Page d'accueil 

Documents publiés en ligne

Retour publications

Chérir l’inconscient

Un allié méconnu

Aout 2021   -    © copyright Thierry TOURNEBISE

ABONNEMENT LETTRE INFO gratuite

Nous devons à Sigmund Freud (1856-1939) l’extraordinaire idée de conscient (lieu de nos sensations et perceptions) et surtout d’inconscient (zone profondément discrète, non accessible au conscient, contenant les sources pulsionnelles, des contenus innés, et les enfouissements multiples de ce que nous ne savons pas gérer).

Il se trouve que cet inconscient a souvent été proposé comme une sorte d’excuse à ce qui échappe à notre volonté, ou comme la raison de nos multiples égarements. Il a aussi souvent été quelque peu diabolisé, comme contenant les choses parmi les moins honorables ou les moins avouables de nos intentions… voire source de psychopathologies. Tomberions-nous alors dans une sorte de vestige fossile de ces anciennes périodes obscurantistes, avec leurs cortèges d’exorcistes acharnés à chasser le mal qui venait nous posséder ?

Il se trouve pourtant que l’inconscient n’est pas si sombre qu’il n’y paraît, qu’il est avant tout notre allié, qu’il contient d’inestimables richesses ayant su pourvoir à notre évolution, qu’il accompagne même notre déploiement. Sans lui, notre psyché serait bien en peine d’assurer sa place au monde. Il mérite plus notre confiance que notre défiance, notre tendresse que notre rudesse. Nous sommes invités à accomplir avec lui un fertile compagnonnage, car il gère souvent ce que notre conscience et notre intellect ne sauraient encore appréhender.

 

Sommaire

1 Évolution du corps et de l’esprit
-Thomas Reid, la psyché astucieusement constituée - Philippe Pinel, quand on devient étranger à soi-même – Charles Darwin, évolution vers la délicatesse - Sigmund Freud, découverte de l’inconscient

2 L’inconscient source de protection
Réactions réflexes de sécurité – Clivage de ce qu’on ne saurait intégrer sans dommages

3 L’inconscient source de conservation
- Garderie de ce qui a été clivé – Gestion du mémorial - Production des symptômes

4 L’inconscient invite la conscience
- Changement de paradigme - Remédiations – Reconnaissance et validation

5 L’inconscient source d’accomplissement
- Qui l’on a à être – Le déploiement... oser le futur – Le meilleur de soi-même

6 L’inconscient et l’hyper systémie
- Quels sont les champs investigués – Gratitude à tous les contributeurs

7 L’inconscient avec tendresse et confiance
- La pertinence en accomplissement – L’inestimable compagnon de vie

Bibliographie
Bibliographie du site

 

1    Évolution du corps et de l’esprit

1.1    Thomas Reid (1710-1796), la psyché astucieusement constituée

L’idée révolutionnaire pour son époque fut de considérer d’une part qu’on peut s’appuyer sur le bon sens (à cet endroit proche de René Descartes), d’autre part que l’accomplissement si abouti du corps, si ajusté dans la qualité de ses fonctionnements, peut-être étendu à la psyché. Celle-ci a donc aussi abouti à une optimisation et devrait être considérée dans l’extraordinaire pertinence de ses fonctionnements subtils et de ses interactions.

« L’appareil de l’esprit humain est une chose aussi curieuse et merveilleuse que l’appareil du corps humain. Et les facultés qu’on y observe ne sont pas moins sagement adaptées à leurs différentes fins que les organes de ce dernier. » (Reid – 2012, p.27)

Avec une continuité de la conscience en dépit des changements :

« Demandons-nous comment chaque homme croit qu’il est lui-même quelque chose de distinct de ses idées et de ses impressions, et quelque chose qui conserve le même moi identique quand toutes ses idées et ses impressions changent. » (Reid- 2012, p.57)

Avec une conscience du monde « extérieur » perçu sensoriellement

« Cela signifie à n’en point douter que vous avez une certaine impression du toucher d’où vous concluez, sans raisonnement ni comparaison d’idées, qu’il y a quelque chose d’extérieur qui existe réellement […] » (Reid- 2012, p.88)

Tout en distinguant avec perspicacité entre 1/L’objet perçu ; 2/ L’information qui en émane et qui atteint l’organe des sens ; 3/ L’impression faite sur cet organe ; 4/ le message transmis depuis cet organe jusqu’au cerveau ; 4/ La représentation mentale qui en résulte dans l’esprit.

« [qualités des objets]. Elles n’ont aucune ressemblance avec nos sensations ni avec les opérations de notre esprit. » (Reid- 2012, p.91)

« L’impression faite sur la rétine par les rayons lumineux se communique au nerf optique, et par le nerf optique est transporté vers une certaine partie du cerveau, qu’ils appellent sensorium ; et l’impression ainsi transportée jusqu’au sensorium est immédiatement perçue par l’esprit qu’on suppose y résider. » (Reid- 2012, p.149)

« Il n’y a pas la moindre probabilité qu’il y ait une peinture ou une image de l’objet dans le nerf optique ou dans le cerveau. […] et les images formées par l’œil ne sont pas dans le cerveau, mais seulement sur le fond de l’œil ; […] » (Reid- 2012, p.149)

Il dénonce les anciennes croyances d’un objet extérieur qui conduirait à une image intérieure comme un empreinte. Ces croyances antérieures oubliaient totalement de considérer la sensation elle-même comme distincte à la fois de l’objet perçu et de la représentation qui en résulte dans l’esprit. D’où une différence entre le monde extérieur (réalité) et notre monde intérieur (représentation résultant de nos perceptions).

« Aristote […] fait de chaque sensation la forme sans matière, de la chose perçue. De même que l’empreinte sur la cire a la forme du cachet, sans en avoir la matière, de même concevait-il que nos sensations sont des empreintes sur notre esprit qui conservent l’image, la forme, la ressemblance de la chose extérieure perçue, sans en avoir la matière. » (Reid- 2012, p.97-98)

« La constitution de notre nature nous pousse à nous rapporter d’avantage aux choses signifiées par la sensation qu’aux sensations elles-mêmes et à donner un nom aux premières plutôt qu’aux secondes. » (Reid- 2012, p.98)

« Nous n’avons de conception d’aucune chose sinon de ce qui ressemble à une sensation ou à une idée dans notre esprit ». (Reid- 2012, p100)

« Et que tous les hommes croient fortement à un monde matériel et extérieur, une croyance qui n’est acquise ni par le raisonnement ni pas l’éducation, une croyance dont nous ne pouvons nous défaire, même quand nous semblons avoir de forts arguments contre elle et pas le moindre argument en sa faveur, cela est aussi un fait qui a toute l’évidence que la nature de la chose le permet. » (Reid- 2012, p.101)

L’idée qui est dans l’esprit (image mentale) n’est pas de même nature que l’objet perçu avec ses qualités. La perception ne se fait pas avec l’esprit, mais avec le corps qui communique ce qu’il a perçu à l’esprit :

« […] l’apparence visible d’un objet est extrêmement différente de la notion que l’expérience nous apprend à nous en former par la vu » (Reid- 2012, p111)

« […] l’une est une idée dans l’esprit et l’autre une qualité du corps. » (Reid- 2012, p113)

« […] les rayons de la lumière font une impression sur la rétine […]. Quelle qu’elle soit, nous lui donnons le nom d’impression matérielle, gardant bien à l’esprit que ce n’est pas une impression sur l’esprit mais sur le corps, et qu’elle n’est pas une sensation […]. (Reid- 2012, p.127)

L’esprit passe du signe (comme un langage) à la chose signifiée (réalité que désigne ce signe ou langage)

« […] ; et l’esprit passe du signe à la chose signifiée, non pas en vertu d’une ressemblance qu’il y aurait entre les deux, ni par un quelconque principe naturel ; mais parce qu’il les a trouvés constamment joints dans l’expérience, comme les sons du langage et les choses qu’ils signifient. » (Reid- 2012, p144)

« Les sensations tactiles, visuelles et auditives sont toutes dans l’esprit et ne peuvent avoir d’existence que lorsqu’elles sont perçues. Comment se fait-il qu’elles nous suggèrent, constamment et invariablement, la conception et la croyance à des objets extérieurs qui existent indépendamment de notre perception ? » (Reid- 2012, p.152)

Selon Thomas Reid, toutes ces distinctions permettent de mieux appréhender le fonctionnement de l’esprit en compagnonnage avec le corps, de distinguer la sensorialité (corporelle) et la perception (psychique), de considérer ces fonctionnements avec leur pertinence, tant au niveau du corps qu’au niveau de l’esprit.

Bien sûr, il arrive que la psyché se trouve en difficulté. Il parierait ici aussi que la nature a prévu de judicieuses astuces pour y faire face. Ce que Philippe Pinel entrevit avec son regard exceptionnel sur la psyché, suivi de Charles Darwin concernant la façon dont la nature opère en évolution vers plus de compétences. Il est très touchant de rencontrer ces êtres riches en humanité, confiants dans la pertinence de ce qui est à l’œuvre.

1.2    Philippe Pinel (1745-1826) : quand on devient étranger à soi-même

Le médecin Philippe Pinel proposa de ne plus parler de « fous » (mot qui signifie « vides ») car, selon lui, ceux qui sont psychologiquement affectés ne sont pas vides. A son époque, ils étaient traités à peine mieux que des animaux, enfermés, attachés, douches froides, brutalisés.

Il défendit l’idée que tous ces Êtres ne sont pas « vides », mais juste « devenus étrangers à eux-mêmes ». De ce fait il ne parla plus « de folie », mais « d’aliénation », le mot « aliéné » signifiant « devenu étranger ». Il défendit aussi que si on s’occupe d’eux avec bienveillance et qu’on leur parle normalement, ils finiront par retrouver la raison et surtout par « se retrouver » grâce à ce « traitement moral ».

Il est le père de l’aliénisme, qui fut précurseur de la médecine psychiatrique. Si le mot « aliéné » a pris une consonance péjorative, ainsi que celui « d’asile d’aliénés » c’est qu’on a oublié le sens de « asile » (accueil) et « aliéné » (devenu étranger à soi-même).

De la croyance initiale en un vide psychique, il osa ce virage exceptionnel vers la conception d’un clivage de la psyché et d’une remédiation par la parole et la bienveillance. Nous lui devons beaucoup, même si ses successeurs n’ont pas tous eu la même délicatesse. Heureusement, peu après lui, Jean Etienne Esquirol (1772-1840) œuvra aussi délicatement pour le bien être des patients et, plus tard à l’époque de Freud, Sándor Ferenczi (1873-1933) rappela ce mécanisme de clivage de la psyché (version moderne de « aliéné »). Propos de Sándor Ferenczi rapporté par Nathalie Zajde :

« Une partie de l’être reste en éveil tandis que l’autre, la partie sensible, disparaît littéralement sous le choc […] il est devenu deux, […] » (Nathalie Zajde 2012, p.180,181)

Ce retour à la confiance et à la pertinence de la nature était extrêmement prometteur, mais il semble qu’il y avait encore beaucoup à faire ! La croyance en un inconscient encombrant, empli d’impuretés peu avouables, eut la peau dure (et encore aujourd’hui !).

Retrouver le chemin vers la pertinence de la nature, que certains avaient commencé, comme Thomas Reid (chapitre précédent), ou comme plus anciennement encore, au moyen âge avec Érasme (1469-1536), n’était pas encore évident ! Ce dernier écrivit « Éloge de la folie » où il défendait déjà, au moyen-âge, que les frontières sont sources de guerres, maintenant les gens en étrangers les uns par rapport aux autres, par la revendication égotique de chaque nation (aliénation entre peuples) :

« Si la nature a fait naître chaque homme avec cette philautie, qui est amour de soi [du moi], elle en a muni également chaque nation et chaque cité. D’où suit que les anglais revendiquent, entre autres dons, la beauté physique, le talent musical et celui des bons repas ; les écossais se vantent d’une noblesse, d’un titre de parenté royale, de l’habileté dans la controverse ; les français prennent pour eux l’urbanité ; les parisiens s’arrogent presque le monopole de la science théologique ; les italiens, celui des bonnes lettres et de l’éloquence, et ils en tirent comme peuple, l’orgueil d’être le seul qui ne soit pas barbare […] » il évoque aussi les romains, les grecques, les turcs, les juifs, les allemands etc. (Érasme - Éloge de la folie - GF Flammarion – 1964, p.52)

Érasme avec ses médiévales intuitions, Reid avec son approche de bon sens, Pinel avec son humanité, n’eurent pas la chance de disposer d’une confirmation scientifique de ces qualités de la nature. Nous eûmes, après eux, la chance que Charles Darwin découvrit ce cheminement de la nature qui, quoi qu’elle n’eût semble-t-il pas d’intention initiale, a finalement produit de l’humanité et de la coopération.

1.3    Charles Darwin (1809-1882) : évolution vers la délicatesse

Suite à l’extraordinaire intuition de Thomas Reid sur le fait que la nature doit avoir pourvu la psyché de façon aussi pertinente que le corps dans son fonctionnement ; après cette émergence si délicate de Philippe Pinel évoquant une simple aliénation en place de la folie vide et démente ; peut-être riche des intuitions médiévales d’Érasme…, Charles Darwin s’attela à étudier comment la nature a accompli son œuvre, depuis les premiers instants de la vie apparaissant sur notre planète… pour arriver jusqu’aux humains.

« Darwin » ! Bien que tout le monde connaisse son nom, peu connaissent l’homme et la profondeur de son propos : humaniste il n’a jamais parlé de la « raison du plus fort » permettant de s’en sortir dans une lutte pour la vie (struggle for life), mais juste du « mieux adapté ». Il découvrit même que, arrivé à l’homme, le mieux adapté se trouve être celui qui sait prendre soin du plus faible : car la coopération l’emporte sur la concurrence.

Patrick Tort nous le rappelle dans l’ouvrage « La filiation de l’homme » (Darwin 2013, p.51) « Anthropologie inattendue de Darwin » :

« […] permet à Darwin de constater que la sélection naturelle n’est plus à ce stade de l’évolution, la force principale qui gouverne le devenir des groupes humains, mais qu’elle a laissé place dans ce rôle à l’éducation, laquelle dote les individus de principes moraux qui s’opposent, précisément aux effets ordinaires de la sélection naturelle (en veillant à la protection et à la sauvegarde des malades, des infirmes, à l’assistance envers les déshérités, à la compréhension des peuples étrangers, etc.) »

« La sélection naturelle a sélectionné les instincts sociaux, qui à leur tour ont développé les comportements d’assistance aux faibles et favorisé la mise en œuvre de dispositions éthiques, institutionnelles et légales anti-sélectives et anti-éliminatoires. »

« Ce faisant, la sélection naturelle a travaillé elle-même à son propre dépérissement »

« […] ici une compétition dont les fins sont de plus en plus la moralité, l’altruisme et les valeurs sociales liées à l’intelligence et à l’éducation. »

Darwin étudia la progression de la nature. Riche d’une grande connaissance en anatomie, en biologie, en éthologie, en paléontologie, et d’une capacité à croiser ces informations méticuleusement, il considéra le parcours de la vie en remarquant comment certains animaux ont déjà des comportements sociaux, et même « moraux ».

« Les animaux inférieurs, de même que l’homme, ressentent manifestement le plaisir et la douleur, le bonheur et le malheur. » (Darwin, 2013, p.192)

« On peut voir des animaux continuellement s’arrêter, réfléchir, puis se décider. » (Darwin, 2013, p.201)

Concernant l’homme et les primates il constate que :

« Tous ont les mêmes sens, les mêmes intuitions, et les mêmes sensations – des passions, des affection et des émotions semblables, même les plus complexes, comme la jalousie, la méfiance, l’émulation, la reconnaissance et la magnanimité ; ils pratiquent la tromperie et sont vindicatifs, ils redoutent parfois le ridicule et ont même le sens de l’humour ; ils ressentent l’étonnement et la curiosité ; ils possèdent les même facultés d’imitation, d’attention, de délibération, de choix, de mémoire, d’imagination, d’association des idées, et de raison, bien qu’à des degrés très différents. » (Darwin, 2013, p.206)

Ne voyons pas là l’affirmation que « l’homme descend du singe », mais que l’animal possède des qualités analogues à celles de l’humain.

« Tout animal, quel qu’il soit, doué d’instincts sociaux bien affirmés incluant les affections parentale et filiale, acquerrait inévitablement un sens moral ou conscience, dès que ses capacités intellectuelles se seraient développées au même point ou presque que chez l’homme » (Darwin, 2013, p.231)

Selon Darwin, les instincts sociaux se sont développés progressivement et se trouvent déjà chez certains animaux, où l’on trouve les prémisses des attitudes humaines.

« Chez les animaux qui tiraient des bénéfices de cette vie en étroite association, les individus qui prenaient le plus de plaisir à cette vie sociale étaient ceux qui échappaient le mieux à divers dangers ; tandis que ceux qui étaient le moins attachés à leurs camarades, et qui vivaient d’une façon solitaire, périssaient en grand nombre. » (Darwin, 2013, p.243)

« Aussi complexe qu’ait été la manière dont ce sentiment a pris naissance, comme celui-ci est d’une haute importance pour tous les animaux qui s’aident et se défendent mutuellement, il aura été accru par sélection naturelle ; car les communautés qui comprenaient le plus grand nombre de membres richement doués de sympathie, ont dû prospérer mieux et élever le plus grand nombre de descendants. » (Darwin, 2013, p.244-245)

« Cette vertu [Humanité], l’une des plus nobles dont l’homme soit doué, semble provenir incidemment de ce que nos sympathies deviennent plus délicates et se diffusent plus largement à tous les êtres sensibles. » (Darwin, 2013, p.266)

Profondément humaniste, Darwin dénonçait l’inadéquation de l’esclavage, de la ségrégation sociale, du mépris envers ceux qui ne peuvent produire dans la société. Pourtant, son cousin Sir Francis Galton (p.63 et 73), utilisa ses recherches pour promouvoir l’eugénisme, (aider la sélection naturelle à compenser se lenteurs ! - pour le dire pudiquement ). Mais Charles Darwin n’a jamais défailli dans son humanité, quoi qu’on ait parfois plus retenu les propos de son cousin que les siens. Les propos de Darwin méritent d’être cités :

« […] à mesure que, grâce à l’habitude issue d’une expérience profitable, de l’instruction et de l’exemple, ses sympathies devinrent plus délicates et se répandirent plus largement, s’étendant aux hommes de toutes les races, aux simples d’esprit, aux infirmes, et à d’autres membres inutiles de la société, et enfin aux animaux inférieurs – progressivement sa moralité dut atteindre un niveau de plus en plus élevé. » (Darwin, 2013, p.268-269)

Ce qui distingue toute de même l’homme, selon lui, des animaux le plus évolués c’est :

« [...] l’amour désintéressé pour toutes les créatures vivantes, qui est l’attribut le plus noble de l’homme [...] » (Darwin, 2013, p.270)

« Le plus humble organisme est quelque chose de beaucoup plus élevé que la poussière inorganique qui se trouve sous nos pieds ; et nul ne peut, avec un esprit libre de préjugés, étudier une créature vivante, si humble soit-elle, sans être frappé d’enthousiasme face aux merveilles de sa structure et de ses propriétés. » (Darwin, 2013, p.325)

Il témoigne d’un profond respect du vivant, même d’un émerveillement. Puis arrivant à l’homme, la faiblesse se confirme comme un avantage :

« Nous devons cependant garder à l’esprit qu’un animal doté d’une grande taille, de force et de férocité, et qui, comme le gorille, pourrait se défendre lui-même contre tous ses ennemis, ne serait probablement pas parvenu à devenir social ; et cela aurait constitué l’obstacle le plus efficace à l’acquisition par l’homme de ses plus hautes qualités mentales telles que la sympathie et l’amour de ses semblables. »

« Cela aurait donc pu être un immense avantage pour l’homme que de provenir de quelque créature comparativement faible. »

(Darwin, 2013, p.184-185)

Finalement, les travaux de Darwin, avec son humanisme, convergent avec ceux de Pierre Teilhard de Chardin (paléontologue), quoi que leurs options ne soient pas de même nature : Darwin était plus vers les naturalistes et Teilhard de Chardin était plus vers la spiritualité. Il dit par exemple, dans Le phénomène humain, que l’évolution représente la conscience qui émerge au monde.

« Tout au fond de lui-même, le monde vivant est constitué par de la conscience revêtue de chair et d’os. De la Biosphère à l’Espèce, tout n’est donc qu’une immense ramification de psychisme se cherchant à travers des formes. » (Teilhard de Chardin, 1995, p.165)

« L’Étoffe de l’Univers, en devenant pensante, n’a pas encore achevé son cycle évolutif » (Teilhard de Chardin, 1955, p.279)

« La conscience monte à travers les vivants. » (ibid., p.195)

Il appelle noosphère (de noos esprit) cette zone de conscience, qu’il distingue de la biosphère.

Quelles que soient les options, nous constatons que bien des choses extraordinaires se font à notre insu et avec pertinence. Examinons quelques-uns de ces phénomènes qui prennent soin de nous avec bienveillance. Sans doute apparurent-ils au fil de l’évolution pour aboutir à ce que nous sommes. Comme le disait Thomas Reid, avec autant de soin pour notre corps que pour notre psyché.

Concernant la psyché, Sigmund Freud poursuivit la recherche vers bien des nouveautés, notamment au niveau du conscient et de l’inconscient. Il est touchant de constater comment tous ces Êtres qui ne se sont pas rencontrés, dont le travail de l’un ne découle pas forcément du travail de l’autre, ont œuvré de telle façon que l’on puisse mettre leurs recherches en cohérence.

Marylène Patou-Mathis, docteur en préhistoire, directrice de recherche CNRS, spécialiste des comportements des Néandertaliens et des premiers Hommes modernes, confirme largement ce propos selon lequel l’homme préhistorique était dans la coopération plus que dans la concurrence. Son étude sociologique du cheminement de l’Être Humain fait honneur à nos racines où nous découvrons une profonde humanité initiale, dès le paléolithique, qui cependant s’estompera avec la sédentarisation au néolithique, passant de la cueillette à la culture, de la chasse à l’élevage, avec stockage de biens convoités.

Marylène Patou-Mathis : "Celui qui a peint Lascaux, rien ne prouve que ce soit un homme" (franceculture.fr)

France Culture – Les Masterclasses 24/07/24
https://www.franceculture.fr/emissions/les-masterclasses/marylene-patou-mathis-celui-qui-a-peint-lascaux-rien-ne%20prouve-que%20ce-soit-un-homme

Dans son ouvrage « La préhistoire de la violence et de la guerre » elle explore scientifiquement à partir de recherches précises et méthodiques comment Homo-sapiens et Neandertal, à ces époques, prenaient soin des sujets handicapés (même de naissance) qui vécurent jusqu’à l’âge de 45 ou 60 ans (âgés pour l’époque). Ils prenaient en charge les anciens, et des handicapés accidentels furent aussi soignés avec de notions médicales et une approche de la pharmacopée. Ces Êtres peu ou pas productifs, faisaient cependant pleinement partie de la communauté… il y a plus de 400.000 ans ! 

Et tout cela avec des femmes pleinement respectées, ayant des activités souvent voisines de celles de hommes, ayant une place honorable dans les communautés ! Nos ancêtres lointains n’étaient ni brutes, ni stupides, ni misogynes (Patou-Mathis, 2013 – Chapitre 5 page 119 à 129).

Marylène Patou-Mathis met beaucoup d’attention à ne pas laisser les pensées « culturellement toutes faites » envahir la pensée scientifique. Elle est une véritable chercheuse, passionnée concernant l’évolution des comportements humains.

1.4    Sigmund Freud (1856-1939) : découverte de l’inconscient

Il était nécessaire de parcourir Thomas Reid, Philippe Pinel, puis Charles Darwin, avant d’aborder l’inconscient. Certes nous devons à Sigmund Freud d’en avoir découvert la notion, mais son propos ne tenant pas assez compte de la pertinence de la nature, ces trois auteurs-chercheurs nous ont permis de placer la notion dans un espace plus vaste.

Nous devons pourtant aussi à un contemporain et « ami » de Freud, un propos très intéressant sur la façon dont la nature opère pour notre santé. Il s’agit du médecin Dr Georg Groddeck (1866-1934). Freud disait de Groddeck qu’il était un grand psychanalyste, quand bien même celui-ci s’en défendait. Pourtant, il se distinguait de Freud et même était plus proche de Ferenczi (psychanalyste contemporain de Freud). Ici nous le retiendrons pour son approche naturelle de la médecine. Il écrivit « Nasamecu - la nature qui guérit » et y fit l’apologie du travail spontané de la nature dans de multiples manifestations physiologiques et psychologiques (finalement un initiateur de la naturopathie) :

« La plupart des troubles mentaux tendent en effet à la guérison. » (Groddeck 1980 , p.93)

« La maladie mentale est en quelque sorte un instrument permettant d’examiner les états psychiques de l’homme. » (ibid. p.84)

« En théorie, on veut bien admettre que la maladie n’est jamais un élément étranger au corps, mais un processus de la vie même de ce corps. » (ibid.,p.94)

« Tous les discours sur l’imperfection de l’homme ne sont que fadaises. » (ibid., p43)

« Il n’appartient pas au médecin de guérir, mais de soigner, de frayer la voie pour que la nature puisse guérir. » (ibid., p.105)

Nous voyons dans cet ouvrage combien Groddeck eut cette intuition de l’accompagnement des justesses à l’œuvre.

Freud le connaissait très bien, mais ils avaient « quelques » désaccords. Ainsi Freud céda à la tentation de pointer surtout les dysfonctionnements, et fut suivi par nombre de praticiens en ce sens. Lui-même disait avec humour qu’il n’y a pas de différence entre un psychiatre, un psychanalyste et un exorciste : car tous chassent « le mal ».

Cet aspect de son approche, « en quête du mal à corriger ou à éliminer », est sans doute fâcheuse, mais elle n’enlève rien au fait qu’il découvrit cette notion d’inconscient, c’est-à-dire de « choses » qui œuvrent à notre insu.

Il est intéressant de constater que son idée du ça, du moi et du surmoi fonctionne avec l’évolution telle que nous venons de la parcourir :

Le ÇA est une source pulsionnelle visant à la satisfaction immédiate (survie), sans tenir compte d’autrui et sans astuce (concurrence sans intelligence et sans conscience). Cela suscite alors les réactions indésirables d’autrui qui n’a aucune intention de se laisser faire (pour les mêmes raisons).

Cela se faisant sans discernement, l’autre ne se laissant pas faire, il s’y ajouta le MOI bien plus stratégique, malin, astucieux, permettant d’arriver à ses fins en évitant le désagrément des oppositions extérieures (concurrence avec intelligence, mais toujours sans conscience). Nous trouvons là le personnage « social » (pas si social que ça) égoïste, qui gère son profit, toujours sans se préoccuper d’autrui, si ce n’est avec une apparente délicatesse manipulatrice, pour en éviter les retours contrariants par divers moyens plus ou moins trompeurs. Sa volonté n’est jamais de nuire, mais tout de même juste d’assurer son profit.

Comme nous l’avons vu avec Darwin, la socialisation devenant une nécessité de survie, le SURMOI vint apporter une modération du moi en incitant à vraiment prendre soin d’autrui (une sorte de « prothèse de conscience »). Mais cela se fit au prix de quelques frustrations et de quelques culpabilisations (venant contrarier le ça et le moi). L’intranquillité qui en résultait devait bien trouver refuge quelque part : dans l’inconscient. Il y avait encore du chemin pour arriver à une profonde authenticité.

Nous avons dû attendre Carl Gustav Jung (1875-1961) pour aborder la notion du SOI (zone de conscience). Jung arriva très peu après Freud (quasi contemporains). Ils eurent quelques différents (c’est peu dire !) dans leurs approches. On pourrait dire que Freud nous proposa une psychologie du Moi et Jung une psychologie du Soi. Celle du Moi étudie le personnage social, celle du Soi s’occupe de la dimension existentielle, pour ne pas dire ontique ou même spirituelle.

Le Soi est une sorte d’entièreté de l’Être, telle que nous la propose Martin Heidegger*, plus vaste que le Moi. Il se trouve dans le Soi tout ce qu’on a été, et aussi potentiellement le « devenir celui que l’on a à être » envisagé également par Abraham Maslow** avec même une dimension transpersonnelle, placée en hyper-systémie avec le « Tout ».

*Nous retrouvons cette idée d’entièreté chez Martin Heidegger : le « Dasein », est localement l’Être-Là, l’Être au monde ; puis « l’Etant » qui est sa manière d’être au monde, en quelque sorte le moi ; et enfin « l’Être » qui est ce que nous sommes, tout ce que nous avons été, et ce que nous serons… en quelque sorte le Soi.

**Maslow considérait que nos souffrances psychiques viennent de notre manque d’humanité, c’est-à-dire précise-t-il : du manque de l’humain que nous avons à être.

En maïeusthésie, on pourrait dire que :

Le ça gère la pulsion de survie
Le Soi gère la pulsion de Vie

Les pulsions agissent hors de notre volonté ou même de notre conscience. Peut-être cela explique-t-il qu’en allemand le ça (das Es) et le Soi (das Selbst) sont souvent confondus, car il s’agit de zones pulsionnelles dans les deux cas. Mais elles ne sont pas de même nature ! L’une est garante de la sécurité (besoins de base), l’autre de l’intégrité (besoins ontiques, besoin de complétude).

Tout cela œuvrant à notre insu, il s’agit de processus qui échappent à notre conscience, que l’on pourrait qualifier d’inconscients. L’inconscient n’est donc pas seulement un lieu de refoulement (nous verrons plus loin l’ambiguïté du mot « refoulement ») ; il est bien plus, et tellement délicat à notre égard ! : il est aussi une zone de ressources.  Ainsi que nous allons le parcourir, ces processus gèrent au mieux notre existence individuelle et collective, avec une pertinence qui aurait tellement plu à Thomas Reid, avec une humanité qui aurait réjoui Charles Darwin, sans oublier que les notions de clivages et de remédiations auraient tellement contenté Philippe Pinel, validant pleinement son extraordinaire intuition.  

retour sommaire

2    L’inconscient source de protection

2.1    Réactions réflexes de sécurité

Une des propriétés de l’inconscient les mieux connues est de produire des réflexes de sécurité à la suite d’un danger, d’un trauma. Cela semble bien gênant car il en résulte des réactions ultérieurement souvent inappropriées et systématiques, à chaque fois qu’une situation analogue se présente. Exemple caricatural : si un instituteur souvent vêtu de vert m’invectivait régulièrement de façon injuste et douloureuse lorsque j’étais enfant, je risque ultérieurement de me sentir mal à l’aise face à toute personne portant un vêtement vert, ne serait-ce qu’un foulard ou une cravate, voire prononçant le mot « vert ». Nous connaissons bien ce phénomène sous la forme du dicton « chat échaudé craint l’eau froide ».

Certes cette réaction peut se trouver très encombrante car le plus souvent inappropriée à la situation présente. Mais nous oublions un peu vite qu’il s’agissait pour nous du moins mauvais moyen de nous préserver d’une répétition éventuellement dommageable.

Ainsi quand on envisage une thérapie, il ne s’agit donc pas tant de se débarrasser de cette réaction en la diabolisant, que de mettre de la conscience là où, pour des raisons de douleurs émotionnelles, notre intellect n’a pas su le faire à l’époque. Ainsi il ne s’agit pas combattre un dysfonctionnement, mais d’apporter ce qui a manqué lors de ce fonctionnement limité, mais très pertinent compte tenu de ce qui était disponible à ce moment-là. C’est ce que font les thérapies qui invitent à déplacer les informations émotionnelles d’une zone primitive du cerveau vers sa zone corticale plus élaborée capable de discernement. C’est par exemple ce que fait l’EMDR, même si cet aspect de la pertinence initiale n’y est souvent pas assez mis en exergue ! …à vrai dire jamais, car l’idée y est plus souvent de se débarrasser que d’honorer !

Toutefois, l’idée de « zone neuronale primitive » concernant l’émotionnel semble remise en cause par les neurosciences, notamment avec les recherches de Tor Wager et ses collègues, faisant apparaître que l’ensemble du cerveau participe aux émotions*.

*Science et vie novembre 2019 « Existe-t-il vraiment un siège des émotions dans le cerveau ? »

Mais, quelles que soient les données neurologiques, cela n’empêche pas qu’au moment d’un impact émotionnel, l’intellect peine à discerner les nuances avec acuité, perçoive « en gros » ce qui se passe. Pas assez pour l’analyser, mais suffisamment pour identifier des situations analogues ultérieures et s’en prémunir.

Le mécanisme inconscient qui provoque ce réflexe d’évitement (apparition d’une réaction ou d’une émotion en chaque situation analogue) n’est pas là pour nous contrarier, mais pour nous protéger, prendre soin de nous, tant que notre intellect et notre conscience n’ont pas le moyen de l’intégrer avec plus de précisions. Le travail des praticiens ne sera donc pas un combat de quelque chose qui ne va pas, mais d’aller plus loin, vers une appropriation plus lucide.

Cet aspect thérapeutique peut avoir été mis en œuvre d’une façon remarquable ! Mais nous devons aussi tenir compte du fait qu’un autre phénomène psychologique œuvre à notre insu : le clivage de la psyché. Ce clivage est sans doute encore plus délicat à identifier neurologiquement... car il se peut que cela ne se produise pas au niveau des neurones mais de la psyché, dont il est difficile d’affirmer qu’il s’agisse, ou qu’il ne s’agisse pas, de la même chose ! Thomas Reid avait bien distingué comme différents : ce qui se passe au niveau du cerveau, puis ce qui se passe au niveau de l’esprit. Même s’il apparaît que le neurologique et le psychique soient reliés, il serait un peu trop rapide de les identifier l’un à autre. La source des phénomènes psychiques est souvent difficile à objectiver. En tout cas, il ne s’agit pas du même phénomène et il convient de les distinguer.

2.2    Clivage de ce qu’on ne saurait intégrer sans dommages

Après cette zone « réflexe de sécurité » que nous venons d’évoquer parmi les pertinences de l’inconscient, il y a aussi l’extraordinaire capacité de la psyché à s’auto cliver quand un endroit d’elle-même est trop chargé émotionnellement. Comme le disait Ferenczi, « nous devenons deux » ou, comme le dirait Pinel, « une part de nous devient étrangère à Soi ».

Nous croyons alors parfois maladroitement que la psyché s’est brisée sous le choc (comme un verre heurté par un objet contondant). En fait c’est plutôt elle qui se sépare « intelligemment » en deux, pour éviter les conséquences du choc : à savoir qu’une « part de soi » trop chargée émotionnellement ne vienne envahir la totalité de ce que nous sommes… mieux vaut n’être que partiel, mais préservé de cet envahissement trop lourd à supporter, compte tenu de ce dont nous disposons pour le gérer.

En maïeusthésie, nous appelons pulsion de survie ce qui met en œuvre un tel processus inconscient de clivage. La pulsion de survie est ainsi garante de notre sécurité. Bien-sûr il en résulte une sorte d’amputation du Soi et, de ce fait, pour fonctionner tout de même, nous avons besoin de compensations. Elle se charge aussi de nous en fournir, garante du fait que nous restions au moins un peu opérationnels. Nous compensons, avec ce qui nous est possible ou disponible, le manque de Soi engendré par ce clivage. Bien-sûr, toutes les compensations n’ont pas les mêmes conséquences, quand bien même le processus salutaire de fond reste identique (masquer un vide) : par exemple une addiction au travail ou au sport n’a pas les mêmes conséquences qu’une addiction à l’alcool.

Avantageux au départ, il se trouve que ce clivage, autant que la compensation, consomment de l’énergie. Comme celle-ci à un moment donné diminue, ce qui a été clivé revient à la conscience (comme une sorte d’« attraction » psychique naturelle, qui reprend ses droits dès qu’il n’y a plus l’énergie pour s’y opposer).

La première perception est souvent une sensation de « vide » qui fait penser à la dépression, dont c’est peut-être même la source principale. Puis, nous verrons un peu plus loin comment une production de symptôme (par la pulsion de Vie) invite à la restauration de ce qui a été clivé, en vue de retrouver sa complétude (la pertinence inconsciente continue son œuvre).  

retour sommaire

3    L’inconscient source de conservation

3.1    Garderie de ce qui a été clivé

En dépit de la « mise à distance », ce qui est clivé est conservé. Nous parlons de « distance » pour en simplifier la compréhension, mais en fait il s’agit plus d’un endroit de Soi dont on s’est coupé, avec lequel il n’y a plus d’échanges, avec lequel nous avons rompu l’état communicant (au sens « rompu l’état d’ouverture »)... que d’un éloignement spatial.

Cette « brisure de Soi » pourrait entraîner une perte de Soi si ce qui a été séparé disparaissait. Or ce dont la psyché s’est coupée, du fait de la pulsion de survie garante de notre sécurité, est soigneusement conservé. Si l’on parle souvent « d’inconscient » pour cet endroit de « garderie », je préfère quant à moi parler de « NousNous » (tous ces « Nous » que nous avons été et qui sont tenus à l’écart), comme pour inciter à bien comprendre que ce n’est pas un endroit infréquentable, mais juste un endroit qui prend soin de ce que nous n’avons pas encore su intégrer et emmener avec nous. Finalement : c’est une façon de prendre soin de notre intégrité en devenir. NousNous est un délicat conservateur de ce lieu sacré dédié au soin de ce qu’on a rejeté de Soi. Cet endroit de la psyché contient ainsi ce qui cherchera ultérieurement à émerger en « appelant » la conscience à travers quelques manifestations. Nous remarquerons que, contre toute attente, « ce qui émerge » ou « ce qui refoule » signifient quasiment la même chose… du moins en simples termes de plomberie : ce qui refoule c’est ce qui ressort ! (il est donc curieux qu’on ait attribué à ce mot l’idée d’enfouissement).

3.2    Gestion du mémorial

Garder soigneusement ce qui a été clivé du Soi est une chose, pourvoir y accéder de nouveau en est une autre. Or pour les réintégrer, les accueillir, faut-il encore y accéder … si possible à un moment où notre capacité en permettra la réhabilitation sans nous mettre en danger. Comment susciter une telle émergence ?

Sitôt le clivage opéré, cette zone inconsciente en nous met en place une finalité de remédiation à accomplir (quand ce sera le moment). Un futur à accomplir qui va conditionner notre présent. Afin de garder un chemin vers cette finalité opérante, la pulsion de Vie va devoir fournir des signes, afin que nous ne perdions pas la trace de que ce que nous devons réhabiliter.  Une sorte de « mémorial » est ainsi régulièrement entretenu grâce à maintes répétitions. Celles-ci semblent embarrassantes, mais en fait elles ont un rôle inestimable. Consciemment nous aimerions éradiquer ces répétitions, mais inconsciemment nous les maintenons actives, voire nous les entretenons, car elles représentent un excellent moyen d’accès à cette zone inconsciente. Nous différencierons avec soin ces signes de type « mémorial » de ceux énoncés plus haut de type « évitement d’un danger potentiel ». Ce qui, en nous, maintient ce « mémorial » mérite d’être honoré car nous lui devons notre possible complétude.

Voir sur ce site la publication « Honorer le porteur de symptôme » septembre 2019

3.3    Production de symptômes

Ces signes, tels des ressentis récurrents, balisent le chemin qui nous conduit vers cet Être de Soi à réhabiliter. Le petit poucet n’aurait pas fait mieux ! Ces signes sont ce qu’on appelle les « symptômes ». D’ailleurs l’étymologie du mot nous dit que c’est un « signe extérieur » qui « tombe en même temps » qu’un « événement intérieur », nous permettant ainsi d’identifier celui-ci. La science des symptômes se nomme « sémiologie » (aussi science des signes), même si le mot plus précis est la « séméiologie ».

Les récurrences émotionnelles dont est ainsi parsemée notre vie se nomment patterns (répétions d’un même modèle). Au premier abord cela semble un inconvénient. Comme ces répétitions sont souvent inconfortables, bien des approches thérapeutiques visent à les supprimer, allant même jusqu’à à ne pas clairement distinguer « psychopathologie » (maladie psychique) et « sémiologie » (symptôme), croyant accomplir une guérison en en supprimant le symptôme.

Pourtant, ces récurrences pointent inlassablement vers cette zone « NousNous » où se trouvent des Êtres Soi en attente de « retour à la maison ». Pas pour nous envahir, mais pour nous rendre notre complétude. Ces symptômes sont souvent un tel mémorial nous invitant à la réhabilitation.

Attention de ne pas confondre les « réactions protectrices d’évitement » de type « chat échaudé craint l’eau froide », qui résultent de phénomènes de mémoires événementielles et émotionnelles, avec ces « répétitions de type mémorial » qui pointent vers un Être à réhabiliter et qui sont plutôt de type existentiel, voire expérientiel.

Les premières pointent vers des faits (mémoire), les secondes pointent vers des Êtres (mémorial).

Voir sur ce site la publication « Mémoire et mémorial  novembre 2020  

retour sommaire

4    L’inconscient invite la conscience

4.1    Changement de paradigme

L’inconscient permet ces sauvegardes et nous invite à ces rapprochements, mais la conscience va devoir œuvrer volontairement pour accomplir les étapes suivantes. L’inconscient prépare le terrain, mais ensuite la restauration (remédiation, reconnaissance et validations) se fera consciemment si nous en acceptons l’invitation, car c’est effectivement une invitation (que nous pouvons accepter ou décliner).

Comme il se trouve que notre intellect est culturellement éduqué vers l’éradication, l’évitement et la défiance (peut être aussi à cause d’ancestrales craintes de prédateurs), il se peut ici que la conscience doive être accompagnée dans ces processus d’intégration que la Vie nous invite à accomplir à travers ces processus inconscients. Passer de l’idée d’élimination à celle d’intégration, considérer l’inconscient comme un allié et non un ennemi… c’est vraiment un changement de paradigme !

Voir sur ce site la publication « Psychologie de la pertinence » mai 2015

4.2    Remédiations

Grâce à ces signes (symptômes), la zone de Soi à réhabiliter devient identifiable. C’est en principe le rôle de la psychothérapie que d’accompagner ce processus naturel, pas de le combattre.

La restauration de ce qui a été clivé est une finalité à atteindre, mise en place avec pertinence dès l’instant du clivage (même si elle n’émergera que bien plus tard, parfois après des décennies). Elle devient une sorte de « futur à atteindre » qui conduit les phénomènes du présent pour en favoriser l’aboutissement. On parle de « téléonomie » pour désigner un tel processus où c’est un futur nécessaire qui guide une situation qui le précède, afin de pourvoir être atteint (« téléonomie » de de télos « finalité » et nomos « lois »).

On peut parler d’une remédiation à accomplir entre « le Soi » et « ce qui a jadis été clivé de ce Soi » : restauration d’un contact (d’un état communicant) jadis perdu pour raison de sécurité. Un praticien en psychothérapie est (ou devrait être) finalement une sorte de médiateur de la psyché, venant réconcilier ce qui n’a pas encore su se rencontrer, afin de restaurer une complétude du Soi. Le danger antérieur n’est plus, la maturité s’est accrue, la remédiation devient possible sans risques.

Le mémorial, si répétitif tout au long de l’existence, conduit à cet endroit où se trouve « un de ceux qui attendent d’être rencontrés » au cœur de la psyché, dans ce NousNous qui l’a sauvegardé depuis le moment du clivage. Il ouvre la voie à un Être émergeant, appelant ainsi la conscience du patient grâce au mémorial (symptôme) qu’il agite, tel un drapeau, afin qu’on ne le manque pas. Ainsi le patient peut le retrouver. Mais le retrouver est une chose, accomplir la remédiation en est une autre.

Il convient de bien comprendre qu’il ne s’agit en aucun cas de revivre ce qui a été jadis éprouvé. Cela a si bien été pointé par Ferenczi, rapporté par Nathalie Zajde :

« A quoi bon réveiller les vécus douloureux si c’est pour leur conférer une nouvelle recrudescence » (Zajde, 2012, p.182,183).

Celui qu’est le patient aujourd’hui accompagne celui qu’il était jadis, sans rien en revivre lui-même. Bien qu’ils se rapprochent, ils restent distincts. Ce n’est en aucun cas une régression. Ce n’est pas non plus un événement qu’il reparcourt, ou encore moins qu’il évoque (action qui serait purement cognitive), mais quelqu’un qu’il rencontre, qu’il accompagne, qu’il valide… « Celui qu’il est » accompagne « celui qu’il a été » et le sort de son incroyable solitude. Alors pourront s’accomplir reconnaissance et validation.

4.3    Reconnaissance et validation

La reconnaissance de celui qu’il était s’accomplit tout simplement du fait que l’attention est portée vers l’Être qu’il était, et non plus vers ce qui s’est passé. Il en résulte une réjouissance naturelle, telle qu’on peut l’éprouver face à la Vie qui se manifeste. Cette rencontre ne s’était pas encore faite car le poids événementiel et émotionnel de la circonstance l’avait jusque-là emporté sur la dimension existentielle. L’accompagnement du praticien est à cet endroit essentiel, quand il perçoit cette dimension existentielle avant le patient, la réjouissance et l’émerveillement qu’il en éprouve sont naturellement communicatifs.

N’oublions pas cependant que la maturation, qui se fait naturellement au cours d’une vie, nous conduit spontanément à différencier les faits (ce qui s’est passé) des Êtres (ceux qui s’y trouvaient), et que le processus ci-dessus peut aussi s’accomplir sans la présence d’un praticien, qui n’est que le facilitateur d’un processus naturel.

Avec ou sans praticien, la reconnaissance de celui qu’il était est une étape très importante, mais elle doit aussi s’accompagner de la validation de ce que celui qu’il était a éprouvé. Il s’agira alors de valider ce qu’il a éprouvé sur deux points : nature (type de ressenti) et dimension (à quel point).

Il est impressionnant de constater que, après la reconnaissance, dès cette validation accomplie… l’apaisement est immédiat. L’idée n’est à aucun moment de produire un apaisement de l’éprouvé (ce qui reviendrait à le nier), mais juste de le valider.

Alors s’accomplit la restauration, grâce à ce processus naturel, qui probablement aurait aussi pu se réaliser sans le psychopraticien, qui finalement, je le rappelle encore, n’en est que le facilitateur (d’où son incontournable humilité).

Malheureusement, ce processus naturel est trop souvent entravé par les logiques de combat, d’éradication ou d’anesthésie, culturellement proposées. L’accomplissement d’une justesse de la nature (pointée par Reid, Pinel ou Darwin) ne semble pas venir à l’esprit par simple entendement (comme l’évoquent Reid ou Descartes*), et l’on semble ici trop emprunt encore de la lutte contre les prédateurs (extérieurs ou intérieurs) pour simplement oser être à l’écoute de la justesse à l’œuvre.

*René Descartes nous propose même dans son ouvrage « Recherche de la vérité par la lumière naturelle » (1999) que « plus quelqu’un apprend intellectuellement, plus il perd son bon sens naturel et s’éloigne de sa capacité à trouver la vérité. »  

retour sommaire

5    L’inconscient source d’accomplissement

Nous venons de voir la pertinence de l’inconscient au niveau des alertes, des clivages, et de la garderie de ce qui a été clivé. Nous avons aussi vu comment il participe à une invitation de la conscience grâce au mémorial (symptômes) en vue de retrouver sa complétude.

Mais cela n’est pas tout. L’inconscient joue aussi à un autre niveau : il contribue à notre déploiement, à l’accomplissement de qui l’on a à être.

5.1    Qui l’on a à être

La Vie nous porte à notre insu à devenir plus pleinement ce que nous avons à être. Ce phénomène n’est pas toujours aisé à identifier, car l’invitation sociale consciente est davantage d’être « comme les autres voudraient que l’on soit ».

Nous sommes partagés entre le besoin d’appartenance, qui nous conduit à une sorte de soumission à l’attente extérieure, et un besoin d’accomplissement qui nous conduit à oser être qui nous sommes, au risque de nous distinguer.

Il y a deux façons de se distinguer :

Soit par l’ego, en devenant « le meilleur », le plus brillant, souvent au détriment de quelques autres (vestige des mécanismes fossiles de la concurrence, au service du besoin d’estime : c’est-à-dire du besoin de valeur et de brillance).

Soit par l’accomplissement de Soi et le déploiement, en se laissant juste être lumineux, sans concurrence, en proximité et en reconnaissance des autres, en chaleureuse coopération, mais parfaitement distincts.

Ainsi que nous l’avons vu précédemment, la survie de l’espèce (Darwin) est mieux assurée en coopération plutôt qu’en concurrence, mais aussi son évolution est mieux assurée par des individus qui oseront leur différence, leur créativité, leurs innovations. Nous avons ici deux phénomènes apparemment opposés, qui œuvrent de concert. Notons que le seul endroit où se pose l’ambigüité, c’est quand on se distingue par l’ego (concurrence). Comme nous peinons culturellement à différencier consciemment le besoin d’estime (de valeur, d’être brillant) et le besoin d’accomplissement (d’être qui l’on a à être, d’être naturellement lumineux) il arrive qu’on s’y embrouille et qu’on n’ose pas se déployer, sous peine de se croire égotique (ne pas oser être lumineux par crainte de simple brillance)

Ainsi nous oscillons plus ou moins entre cette « appartenance » et cette « individuation », les deux jouant leur rôle propre : sécurité, évolution.

Nous remarquerons que « devenir qui l’on a à être » est aussi une façon de participer à la « collectivité », car « collectivité » ne veut pas dire « uniformité », mais « juxtaposition des différences » en cohérence, sources d’innovations et de déploiement. Nous différencierons soigneusement l’idée d’« intelligence collective » (une intelligence pour tous, uniformisation, stagnation) et l’« intelligence coopérative » (ou les différences œuvrent en cohérence vers une évolution). La difficulté étant sans doute de trouver sa propre nature qui ne serait pas la copie de celle d’un autre, et qui respecterait autrui autant qu’on se respecterait Soi-même. Cela s’appelle l’assertivité.

5.2    Le déploiement… oser le futur

Nous noterons la différence entre le « développement », qui concerne le Moi (personnalité, brillance, énergie) et le « déploiement », qui concerne le Soi (plénitude, présence lumineuse, Vie). Le développement se réalise comme une construction avec des ajouts d’éléments ; le déploiement, lui, se réalise par la révélation de ce qui existe déjà, mais en état « replié » (un peu comme les ailes du papillon dans sa chrysalide).

Maslow évoquait cette notion de « devenir qui l’on a à être ». Leibniz, plus précis, proposait l’idée de « monades » (qui seraient des unités de conscience contenant déjà tout, mais en attente de se déployer).

« Ainsi, quoique chaque Monade créée représente tout l’univers, elle représente plus distinctement le corps qui lui est affecté particulièrement et dont elle fait l’entéléchie** : et comme ce corps exprime tout l’univers par la connexion de toute la matière dans le plein, l’âme représente aussi tout l’univers en représentant ce corps, qui lui appartient d’une manière particulière. » (Leibniz, 1999p.256)
**Entéléchie : chez Leibniz, désigne l’élément, la substance simple, la monade créée. (p.246)

« […] chaque substance simple a des rapports qui expriment toutes les autres, et qu’elle est par conséquent un miroir vivant perpétuel de l’univers ». (ibid.,p.254)

Heidegger, comme nous l’avons vu, lui, parlait de l’Être qui est l’entièreté, vers laquelle nous allons.

« Il appartient au Dasein de devoir devenir lui-même ce qu’il n’est pas encore, c'est-à-dire de l’être » (Heidegger 1986, p.297).

« Au soi-même interpellé, "rien" n’est crié, mais il se voit hélé jusqu’à lui-même, c'est-à-dire jusqu’à son pouvoir-être le plus propre » (Ibid., p.330).

« Rester en attente signifie par conséquent : n’être pas encore réuni à l’ensemble dont on fait partie » (ibid p.296).

Chacun nous propose son intuition pour énoncer quelque chose de si difficile à mettre en mots (voire à penser). Bien évidemment il est osé d’envisager que ce qui est futur existe déjà. Pourtant, même Etienne Klein, physicien et philosophe de sciences, très rigoureux, nous propose une conférence indiquant qu’à ce jour nous ne sommes pas scientifiquement en mesure de dire si le futur existe déjà ou non :

Le futur existe-t-il déjà dans l’avenir ? vidéo.

Quoi qu’il en soit, l’idée de déploiement consiste en une mise en œuvre à notre insu (inconsciente). Afin de le permettre, nous trouverons ici un autre type de symptôme : un mémorial « spécialement dédié à "celui que nous avons à être qui nous attend" » ! Curieuse proposition que de nous donner un moyen pour « ne pas oublier le futur », de ne pas oublier celui qu’on sera, dont on ne sait pas encore qui il est ! Comme le propose Phillipe Guillemant (chercheur au CNRS, physicien) :

« Se donner rendez-vous avec soi-même dans son propre futur, en usant de la possibilité de dialoguer a avec ce "double" qui y habite déjà ! » (2014, Guillemant - p.167)

« Il s’agit du moment où une trace du futur s’insinue dans notre présent comme signal ou comme une invitation à nous laisser porter par cette coïncidence, qui transporte avec elle des informations nous aidant à faire un choix. » (2014, Guillemant, p162)

Ici le symptôme ne pointe pas vers un de ceux que nous avons été pour le réhabiliter, mais vers celui que nous avons à être pour oser le rejoindre (qui peut même jouer un rôle de ressource dans notre présent).  

Cette stimulation symptomatique nous aiguillonne vers un « oser être Soi » dont nous avons vu qu’il peut être en conflit avec notre besoin d’appartenance quand il est confondu avec un « développement du Moi ». Mais aussi avec la nécessité de ne pas abîmer nos racines, car nous avons autant besoin de nos racines que de notre futur.

Par exemple : si j’ai un élan de créativité vers lequel je devrais aller pour être vraiment qui je suis, et que mes parents ont soutenu que je n’avais aucune imagination, oserais-je en ce cas aller vers cet Être créatif que je suis ?... au risque de leur donner tort et de saboter mon fondement familial ? En effet, il n’est pas sécurisant d’avoir des parents qui ont tort. Attention, il ne s’agit pas de fidélité ou de loyauté, comme on le dit habituellement, mais seulement de préservation des racines dont on ne peut se permettre qu’elles aient tort, au risque de se retrouver sans fondement, dans le vide !

On remarquera qu’en pareille situation, les tentatives de se montrer brillant aux yeux des parents échouent. La personne concernée a besoin que ses parents existent, et pour qu’ils existent elle aura besoin qu’ils aient raison... et donc se mettra inconsciemment en échec pour valider leur propos (même en tentant assidument de faire l’inverse).

La nuance à acquérir est de découvrir qu’ils ont juste « une raison » et non pas qu’ils ont « raison dans l’absolu », puis de les rencontrer (intérieurement), de leur accorder cette raison, d’être à leur égard reconnaissant et validant afin qu’ils existent… alors on peut « être Soi » sans risquer de les abîmer, sans risquer de mettre ses racines en danger.

La question est donc de savoir si nous oserons ce devenir (déploiement). Curieusement, il arrive ainsi que nous ayons des clivages avec notre psyché future. Ces clivages que nous avons envisagés concernant notre psyché passée existent parfois aussi concernant notre psyché à venir. Oser ce futur, oser devenir, peut ainsi parfois se retrouver être très inquiétant et susciter notre défiance, voire des réactions de repliement. Il s’agit ici d’éviter que des gens que l’on aime ne risquent de s’éloigner de nous au cas où cela ne leur conviendrait pas.

C’est sans doute un point très délicat où nous sommes pourtant censés être pourvoyeur d’évolution, et sans que nous nous en rendions compte (phénomène inconscient) être contributeurs à quelque chose de plus vaste que Soi. L’humanité en chemin se déploie grâce à ces multiples innovations individuelles, tout en respectant une sécurité suffisante de son intégrité et de celle de ses bases familiales, de son environnement humain, et de tout le vivant qui l’entoure.

5.3     Le meilleur de Soi-même

Ce que nous sommes de meilleur est souvent très discret au point que nous n’en avons pas conscience. Comme si nous étions aussi clivés de notre psyché future dans ses côtés les plus lumineux ! Nous sommes en hésitation avec cet « oser être Soi ». Nous pouvons saluer Abraham Maslow qui a si clairement pointé cette notion d’accomplissement de Soi :

« Cette tendance peut être formulée comme le désir de devenir de plus en plus ce que l’on est, de devenir tout ce qu’on est capable d’être. » (2008, p.66)

« J’ai découvert que le besoin d’accomplissement est beaucoup plus fort que je ne l’imaginais. » (2006, p257)

« Un homme doit être ce qu’il peut être. Il doit être vrai avec sa propre nature » (Maslow, 2008, p.66).

« Nous espérons, bien sûr, que le conseiller sera celui qui pourra favoriser l’accomplissement des individus plutôt que celui qui aidera à guérir une maladie. » 2006, p.72, 73)

« Devenir le meilleur de Soi-même » a été un aspect mal connu de la qualité du travail de Maslow. Tant d’« experts » n’ont retenu que cette célèbre pyramide dont il n’a pourtant jamais parlé, et qui hélas dénature même son propos ! La dimension existentielle (qu’il nomme « ontique ») est sans doute l’élément le plus important de ce qu’il nous a laissé. Mais il est rarement mis en exergue par ces « savants-ignorants » qui prétendent l’enseigner. Maslow propose cependant par avance une réponse à cette ignorance concernant la dimension ontique :

« Il s’agit d’une chose que non seulement nous ne connaissons pas, mais que nous avons peur de connaître » (2006. 104).

« La démonstration qu’il peut exister et qu’il existe réellement des gens merveilleux – même s’ils sont rares et s’ils ont les pieds d’argile – suffit à nous donner le courage, l’espoir, la force de continuer à lutter, à avoir foi en nous-mêmes et dans nos propres possibilités de croissances » (2008, p34).

« Si nos besoins intrinsèques deviennent dignes d’admiration au lieu de nous paraître détestables, nous désirerons certainement les libérer pour leur permettre de s’exprimer pleinement au lieu de les enfermer dans un carcan » (2008. p.120).

Ainsi l’évolution depuis la nuit des temps jusqu’à nos jours poursuit son œuvre vers le futur. Mais elle le fait à pas feutrés (de toute façon elle a le temps !), car nous sommes encore aveugles à ces processus qui, quoi qu’inconscients, ont tant de pertinence.

Mieux vaut cependant que nous n’ayons pas de pouvoir à leur sujet car, manquant de discernement, sans doute commettrions nous de grandes erreurs en les contrôlant, en les corrigeant. Les laisser « inconscients » est pour le moment une grande sagesse de la nature ! Ainsi, nous avons seulement à les accompagner dans leur justesse, et ce que nous en entrevoyons est suffisant pour modestement accomplir cela.  

retour sommaire

6    L’inconscient et l’hyper-systémie

6.1    Quels sont les champs investigués

Chacun de nous se trouve exister dans une vastitude qui le dépasse. Une vastitude spatiale (l’entièreté du monde, de tous ceux qui s’y trouvent) une vastitude temporelle (tous ceux qui y ont jadis été, et même ceux qui y seront dans le futur). Chacun de nous se place dans un « quelque part » de cette vastitude vertigineuse. Mais les interactions systémiques entre tous les Êtres et les environnements font que chacun œuvrant, là où il est, participe à cette vastitude sans avoir à y penser (heureusement). Il s’agit d’une sorte « d’écologie psychologique » du vivant ou de « permaculture existentielle ».

« Non seulement l’homme est une PARTIE de la nature, et la nature est une part de lui, mais il doit aussi être isomorphe (semblable à elle) afin d’être viable en elle. » (Maslow - 2006, p.367)

« Tôt ou tard, les hommes réapprendront à mieux s’insérer dans le grand contexte de l’univers, et ceci sous peine de disparaître. (Groddeck, 1980, p.51)

Chaque moment de notre vie est ainsi relié à tous les autres, depuis notre conception. Les événements, et le vécu que nous en avons, s’entremêlent dans une pertinence où ils s’étayent les uns les autres.

Notre propre vie s’accomplit aussi sur le socle du vécu de nos ascendants. Tous leurs vécus depuis qu’ils existent jouent en synergie avec notre propre existence. S’il se trouve des endroits meurtris où ils n’ont jamais été considérés, entendus, validés, ceux-ci restent en attente de « rencontre » , de « reconnaissance » et de « validation »... cela se passe quand bien même ces ascendants ont achevé leur parcours de vie et ne sont plus. Tout se passe comme si « l’information de leur vécu éprouvé » (à moins que ce ne soit eux-mêmes d’une façon que nous ignorons) restait patiemment dans ce NousNous, à agiter le drapeau « symptôme » afin de pouvoir rejoindre une totalité bienveillante et y contribuer. Georg Groddeck eut une façon touchante de considérer cela, par simple entendement (donc une posture chère à Thomas Reid, et qui ne démentirait pas non plus Charles Darwin :

« Je voudrais souligner ici l’impossibilité dans laquelle nous nous trouvons de déterminer avec précision le début d’une existence humaine. Même la conception n’en est pas le début absolu. Il était déjà préformé, vivant dans l’homme et dans la femme ; on peut retrouver cet être prétendument nouveau, dans ses qualités physiques ou morales, en remontant toutes les lignées de ses ancêtres. La naissance elle-même, qui pour le regard superficiel, est un début, n’est en fait qu’une étape de la vie et pas le commencement. » (Groddeck, 1980, p.82)

Ces notions d’intergénérationnel (parents, grands-parents) ou transgénérationnel (ancêtres lointains) restent néanmoins encore assez « locales ». Or l’écosystème de notre fonctionnement psychologique est aussi concerné par le vécu de l’humanité où, depuis la nuit des temps chacun œuvrant à sa propre vie, parfois à grand peine, a ainsi contribué à notre présence aujourd’hui.

6.2    Gratitude à tous les contributeurs !

Parmi d’innombrables phénomènes intelligemment enchevêtrés, il résulte, entre autres, que j’écrive ce texte et que vous le lisiez. Humble, très humble contribution, et nous penserons généreusement à tous ceux qui nous ont précédé et qui permettent à chacun de nos instants actuels d’advenir. Merci à tous ceux qui ont éprouvé et pensé tellement de choses, même s’ils ne les ont pas écrites, même si nous n’en avons pas la trace, car ils ont aussi discrètement permis notre présent, et ce que nous sommes.

Nous ne saurions, dans cet ensemble, oublier la Nature elle-même, étant un élan de la Vie s’exprimant sans relâche, en dépit de toutes les difficultés rencontrées. Charles Darwin lui-même a été touché par le fait que le vivant soit concerné par de tels ressentis :

« Les animaux inférieurs, de même que l’homme, ressentent manifestement le plaisir et la douleur, le bonheur et le malheur. » (Darwin, 2013, p.192)

Le futur qui attend son accomplissement ferait-il déjà partie de l’aventure ? Si nous en croyons Etienne Klein, ce n’est pas impossible… mais si, comme lui, nous sommes rigoureux nous n’en savons rien objectivement. Tout ce que nous savons, c’est qu’en psychothérapie, celui que nous avons à être joue dans notre psyché présente et fait partie de cette totalité en accomplissement.

Cette vastitude nous conduit à ce qu’on appelle la psychologie transpersonnelle, où se trouve concerné tout ce qui constitue le monde.  

retour sommaire

7    L’inconscient avec tendresse et confiance

7.1    La pertinence en accomplissement

Cet inconscient, si souvent décrit comme empli de sombritude, œuvre à notre insu avec plus de bienveillance que nous ne l’imaginions. Il préserve ce qu’il y a de plus lumineux en nous, afin que nous n’en perdions rien. Il prend soin de la Vie et n’en est aucunement ennemi.

Sans doute victimes des vestiges d’une ancestrale crainte des prédateurs (cela fait partie des cycles de l’évolution), nous avons fini par croire à des dangers intimes au cœur de notre propre psyché. Espérons que cette auto-défiance, telle une sorte de paranoïa de soi-même, ne soit que transitoire.

La conscience s’accomplit lentement, mais en pertinence, même si d’ancestrales réactions continuent encore à nous habiter quelques temps. Abraham Maslow a bien remarqué cette incontournable évolution ou certains « fossiles vivants » affirment encore :

« […] que les profondeurs de la nature humaine sont dangereuses, maléfiques, prédatrices et voraces ». (Maslow, 2008, p.202)

Il espère que notre sensibilité pourra s’ouvrir aux justesses en accomplissement, car sans cela les conséquences sont douloureuses :

« Toute croyance qui incite les hommes à se méfier d’eux-mêmes et des autres sans nécessité et à douter sans fondement des possibilités humaines, doit être considérée partiellement responsable des guerres, des rivalités entre les races et des massacres perpétrés au nom de la religion. » (ibid. p.107)

Nous ne pouvons plus justifier de l’inconscient pour excuser nos égarements, comme si une sorte de « mal intérieur » venait polluer notre vie. Au contraire il veille avec délicatesse à nous préserver, à nous sécuriser, à nous réhabiliter, à nous déployer.

7.2    Inestimable compagnon de vie

Depuis le début de notre existence, jusqu’à son terme, l’inconscient œuvre en allié, tant pour nous même que pour le monde. Il œuvre afin que le meilleur de notre humanité se déploie, en dépit de toutes les difficultés qui se présentent.

Il y a eu (et il y a encore), pour bien des êtres humains, des difficultés et des souffrances qui souvent dépassent l’entendement. Cela ne peut que profondément nous affliger, mais nous devons continuer à voir en ces endroits l’humanité qui habite chacun, et ne pas laisser l’horreur des faits masquer la grâce des Êtres. Sinon ce serait une double peine pour ceux qui en ont souffert, car nous ne saurions plus jamais penser à eux. Il est essentiel de continuer à voir les Êtres et à être touché par qui ils sont, où qu’ils soient, et quoi qu’ils traversent.

Notre ressource :

« Vivre dans la beauté plutôt que dans la laideur est tout aussi nécessaire pour l’homme, d’une certaine manière définissable et empirique, que la nourriture pour un ventre affamé, ou le repos pour un organisme épuisé. » (Maslow - 2006, p.66)

« A l’instar de l’arbre qui a besoin de rayons du soleil, d’eau et de nourriture, la plupart des gens ont besoin d’amour, de sécurité et de la satisfaction d’autres besoins élémentaires que seul l’extérieur peut leur fournir. » (Maslow 2008. p.219).

Notre langage

« D’ailleurs d’autres impressions, plus vagues encore, me dictent que la communication facilitée par l’usage de la langue ontique s’accompagne d’une grande intimité avec l’interlocuteur, du sentiment de partager des loyautés communes, d’œuvrer pour un même objectif, d’être en ˝sympathie˝, de ressentir comme un lien de parenté avec lui, d’en être en quelque sorte coresponsable » (2006, p.273).

La langue ontique est une sorte de « langue douce », qui sait mettre des mots ordinaires de notre langue natale sur l’existentiel, sur la délicatesse, sur la pertinence, sur la grâce, sur l’humanité.

« Cette vertu [Humanité], l’une des plus nobles dont l’homme soit doué, semble provenir incidemment de ce que nos sympathies deviennent plus délicates et se diffusent plus largement à tous les êtres sensibles. » (Darwin, 2013, p.266)

« La conscience monte à travers les vivants » (Teilhard de Chardin, 1995, p.195)

L’inconscient ne peut être une excuse à quoi que ce soit, mais il est une source inestimable de notre humanité et des pertinences à l’œuvre en nous. Comme le propose Marylène Patou-Mathis :

« […] la violence n’est pas inscrite dans nos gènes. Au contraire, il [l’Homme] a développé très tôt des comportements altruistes, à travers notamment l’empathie dont il a fait preuve envers ses semblables. Sans ce souci de l’autre, notre espèce (homo sapiens) ne serait pas apparue ou n’aurait pas survécu. […] Cette supposée "animalité en nous" est l’éternel alibi à tous nos débordements. » (Patou-Mathis, 2013, p.164)

Nous pouvons chaleureusement la remercier d’avoir rendu scientifiquement un peu de douceur et de pertinence à nos humaines et paléolithiques racines.

J’ai eu un grand plaisir à partager avec vous ces quelques impressions à propos de l’inconscient, de notre nature intime et de ses qualités. J’ai eu aussi beaucoup de plaisir à évoquer ces quelques contributeurs à notre pensée sensible.

Je vous remercie et vous félicite pour l’attention, qu’à travers cela, vous avez accordé à la Vie et à Vous-même.

Thierry TOURNEBISE

retour sommaire

Bibliographie

Darwin, Charles
-La filiation de l’homme – Honoré Champion Editeur 2013

Descartes, René
- Descartes, Œuvres Lettres - Règles pour la direction de l’esprit – La recherche de la vérité par la lumière naturelle – Méditations – Discours de la méthode  « Bibliothèque de la Pléiade » Gallimard – Lonrai, 1999  

Érasme
-Eloge de la folie - GF Flammarion 1964

Groddeck, Georg  
-Nasamecu- La nature qui guérit
– Ed Aubier Montaigne, 1980

Guillemant, Philippe
-La route du temps -Editions le temps présent 2014

Leibniz, Gottfried Wilhelm
 -Monadologie – Flammarion, 1999

Maslow, Abraham
-Être humain - Eyrolles, 2006
-Devenir le meilleur de soi-même – Eyrolles, 2008

Patou-Mathis, Marylène
-Préhistoire de la violence et de la guerre – Odile Jacob 2013

Reid, Thomas
-Recherches sur l’entendement humain d’après les principes du sens commun (1746) -Editions Vrin 2012

Teilhard de Chardin, Pierre
-Le phénomène Humain- Edition du Seuil, 1955

Zajde, Nathalie- Nathan, Tobie
-Psychothérapie démocratique – Odile Jacob 2012

Revues

Science et vie novembre 2019
« Existe-t-il vraiment un siège des émotions dans le cerveau ? »  

retour sommaire

Liens

Liens internes  

Honorer le porteur de symptôme septembre 2019
Mémoire et mémorial  novembre 2020  
Psychologie de la pertinence
mai 2015  

Liens externes

Etienne Klein
Le futur existe-t-il déjà dans l’avenir ? vidéo.

Patou-Mathis Marylène  
Marylène Patou-Mathis : "Celui qui a peint Lascaux, rien ne prouve que ce soit un homme" (franceculture.fr)

France Culture – Les Masterclasses 24/07/24
https://www.franceculture.fr/emissions/les-masterclasses/marylene-patou-mathis-celui-qui-a-peint-lascaux-rien-ne%20prouve-que%20ce-soit-un-homme  

retour sommaire