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Psychologie Positive
et psychologie "classique"
Avril 2012    -    © copyright Thierry TOURNEBISE

 

La psychologie tend à s’occuper de comprendre les êtres humains et à leur permettre de mieux vivre. Ce qui différencie la psychologie « classique » et la psychologie « positive » c’est que la première s’investit dans la libération des traumas et la résolution des conflits présents dans la psyché,  et la seconde dans la valorisation des ressources et de la santé. L’une libère de la douleur, l’autre promeut le bonheur. Il est important de rappeler que la santé mentale ne se résume pas à l’absence de maladie. La première s’occupe de guérir les maladies, la seconde de développer la santé. Les deux approches ainsi semblent se compléter harmonieusement.  

Entre la psychologie « classique » et la psychologie « positive » se trouve la psychologie « humaniste, existentielle » qui est plutôt tournée vers les ressources avec une idée de développement de Soi, pleinement centrée sur l’humain, mais sans évoquer la « notion de bonheur » explicitement.

Quand nous parlons de psychologie « classique », le terme est à peine approprié, sauf si nous choisissons de mettre sous ce vocable celles qui « combattent » la maladie mentale, celles qui libèrent des troubles, celles qui corrigent les dysfonctionnements. Mais comme toute tentative de classement, de telles catégorisations ne sont pas pleinement satisfaisantes et ne représentent qu’une première approche simplificatrice pour aborder ce thème.

Sommaire

1 Approche de la psyché
-L’antiquité
-Plus proche de nous
-Récemment
-Actuellement

2 Psychologie classique
-Corrective
-Cathartique
-Guérisseuse et soignante

3 Psychologie humaniste,  existentielle
-Le développement
-L’humanité
-La confiance
-Les bouclages
-Le fondement ontique
-L’humilité,  la science et l’esprit de chercheur

4 Psychologie positive
-Expérimentale, basée sur l’empirisme
-Bonheur et bien-être
-Comment éprouver plus de bonheur
-Risques d’égoïsme ?
-Le choix du mot « positif »
-Une quête d’humanité

5 Regard intégratif de la maïeusthésie
-Regard positif sur la psyché
-Des symptômes hors du concept « pathologie »
-Des pulsions œuvrant vers la complétude
-Une thérapie par la réjouissance
-Les besoins
-La créativité du praticien
-La gratitude
-Le rôle du corps
-Ce qu’apporte la maïeusthésie

Bibliographie
Souvent cité, l'ouvrage "Traité de psychologie positive"
 réalisé sous la direction de Martin-Krumm Charles  et Tarquinio Cyril (édité chez De Boek-2011 ) sera toujours simplement mentionné "TPP"

   

1   Approches de la psyché

Nous sommes un peu en peine de trouver le mot le plus juste pour désigner cet aspect de l’humain que nous évoquons ici. Nous retiendrons le mot « psyché » pour désigner ce que certain appelleront « Être », « conscience », « esprit », « mental », « âme ». Ainsi que je l’avais abordé dans ma publication d’octobre 2011 « Être et conscience », le choix reste ambigu, mais le mot « psyché » ayant participé à la naissance des mots « psychologie » et « psychiatrie » semble un choix convenable.

1.1L’antiquité

Le fait que l’homme se préoccupe de ce qui anime la psyché, l’être ou l’âme,  est très ancien. Les religions et les philosophies s’y emploient depuis des siècles, pour ne pas dire des millénaires.

Ce qui fait le mystère des humeurs, des comportements, des justesses ou injustesses des attitudes individuelles ou sociales, a toujours été une préoccupation.

Hippocrate (-460, -370) parlait de « phrénétis » (folie aigüe- troubles mentaux et fièvre), ou de « manie » (troubles mentaux sans fièvre) et de « mélancolie » (troubles mentaux sans agitation ni fièvre).

Démocrite (-469, -370) et Epicure (-341, -270) parlaient des atomes s’assemblant ou se désassemblant au gré des constructions plus ou moins pertinentes (ils sont finalement des précurseurs de Darwin !) au gré de la réception des « simulacres » (particules subtiles) émanant des êtres. Ils proposaient les bienfaits de la capacité à goûter le  bonheur en chaque chose (et non à rechercher les choses qui procurent du bonheur). Sachant trouver le bonheur en chaque chose, ils évitaient la frustration et, en conséquence, les excès dont le rôle est de compenser les manques induits par notre incapacité à goûter. Sachant que « compenser » ce n’est pas « combler », en ne faisant que compenser, la quête devient alors insatiable et parfois dévastatrice, addictive. La capacité au bonheur évite donc un tel inconvénient.

Ces hédonistes veillaient à ce que le plaisir éprouvé ne conduise pas à un inconvénient ultérieur. Ils étaient sensibles à l’« écologie du plaisir ». L’hédonisme ayant plus évoqué la notion de « plaisir » que celle de « bien-être » à conduit la psychologie positive actuelle à le considérer  comme une simple quête de plaisir. Selon la psychologie positive, le « bien-être » n’est possible qu’en réalisant un judicieux cocktail entre « l’hédonisme » (plaisir) et l’« eudémonisme » (implication et sens) [TPP, p.138]

Platon (-428, -348) nous évoqua sa fameuse caverne pour nous sensibiliser au leurre que représentent nos perceptions par rapport à la réalité, afin d’éveiller les esprits endormis par les apparences. Pour faire émerger de l’esprit les pensées qu’il contenait sans le savoir, il proposait les dialogues « maïeutiques » de Socrate.

Les stoïciens, dont Epictète (50  - 130) ou Marc Aurel (121 - 180) parlaient eux de l’attitude qui consiste à ne prendre en compte que ce qui est en notre pouvoir (ce qui est en nous ou ce qui vient de nous), et à aborder autrui par le « bon côté » (XLIII Manuel -Epictète), c'est-à-dire par l’être et non par les travers de cet être. Epictète proposait aussi de ne pas porter de jugement et de ne pas dire sans savoir (XLV Manuel - Epictète)

Puis, au Moyen Âge, la religion coexiste plus ou  moins avec la médecine concernant la maladie mentale. La première pensant à une possession envoyait souvent au bûcher (technique radicale de purification !), la seconde estimant qu’il y a dans le crâne une « pierre de folie » en réalisait l’excision crânienne avec les moyens de l’époque (technique emplie de délicatesse pour libérer de la folie !).

Puis progressivement, après avoir enfermé et maltraité les « fous » car considérant qu’ils étaient « vide » (« fol » signifiant « soufflet vide », « ballot ») nous devons à Philippe Pinel un changement radical.

1.2Plus proche de nous

Philippe Pinel (1745-1826), dans son « traité médicophilosophique de la maladie mentale ou la manie », nous propose que le malade mental n’est pas vide mais est devenu étranger à lui-même. C’est pourquoi il le nommera « aliéné » (« alienare » signifiant rendre autre, rendre étranger – lui-même de« alius » ailleurs, alias, alibi). Pour la thérapie, il pensait que les aliénés quitteraient cet état d’étrangeté si l’on s’adressait régulièrement à eux normalement. Il eu le grand mérite de les libérer de leurs fers, de leur enfermement et de ce jugement selon lequel ils étaient « vides ».

Eugène Bleuler (1857-1939)  nous proposa le terme de Schizophrénie (« phrèn » esprit,  « schizein » séparé clivé) ce qui finalement reprend d’une certaine façon l’idée d’étrangeté d’avec soi-même (même si nous savons que ce terme désigne une psychopathologie  ou un symptôme bien précis).

Paranoïa (de « para » signifiant à côté, et « noos » esprit ) nous vient  de sources multiples. Même si cette terminologie désigne en psychopathologie un symptôme bien précis, il désigne aussi cette sorte de « séparation de Soi », de « à côté de Soi » (para-noos).

Emil Kreaplin (1856-1926), fondateur de la psychologie expérimentale, réalisa une nosographie (liste des symptômes) dans son « Traité de psychiatrie »  (1883)  qui évoluera jusqu’en 1909 (l’ancêtre du DSM). Son listage méticuleux et parfaitement organisé des troubles mentaux a fait dire avec humour au psychologue Jean-Pierre Chartier qu’il était le « le plus grand botaniste des fleurs du mal » (« Guérir après Freud » Dunod 2003, p.27). Il distingue les maladies exogènes dues à des chocs de la vie (guérissables) et les maladies endogènes, liées à la structure biologique du patient (non guérissables). Pour les altérations profondes de la conscience, il utilise le terme de psychose (altération profonde de l’identité)

Ici nous avons perdu l’idée précieuse de Pinel quant à l’Aliénation.

1.3Récemment

Sigmund Freud (1856-1939). Ses recherches le conduisent à parler de l’inconscient, du ça, du moi et du surmoi (constituant le deuxième topique), de la libido comme flux de besoin, de neutralité bienveillante comme posture du praticien. Il pense que les symptômes sont un moyen de dissimulation que le praticien doit déjouer.

Carl Gustav Jung (1875-1961). Ses recherches le conduisent essentiellement à la notion de Soi. Alors que le moi de Freud est une stratégie permettant de profiter ou d’éviter, le Soi touche plutôt une dimension de conscience et de rencontre. Il est l’individu, l’Être en développement, tout à fait différent de l’ego. Ici l’individuation n’est pas un développement du moi, mais un développement du Soi. Concernant l’inconscient, Jung étend la notion à celle d’inconscient collectif où nous sommes concernés par le vécu de l’humanité.

Jacques Lacan (1901-1981) eut  l’idée de différencier le réel, l’imaginaire et le symbolique. Le réel inaccessible à l’intellect peut être plus ou moins imaginé, et il disparait dès que le verbe le symbolise, il se réifie et se perd. Lacan développe la notion de « stade du miroir ». Mais outre l’image de son corps que l’enfant découvre dans le miroir, il  y  a aussi notre propre image que nous découvrons dans les yeux d’autrui. Cela conduit ainsi à une représentation de soi structurée par autrui.

Abraham Maslow (1908-1970) développa la notion de besoins et de carences. Un regard intéressant sur l’humain chez qui le trouble psychique vient, selon lui,  non d’un encombrement psychique mais d’une carence… carence en humanité, carence en l’humain que l’on doit être, carence en l’humain que l’on a à être. Maslow n’a jamais parlé de pyramide mais plutôt de hiérarchie des besoins (ceux qui ont choisi cette illustration géométrique se sont éloignés de son propos). L’impasse a souvent été faite sur ce qu’il nomme les besoins ontiques (besoins de l’être) qui, quand ils sont carencés engendrent une insatisfaction perpétuelle au niveau de tous les autres besoins. De même que chez Jung on différencie le moi et le Soi, ici on différenciera les besoins psychosociaux (ceux du moi) et les besoins ontiques (ceux du Soi).

Carl Rogers (1902-1987) nous proposa le counseling (art de tenir « un conseil », où le praticien et le client sont en position équivalente). Selon lui les clés de la qualité thérapeutique réside dans la posture du praticien : « empathie » (humanité), « confiance inconditionnelle » (en la justesse de l’autre), « congruence » (harmonie entre ce qu’on est et ce qu’on montre) et sur la fin de sa vie « présence » (être ensemble dans une sorte de « dimension transcendée » où chacun perçoit l’autre avec subtilité). Il a réalisé de nombreuses expériences cliniques avec beaucoup d’enregistrements de séances de thérapie et a développé une approche autant de la thérapie que de la communication très utilisée notamment dans ce qu’on appelle « relation d’aide ». Chercheur acharné, soucieux de résultats, il était partisan de la créativité et ne souhaitait pas qu’on l’imite strictement. Il a développé ce qu’on appelle l’ACP (approche centrée sur la personne) et partant de ces concepts, Marshal Rosenberg développa la CNV (communication non violente) qui est plus un art de la communication qu’une thérapie.

Il faudrait aussi parler de Victor Frankl (avec l’importance du sens dans sa « logothérapie »), Eugène Gendlin (dans la sensibilité corporelle de son « focusing »), Donald Wood Winnicott (avec le rôle de la mère et l’objet transitionnel permettant de supporter le monde extérieur qu’on ne contrôle pas), Friedrich Perls (dans ses rétablissements et aboutissements de flux avec sa « Gestalt thérapie »), Alexander Lowen et Gerda Boyesen (avec l’importance des marques corporelles  liées aux séquences émotionnelles inachevées auxquelles remédie leur approche « psychocorporelle »), Jacob Levy Moreno (avec l’art de jouer ou faire jouer ce qu’on est afin de le conscientiser ou de réaliser une catharsis des émotions avec son « psychodrame »),Gregory Bateson, avec l’école de Palo Alto (thérapies brèves, idée d’interactions entre le sujet et son environnement qui conduisent à ne pas diagnostiquer un sujet mais un tout, thérapies basées sur la solution, l’utilisation de l’injonction paradoxale), Eric Bern (avec les trois états du moi et un ajustement des flux échangés dans son « analyse transactionnelle »), Richard Bandler et John Grinder (avec les ressources et ancrages permettant de se libérer de fâcheux symptômes dans leur « PNL » : programmation neurolinguistique),   Frans Veldman (avec toute la subtilité du « tact psychique » et la capacité à voir le « bon en l’autre, présent et en devenir » grâce à son approche qu’il nomme « haptonomie ») etc.

1.4Actuellement

Toutes ces approches de psychothérapies sont utilisées actuellement, mais celles qui ont la faveur du monde universitaire, sont les TCC (thérapies comportementales et cognitives) où l’idée est de venir à bout des « troubles psychiques » grâce à l’association d’un apprentissage (comportementalisme) et d’une mise en conscience des mécanismes de la pensée (cognitivisme). Ces deux processus sont ici sensés être harmonieusement mis en œuvre dans le respect du patient qui reçoit la thérapie (du moins dans la troisième vague des TCC, car au départ, il s’agissait surtout de « froides » déprogrammation/reprogrammation). Le succès de cette thérapie vient entre autre de sa compatibilité avec la possibilité de « mesurer les résultats ». La mesure et l’objectivation voici quelque chose qui va « droit au cœur » du scientifique !

Les praticiens trouvent une aide au diagnostic avec la psychométrie (nombreux tests tentant d’objectiver les états psychiques des patients, dont l’un des plus célèbres est le test de Rorcha, avec ses tâches d’encre).

Actuellement, les praticiens bénéficient aussi d’une nosographie détaillée venant des USA qui, s’appuyant sur des données statistiques très fournies, permet de classer les symptômes et les psychopathologies.  Il s’agit du DSM, (diagnostical and statistical manuel of mental desorder) dont nous avons actuellement la version IV (la V étant en cours d’élaboration… et de contestation !). Quelques informations au sujet du DSM sont intéressantes quand à  la compréhension du positionnement de la médecine concernant la maladie mentale. Il ne s’agit ici ni de défendre ni d’attaquer cet outil diagnostic, mais juste d’y relever quelques points remarquables qui nous permettront de mieux nous positionner dans la suite de cet article.

Nous y trouvons un positionnement par rapport au mot « mental » :

 « Bien que ce volume ait pour titre Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, le terme de trouble mental implique malencontreusement une distinction entre les troubles "mentaux" et les troubles "physiques", ce qui est un anachronisme réducteur du dualisme esprit/corps. Il existe une littérature importante pour démontrer qu’il y a beaucoup de "physique" dans les troubles "mentaux" et beaucoup de "mental" dans les troubles "physiques". Le problème soulevé par le terme trouble "mental" est clair mais sa solution est difficile, et malheureusement, le terme existe toujours dans le titre du DSM-IV car nous ne lui avons pas trouvé de substitut satisfaisant. » (DSM-IV-TR, xxxv)

Les parts de corporel et de psychique y sont bien identifiées et le regret pour les auteurs du DSM est le risque de tomber dans un a priori psychique risquant de faire manquer des éventualités physiques.

Un positionnement par rapport à la notion de « trouble » :

« Quelque soit la cause originelle il doit être considéré comme un dysfonctionnement comportemental psychologique ou biologique de l’individu » (xxxv)

Là le positionnement est clair « tout trouble reflète un dysfonctionnement)

Une clarification quant à la nature de ce qui est ici classé :

« Une erreur est de croire qu’une classification de troubles mentaux classifie des personnes, alors que ce qui est classifié, de sont les troubles que présentent ces personnes. (xxxvI)

On y prendra soin de ne pas parler d’un « schizophrène » mais d’un « individu présentant une schizophrénie ».

Une conscience de la nature floue des frontières entre les différentes pathologies :

« Dans le DSM-IV, on ne postule pas que chaque trouble mental soit une entité circonscrite, aux limites absolues l’isolant des autres troubles mentaux ou de l’absence de trouble mental. […] les individus qui partagent le même diagnostic sont susceptibles d’être hétérogènes » (ibid).

Une prudence quant à l’usage de ce document :

Les concepteurs du DSM prennent soin d’avertir que l’utilisation du DSM « exige un entraînement clinique spécialisé permettant d’acquérir des compétences cliniques particulières », sous peine d’aboutir à des diagnostics simplistes et erronés.

Une intégration de notions multiples :

La prudence et la précision conduit les concepteurs à y proposer aussi une approche multiaxiale afin de tenir compte des multiples paramètres qui peuvent engendrer la santé ou la maladie mentale.  Nous y avons l’Axe I pour les troubles cliniques, l’Axe II pour les troubles de la personnalité et retard mental, l’Axe III pour les affections médicales générales, l’Axe IV pour les problèmes psychosociaux et environnementaux et l’Axe V pour une évaluation globale du comportement. Cette évaluation prend en compte un comportement global allant de l’absence de symptômes aux manifestations les plus lourdes. Ces 5 axes font que l’ensemble de l’individu et de son environnement sont pris en compte.

Une prudence quant à l’hétérogénéité de patients autour d’un même trouble :

L’utilisation en est complexe mais peut être précieuse pour le praticien… et le conduit à diagnostiquer… un trouble ! Différents praticiens sauront de quoi ils parlent quand ils nommeront un trouble et pourront échanger au sujet de leurs diagnostics et classer les données… mais rappelons nous de la précaution énoncée « les individus qui partagent le même diagnostic sont susceptibles d’être hétérogènes »… donc rebelles au classement. 

Malgré toutes ces précautions :

Le Dr Antoine Pelissolo, psychiatre à la Pitié Salpêtrière et professeur à Paris VI écrit nos incertitudes quant au causes des maladies psychiatriques.

« Il n’existe à ce jour aucune certitude sur l’origine précise des affections en psychiatrie. Ceci empêche de les classer comme on le fait en infectiologie […] deux voies sont alors possibles : soit s’appuyer sur des modèles théoriques ou des hypothèses explicatives, soit tenter une approche purement descriptive reposant sur l’observation des symptômes et pas du tout sur leurs causes présumées »*.

*Revue « Sciences Humaines » Les grands dossiers -revue n°20 (2011, p.18).

Le Dr jean Maisondieu,  psychiatre spécialisé dans les troubles psychiques de type Alzheimer et contributeur des découvertes et avancées en psychothérapies familiales systémiques met en garde concernant :

-un risque de limitation du champ d’investigation du praticien

« Si on se contente de penser en termes de maladie, on ne peut plus creuser qu’un seul sillon étiologique » (2001, p.16) car « Le dément est considéré comme un insensé avant même d’ouvrir la bouche ». (p.69).

-de possibles aveuglements dans les diagnostics

 « Si les médecins prévoient d’observer de la démence là où il y a de l’angoisse, ils trouveront de la démence et rien d’autre (ibid.).

-et surtout un risque

« Dire que la démence est irréversible par définition, c’est vouloir qu’elle soit ainsi […] La première chose à faire est de détruire la définition ; à elle seule, elle est capable de fabriquer tout ou partie de la symptomatologie dont elle est sensée rendre compte » (ibid.p.56). « Si on se contente de penser en termes de maladie, on ne peut plus creuser qu’un seul sillon étiologique » (ibid, p.16).

Nous avons en effet une dérive possible où, annonçant une psychopathologie, il faudra toujours faire la part entre « ce qui est réellement »… et « ce qu’on induit en tant que praticien du fait de cette annonce ». L’effet pygmalion, bien connu des psychosociologues, montre comment ce qu’on pense d’autrui le façonne  à son insu (et même à l’insu de celui qui a les pensées)* .

*Expérience de Rosenthal et Jacobson, citée dans « Les concepts fondamentaux de la psychologie sociale » de Gustave-Nicolas Fischer, (2005 p.125)

Sur un autre registre, la psychologie positive révèle que l’état d’être et les pensées d’une personne influencent autrui sur le plan positif : le bonheur est contagieux.

Sans prétendre être le moins du monde exhaustif (ce serait fastidieux), nous venons de réaliser un petit tour d’horizon de quelques pratiques en psychothérapie. Cela est utile avant d’aborder la psychologie positive afin de mieux la positionner par rapport à ce qui l’a précédée. Cela nous permettra aussi de mieux cerner comment réaliser un pont entre les anciennes approches et ces innovations.

La psychologie classique s’occupe de la maladie, du trouble mental et  tient une grande place  dans les soins. La psychologie positive, s’occupe de la santé mentale et ne traite pas de la maladie. Elle est juste naissante (début vers 1970, développement vers 1990) et c’est un véritable renversement de paradigme dans la pensée des praticiens qui, sans rejeter ce qui permet de s’occuper de la pathologie, a résolument pris le parti de regarder différemment la psyché, de se tourner vers ce qui fait qu’elle va bien plutôt que vers ce qui fait qu’elle va mal.

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2   Psychologie « classique »

Tout ce que nous venons de voir nous a permis de considérer les pratiques qui s’occupent de la maladie. Ce qui les caractérise, c’est d’être correctives,  cathartiques ou éliminatrices, guérisseuses, ou simplement soignantes.

2.1Corrective

Concernant le symptôme, le principe bien énoncé dans le DSM est que « Quelque soit la cause originelle il doit être considéré comme un dysfonctionnement comportemental psychologique ou biologique de l’individu » (xxxv).

En fait il s’agit d’une grande tradition de « lutte contre le mal ». Dieu merci les stades de l’exorcisme ou de l’extraction de la pierre de folie sont loin derrière nous, il s’agit tout de même de lutter contre « ce qui est mauvais et cause une nuisance au patient ». Pourtant, quoi de plus naturel, quand on est animé d’une volonté d’apporter à celui-ci une libération concernant sa pathologie ! Le praticien est ainsi conduit à intervenir dans l’écologie de son patient pour apporter des corrections à ses attitudes, à ses comportements, à ses mécanismes psychiques.

Les corrections peuvent se réaliser au niveau des conflits qui demeurent dans la psyché (névrose), apporter la résolution des stades précoces du développement inachevés, permettre une modification des flux libidinaux (psychanalyse).

Par les approches TCC, une modification des apprentissages (désensibilisation systématique), une modification des mécanismes cognitifs jugés erronés (découverts comme tels par le patient suite aux interventions du praticien en découverte guidée)

Par l’astuce de l’injonction paradoxale qui demande au patient de faire davantage ce dont il souhaite se libérer, l’idée est de le positionner vers plus de conscience concernant ce qui le gêne plutôt que de lutter contre. Il peut alors implicitement mieux en acquérir le contrôle et ne plus le subir.

L’utilisation des ressources et des ancrages, des visualisations, des libres associations… tout cela afin de faire émerger à la conscience ce qui doit trouver modification ou ajustement  dans la psyché du patient.

2.2Cathartique

La catharsis, c’est en grec la « purification ». Cela fut évoqué dans l’antiquité à l’occasion du théâtre, provoquant ainsi une émergence des émotions du public.  Les techniques cathartiques permettent à l’émotion de jaillir, mais une erreur est souvent dans l’interprétation de ce phénomène. Il ne s’agit pas d’une « élimination émotionnelle », mais de l’accomplissement de l’expression d’un ressenti resté en suspend.

L’émotion, qui est au cœur de nombreuses thérapies n’est pas assez considérée comme une « remise en mouvement » (é-mouvoir) permettant au sujet anesthésié d’accéder de nouveau à une zone de sensibilité.

Elle est cependant bien considérée par certains praticiens de psychocorporel qui la comprennent comme stockée dans les « citernes musculaires » en attente de l’opportunité d’accomplir leur expression. Celle-ci n’est alors aucunement une « décharge », mais plutôt un accomplissement venant à son terme.

2.3Guérisseuse ou soignante

Dans tous les cas, les psychothérapies ont pour projet, si possible, la guérison de la pathologie. Quand cela n’est pas réalisable, la tentative est alors d’apporter un soin suffisant pour rendre néanmoins la situation acceptable pour le patient.

Il est regrettable de constater les tâtonnements à ce sujet, la longueur démesurée des thérapies, et quand les résultats sont mesurés (surtout dans les thérapies brèves) de voir un tel écart entre la mesure et la façon réelle dont se sent le patient.

Cela vient-il du leurre de la mesure, cela vient-il du fait que la santé n’est pas seulement l’absence de maladie ? La psychologie « classique » s’est vue enrichie de la psychologie « existentielle » ou « humaniste ».

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3   Psychologie humaniste, existentielle

Elle est une sorte de transition entre la psychologie classique et la psychologie positive. Elle se tourne vers le développement du Soi. Elle ne cherche plus à résoudre, combattre ou corriger, mais à accomplir. Son attention se tourne vers la personne bien plus que vers le pathos. Elle est fondée sur le développement, l’humanité, la confiance, et réalise des bouclages de ce qui est en attente en proposant une assise, un fondement ontique.

3.1Le développement

Elle nous porte à devenir celui qu’on a à être (Maslow), elle postule le développement de Soi (Rogers, Rolo May), elle permet de se contacter par le sens corporel (Gendlin). L’idée n’est plus de combattre mais d’aboutir à une « réalisation ».

Si la psychanalyse visait la « résolution des stades du développement », la psychologie existentielle, humaniste, vise l’accomplissement, le développement de Soi. Il ne s’agit pas tant de « réparer » que de « développer » : le fameux « growth » de Rogers.

Cela conduit le praticien à adopter une attitude particulièrement délicate, car il se retrouve comme une sorte d’accoucheur de son patient en train de venir au monde.

3.2L’humanité

Il serait injuste de dire que la psychologie classique est dépourvue d’humanité. Bien des praticiens en psychologie classique se sentent profondément concernés par leurs patients. Mais le paradigme de la « bonne distance thérapeutique » a parfois mis à mal certains d’entre eux qui ont confondu « neutralité bienveillante » avec « froideur distante » (pour le bien de la cure !). Mais même sans cet écueil, leur centration sur la pathologie et le désordre psychique leur confère facilement une gravité qu’on ne devrait pas trouver chez les praticiens en psychologie humaniste et existentielle, qui eux sont centrés sur la personne.

La dimension ontique y tient une grande place. L’empathie, la considération et la reconnaissance y sont des valeurs premières.

3.3La confiance

L’écologie du patient est respectée dans cette approche, et celui-ci progresse selon ses justesses intérieures. Le praticien met en œuvre le moins d’interventionnisme possible, il laisse une grande liberté du fait de sa confiance dans le potentiel du patient. Pour Carl Rogers la non directivité découlant de cette confiance n’était en aucun cas un laxisme, mais engageait le praticien dans une grande qualité de présence. Cependant il abandonna cet idéal initial de posture « non directive » du praticien envers son client et lui préféra l’idée de posture « centrée sur le client » (Pagès, 1970, p36).

Il y a aussi un abandon de l’idée de lutte contre ce qui gène. Nous avions un peu cela avec l’injonction paradoxale, mais ici le but n’est pas changer quelque chose avec un stratagème, mais simplement de lui donner sa place.

 « L’acceptation, la valorisation de l’angoisse permet de la dépasser » (Pagès, p.69).

 « Ce mouvement d’inversion, d’affrontement de l’angoisse, c’est le mouvement même de la thérapie du début à la fin, on pourrait dire que c’est le mouvement même de la vie, que la thérapie ne fait qu’accélérer » (ibid.).

Ainsi le praticien ne se présente qu’en accélérateur de ce qui se passe déjà en termes de vie et non en tant que producteur d’un ordre meilleur.

3.4Les bouclages

Une autre caractéristique est le bouclage de ce qui est resté en suspend. Rien n’est « bouclé de force » car l’écologie du patient est respectée, mais l’accompagnement le favorise. La Gestalt-thérapie et le psychocorporel sont les artisans de cette réalisation. La vie d’un être est jonchée de cycles inachevés, tronqués, en attente d’accomplissement. Ici le praticien en permet l’aboutissement en fournissant un environnement ontique salutaire, sécurisant.

3.5Le fondement ontique

Les besoins ontiques étant, plus qu’on ne le croit des besoins fondamentaux (Maslow), le fait de les satisfaire par la qualité de présence offre au patient une assise signifiante le mettant en confiance pour se réaliser (comme Veldman nous le propose en haptonomie).

3.6L’humilité, la science et l’esprit de chercheur

Hubert REEVES nous dit que les vérités scientifiques d’aujourd’hui, nous sembleront probablement dans quelques siècles aussi naïves que celles de Claude Ptolémée (90-168) situant la terre au centre de l’univers. Il nous dit que le vrai scientifique avance avec ce qui est démontrable, qu’il a des protocoles stricts, mais qu’il n’est  jamais certain que c’est la vérité. Il sait que c’est seulement « ce qui est vrai pour lui à ce moment là en fonction de ce dont il dispose ». Il nous rappelle, ainsi que son confrère Trin Xuan Thuan, et quelques autres, que la partie connue de la substance de l’univers ne représente que 5% et que 95%  nous sont inconnus (et peut-être inconnaissables). Cette humilité des scientifiques œuvrant dans les sciences dites « dures » se doit de déteindre un peu vers ceux qui s’occupent de la psyché. S’il y a tant d’incertitudes concernant la matière, comment pourrions-nous avoir l’arrogance de la certitude concernant la psyché… ce serait folie. Mais ce serait aussi folie de ne pas oser de nouvelles explorations, de ne pas oser un regard nouveau et d’ouvrir des champs d’expérience inattendus.

Un praticien en psychothérapie se doit d’être un praticien chercheur, toujours curieux des nouveautés, se faisant même enseigner par les patients qui le consultent (Donald Wood Winnicott mit en dédicace dans son ouvrage « Jeu et réalité » : « A mes patients qui ont payé pour m’instruire »). Le praticien se doit d’être à l’affut des travaux de ses confrères, de rester libre, de n’être enfermé dans aucun paradigme fossile, tout en étant respectueux de tout ce qui l’a précédé et qui, d’une certaine manière à contribué à sa réflexion.

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4   Psychologie positive

La psychologie se doit donc de préserver cet esprit d’ouverture. Après la psychologie classique s’occupant de la maladie mentale, la psychologie humaniste s’occupant du développement de la personne, nous arrivons à la psychologie positive  s’occupant de la santé mentale et du bien-être.

Orientation résolument nouvelle, car elle abandonne la chasse aux sorcières de la psyché pour s’intéresser à ses trésors. A ce sujet, la psychologie humaniste lui fut un heureux précurseur :

« La nature est loin d’être aussi mauvaise qu’on l’a pensé.[…] On pourrait dire que Freud a découvert la psychologie pathologique et qu’il reste maintenant à découvrir la psychologie de la santé » (Maslow, 1972, p.4,6)

Naturellement ces approches ne s’excluent pas les unes les autres mais se complètent.

4.1Expérimentale, basée sur l’empirisme

De nombreuses recherches universitaires en psychologie positive déploient les meilleurs talents pour démontrer, mesurer, expérimenter. Pour affiner cette expérimentation elle a du commencer par préciser sa terminologie et déterminer avec soin ses outils de tests (thèmes de recherche, questionnaires, items, populations testées).

Pour commencer, s’orientant vers la santé mentale, il lui a fallu définir celle-ci, sachant qu’on ne peut la réduire à une  simple absence de maladie.

« Le mot santé vient du latin salvus qui dérive du sanscrit sarva (intègre tout). L’étymologie renvoie donc à une conception holistique où le bien-être est intégrité et complétude alors que dans son acception courante on se réfère surtout à la condition physique » (TPP, p.44)

L’idée de santé n’est donc concevable que dans une dimension holistique ou  l’entièreté de l’être est prise en compte.

« Dans la mouvance d’une attention toujours plus grande à la prévention plutôt qu’aux soins, l’OMS a adopté le modèle biopsychosocial […] et a définit la santé comme la condition d’un bien être physique, psychologique et social, en précisant que son évaluation doit se faire à partir du contexte socioculturel auquel l’individu appartient » (ibid.)

Enoncé aussi en santé  « physique, mentale, ou sociale » (TPP, p.545).

Mesurer les paramètres du  bonheur nécessite ainsi quelques prudences qui nous sortent de la simple idée de maladie mentale. En ce domaine, les choses qui semblent évidentes sont parfois les plus délicates à appréhender.

« Savoir combien une personne est heureuse ne nous dit pas combien elle est malheureuse et savoir combien elle est malheureuse ne nous dit pas combien elle est heureuse. » (TPP, p.648)

De nombreuses situations doivent aussi être envisagées, et mesurer le bonheur seul peut ne pas rendre compte de la réalité complète. Par exemple (ibid p.650) les données empiriques montrent la complexité entre l’épanouissement et le trouble mental : on peut être épanoui et ne pas être atteint d’un trouble mental, être ni épanoui ni avoir de trouble mental, être épanoui  et avoir de trouble mental… l’un n’exclut pas l’autre et rien n’est écrit d’avance.

Tout se passe comme si on pouvait construire deux échelles complémentaires : l’une « salutogène » et l’autre « pathogène » (recherches de Corey Keyes)

Quoi qu’il en soit, la psychologie positive se définit comme intervenant sur des populations « non cliniques » en « focalisant sur l’augmentation du bien être et non sur la réduction du mal être » (ibid, p.653)

4.2Bonheur et bien-être

La psychologie positive s’intéressant au bonheur et au bien-être, pointe deux types de bonheur :

-Le bonheur de type hédonique relatif au plaisir engendré par les émotions positives. Ce bonheur résulte du fait de focaliser sur la recherche du plaisir et sur l’évitement de la douleur.

-Le bonheur de type eudémonique qui, comme le proposait Aristote, est la réalisation de la vraie nature de l’homme. Ce bonheur résulte du fait de focaliser sur le sens et l’autoréalisation.

Il ressort de ces précisions que la réalisation du bonheur ne se fait pas seulement à partir de la recherche du plaisir et de l’évitement de la douleur. Une composante de sens et de développement doit être considérée.

« Le sentiment de trouver du sens, d’avoir un objectif et de s’accomplir l’emporte typiquement sur le plaisir comme facteur prédictif du bonheur » (TPP, p.67)

Nous remarquerons que le bonheur eudémonique semble rattaché au niveau ontique (besoins de l’être, besoins du Soi), alors que bonheur hédonique (tel que décrit ici, associé au plaisir) semble rattaché aux niveaux physiologiques et psychosociaux (satisfactions du corps et du moi). Nous pourrions alors distinguer le bonheur hédonique comme flattant le moi et le bonheur eudémonique comme accomplissant le Soi.

Cela est probablement dû au fait que la notion de plaisir est insuffisamment précisée : nous devrions différencier l’art de recevoir le plaisir que nous offre la vie (avec gratitude) du fait de prendre du plaisir dans la vie (avec avidité, « prendre comme un voleur »).

Dans le Traité de psychologie positive nous trouvons à « Enseigner les aptitudes à l’art de vivre » page 158 le paragraphe 4.1 intitulé « Apprendre à prendre du plaisir ». Il est clair que la différence n’y est pas faite !

Pourtant, nous devrions clairement différencier « le plaisir qui nous sert de moyen compensateur pour éviter un mal-être », et « le plaisir résultant d’un art de goûter la vie » (le premier est animé par les stratégies égoïstes du moi, tentant d’assurer notre survie,  et le second découle naturellement de la généreuse réalisation du Soi en pleine sensation de vie). Un carpe diem de qualité peut ainsi se révéler proche d’un état de « pleine conscience (mindfullness) dans lequel il y a rencontre de la vie et non utilisation de la vie. En fait il ne s’agit pas tant de savoir le « prendre » que de savoir « le recevoir ». Ceci est sans doute implicite avec tous les propos concernant la gratitude que développe la psychologie positive, mais le rendre explicite serait une clarification essentielle.

La psychologie positive pose souvent la problématique de ce qu’elle appelle l’adaptation hédonique. Il s’agit là du fait que tout plaisir génère une adaptation qui le rend rapidement insuffisant. Ceci est considéré comme un obstacle majeur quant à l’efficacité durable du plaisir. Il se trouve que cette adaptation hédonique concerne surtout le plaisir qu’on prend et non celui qu’on apprend à recevoir. La voracité ne conduit pas à la même satisfaction que l’aptitude à se réjouir de ce qu’on éprouve. Nous devrions nous rappeler à quel point le mot sagesse est relié, par son étymologie, à saveur, sapidité, sapiens… à l’art de goûter

Les mots bonheur et bien-être sont très souvent utilisés en psychologie positive et notre vigilance ne doit pas laisser leur sens au hasard. 

Ainsi, nous pourrons différencier le bien-être et la satisfaction de vie :

« Le bien-être comprend le plaisir, l’implication, et l’attribution de sens, et le concept de satisfaction de vie pourrait refléter tout autre chose » (TPP, p.82)

Le bien être, le plaisir, l’implication et l’attribution de sens seront généralement contextualisés et variables alors que la satisfaction de vie est quelque chose de globale concernant l’ensemble de l’existence et accompagnant l’individu à chaque instant.

En fait nous devrions considérer que « Se sentir bien » signifie « se sentir convenablement » et que « Bien être » signifie simplement « vraiment être », être qui l’on a à être, de façon sincère et authentique (être l’humain que l’on a à être, comme nos le propose Maslow).

 « La psychologue Sonia Lyubormisky et ses collègues […] ont démontré qu’il est important de comprendre le bien-être en tant que processus et ils apportent des preuves selon lesquelles les "activités intentionnelles", c'est-à-dire les choix comportementaux, cognitifs et motivationnels que nous faisons, expliquent bien plus la variance du niveau de bien-être entre  individus que les circonstances extérieures » (ibid., p.139).

Les événements déterminent seulement 10% de notre bonheur, la génétique 50%, et nous-mêmes, par nos choix de vie, y sommes pour 40% (Lyubormirski, 2007, p.48 - et Traité de psychologie positive p.171). Il s’agit donc d’exploiter au mieux ces 40%

Et même si notre capital génétique joue un rôle, il y a aussi ce qu’on en fait :

« Le système immunitaire est influencé par le bien-être des individus […] Les gens plus heureux sont moins susceptibles d’attraper un virus du rhum et de la grippe que les gens malheureux […]… parmi les patients atteints de cancer, le fait de vivre plus de moments  d’élévation morale (petits évènements positifs) et moins d’ennui quotidien (petits événements négatifs) était corrélé avec le fait de posséder plus de cellules tueuses naturelles (cellules immunitaires qui attaquent les pathogènes envahissants) » (ibid., p.107-108)

 « Le bien-être dans les sociétés prédit la longévité de ses citoyens […] il est possible que le bienêtre soit la cause de la longévité » (ibid., p.89)

Des études ont montré que les émotions positives diminuaient les affections respiratoires, les douleurs articulaires, les problèmes cardio-vasculaires, les situations postopératoires, les insuffisances immunitaires et même l’accidentologie mortelle chez les individus, …etc (ibid., p.105-107).

« Le bonheur augmente l’espérance de vie, avec un effet comparable à celui de la présence ou de l’absence du tabagisme » (ibid., p.162).

« Dans une étude de la clinique Mayo du début des années 50, les patients optimistes vivaient en moyenne 8 ans de plus que les patients pessimistes » (ibid., p.105).

« …les émotions agréables peuvent défaire l’influence d’émotions désagréables sur des paramètres cardiovasculaires » (ibid., p105).

« Dans une étude classique, Ulrich […] a étudié les patients postopératoires qui étaient placés dans des chambres avec vue agréable ou désagréable. Ceux qui avaient une vue sur des arbres, plutôt que sur un mur de brique, pouvaient quitter l’hôpital plus rapidement laissant penser que la vue agréable accélérait le rétablissement » d’autres études ont montré que « le bien-être préopératoire prédisait une meilleure récupération après l’intervention chirurgicale » (ibid., p.106)

Pareillement avec l’expérience d’injection de rhinovirus à des sujets avec ou sans émotions positives : ceux qui avaient eu les émotions positives développaient moins la pathologie (TPP, p.390)

Nous comprenons mieux l’importance de mettre en œuvre la bientraitance dans les services de soins telle que je la décris dans ma publication d’août 2007 « Bientraitance » et pourquoi l’« hospitalisme » (les bons soins sans âme) découvert et dénoncé par Arpad Spitz a tellement fait de dégâts.

D’autre part, les émotions positives favorisent le fonctionnement cognitif :

Dans une expérience « 75% des participants chez qui on avait introduit des émotions positives étaient capables de résoudre le problème par rapport à 20% du groupe neutre et 13% du groupe négatif » (TPP, p.371)

4.3Comment éprouver plus de bonheur

Si les émotions positives ont tant d’effets bénéfiques et les émotions  négatives tant de nuisances, la question est de savoir comment promouvoir les unes et diminuer les autres. Le simple fait de le constater ne peut nous satisfaire.

Afin d’éprouver plus de bonheur, les expériences et tests rapportés dans le Traité de psychologie positive montrent qu’il est intéressant de Manifester de la gentillesse (p.174), Exprimer de la gratitude (p.175), Visualiser les meilleures versions possibles de Soi (p.175) Savoir repenser aux événements heureux qu’on a vécu (p.176). Ce sont des points que l’on retrouve fréquemment, qui peuvent dérouter par leur apparente simplicité, mais dont les résultats ont été attestés.

Exprimer de la gratitude (Lyubomorski, 2008, p.101) est une tournure d’esprit à cultiver. Cela revient à modifiier la façon dont nous nous disposons à percevoir le monde. Le traité de psychologie positive y consacre tout son chapitre 25 (p.519). Il semble que :

 « le plaisir est incomplet tant qu’il n’est pas exprimé » (p.526)

Il s’agit concrètement de noter quelques petites ou grandes choses qui nous ont été agréables et d’exprimer de la gratitude envers cela qui a été source de cet agrément. Il s’agit d’identifier 3 à 5 choses ayant participé à une sensation agréable. Cela peut se faire par écrit (tenir un journal de gratitude) ou en pensée. Cela peut être réalisé une fois par semaine, ou deux ou trois fois par semaine, ou encore tous les jours. Mais il a été remarqué que trop de fréquence est défavorable (habituation hédonique, ou trop protocolaire) et que le fait de le faire en pensée (p.530) plutôt que par écrit donne plus de résultats (l’écrit mobilise plus d’intellect). « La gratitude joue le rôle d’un renforçateur moral » (TPP, p.520). Il s’agit finalement d’une sorte de « gracieuse attitude » consistant à « rendre grâce » pour chaque bienfait reçu.  En fait, de cette façon, nous prenons du plaisir à louer ce qui nous procure du bonheur, comme si cette « louange » ne se contentait pas d’exprimer notre bonheur, mais aussi le complétait, comme « un écho de joie à la joie éprouvée » (TPP, p.526).

Au-delà de tout ce qui est exprimé à ce sujet, il semble que pour exprimer de la gratitude, dans la mesure où nous nous donnons ce projet, nous nous mettons d’une part à tourner notre attention résolument vers ce qui est beau dans notre vie, et d’autre part décidons de regarder celle-ci de telle façon que nous y identifions les sources de bonheur.

Nous remarquons à quel point une telle posture est contraire à nos habitudes paranoïdes, où les archaïques réflexes de survie nous mettent exagérément en éveil, de façon quasi obsessionnelle, à propos de tout ce qui ne va pas. Cette notion de gratitude modifie notre regard sur la vie et le fait que cela fonctionne tellement bien est que notre façon de regarder le monde en est totalement changée. Cela modifie insidieusement nos paradigmes si fortement ancrés, selon lesquels le monde est mauvais, les gens méchants, et la vie injuste. Cette modification de regard a un impacte majeur. Comme le disait Epictète, stoïcien, 50 ans après JC, ce ne sont pas les circonstances qui nous font souffrir, mais l’opinion qu’on en a. Il est heureux qu’une telle chose ait été étudiée et mise en œuvre par la psychologie positive.

Visualiser les meilleures versions possibles de Soi : Ici le sujet est invité à envisager les images futures désirées d’eux-même. Habitués à projeter un futur défavorable ou à mettre l’attention sur l’effort douloureux ou impossible pour aboutir à un changement, ou encore à développer un mépris pour ce qu’on est et que l’on veut changer… tout cela se trouve ici court-circuité par cette image de soi qui n’est plus liée à un changement, mais à une reconnaissance, une visualisation, une réalité intérieure déjà existante. Il ne s’agit plus alors de combattre quelque chose pour changer, mais juste de rejoindre ce que l’on sent déjà en soi.

Savoir repenser aux événements heureux qu’on a vécu : Cela permet de développer cette fameuse « satisfaction de vie » nous conduisant à plus que du bien-être, de façon plus durable, car moins sujet aux aléas des diverses situations quotidiennes. Notre vie y est alors considérée selon son entièreté et non plus à partir de ses seuls points noirs.

Manifester de la gentillesse : Naturellement, manifester de la gentillesse est source de mieux-être pour soi et pour notre entourage. Mais il se trouve que cette gentillesse est d’autant plus grande que nous sommes dans des émotions positives. Une expérience bien simple mais très astucieuse a été réalisée à ce sujet : Faisant en sorte que certains utilisateurs d’un téléphone publique y trouvent une pièce de monnaie (placée là par l’expérimentateur) ou n’en trouvent pas (groupe de contrôle), si ensuite un autre expérimentateur, placé proche d’eux  fait tomber des papiers sur le sol, ceux qui ont trouvé la pièce aident plus spontanément à les ramasser (Leconte, 2009, p. 22). Ceux qui viennent d’avoir une émotion positive sont plus enclins à rendre service. Pourrait-t-on étendre la recherche quant à l’équilibre entre le  bonheur et la répression pour favoriser l’ordre social ?

4.4Risque d’égoïsme ?

Naturellement, la quête du bonheur peut nous faire craindre une tendance égoïste. Il est légitime de se demander si une telle posture ne relève pas d’un déni de la réalité douloureuse de l’expérience de la vie,  et ne conduise finalement qu’à penser à soi. Il se trouve que dans l’expérience de la cabine téléphonique une émotion positive semble rendre plus sociable, mais aussi que de nombreuses autres expériences le confirment :

« Nombre d’études ont échoué à confirmer ce portrait du bonheur comme égoïste et apathique, elles révèlent plutôt la tendance inverse. Le bonheur semble faire ressortir le meilleur des humains » (TPP, p.68).

D’autre part, le bonheur se propage socialement :

« Dans une étude examinant le bonheur de cinq mille personnes sur une période de vingt ans, ces chercheurs ont montré que lorsqu’une personne devient plus heureuse, cette augmentation de bonheur se propage dans son réseau social et ce, jusqu’à trois degré de séparation. Ainsi lorsque le niveau de bonheur d’un individu augmente significativement, ses amis vivant dans un périmètre de 2 kilomètres ont 25% de chances de devenir eux-mêmes plus heureux. Les amis des amis ont quant à eux environ 10% de chances de devenir eux-mêmes plus heureux, et les amis des amis des amis 5,6%. » (Leconte, 2009, p. 24).

« Les études sur la contagion émotionnelle, par exemple, montrent que les émotions positives peuvent se transférer à travers les réseaux sociaux des personnes, avec effet de ricochet des émotions positives. » (TPP, p.380).

Il se trouve qu’activer en soi la bonté, la tendresse ou la compassion vis-à-vis de soi et des autres permet une plus grande ouverture à autrui (TPP, p.437). Les sujets « se donnent le droit d’éprouver des émotions de bonheur »

Contre tout attente dans nos pensées intuitives, il a été démontré de façon certaine que le bonheur précède la réussite et non l’inverse (TPP, p.587) Il ne s’git donc pas de réussir pour être heureux mais d’être heureux pour réussir.

 « Les résultats visés, même économiques, sont souvent la conséquence du bien-être, plutôt que la cause » (TPP, p 76) 

Il est illusoire de mettre en œuvre des stratégies de réussite sans prendre en compte ce facteur essentiel. La tendance qui veut qu’on souffre maintenant pour être heureux plus tard est donc erronée. Naturellement, rien ne se fait sans effort, mais le bonheur éprouvé dans ces efforts est fondamental.

La question de savoir comment être heureux est donc cruciale et ces notions de gratitude, de meilleure version de soi possible, de penser aux événements heureux et de manifester de la gentillesse font partie des clés majeures à ce sujet.

4.5Le choix du mot « positif »

Je me suis souvent trouvé rétissant face à ce qu’on appelle la « pensée positive » qui consiste trop fréquemment à être dans le déni de la réalité ressentie. Je me suis pourtant trouvé dans une ambivalence où d’une part un tel déni est inacceptable et d’autre part la propension à ne regarder que ce qui ne va pas ne l’est pas davantage.

La psychologie positive a la même prudence  et Jacques Leconte nous dit qu’il y aurait un grand risque de tomber dans le piège que certains qualifient de « La tyrannie de l’attitude positive » (Leconte, 2009, p.6) Eviter la recommandation de comptoir « il faut être positif » semble sage car elle ne signifie finalement rien du tout et embrouille les esprits.

« …l’optimisme peut aussi révéler un côté plus obscur,  […] En effet les résultats d’une étude […] ont permis de mettre en évidence que l’optimisme pouvait être irréaliste et que dans ce cas, il pouvait conduire des étudiants à adopter des conduites à risque » (TPP, p.209).

En effet il faut prendre en compte que le pessimisme n’est pas inutile et que le pessimisme et l’optimise peuvent cohabiter au sein de la pensée en jouant chacun leur rôle (TPP, p.211). Prévoir les difficultés permet d’ajuster ses stratégies de vie et ne doit pas être gommé par un optimisme forcené et maladroit, nous plaçant illusoirement dans un pays enfantin.

« Les émotions et les humeurs positives et négatives donnent un retour constant à la personne sur comment les choses se passent » (PTT, p.82)

Concernant les buts : « Une vie trop facile peut nuire au développement de l’espoir […] Les enfants ont besoin d’apprendre à faire face aux obstacles […] de manière à développer chez eux la volonté d’utiliser les différents moyens dont ils pensent disposer pour les atteindre » (TPP, p216)

Les deux types d’émotion participent à notre évolution.

« Il est connu depuis longtemps que les émotions négatives (e.g. la peur, la colère, l’anxiété) amènent l’individu à se centrer sur la menace ou le problème immédiat, ce qui contribue à la robustesse évolutionniste. Ce n’est que récemment, cependant, que nous avons commencé à comprendre les avantages adaptatifs engendrés par les sentiments positifs » (TPP, p64).

Pourtant, Charles Darwin soulignait déjà cela dans son anthropologie : Patrick Tort, spécialiste de ses travaux en atteste :

« Par le biais des instincts sociaux, la sélection naturelle, sans "saut" ni rupture, a ainsi sélectionné son contraire, soit : un ensemble normé, et en extension, de comportements sociaux anti-éliminatoires […]  la sélection naturelle s’est trouvée, dans le cours de sa propre évolution, soumise elle-même à sa propre loi – sa forme nouvellement sélectionnée, qui favorise la protection des faibles, l’emportant parce que avantageuse, sur la forme ancienne  » (Tort, 2009, p.72-73).

Darwin positionne même la faiblesse comme un avantage permettant le développement de l’humanité :

« Durant la phase d’évolution qui se situe entre les ancêtres immédiats de l’Homme et l’Homme moderne, la faiblesse est donc un avantage, car elle conduit à l’union face au danger, à la coopération, à l’entraide et au développement corrélatif de l’intelligence et de l’éducation des jeunes (dont le propre est d’être "sans défense"). » (Tort, 2010, p.66)

A ce titre nous pouvons dire que la psychologie positive se situe parfaitement dans ce nouveau créneau de l’évolution alors, que celle qui étudie les mécanismes libidinaux (Freud comparant le moi à l’Hydre capturant des proies ou repoussant des prédateurs [Freud, 1985, p55-56]) porte son attention sur des mécanismes archaïques. Celles qui mènent un combat contre la maladie mentale aussi. Néanmoins, les deux mécanismes se trouvant présents dans l’humanité actuelle, les deux approches sont complémentaires et l’une ne doit pas exclure l’autre.

C’est dans cet esprit que naît la psychologie positive. Le choix du mot « positif » s’est réalisé chez les praticiens et universitaires à partir de deux modes :

Mode mathématique : la psychologie classique étudie et fait passer un individu d’un état négatif  (pathologique) à un état moins négatif (moins pathologique), ou nul (pas de pathologie). La psychologie positive, elle, fait passer un individu d’un état nul  (sans pathologie) ou positif (santé) à un état plus positif (plus de santé). La première va de –X à 0, l’autre de 0 à +X. Les deux tendent à déplacer le sujet vers la direction positive, mais le « trajet » de progression ne se fait pas dans la même zone (TPP, p.651)

Mode d’expression de présence : Le principe de la psychologie positive est de nommer quelque chose qui est là et non ce qui est absent (on ne parlera pas d’un manque de quelque chose, mais de la présence de quelque chose). Ainsi « positif » vient du latin « pono, ponere » signifiant « mettre ou placer » et « bâtir ou construire » (TPP, p.451). Il s’agit alors de faire apparaître ou d’augmenter quelque chose (santé) et non de faire disparaître quelque chose (maladie).

« Selon les auteurs de la psychologie positive, il est important de ne pas s’axer uniquement sur la résolution des symptômes et des schémas négatifs, mais de travailler également sur les valeurs et le sens de la vie des patients » (p.483),

La santé comme nous l’avons vu est définie par l’OMS comme un bien-être d’ordre physique, psychologie et social. Malgré toutes ces précautions, nous lisons dans le Traité de psychologie positive :

« La PPT* est une nouvelle approche validée empiriquement qui a comme objectif d’éliminer les symptômes psychopathologiques et notamment de promouvoir le bonheur et le bien-être, en construisant des émotions positives, des forces de caractère, et en donnant un sens à la vie » (TPP, p.483).

*psychothérapie positive (Positive Psychotherapy)

Si la méthode et le projet final est ici bien reconnaissable, l’aspect « éliminer les symptômes psychopathologiques » indique la trace tenace de l’ancien « paradigme éliminateur ».

4.6Une quête d’humanité

Cette approche propose dans tous les cas un regard particulièrement généreux vers l’humain. Ce dernier est considéré sous ses angles les plus favorables, avec ses ressources. Chez 111.676 adultes de 54 pays et 50 états américains les forces de caractère dominantes qui sont ressorties comme dominantes sont la gentillesse, la justesse, l’authenticité, la gratitude et l’ouverture d’esprit.

« Ces résultats pourraient révéler quelque chose sur la nature humaine universelle. » (TPP, p.243).

Les techniques qui fonctionnent pour accroitre le bonheur portent sur la générosité, la gratitude, la qualité de l’attention. Une attitude résolument tournée vers un plus d’humanité. L’identification de ces ressources pourrait donner lieu à la création d’un « anti DSM » qui classerait les typologies de santé en fonction de leurs  points forts, et non les pathologies en fonction des faiblesses (TPP, p.587). Ainsi, au lieu d’avoir seulement une nosographie listant les symptômes pour identifier des pathologies, nous aurions une nosographie listant des symptômes pour identifier les caractéristiques d’un état de santé (en nous rappelant bien que la santé ne se réduit pas à l’absence de maladie)

Nous faisons avec étonnement un constat qui nous invite à nous tourner vers des valeurs essentielles :

« La richesse matérielle a doublé depuis les années 50 tandis que le bonheur moyen semble être resté au même niveau » (TPP, p.154)

Cela tend à montrer une quête autre que la quête matérielle comme réponse au manque de bien-être. La vie sociale pourrait alors être considérée sous un nouvel angle, plaçant les valeurs humaines au centre de cette efficacité dont nous entendons parler depuis si longtemps d’une façon bien moins respectueuse.

« Les données longitudinales indiquent qu’une partie de la corrélation qui s’observe entre les revenus et le bien-être serait due au fait que ce soit le bien-être qui engendre des revenus plus élevés, plutôt que l’inverse » (p.91).

« Les coûts de la productivité économique liés aux travailleurs malheureux sont énormes » (p.97).

Concernant les salariés « ceux qui étaient de bonne humeur avaient une meilleure performance que ceux qui  ne l’étaient pas. » (p.98).

Combien de gâchis pourraient être évités, d’abord sur le plan humain, mais aussi sur le plan matériel où le coût des mauvais choix est astronomique.  Nous pourrions enfin nous appuyer sur des valeurs ontiques validées de façon scientifique et faisant voler en éclat bien des croyances, tant sur le plan du management (comme nous venons de le voir) que sur celui de l’éducation :

« Considérer les choses qui causent et construisent l’épanouissement humain comme réelles et importantes » (p.654).

Il est particulièrement intéressant de constater l’impact négatif des punitions, des récompenses et des évaluations. Il s’agit de se réveiller face à un leurre nuisant à ceux que l’on prétend pourtant aider, en ce sens que le développement social qui en résulte devient malsain :

« Il semble largement prouvé que les pratiques et les orientations qui visent à motiver les élèves par un recours massif aux punitions, récompenses, évaluations et toute manipulations externes ont pour effet de miner la qualité de la motivation autodéterminée et de l’engagement, et à favoriser la poursuite de buts extrinsèques*. » (TPP, p.296)

*Buts extrinsèques : image richesse, renommée  (signes extérieurs de valeur) - Buts intrinsèques : affiliation, développement personnel, contribution à la communauté (besoins fondamentaux)

« Alors qu’un consensus se dégage pour souligner les bienfaits des comportements du professeur qui soutiennent l’autonomie des élèves, il semble pourtant que le corps enseignant adopte majoritairement des comportements contraignants (TPP, p.295)

« Les élèves qui suivent des buts intrinsèques avec un enseignant qui soutient leur autonomie, atteignent non seulement un niveau beaucoup plus élevé de performance, mais tendent également à persister davantage (ibid)

Autres informations à ce sujet p. 447

Nous avons donc, avec la psychologie positive, une approche qui met l’humain au cœur du débat personnel et social, éducatif et professionnel. La santé s’y trouve enfin considérée de façon plus holistique, les performances y sont libres de l’ego.

Cette science nouvelle mérite sans doute des ajustements, mais elle dispose de  moyens d’analyse, de moyens élaborés et éprouvés, pourvoyeurs de santé, de bien-être, de bonheur.

Nous pouvons maintenant rechercher comment aller vers cette santé, vers cet équilibre, vers cette complétude de l’individu, sans pour autant laisser de côté les zones de la psyché en attente de réhabilitation. Il se peut que la maïeusthésie apporte un début de réponse à ce sujet car il est possible, avec cette approche, de rester dans la logique de la psychologie positive tout en visitant la psyché au niveau de ses fractures ou de ses clivages d’une façon respectueuse concernant les valeurs et  qualités du patient.

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5   Regard intégratif de la maïeusthésie

S’il semble que la psychologie « classique » a surinvesti la notion de psychopathologie, elle a néanmoins beaucoup apporté concernant les traces que peuvent laisser certains de nos vécus au cours de l’existence.

S’il semble que la psychologie humaniste et existentielle a parfois un peu trop été optimiste et a quelques fois édulcoré les souffrances, il faut y regarder de plus près et constater qu’elle a remis l’humain au cœur de la psychologie en termes d’accomplissement et non plus seulement en termes de psychopathologie.

La psychologie positive, quant à elle, abandonne résolument le fait de se tourner vers la pathologie (sans nier que d’autres approches puissent s’en occuper) pour se consacrer à ce qu’il y a de meilleur en l’humain en termes de ressource.

Ce clivage entre ces différentes approches, que des regards trop superficiels peuvent parfois tendre à toutes critiquer selon leurs sensibilités, sont en fait plusieurs volets de réalités psychiques dont il convient de tenir compte. La maïeusthésie, acceptant la plupart des approches, ne remet en cause que la façon d’aborder l’individu et sa pathologie et non les nombreuses et judicieuses techniques existantes. Nous ne pouvons que nous réjouir que des chercheurs tendent vers une telle ouverture et nous proposent des nouveautés aussi diverses.

5.1Regard positif sur la psyché

La maïeusthésie a pour caractéristique une vision valorisante de l’individu, de sa psyché, sans pour autant ne nier aucune des souffrances qui s’y trouvent, ni aucun vécu qui y aurait laissé une trace douloureuse. Ici, la psychopathologie n’est pas ignorée, et pourtant les symptômes n’y sont pas perçus comme l’expression d’une maladie, mais comme l’expression d’un besoin de retour à soi. Ce retour à soi n’a ici rien de narcissique. Le narcissisme est une « fascination pour une image de soi » (une libido tournée vers le moi) alors qu’ici il s’agit d’une considération accordée à soi-même (un amour tourné vers le Soi). Comme nous le dit Jung, le Soi n’a rien à voir avec l’ego et l’individuation conduit à une meilleure rencontre d’autrui (alors que l’égo nous en éloigne). La libido est une énergie de besoin alors que l’amour est un état d’ouverture (lire sur ce site « Amour libido et autres flux » de mars 2005).

Cette approche ne raisonne pas en termes de problèmes à résoudre, mais en termes d’accompagnement de ce qui est déjà en cours, et qui est vu ici comme ayant une justesse : une sorte de retour à soi où l’individu revient tout simplement à  ce qu’il  a laissé de lui sur le bord de la route de sa vie. Il s’agit alors pour le praticien de rechercher ces justesse, de les révéler, d’accompagner ce retour intime.

Les traumas antérieurs jouent un rôle dans le fonctionnement de la psyché, les réactions et postures de l’individu également. La psyché tend à une organisation optimum, compte tenu de ce dont elle dispose. Le praticien en maïeusthésie est chercheur de justesses. Il oriente son regard d’une façon résolument positive, sans pourtant ne jamais rien nier des douleurs qui apparaissent.

Cette approche ne tombe surtout pas dans « La tyrannie de l’attitude positive », comme cité plus haut chez Leconte (2009, p.6). Le praticien reste souple et attentionné. Son projet ne sera en aucun cas d’inviter le sujet à se « libérer », « résoudre », « se débarrasser », « lutter contre », « être plus fort que », « solutionner »…etc. Le praticien invitera plutôt ici le sujet à « s’ouvrir », « rencontrer », « mobiliser ses ressources », « donner de la reconnaissance », « prendre soin de soi », « s’ouvrir à la justesse qui est en lui », « médiationner » (accomplir des médiations qui rapprochent les éléments de soi, plutôt que des solutions qui séparent des éléments de soi [« remédier » : remettre en contact, et non « résoudre »-séparer]).

La caractéristique est que le symptôme n’est pas vu ici comme la conséquence d’un trauma, mais comme une interpellation permettant de ne pas manquer un nécessaire retour à soi.

5.2Des symptômes hors du concept « pathologie »

Les symptômes sont donc ici bien pris en compte, mais d’une façon différente qu’en psychologie classique. Vous trouverez même sur ce site un article qui leur est consacré (« Symptômes » de juin 2011) ainsi qu’une publication sur la psychopathologie (« Psychopathologie » d’avril 2008).

Le symptôme est considéré ici comme un signe, une interpellation, visant à appeler la conscience du sujet vers ce qui, en lui, a besoin d’attention.

Quand nous disons qu’une personne souffre de trouble du comportement alimentaire, de trouble phobique ou de trouble de la personnalité, de telles dénominations nous révèlent ce qui se passe en surface, mais ne nous disent rien sur les mécanismes profonds à l’œuvre. Comme nous le dit le Dr Antoine Pelissolo (cité ci-dessus) « Il n’existe à ce jour aucune certitude sur l’origine précise des affections en psychiatrie ».

Il se trouve que le ressenti du patient nous renseigne bien plus que cette dénomination nosographique (qui peut néanmoins constituer un point de départ). Quand le praticien accompagne l’expression de ce ressenti, cela permet au patient d’identifier une part de lui-même qui est en attende de soin, de reconnaissance (la façon de procéder est décrite en détails dans la publication « non directivité et validation » de  janvier 2012).

Il est mis en œuvre un cheminement, se rapprochant de la découverte guidée (cognitivisme) ou de la sensation corporelle (le « felt sens » du focusing de Gendlin) ou de l’expression des émotions. Cela permet d’identifier la « part de la psyché qui appelle ». Quand cette part de soi est identifiée nous nous retrouvons souvent face à trois éléments :

-Une circonstance antérieure de la vie

-Le sujet antérieur qui était dans cette circonstance

-Le vécu éprouvé par le sujet de cette époque

En maïeusthésie seul le sujet mobilise l’attention du praticien. La circonstance est secondaire et le ressenti va simplement servir à :

-Prendre la mesure du vécu qui fut éprouvé

-Donner au sujet concerné (cette part de lui antérieure) une profonde reconnaissance de cette mesure

-Accompagner le sujet dans le fait de donner lui-même à celui qu’il était cette reconnaissance.

Il se trouve que quelque soit l’horreur de la circonstance et l’immensité de la douleur éprouvée, la rencontre de cette part de soi est toujours une belle rencontre quand on sait clairement distinguer ces trois éléments (le sujet, la circonstance, le vécu éprouvé). Même quand la circonstance ou le vécu sont horribles, le sujet qui qu’y trouvait, lui, n’est jamais horrible. Distinguer le sujet antérieur de la circonstance qu’il vécut est un élément majeur de la thérapie maïeusthésique. Le reconnaître avec son vécu éprouvé l’est également. Il ne s’agit jamais de le consoler, mais plutôt de le reconnaître et de l’accueillir en l’état, de lui permettre d’être avec le ressenti qui fut le sien et lui faire une place d’honneur où il peut être assuré de reconnaissance et se laisser être présent « en l’état ». C’est cela qui permet un retour à soi serein, avec un sentiment de complétude, dans un regard parfaitement positif, libre de tout déni de quoi que ce soit.

5.3Des pulsions œuvrant vers la complétude

La maïeusthésie prend en compte un principe de tendance à l’équilibre optimum assuré par deux pulsions :

-La pulsion de vie

-La pulsion de survie

La pulsion de vie assure la cohésion de la psyché, entre tous ceux qu’on a été (histoire personnelle) et ceux dont on est issu (transgénérationnel).

La pulsion de survie, maintient à « distance » les parts de soi trop douloureuses pour être intégrées dans la psyché, afin de préserver le reste de ce qui la constitue. La pulsion de survie, offre aussi des compensations (étayages) pour permettre une stabilité suffisante malgré ces manques de soi qu’elle engendre.

La pulsion de vie, garante de notre intégrité conserve néanmoins avec soin ces parts de soi évincées (une sorte de garderie dans l’inconscient) puis produira ultérieurement des symptômes qui seront les moyens permettant de nouveau d’y accéder quand la maturité acquise en permettra l’intégration.

L’ensemble œuvre dans le sens d’une intégrité qui ne se perd jamais, même quand la psyché se retrouve morcelée. Quand les symptômes surgissent, l’enjeu est de permettre, d’accompagner cette retrouvaille avec une ou des parts de soi mise en attente au cœur de soi (au cœur du Soi) [Tournebise, 2011, p.56].

5.4Une thérapie par la réjouissance

Quand il s’agit d’une psyché emplie de zones douloureuses et d’un sujet souffrant de symptômes pénibles, l’on est en droit de se demander ce que l’idée de réjouissance a comme rapport avec le fait d’accompagner, de soutenir, de permettre d’accéder à un état plus confortable.

En fait, il ne s’agit pas ici de la réjouissance du patient (même s’il peut en éprouver aussi) mais de celle du praticien. La question reste cependant posée : qu’est-ce qui peut bien pouvoir être en rapport avec la réjouissance chez le praticien, alors que celui-ci est confronté à un patient en douleur, retrouvant des zones de lui-même qui ont souffert, racontant parfois des événements horribles.

C’est sans doute là où cette approche a un lien très étroit avec la psychologie positive. Ce qui est retrouvé, identifié et rencontré au sein de la psyché du patient, ce ne sont ni les circonstances graves, ni les douleurs éprouvées jadis, mais celui qu’était le patient lors de ces circonstances.

Or celui qu’il était, quand on le retrouve, est source de réjouissance. En effet, il s’agit d’un être précieux, indispensable, sans lequel la psyché ne serait pas en complétude.

Ce qui rend  l’idée de réjouissance apparemment incongrue, c’est que l’habitude est de donner une place démesurée aux circonstances, ainsi qu’à la douleur qui en a résulté. La psychologie classique s’est parfois surinvestie dans le fait de rechercher cela. Ainsi, celui qui se trouvait dans la circonstance, se retrouve souvent occulté derrière ces deux éléments (événementiel et émotionnel). Or il se trouve que si on regarde des horreurs on ne peut qu’être spontanément horrifié, et que si l’on regarde un être précieux qui attend d’être rencontré, on ne peut qu’en être profondément touché et réjoui.

La conséquence n’est pas anodine : si le patient sent la réjouissance du praticien quand il s’approche de cette part de soi qui l’attend au sein de sa psyché, celle-ci se révèlera rapidement ; si le patient sent la gravité et l’inquiétude chez le praticien, il craint que ce que l’on va trouver soit terrible et il ne s’y ouvre pas.

Tout se passe aussi un peu comme si la part de soi qui doit se révéler ne se révèle qu’une fois assurée qu’on ne lui réserve pas un mauvais sort. Tant que cette part de soi est identifiée à l’horreur de la circonstance et qu’on veut se débarrasser de cette horreur, cette part de soi ne peut se révéler à celui qui veut s’en débarrasser. Par contre elle se révèlera spontanément à celui qui veut bien la rencontrer, l’entendre, la reconnaître,  et surtout à celui qui est heureux d’en faire la rencontre… mieux encore : qui se sent réjoui de cette rencontre.

Naturellement il est entendu que lorsque je parle de réjouissance ici, il ne s’agit pas d’une euphorie et encore moins d’un sourire niais. Il s’agit tout simplement du fait de se sentir touché par une belle rencontre (plutôt qu’affecté par le circonstanciel ou l’émotionnel).

La psychologie positive s’intéresse à la réjouissance à travers la « pleine conscience ou « mindfullness ». Il s’agit d’une posture d’accueil et de réjouissance face à ce que la vie offre à l’expérience.

« Un état de liberté psychologique, qui arrive quand l’attention est tranquille et réjouie, sans attachement envers un quelconque  point de vue » (TPP, p.428)

Il se trouve qu’en maïeusthésie la réjouissance tient une grande place aussi chez le praticien. Cette posture permet de visiter toute une vie sans tomber dans quoi que ce soit de négatif.

Afin d’éviter le travers du misérabilisme, la psychologie positive ne s’aventure pas sur ce terrain du passé et préfère mettre l’accent sur les ressources, uniquement sur ce qui fait la santé. Elle rééduque à se tourner vers la vie et c’est une très bonne chose pour laquelle nous ne pouvons que lui être profondément reconnaissant. Elle laisse à la psychologie classique le soin de revisiter la psyché antérieure et de s’occuper de la pathologie.

Pourtant, les symptômes peuvent aussi être considérés autrement que comme des pathologies (ou des manifestations de pathologies) et les parts de la psyché à retrouver peuvent aussi être sources de  bonheur et de bien-être. Elles en sont une composante fondamentale sans laquelle nous risquons de dériver vers de vulgaires compensations ou déplacements qui ne nous combleront jamais. Nous pouvons même considérer que les symptômes sont une tentative de la psyché pour mettre en œuvre son propre retour à la santé en proposant des sensations qui permettent de recontacter une part de soi manquante, en attente d’intégration.

L’ACT (Acceptance and Commitment Thérapy : thérapie de l’acceptation et de l’engagement) ne propose ni la réduction des symptômes ni l’élimination des événements psychologiques sources de tourments, et se retrouve ici proche de ce concept.

« Elle vise à ne pas agir uniquement dans le but de modifier les expériences psychologiques désagréables » (TPP, p.450).

Pourtant elle ne propose pas explicitement de distinguer entre l’être qui a été dans la circonstance et la circonstance elle-même… et cela maintient une ambigüité dans sa démarche malgré l’acceptation et l’attention volontaire sur la douleur (TPP, p.449). Cette attention et cette acceptation prendraient toute leur dimension si la focalisation sur le ressenti avait pour projet d’identifier la part de soi en attente de reconnaissance et d’aboutir à la réjouissance de la rencontre.

Loin de ce concept, la psychologie positive reste peut-être un peu prisonnière de la psychologie classique en se demandant :

« Est-il possible de traiter les psychopathologies via une approche basée sur les forces ? » (TPP, p.652)

Sachant que la psychologie positive se définit soit par son point d’application « augmentation du bien-être et non réduction du mal-être » (TPP, p. 652-653), soit par sa méthodologie (approche fondée sur les forces sur lesquelles s’appuyer chez le sujet) la psychopathologie risque de rester en dehors de son champ si l’on veut respecter ces deux critères.

Cela vient probablement du regard porté sur la psychopathologie qui reste généralisée comme la manifestation d’un dysfonctionnement (définition du DSM cité plus haut) et non comme un manifestation offrant une opportunité de retour à soi, comme cela est envisagé en maïeusthésie.

Cette notion de posture du praticien face à ce que manifeste le patient est développée dans la publication de décembre 2007 « Positionnement du praticien » et celle de réjouissance dans celle de septembre 2008 « Validation existentielle »

5.5Les besoins

La psychologie positive identifie les besoins psychologiques fondamentaux des êtres humains suivants (TPP, p.287, p.276) :

-Besoin d’autonomie (décider par soi-même).

-Besoin de compétence (utiliser, mettre en œuvre ce qu’on sait faire).

-Besoin de proximité sociale (rapports avec autrui).

La psychologie positive s’appuie aussi sur la notion de besoin de sens ou d’espoir (Victor Frankl, logothérapie) :

« Des études sur l’espoir comme facteur de sens ont également  montré l’influence de nos états de pensée sur la maladie […] importance de la foi inébranlable des patients dans le système de guérison […] lorsque le malade se met à espérer, son cortex cérébral gauche engendre des pensées positives qui inhibent le sentiment de peur produit par les amygdales limbiques » (TPP, p.436, 437).

Tout en précisant que :

« Le bonheur dépend probablement de la capacité à donner du sens à la vie, ce n’est pas certain […] L’expérience en ce domaine provient de la thérapie existentielle et de pratiques telles que le bilan de vie […] A ma connaissance l’impact de telles interventions doit encore être évalué » (ibid p.160).

En effet la psychologie positive se veut extrêmement expérimentale et ne souhaite pas accréditer une chose qui ne soit pleinement démontrée.

Pourtant, dans le cadre de la psychologie existentielle proposée par Maslow, il n’a à mon sens pas été suffisamment fait cas de son regard sur les besoins :

-Besoins physiologiques (nourriture, sommeil, vêtements, habitation… : concerne le corps)

-Besoins psychosociaux (besoin d’appartenance, puis  besoin d’estime : concerne le moi, l’ego)

-Besoins ontique (besoins d’amour, d’équilibre, d’harmonie, de justice de justesse : concerne le Soi)*

*Il importe de différencier le « besoin d’estime » (besoin  de valeur accordée), du « besoin d’amour » (besoin de reconnaissance, hors du champ des valeurs).

Il se trouve que les besoins ontiques sont une clé majeure vers laquelle les praticiens et chercheurs ne se sont pas suffisamment tournés. Maslow a pourtant bien précisé que tant que ceux-ci ne sont pas satisfaits, les autres restent insatiables quelque soient les apports ajoutés (pour plus de détails lire la publication d’octobre 2008 « Abraham Maslow »).

D’autre part, ces notions de besoins ontiques vont bien avec ce que la psychologie positive a identifié comme forces de caractère chez l’humain relevées chez 111.676 adultes de 54 pays et 50 états américains (cité en début d’article) : la gentillesse, la justesse, l’authenticité, la gratitude et l’ouverture d’esprit.

« Ces résultats pourraient révéler quelque chose sur la nature humaine universelle. » (TPP, p.243).

Nous avons là des valeurs ontiques qui semblent faire partie des forces de caractère dominantes chez l’humain. Cela mérite d’être considéré de près par les praticiens, trop habitués, en psychologie classique, à identifier ce qui ne va pas chez le patient plutôt que de s’appuyer sur ces ressources qui semblent faire partie de notre capital.

Après les besoins des patients, le traité de psychologie positive propose les besoins  de cette approche elle-même, afin d’aboutir à son projet d’amélioration de la santé et du bien-être (TPP, p.660) :

-Besoin d’intégration théorique (avec la construction d’une métathéorie intégrative pour rassembler en un tout cohérent les connaissances actuelles).

-Besoin de faire avancer les connaissances sur les sciences biologiques (neurosciences, psychophysiologie, sciences biologiques, recherches  novatrices).

-Besoin d’élargir le champ d’étude de l’individu à la société en étendant la recherche à l’influence positive entre les individus, vers l’influence positive entre les individus et les groupes, puis vers l’influence positive entre les groupes.

-Besoin d’accentuer le côté appliqué de la psychologie positive (validation empirique).

Peut-être la maïeusthésie peut-elle apporter une modeste contribution au niveau du besoin d’intégration théorique avec cette recherche de métathéorie intégrative.

5.6La créativité du praticien

Pour accroître sa compétence et son élan vers cette métathéorie intégrative, le praticien aura aussi avantage à favoriser le développement de sa créativité. Il devra avoir de solides bases théoriques, mais en même temps en être libre. Tout dogmatisme se retrouverait produire une réduction de compétence très dommageable en terme d’efficacité thérapeutique.

D’une part nous lisons dans le traité de psychologie positive :

 « … les chercheurs avaient découvert que le fait de se comporter positivement favorisait une augmentation de la créativité » (p.584).

D’autre part, Christophe André, médecin psychiatre et psychothérapeute, nous rapporte une expérience intéressante  dans son ouvrage « Les états d’âme »,:

Des sujets sont invités à jouer à un jeu vidéo où le projet est d’aider une souris à parcourir un labyrinthe. Les participants sont répartis en deux moitiés qui ne sont pas orientés vers la même finalité : Pour la moitié des participants, le but est d’aider la souris à échapper à un prédateur, pour l’autre moitié, il s’agit de l’aider à trouver un délicieux bout de fromage. L’intérêt, en fait, se trouve dans la suite de ce jeu (qui, en soi, est un peu insignifiant) : après, les expérimentateurs font passer à tout le monde un test de créativité. Ce test révèle que ceux qui ont aidé la souris à fuir le prédateur sont 50% moins créatifs que les autres. (2009, p.57).

Il semble donc qu’une façon de stimuler sa propre créativité soit de se tourner vers un projet positif, alors qu’un projet négatif semble la diminuer.

Les praticiens qui combattent la pathologie sont donc plus exposés à une moindre créativité, alors que ceux tournés vers un projet positif ont plus de chance de développer celle-ci.

L’intérêt de la maïeusthésie est de maintenir ce cap positif, même en s’occupant de psychopathologie.

5.7La gratitude

La psychologie positive étudie les bienfaits de la gratitude. Il s’agit en fait  d’apprendre à relever ce qui est source de bien-être dans la vie et d’être reconnaissant envers ce qui en est la source.

La gratitude est traitée sur plusieurs pages dans le Traité de psychologie positive (2011, p519-539), dans l’ouvrage de Sonia Lyubomirski Comment être heureux et le rester (2008, p.97-110)  ou dans celui de Jacques Leconte Introduction à la psychologie positive (2009, p.170-178) :

« L’expression de la gratitude n’est pas seulement la communication d’un sentiment de bien-être perçu, mais elle accroît le niveau de bien-être » (Lecomte, 2009, p.173).

La bienveillance, la reconnaissance et la réjouissance qui sont au cœur de la mise en œuvre de la maïeusthésie ne peuvent que confirmer cette observation empirique des expérimentateurs en psychologie positive.

Mais alors que la psychologie positive développe largement cette notion de gratitude du patient envers les sources de bonheur qu’il rencontre, la maïeusthésie va même proposer au praticien d’être dans cette posture de gratitude envers le patient, envers ses symptômes qui permettent la rencontre de lui-même, et envers l’œuvre des pulsions de vie et de survie  qui  permettent à tout cela de s’accomplir.

Le praticien sera en permanence dans cette gratitude qu’il éprouve envers la vie à l’œuvre quand il accompagne son patient. La confiance inconditionnelle, l’accompagnement sans lutte contre quoi que ce soit, le fait de « toucher la vie » à chaque pas, de voir le patient cheminer à la rencontre de soi, vers l’intégration de ce qui lui manquait pour atteindre plus de complétude. Tout cela contribue à une posture spécifique du praticien, de bienveillance, d’émerveillement, de bien-être.

Cette posture peut malheureusement être perçue par des personnes professionnelles non expérimentées en ce domaine comme une sorte d’idéalisation, voir de déni de  la réalité pathologique du patient. Il se trouve que c’est plutôt le regard tourné vers le pathos qui est un déni de ce qui se passe de juste chez le patient et que l’attitude de dramatisation ou de combat qui en résulte vient perturber, contrarier, altérer le cheminement pertinent du patient.

La psychologie positive propose même d’examiner la gratitude envers ce qui est négatif :

« Cependant même lorsque de mauvaises choses se produisent parfois, ces événements négatifs peuvent finir par avoir des conséquences positives envers lesquelles nous pouvons à présent nous sentir reconnaissants » (TPP, p.532).

 Nous connaissons bien en maïeusthésie cette gratitude envers le symptôme qui nous conduit vers la part de la psyché à réhabiliter, ainsi que la gratitude envers une situation qui, malgré son inconfort notoire, par les tempêtes émotionnelles qu’il a produit, a permis de rouvrir une sensibilité à soi et d’aboutir à une plus grande complétude.

5.8Le rôle du corps

Le corps joue un rôle important, car de son état dépend en grande partie la qualité de notre vie. La vie corporelle est prise en compte dans la psychologie positive comme facteurs signifiants de bien-être (TPP : alimentation p.322, mouvement p.319, toucher interpersonnel p.216, sexualité p.318).

Outre que l’hygiène de vie corporelle et relationnelle soient importantes pour le bien être, nous sommes habitués à connaître les interactions psychosomatiques entre le corps et la psyché. Le côté psychosomatique jouant un rôle, tant dans les pathologies du corps, que dans les phénomènes de guérisons corporelles, que dans le maintient de l’état de santé.

Que ce soit en psychologie classique ou en psychologie positive (ou même dans le DSM), il est habituel de penser que la psyché influence le corps (et que le corps influence la psyché), mais il est moins habituel  de considérer ces manifestations psychosomatiques marquant la physiologie, non pas comme la manifestation d’un désordre impactant le corps, mais plutôt comme un « marquage », une « indication », un « balisage » essentiels permettant de garder un accès à soi afin d’interpeller la conscience sur ce qu’elle a à considérer pour accéder à sa complétude.

Une approche existentielle et humaniste qui utilise particulièrement ce canal est le focusing (Eugene Gendlin – lire la publication de juillet 2007) où la sensation corporelle (« felt sens ») est un outil de guidage majeur.

Dans l’EMDR (Eye Movement Desensitization and reprocessign), nous trouvons aussi une notion de « scanner du corps » dans une des phases où le sujet est invité à vérifier ce langage corporel pour accompagner son travail thérapeutique (TPP, p.466). La psychologie positive, avec l’EMDR,  n’hésitera pas à parler de

« L’intelligence du corps mise à contribution comme un co-thérapeute » (TPP, p474)

Ainsi, il est habituel de penser que le corps se fait médiateur entre la psyché et la conscience. Comme si le corps interpellait la conscience du sujet par des manifestations psychosomatiques afin que celui-ci apaise les blessures antérieures de celle-ci.

Ce qui est plus inhabituel, c’est de considérer que le corps peut aussi « parler » en son nom propre. Il le fait le plus naturellement du monde pour signaler qu’il a faim, soif, besoin de sommeil, et cela ne nous surprend pas. Mais aussi il le fait aussi pour ce qu’on pourrait appeler, faute de mieux, des « blessures psychiques du corps ». Il est difficile de  nommer ce phénomène avec des mots justes, mais tout se passe comme s’il y avait une sorte de « psyché du corps » pouvant être blessée ou tourmentée alors que le sujet, lui, est en paix.

Pour donner un exemple d’une telle chose, une femme ayant subit un viol, se rappelle très bien comment elle se sentait « comme en dehors de son corps », ayant presque de la compassion pour « ce pauvre type qui en est réduit à faire une telle chose »… Mais elle  découvre aussitôt qu’en fait, alors qu’elle était relativement en paix, elle a abandonné son corps qui, lui, souffre de ce qui se passe. Tout se passe comme si le corps était une partie de la psyché, ou devait être considéré comme tel, et qu’il faille s’occuper du « corps de ce moment là » dont la blessure n’a pas été prise en compte, ni lors de l’événement, ni ultérieurement.

Dans ce cas, s’il y a somatisation, le corps revendique d’être « entendu » dans sa douleur propre, et non  pour rendre compte d’une douleur de la  psyché. Dans l’exemple cité, il s’agit même d’une douleur corporelle telle que tout se passe comme si le corps avait sa propre sensibilité psychique, comme s’il était une sorte « d’interlocuteur » en attente de reconnaissance d’écoute, de validation, d’accompagnement.

Tout se passe comme si c’était cela qui était à l’œuvre. Il se trouve qu’en le considérant ainsi le résultat clinique est remarquable.

5.9Ce qu’apporte la maïeusthésie

La psychologie classique a œuvré pour mettre en paix la psyché antérieure et guérir des psychopathologies. La psychologie positive a œuvré pour promouvoir le bien-être et la santé (dans son sens physique, mental et social). La psychologie existentielle et humaniste a proposé une sorte de pont entre les deux, mettant l’humain au centre de la démarche thérapeutique.

La maïeusthésie n’apporte pas de nouveauté par rapport à ces trois aspects, si ce n’est qu’elle en propose une version intégrative où l’on visite la psyché dans toute sa dimension (passée, présente et même future), sans oublier le corporel, dans un axe toujours positif de croissance, d’émergence et de validation.

Le praticien ne peine pas ici dans sa pratique, car les rencontres qu’il fait sont toujours de belles rencontres. Même si dans bien des cas il est nécessaire de passer par des phases de tourment du patient, la bienveillance, la confiance, la réjouissance du praticien conduisent le patient proche de lui-même, de ses racines et de son environnement assez rapidement.

La maïeusthésie est une approche résolument tournée vers un plus de santé et non vers une éradication des pathologies. Pourtant elle peut être utilisée avec succès dans bien des situations de psychopathologie. Il importe de comprendre que dans ces cas, quand les symptômes  disparaissent, elle ne parle jamais de guérison, car elle ne raisonne pas en termes de pathologie. Il se trouve seulement que les symptômes dont le but était de permettre un retour à la santé ont cessé d’être nécessaires puisque cela est accompli. En ce sens, le mot « thérapeutique » retrouve ses nobles racines,  car étymologiquement il vient du grec « thérapeutikos », dérivé de « therapeuein » qui signifiait « serviteur prenant soin d’une divinité » (et non valeureux combattant du mal). « Theraeutês » (serviteur adorateur) a donné « thérapeute » (DHLF, Rey, 2004). Sans n’y mettre aucune religiosité il semble bien que s’occuper de l’humain a quelque chose de sacré, sans lequel l’hospitalisme menace les patients victimes d’« intellectuels bienfaiteurs » qui se limiteraient à d’uniques considérations techniques (cependant nécessaires).

 

Thierry TOURNEBISE

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Bibliographie

André, Christophe
-Etats d’âme – Odile Jacob, 2009

Chartier, Jean  Pierre
-Guérir après Freud - Dunod 2003

Tort Patrick
-Darwin et le darwinisme –Puf, 2009
-Darwin n’est pas celui qu’on croit- Le cavalier Bleu éditions, 2010

Epictète
-Manuel – Nathan 2006

Fischer, Gustave-Nicolas
-Les concepts fondamentaux de la psychologie sociale – Dunod, 2005

Freud, Sigmund
- Le narcissisme – Tchou Sand 1985

Leconte, Jacques
-Introduction à la psychologie positive – Dunod, 2009

Lyubormiski, Sonia
-Comment être heureux et le rester –Flammarion 2008

Maisondieu, Jean
-Le crépuscule de la raison – La maladie d’Alzheimer en question – Bayard 2001

Martin-Krumm Charles  et Tarquinio Cyril
-Traité de psychologie positive -De Boek 2011

Maslow Abraham
-Vers une psychologie de l’être -Fayard 1972

Pélissolo, Antoine
« Sciences Humaines » les grands dossiers : « les troubles mentaux » - revue n°20 septembre octobre novembre 2010

Tournebise, Thierry
-Le grand livre du psychothérapeute – Eyrolles, 2011

Manuels, Dictionnaires

DSM IV-TR
-Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux- Masson, 2003

Etymologie
-Dictionnaire historique de la langue française
– Alain Rey – Robert 2004

Liens internes au site

« Amour libido et autres flux » mars 2005
« Le ça, le moi, le surmoi et le Soi »
novembre 2005
« Focusing »
juillet 2007

« Bientraitance » août 2007
« Positionnement du praticien »
décembre 2007
« Psychopathologie » avril 2008

« Validation existentielle »
septembre 2008
« Abraham Maslow »
octobre 2008

« Les mots et les intuitions »
février 2010
« Symptômes »
juin 2011
« Irrépressible quête d’origines »
juillet 2011
« Être et conscience » octobre 201
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« Non directivité et validation » janvier 2012
 

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