre à apaiser ses tensions

« -Comportements stéréotypés : donner un sentiment de continuité ».
(Williams, 1992, p.302).

Nous avons naturellement tendance à utiliser ce qui nous apaise d’une façon ou d’une autre. Cela nous concerne tous et pas seulement les sujets souffrant d’autisme mais chacun d’entre nous. Il peut rapidement en résulter un schéma comportemental, proche d’une attitude addictive dépassant le cadre de la nécessité présente (réelle ou supposée).

Vulnérabilité et autoproduction

Les raisons de cette sensibilité à l’addiction peuvent donc être d’ordre chimique ou psychologique, voire des deux. Quand il y a incorporation de molécule, il est habituel de considérer la molécule comme responsable. Dans les autres cas le mystère reste entier, même si l’on connaît l’autoproduction du corps.

Certains organismes seraient plus vulnérables que d’autres à cette influence chimique. Les capacités de l’organisme sont cependant étonnantes au point que pendant la seconde guerre mondiale le docteur Henry Beecher, manquant de morphine pour les blessés, découvrit qu’une injection de sérum les calmait pareillement s’ils croyaient recevoir de la morphine. Ce fut la découverte de l’effet placebo : ce que l’on croit influence ce qu’on ressent, et même ce qui se passe dans notre corps !

Finalement le fonctionnement du corps et de la psyché reste insuffisamment connu et la recherche a beaucoup à faire. C’est ce que ne manqua pas de mettre en oeuvre Bruce K. Alexander.

6.2 Bruce K. Alexander

Bruce K. Alexander, psychologue canadien et professeur émérite, a mené ses recherches à l’université Simon Fraser (depuis 1970). Il a conduit avec son équipe une série d’expériences appelée « Rat Park », publiées dans des revues de pharmacologie (The myth of Drug addiction* – juin 2001)

*Texte accessible en lien et en français dans la bibliographie

Il s’est trouvé devant des faits expérimentaux remettant en cause les affirmations habituelles concernant l’addiction. Il invite alors à une réflexion nouvelle fort intéressante, en ce sens où la dépendance viendrait plus de l’environnement social que de la molécule. De ce fait, sans aucune idée de laxisme, il interroge concernant le choix d’une lutte contre la drogue utilisant la violence, qui par certains aspects se peut contreproductive.

Naturellement, la situation est loin d’être simple. Les remèdes ne se peuvent que subtiles, et les conclusions hâtives doivent éveiller notre prudence. Mais les découvertes d’Alexander méritent d’être mentionnées dans notre réflexion sur le bonheur, sur la place de l’ontique caractérisant notre humanité et ses principales frustrations, ainsi que sur les tentatives de compensations pour y remédier.

6.3 Le « Rat Park » et l’homme

Premières expériences en cage

Des expériences antérieures à l’Université du Michigan (années 60) ont équipé le rat d’un ingénieux système lui permettant de s’auto injecter des drogues (p.11).  L’expérience montre qu’un rat en cage s’injecte systématiquement la drogue. Puis vers la fin des années 70, l’expérience donna les mêmes résultats avec des singes ou autres mammifères captifs, s’injectant ainsi héroïne, cocaïne, amphétamine et autres substances de ce type… tombant dans l’accoutumance, l’assuétude, la dépendance !

Premier fait venant nous alerter par rapport à cette expérience : chez les humains, les patients douloureux disposant d’une pompe à morphine leur permettant une auto injection, s’en injectent moins que ce que le traitement l’aurait prévu s’il avait été décidé par le médecin.

Nouvelles expériences en « Rat Park »

Les chercheurs de l’Université Simon Fraser remarquant que le rat qui s’injecte la morphine est un rat en cage et un rat seul, ils imaginèrent un autre protocole : placer le rat dans un lieu plus vaste (200 fois), paysagé (adapté au goût d’un rat en liberté), avec autour de lui une quinzaine de congénères (vie sociale). Le fait expérimental montre que dans ce cas, le rat dédaigne majoritairement et significativement la solution de chlorydrate de morphine, même si on la sucre pour en améliorer la saveur (p.11-13).

De ce fait l’assuétude à la drogue semble plus produite par l’environnement (manque d’espace ou de lieu paysagé) et le « climat social » (seul, sans congénères),  que par la molécule. La frustration semble plus être à l’origine du besoin que la molécule elle-même : dans l’expérience, des rats placés en cage ont commencé à consommer de l’héroïne, puis une fois placés dans de « Rat Park », ils n’en prennent plus (p.12).

Quel serait le « Human Park » ?

Si les rats deviennent consommateurs de drogue et addicts quand ils sont privés de liberté, d’un bon environnement et de congénères, qu’en est-il de l’homme ?

Les grecs de l’antiquité avaient remarqué qu’un environnement esthétique était favorable pour apaiser les maladies mentales. Ils avaient déjà implicitement saisi l’importance de la satisfaction des besoins ontiques pour guérir « l’âme ».

La psychologie a beaucoup étudié la notion de frustration et celle de compensation, ainsi que le rôle de la vie sociale, mais sans doute sans se soucier suffisamment de la dimension ontique.

Même quand l’hédonisme est identifié par la psychologie positive comme un des éléments du bonheur, il y s’agit seulement de savoir « prendre du plaisir »… alors que les préceptes de Démocrite et Épicure étaient plutôt de « savoir recevoir le plaisir offert par la vie » même dans les choses les plus infimes : se contentant de peu et être capable d’en extraire la quintessence. Cela est par contre approché dans le mindfullness (pleine conscience) utilisé en psychologie positive.

Si l’on devait créer un « Human Park » pour affranchir les Êtres de leur besoin de drogue il s’agirait avant tout d’y tenir compte de leurs besoins ontiques et de repenser les modalités des cures de sevrage des personnes addict.

Surtout ne pas tomber dans la caricature d’une sorte de monde à la « Truman show » (film américain de Peter Weir, sorti en 1998 avec Jim Carrey) où un « monde parfait » artificiel, reproduit dans une émission de télévision à l’échelle d’une vie, permet de suivre l’évolution d’un individu qui y vit croyant que c’est le monde réel… mais il finit par s’en enfuir ! Il s’agit plutôt de proposer de la profondeur, de l’authenticité, de l’harmonie, de la considération,  plus que des mécanismes superficiels bien huilés qui n’en seraient que la caricature.

Le manque de cette profondeur de la vie frustre la quête de sens (eudémonisme) et conduit à rejoindre des agglomérats de personnes sectaires qui proposent du sens… ou plutôt un rêve de sens… une forme de « drogue » pour supporter le vide existentiel que certains éprouvent, même quand ils ont matériellement tout ! Alexander l’a remarqué :

« […] des gens désespérément aliénés et isolés pourraient choisir d’embrasser la sous-culture des toxicomanes parce qu’elle crée pour eux une société de remplacement dont ils ont un besoin désespéré […] » (p.10).

La problématique serait plus sociale que moléculaire et toucherait des zones rarement abordées, car le « Rat Park » de l’homme est avant tout ontique et non un lieu enluminé d’expédient. Si l’on n’en tient pas compte, cela pourrait donner raison à la prédiction de l’OMS :

« L’OMS prédit qu’en 2020 la dépression sera la seconde cause de mortalité dans le monde et qu’elle affectera 30% des adultes » (Lyubomirsky, 2007, p.46)

6.4 Abraham Maslow précurseur méconnu

Pourquoi a-t-on attribué à Maslow cette ridicule pyramide qui n’a jamais fait partie son propos ? Pourquoi a-t-on négligé ses pertinentes remarques sur l’humain en train de devenir le plus humain possible ? Abraham Maslow nous apporte un début de réponse sur la raison de cette invisibilité de ce qui est le plus élevé :

« Plus le besoin est élevé, moins il est indispensable à la survie seule, plus sa satisfaction peut être différée dans le temps […] La frustration des besoins supérieurs ne provoque pas de réactions de défense et d’urgence aussi désespérées que la frustration des besoins inférieurs » (Maslow, 2008, p.114).

En dépit de cette discrétion, les besoins fondamentaux sont bien les besoins ontiques :

 « A l’instar de l’arbre qui a besoin de rayons du soleil, d’eau et de nourriture, la plupart des gens ont besoin d’amour, de sécurité et de la satisfaction d’autres besoins élémentaires que seul l’extérieur peut leur fournir » (ibid, p.219).

 « La privation des besoins fondamentaux est susceptible, on le sait, de créer des maladies à ranger dans la catégorie des maladies " carentielles" » (Maslow 2006, p.43).

 L’humain, dans ce qu’il de plus humain, tend à l’authenticité et à l’accomplissement ontique :

« J’ai découvert que le besoin d’accomplissement est beaucoup plus fort que je ne l’imaginais. » (2006, p257) « Cette tendance peut être formulée comme le désir de devenir de plus en plus ce que l’on est, de devenir tout ce qu’on est capable d’être. » (2008,  p.66).

La difficulté pour l’homme étant de préserver cette source précieuse d’humanité qui, quoique fondatrice, le caractérisant, et étant si naturelle, est vulnérable aux pressions extérieures :

« Nous en arrivons à ce paradoxe que nos instincts humains, du moins ce qu’il en reste, sont si faibles qu’ils doivent être protégés contre la culture, contre l’éducation, contre l’apprentissage – en un mot contre le risque d’être étouffés par l’environnement. » (2008, p119)

Afin de protéger ce qu’il y a de plus humain en nous, John Stuart Mill nous a proposé quelques possibilités concernant la liberté et l’utilitarisme, sachant que ce qui est « utile » est ce qui permet un juste déploiement de cette humanité en chacun de nous. Bien que celle-ci soit un fondement essentiel, sa discrétion s’accompagne pourtant de craintes la rendant encore plus invisible, car elle a souvent plus été associée à une faiblesse qu’à une force :

« Il s’agit d’une chose que non seulement nous ne connaissons pas, mais que nous avons peur de connaître » (2006. 104)

La frustration ontique semble être la source de bien des errances psychiques. Les remèdes à la délinquance, aux psychopathologies ou aux attitudes addictives ne peuvent l’ignorer. Bruce K. Alexandre, par ses recherches sur l’addiction à la drogue vient expérimentalement nous rapprocher de cette hypothèse et démontre une fois de plus que d’anciennes recherches érigées en « dogme » risquent de nier une évidence. Comment a-t-on pu « scientifiquement » déduire des comportements d’un rat privé de liberté et de vie sociale, une certitude concernant l’influence des molécules de drogues et l’étendre à l’homme alors qu’elle n’est même pas vraie pour les rats ?!

L’avantage consiste à gagner en modestie, en ouverture d’esprit, en curiosité. Le vrai chercheur ajoute la rigueur expérimentale à la candeur ! S’il manque de candeur il ne fait que déplacer ses croyances et, privé de curiosité, tourne en rond dans des paradigmes entendus qui l’enferment dans une triste cage intellectuelle (René Descartes avait abondamment dénoncé cela). Merci à tous ceux qui sont de vrais chercheurs et qui, riches des compétences réellement scientifiques, conduisent de saines recherches.

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7   La psychologie de la pertinence

Est-il possible de faire seulement trois catégories de psychothérapies ? Nous savons bien sûr que toute catégorisation est arbitraire. Elle n’est qu’une commodité temporaire pour approcher la compréhension d’un phénomène. Les trois catégories décrites ci-dessous permettent de mieux approcher comment s’articule notre compréhension du monde psychique de l’être humain.

Nous aborderons ce qu’on peut appeler la psychologie classique, la psychologie positive et la psychologie de la pertinence.

7.1 Psychologie classique (celle de l’élimination des troubles)

La psychologie classique est une psychologie de la pathologie, elle tente d’en comprendre les causes afin d’y remédier et de rendre la santé mentale à celui qu’il l’a perdue.

Les psychologues en psychologie positive nomment cette approche de la psychologie de la pathologie « psychologie négative ». Ils le font sans dénigrement, juste pour rendre compte que l’une s’occupe de la maladie mentale et l’autre de la santé mentale. L’OMS nous a bien mis en garde sur le fait que la santé n’est pas seulement l’absence de maladie et donc que, seulement guérir une maladie, ne revient pas forcément à rendre la santé. Quand la santé est seulement envisagée sous l’angle d’une absence de maladie, la définition est incomplète, car une fois qu’il  n’y a plus de maladie, il reste encore à accéder à la santé.

Faire disparaître un symptôme permet le confort mais pas la guérison. Faire disparaître la maladie non plus. Pour faire simple, disons par exemple qu’un fébrifuge fait tomber la fièvre (symptôme) mais laisse l’infection intacte… voire l’aggrave, et qu’un antibiotique permet utilement de combattre l’infection, mais ne rend pas les défenses immunitaires au malade. La disparition de l’infection (guérison de la maladie) est un aspect, le recouvrement de ses défenses immunitaires (santé) en est un autre. Les deux aspects sont complémentaires et ne sont pas en concurrence, si ce n’est que l’un peut altérer l’autre (effets secondaires) et que le juste choix se fait en mesurant où est le plus grand bénéfice (une forme d’utilitarisme !).

Les outils de guérisons sont très précieux, ceux qui permettent d’accéder à la santé aussi.

7.2 Psychologie positive (celle de l’apprentissage de vie)

Née dans les années 70, développée dans les années 90, elle tient aujourd’hui une place significative dans la recherche universitaire et représente une branche de la psychologie qui a le plus travaillé à l’objectivation des états psychiques et des résultats.

Avant tout empirique, elle a mis en œuvre de multiples expériences et analyses afin de déterminer que la santé est en relation avec le bien-être ou le bonheur, et que ce dernier est relié à la satisfaction de besoins précis, sans laquelle on ne peut parler de santé mentale.  L’influence psychosomatique de ce bonheur sur la santé a été empiriquement démontrée.

Elle met en œuvre différents systèmes thérapeutiques, qui vont de la pleine conscience (mindfulness) à des approches comportementales ou cognitives, amenant les individus à se sentir exister dans des situations réelles. Elle l’immerge dans des situations sociales concrètes, accompagné d’un appui encourageant du praticien qui lui permet d’oser ce qu’habituellement il n’oserait pas. Elle n’investit pas l’histoire du sujet ni ses traumas, elle ne projette pas de guérir (chasser la maladie comme un hôte indésirable)… elle va plutôt déployer les potentialités que le sujet possède déjà sans les soupçonner.

J’ai consacré une publication à cette approche : « psychologie positive » (avril 2012)

7.3 Psychologie de la justesse (celle de la pertinence et de la reconnaissance)

La psychologie négative combat la maladie et la psychologie  positive permet la santé. Nous pouvons imaginer une troisième possibilité qui gère ces deux pôles en même temps : une psychothérapie qui consiste simplement à accompagner ce qui se passe de juste chez le patient (la santé qui s’y manifeste déjà) : une psychologie de la pertinence (ce qui se passe de juste chez le patient est un guide) et de la reconnaissance (validation de ce qui attend une reconnaissance en lui).

En ce sens elle pourrait satisfaire à ce que souhaite Tobie Nathan (ethnopsychologue) :

 « Nous voulons une psychothérapie qui pense les malades aussi savants que leurs thérapeutes » (2012, p.34)

Et ce que souhaitait Abraham Maslow :

« Nous espérons, bien sûr, que le conseiller sera celui qui pourra favoriser l’accomplissement des individus plutôt que celui qui aidera à guérir une maladie » (2006, p.72, 73)

Il précisait même cette intrication pertinente où les processus qui s’accomplissent en lui sont en lien avec l’environnement, sont davantage des choses à reconnaître que des choses à combattre :

« Non seulement l’homme est une PARTIE de la nature, et la nature est une part de lui, mais il doit aussi être isomorphe (semblable à elle) afin d’être viable en elle. » (Maslow - 2006, p.367)

Tobie Nathan a bien identifié un paradigme majeur de la psychologie classique, qui finalement perpétue une sorte de tradition de combat contre le mal (Tobie Nathan reste cependant lui-même proche de ce paradigme du « trouble à solutionner », même s’il s’ouvre volontiers aux multiples outils proposés dans différentes cultures) :

« Freud est même très explicite sur ce point : il avoue avoir métamorphosé les démons en pulsions » (Tobie Nathan, 1998, p.43).

« La théorie de la démonologie attribue la maladie à l’action de démons, la théorie moderne à des lésions ; quant à la théorie psychanalytique, elle fait intervenir des désirs mauvais réprouvés, découlant d’impulsions repoussées, refoulées » (Tobie Nathan,1986, p.14).

Nathan met en évidence, de façon inattendue, une sorte de  « communauté des combattants du mal » (combattant du trouble – le « desorder » du DSM), sans pour autant clairement nous proposer une alternative :

Malgré les apparences psychotropes et psychothérapies sont de faux ennemis, dont le simulacre de conflit, plus que centenaire, n’a pour conséquence que de voiler l’identité des élaborations théoriques qui président à la fabrication des uns comme de l’autre : les postulats de la psychologie académique […]  En effet, dans l’une comme dans l’autre technique, il s’agit de prendre en charge un désordre imaginé comme une maladie, à l’image de la médecine, qui a imposé de considérer la maladie comme un hôte indésirable du sujet. » (1998, p.71).

La psychiatrie, la psychanalyse et la psychologie classique entrent bien dans ce champ où l’on tente de venir à bout du « desorder », que ce soit chimiquement ou psychothérapeutiquement. La psychologie positive s’en distingue, car une fois la pathologie résolue, elle tente de promouvoir la santé essentiellement par différentes approches jouant sur le comportemental ou le cognitif. La complémentarité des deux approches est évidente et elles peuvent se respecter et même s’étayer l’une l’autre

Cependant, ces remarques accompagnent implicitement la possibilité d’une troisième branche possible de la psychologie, qui pourrait se nommer « psychologie de la pertinence » ou même « psychologie de la pertinence et de la reconnaissance ».

Le symptôme n’y existe pas « à cause d’un trauma », mais « spécialement pour accéder à un Être » qui ayant éprouvé le trauma a été mis de côté dans la psyché afin de la préserver d’une charge excessive. Il ne reflète pas une maladie, mais une tentative de retour à la santé, à la complétude de Soi. Avec cette mise à l’écart naturelle, le patient d’un côté est préservé, de l’autre il se retrouve clivé en « celui qu’il est » et « celui qu’il était ». Les processus naturels qui se mettent en œuvre chez le patient tendent à lui faire retrouver son intégrité, sa complétude psychique. Ils sont hélas interprétés comme des dysfonctionnements alors qu’ils sont une tentative d’accomplissement de son individuation.

La psychologie de la pertinence et de la reconnaissance résout alors les interrogations de Sandor Ferenczi à propos des clivages dus aux traumas, dont il a bien remarqué qu’on ne peut avancer en les faisant revivre, quand bien même ce serait en abréaction (énoncer tout en refaisant l’expérience). Elle résout aussi les interrogations de la psychologie positive qui, choisissant d’aller vers la santé, ne s’occupe pas du passé du sujet.

On peut, dans cette troisième possibilité, allier en même temps une dynamique du sujet allant vers sa santé et une prise en compte de sa vie et des traumas qu’il y a rencontrés. Les manifestations, interprétées ailleurs comme des psychopathologies, s’y retrouveront souvent comme des moyens accompagnant cet élan vers la santé psychique. Entrent dans ce champ les troubles phobiques, alimentaires, émotionnels divers, du comportement, obsessionnels, addictifs, pulsionnels, sociaux, etc… Même la situation psychotique peut y être abordée, y compris la situation autistique.

Bien sûr aucune approche ne doit se placer au dessus d’aucune autre, et cette troisième possibilité ne doit être envisagée que comme… une troisième possibilité. Il n’en demeure pas moins que, sur le plan clinique, elle permet des apaisements durables en quelques séances, qui ne semblent pas être un déplacement de la pathologie, ni une occultation des symptômes.

Sans « combat » de quoi que ce soit, elle permet d’accompagner l’accomplissement des justesses qui tentent de se manifester chez le sujet afin de le conduire vers sa complétude.

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8   Pour conclure

8.1 Un « champ » psychique

La prise en compte de la dimension ontique  définit bien le champ où se situe notre humanité. Elle permet aussi de comprendre les justesses à l’œuvre en chaque individu et de les accompagner en les respectant.

Depuis les hédonistes jusqu’à John Stuart Mill précurseur d’une réflexion sur la liberté et sur le bonheur, en arrivant à la psychologie classique qui veut nous libérer de ce qui nous oppresse,  pour continuer vers la psychologie positive qui nous pousse vers le monde, puis vers la psychologie de la pertinence qui y confirme notre place et celle de chacun, nous trouvons un regard de plus en plus subtil concernant l’humain, concernant l’individu, mais aussi tous les autres, et même concernant la nature qui nous environne.

La diversité y est une opportunité plus qu’un inconvénient :

« Ce n’est pas la créativité mais la sensibilité qui vous fait reconnaître en autrui une idée susceptible de s’associer à l’une des vôtres pour engendrer une nouvelle possibilité » (Zeldin, 2014, p.68).

« Si tous les hommes moins un partageaient la même opinion, ils n’en auraient pas pour autant le droit d’imposer silence à cette personne, pas plus que celle-ci, d’imposer silence aux hommes si elle en avait le pouvoir »*

 « Si l’opinion est juste, on les prive de l’occasion d’échanger l’erreur pour la vérité ; si elle est fausse, ils perdent aussi un bénéfice presque aussi considérable : une perception  plus vive de la vérité que produit la confrontation avec l’erreur » (Stuart Mill, 1990, p.85)*

*Déjà cité en 4.2.

8.2 L’individuel

L’individu y trouve une opportunité de déploiement, d’accomplissement. La reconnaissance en confiance des justesses qui l’habitent, une écoute subtile des manifestations qui surgissent sans éprouver la crainte d’un mal à combattre, mais juste la réjouissance d’une émergence à venir. L’entourage y est respecté, les racines et appuis familiaux aussi. L’individu s’y sent reconnu pour lui-même et « non seul », car personne de son environnement proche ou social ne se trouve nié ou altéré pour faciliter son apaisement, ni celui qu’il fut à aucun des moments de sa vie, quoi qu’il ait vécu.

8.3 Le collectif

La collectivité s’y trouve également reconnue et préservée, non pas en tant que « masse », mais en tant que « multiples individus se côtoyant », où chacun peut être ce qu’il a à être sans porter atteinte à autrui. John Stuart Mill a, sur ce sujet, avec la liberté et l’utilitarisme, apporté une réflexion d’une grande richesse.

La collectivité ne peut exister sans l’individu, et l’individu ne peut exister sans la collectivité.  L’individualisme négligeant la collectivité ne fonctionne pas, le collectivisme niant l’individu non plus. La « synergie forte », découverte par Ruth Benedict dans diverses cultures et rapportée par Maslow, représente un tel art de vivre chacun et ensemble.

Amour et bonheur sont des fondements qui, loin de toute désuétude, n’appartiennent pas à une sorte de guimauve puérile, mais au socle commun à tout ce qui est humain. Concept qui peut être étendu à tout le  niveau ontique où les frustrations peuvent hélas conduire à des exactions tant envers autrui qu’envers soi-même. Priver l’humain d’humanité est sans doute une des plus grandes violences qui puissent lui être faite et l’une des plus grandes causes des troubles individuels ou sociaux.

« Toute croyance qui incite les hommes à se méfier d’eux-mêmes et des autres sans nécessité et à douter sans fondement des possibilités humaines, doit être considérée partiellement responsable des guerres, des rivalités entre les races et des massacres perpétrés au nom de la religion » (Maslow, 2008 p.107).

Thierry TOURNEBISE

 

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Bibliographie

Bolte Taylor, Jill
-
Voyage au-delà de mon cerveau - Edition Jean Claude Larttès J'ai lu 2008

Clero, Jean-Pierre
-Bentham, philosophie de l’utilité – Ellipses, 2006

Frankl, Victor
-Nos raisons de vivre, à l’école du sens de la vie- Interédition 2009

Freud, Sigmund
- Le narcissisme – Tchou Sand 1985

Grandin, Temple
-Ma vie d’autiste -Odile jacob, 2001

Jourdan, Jean-Pierre
-Deadline,  dernière limite –  Pocket Les 3 Orangers, 2006

Jung, Carl Gustav
-Ma vie -Folio Gallimard, 1973

K. Alexander, Bruce
-The myth of Drug addiction – juin 2001
http://www.parl.gc.ca/37/1/parlbus/commbus/senate/com-e/ille-e/presentation-e/alexender-e.htm

Leconte, Jacques
-Introduction à la psychologie positive – Dunod, 2009

Leibniz, Gottefreid Wilhelm
-Monadologie – Flammarion, 1996

Lyubormiski, Sonia
-Comment être heureux et le rester –Flammarion 2007

Martin-Krumm Charles  et Tarquinio Cyril
-Traité de psychologie positive -De Boek 2011

Maslow, Abraham
-Être humain - Eyrolles 2006
-Devenir le meilleur de soi-même – Eyrolles, 2008

Mill, John, Stuart
-L’utilitarisme – Flammarion, Champs classiques, 1988
-De la liberté- Gallimard, folio essais, 1990

Nathan, Tobie
-Psychothérapie Démocratique- Odile Jacob, 2012
-Psychothérapies- Odile Jacob 1998
-La folie des autres – traité d’ethnopsychiatrie clinique -Dunaud, 1986

Sénèque
-La brièveté de la vie – GF Flammarion 2005

Williams, Donna
-Si on me touche je n’existe plus  Robert Laffont J’ai lu, 1992

Zeldin, Theodore
-Les plaisirs cachés de la vie – Fayard, 2014

Publications scientifiques

Bruce K. Alexander
-The myth of Drug addiction – juin 2001
http://www.parl.gc.ca/37/1/parlbus/commbus/senate/com-e/ille-e/presentation-e/alexender-e.htm
http://www.parl.gc.ca/Content/SEN/Committee/371/ille/presentation/alexender-f.htm (en français)

Liens internes cités

Passion février 2001
Vivre son couple février 2009
Psychologie positive  avril 2012
L’estime de Soi, ou l’inestimable de Soi 
avril 2014
Reconnaissance
octobre 2014
Être libre du sectarisme 
janvier 2015

 dico/glossaire septembre 2012

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