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Quand le patient ne peut pas

Ce n'est jamais une résistance
mars 2023   -    © copyright Thierry TOURNEBISE

 

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Il arrive que le patient ne parvienne pas à faire ce que demande le praticien. Quand c’est le cas, le patient ne sera jamais mis en cause par le praticien prétextant une sorte de « résistance ». En effet c’est juste au praticien d’ajuster sa pratique, toujours ouvert à l’inattendu.

Quelle que soit la qualité de ce qui est mis en œuvre par le praticien, celui-ci doit savoir que rien ne fonctionne tout le temps, même avec ce qui est le plus souvent opérationnel. Celui-ci doit toujours avoir une humble posture de chercheur, et quasiment se laisser enseigner par les difficultés que lui propose son patient.

Le patient ne « résiste » jamais à ce que lui propose le praticien… c’est simplement que ce dernier ne lui propose pas un chemin qui lui convient, ainsi que Jung et Rogers le faisaient remarquer à tous leurs confrères.

Sommaire

1/ Remarques des prédécesseurs
- Jung et Rogers : des résistances éclairantes – Rollo May : le danger des protocoles – Winnicott : Le patient qui nous enseigne – Jerome Bruner : les risques de la « méthodolâtrie » - René Descartes : le piège du savoir

2/ Les trois axes de la psychothérapie
- 1 Corrections des dysfonctionnements – 2 Mobilisation des ressources – 3 Accompagnement des pertinences à l’œuvre

3/ Différents types d’approches
- Verbales – Corporelles, situationnelles – Avec médiateurs – La maïeusthésie – Psychologie de la pertinence  

4/ Possibles sources de blocage
- L’usage du mot « Être » - Le prénom avec un article – La méta-position sur le présent - Les formules indirectes – Les postures inadaptées

– La zone de proximité incorrecte – Investiguer une mauvaise zone de la psyché– Rechercher des solutions – Chercher à apaiser – Un vocabulaire inadapté

5/ Même quand tout est apparemment ok
- Le patient qui ne voit rien – Le patient qui ne peut pas – Le patient qui ne veut pas – Quand ce qui émerge de la psyché ne veut pas – Quand un tiers ne veut pas que la rencontre s’accomplisse – L’attention se joue des obstacles – Gestion des fossés ou des gouffres -  Quand il n’y a pas de mots – Quand il n’y a pas de pensées – Emergences trans personnelles – Quand il s’agit du futur – Quand l’Être émergeant est déjà  en paix – Quand l’absence de réponse est « la réponse », et même un outil de validation – Son assurance, sa discrétion et son humilité – Le paradoxe et les contraires – La clinique est source d’innovations

6/ Conseils
- Aux patients – Aux praticiens

Bibliographie
Bibliographie du site

1    Remarques de quelques prédécesseurs

Nous pouvons commencer par quelques remarques de nos prédécesseurs concernant la posture du praticien.

1.1    Jung et Rogers : des « résistances » éclairantes

Selon Carl Gustav Jung et Carl Rogers, les théories évoquant la notion de « résistances des patients » ne sont qu’une légende venant « excuser » l’insuffisance des praticiens. Quand la littérature psy aborde abondamment ce sujet, c’est qu’elle ne tient pas compte du patient qui, à l’occasion de ses « résistances », exprime quelque chose de majeur venant enseigner le praticien.

« Dans la littérature il est tellement souvent question de résistances du malade que cela pourrait donner à penser qu’on tente de lui imposer des directives, alors que c’est en lui que de façon naturelle, doivent croître les forces de guérison » (Jung, 1973, p.157)

« …la résistance à la thérapie et au thérapeute n’est ni une phase inévitable, ni une phase désirable de la psychothérapie, mais elle naît avant tout des piètres techniques de l’aidant dans le maniement des problèmes et des sentiments du client. » (Rogers 1996, p.155)

1.2    Rollo May : le danger des protocoles

Rollo May, proche de Carl Rogers, remet en cause l’accroche à des données purement théoriques ou à des techniques (même solidement objectivées).

« Les principes techniques protègent les psychologues et les psychiatres de leurs propres angoisses. Mais par la même occasion, les techniques empêchent les psychologues et les psychiatres de comprendre le malade, elles l’isolent de sa présence pendant l’entretien, qui est essentielle pour comprendre la situation » (May, 1971, p.26).

« Ces présupposés relèvent en partie de notre culture et du moment précis où nous nous situons dans l'histoire. » (May, 1971, p.28)

 

Citant William H. White (dans « L’homme de l’organisation ») il va encore plus loin en mettant notre attention sur le fait que les praticiens peuvent malencontreusement anéantir l’individualité du patient.

« […] les ennemis de l’homme moderne pourraient se révéler être ‘‘un groupe de thérapeutes à l’air tranquille, qui… feraient ce qu’ils font pour aider.’’ […] aider quelqu’un l’amènerait en fait à le rendre conforme à la collectivité et tendrait à anéantir son individualité. » (May 1971, p.19)

Il met l’accent sur l’avantageuse posture qui sait accueillir les phénomènes en l’état où ils se manifestent, libre des présupposés, des théories ou des dogmes.

« La phénoménologie est un effort pour prendre les phénomènes comme ils se présentent ; c’est un effort discipliné pour débarrasser notre esprit de présupposés qui, si souvent, ne nous font voir dans le malade que nos propres théories ou dogmes de nos propres systèmes. » (May, 1971, p.24) 

Il privilégie la candeur.

« Attitude de candeur disciplinée […] entendre dans la langue du malade » (p.25)

Un paradoxe majeur lui saute aux yeux : que la théorie nous rende incapable de comprendre l’être humain.

« […] il serait étrange qu’à force d’appliquer certaines méthodes en psychologie, nous devenions incapables de comprendre les êtres humains. » (p.37)

« […] l’existence humaine consiste en dernière analyse dans sa liberté. » (p.42)

Il se désole que trop souvent les psychothérapies éloignent le malade de ses propres justesses et le conduise à une sorte de soumission à une théorie à laquelle il serait censé correspondre.

« Ce sont les tendances fondamentales de la psychothérapie elle-même qui incitent le malade à abandonner sa position d’agent capable de décider. Le nom même de ‘‘patient’’ l’y invite ». (p.43)

Selon lui, le patient devrait être invité à voir en lui-même plutôt que de passer son temps à identifier des causes extérieures. Or les fondements de trop de techniques de psychothérapie semblent impliquer le contraire.

« Cette tendance apparaît non seulement dans les éléments automatiques de support de la cure, mais aussi dans le penchant du patient à voir partout plutôt qu’en lui-même des agents responsables de ses propres problèmes. Certes, les psychothérapeutes de toutes tendances savent que, tôt ou tard, le patient se décidera à apprendre et à assumer ses responsabilités, mais la théorie et la technique de la psychothérapie sont établis sur des prémisses impliquant le contraire. » (p.44-45)

1.3    Winnicott : le patient qui enseigne

Winnicott dans son ouvrage « Jeu et réalité » (Folio Gallimard, 1975) :

« Merci à mes patients qui ont payé pour m’instruire »

Avoir ainsi l’humilité de se laisser enseigner par les patients que l’on accompagne et veiller à ce que la liberté de celui-ci reste inaliénable, hors de tout endoctrinement :

« L’interprétation donnée quand le matériel n’est pas mûr, c’est de l’endoctrinement qui engendre la soumission » (p.104)

1.4    Jerome Bruner : les risques de la « méthodolâtrie »

Cognitiviste, Jerome Bruner identifie le même problème. Il dénonce ce qu’il appelle « méthodolâtrie » (Bruner, 1997, p.13.

La théorie qui prétend comprendre par avance les phénomènes se perd en de stériles (et vaniteuses) prédictions :

« Pourquoi faudrait-il nécessairement et dans tous les cas comprendre par avance le phénomène à observer, ce que prétend faire la prédiction ? » (ibid., p.15), 

Pire encore, la théorie artificialise ce que nous étudions au point qu’on n’y trouve plus trace de l’humain que nous sommes censés accompagner :

 « […] d’artificialiser ce que nous étudions au point qu’il est difficile d’y reconnaître une représentation de la vie humaine. » (ibid., p.15)  

Bien plus encore, ces théories ne seraient que des astuces justes « bricolées pour l’occasion », ayant oublié l’humain qu’elles prétendent décrire et aider :

« […] qu’on commence à prendre à bras le corps les universaux, les hypothèses et les théories, ces appariements apparaissent pour ce qu’ils sont : bricolés pour l’occasion » (1997, p.30).

1.5    Sigmund Freud : un incontournable amour

La psychothérapie de Freud est surtout une psychothérapie du moi. Nous devons à Freud d’avoir fait émerger l’idée d’un inconscient et de topiques. Certes, il n’est pas dans une approche de psychologie existentielle. Et pourtant, il a parfaitement identifié que l’amour (au sens sensible de la reconnaissance et non au sens eros) est essentiel en thérapie.

« …la collaboration des patients devient un sacrifice personnel qu’il faut compenser par quelques succédanés d’amour. Les efforts du médecin, son attitude de bienveillante patience doivent constituer de suffisants succédanés » (Freud, 1979, p.68)

Nous remarquerons qu’il ne mentionne que l’idée de « succédané », mais il a néanmoins mis en exergue cette nécessité d’humanité. D’ailleurs sa fameuse notion de « neutralité bienveillante » signifie « ouverture chaleureuse » et non « froideur distante », contrairement à quelques croyances à ce sujet (chez ceux qui sont attachés aux principes purement techniques).

1.6    René Descartes : le piège du « savoir »

Le plus étonnant est sans doute quand René Descartes attire notre attention sur un point ignoré de beaucoup : le savoir peut éloigner du bon sens. Il y a même consacré tout un ouvrage : « Recherche de la vérité par la lumière naturelle ».

Eudoxe (le sage) parlant d’Epistémon (l’érudit) : 
« …dès l’enfance il a pris pour la raison ce qui ne reposait que sur l’autorité de ses précepteurs… » (Descartes, 1999, p.898). 
Ainsi, pour lui, un enseignement qui impose une pensée n’enseigne pas, mais éteint « la lumière de la raison ». Il poursuit par : 
« Celui qui est, comme lui, plein d’opinions et embarrassé de cent préjugés, se confie difficilement à la seule lumière naturelle car il a déjà pris l’habitude de céder à l’autorité plutôt que d’ouvrir les oreilles à la seule voix de la raison. » (ibid. p.898). 
Parlant de celui qui est moins érudit (Polyandre) et qui, grâce à cela, a gardé son bon sens, sa lumière naturelle, il ajoute que, chez lui : 
« …tout cela s’effectue sans logique, sans règles, sans formules d’argumentations, par la seule lumière de la raison et du bon sens, qui est moins exposé aux erreurs, quand il agit seul par lui-même que quand il s’efforce anxieusement d’observer mille règles diverses (ibid, p.896).

Contrairement à ce que l’on croit connaître de lui, René Descartes prône l’intuition, le doute, l’imagination, ainsi que toutes nos capacités subtiles.

« Certes l’entendement seul est capable de percevoir la vérité ; mais il doit être aidé cependant par l’imagination, les sens et la mémoire, afin que nous ne laissions de côté aucune de nos facultés. » (Règles pour la direction de l’esprit Règle XII, 1999, p.75)  

« Toutes les notions que nous composons de cette manière ne nous trompent pas en vérité, pourvu que nous ne les jugions que probables et que jamais nous ne les affirmions comme vraies. » (Règles pour la direction de l’esprit Règle XII, 1999, p.85).  

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2    Les trois axes des psychothérapies

2.1    Correction des dysfonctionnements

La psychopathologie est l’axe de la correction des dysfonctionnements au niveau de la psyché du patient :

 « Quelle que soit la cause originelle il [le trouble] doit être considéré comme un dysfonctionnement comportemental psychologique ou biologique de l’individu. » (DSM IV-TR, p.XXXV) 

Les symptômes y sont considérés comme l’expression d’un dysfonctionnement à corriger. Pour le psychiatre ce peut être avec de la pharmacologie, pour le psychothérapeute ou le Psychopraticien, ce peut être avec une approche de psychothérapie.

Les approches envisagées peuvent être chimiques ou naturelles, douces ou expéditives, verbales ou corporelles… mais dans tous les cas il s’agit de corriger un dysfonctionnement, que ce soit sur le plan neurologique, cognitif, comportemental, émotionnel ou réactionnel… etc.

2.2    Mobilisation des ressources

La psychologie de la santé, constitue un second axe où le praticien ne se préoccupe pas spécialement des dysfonctionnements, mais plutôt des ressources à mobiliser. Une des approches œuvrant en ce sens est la psychologie positive.

Voir sur le site la publication d’avril 2012 « Psychologie positive ».

Le symptôme ici est considéré comme l’expression d’une ressource manquante et à mobiliser.

La définition de l’OMS « La santé n’est pas l’absence de maladie mais un équilibre physique, mental et social » est au cœur de cette approche :

« La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.

La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale.

La santé de tous les peuples est une condition fondamentale de la paix du monde et de la sécurité; elle dépend de la coopération la plus étroite des individus et des États ».

Site de l’OMS Constitution (who.int)

« La santé mentale ne se définit pas seulement par l’absence de trouble mental. Il s’agit d’une réalité complexe qui varie d’une personne à une autre, avec divers degrés de difficulté et de souffrance et des manifestations sociales et cliniques qui peuvent être très différentes ».

Site de l’OMS  Santé mentale : renforcer notre action (who.int)

La psychologie de la santé vise plus à promouvoir la santé qu’à combattre la maladie. Si l’un semble aller avec l’autre, il ne s’agit pourtant pas de la même visée. La posture y est très différente.

On y retrouve l’idée de Baruch Spinoza à propos de la paix, où l’absence de guerre ne suffit pas à signifier la paix :

« Car la paix ainsi que nous l'avons déjà dit, ne consiste pas en l'absence de guerre, mais en l'union des âmes ou concorde. » (Spinoza - 1962, p.954)

Une absence de guerre obtenue par soumission (disparition de symptôme) peut ne faire que masquer une flambée de révolte à venir. Il en va de même dans la psyché où l’on observera alors des déplacements de symptômes (et sans doute aussi dans le corps).

2.3    Accompagnement des pertinences à l’œuvre

Un troisième axe pourrait apparaître : celui de la psychologie de la pertinence. Ici les symptômes ne pointent pas vers un dysfonctionnement à corriger, mais vers une pertinence à l’œuvre « demandant » à être accompagnée.

Le praticien n’y cherche donc pas des dysfonctionnements, mais des finalités qu’il conviendrait de rejoindre pour accéder à cet équilibre de santé.

Thomas Reid (philosophe Anglais du 18e siècle) en avait eu une belle intuition :

« L’appareil de l’esprit humain est une chose aussi curieuse et merveilleuse que l’appareil du corps humain. Et les facultés qu’on y observe ne sont pas moins sagement adaptées à leurs différentes fins que les organes de ce dernier. » (Reid – 2012, p.27)

Bien sûr on ne peut prendre son propos comme référence absolue au 21e siècle, mais il est touchant qu’il ait eu une telle intuition (un peu comme pour Démocrite avec les atomes).

Il ne s’agit pas de « théorie », mais plutôt d’une observation clinique empirique : le patient partant des ressentis qu’il éprouve avec son symptôme… aboutit à un endroit de sa psyché où se trouve une remédiation à accomplir entre celui qu’il est aujourd’hui et celui qu’il était jadis lors du trauma. Celui qu’il était a été « coupé de la psyché » pour des raisons de survie, du fait d’une émotion si forte qu’elle le rendait non intégrable au cœur de Soi. Le symptôme ainsi ne pointe plus vers un dysfonctionnement. Il pointe vers un endroit de sa psyché qui « attend » reconnaissance de qui il était (existentiel) et validation des ressentis éprouvés à cette époque de sa vie (émotionnel).

Cela suffit à permettre la réintégration de soi en Soi et la disparition du symptôme, qui alors ne signe plus une guérison (dysfonctionnement corrigé), mais l’accomplissement d’une justesse qui était à l’œuvre (mécanisme pertinent enfin abouti).  

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3    Différents types d’approches

3.1    Verbales

La « première » démarche verbale moderne fut la psychanalyse. C’est surtout le patient qui s’exprime. Un travail sur le moi avec l’approche Freudienne, sur le Soi avec l’approche Junguienne.

Mais avant, il y eut Philippe Pinel, aliéniste, qui considérait que les malades mentaux ne sont pas « fous » (« fol » veut dire vide) mais seulement « devenus étrangers à eux-mêmes » (donc aliénés, « alien » signifiant étranger). Il considérait qu’en s’adressant à eux normalement, on leur permettait ainsi de se retrouver.

Les TCC (Thérapie cognitive et comportementale). Le volet cognitif va tenter par des actions verbales de « résoudre » les failles cognitives (notamment avec la technique de « découverte guidée »). Le volet comportemental, lui, va tenter de « reprogrammer » les réactions excessives et indésirables face à des situations, soit en proposant une exposition progressive (désensibilisation systématique), soit en fournissant une ressource de plaisir à la place de celle de désagrément (offrir un plaisir à chaque exposition).

L’approche systémique, que nous devons en partie à Paul Watzlawick, évoque l’idée d’homéostasie familiale. Les membres de la famille sont présents lors des séances de thérapie où les interactions entre les membres de celle-ci sont considérées, et où il n’est pas rare que le symptôme chez l’un exprime un trauma chez l’autre. Cette approche permet des émergences et des partages de ce qui était trop discret, voir totalement occulté. Cela est ainsi libérateur pour la communauté familiale.

Les TOS (thérapies orientées solutions) que nous devons à des impulsions de Gregory Bateson et Milton Erickson. Bill O’Hanlon (élève d’Erickson), propose d’accompagner les changements qui s’opèrent de toute façon chez chacun d’entre nous, afin de les optimiser (partant du principe que nous portons en nous « nos propres solutions »).

L’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) que nous devons initialement à Francine Shapiro, propose au patient d’exprimer et de « visiter » sa zone traumatique pendant un alternance sensorielle « droite-gauche » (visuelle, auditive, tactile). Cette approche produit ainsi un retraitement neurologique de la mémoire des faits traumatiques.

La psycho-généalogie (initiée par  Anne Ancelin Schützenberger) nous propose de nous libérer de blessures vécues par des ascendants proches (intergénérationnel) ou lointains (transgénérationnel) vers lesquels nous conduisent nos symptômes.

La Gestalt Thérapie propose une interaction entre le patient et d’autres endroits de sa psyché en s’inspirant du psychodrame. Cette approche que nous devons à Fritz Perls, propose de restaurer la communication entre des éléments de la psyché qui sont en conflit.

L’IFS (Internal Family System) modélisé par Richard Schwartz, propose que celui que nous sommes offre un accompagnement de ceux que l’on était lors de situations traumatiques.

La PNL (programmation neuro Linguistique) que nous devons à John Grinder et Richard Bandler propose particulièrement de mobiliser des ressources à des fins de compétences.

Etc…

3.2    Corporelles, situationnelles

Nous trouvons ici les thérapies psychocorporelles, où le corps est particulièrement engagé. Gerda Boyesen, qui en est une source essentielle, attire notre attention sur le fait que les émotions s’accumulent dans le corps, dans ce qu’elle appelle des « citernes musculaires ». Une thérapie psychocorporelle propose l’expression de ce qui est ainsi stocké depuis si longtemps. Mais attention, elle ne propose pas de « vidanger » ces émotions par des expressions sauvages, mais d’en accomplir l’expression qui était restée en suspens. Ce dernier point est souvent mal compris et l’on croit à tort qu’il faut seulement « vidanger » ou « purger ».

Le Focusing, que l’on doit à Eugene Gendlin, propose une écoute et une expression verbale des sensations corporelles (felt sens) tout en délicatesse. A la suite de cette expression, les sensations changent (body shift), et de proche en proche, cela permet de contacter la zone de la psyché qui appelle l’attention du patient.

Bien sûr les approches psychocorporelles contiennent aussi des verbalisations. Il est difficile de faire un classement strict.

D’ailleurs nous avons aussi le psychodrame que nous devons à Jacob Levy Moreno qui propose diverses actions et verbalisations dans des mises en situation. Le corps et le verbe y sont engagés.

Nous avons aussi la psychologie positive qui propose des mises en situation visant à mobiliser des ressources dont nous disposons le plus souvent sans le savoir… elle nous aide à « oser ».

Les constellations familiales, conçues initialement par Bert Hellinger, proches de la psycho-généalogie, proposent une telle exploration… mais avec un groupe et, dans ce groupe avec des « représentants » figurant les protagonistes. Elle est moins simplement verbale que la psycho-généalogie, même si le verbe y est aussi engagé de la part des « représentants ».

En fait, le « classement des approches » est approximatif : il ne se peut absolu car plusieurs aspects peuvent se trouver dans une même approche. Il n’est pas non plus exhaustif.

3.3    Avec médiateurs

Il peut être envisagé d’utiliser des médiateurs animaux, comme dans l’équithérapie. Renée de Lubersac et Hubert Lallery ont modélisé et publié sur cette approche ancestrale (qui date de l’antiquité). Il se trouve que la sensibilité de l’animal permet au patient d’être plus sensible à lui-même, car celui-ci est extrêmement perceptif quant aux états émotionnels.

Surtout, l’animal propose une présence inconditionnelle et bienveillante dont un patient a toujours tellement besoin. Ainsi, j’ai entendu une résidente d’EHPAD me dire « J’aime bien quand je vois ce chien, car il vient vers moi sans qu’on lui dise, et il est content de me voir ». L’animal est ainsi souvent source d’une belle validation existentielle qui est toujours essentielle au patient… on pourrait même dire « à tout Être Humain ! »

L’Art Thérapie, des sources ancestrales et multiples, constitue un autre moyen avec médiateur. Il y est proposé au patient d’effectuer une création (peinture, modelage, musique, mouvement… etc.). A partir de cette création des émergences permettent un cheminement psychologique vers soi-même, des émergences de Soi, tant dans les zones traumatiques à entourer de bienveillance, que dans des zones de compétences oubliées à révéler.

3.4    La maïeusthésie

La maïeusthésie est une approche plutôt verbale. Mais elle tient compte aussi des manifestations corporelles. Elle considère même le corps comme un interlocuteur à part entière, ayant des vécus émotionnels qui lui sont propres. Parfois le corps exprime par un symptôme une souffrance de la psyché (psychosomatique habituelle), parfois aussi il exprime une souffrance qui lui est propre et qui ne concerne pas la psyché au sens habituel du terme (le corps peut avoir vécu un trauma, alors que la psyché était en paix… hélas il n’y a pas de mot pour désigner cette situation particulière, pour laquelle « psychosomatique » ne convient pas.

La maïeusthésie touche les vécus dans notre vie (biographiques), ceux de nos ascendants (inter et trans générationnels) et même ceux qui se situent hors de notre biographie ou de notre lignée (transpersonnels) prenant en compte notre environnement au sens large (de toutes époques, de toutes natures, même hors de toute histoire). D’une façon générale elle s’occupe plus du vécu des Êtres que des faits (même si les deux ont un rapport entre eux).

Elle va aussi bien investiguer le présent, que le passé, que le futur ou que l’atemporel.

Elle envisage autant des remédiations entre un élément de Soi qui a été clivé à la suite d’un trauma, que le déploiement de Soi (devenir qui l’on a à être).

On pourrait dire qu’elle est de nature intégrative, en perpétuelle évolution, sollicitant la créativité des praticiens qui y sont en quelque sorte « invités » par ce que les patients leur proposent.

3.5    Psychologie de la pertinence

IL est évident que toutes les thérapies évoquées ne constituent pas une liste exhaustive.

Il ne s’agissait là que de donner un petit échantillon d’approches excitantes. Ce qui importe, ce ne sont pas tant les types d’approche que la notion de psychologie de la pertinence, évoquée au début de ce texte.

L’approche, quelle qu’elle soit, prendra-t-elle appui sur l’idée de psychopathologie (dysfonctionnement à corriger), psychologie de la santé (ressource à mobiliser) ou psychologie de la pertinence (justesse à l’œuvre à accompagner) ?

Chaque approche, quel que soit son support, peut aller vers une de ces trois orientations. Ici, nous nous intéresserons au fait qu’elle prendra appui sur la notion de psychologie de la pertinence.

Nous explorerons ce que le praticien peut faire en différentes situations quand le patient ne parvient pas à mettre en œuvre ce qui lui est proposé.  

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4    Possible source de blocage du patient

Nous considèrerons ici les maladresses verbales et les maladresses de posture.

4.1    L’usage du mot « Être »

Au niveau verbal le mot « Être » est parfois utilisé : « Mets l’attention sur l’Être que tu étais à ce moment de ta vie ». Souvent ce choix sémantique n’est pas très heureux. Le mot « Être » n’est pas évident pour tout le monde. Il peut parfois prendre une sorte de consonnance « ésotérique » pour certains, ou être totalement incompréhensible pour d’autres.

Bien-sûr ce mot dans la théorie désigne parfaitement la dimension existentielle du patient. Le Soi, la psyché, et l’Être (notamment chez Heidegger), sont en équivalence correcte. Cependant, en usage dans une séance le mot Être souvent « ne parle pas ». Si le patient a suivi une formation, il peut avoir du sens pour lui. Mais même en ce cas, on y perd un peu de spontanéité (trop empreint de théorie, de savoir). De plus, n’oublions pas qu’un entretien de psychothérapie doit pouvoir s’adresser à tout le monde. Il n’est pas imaginable qu’un patient doive se former pour recevoir une séance.

C’est toujours au praticien de s’ajuster avec le langage qui convient à son interlocuteur. Dans l’exemple ci-dessus : « Mets l’attention sur l’Être que tu étais à ce moment de ta vie », il sera plus avantageux de proposer « Mets ton attention sur celui que tu étais à ce moment de ta vie »… tout simplement. La publication de novembre 2022 « La vastitude du petit » donne des éléments sur la façon de nommer celui qu’on était, ou tout Être émergeant de la psyché au cours d’une séance de psychothérapie.

4.2    Le prénom avec un article

Le même type de difficulté se présente dans l’usage d’un article avant le prénom. Un patient qui s’appelle Jacques entendrait ici : « Mets ton attention sur ‘‘le’’ Jacques que tu étais ! ».

Cela tend à le chosifier et manque un peu de grâce pour rendre compte de la qualité existentielle de celui qu’on était. Le praticien est censé s’adresser à lui tout en humanité et en reconnaissance, et inviter le patient à faire de même.

Là aussi, « Mets ton attention sur ‘‘le’’ Jacques que tu étais ! » sera avantageusement remplacé par « mets ton attention sur celui que tu étais ! ».

4.3    La méta-position sur le présent

Demander à un patient de porter son attention sur celui qu’il est maintenant en train de ressentir ce qu’il éprouve est maladroit.

Cependant, il est excellent et utile de l’inviter à avoir son attention sur le ressenti éprouvé maintenant, afin d’identifier, en Lui, vers où pointe ce ressenti. On appelle ça une méta-position par rapport à ce qui est éprouvé. Cela permet de mieux l’entendre sans en être submergé.

Mais mettre son attention sur soi en train de le ressentir maintenant, non seulement n’est pas utile, mais est quasiment impossible. On peut avoir une méta-position par rapport à l’un de ceux que l’on a été, mais pas par rapport à soi maintenant. Cette méta-position, quand elle concerne le présent, n’est aisée que par rapport à ce qui est éprouvé, pas par rapport à qui l’on est en train de l’éprouver.

4.4    Les formes indirectes

Quand le patient a identifié celui qu’il était et qui, en lui, appelait son attention, il est important de lui proposer d’accomplir une validation de son éprouvé (« c’est cela que tu as ressenti !? »), en même temps que de lui accorder une validation existentielle (réjouissance, considération).

Cette requête peut être adressée par le praticien de façon indirecte ou de façon directe. La maladresse du praticien est souvent de le proposer en formule indirecte : « Demandez à celui que vous étiez si c’est cela qu’il a éprouvé ! »

Une formule directe est préférable, c’est-à-dire : « demandez à celui que vous étiez : ‘‘C’est cela que tu as éprouvé !?’’ ». La réponse surgit plus aisément.

Quand le praticien prononce cette formule directe, cela ouvre le chemin pour que le patient lui-même l’énonce. En plus, quand cela est dit par le praticien, l’Être émergeant le reçoit déjà un peu. Tout cela contribue à ouvrir le chemin. A l’inverse, la formule indirecte peut figer la situation par manque de proximité existentielle (cela induit de la distance).

4.5    La posture inadaptée

La posture du praticien joue un grand rôle dans l’efficience de la séance. Sa posture joue à deux niveaux : Vers où se dirige son attention ? Avec quelle intention ?

Concernant son attention, est-elle tournée vers un problème à résoudre ou vers quelqu’un à rencontrer ? Concernant son intention, envisage-t-il rencontre et validation, ou bien suppression et résolution ?

Le praticien qui se dirige vers des problèmes à résoudre, vers des dysfonctionnements à corriger, vers des éléments à éliminer sera souvent source de blocages chez le patient. Pareillement s’il porte le moindre jugement (y compris simplement en pensée) à l’encontre des personnes dont le patient se plaint. Toutes ces attitudes conduisent à une posture de gravité allant à l’encontre de ce qui cherche à s’accomplir chez le patient.

4.6    La zone de proximité

Le praticien est-il en proximité du patient ou en proximité (et connivence) avec l’Être émergeant ?

Un praticien en proximité avec le patient et qui demande à celui-ci d’aller « là-bas où un Être émergeant l’appelle » peut être source de blocage. Si au contraire le praticien est déjà en proximité et connivence avec cet Être émergeant et qu’il invite le patient à le rejoindre « là où il se trouve déjà » (praticien déjà proche de l’Être émergeant) cela fonctionne bien mieux. Voir la publication de septembre 2016 « Emplacement subjectif du praticien ».

4.7    Investiguer une mauvaise zone de la psyché

La psyché comporte plusieurs zones : Biographique, transgénérationnelle, transpersonnelle, le corps, le passé, le futur, des zones blessées, des zones préservées et des zones ressources… etc.

Il y aura une errance thérapeutique si le praticien, du fait de « ses croyances théoriques » choisit d’investiguer la biographie alors qu’il s’agit de transgénérationnel, du transgénérationnel alors qu’il s’agit de transpersonnel. Pareillement s’il investigue du transpersonnel quand il s’agit de biographique. Mais aussi s’il choisit de s’occuper d’une peine de la psyché alors qu’il s’agit d’un trauma éprouvé par le corps, d’aller vers le passé, alors que ce qui est en question c’est le futur, de chercher à tout prix un Être qui a souffert alors que c’est un Être ressource qui était resté à l’abri (libre de tout trauma)… ce sont autant de faux pas du praticien qui peuvent bloquer le patient.

Il est également possible qu’une croyance théorique conduise le praticien à investiguer une zone de la psyché qui ne correspond pas au vécu du patient. Ce n’est bien évidemment pas au patient de s’ajuster au praticien, mais l’inverse.

4.8    Rechercher des solutions

La mot « solution » signifie « fracture, désagréger » !, et « Résoudre » signifie « enlever, supprimer, ôter ». En médecine « solution de continuité du segment osseux » signifie « fracture », et résoudre une tumeur signifie « ablation ».

En fait une démarche thérapeutique fonctionne plus sur un principe de remédiation, de réhabilitation, d’ouverture de conscience, que sur la suppression de quoi que ce soit. Le patient peut souvent bloquer quand le praticien l’invite à supprimer quelque chose en lui, même s’il s’agit d’une une souffrance.

4.9    Chercher à apaiser

C’est sans doute un des points les plus souvent rencontrés, où le praticien a hélas pour projet d’apaiser son patient.

La difficulté ici est que l’apaisement en fin de séance montre qu’on a accompli ce qui attendait de se faire. Mais ce n’est pas la cible. Ce qui est recherché, c’est la remédiation ou le déploiement à accomplir. L’apaisement en résulte mais n’est pas la finalité recherchée. Celui-ci n’est qu’un indicateur d’accomplissement.

Le praticien qui prend l’apaisement comme finalité à accomplir risque de tomber dans un déni de ce qui cherche à s’accomplir, et de provoquer un blocage chez le patient.

4.10              Un vocabulaire inadapté

Les bons mots ne font pas tout mais facilitent grandement l’entretien. S’ils sont inadaptés, il se peut que le patient corrige de lui-même, mais aussi que ça l’immobilise si ce qui est énoncé ne reflète pas ce qu’il éprouve.

Par exemple :

-Mieux vaut prononcer « vie » (quand il s’agit d’existentiel » que « énergie » (qui renvoie au faire, à la matière) ;  
-dire « ce qui retient » est plus délicat que dire « ce qui empêche » ;  
-dire « lumineux » pour l’existentiel, plutôt que « brillant » (qui ne concerne que l’ego) ;  
-demander « en quoi » plutôt que « pourquoi » (qui fait trop enquête) ;  
-dire « est essentiel pour toi » (version positive) plutôt que « te manque » ;  
-demander « en quoi est-ce juste, important » (axe de pertinence) plutôt que « qu’est-ce qui fait que » (enquête sur des problèmes) ;  
-dire « œuvrer » plutôt que « travailler » (mot à l’étymologie barbare) ;  
-évoquer « finalités à rejoindre » (qui nous attendent) plutôt que « buts ou projets » à atteindre ;  
-parler de « considération, accueil, validation, intégration » plutôt que « tolérance » (tolérer c’est juste « supporter ») ;  
-adopter la notion de « percevoir » (qui inclut tous les modes) plutôt que d’insister avec « voir », surtout si le patient n’est pas visuel ; ou « entendre » surtout s’il n’est pas auditif ;  
-ne pas confondre « indicible » (ce pour quoi il n’y a pas de mots) et « innommable » (qui est péjoratif et désigne plutôt une horreur) ;  
-parler de « vastitude » (hors dimensions) plutôt que de « recul » ou « d’altitude » (dimensions métrées) ;  
-distinguer clairement « expérientiel » (vécu du Réel en connexion directe) et « imaginaire » (seulement une représentation mentale de ce qui est sensoriel) ;  
-préférer « donne-toi le temps » plutôt que « prends ton temps » (posture un peu de « voleur ») ;  
-bien distinguer « candeur » (blancheur pureté) et « puérilité » (enfantin) ; 
-bien distinguer entre « conscience » (ouverture existentielle) et « cognitif » (représentations dans l’intellect) ;  
-si le mot « sexualité » peut être utilisé, quelques fois il peut être juste de lui préférer « intimité » (selon l’interlocuteur et ce qui est le plus aisé pour lui) ;  
-savoir distinguer entre  « paradigmes » (ce qui fonde une théorie) et « archétypes » (ce qui fonde la vie) ;  
-utiliser la posture « je veux bien » (ouverture) plutôt que « je veux » (ego, énergie, force) ;  
-parler de « sources » (dans le passé ou dans le futur) plutôt que de « causes » (uniquement dans le passé) ; 
-bien distinguer entre « intéressé » (concerne les choses) et « attentionné » (concerne les Êtres) ;  
-distinguer « être en connexion » (ouverts) et « être en lien » (attachés);
-ainsi que « connectés » et « reliés »;
-« communicants » et « relationnels »;
-distinguer la « réjouissance » (expérientielle) et la plaisir (sensoriel) ;  
-préférer « mettre en lumière » plutôt que « s’ouvrir ».

Voici une longue liste de mots préférentiels (qui n’est pas exhaustive) dont l’usage doit toujours être accompagné de bon sens et non comme une règle. Il se peut que quand les mots prononcés par le praticien ne sont pas justes, le patient se retrouve bloqué car il ne sent pas la résonance et la justesse entre ce qui se passe en lui et ce qu’on lui énonce.

Cet art du langage chez le praticien se construit progressivement grâce à son esprit de recherche, son ouverture, son absence d’adhésion à des formules toutes faites, sa liberté et sa créativité, où cependant il ne se substitue jamais au patient… et même se laisse enseigner par celui-ci.  

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5    Même quand tout est apparemment ok

Quand tout se passe au mieux concernant ce que propose le praticien (la posture, les mots, les propositions…), il peut néanmoins encore se passer beaucoup de situations où le patient ne peut faire ce qu’on lui demande au cours de la séance.

Pour chacune de ces situations le praticien devra faire preuve de souplesse, de créativité, de bon sens… je vais tout de même en lister quelques-unes avec des possibilités d’action pour chacun d’elle… tout en sachant qu’on ne peut faire des règles absolues. Celles-ci ne sont pas faites pour être appliquées, mais pour libérer le bon sens et œuvrer en plein ajustement avec le patient dont on s’occupe.

Nous arrivons là à ce qui justifie pleinement cette publication.

5.1    Le patient qui ne voit rien

Par exemple le praticien demande au patient de mettre son attention sur celui qu’il était, ou sur ce qu’il ressent, ou sur ce qui s’est passé pour celui qu’il était (au moment traumatique).

Ce dernier répond : « Je ne vois rien ».

Le praticien ne met pas en doute le fait qu’il ne voie rien. Mais est-ce parce que l’accès n’est pas visuel ? alors demander plutôt « que percevez-vous » ; est-ce parce qu’il n’y a rien à percevoir ? alors demander « devrions-nous nous tourner dans une autre direction ? ; est-ce parce qu’il ressent exactement ce que ressentait celui qu’il était, qui, lui-même, ne voyait rien ? alors demander « celui que vous étiez ne voyait rien !? » ou mieux : « Celui que vous étiez voyait-il quelque chose ? »

Il est entendu que, le plus souvent, ce n’est pas le patient qui refuse de voir (résistance) et que quand bien même ce serait le cas, alors il aurait une excellente raison pour cela, et devrait être invité à explorer « En quoi est-ce mieux de ne pas voir ? ».

5.2    Le patient qui ne peut pas

Quand le praticien demande par exemple « Mettez votre attention sur celui que vous étiez », il peut arriver que le patient dise « Je n’y parviens pas ! ».

Ce n’est pas l’indication qu’une chose résiste, mais qu’avant il faut accomplir quelque chose d’autre, ou s’y prendre d’une autre façon. Attention, il se peut aussi que nous ne soyons pas au bon endroit. Il importe de toujours envisager la pertinence dans tous les cas.

Pour accéder à ce qui s’exprime à travers cette impossibilité, le praticien peut proposer : « Que s’est-il passé quand je vous l’ai demandé ? », ou, comme pour ce qui sera abordé juste après « En quoi est-il plus juste de ne pas le rencontrer ? ». Ce qui s’est produit indique souvent ce qu’il y a à faire avant que la rencontre ne soit possible. Il suffit de l’accomplir et souvent une simple validation suffit.

Par exemple un patient qui a souffert du fait de son père ne peut rencontrer celui qu’il était car s’il en mesure la souffrance il n’aura plus le l’élan de rencontrer son père ensuite (or la psyché est en quête de complétude). Tout autant il ne saura pas se connecter à ce père, car s’il comprend trop vite ses raisons, il n’aura plus l’élan de prendre la mesure de la souffrance éprouvée par celui qu’il était. Le praticien saura alterner entre ces extrêmes au rythme du patient qui se rapprochera un peu de l’un puis un peu de l’autre, et ainsi de suite progressivement.

5.3    Le patient qui ne veut pas

Quand le praticien demande « mettez votre attention sur … (celui que vous étiez, celui qui vous infligé de la violence, etc…) », Il peut arriver que le patient dise « C’est hors de question ! ».

Plus qu’une impossibilité, c’est une volonté ici qui s’exprime. Cela commence toujours par une validation « C’est plus juste pour vous de ne pas aller vers lui !? », suivi de « En quoi est-ce plus juste ? ». Puis après validation de la réponse, il sera souvent pertinent de proposer une « astuce » : « Quelle distance rendrait-il cela possible ? », ou « S’il y a un mur, ou un fossé entre vous, cela est-il plus envisageable ? ». Si le patient souhaite un mur et/ou un fossé, ou une distance, il la met et, en cette nouvelle situation, tente à nouveau de porter son attention sur cet Être identifié. Souvent cela permet d’établir un début de rencontre et une « écoute » des raisons de celui qui était si désagréable, mais sans risque de subir celui-ci.

Il arrive que le patient dise « Je lui en veut trop, c’est un monstre ». En tant que praticien nous savons que ce que fait cet Être est monstrueux, mais que l’Être lui-même n’est jamais un monstre. Nous nous gardons bien de le dire, mais nous proposerons par exemple au patient de dire : « Dites-lui ‘‘Désolé mais je ne suis pas en mesure de me tourner vers toi sans te trouver monstrueux (ou stupide, abominable, horrible, ou te détester…) !’’. Cela permet au patient de se respecter lui-même dans le sentiment qu’il éprouve, d’être en pleine congruence, et néanmoins de s’adresser à celui qu’il vient d’identifier, de commencer à s’ouvrir à lui, mais sans se nier lui-même. Ici nous trouvons une posture du praticien très différente de toutes celles qui préconisent le pardon comme moyen salvateur (ou aussi la « purge colérique »)... cela reviendrait à une négation de Soi et ne serait pas efficient.

Nous remarquerons que ce que je propose ici est assez proche de ce que l’on appelle « désensibilisation systématique » en thérapie comportementale, où le patient est invité à un rapprochement progressif avec ce/celui qui le tourmente.

Dans certains cas on trouvera un patient qui dit « Ma vie est tellement horrible, je déteste Dieu » (sous-entendu « tout est à cause de lui »). Le praticien (lui-même hors de toute croyance, mais ouvert à tout) osera alors proposer : « Mettez votre attention sur Dieu et dites-lui : ‘‘T’es trop nul, tu as tout fait de travers, tu ferais bien de corriger tes erreurs !’’. Proposition énoncée en formule directe « Mettez votre attention… » et non en précaution « est-ce que vous pouvez mettre votre attention… ». Le patient alors se retrouve souvent surpris qu’un propos si trivial puisse être adressé à Dieu. Alors le praticien lui propose : « Soit il n’existe pas et vous pouvez vous lâcher, soit il existe et il peut tout entendre… donc vous pouvez aussi vous lâcher ». Cela permet en même temps beaucoup d’authenticité, peu d’humour, et de rouvrir un canal vers ce qui en lui appelait sa conscience.

5.4    Quand ce qui émerge de la psyché ne veut pas…

Le praticien invite son patient à la rencontre avec celui qu’il était ou celui qui appelait sa conscience… Celui-ci est identifié… Le patient révèle parfois au praticien une difficulté :  « il ne veut pas me voir » ou « il s’en va » ou « il détourne la tête » ou « il veut qu’on le laisse tranquille » etc…

Le praticien ici est juste censé valider ce que montre l’Être émergeant et invite le patient à le formuler :

« Dites-lui : ‘‘C’est mieux pour toi de prendre de la distance’’ ou ‘‘Tu préfères ne pas me voir’’ ou ‘‘Tu préfères qu’on ne te voie pas’’ ou ‘‘c’est mieux si je te laisse tranquille’’ »… la phrase à choisir dépend de ce qui vient de se passer dans cette émergence, et faire sens avec elle dans l’optique d’une pleine reconnaissance de ce qui est éprouvé et manifesté par l’Être émergeant.

Le plus souvent, une ouverture se produit spontanément, sitôt que la reconnaissance de ce que cet Être émergeant vient d’exprimer ou de manifester est accomplie. Les phrases à choisir sont toujours énoncées dans le sens d’une justesse, d’une pertinence en accomplissement.

5.5    Quand un tiers ne veut pas que la rencontre s’accomplisse

Quand le patient ne peut pas rencontrer l’Être émergeant, comme nous l’avons vu, ce peut être le patient qui ne le souhaite pas ou l’Être émergeant lui-même qui préfère ne pas être rencontré. Nous avons vu comment gérer ces situations. Il se peut une troisième éventualité : un tiers ne souhaite pas que la rencontre se fasse.

Quand il a été vérifié que ce n’est ni le patient ni l’Être émergeant qui ne souhaitent pas cette rencontre, il reste à proposer au patient « Y a-t-il quelqu’un pour qui il est mieux que cette rencontre ne se fasse pas ? ». Si la réponse est « oui » il sera alors invité à tourner son attention vers celui qui ne le veut pas et à lui demander « En quoi est-il plus juste pour toi qu’on (ou que je) ne rencontre pas cette personne [cet Être, ce parent, cet enfant etc…] ? ».

Ainsi se fait l’accompagnement de celui qui ne souhaite pas cette rencontre et, le plus souvent, une fois celui-ci reconnu et entendu, puis son propos validé… la rencontre peut se faire.

Par exemple un parent du patient peut ne pas souhaiter que celui-ci rencontre son grand-parent quand ce dernier a fait subir au parent une maltraitance. Mais ce peut être aussi du fait d’un groupe social ou d’autres types de tiers.

5.6    L’attention se joue des obstacles

Quand le patient met son attention sur l’Être émergeant, il dira parfois « Je ne peux pas, il y a un mur ». L’attention sur le mur révélera souvent un chemin qui s’y trouve quasiment inscrit. Mais une fois, une patiente m’a dit « C’est un mur d’un épaisseur infinie »… donc aucun espoir ni de le contourner, ni de le traverser !

La simplicité est de dire au patient « Avec ce mur d’épaisseur infinie entre vous, mettez votre attention sur lui (l’Être émergeant) ». Et un échange peut avoir lieux grâce à la sécurité d’un mur d’une épaisseur infinie !

5.7    Gestion des fossés ou des gouffres

Il arrive que le patient ne puisse rencontrer l’Être identifié dans la psyché car un gouffre, un fossé, une gigantesque faille s’interpose entre eux.

Il est souvent utile d’inviter le patient à mettre son attention sur ce vide, de lui demander la taille (largeur, profondeur). Puis de l’inviter à mettre de la lumière dessus ou dedans (pas un éclairage, mais une sorte de « substance » lumineuse qui en remplit l’espace). Il ne s’agit pas de combler cet espace, mais de lui accorder sa place. Le plus souvent il en résulte que sa taille diminue ou qu’il devient fréquentable, le patient peut y entrer, en toucher le fond, y faire des rencontres qui permettent à la thérapie de continuer.

Bien-sûr rien de ce que je propose n’est absolu et il convient au praticien de garder sa sensibilité, son bon sens, sa créativité. Il doit cependant toujours être bien habité par l’idée de psychologie de la pertinence (rien n’est combattu, tout est rencontré).

5.8    Quand il n’y a pas de mots

Même quand tout est ok, il arrive que la séance aboutisse à un endroit pour lequel il n’y a pas de mots. L’indicible peut être une source de blocage de la séance. Cela suppose que le praticien trouve des mots pour énoncer l’indicible.

Par exemple je me souviens d’un patient à qui je demandais la dimension de ce qu’il éprouva lors du trauma que nous venions de retrouver. Selon ses dires, ce qu’il a éprouvé est tel que « même l’infini ne pouvait le contenir ». Ainsi pour la dimension juste, il n’y avait pas de mots, mais une métaphore ou une paraphrase subtile permettait de la désigner, et d’offrir le sentiment d’avoir été compris.

5.9    Quand il n’y a pas de de pensées

Si le manque de mots est une difficulté, il y a plus délicat encore. Non seulement il n’y a pas de mots, mais il n’y a pas non plus de pensées. L’évocation mentale en est impossible car l’intellect ne sait pas du tout se le représenter.

Nous trouvons cela dans les expériences de mort imminente : « Je me déplaçais dans l’espace… non j’étais l’espace. » ; « J’étais l’autre tout en étant moi. » ; « J’étais en face de toute ma vie en même temps, sans écoulement temporel. » ; « J’étais à tous les endroits à la fois. » etc…. Ce qui se passe avec « une ou des dimensions supplémentaires », ou dans une sorte « d’ailleurs indéfinissable » ne peut s’évoquer en pensée.

Néanmoins, quand c’est le cas, cela doit pourvoir être abordé en thérapie car une douleur intense peut résulter d’un vécu indicible, non pensable et donc impartageable. Le praticien est censé pouvoir se faufiler dans ces situations particulières, sans les réduire à des lieux communs pseudo subtils du genre : « C’est une vie antérieure. », « C’est un voyage astral. », « C’est une vision symbolique. ». Si ces propositions sont des éventualités, réduire ce qui est exprimé par de tels propos « préfabriqués » est souvent douloureux pour le patient. N’oublions jamais que c’est lui qui sait, et que le praticien est censé ne l’enfermer dans aucun présupposé.    

Cela se trouve aussi dans des expériences de l’enfance où celui que nous étions n’avait pas de possibilités d’évocation mentale de ce qu’il éprouvait, surtout dans cette époque de son existence ou bien des subtilités étaient encore possibles.

Cela se trouve aussi chez des personnes qui éprouvent des choses inhabituelles, comme la « conscience non locale » où ils se trouvent déjà en un lieu vers lequel ils vont ; ou certains états « dits psychotiques » où « ils sentent être tous les Êtres humains » (voir concernant cela ma publication d’octobre 2012 « Mieux comprendre la psychose ».

Le praticien se doit d’être sensible à ces éventualités, tout en étant libre de toute adhésion à une quelconque croyance. Les « pensées toutes faites » en ce domaine représentent un risque de raccourcis très bloquants. Le praticien devra alors se familiariser avec ces possibilités et avec le langage permettant de l’exprimer sans le réduire, ou au moins de témoigner qu’on en prend la mesure.

5.10              Emergences transpersonnelles

Ces situations font souvent partie de l’indicible ou du non pensable. Il arrive en séance que le patient contacte des zones qui ne sont ni dans son biographique, ni dans son transgénérationnel.

Une autre époque, des Êtres inconnus, des Esprits, des Démons, la Nature, la Planète, l’Univers, toute une Population, la Terre (le sol) d’un Pays etc…

 Ici il y a deux écueils : l’un consiste à nier ce qui peut sembler trop irrationnel, l’autre consiste à s’engouffrer dans du fantastique à tout prix en se laissant fasciner par cette éventualité. En fait il est souhaitable que ce ne soit ni l’un ni l’autre : juste valider de ce qui émerge et l’accompagner en l’état.

Il se peut aussi que le patient accède à une circonstance qu’il attribue à une vie antérieure. Le débat n’est pas de savoir si les vies antérieures existent ou non, mais d’accueillir ce qui émerge. Celui qu’il était en cette circonstance sera accompagné de la même façon que toute autre émergence. Il y a là une posture phénoménologique, où est simplement accueilli ce qui est... mais aussi profondément existentielle où les Êtres sont pleinement considérés.

Il est accordé au patient « la réalité à ses yeux » de ce qu’il contacte… Le praticien ne le considèrera pas « gentiment » comme une sorte de mirage supposé, mais sera pleinement en présence de ce qui a émergé et le traitera comme tout autre endroit de la psyché.

Quand il s’agit d’un « esprit malfaisant » qui émerge et qui semble menaçant, le patient sera invité à s’adresser directement à lui et à lui dire « Dis donc on dirait que tu aimes bien faire peur », ou « On dirait que tu aimes bien faire souffrir »… suivi de « En quoi cela est-il juste pour toi ? ». Souvent cela suffit à « dégonfler cette émergence » qui perd aussitôt en « puissance ».

Si ça ne fonctionne pas, la question qui se pose est alors « Est-ce la source ? Ou bien la source est-elle ailleurs et ce n’est qu’un exécutant qui accomplit une demande ? ».

S’il s’avère qu’il n’est pas la source et que celle-ci est ailleurs… le patient est invité à mettre son attention vers cet « ailleurs » (précision « géographique » ou « temporelle » suffisante). Il est ensuite invité à poser à « cette source » la question « Tu aimes bien faire du mal ? », « En quoi est-ce important pour toi ? ». Les réponses peuvent varier, mais souvent il apparaît quelque chose du genre « ça m’aide à exister », « ça me donne de l’importance » etc.  La réponse que le patient est invité à adresser est alors : « Il est si difficile pour toi d’exister !? » (avec compassion). Aussitôt, cette « source » étant entendue, validée reconnue… elle perd de sa puissance et de son agressivité, se révèle dans sa fragilité et s’apaise du fait de cette reconnaissance. Donc la menace cesse aussitôt.

La question ici n’est pas de disserter sur le fait que c’est « vrai » ou « faux », mais d’accomplir l’accompagnement en l’état, le praticien y étant pleinement présent.

5.11              Quand il s’agit du futur

Il se peut également que ce soit le futur qui appelle l’attention. Soit parce qu’il s’y trouve une difficulté à accompagner (peur de ce futur), soit parce qu’il est une ressource pour le présent ou pour le passé (qu’il souhaite faire bénéficier de sa bienveillance).

Le praticien est censé savoir que le futur fait partie de la psyché. Selon Martin Heidegger, l’Être est l’entièreté de qui nous sommes (passé présent et futur). Pour Jung c’est le Soi dans son entièreté potentielle. Pour Abraham Maslow, celui que nous sommes et celui que nous avons été sont concomitants (passé, présent futur sont « là » en même temps).

5.12              Quand l’Être émergeant est déjà en paix

La psychothérapie envisage trop souvent surtout des Être meurtris dans le passé. Or il se trouve parfois que le symptôme conduise à un Être de Soi qui n’a pas souffert et se révèle pleinement ressource pour celui que l’on est aujourd’hui.

Ainsi, celui que nous sommes se retrouve soutenu par celui que nous étions, même enfant, qui est resté à l’abri des turbulences et peut enfin se manifester pour le plus grand bien du présent.

J’ai déjà vu en séance une patiente qui me dit que l’enfant qu’elle était lui donnait la main, mais que cette enfant était plus grande qu’elle, et que c’était elle (adulte) la petite.

5.13              Quand l’absence de réponse est « la réponse », et même un outil de validation

Cela revient un peu à ce que nous avons abordé en 5.1, mais avec plus de précisions. Un cas très étonnant, c’est quand ce qui a l’air d’une absence de réponse est en fait « la réponse ».

Le patient est invité à porter son attention vers celui qu’il était et répond : « Je ne vois rien ! ». La question est de savoir s’il ne voit rien, tout simplement, ou s’il « ne voit rien » spécialement pour comprendre que « celui qu’il était ne voyait rien ». La question de la part du praticien pourra être : « Est-ce que celui que vous étiez voyait quelque chose ?… Ou ne voyait-il rien ? ».

Il arrive souvent que ce qui est éprouvé par le patient soit en fait ce qui était éprouvé par celui qu’il était. Une sorte de « transfert émotionnel » qui permet la validation et la reconnaissance… le chemin qui semblait bloqué s’ouvre aussitôt que le praticien comprend cette éventualité.

Certes, ce n’est pas toujours le cas et il se peut aussi que le patient ne perçoive vraiment rien. En ce cas, au lieu de chercher à lui faire percevoir quoi que ce soit, il sera plus pertinent e lui demander « Quand je vous ai posé la question… ? » que s’est-il passé ? ». Il y aura souvent une impression à exprimer, qui constituera un nouveau guide. Dans le cas contraire, il sera utile de repenser aux situations envisagées dans les chapitres précédents.

Le praticien ne peut avoir une panoplie complète de tous les possibles. Il importe qu’il reste sensible, créatif, et dans le respect absolu de ce que son patient éprouve et lui communique. Le praticien est toujours ouvert à la nouveauté, y compris ouvert à ce qu’il n’a jamais rencontré en cas clinique.

Néanmoins, le fait que le patient réponde « je ne vois rien », « Je ne sens rien », « Je ne perçois rien », « Je n’entends rien », « J’ai une angoisse », « J’éprouve une peur très forte » etc… doit toujours laisser envisager que tel était le ressenti de celui qu’il fût lors du trauma. Il n’y a qu’à le vérifier.

De même que le praticien peut éprouver une émotion qui est celle du patient (cela lui permet d’en proposer une validation), le patient lui aussi, peut éprouver un vécu qui était celui de celui qu’il vient de rejoindre, ou qui appelle sa conscience alors qu’il ne l’a parfois même pas encore identifié.

5.14              Son assurance, sa discrétion et son humilité

Le praticien a l’assurance qu’il se joue une pertinence dans la psyché et dans la vie de son patient… mais il n’en dit rien. Tout propos d’un air entendu et du genre « Vous vivez cela, mais ce n’est pas par hasard, ce n’est pas pour rien ! » est inacceptable. Ce serait une sorte de tentative de « divination » et « d’ingérence » pour produire des « raisons artificielles »… sur lesquelles hélas notre besoin de sens peut se précipiter hâtivement.

D’une part le praticien accepte de ne pas voir où se situe ce qui appelle la conscience du patient. D’autre part, il n’affirme rien et se laisse guider par celui-ci.

Certes, le praticien est dans une certaine assurance. Mais il la doit surtout à sa confiance en la vie et en la justesse de ce qui s’accomplit. Il ne fait que l’accompagner. En même temps, il est dans l’humble acceptation de l’ignorance, prêt à se faire révéler des choses qu’il ignore, à se retrouver en face de l’improbable, à remettre en question bien des savoirs sur lesquels il s’appuyait. Ce n’est pas pour rien que Donald Wood Winnicott, écrivit en dédicace au début de son ouvrage Jeu et réalité : « merci à mes patients qui ont payé pour m’instruire ! »

5.15              Les paradoxes et les contraires

Il arrive que le patient se contredise, ou évoque des paradoxes. « Je ne savais rien faire, mais j’étais très compétent », « je connaissais tout mais je ne savais rien », « Mon père était très violent, mais ce n’était pas une mauvaise personne », « J’étais perdu, mais en fait je savais où j’allais », « La pièce était sombre, mais j’étais en plein lumière », « Tout était embrouillé, mais c’était clair » etc.

Naturellement le praticien ne dira pas « Il faudrait savoir… c’est plutôt ceci, ou plutôt son contraire ? ». Il acceptera ce paradoxe comme ayant du sens. Il se fera éclairer par le patient, qui jusque-là, n’a pas trouvé d’autres mots pour exprimer ce qu’il a à partager.

Ce partenariat tout en confiance, permet au patient d’ajuster son propos, lui donne le temps… il a droit à de multiples tentatives. Pour cela, il est aidé par le praticien qui, pleinement confiant, se gardera bien d’interpréter (au sens symbolique du terme) mais lui proposera des mots, en total partenariat avec lui, et sous son contrôle.

5.16              La clinique est source d’innovation

Une posture convenable du praticien permet au patient d’oser aborder ce qui émerge à sa conscience. Il osera suivre « le fil d’Ariane » que représentent ses manifestations et symptômes. Dans le cas contraire il sera réticent, parfois en blocage, voire en opposition. Au moins s’il est en opposition, c’est un meilleur signe d’équilibre que s’il est en soumission !

Une des clés essentielles pour le praticien est d’être ouvert à la nouveauté. Un praticien est un praticien chercheur, enseigné par ses patients et pas seulement par ses formateurs ou professeurs.

Le praticien qui croit tout savoir risque d’être un peu (ou très) dangereux. Il arrivera que son patient le conduise à découvrir des choses qu’il n’a même jamais envisagées. Une nouvelle approche peut émerger de cette expérience.

Il a à la fois l’assurance d’une justesse qui s’accomplit, et l’humilité de ne rien savoir à la place de son patient. Il est à la fois dans l’assurance et dans la candeur. Il s’émerveille à chaque pas, sans pour autant négliger quoi que ce soit des peines éprouvées, tant par le patient lui-même que par les autres Êtres concernés dans ce que celui-ci rapporte. Il est en alliance avec la Vie, tout en confiance, tout en ignorance, prêt à être enseigné. Il ne se pose surtout pas en « maître expérimenté », mais en partenaire attentionné et émerveillé par la rencontre de la Vie, ne manquant jamais de la valider là où elle a été oubliée.

Le praticien est avant tout un praticien chercheur, ouvert aux découvertes. Il n’est enfermé dans rien. Il échappe à ce que Jerome Bruner nomme « méthodolâtrie », à ce que Rollo May nomme « Protocoles qui rassurent le praticien mais l’éloigne du patient ». Il ne fait pas n’importe quoi. Il navigue en partenariat dans la psyché. Il découvre ce qu’on ne lui a pas appris. Il reste raisonnable, capable de plus grandes envolées, mais sans les rechercher. Pragmatique et sensible à la Vie. Il apprend sans cesse, toujours avec beaucoup de modestie, et sans attente préalable.  

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6    Conseils

6.1    Aux patients

En tant que patient, c’est vous qui savez ce que vous éprouvez… ne vous laissez pas dicter quoi que ce soit par un praticien. Vous sentirez parfaitement si vous êtes vraiment accompagnés, ou si l’on tente de vous faire rejoindre une théorie.

Bien évidemment il n’est pas aisé d’avoir cette confiance en soi quand on est en souffrance psychique. C’est pourquoi la responsabilité du praticien est engagée dans ce respect incontournable du vécu du patient, qui est le seul à pouvoir donner la mesure de son vécu.

Même si certaines séances peuvent se révéler un peu difficiles, car y sont abordés des vécus qui ont miné une vie, la sensation d’y être délicatement accompagné, respecté, considéré, reconnu doit toujours être présente. Si des jugements (envers qui que ce soit) , des oppositions ou des contraintes s’y manifestent, alors il se peut que ce ne soit pas le praticien qui vous corresponde.

Notons que si le praticien peut (et parfois doit) juger une situation ou des faits (estimation, valeur sociale), il ne jugera jamais des Êtres (même s’ils sont auteurs de ces faits). En revanche, le patient, lui, a le droit de porter tous les jugements qui émergent de lui, et à exprimer toute sa peine ou sa colère qui devront être entendues et validées. Cette colère ne doit être ni forcée, ni empêchée. Un patient dont on force l’acceptation dans une sorte de pardon (lire à ce sujet la publication de novembre 2018 « Sans rancune ni pardon » ne sera pas apaisé. Un patient que l’on pousse à une expression cathartique pseudo libératrice non plus. L’apaisement résulte de cette reconnaissance (de l’Être) et validation (de son ressenti)... jamais d’une tentative d’éjection ou d’effacement.

Si tel n’est pas le cas, n’hésitez pas en envisager un autre praticien. Vos recherches, avec le bouche-à-oreille, vos lectures… quelles que soient les approches ce sera surtout l’humanité que vous rencontrerez chez celui-ci qui sera source d’apaisement. Certes, il doit bénéficier de connaissances théoriques et techniques, mais son humanité est essentielle… et ça, vous ne manquerez pas de la sentir si elle est là !

6.2    Aux praticiens

Les connaissances sont utiles. Soyez toujours en recherche, aux aguets. Soyez sensibles à la nouveauté… sans pour autant vous laisser embarquer dans de belles théories, si bien ficelées soient-elles ! Mais aussi sans les rejeter (car elles contiennent toujours des zones de justesses). Garder votre bon sens, votre candeur et votre curiosité, tout en restant libres et attentionnés.

Ayez confiance en votre sensibilité, en votre humanité. Il ne s’agit pas d’émotivité ou de sensiblerie, mais d’ouverture à la Vie… de pleine sensibilité. La thérapie, c’est accompagner les Êtres dans ce qui se passe, sans jamais être à contre-courant. C’est rejoindre une finalité qui attend qu’on la rejoigne, et même qui nous appelle afin qu’on ne la manque pas. Il ne s’agit pas d’une enquête, ni d’un problème à résoudre, mais d’une vie qui s’exprime pour être accompagnée, reconnue, validée, et même être touchante pour qui sait la voir.

Quand la Vie sait rencontrer la Vie, il se passe aussitôt un apaisement. Cet apaisement ne résulte jamais de tentatives d’apaiser, mais du goût de la rencontre et de la reconnaissance, du contact avec la Vie, de la candeur, de l’émerveillement… pourvu qu’on distingue entre les faits (qui sont parfois en totale abomination) et les Êtres (qui les ont vécus tout en restant toujours inestimables). Ces derniers méritent d’être vus et de nous toucher par qui ils sont. Abraham Maslow est un des rares praticiens à avoir eu clairement cette intuition.

« Je déteste le modèle médical qu’ils impliquent parce qu’ils présupposent que la personne qui vient consulter est malade, assaillie par la maladie, en quête de guérison. Nous espérons vraiment, bien entendu, que le conseiller sera celui qui pourra favoriser l’accomplissement des individus plutôt que celui qui aidera à guérir d’une maladie » (Maslow, 2006, p.72-73).

Même si les connaissances sont également utiles, il s’agit surtout de posture, de délicatesse, de confiance, d’humanité. Un praticien en psychothérapie ne se peut être seulement un technicien, si habile soit-il. Rollo May (Approche centrée sur la personne, psychologie existentielle) dénonçait cela, ainsi que Jerome Bruner (cognitiviste). Jung (psychanalyse du Soi) et Rogers (approche centrée sur la personne, psychologie existentielle) également.

Ainsi, quand un patient ne peut faire ce qu’on lui demande, il est fondamental d’y voir une voie qui s’ouvre et non des barrières qui se présentent. Le praticien va toujours apprendre de ses patients, ainsi que nous le rappelle Winnicott, (psychanalyste). Il est ouvert aux nouveautés que ceux-ci lui proposent et toujours sensible à la justesse en train de s’accomplir. Quand il peine à la discerner, il se fait aider par son patient, qui est un membre à part entière de l’équipe thérapeutique qui prend soin de lui. Le praticien ne tente jamais de faire entrer son patient dans une théorie : bien au contraire, il s’ouvre à de nouveaux « possibles » qui enseigneront sa pratique, qui enrichiront les éléments déjà connus, qui feront de lui un praticien chercheur comblé et efficace. Son humanité est offerte à ceux qui le consultent… et en retour, ses patients lui offriront leur humanité en accomplissement.

 Thierry TOURNEBISE

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Bibliographie

Bruner, Jerome
-Car la culture donne forme à l’esprit - Georg Eshel, Genève 1997

Descartes, René
- Recherche de la vérité par la lumière naturelle,
Règles pour la direction de l’esprit 
- La Pléiade 1999

Freud, Sigmund
- Les névroses, l’homme et ses conflits – Tchou, 1979

Jung, Carl Gustav
-
Ma viesouvenirs rêves et pensées- Gallimard Folio, 1973

Maslow, Abraham
-Être humain - Eyrolles, 2006

May, Rollo (and all)
-Psychologie existentielle – Epi, 1971

Reid, Thomas
-Recherches sur l’entendement humain d’après les principes du sens commun (1746) -Editions Vrin 2012

Rogers, Carl Ransom  
- Relation d’aide et psychothérapie – ESF, Paris 1996

Spinoza, Baruch
Œuvres complètes - Bibliothèque La Pléiade Gallimard – Etampes, 1962

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Liens internes

Psychologie positive  avril 2012
Mieux comprendre la psychose d’octobre 2012
Emplacement subjectif du praticien septembre 2016
Sans rancune ni pardon  novembre 2018
La vastitude du petit  novembre 2022

Liens externes

Site de l’OMS
Constitution (who.int)
https://www.who.int/fr/about/governance/constitution

Site de l’OMS 
Santé mentale : renforcer notre action (who.int)
https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/mental-health-strengthening-our-response

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