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Fausse couche

un deuil à prendre en compte

novembre 2009    -    © copyright Thierry TOURNEBISE

 

Il s’agit de grossesses qui se terminent avant 20 ou 22 semaines. Ce phénomène représenterait 15 à 20% des grossesses (dont la plupart au cours des 12 premières semaines). Pratiquement une femme sur cinq y étant confrontée il convient de proposer en ce cas un accompagnement de qualité facilement accessible à celles qui en éprouvent le besoin. S’il est évident qu’une fausse couche tardive peut être particulièrement traumatisante, on aurait tord de penser que celles survenues en début de grossesse soient vécues de façon anodine !

Ces quelques lignes vont proposer un regard délicat et subtil sur cet événement qui marque particulièrement la vie d’une femme et qui est souvent mal compris par l’entourage. L’ex-parturiente en reste généralement blessée et ne peut que taire ses ressentis, tant ceux-ci ne sont pas entendus, que ce soit par les proches (même très aimants) ou que ce soit par les professionnels des soins et de la médecine (même très compétents)

 

Sommaire

1 Apparition de l’enfant

A partir de quand ?

Des sensations ineffables

Perte de grossesse ou perte d’enfant ?

Les phrases assassines  

2 La grossesse ultérieure qui ne vient pas

Les causes physiologiques

Les causes psychologiques

Le remplacement impossible

 

3 L’accompagnement psychologique

L’accompagnement par l’entourage

L’accompagnement par les professionnels

Autres éléments pouvant surgir dans l’entretien

4 Les causes de la fausse couche

Causes biologiques ou physiologiques

Causes psychologiques présentes, sociologiques

Sans oublier le vécu corporel

5 Conclusion

1   Apparition de l’enfant

1.1A partir de quand ?

Le commencement est celui de la découverte. Après les incertitudes initiales, la présence d’un enfant à venir se précise, et le rapport des parents avec lui aussi (surtout celui de la mère).

Si l’on se demande à partir de quand l’être en devenir est un enfant, d’un point de vue biologique, il est sans doute possible de donner quelques réponses en fonction de l’avancement du développement de son corps, de son cœur, de ses neurones…etc. A partir de combien de semaines, puis de mois, peut-on estimer qu’on passe de l’embryon au fœtus, puis du fœtus à l’enfant ?... Le débat mérite sans doute d’exister, ne serait-ce que pour des raisons légales, mais il y a une autre composante qu’il convient de prendre en compte : pour la mère, l’enfant est un enfant dès la conception, ou du moins dès qu’elle sait qu’il est là. Cela n’est pas sensé donner la moindre indication légale, mais est simplement un ressenti fréquent à côté duquel il ne faut pas passer.

A vouloir trop objectiver par des précisions scientifiques (nécessaires ailleurs pour d’autres raisons) nous risquons de passer à côté du vécu subjectif, qui en matière de soutien psychologique est le seul qui compte.

Quand la grossesse est souhaitée ou généreusement accueillie, celle-ci peut être ressentie comme un miracle de la vie venant combler une attente au plus profond de l’être. La fausse couche est alors toujours un drame. Mais même pour les autres, ceux qui ne la souhaitaient pas si ardemment, cette perte de ce qui commençait à trouver sa place en leur sein, peut être vécue plus douloureusement qu’il n’y parait. L’ambivalence d’une grossesse non désirée, mais dont l’arrêt n’est pas non plus satisfaisant, trouble l’esprit.

C’est comme s’il se jouait, entre la mère et l’enfant à venir, une sensation subtile, difficilement définissable mais profonde. Cette sensation se retrouve même aussi dans pas mal d’IVG ! Ne remettons surtout  pas en cause la possibilité de l’IVG qui est une avancée incontestable dans l’histoire de la femme, mais il aurait fallu considérer cet acte, ce choix, avec plus de subtilité et d’accompagnement, surtout après. Quand bien même l’IVG est clairement décidée et n’a pas à être remise en cause, sa mise en œuvre laisse chez pas mal de femmes une blessure qu’on retrouve souvent en psychothérapie de nombreuses années plus tard. Cette blessure aurait pu être évitée avec un accompagnement adéquat.

1.2Des sensations indicibles

Nous venons de voir qu’il est difficile de dire à partir de quand on peut parler vraiment d’enfant et ce ne sera pas ici notre propos. La seule chose qui compte, c’est que c’en est un pour la mère… dès le départ. Un lien se dessine entre elle et lui, quasiment à son insu, et cette présence se met à compter profondément.

Une intimité indicible, une circonstance à découvrir, des sensations ineffables et secrètes, qui ne trouvent pas de mots, pas plus que n’en trouveront celles qui sont ressenties lors de la fausse couche.

De ce parcours de vie qui surgit au creux de soi, la femme éprouve une sorte d’accomplissement qui, en dehors des divers tourments que la vie ne manque pas d’apporter, offre une sorte de bien-être intérieur. En dépit des  désagréables nausées et autres inconforts physiologiques, cette émergence de vie la remplit.

Sans qu’elle n’en mesure toujours l’importance, un lien naturel se construit. Bien au delà du cordon nourricier visant le corps, émerge une sorte de cordon existentiel faisant de ce qui l’habite un être à part entière. Cette sensation de présence la sort du sentiment diffus de solitude, souvent peu consciemment éprouvé jusque là. Ce sentiment de solitude,  pareil à une sorte de brume, ne faisait que discrètement troubler la visibilité des êtres et des présences. C’est comme si soudain elle « voyait clairement ce qui palpite » avec une connivence existentielle dont elle seule perçoit la présence.

Naturellement tout cela peut être troublé par de multiples situations de la vie, que celles-ci soient conjugales, médicales, professionnelles, familiales, sociales… etc. Il ne s’agit surtout pas de considérer que toutes les femmes vivent la même chose ! Il s’agit avant tout de ne pas manquer les subtilités qui les habitent en ce moment exceptionnel de leur vie.

Avoir conscience de cet aspect exceptionnel permet de mieux s’approcher aussi de la détresse qui résulte de la fausse couche.

1.3Perte de grossesse ou perte d’enfant ?

Dans le cas de fausse couche, la pudique appellation « perte de grossesse » occulte la réalité de la sensation de « perte d’enfant ». Trop souvent la gestion des situations délicates se fait par la négation des ressentis réels. Or, tenter de « rassurer » est une violence portée envers celui qui ressent une blessure, dont on résiste tant à reconnaître la dimension.

La femme ne perd pas une grossesse. Pour elle, elle perd un enfant ! Ne pas le reconnaitre c’est lui rendre le deuil impossible. Rappelez vous qu’il ne s’agit pas savoir à partir de combien de semaines ou de mois on peut parler d’enfant… il y a juste à considérer que c’en est un pour elle !

On croit souvent apporter de l’apaisement en objectivant. Or la seule réalité qui compte sur le plan psychologique est la réalité subjective. Aussitôt reconnue, celle-ci pèse moins lourd. Quand bien même la grossesse s’interrompt à deux ou trois semaines, juste après l’avoir découverte avec un test, la femme qui vit cela vient de traverser un moment qui changera sa vie.

Il ne s’agit en aucun cas de le dramatiser, ni de le minimiser : il s’agit juste de le reconnaître.

1.4Les phrases assassines

Bien qu’animées de bons sentiments, les personnes de l’entourage tiennent spontanément des propos forts maladroits. Qu’il s’agisse du conjoint, de la famille ou des soignants, nous trouvons fréquemment les mêmes phrases toutes faites apparemment protectrices, mais en réalité parfaitement assassines :

« Il ne faut pas te mettre dans cet état. A ce stade c’est rien du tout, ce n’est pas encore un enfant »… nous avons là un insoutenable déni de l’enfant.

« Ce n’est pas grave. Tu en auras un autre »… ici nous trouvons un insoutenable déni du ressenti sous-entendant « va de l’avant, oublie le, il ne compte pas ».

« C’est sans doute mieux ainsi. C’est la nature qui fait son travail (sous entendu en éliminant ceux qui sont ratés) » … voilà une insoutenable affirmation que c’était une erreur, un moins que rien, un loupé… et qu’elle, en tant que mère, a loupé la « fabrication » d’un enfant en bon état.

« Ça arrive presque dans une grossesse sur cinq. C’est un phénomène naturel »… nous trouvons ici encore une insoutenable banalisation, comme si rien n’avait été vécu, que ce n’est pas si grave et qu’il faudrait être stupide pour s’en faire.

« En début de grossesse c’est moins grave »… encore une banalisation qui anéantit la profondeur des ressentis, qui anéantit l’ex-parturiente dont le statut même devient par là inexistant !

L’entourage ou la médecine rivalisent de maladresses. Tout en croyant rassurer ils  versent de l’acide sur la blessure encore à vif.

Le deuil n’est pas reconnu, l’enfant non plus, la femme non plus. Elle devra faire son parcours tout à l’intérieur d’elle-même, faire bonne figure à un entourage qui ne mérite aucun reproche, car il ne pense pas mal faire et ne se rend compte de rien.

Elle doit vraiment réaliser un deuil… mais au fait sait-on seulement ce qu’est un deuil ? Le mot « deuil » vient de dolus signifiant « douleur. Celui qui fait son deuil « fait sa douleur ». « Faire le deuil de » ne signifie pas « passer à autre chose » mais « faire sa douleur » ! Et cette douleur joue un rôle précis : elle donne l’assurance qu’on n’oubliera jamais l’être qu’on vient de perdre. Tant qu’un doute subsiste à ce sujet, la douleur reste nécessaire. Toute personne qui vise à l’enlever apparaît comme un danger potentiel d’engendrer une double perte : celle de l’être aimé… augmentée de la perte de son souvenir, de sa présence en soi. Généralement quand le sujet en deuil a l’assurance qu’il n’oubliera jamais, sa douleur diminue ou cesse, ainsi que ses pensées obsessionnelles, qui jouaient le même rôle.

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2    La grossesse ultérieure qui ne vient pas

A cette douleur de deuil qui n’en finit pas il peut s’ajouter celle d’une grossesse suivante qui ne vient pas. La femme (et son compagnon) peuvent éprouver une certaine révolte face à cette succession d’épreuves de la vie. Or il se peut souvent que les deux situations soient liées par des mécanismes psychologiques inconscients. Avant d’aborder ceux-ci, nous nous devons de ne pas occulter les causes physiologiques dont il revient à la médecine de les diagnostiquer.

2.1Les causes physiologiques

Lorsque la fausse couche touche une première grossesse, il y aura généralement le souhait d’un nouvel enfant. Je dis ici d’un nouvel enfant car c’est bien de cela qu’il s’agit, nous y reviendrons plus loin.

Seulement, malgré la volonté intense de cette réalisation il peut se faire que rien ne se produise. L’attente interminable, insoutenable, engage alors finalement le couple dans une recherche médicale de la cause. Etat de l’utérus, des trompes, des ovaires, acidité vaginale, bilans hormonaux, spermogramme… tout est passé en revue. La médecine sait bien faire cela et il est important de ne pas négliger cet aspect purement somatique de la situation.

Parfois des situations objectives semblent expliquer le fait que la femme ne se retrouve pas de nouveau enceinte. Mais il arrive aussi qu’on puisse se demander si l’état corporel est purement corporel ou résulte d’une composante psychosomatique, là où une blessure de la psyché génère une modification physiologique (jusqu’à la disparition des règles).

Les causes physiologiques seront traitées médicalement pour ce qu’elles sont, mais au cas où se trouverait un enjeu psychosomatique, un accompagnement psychologique est souvent nécessaire, ne serait-ce, au minimum, que pour traverser plus sereinement l’attente, ou même quand c’est parfois le cas, l’impossibilité définitive d’avoir un enfant. Dans toutes ces situations, des plus anodines aux plus éprouvantes, un soutien psychologique est souhaitable… à condition que celui-ci ait la qualité requise.

2.2Les causes psychologiques

Dans d’autres cas, tout est physiologiquement normal… mais il n’y a pas de grossesse pour autant. Il est là très probable de trouver la psyché comme source de premier rang. Nous pouvons trouver simultanément «  consciemment le souhait qu’il y ait… et inconsciemment le souhait qu’il n’y ait pas » un nouvel enfant..

Les causes psychologiques peuvent être nombreuses. Parmi les plus fréquentes, nous pouvons rencontrer la peur de perdre de nouveau un enfant. Dans ce cas, même si une nouvelle grossesse arrive, il est courant que spontanément la mère ignore l’enfant qu’elle porte. Elle l’ignorera, jusqu’à ce qu’il dépasse le nombre de mois auquel s’est produite la fausse couche antérieure. Ceci est bien évidemment encore plus marqué en cas de fausses couches successives. Elle ne le prendra en compte qu’une fois assurée de sa survie, évitant ainsi de s’attacher à ce qu’elle risque si douloureusement de perdre. Ce cas nécessite un accompagnement de la mère, mais aussi, à travers elle, de l’enfant qu’elle porte. En effet celui-ci commence sa vie sans être ni perçu ni accompagné, et cette absence de présence et d’attention à son égard peuvent cruellement lui faire défaut. Il arrive que nous retrouvions un tel vécu intra utérin en psychothérapie chez des êtres adultes. Sans que cela puisse pleinement être objectivé (le fœtus a-t-il vraiment vécu cela ?), nous en constaterons néanmoins la présence, et remarquerons de façon pragmatique que sa prise en compte produit une amélioration et un apaisement signifiant des ressentis du sujet.

Ainsi, la mère veut bien être de nouveau mère, mais la crainte de se retrouver confrontée à une telle douleur est trop forte, trop prégnante. Même si ce n’est qu’inconsciemment, une autre grossesse ne peut être envisagée.

2.3Le remplacement impossible

Un autre phénomène est à prendre en compte, qui ne consiste pas du tout en la peur d’une nouvelle perte : il s’agit du fait que le ventre ne peut simplement pas être habité par un autre enfant, tant que le précédent n’a pas été réhabilité dans son importance. Tout le monde s’est acharné plus ou moins à insister sur le fait que ce n’était pas encore un enfant (pensant apaiser la douleur de la mère) et n’a ainsi fait qu’en retarder le deuil. En effet on ne peut faire le deuil de quelqu’un qui n’a pas existé. Eluder sa venue au monde pour faciliter le vécu de son absence est un leurre absolu.

Pour que la mère fasse le deuil de cet enfant, l’existence de celui-ci doit d’abord être reconnue. Le ventre inhabité est devenu ici une sorte de lieu sacré (pour ne pas dire de sanctuaire), un lieu de mémoire, qui ne peut accueillir un autre être sans prendre le risque de perdre encore une nouvelle fois le premier. De ce souvenir fragile, nié par tous, la mère ne peut prendre le risque d’un effacement définitif.

Le suivant ne peut en aucun cas venir faire oublier le premier. Le suivant n’aura sa place que si le premier qui a été perdu a, lui aussi, la sienne. D’une certaine façon, si l’enfant de la fausse couche résulte d’une première grossesse, le suivant devra être considéré comme étant un second, comme étant en quelque sorte son frère ou sa sœur et non « enfin l’enfant qu’on attendait ».

Il n’y a là aucune morbidité, bien au contraire. Plus cela est considéré chez la mère, plus celle-ci se libère rapidement des pensées obsessionnelles concernant sa fausse couche. Voulant lui faire oublier ce qui s’est passé on ne fait que renforcer cette obsession dont on croit maladroitement la libérer.

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3   L’accompagnement psychologique

L’entourage de la femme qui a fait une fausse couche souhaite sincèrement l’aider. Il s’agit simplement de lui donner ici les moyens de le faire avec plus de justesse en évitant les erreurs mentionnées ci-dessus.

Cependant, comprendre certains mécanismes de la psyché et savoir ce qu’il ne faut pas faire est une chose… savoir comment s’y prendre pour proposer un accompagnement adapté en est une autre.

Nous allons examiner cet accompagnement de deux points de vue : d’abord celui que peut apporter l’entourage, puis celui que peut apporter un psy, un médecin, ou un soignant.

3.1L’accompagnement par l’entourage

Comme nous l’avons vu, l’entourage se devra de considérer que l’enfant perdu est un enfant à part entière pour cette femme.

Quand la femme évoque sa fausse couche et se sent bouleversée, ou même en larmes, l’attitude qui convient n’est surtout pas de la rassurer ou de la consoler, mais de reconnaître la peine qu’elle exprime et de lui offrir l’opportunité de l’exprimer complètement, sans gène et sans retenue. Attention l’idée n’est pas qu’elle se libère de sa charge émotionnelle, mais seulement qu’elle ait sa place avec son ressenti tel qu’il est.

Il ne s’agit pas non plus de la conduire à adhérer aux façons de voir exposées ci-dessus (la conduisant à adopter l’idée qu’il s’agit déjà d’un enfant), mais seulement de ne pas manquer ni les allusions qu’elle fait à ce sujet, ni les attitudes qu’elle montre sans rien dire. La conduire loin de son ressenti serait inacceptable. C’est malheureusement ce qui se passe habituellement, et il conviendra de ne pas retomber dans ce piège par l’autre bord.

Si elle se montre triste il peut lui être adressé « c’est un moment trop difficile ?! ». Nous avons ici ce que j’appelle une reformulation. C’est à la fois très simple et très délicat. L’interlocuteur peut y vivre le sentiment d’une profonde reconnaissance de ce qu’il ressent… aussi bien qu’une niaiserie venant de quelqu’un qui n’a rien compris. La phrase reprend de façon affirmative ce que le sujet montre (pas forcément ce qu’il dit), mais avec un ton légèrement interrogatif. C’est pourquoi  je ponctue la reformulation par « ?! »

Je ne vais pas développer ici en détail ce qu’est une reformulation telle que je l’entends car vous trouverez sur ce site une importante publication qui lui est entièrement consacrée : « La reformulation » (novembre 2002). Je rappellerai seulement que la reformulation ne reprend pas ce qui a été dit verbalement,  mais ce qui a été exprimé. Si la femme dit « Finalement j’accepte ce qui s’est passé. Il le faut bien »,  la reformulation serait par exemple « Ce n’est pas si facile à accepter ?! » Nous noterons que ce n’est pas une interprétation mais une mise en mot de ce qui est implicitement exprimé. Naturellement le risque d’interprétation existe, mais il convient de bien noter que ce n’est pas le projet. Le point sacré est qu’on ne sait jamais à la place de l’autre et qu’on ne se hasardera jamais à savoir ce qu’il ressent sans passer par lui. La reformulation nomme ce qui a été exprimé, comme pour inviter à une expression plus profonde, plus précise du ressenti.

A titre d’exemples :
(attention les reformulations sont exprimées avec un non verbal délicat, subtil, respectueux et profondément reconnaissant)

Si elle dit « Et dire que je pensais que ça allait bien se passer ! »,  la reformulation peut être « Tu es tellement déçue ?! »

Si elle dit « Je n’ai quand même pas mérité ça ! », la reformulation peut être « Tu trouves cela vraiment injuste ?! »

Si elle dit « Nous étions tellement heureux à l’idée de la venue de cet enfant ! » la reformulation peut être « C’était vraiment un grand bonheur pour vous ?! »

Si elle dit « J’ai vraiment vécu un sale moment ! C’est dur d’aller en gynéco- obstétrique pour un truc comme ça ! », la reformulation peut être « Le fait de devoir aller à cet endroit a été particulièrement dur pour toi ?! »

Ces phrases sont comme une invitation, soit à confirmer ce qui vient d’être reformulé, soit à le réajuster si ce n’est pas tout à fait ça… ou même pas ça du tout. Par exemple dans la dernière reformulation, elle peut répondre « Ce n’est pas tellement l’endroit en lui-même, mais c’est que pour le trajet j’ai du y aller dans le SAMU tellement je saignais. J’étais terrorisée ».

La reformulation est un type particulier de question fermée à laquelle le sujet répond par oui ou par non (que ce soit en verbal ou en on verbal) et cela permet de continuer  plus profondément l’expression du ressenti qui venait juste d’être ébauchée.

On évitera soigneusement le fameux « je comprends » qui invite plus à se taire qu’à dire (à quoi bon dire plus, puisque l’autre prétend avoir tout  compris).

Il se peut aussi que l’invitation à l’expression plus profonde conduise à un lâcher de larmes, qui étaient jusque là pudiquement contenues. En ce cas celui qui aide peut se sentir démuni et craindre d’avoir mal fait. Qu’il se rassure il n’en est rien. Il lui suffira de valider ces larmes par un mot (une nouvelle reformulation : « C’est douloureux à ce point ?! ») ou par un geste comme prendre la main, mettre la main sur l’épaule ou prendre dans les bras (ce geste n’ayant surtout  pas pour but de calmer les larmes, mais d’offrir sa présence pendant que celles-ci s’expriment).

A la fin de cette expression du ressenti, une question du genre « Comment te sens-tu  là ? » peut permettre d’exprimer la sensation finale qui sera souvent plus paisible que celle du début.

Le projet est ici juste la reconnaissance et non l’apaisement… et c’est justement pour ça qu’il y a un apaisement ! Il faut vraiment considérer ce paradoxe : pour produire un apaisement il ne faut surtout pas chercher à apaiser, mais juste à reconnaître ce qui est éprouvé. 

3.2L’accompagnement par les professionnels

Un accompagnement plus approfondi sera aussi le bien venu. Si, pour elle, il est souhaitable de ne pas se sentir niée dans ses ressentis par son entourage, et si cela constitue déjà un excellent accompagnement pour cheminer vers un apaisement naturel, un accompagnement psychologique professionnel pourra apporter un apaisement plus profond, plus rapide et durable (s’il est correctement réalisé).

Pour les professionnels du soin ou de la psychologie, la question est alors de savoir comment concrétiser cet accompagnement. Il ne s’agit pas de leur donner plus de théorie, mais le moyen subtilement réaliste de la mise en œuvre.

Pour comprendre cette mise en œuvre, nous pointerons néanmoins la notion de structure de la psyché : nous sommes constitués de celui que nous sommes, tous ceux que nous avons été et de tous ceux dont nous sommes issus. Nous sommes sujets à deux pulsions : l’une « pulsion de survie » maintient à distance ce que nous ne savons  pas encore intégrer, puis compense les manques qui résultent de cette « mise à distance » et l’autre, « pulsion de vie » a pour rôle de rassembler les morceaux épars de soi, de conserver ce qu’on a mis à distance et de produire les symptômes qui permettent d’y accéder de nouveau. Pour plus de détails sur ce sujet, vous pouvez lire sur ce site les publications « Communication thérapeutique » (avril 2004), « Le positionnement du praticien » (décembre 2007), « Validation existentielle » (septembre 2008)

Je me contenterai ici de donner ce qui peut être mis en œuvre dans cette situation particulière de la fausse couche.

Le premier pas pour le praticien qui est sollicité est de demander à la femme comment elle vit cela. De sa réponse dépendra le début de son accompagnement.

L’accompagnement psychothérapique

Il ne saurait être question de donner un modèle absolu, comme une sorte de « marche à suivre simpliste ». Nous devons néanmoins avoir des éléments précis et réalistes de cette mise en action.

Comme il est impossible d’envisager tous les cas de figure, à titre d’illustration, je vous proposerai une situation particulière et concrète. Celle qui est développée ci-dessous est une sorte de synthèse réalisée à partir de plusieurs cas rencontrés, permettant de pointer quelques éléments forts d’un tel échange entre le praticien et la patiente. Nous y remarquerons la souplesse du praticien, sa confiance, son partenariat avec le sujet accompagné, la prise en compte d’éléments qui ne sont pas dans le champ objectif de la rationalité mais dans la réalité des sensations subjectives. Il y s’agit de restaurer une ouverture, une communication entre différents éléments de la psyché (différentes parts du Soi) qui se sont temporairement clivés pour assurer la survie après le choc du deuil. Tout commence par une profonde reconnaissance du ressenti douloureux éprouvé :

Mère : « C’est vraiment très douloureux » (avec des larmes).

Praticien : « D’accord. Pouvez-vous me décrire de quelle façon c’est douloureux ? Qu’est ce qui vous fait le plus mal ? » (Le fait de savoir que c’est douloureux ne dit pas de quelle façon ça l’est, et on se garde bien de l’imaginer à sa place. D’autre part, le « d’accord » qui commence la phrase du praticien est une validation de la douleur exprimée. Il est impossible de transcrire ici en un mot ce qui en fait est toute une attitude.  C’est cette attitude qui donne tout son sens et toute sa délicatesse à ce « d’accord ». Sans être habité par cette attitude, le même mot peut prendre une allure ridicule ou même désinvolte et désobligeante. Attention : quand il n’y a aucun mot, l’attitude de validation doit néanmoins toujours être là).

Mère : « je m’en veux, je me sens coupable ».

Praticien : « Ok, de quoi vous sentez-vous coupable ? ».

Mère : « Vous savez, j’ai continué à faire mes courses, à travailler. J’avais des travaux à finir dans la maison et je ne me suis pas assez reposée. C’est de ma faute s’il n’est pas resté ».

Praticien : « Vous regrettez tellement de ne pas vous être reposée ?! ».

Mère : « Oui, je ne me le pardonne pas ! ».

Praticien : Prononcé avec beaucoup de délicatesse, sur le ton de la connivence « La femme que vous étiez n’a pas mesuré le risque ?! Elle ne s’est pas rendu compte ?! » La formulation « la femme que vous étiez » est importante car elle permet à la femme présente de se dissocier de celle qui a fait tout ça. C’est cela qui va permettre de mieux la rencontrer et la comprendre. Pour le moment, elle n’en est pas dissociée. Elle est plutôt en fracture d’avec elle, et pour ne pas la perdre tout à fait se trouve en train de continuellement ressentir ce qu’elle a éprouvé, tout en essayant de moins souffrir mais sans y parvenir).

« En quoi était-ce si important pour elle de finir ces travaux ? » (Ici le praticien va tenter d’aller vers la révélation de la raison pertinente du sujet, que le sujet ne s’accorde pas ou qu’il a oublié).

Mère : « Je voulais que tout soit fini pour la naissance afin de pouvoir être plus libre pour mieux m’occuper de l’enfant » (La femme reprend par « je » et non par « elle » en parlant de celle qu’elle était, mais ce n’est pas grave. L’essentiel est que la dissociation soit claire pour le praticien).

Praticien : « Celle que vous étiez avait tellement  à cœur de se consacrer à son enfant ?! » (Validation de la raison révélée).

Mère : « Oh ça oui ! » (Confirmation que la reformulation était juste).

Praticien : « Vous pouvez mettre votre attention vers cette femme qui souhaite tellement avoir du temps pour se consacrer à son enfant ? » (L’idée est de lui permettre de s’en rapprocher, si elle le veut bien et de guérir sa fracture d’avec elle).

Mère : « Non je ne peux pas ». (il se révèle que ce n’est pas, pour le moment, le juste chemin).

Praticien : « D’accord (ce « d’accord » confirme que la réponse est une avancée et non un obstacle), en quoi est-ce plus juste pour vous de ne pas vous approcher d’elle ? » (Le praticien explore toujours la justesse et non un problème ou une difficulté. Ce qui semble une résistance n’est en fait qu’un réajustement dans la bonne direction).

Mère : « C’est à cause d’elle que je n’ai plus mon enfant ! » (Avec colère).

Praticien : « Vous lui en voulez beaucoup ?! » (Reconnaissance de son sentiment. C’est là que se tient l’incontournable passage par lequel se laisser conduire).

Mère : « Oui »

Praticien : « C’est trop dur de ne pas avoir votre enfant ?! » (Implicitement, la colère est l’expression de la douleur et cela est validé par une reformulation).

Mère : confirmation en non verbal.

Praticien : « Cet enfant compte tellement pour vous ?! » (Validation de l’importance de l’enfant)

Mère : larmes, sanglots.

Praticien : « Vous pourriez mettre votre attention sur cet enfant qui compte tant pour vous ? » (Il apparaît qu’il est essentiel d’aller d’abord vers l’enfant).

Mère : « ça c’est facile ! ».

Praticien : « Imaginez que vous lui dites à quel point il compte et combien sa venue vous a apporté du bonheur. Vos vies se sont croisées peu de temps, mais il vous a déjà fait éprouver le bonheur de sa rencontre, intime, en vous » (Le praticien ne fait ici que mettre en mots et en flux, de la mère vers l’enfant, les réalités existantes qui viennent d’être implicitement évoquées par elle)

Mère : elle le fait en silence (Il se voit qu’elle met son attention sur lui et en ressent un apaisement).

Le praticien : « Comment est-il quand vous lui dites cela ? » (Vérification de l’état de l’enfant tel qu’elle le perçoit dans son imaginaire, ou dans sa sensibilité intérieure)

Mère : « Il me sourit ».

Praticien : « Et vous comment vous sentez-vous ? » (Vérification de son état à elle)

Mère : « ça me fait du bien, je me sens plus calme ».

Praticien : « Il a beaucoup compté et beaucoup apporté, mais il a fini sa vie très tôt. Pouvez-vous l’accompagner jusqu’à cette fin de vie, afin qu’il ne s’y trouve pas seul ? » (Offrir de la présence, ne pas se détourner de la fin, accompagner et savoir remercier avant de dire « au revoir ». Il s’agit réellement d’un accompagnement de fin de vie, rendant à l’enfant toute sa dignité et sa place dans le monde, même s’il l’a quitté prématurément.).

Mère : elle confirme que oui, sans mots.

Praticien : « Pouvez-vous être près de lui à ce moment là ? Imaginez que vous êtes toute proche, et qu’en lui disant à quel point il compte pour vous, vous le remerciez d’avoir été là. Puis vous restez avec lui jusqu’au dernier moment, emplie de gratitude ». (faire faire « concrètement » cet accompagnement dans la dimension imaginaire, ou plus exactement : dans la dimension psychique).

Mère : elle le fait en silence.

Praticien : « comment est l’enfant, et comment êtes vous ? ». (Vérification de l’état de chacun).

Mère : « Nous sommes tous les deux en paix. Nous ne nous oublierons jamais ».

Praticien : « Ok, très bien. Je suis très touché que vous ayez pu réaliser cette rencontre. Maintenant, pouvez vous mettre votre attention sur cette femme qui fait la fausse couche et qui est seule avec son ressenti ? » Nous noterons la différence entre le fait d’être touché (validation existentielle) et le fait d’être affecté (contretransfert).

Mère : « Oui ».

Praticien : « Présentez lui son enfant, et accompagnez le ensemble vers cette fin de vie. Montrez lui à quel point cet enfant a eu une place d’honneur dans son cœur ».

Mère : « Elle pleure » (parlant de la femme qu’elle était).

Praticien : « Vous pouvez la prendre dans vos bras et lui permettre ses larmes ? Elles sont le signe de l’amour qu’elle a pour son enfant, et en pleurant ainsi, elle lui rend honneur, elle  lui donne toute sa place. Comment est-elle quand vous faites cela ? (Car on voit qu’elle l’a fait).

Mère : « ça lui fait du bien qu’on considère son enfant comme étant important, ça lui fait du bien qu’on lui dise au revoir. Elle s’apaise ». (Parlant de celle qu’elle était).

Praticien : « Et vous comment vous sentez-vous ? »

Mère : « Je me sens mieux. J’ai vraiment l’impression que je ne l’oublierai jamais. Il a fait de moi une  mère pour la première fois, et je lui en suis reconnaissante ».

Praticien : « Est-ce que vous seriez d’accord pour qu’on s’en tienne là, sur ce grand moment de rencontre ? » (elle confirme en non verbal) « Si vous avez besoin, je reste à votre disposition. Dans tous les cas je vous invite à me tenir au courant  de la façon dont ça se passe les jours prochains ».

Il n’est pas nécessaire de prévoir un autre rendez-vous de façon systématique quand un point majeur à été atteint. L’imposer (ou le proposer trop fortement) pourrait dévaloriser le résultat obtenu. Néanmoins, rester à sa disposition est primordial et aussi de se faire tenir au courant de la suite. La question peut lui être posée « Souhaitez vous qu’on prévoit un autre rendez-vous ? Ou préférez-vous vivre avec ce que nous avons vu, le laisser se placer en vous, et décider plus tard en fonction de comment ça se passe ? ».

La décision se prend en partenariat avec la patiente. Certains praticiens seront peut être surpris ici par l’absence de protocole, de cadre. En fait il y a un cadre : celui de la considération, de l’autonomie, de la reconnaissance, de la confiance. Il est extrêmement sécurisant et favorise l’accès à soi. Les contraintes d’un cadre rigide sembleraient au contraire indiquer un manque de confiance et risquerait de produire plutôt un éloignement de soi (cela viendrait entraver la réduction de la fracture de la psyché).

3.3Autres éléments pouvant surgir dans l’entretien

Naturellement l’exemple ci-dessus n’est qu’une possibilité parmi tant d’autres. Réaliser un accompagnement psychologique, c’est s’ajuster continuellement à ce que le patient exprime. Celui-ci emmène le praticien quelque fois dans des zones totalement inattendues.

Nous trouverons souvent :

L’enfant qui été évacué dans les toilettes

Quand lors de la fausse couche l’enfant a été évacué dans les toilettes, la mère en garde souvent une grande douleur (quand ici je parle « d’enfant » nous nous rappellerons que je tiens compte du fait que c’en est un pour la mère et je ne me soucie pas de son stade d’évolution biologique). Les toilettes comme sépulture… cela est difficile pour elle à digérer. Le praticien pourra dans l’imaginaire permettre un accompagnement de l’enfant dans ce moment de sa « fin de vie ». La femme pourra témoigner comme ci-dessus à cet enfant de l’importance qu’il a pour elle et lui rendra ainsi honneur (un peu comme pour le corps des marins décédés qu’on jette en mer avec honneur, sans se soucier de là où il tombera au fond). Nous remarquerons qu’il s’agit d’un deuil proche de ceux que nous trouvons quand un être cher est décédé et qu’on ne retrouve pas le corps, ou que le corps se trouve dans un endroit de connotation négative. Là, plus que jamais, il convient de porter son attention sur l’être qu’il est, et non sur la circonstance (qu’il convient par ailleurs de ne pas éluder, mais sans que l’attention soit focalisée dessus)

La mort en direct à l’échographie

Lors d’un contrôle, suite à un souci lors de la grossesse, l’échographie révèle que le cœur de l’enfant ne bat plus. Ce moment tragique doit être annoncé aves tact par le médecin ou le radiologue. La femme vit à ce moment là un effroi intérieur, comme vidée de soi. Quelque chose de si fort que les mots sont dérisoires. Il lui faudra pourtant trouver quelqu’un capable d’entendre ce qu’elle vient de vivre. Malheureusement elle le gardera souvent pour elle. Le médecin dans sa consultation pourrait juste reformuler « C’est vraiment trop difficile ?! ». Cette phrase toute simple serait bien mieux qu’un « Vous savez, à ce stade ce n’est pas encore un enfant ! » ou « C’est la nature qui fait son travail ! ». De se sentir reconnue juste à ce moment pourrait l’aider à continuer vers une aide complémentaire. Un praticien en psychothérapie pourra poursuivre en demandant à la femme présente d’être à côté de celle qui a été choquée (en imaginaire), puis de valider son ressenti. Ensuite, toutes les deux (la femme présente et celle qui a été choquée mais entendue), il leur est demandé, ensemble, d’accompagner l’enfant dans sa fin de vie. Un tel parcours imaginaire va remplir d’une indispensable présence tout le monde subjectif du sujet (toute sa dimension psychique). La réalité est qu’il en ressort aussitôt un apaisement signifiant et durable.

L’enfant qui été « jeté » (curetage pour enlever l’enfant mort in utéro)

La mort de l’enfant constatée, il se peut que celui-ci ne s’évacue pas spontanément. Aussi, un curetage est médicalement envisagé. Sans bien sûr remettre en cause la nécessité de cet acte médical, il convient que celui-ci s’accomplisse avec la plus grande délicatesse de la part du médecin et du personnel soignant (attentionnés à la reconnaissance des ressentis de la mère en deuil). Puis en psychothérapie, il sera procédé comme dans le premier exemple. En effet, le fœtus risque de se retrouver incinéré avec différents restes chirurgicaux plus ou moins nobles. Alors un temps de considération pour le réhabiliter dans toute sa dimension est nécessaire. Si la grossesse était déjà avancée, si la fausse couche est très tardive, même des obsèques pourraient être envisagées, ou au moins une cérémonie qui s’en rapproche.  Il ne s’agit pas là de fantaisie morbide, mais d’une possibilité de mieux faire le deuil. Nous croyons à tort que le deuil consiste en le fait de « passer à autre chose ». En réalité la personne en deuil ne peut aller sereinement de l’avant que si elle a la certitude qu’elle n’oubliera jamais. Cela vaut pour tous les deuils. Plus on tentera de l’éloigner de l’être qu’elle a perdu, plus la personne s’accrochera à ses rituels morbides et à ses pensées obsessionnelles. L’expérience clinique montre qu’une pleine réhabilitation, au contraire, l’en libère instantanément.

Situation déjà vécue par la mère de cette mère

Nous pouvons aussi aboutir au fait que la mère de cette parturiente avait été enceinte d’elle après un deuil d’enfant, ou après avoir elle-même fait une fausse couche. La mère de cette femme l’ayant vécu jadis de façon particulièrement douloureuse et non entendue, s’était retrouvée à avoir du mal à accueillir ce nouvel être en son sein. Froideur, indifférence, distance, ont présidé à son début de grossesse… et parfois même à la naissance. Le praticien accompagnera la parturiente dans la souffrance de la froideur de cet accueil initial, en réhabilitant l’enfant qu’elle fut et pour qui la chaleur humaine a tant manqué. Mais il verra aussi qu’il s’agit là « d’entendre enfin cette mère de la mère » dans une blessure restée jusque là silencieuse, mais intérieurement déchirante. Ainsi le praticien invitera la femme qui a fait la fausse couche à s’imaginer accompagner la femme que fut sa mère, quand celle-ci la portait en pensant à son enfant perdu. Puis il l’invitera aussi à l’accompagner quand elle perdit l’enfant (et il sera donné une place à cet enfant qui est un frère ou une sœur non connu). Là nous trouverons une réhabilitation de l’enfant perdu par la mère de la mère, puis une réhabilitation de « la mère de la mère » en deuil, puis un accompagnement de l’enfant qu’était la mère. Toutes ces étapes, ici résumées, ne se font qu’au fur et à mesure des portes qui s’ouvrent dans la psyché. Le praticien ne fait que suivre sa patiente dans ce qu’elle lui propose, dans ce qu’elle lui montre d’important en elle. Il respecte tant ses résistances que toutes les directions qu’elle lui montre.

L’enfant est désiré, mais aussi il y a une peur de ne pas être une bonne mère.

Nous pouvons aussi trouver une situation où il y a ambivalence, avec en même temps un désir d’enfant, et une peur d’en avoir un. Les sources de cette peur peuvent être multiples. J’ai choisi ici de vous présenter celle qui consiste à craindre de ne pas être une bonne mère. Cette crainte peut survenir par exemple du fait que cette femme a vécu une enfance difficile et que sa propre mère a été dure avec elle. Cette rupture d’avec sa mère, et cet unique modèle qu’elle lui a fait connaître, lui font craindre elle-même de reproduire sur son enfant ce qu’elle a subi. Naturellement il s’agit là d’un vécu spécifique, car une personne ayant eu une enfance difficile ne développe pas forcément une telle peur (et ne reproduit pas forcément sur son enfant ce qu’elle a subi). Dans le cas de cette crainte, lors de la fausse couche qui est une douleur, il  y a en même temps une libération de cette crainte. Il est difficile d’affirmer que la fausse couche soit une conséquence psychosomatique de cette peur. Il serait même inacceptable d’affirmer une telle chose ! On ne peut que constater que les deux phénomènes coïncident et sont intimement reliés dans les divers ressentis éprouvés chez cette femme. Pour le praticien, ce qui importera (si cela surgit au cours de l’entretien), c’est d’une part de réhabiliter l’enfant que fut cette femme, puis, toutes les deux (elle et cette enfant), de voir ce qui fait que, pour la mère, une telle dureté était si nécessaire. Puis nous reviendrons à la fausse couche, pour accompagner l’enfant qui est « parti » et lui « expliquer » toutes ces blessures. Nous mentionnerons que sa venue aura permis tous ces éclaircissements et lui en serons reconnaissant. Nous noterons ici la « présence » dans l’imaginaire de tous les interlocuteurs qui trouvent chacun leur place et leur réhabilitation au sein de la psyché. Tout ce parcours se fait sans rien nier ou refouler des vécus ou des colères de chacun. Il peut se trouver au cours de l’entretien de nombreux allers retours avant d’aboutir. Mais nous arrivons finalement à un apaisement significatif et durable.

Avoir été menacé par un parent si elle « tombe enceinte »

Lors de l’adolescence ou de l’enfance, un vécu de menace en cas de grossesse, a rendu celle-ci inquiétante « T’as intérêt à pas tomber enceinte… ! Sinon…! ». Il convient alors de ne pas trahir la famille pour  ne pas risquer l’exclusion. Lors de la grossesse à l’âge adulte, bien plus tard, ces menaces reviennent inconsciemment (comme si elle avait trahi) et la peur d’exclusion, jusque là en latence, se réveille. Difficile de dire là aussi s’il s’agit d’une réaction psychosomatique provocant la fausse couche (il se peut que cela n’ait rien à voir). Nous ne faisons que constater ici aussi l’ambivalence de la situation (désir d’enfant et peur d’en avoir). Le praticien invitera la femme à visiter autant le vécu de l’adolescente qu’elle fut devant cette menace, que celui de la femme que fut sa mère, et de la raison pour laquelle il lui fut important de dire une telle chose à sa fille.

Autres cas

Incertitude conjugale, situation de crises conjugales diverses – Solitude relationnelle, non partage du désir d’enfant avec le conjoint - Le compagnon est en rupture avec sa propre mère. Sa compagne craint qu’en devenant mère à son tour il la perçoive de la même façon …etc. Tout cela ne produit généralement pas de fausses couches, sauf sans doute dans certains cas où le psychosomatique s’en mêle.

Le psychosomatique est plus prégnant qu’on ne le pense. Ainsi, un monsieur à qui on annonça un cancer du pancréas en phase terminale mourut… et à l’autopsie on découvrit qu’il n’avait pas de cancer ! La réaction psychosomatique est ici encore plus violente qu’une fausse couche car elle conduit à la mort du sujet lui-même ! Le psychosomatique ne doit pas être craint, ni brandi à toutes les sauces, mais il ne faut pas l’ignorer. D’autre part, dans les cas évoqués plus haut, la question n’est pas de savoir l’enjeu psychosomatique réel ou fantasmé. Il s’agit simplement de réhabiliter ce qui se présente dans la séquence thérapeutique.

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4   Les causes de la fausse couche

Avant de conclure cet article, il convient de parcourir quelques causes possibles de la fausse couche, hors du champ évoqué ci-dessus. Cela de toute façon n’enlève rien à la possibilité de mises en œuvre d’accompagnements psychologiques tels qu’ils ont été décrits précédemment.

4.1Causes biologiques ou physiologiques

Le projet de cet article n’est pas de développer les aspects médicaux, physiologiques et biologiques de la fausse couche. Nous ne devons cependant pas les ignorer.

Nous trouverons plusieurs types de causes :

Causes génétiques : expulsion de l’embryon mal formé. C’est ce cas qui conduit à dire « la nature a fait son travail » sous-entendu « en expulsant l’embryon mal formé ».

Causes infectieuses : une infection peut perturber la grossesse ou le développement de l’embryon. Il est alors aussi expulsé spontanément.

Causes physiologiques : l’utérus peut avoir une forme rendant la grossesse difficile, le col peut être trop vulnérable. Dans ce cas un accompagnement psychologique de la mère (et du couple) peut s’avérer nécessaire afin de ne pas laisser celle-ci dans une culpabilisation du fait de sa morphologie intime.

Causes hormonales : hypothyroïdie, diabète, dérèglement des hormones du cycle

Causes environnementales : les phénomènes de pollution ou l’hygiène de vie (tabac, alcool) peuvent jouer un rôle important. Là aussi un accompagnement psychologique devrait se faire avec beaucoup de délicatesse. Nous ne pouvons envisager de simples conseils d’hygiène comme par exemple inviter à ne plus boire ou fumer en étant enceinte. Cette cause relève du champ psychologique, même s’il produit une conséquence environnementale physiologique. Lire à ce sujet sur le site « Aider le malade alcoolique » (mars 2003).

4.2Causes psychologiques présentes, sociologiques

Quand nous parlons de psychologie, nous pensons souvent à l’histoire du sujet. Mais il n’y a pas que la vie passée… il y a aussi tout simplement la vie présente. Nous y trouvons parfois, le stress, le harcèlement, les chocs affectifs (deuil d’un proche, divorce, licenciement…).

Tout l’environnement actuel influe sur la psyché et, par somatisation, sur l’état du corps. Le rôle de ces facteurs peut être néfaste en général, voir dangereux en cas de grossesse fragile.  Naturellement, la capacité à faire face à cette pression du présent est intimement liée à ce que nous avons été antérieurement, à ce que nous avons éprouvé, et à ce que nous en avons fait dans les multiples situations de notre existence… depuis que nous sommes au monde.

Il n’en demeure pas moins que suite à un choc récent, une écoute attentionnée est plus que souhaitable. Il est aussi nécessaire de ne pas chercher ici à tout prix des antériorités. Le choc, dans l’actuel, doit aussi pouvoir être considéré comme une situation première.

Un accompagnement psychologique dans ce cas se situera au niveau d’une écoute attentionnée où le praticien veillera à ce que chaque ressenti soit pleinement reconnu.

Sur ce site, vous pourrez par exemple visiter à ce sujet les publications, « stress et travail » (octobre 2009) « vivre son couple » (janvier 2009), « stress et mieux-être » (novembre 2001), mais aussi « Assertivité » (septembre 2001) ou « Reformulation » (novembre 2002), concernant l’art de vivre avec son entourage.

4.3Sans oublier le vécu corporel

Si la fausse couche est en elle-même une douleur du cœur, il ne faut pas pour autant en oublier celle du corps. Les contractions lors de l’expulsion font parfois vivre des douleurs « d’accouchement », mais sans le bébé au bout.

Egalement, pour s’assurer d’un utérus bien net, le curetage qui suit vient débarrasser celui-ci des restes éventuels. Outre la douleur physique que cela représente, ce « nettoyage » vient « effacer » les traces de ce dont on voudrait que ce ne soit pas parti. Le curetage après fausse couche peut alors être vécu comme une violence de plus. Cela ne remet pas en cause l’acte médical qu’il représente. Je tiens juste à souligner la délicatesse psychologique dans laquelle il devrait se réaliser.

Suite à tout cela, il est généralement médicalement recommandé d’attendre que soient passés environ deux cycles avant la grossesse suivante (quand celle-ci veut bien se présenter), ce qui d’ailleurs va bien avec le fait que les rapports sexuels ne soient pas recommandés aussitôt après la fausse couche (même si, bien évidemment, il appartient à chaque couple de décider pour lui-même).

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5   Conclusion

Nous pouvons maintenant prendre la mesure de toute une dimension vécue par la femme lors d’une fausse couche. Nous pouvons aussi réaliser à quel point cette expérience de vie, elle la vit seule dans son environnement, tant familial que médical, où on ne sait généralement pas prendre en compte ce qu’elle éprouve.

Elle doit trop souvent taire son vécu et le garder de longues années, voir pour toujours. Il se peut même qu’une telle personne se retrouve ultérieurement dans le grand âge entrain de promener un poupon comme si c’était de la démence. Pourtant elle ne fait alors dans sa vieillesse que s’autoriser à montrer une blessure que personne n’a jamais entendue. Une façon de réunir le début et la fin de la vie. J’ai écrit sur ce site plusieurs articles concernant les personnes âgées et sur la façon de les accompagner. Il est étonnant de constater tout simplement combien tout cela est relié, mais c’est simplement naturel et pertinent.

Un praticien en psychothérapie (qu’’il soit psychiatre, psychologue ou psychothérapeute) se devra d’avoir cette vision globale, délicate, attentionnée, confiante en la justesse de ce qui est évoqué ou manifesté.

Nous remarquons ici à quel point il ne s’agit pas de débarrasser le sujet en souffrance de quelque chose de mauvais qui encombre sa psyché et le fait souffrir. Il s’agit plutôt de lui rendre la part de soi qui a toujours manqué. La souffrance est en fait l’expression de ce vide à combler (et non à compenser). Ce vide est juste la place en soi de cette part de soi manquante qui n’a pas encore rejoint la conscience. Pour plus de détails sur ce mécanisme vous pouvez lire sur ce site les documents sur la psychopathologie  (avril 2008) et sur la communication thérapeutique (avril 2004).

 

Je souhaite sincèrement que ces quelques lignes apportent un soutien aux femmes ayant eu ce vécu, mais aussi qu’il interpelle les médecins et soignants afin de les aider à apporter l’accompagnement psychologique qu’ils ont à cœur  de donner, alors qu’ils sont souvent si démunis en pareilles situations.

 

Thierry TOURNEBISE

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