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Honorer le porteur de symptôme

pour son service opiniâtrement rendu

septembre 2019   -    © copyright Thierry TOURNEBISE

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Un symptôme psy se répète souvent pendant une ou plusieurs périodes de l’existence. Peurs, phobies, pensées obsessionnelles, ego trop fort ou trop fragile, pulsions, incapacités, addictions, troubles divers (panique, alimentaire, du comportement…), dépression, somatiques… etc. Cela signifie que celui que nous avons été au cours de notre vie a plusieurs fois porté un même symptôme. En dépit des apparences, cet inconfort, parfois majeur, permet de ne pas perdre la trace de ce qui appelle notre conscience. C’est cet aspect inattendu des psycho symptômes que nous aborderons dans les lignes qui vont suivre.

Le symptôme est un signe, qui appelle notre conscience afin de ne pas perdre la trace d’un Être inestimable que nous avons été, dont nous nous sommes clivés par survie, du fait des souffrances qu’il a éprouvées. Cet Être peut aussi être un de ceux dont nous sommes issus, oublié afin de ne pas troubler notre psyché. Ce peuvent être encore des Êtres d’une zone transpersonnelle délaissée ou mal considérée, qui n’ont pas trouvé leur place au cœur du Soi, ou même dans le monde.

Chacun de ceux que nous avons été qui ont éprouvé ce symptôme, régulièrement tout au cours de notre vie, parfois pendant de si longues périodes, mérite une considération toute particulière car nous lui devons la possibilité d’une réhabilitation ou d’un déploiement salutaire pour notre devenir, notre équilibre et notre stabilité, notre intégrité, notre complétude. Contrairement aux apparences, il n’est pas « celui qui est malade », mais « celui qui prend soin de nous conduire vers la restauration de notre santé psychique ». Nous avons juste un peu de mal à coopérer avec lui !

Sommaire

1 Le symptôme, comme un appel
- Symptômes et pathologies - Les patterns : signalétiques récurrentes - Le porteur persévérant, un allié courageux

2 La thérapie
-Première phase: identification - Deuxième phase: Le moment thérapeutique (reconnaissance validation) - Troisième phase: vérification

3 Le porteur de symptôme
-Libre de la culture de l’effacement 

-La résonance sur toute une vie – la persévérance – L’aboutissement – la gratitude

4 Le clivage et le porteur de symptôme
les temps du clivage et la sémiogénèse – Un maître de cérémonie consciencieux

5 Une magnifique prévention de la rechute
Le rôle de la rechute – le symptôme n’a pas de propriétaire -Exemples – systématique ou implicite – Le cantonnier existentiel

 

Bibliographie 
Bibliographie du site

 

1    Le symptôme, comme un appel

1.1 Symptômes et pathologies

La première difficulté est de distinguer entre les psycho-symptômes et les psychopathologies. Bien des dénominations de psychopathologies ne sont le plus souvent que de la sémiologie (noms de symptômes). En effet, ce que nous trouvons dans les nosographies (listages ordonnés des pathologies) : « trouble panique », « trouble du comportement alimentaire de type anorexique », « trouble phobique », « trouble de la personnalité », définissent plus des manifestations symptomatiques que des pathologies. La question reste donc toujours de savoir « quelle est la pathologie derrière cette manifestation » ?

Nous pouvons faire une place à part pour les phénomènes psychotiques (conscience non locale, hallucinations) qui sont plus un « trop du Soi » qu’un « clivage du moi », où un Être n’ose pas sa potentialité, ne parvient ni à la penser, ni à l’énoncer. Il est dans une « absence du moi » (pas de contenant), et un « trop du Soi » (une étendue psychique sans limites).

Lire sur ce site les publications
Psychopathologie (avril 2008)
Symptômes (juin 2011)
Comprendre la psychose (octobre 2012)

La difficulté en psychologie et en psychiatrie est de bien distinguer entre sémiologie (symptômes) et pathologies (maladies proprement dites), puis de déterminer l’étiologie (origine des pathologies). S’il est reconnu en psychiatrie que l’origine des maladies mentales (étiologie) est encore à ce jour inconnue de façon objectivable, il reste hélas confus de distinguer clairement entre « sémiologie » et « pathologie » (c’est-à-dire entre symptômes et maladies). Par exemple « un trouble phobique » énoncé comme une pathologie, n’est en fait qu’une manifestation sémiologique ! De ce fait, quelle est la pathologie correspondante ?

Par exemple dans le cadre d’un trouble du comportement alimentaire de type anorexique (aussi énoncé comme une pathologie), le patient mange très peu, trop peu, il peut même se retrouver physiologiquement en danger. En fait, il s’agit plus d’une manifestation sémiologique que pathologique ! Pourtant, les thérapies envisagées sont souvent de type comportementale, visant à retrouver une association correcte entre la nourriture et des avantages source de plaisir, afin de se défaire d’une « programmation » de type « désavantage » portant à ne pas manger. Le principe étiologique supposé, ici pris en compte, est un apprentissage erroné qui doit être corrigé.

Pourtant, la source de cet éloignement de la nourriture peut être d’un tout autre ordre : par exemple elle peut venir d’une difficulté avec son corps qui « ne doit pas se développer » (souvent lié à la sexualisation perturbée du corps et à des expériences douloureuses vécues à ce sujet), où aussi à un « rejet corporel » du fait du rejet d’une vie « incarnée » (pour des raisons spirituelles ou des expériences transpersonnelles indicibles), ou encore pour des « raisons transgénérationnelles » liées à des expériences douloureuses de parents en déportation... ou bien d’autres choses également qui ne nous viennent pas à l’esprit, mais qui vont concerner un patient donné, quand bien même l’on n’en a jamais entendu parler dans notre expérience de praticien.

Mais alors quelle est la pathologie (maladie) proprement dite hors sémiologie (symptômes) ? Et quelle en est l’étiologie (la cause) afin de mieux cibler le soin approprié.

On ne peut réduire la guérison d’un sujet à la disparition de ses symptômes, surtout si ceux-ci sont un message essentiel à son équilibre. De ce fait, pour une « guérison », toucher aux symptômes sans se préoccuper de l’étiologie risque d’être un leurre dangereux, un peu comme avec le corps si l’on fait tomber la température sans soigner l’état infectieux qui la provoque.

La pathologie proprement dite semble être un clivage de la psyché (un clivage du Soi et non  un clivage du moi) engendré par une réaction de survie : clivage du patient d’avec celui qu’il était lors d’une expérience personnelle traumatique, ou clivage d’avec son corps qui vit une expérience indésirable, ou même clivage d’avec son corps dont existentiellement il ne veut pas (visée ontique ne souhaitant pas de perturbation corporelle), ou encore un clivage transgénérationnel (avec un ascendant ayant vécu un trauma), ou  même un clivage transpersonnel (hors biographie et hors lignée, concernant le monde).

Les clivages semblent être la pathologie (maladies), les traumas en être l’étiologie (causes). Mais pour être plus précis, l’étiologie ne vient pas de l’événement traumatique lui-même, mais de la pulsion de survie qui a produit le clivage psychique pour des raisons de sécurité émotionnelle (une sorte de disjoncteur perfectionné coupant le contact en situation de charge émotionnelle importante). Ce n’est pas le trauma qui clive la psyché sous le choc, mais la psyché qui se clive elle-même pour le supporter. En fait l’événement n’est pas traumatique par lui-même, mais c’est la façon de le vivre, en fonction de ce dont on dispose pour y faire face, qui va rendre nécessaire l’intervention de la pulsion de survie produisant le clivage salutaire. Bien sûr, il doit être entendu que certains événements ne peuvent être vécus paisiblement par qui que ce soit, mais simplement de façon plus ou moins bouleversée, plus ou moins résiliente.

Donc, notre thème du « porteur de symptôme » devient intéressant en ce sens où si l’on ne fait que supprimer le symptôme, l’on ne fait qu’effacer un signal (et détruire son travail !).  Comprenons bien qu’un pompier n’est pas plus efficace s’il coupe la sirène plutôt que de s’occuper du feu !  Quand l’on tente d’éteindre le symptôme sans se préoccuper de sa nécessité, alors ce qui en nous le produisait va devoir en déplacer la manifestation. Cela accroît le travail du porteur de symptôme ! Il est pareil à celui qui ferait en sorte de ne pas éteindre la sirène tant qu’il y a le feu. La psychologie et la psychiatrie pourtant connaissent bien ces phénomènes de déplacement des manifestations. En dépit de cela, trop de praticiens cherchent encore à simplement les effacer, et la littérature n’est pas très riche à ce sujet. Nous trouvons une exception avec le psychiatre Stanislav Grof :

« Selon ce point de vue, toute tentative pour dissimuler ou soulager des symptômes devrait être considérée non seulement comme une fuite devant le problème, mais encore comme une interférence avec les tendances spontanées à la résolution de l’organisme » (Grof, 1996, p.389)

En fait, les symptômes sont des indicateurs à « bichonner » car ils appellent la conscience du patient vers ce qui, en lui, attend reconnaissance et validation. Ils sont un peu comme les sonneries personnalisées d’un smartphone qui, avec le type de sonneries préprogrammées, permettent de savoir qui appelle (un proche, un membre de la famille, un collègue, un inconnu).

1.2 Les patterns : signalétiques récurrentes

Un symptôme est rarement en apparition isolée. Comme dans l’exemple du smartphone, si nous ne répondons pas, l’appel est renouvelé, surtout s’il s’agit d’une personne qui nous concerne.

Ceci nous indique aussi que, quand il y a eu réponse à l’appel, la « sonnerie » cesse… le symptôme disparait. Comprenons bien qu’il ne disparaît pas du fait qu’on l’a supprimé (ou « guéri »), mais simplement du fait qu’il cesse d’être nécessaire quand la conscience a accepté d’être interpellée par ce qui, dans la psyché, attendait son attention.

La réticence à répondre à cet appel fait que la manifestation se répète de nombreuses fois au cours de l’existence. Ces manifestations récurrentes, pareilles à d’infatigables motifs comportementaux ou émotionnels, se répètent inlassablement en diverses circonstances.

La psychologie a retenu le mot « pattern » pour désigner cette répétition. Ce mot signifie « patron », « modèle ». Il est aussi utilisé en musique, en graphisme, en architecture… En couture par exemple, tout se passe ici comme s’il l’on avait un patron standard qui nous fait répéter le même costume quelle que soit l’étoffe que l’on nous propose. Et, en psychologie, l’on aura la même émotion quelles que soient les circonstances que nous propose la vie.

La répétition du symptôme sera ainsi assez têtue pour que l’on finisse par s’y ouvrir. D’autant que, moins l’on y répond et plus on la rejette ou même l’ignore… plus elle va amplifier son intensité… un peu comme ces réveils dont le volume de la sonnerie augmente quand on ne se réveille pas !

Cette signalétique récurrente est bienvenue du fait que nous sommes naturellement assez peu attentifs à elle, et même que nous avons eu culturellement l’apprentissage de les étouffer, les ignorer, les compenser, les masquer etc.

Ainsi, parmi tous ceux que nous avons été, nombreux sont ceux qui ont fait l’expérience de ces manifestions appelant la conscience. Chacun d’entre eux a vécu une expérience plus ou moins éprouvante pris entre, d’un côté la manifestation qui appelle la conscience, et de l’autre cette attitude quasi réflexe de ne pas s’y ouvrir, de l’éviter, ou même de la supprimer.

Même quand une thérapie est aboutie (nous verrons plus loin ce que peut être une thérapie aboutie), il s’agit de ne pas oublier de prendre soin de chacun des porteurs de symptômes que nous avons été, car ils ont œuvré en vue de cet aboutissement.

1.3 Le porteur persévérant, un allié courageux

Celui que nous sommes à chaque manifestation a le mérite de « porter » ce symptôme. Il porte cette manifestation et la brandit, comme une sensation « inconfortable » car, justement du fait de cet inconfort, elle risque d’être remarquée. Cela conduit éventuellement à une thérapie.

Quand cette thérapie est aboutie, que l’Être qui appelait la conscience est réhabilité, les clivages remédiés, les déploiements accomplis, cela fait que le symptôme n’est plus nécessaire, qu’il ne se manifeste plus. C’est déjà une étape très importante que bien des praticiens (et patients) souhaitent atteindre.

Mais il reste souvent à s’occuper de tous ceux que nous avons été et qui ont entretenu ce chemin vers cette zone inestimable de Soi en quête de reconnaissance (existentielle) et de validation (de ses ressentis éprouvés). Pareils à des « cantonniers existentiels » les porteurs de symptômes entretiennent ce sentier du senti afin que la conscience ne perde pas la trace du sacré qui attend en elle de se révéler, de ne plus être mélangé avec « ce qui s’est passé lors du trauma », d’être enfin reconnu comme « l’Être que nous étions à ce moment-là » et non plus comme un amalgame informe et infréquentable.

Sans cette multitude persévérante de tous ceux que nous avons été, qui ont éprouvé laborieusement ce symptôme en dépit de tous nos efforts pour le faire disparaître, la thérapie n’aurait pas été possible. Un effort et une pénibilité qui méritent d’être pris en compte, car sans eux la complétude n’aurait pu être retrouvée.

Ainsi, dans une thérapie bien menée, il ne suffit pas de réhabiliter les éléments clivés de la psyché (les « à part du Soi » coupés du « Soi »), d’accomplir les déploiements, (expansions et révélations du « Soi ») mais ensuite, aussi, d’être en gratitude envers tous ceux que le patient a été, qui ont permis cela grâce à une persévérance assidue des manifestations. Il importe de comprendre que la vie qui suit, libre des manifestations inconfortables, ayant eu accès à l’intégrité et au déploiement, ne peut s’envisager sans avoir donné une noble place en soi aussi à ce porteur de symptôme, généreux et laborieux contributeur de l’accomplissement réalisé.

Cet aspect essentiel de la thérapie est rarement évoqué. Nous trouvons même parfois l’inverse, qui se décline ainsi : ne plus rechuter vers cette abomination que nous étions avec ce symptôme encombrant… et nous en défaire définitivement, motivé par le rejet (voire la haine) que nous avons culturellement appris à avoir à son égard. Paradigme malencontreux de la détestation qui conduit immanquablement à la rechute, car elle devient le seul moyen restant pour le retrouver, au moins ne plus le détester, et si possible le rejoindre un peu en amitié, voire en amour.

Concernant la notion de « thérapie aboutie », avant de revenir au fait d’honorer le porteur de symptôme, revisitons les étapes « types » d’une thérapie, même si rien ne peut être enfermé dans un protocole contraignant car il ne s’agit pas de « faire ce qu’il faut faire », mais plutôt de savoir s’ajuster à ce qui attend de s’accomplir.

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2    La thérapie

2.1 Première phase : Identification

Le patient vient voir le psychiatre, le psychologue, le psychothérapeute, le psychopraticien, avec des manifestations qui encombrent un peu sa vie. La première phase consiste à trouver celui qui appelle en lui à travers ces manifestations souvent gênantes telles que : personnalité fragile, caractère irascible, troubles paniques, addictions, dépression, difficultés sexuelles, conflits familiaux, boulimie, somatiques, phobies, pensées obsessionnelles, difficulté conjugale, crainte d’être parent, mal être social, émotivité, colères intempestives… etc.

La première question que doit se poser le psychopraticien est « Qui sollicite ainsi l’attention du patient au cœur de sa psyché, à travers de telles manifestations ? ». Il n’est pas question pour autant pour lui de mener une enquête. Le praticien va simplement se laisser porter sur le « sentier du senti », car il n’y a qu’à suivre ce flux porteur, plutôt que de chercher quoi que ce soit. J’ai écrit en janvier 2019 « S’ouvrir à ce qui appelle et non chercher ce qui se cache » afin de sensibiliser les professionnels à cet aspect essentiel.

Le DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) propose que le symptôme soit la manifestation d’un dysfonctionnement, comportemental psychologique, ou biologique de l’individu (DSM IVTR XXXV). Bien avant, Sigmund Freud a posé l’idée que le symptôme était un moyen de dissimulation nécessitant beaucoup d’ingéniosité chez le psychanalyste pour cerner la profondeur réelle de la problématique.

L’on peut pourtant envisager un paradigme différent, et même inverse : le symptôme n’est pas un moyen de dissimulation mais au contraire un moyen de révélation. Il ne manifeste pas forcément un dysfonctionnement, mais peut être le signe d’une pertinence à l’œuvre visant l’accomplissement d’une remédiation ou d’un déploiement. Il ne s’agit là ni d’une simplification, ni d’une tentative de rendre élégante la théorie concernant les symptômes. Il s’agit simplement d’une observation clinique conduisant le plus souvent aux résultats attendus, rapidement et sans déplacements. (voir la publication de mai 2015  « Psychologie de la pertinence », ou la vidéo sur ce thème).

De ce fait, ce qui appelle la conscience du patient à travers son ou ses symptômes sera identifié en écoutant soigneusement la façon dont ils sont ressentis. Ce qui est éprouvé dans le présent par le patient comporte même souvent des analogies avec ce qu’éprouva jadis celui qu’il était lors du trauma qui engendra le clivage.

Pour l’identifier (je ne dis pas le « localiser » car le phénomène n’est pas spatial), le praticien conduira son patient à écouter et décrire avec soin ce qu’il éprouve en émotion ou en somatique. De questions en réponses et de réponses en questions, la précision des ressentis le mène inéluctablement là où sa conscience est attendue.

Cela s’appelle en maïeusthésie « Guidage non directif », chez Max Pagès « Orientation non directive », chez les cognitivistes « Découverte guidée » (Daniel Nollet, 2004, p.161), chez les praticiens en focusing « écoute du felt sens » (Gendlin, 2006). Mais en maïeusthésie (comme en focusing), la finalité est d’identifier ce qui appelle la conscience en quête de reconnaissance et de validation, et non la correction de quoi que ce soit. Cette notion est développée en détail sur ce site dans la publication de janvier 2012 « Non directivité et validation ».

C’est généralement la partie la plus longue de la thérapie, même si cela peut parfois être très rapide.

Le praticien qui pose les questions est continuellement en réjouissance potentielle, car, en état de non savoir, il n’attend pas les bonnes réponses… il s’y attend. Chaque nouveau pas est une avancée. Quoi que réponde le patient, le praticien a confiance dans la justesse de ce qui est énoncé. Même une résistance apparente chez celui-ci n’est qu’un réajustement de la trajectoire, venant aider le praticien à gagner en pertinence, en justesse, en proximité.

De cette connivence entre le patient et le praticien émerge un cheminement efficient. Il le sera encore plus si le praticien est aussi en connivence avec ce qui appelle la conscience du patient, avant même de savoir de qui il s’agit. Les publications « La posture du praticien » (décembre 2007) et surtout « L’emplacement subjectif du praticien » (septembre  2016) traitent en détail de cela.

Une fois identifié celui qui appelle la conscience du patient au cœur de sa psyché, reste à accomplir le moment thérapeutique proprement dit. 

2.2 Deuxième phase : le moment thérapeutique (reconnaissance et validation)

L’apaisement n’est pas la finalité visée par le praticien. Le praticien vise l’accompagnement de l’accomplissement de ce qui est en cours, c’est à dire l’accomplissement de la remédiation ou du déploiement annoncés implicitement par le symptôme. L’apaisement en est la conséquence mais n’est pas le projet. Le praticien est un facilitateur de l’accomplissement des processus en cours et non un correcteur ou un éliminateur de quoi que ce soit en vue d’une finalité qui serait l’apaisement, car alors celui-ci serait artificiel et conduirait à des déplacements de symptômes.

L’apaisement est donc juste une conséquence, dont la survenue nous sera utile dans la phase suivante de vérification, mais pas une finalité. Cet apaisement suit naturellement la phase thérapeutique proprement dite, qui doit être distinguée de l’identification qui, elle, n’est source d’aucun apaisement si on n’y ajoute rien. Une fois identifié(e) celui ou celle qui appelle la conscience du patient au cœur de sa psyché, il faut bien comprendre qu’aucune élaboration cognitive ne sera vraiment thérapeutique. Il ne s’agit pas tant ici de comprendre les faits que de rencontrer celui qui les a vécus. Rien ne sert de réfléchir ou de cogiter, il importe plutôt d’accorder de la reconnaissance à cet Être et de valider ce qu’il a éprouvé.

Celui qui appelle la conscience a donc désormais été identifié. Qu’il se situe dans le passé ou le futur, qu’il s’agisse du corps physique ou d’organes, que ces zones soient biographiques, transgénérationnelles ou même des zones transpersonnelles… le mode opératoire sera sensiblement le même : il s’agira d’accomplir une reconnaissance avec considération* de l’Être identifié (parfois plusieurs ensembles), puis une validation de son (leur) éprouvé en termes de nature (quelles sensations ou émotions) et de dimension (à quel point).

*Etymologie de « considération » : être ensemble des étoiles en constellation

Il se trouve en plus que le patient, grâce à son symptôme, est devenu un expert de cet éprouvé qui n’a jamais été validé. Tout se passe un peu comme s’il avait passé sa vie à porter un étalon de mesure qui, au moment de la retrouvaille, lui servira à mieux valider l’éprouvé de celui qu’il était et qui appelait sa conscience depuis tout ce temps (parfois des décennies… ou même plus en transgénérationnel ou en transpersonnel).

La reconnaissance (connivence existentielle) et la validation (dimension de l’éprouvé) ayant été accomplies, l’Être identifié n’est plus mélangé aux circonstances qui s’étaient passées (aussi graves qu’elles aient pu être) et retrouve sa nature existentielle et sa place au cœur de la psyché. Le Soi retrouve ainsi son intégrité, ou a pu accomplir son déploiement (devenir qui il a à être). La phase thérapeutique est accomplie.

2.3 Troisième phase : vérification

Une fois la première et la deuxième phase accomplies, il reste à attester la réalité de cet accomplissement.

Bien sûr, comme pour tout le reste il ne s’agit que de réalités subjectives. Comprenons bien que « réalité subjective » ne signifie pas « imaginaire ». En effet, même si elle n’est pas objectivable (c’est-à-dire mesurable) elle n’en est pas moins une réalité pour autant, que le patient éprouve de façon tangible. Concernant la délicate notion de « réalité » vous pouvez lire la publication d’avril 2018 « La réalité, les vérités et le réel ».

Cette « réalité subjective », désormais éprouvée après la phase thérapeutique, sera abordée à trois endroits distincts, afin de vérifier la justesse de ce qui a été accompli ainsi que son aboutissement suffisant (je dis « suffisant » car il peut y avoir des « bonus » à découvrir ultérieurement).

1/Cela sera abordé au niveau du patient lui-même :

Comment se sent-il par rapport à cet « Être de Soi clivé » qu’il vient de rencontrer et de réhabiliter ? Si le patient peine à répondre, le praticien sera accompagnant avec un QCM (question à choix multiple) ou une question fermée (réponse par oui ou non) : « Est-ce comme tout à l’heure ou bien est-ce différent ? », puis si c’est différent, « C’est différent de quelle manière : plutôt mieux, plutôt moins bien ? » Puis selon la réponse, invitation à la précision : « Mieux de quelle manière ? » afin de boucler la validation de l’accomplissement, ou « Moins bien de quelle manière ? », afin d’ouvrir la nouvelle piste qui attend d’être empruntée.

2/La même chose sera réalisée avec l’Être identifié (biographique, transgénérationnel ou transpersonnel) :

Comment se sent-il après ce que nous venons de faire ? (même accompagnement facilitateur en cas de réponse difficile).

3/Puis enfin vérification du symptôme initial :

La sonnerie de l’alerte appelle-t-elle encore, ou bien n’est-elle plus là, ou bien est-elle là différemment (toujours le même accompagnement facilitateur en cas de besoin) ?

Dans tous les cas, après un aboutissement, même partiel, il serait incohérent de poursuivre sans le prendre en compte, sans le valider, sans prendre un moment de « contemplation » de ce qui est accompli. Ne serait-ce que comme un pallier pour reprendre son souffle, ou comme un profond moment d’émerveillement face à la pertinence qui s’est réalisée, comme si l’on avait l’opportunité d’un panorama où la Vie s’offre à notre perception subtile.

2.4 Penser aux porteurs de symptôme

Concernant les porteurs de symptômes, qui ont péniblement porté cet éprouvé pendant tant de temps, parfois tant d’années ou de décennies, il reste souvent une phase à ne pas oublier.

S’agit-il d’une quatrième phase ou bien cela doit-il être inclus dans ce qui précède ? Peu importe, cette notion doit seulement être présente à l’esprit durant tout le parcours.

Celui qui a porté le symptôme, pareil à un cantonnier existentiel, a maintenu à grand peine un chemin praticable jusqu’à cet « à part de Soi » inestimable, quasi sacré, qui attend reconnaissance et validation afin de nous rendre notre intégrité, notre assurance, notre stabilité, notre « socle ontique ». Abordons dans le chapitre suivant plus en détail cet aspect essentiel d’un accompagnement, si souvent oublié, voire même si souvent contrarié qu’il en devient alors source de rechutes.

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3    Le porteur de symptôme

3.1 Libre de la culture de l’effacement

Victimes innocentes d’une culture de la purification (catharsis), de la correction, du combat, de l’élimination… et plus loin de nous de l’exorcisme, nous tombons souvent à notre insu dans un inexorable combat contre le mal. Peut-être aussi avons-nous une empreinte phylogénétique nous plaçant de façon ancestrale en rejet du prédateur… et quand il n’est plus extérieur, il reste le risque d’un « prédateur intérieur ».

Depuis les anciennes méthodes métaphysiques, jusqu’à nos contemporaines attitudes plus ou moins fondées scientifiquement, le dogme du combat, de la correction, de la rectification persiste, que les méthodes soient psychothérapeutiques ou chimiques.

Dans un tel environnement envisager le paradigme de la pertinence, de la justesse en accomplissement, est presque un défi. Nous devons cependant rester prudents de ne pas opter pour quelque chose qui seulement nous satisferait mieux intellectuellement. Notre axe doit rester empiriquement vérifié. Il ne s’agit pas non plus d’abandonner, et encore moins de mépriser les anciens « paradigmes purgateurs », mais seulement de ne plus les prendre comme possibilité exclusive. Quand une seule possibilité est envisagée, cela nous place dans une cécité d’inattention rendant invisible tout ce qui est hors du champ prévu par la théorie.

Donc, notre premier pas n’est pas d’abandonner l’ancien paradigme, mais d’y ajouter une nouvelle possibilité, quand bien même celle-ci nous dit le contraire de ce qu’on a toujours cru.

C’est ainsi que le paradigme de la pertinence* nous permet une grande avancée.

*Vous pouvez lire sur ce site la publication « Psychologie de la pertinence » (mai 2015) ou voir la conférence à l’hôpital psychiatrique de Neuchâtel sur ce même thème (mai 2018).

3.2 La résonnance sur toute une vie

Nous remarquons empiriquement qu’au cours d’une vie, un même symptôme se répète souvent (les patterns évoqués précédemment). Ce qui fait qu’au cours de son existence un Être traverse régulièrement des interpellations, et cela d’autant plus souvent et fortement qu’il y reste sourd ou tente de les supprimer.

Tout se passe comme s’il y avait un épicentre situé « là » (mais ce n’est pas un lieu) où se trouve cet « à part de Soi » qui nous appelle. L’information s’y déploie sur toute « l’étendue » de la psyché, afin qu’elle soit perceptible de n’importe « où ». Un peu comme pour la gravitation en astrophysique, sa portée est infinie, ou un peu comme en mécanique quantique une sorte d’intrication fait que tout ce qui est concerné est en résonnance simultanée (phénomène de non-séparabilité). De ce fait, cette information se trouve à plusieurs « endroits » de la psyché en même temps (car c’est atemporel). Vous remarquerez que j’utilise des mots inadaptés pour désigner quelque chose qui n’est pas spatial : « où », « là », « endroit », « étendue ». Mais notre intellect n’a pas prévu de mots pour évoquer cette contemporanéité de phénomènes originaires de différentes époques, ni la possibilité que des éléments soient distincts sans pour autant se trouver en des lieux différents.

Ce phénomène de résonnance maintient le symptôme actif en différents endroits de la vie, afin que le signal ne soit pas perdu. Cela fait de chacun de ceux que nous avons été lorsqu’il se manifeste : un « porteur de symptôme ». Sans le savoir, ce « porteur de symptôme » garde disponible le chemin que nous n’empruntons pas, en vue d’une opportunité qui le permettra ultérieurement.

3.3 La persévérance

Ce « porteur de symptôme » est extrêmement persévérant, en ce sens où, quels que soient nos efforts pour éteindre le signal, il le maintient disponible. Sans doute ne le fait-il pas exprès, mais il est mû par un élan de pertinence intime qui ne lui permet pas de faire autrement. De ce fait il en est éprouvé à chaque fois.

Il semble que la vie soit têtue et de ce fait le parcours de ce « porteur de symptôme » est assez éprouvant.

Quand la thérapie est aboutie, il mérite un peu de considération, car nous lui devons d’avoir pu accomplir ces retrouvailles au cœur du Soi.

3.4 L’aboutissement

L’aboutissement est marqué par l’apaisement et la disparition du symptôme, après que la remédiation ou le déploiement soient accomplis. Le sujet se sent plus lui-même et plus en paix, sans artifices d’aucune sorte.

C’est comme un souffle existentiel qui s’accomplit dès que l’énergie, telle une danseuse, lâche sa chorégraphie sur la musique de la Vie. L’existence se déroule ainsi un peu comme un ballet de pertinences où les « postures purgatives » apparaissent comme des « faux pas », où la musique ne se décourage pas et continue son invitation à danser.

3.5 La gratitude

Une telle persévérance mérite de la gratitude. Finir une thérapie sans avoir cela à l’esprit laisse une incomplétude. Pire que cela, quand il s’agit de symptômes ou de pathologies dommageables, cela expose à des rechutes. En particulier en cas d’addiction alcoolique, ou à d’autres substances psychotropes.

Soit cette gratitude est implicite et cela suffit. Elle s’infuse ainsi depuis une posture du praticien permettant celle du patient. Soit elle est explicitement exprimée comme une invitation active de la part du praticien envers le patient. Il s’agit alors d’une remédiation complémentaire à accomplir : aimer celui que nous étions et qui a porté le symptôme, valider sa laborieuse contribution et lui en témoigner de la reconnaissance, comme ayant pleinement contribué à notre complétude.

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4    Le clivage et le porteur de symptôme

4.1 Le temps du clivage et la sémiogénèse

Au premier instant du trauma, par réaction spontanée de survie, un clivage se produit au sein de la psyché. Une sorte de « à part de Soi » se distingue, s’efface, se dissimule un peu à l’écart du Soi. Ainsi, la psyché s’auto-clive par survie face au trauma. Rappelons-nous que ce n’est pas le trauma qui la brise, mais sa propre pulsion de survie qui la clive face au trauma, afin préserver un équilibre optimum.

Sándor Ferenczi, psychanalyste contemporain de Freud avait remarqué ce phénomène (cité par Nathalie Zajde dans un ouvrage co-écrit avec Tobie Nathan) :

« Une partie de l’être reste en éveil tandis que l’autre, la partie sensible, disparaît littéralement sous le choc […] il est devenu deux, […] » (Nathalie Zajde (2012, p.180,181)

Ce clivage est d’un côté salutaire (le Tout est préservé d’une émotion localement trop intense), mais d’un autre il prive le Soi d’un élément sans lequel il perd sa complétude.

Cette complétude ne sera pas retrouvée en racontant la circonstance traumatique. Là aussi Ferenczi a remarqué :

« A quoi bon réveiller les vécus douloureux si c’est pour leur conférer une nouvelle recrudescence » (ibid, p.182,183)

Ainsi, il ne s’agira jamais de raconter ce qui s’est passé, sauf peut-être en defusing juste après le trauma, mais plutôt de « rencontrer » celui que nous étions et qui l’a éprouvé. (voire la publication de mai 2017  « Post traumatique »).

Dès l’après clivage, aussitôt, une pulsion de Vie s’enclenche pour ne pas perdre cet « à part de Soi » : elle produit le symptôme. Nous avons là une sorte de « sémiogénèse ». Par ce moyen, le jour venu, quand une nouvelle maturité le permettra, une restauration (remédiation) pourra s’accomplir. Une fois le contact restauré, entre le « Soi » et cet « à part de Soi », la pulsion de Vie cesse de manifester le symptôme qui n’a plus lieu d’être.

4.2 L’« à part de Soi » toujours présent

Il importe de comprendre que chez le patient, cet « à part de Soi » (l’Être clivé) vers lequel pointe le symptôme, est là tout au long de la vie. Il est là dès le clivage, et ne cesse jamais d’être « là », « à côté » du patient pendant tout son temps d’existence, jusqu’au moment où il acceptera de le rencontrer, de lui accorder reconnaissance et validation (soit spontanément, soit accompagné par un praticien).

De ce fait, ce n’est pas un « Être de Soi » venant d’un passé que l’on se rappelle, car il n’a jamais cessé d’être là depuis tout ce temps. C’est un Être de Soi qui n’a jamais cessé d’être là et que l’on rencontre dans un présent qui ne finit pas.

Aucun travail de mémoire, au sens habituel du terme, n’est à réaliser : on ne se le rappelle pas puisqu’il est « là » depuis tout ce temps et que le symptôme pointe vers lui en permanence. Mieux que cela, on ne cherche pas à se rappeler ce qu’il a vécu, on le lui demande, tout simplement comme une information de première main !  La surprise est même que ce qu’il nous révèle avoir éprouvé est parfois différent jusqu’à l’opposé de ce qu’on se rappelle par un simple jeu de mémoire. En effet la mémoire est une reconstruction, alors que là c’est une information directe.

4.3 Un maître de cérémonie consciencieux

Depuis le moment du clivage, celui qu’on était attend. Il ne cesse jamais d’être là, mais le contact est simplement coupé par sécurité, tant que l’on ne sait pas encore distinguer entre « ce qui s’est passé » sur le plan événementiel et « celui qui l’a éprouvé » dans sa dimension existentielle.

Alors, celui que l’on est, à chaque manifestation symptomatique de notre existence, veille involontairement à la commémoration régulière de celui-ci qu’on était, afin de ne pas manquer un jour de le retrouver et de l’accueillir dans le « chez Soi d’Humanité » de la psyché. Il porte le symptôme, souvent contre son gré, mais il le porte tout de même. Cela peut durer longtemps, parfois toute une vie, car, comme nous l’avons vu, la culture purgative et éliminatrice est tenace.

L’« à part de Soi » est patient, la pulsion de Vie tenace, le symptôme têtu… et le porteur de symptôme consciencieux et méritant. Tant d’inconforts éprouvés afin que les commémorations soient efficientes, que la remédiation ou le déploiement puissent un jour s’accomplir… tant de contributions méritent un peu de considération.

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5    Une magnifique prévention de la rechute

5.1 Le rôle de la rechute

La rechute, tant redoutée dans bien des psychopathologies, joue un rôle particulier : soit l’on n’a pas accompli ce à quoi servait la manifestation (symptôme) en termes de remédiation ou de déploiement ; soit (et voilà la raison de cette publication) l’on a oublié, voire méprisé, celui qui pendant tout ce temps passé a porté le symptôme. Dans chacun de ces deux cas la rechute est une invitation à finaliser ce qui a été abandonné en cours de route.

Une fois le trouble passé, le patient risque de considérer ce temps où il en souffrait comme un mauvais souvenir qu’il convient d’oublier afin de rendre l’avenir plus serein. Mais alors cet avenir se retrouve amputé de tout ce pan de sa vie où il portait le symptôme. Nous avons là un clivage d’un nouveau type.

Pour que la psyché aboutisse à sa complétude, le symptôme devra œuvrer de nouveau, afin que celui qui le portait ne soit pas exclu de l’intimité de cette humanité intérieure.

En pareil cas, la rechute ne signe pas un échec de la thérapie mais une nouvelle invitation, là où un Être de Soi a été oublié. Soit l’« Être de Soi » qui appelait n’a pas été identifié, soit il a été identifié mais la remédiation n’a pas été accomplie, soit il a été identifié, la remédiation a été accomplie, mais le porteur de symptôme a été oublié, voire méprisé. La résurgence du symptôme invite alors à se remettre en marche vers la complétude attendue.

5.2 Le symptôme n’a pas de propriétaire

L’attention du praticien se porte vers les Êtres en priorité : le patient, mais aussi surtout l’Être émergeant qui appelle la conscience du patient. Cet Être émergeant est même prioritaire, et le praticien est censé être en connivence avec lui. Il ne doit pas non plus oublier le porteur de symptôme, c’est à dire celui que le patient a été sa vie durant, détenteur de cet « outil de mesure et d’orientation » qui permettra de retrouver et de valider celui qu’il était, clivé depuis tout ce temps.

Cette sensation ressentie pendant tout ce temps (symptôme) est un outil de mesure et un indicateur. Il n’appartient à personne et n’est aucunement à rendre à qui que ce soit. Le symptôme n’est la propriété de personne, il n’est là que pour permettre un chemin entre deux Êtres dont dépendent la complétude du Soi. Quand ce travail est accompli, il disparaît naturellement et il n’y a à se débarrasser de rien, ni à rendre quoi que ce soit à qui que ce soit… si ce n’est peut-être de lui rendre un hommage pour ce service inestimable qu’il a rendu. Sa source en est uniquement la pulsion de Vie qui, garante de la complétude et de l’intégrité, le produit à des fins de remédiation.

Les thérapies où l’on invite à « rendre ce ressenti à son propriétaire » (par exemple un aïeul qui a été clivé du fait de son vécu éprouvant), sont quelque peu maladroites (peut-être même parfois dangereuses). En effet, le symptôme n’appartient pas à cet aïeul qui a eu le ressenti. Emis par la pulsion de Vie, il a juste permis de le retrouver pour lui accorder la reconnaissance qui lui revient avec justesse, et pour valider son ressenti dont personne n’a pris la mesure effective. Le lui rendre est déplacé, quand bien même cela se ferait avec gentillesse. Effectivement le vécu éprouvé par cet aïeul lors de son époque est bien le sien, mais pas celui du symptôme. Celui du symptôme n’est qu’un médiateur qui n’appartient à personne en particulier. Il est juste un moyen permettant une remédiation en vue d’une complétude de la psyché, que ce soit au niveau biographique, au niveau transgénérationnel, ou au niveau transpersonnel.

5.3 Exemples

Nous pouvons illustrer le phénomène du « porteur de symptôme » à travers les trois exemples suivants, très différents les uns des autres. Juste trois exemples pour décrire un phénomène qui concerne quasiment toutes les situations.

5.3.1    Exemple avec une dépendance alcoolique :

La nécessité d’honorer le porteur de symptôme est particulièrement forte dans le cas de l’addiction à l’alcool. L’alcoolisme peut être un symptôme vrai (pointant dans une zone de la psyché où une remédiation est attendue), ou un symptôme écran venant cacher ou anesthésier un symptôme vrai insupportable (phobie, deuil …etc.). Dans ce dernier cas, il ne s’agit pas de s’occuper de la dépendance alcoolique, mais plutôt du symptôme vrai qui se trouve derrière le symptôme écran qu’est l’alcoolisme.

Dans le cas d’une addiction alcoolique « symptôme vrai », j’ai vu des patients qui, en pensant à l’alcool, voient par exemple aussitôt un père ou une mère qui étaient eux-mêmes en dépendance. A ce stade il y a au moins deux pôles à considérer : la reconnaissance de l’enfant qu’était le patient face à ce père ou à cette mère, et la validation des éprouvés de celui-ci. Mais aussi, le patient faisant équipe avec l’enfant qu’il était : ils auront ensemble un regard envers le parent. Ils auront ensemble (chacun, seul, le peut difficilement ; mais à deux cela devient possible) une écoute attentive, une reconnaissance de l’Être qu’était le parent (parfois jusqu’à son enfance), et une validation de ses ressentis éprouvés.

A supposer que tout ce parcours ait été accompli de la meilleure façon qui soit, et le sevrage réalisé, il reste un point capital : que faisons-nous de celui qu’était le patient dans la période alcoolisée ? Si maladroitement cette zone de vie est oubliée, ou pire rejetée comme un mauvais souvenir, voire considérée comme suffisamment méprisable pour l’utiliser tel un épouvantail à ne plus jamais rejoindre afin de « tenir bon » contre l’alcool… Là, la rechute est très probable.

Dans l’exemple proposé ci-dessus, celui qu’a été le patient durant toute cette période alcoolisée a gardé le chemin vers cette réhabilitation du parent. Il fait partie de l’aventure où sa contribution a été essentielle pour inviter à la restauration de la complétude de la psyché. Un peu de gratitude à son égard est le moins qu’on puisse faire.

Trop souvent, cette zone de vie est spontanément rejetée (rejet même encouragé par certains praticiens), considérée comme une zone souillée, mal propre, infréquentable, comme modèle à éviter à tout prix, comme épouvantail anti-rechute.

Dans la démarche abordée ici c’est tout le contraire : gratitude, considération, prise en compte de ce qu’il a éprouvé pour maintenir le passage vers la complétude. Ce « valeureux cantonnier du sentier existentiel » ayant œuvré à grand peine (en effort et en souffrance) pour que nous ne perdions pas la trace de l’essentiel (ici rencontre du parent), jusqu’à ce que la conscience s’y ouvre.

La présence dans la psyché de ce porteur de symptôme à sa juste place, permet une complétude bienveillante d’où personne n’est exclu. Les rechutes ne sont plus nécessaires pour remédier à son absence.

Le Soi doit être en complétude afin que la pulsion de Vie n’ait plus à produire de symptôme, et le porteur de symptôme qui a œuvré tout au long de la vie doit faire partie de cette complétude.

5.3.2    Exemple avec une personnalité en manque d’assurance

Un patient se plaint de manquer d’assurance. Le guidage non directif nous conduit à un enfant dont tout le monde se moque (d’où une période plus que douloureuse). Il peine à accorder la moindre reconnaissance à cet enfant car il lui en veut de ne pas s’en être mieux sorti face aux autres… et considère que c’est de sa faute s’il est ainsi aujourd’hui en tant qu’adulte.

Donc le chemin se fait progressivement, puis finalement aboutit à la réhabilitation de cet enfant. Les deux premières phases de la thérapie sont alors accomplies.

Reste tout de même à considérer celui qu’il a été sa vie durant avec ce manque d’assurance, en mémoire de cet enfant ! Il ne s’agit pas de s’en débarrasser comme d’un mauvais souvenir, mais de l’honorer comme ayant permis de ne pas perdre la trace de cet enfant initial.

En dépit des désagréments qui en ont résulté, le porteur de symptôme, de façon opiniâtre, a tourné sans cesse l’attention du patient vers cet enfant. L’honorer, le remercier, lui souhaiter en quelque sorte la bienvenue au cœur de la psyché, comme un « beau chez-lui » dont il a contribué à la complétude, l’harmonie, le déploiement. La thérapie se termine ainsi en une finalité bien plus aboutie.

5.3.3    Exemple avec un trouble alimentaire

Pour cette personne, impossible de se nourrir sans appréhension. Le corps ne doit pas se développer, il ne semble pas ami s’il dépasse un certain poids. Il doit impérativement rester dans une limite acceptable, avec très peu de masse.

Le guidage non directif nous conduit à une enfant qui se sent plus consciente que les adultes qui s’occupent d’elle, et ne veut pas devenir adulte. Ainsi, devenir adulte lui semblerait une régression (de conscience). Elle se sent alors en insécurité, car ceux qui sont censés la protéger sont moins conscients qu’elle. Elle s’est alors clivée de ce qu’elle a de plus inestimable en elle, car ce qu’elle est (avec sa conscience) n’est pas présentable au monde qui l’entoure. Elle ne peut oser « être pleinement » car cela serait déplacé dans cet environnement, cela déprécierait ses parents (or on a besoin de ses racines).

L’enfant vivait un sentiment indéfinissable que ses moyens cognitifs ne lui permettaient pas d’appréhender. Aujourd’hui, en revenant vers cette enfant, tout cela apparaît comme une évidence : conscience. Il se trouve que la maturité définit la construction d’une personnalité, alors que la conscience définit une sensibilité existentielle. Une fois l’étape thérapeutique accomplie, elle a désormais sa place dans la psyché où elle peut se déployer dans sa nature intime, et même prendre soin des deux Êtres que sont ses parents, qui faisaient pour le mieux avec ce dont ils disposaient.

La patiente peut désormais se nourrir normalement, mais il y a aussi à donner une place à celle qu’elle a été pendant toutes ces années d’anorexie. Ne voulant pas que son corps se développe, elle montrait en permanence sa réticence à être au monde sous peine de régresser en conscience, et cette réticence à être au monde montrait cette enfant qui attendait qu’on la trouve avec ses ressentis éprouvés (conscience et insécurité), qu’on la sorte de son insoutenable solitude, qu’on l’accompagne dans son déploiement.

5.4 Systématique ou implicite

Dans ces exemples, la cause des troubles ne saurait être généralisée car chaque situation est spécifique. Ils viennent simplement illustrer la place du porteur de symptôme et c’est sur ce point que j’ai choisi de mettre l’accent car nous le retrouvons quasiment dans tous les cas.

Pourtant, il est légitime de se demander si « honorer le porteur de symptôme » est une phase incontournable. En fait, oui et non. Dans bien des séances cela n’est pas nécessaire explicitement. Ce qui est systématique c’est cet état de considération implicite envers lui, au moins de la part du praticien.

Concernant le patient, une fois remédiation ou déploiement accomplis, symptôme disparu, il n’est pas envisageable que le patient aboutisse à un mépris de celui qu’il était lorsque ce symptôme se manifestait dans sa vie. Il ne peut être considéré comme un mauvais souvenir qui finira par s’effacer.

Là où le praticien sera vigilant, c’est dans les situations ambiguës où le patient semble mettre de la distance avec cette étape antérieure de son existence où le symptôme l’encombrait. En effet il ne s’agit pas de réhabiliter seulement la zone clivée, mais aussi de procurer au porteur de symptôme une place d’honneur, en ce sens où, sans lui, rien n’aurait pu se faire avec autant de pertinence.

5.5 Le cantonnier existentiel

Pour terminer ce texte, je rappellerai cette dimension exceptionnelle du porteur de symptôme. Il entretient le chemin qui conduit à un endroit inestimable de la psyché. Cela doit être clair pour le praticien, et quand cela est nécessaire, il doit être en mesure d’accompagner le patient afin qu’il en prenne la mesure.

Le porteur de symptôme est pareil à un « cantonnier existentiel » maintenant praticable le sentier vers une zone sacrée qui nous habite.

Sans doute Carl Gustav Jung aurait été satisfait de cette précision, autant que Frans Veldman, Abraham Maslow, Eugene Gendlin, Sándor Ferenczi, Stanislav Grof, Carl Rogers, Rollo May…

La pulsion de Vie génère un symptôme en vue d’une complétude restaurée ou d’un déploiement accompli. Chacun de ceux qu’on a été, en le portant, maintient un chemin d’accès toujours disponible, afin que chaque « à part de Soi » rejoigne le Soi et que le Soi se déploie pleinement selon sa juste nature, pour lui-même et pour le monde.

Thierry TOURNEBISE

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Bibliographie

 Gendlin, Eugène
-Focusing au centre de soi -Editions de l’Homme 2006*

Grof, Stanislav
-Psychologie transpersonnelle – Edition du Rocher J’ai lu 1996

Martin-Krumm Charles et Tarquinio Cyril
-Traité de psychologie positive -De Boek 2011

Maslow Abraham
-Devenir le meilleur de soi-même – Eyrolles, 2008
-Vers une psychologie de l’être -Fayard 1972

Nollet, Daniel
-Manuel de thérapie comportementale et cognitive – Dunod, Paris 2004

Pagès, Max
-L’orientation non directive en psychothérapie et en psychologie sociale – Dunod 1970

Zajde Nathalie- Nathan, Tobie
-Psychothérapie démocratique – Odile jacob 2012
 

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5.6 Liens

Liens internes

Psychopathologie avril 2008
Symptômes juin 2011
La posture du praticien décembre 2007
Comprendre la psychose (octobre 2012
Psychologie de la pertinence », ou la vidéo de janvier 2012
L’emplacement subjectif du praticien septembre 2016
Post traumatique  mai 2017  

S’ouvrir à ce qui appelle et non chercher ce qui se cache  janvier 2019 
Non directivité et validation Janvier 2012

 

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