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Vie et Énergie
l’être et le faire

Mai 2016    -    © copyright Thierry TOURNEBISE

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« Vie » et « énergie » sont des termes voisins mais aussi extrêmement différents dans ce qu’ils désignent. Ne pas les distinguer clairement est dommageable pour quiconque envisage un métier dans la communication, le soin ou la thérapie. Accéder à une acuité suffisante concernant ces termes permet aussi de mieux comprendre les enjeux de l’existence, les fluctuations de nos états d’âme.

La paix individuelle autant que la paix sociale dépendent de cette acuité dont nous pouvons hélas souvent constater l’insuffisance. Tantôt nous entendons parler de vie quand il s’agit d’énergie, tantôt nous entendons parler d’énergie quand il s’agit de vie. De cette confusion il résulte des approches maladroites tant en communication qu’en thérapie.

Une des conséquences majeures est de constater que la dépression, quoi que douloureuse, comporte des aspects adaptatifs et salutaires… mais pour qu’elle soit salutaire, encore faut-il qu’elle soit convenablement accompagnée, sans empêcher la vie d’émerger en infligeant une restauration d’énergie prématurée.

Sommaire

1 Pourquoi différencier la vie et l’énergie ?
 – Délicate intrication – La source des mots – Nécessité clinique – Les pulsions de vie et de survie

2 Des nuances éclairantes
-L’être et le faire – Des stratégies sociales – Quand le moi est à l’œuvre – Quand le Soi est à l’œuvre – La dépression, étrangement salutaire

3 La vie et le déploiement
-l’Être – Le potentiel présent – Le déploiement

4 L’énergie et le développement
-Le faire et l’avoir – Les développements -Thermodynamique : l’énergie et la vie – Résilience et concilience

5 Postures et comportements
-L’anesthésie, la douleur – Les protections passives – Les protections actives – L’intérêt croissant – La passion (sortie de l’ego) – Cas particulier de la dépression – La capacité d’attention

6 L’accompagnement thérapeutique
-L’Être en déploiement – Les clivages en cours de remédiation – L’énergie au sein du corps – L’énergie au sein de la psyché – Intrications – La dépense d’énergie du praticien – La vie, une ressource mutuelle.

Bibliographie  
Bibliographie du site

 

1   Pourquoi différencier vie et énergie ?

La distinction entre ces deux termes « vie » et « énergie » est particulièrement utile pour mieux comprendre certains phénomènes psychiques, physiques et psychosomatiques, et surtout pour ajuster l’accompagnement psychologique par rapport à ces phénomènes en œuvre dans la psyché.    

1.1 Délicate intrication

L’intrication de la vie et de l’énergie est telle qu’il est courant de confondre ces deux termes. En effet, d’une part la vie ne se peut que s’il y a de l’énergie et d’autre part l’énergie dont nous disposons physiquement dépend de la façon dont la vie s’exprime au plus profond de soi. Vous avez sans doute remarqué que, selon notre état d’être, nous ne disposons pas de la même énergie. Les sportifs le savent très bien : leur état psychique et leur mode de pensée influencent leurs performances, les kinésiologues aussi. La kinésiologie permet de repérer parfaitement les changements de tonus musculaire en fonction de l’authenticité, de l’accord ou des désaccords au sein de la psyché.

Ainsi nous pouvons pressentir que ces deux termes ne sont pas équivalents. Notre intuition nous le révèle clairement, mais ne nous donne pas l’acuité suffisante pour en appréhender tous les enjeux intervenant, tant dans la psyché que dans la psychothérapie ou même simplement dans la communication.

1.2 La source des mots

Le mot « énergie » vient du latin « energia » signifiant « action »*, venant lui-même du grec « energeia » signifiant « force en action », dérivé de « ergon » signifiant « travail », venant de la racine indoeuropéenne « °werg » signifiant « agir »**. De ce fait, il est associé au « faire ». L’énergie, c’est aussi ce qui est régi par les règles de la thermodynamique (conservation et entropie). Même si l’étude n’en est pas simple, il est relativement aisé de la cerner mécaniquement et techniquement.

* Energia=activité. G.Rodi-Lewis, 1975, p264
**Le Robert Dictionnaire historique de la langue française (Alain Rey).

Quand nous parlons de « vie », nous touchons à un domaine dont la définition est bien plus délicate. Le mot « vie » définit-il la vie biologique sans laquelle on ne peut être au monde ? ou bien évoque-t-il la vie ontique* qui est un déploiement existentiel sans lequel nous ne nous sentons pas être ? Le mot « vie » vient du latin « vivere », lui-même issu de « vita » (ensemble de ce qui remplit la durée de l’existence humaine)**.

*ontique : ce qui a trait à l’Être
**Le Robert Dictionnaire historique de la langue française (Alain Rey).

Avec un tel sens nous sommes très proches des propos de Sénèque qui nous dit que la longueur de la vie ne dépend pas tant de sa durée que du fait que l’on en n’a rien retranché (De la brièveté de la vie – Sénèque) :

« la nature nous admet dans la communauté du temps tout entier. » (XIV-2 ; ibid.,p.127). « C’est le propre d’un grand homme, crois-moi, et qui s’élève au-dessus des erreurs humaines, que de ne rien soustraire de son temps. » (VII-4, p.113)

Alors que l’énergie va avec la notion de « faire », la vie va avec la notion d’« être ». La différence entre vie et énergie se précise donc comme la différence entre être et faire.

1.3 Nécessité clinique

Dans le langage courant, dans les simples conversations, nous pouvons laisser les termes « vie » et « énergie » indifférenciés sans que cela trouble les échanges. Quand nous disons qu’« un enfant est plein de vie » parce qu’il bouge beaucoup, ce n’est pas gênant, mais en fait nous voulons dire qu’il est plein d’énergie. Si nous voulons être précis, nous devrions dire que l’enfant est plein d’énergie et qu’une personne dans le grand âge est pleine de vie (ou du moins le devrait).

Par contre, pour des professionnels du soin psychologique, dans un cadre clinique, il est essentiel de distinguer les deux termes.

Cela permet par exemple de ne pas confondre un sujet en manque de Soi par insuffisance de déploiement et un sujet en manque de Soi par clivage : le premier a juste besoin de « devenir » qui il a à être, le second a besoin de récupérer une part de Soi qu’il a dû mettre à l’écart suite à un trauma. Le premier a besoin d’être accompagné vers une expérience nouvelle qu’il osera vivre, alors que le second doit acquérir une capacité à reconnecter celui qu’il fût, qu’il a jadis éloigné par nécessité de survie.

Cela permet aussi de mieux comprendre les comportements humains selon qu’ils résultent d’un élan du Soi (être) ou du « moi » (paraître). La psychologie du Soi (Junguienne) traite de la Vie ou de l’Être, et la psychologie du moi (freudienne) traite de la libido (énergie de besoin) accompagnée des stratégies de survie (afin de gérer les problématiques de proies et de prédateurs comme le dit Freud lui-même).

Le manque de Soi (quelle qu’en soit la cause) conduit à de nécessaires compensations pour subsister en dépit de nos carences existentielles. La vie psychique est ainsi constellée de tels artifices, sources de fausses plénitudes, permettant de poursuivre notre existence en attendant, soit un supplément de déploiement, soit une remédiation intime. Nous trouvons là le rôle des addictions de diverses natures, des excès, des besoins de pouvoir (sur soi-même ou sur autrui), de performances, des diverses motivations artificielles nous aidant temporairement à surmonter l’inconfort, ou même la douleur du vide.

Si ces compensations rendent service, elles consomment néanmoins de l’énergie… qui n’est pas inépuisable… et notre capacité à la régénérer non plus. Elles peuvent parfois donner l’illusion d’un dynamisme alors qu’elles ne font que mettre la vie entre parenthèses afin d’assurer une survie. Ces « caches vide », sont des sortes d’évitements, des fuites insatiables, qui n’ont d’égale que la douloureuse expérience des Danaïdes, condamnées à remplir un tonneau qui reste désespérément vide. Pourtant, ces anesthésies ou ces compensations ne sont en aucun cas une mauvaise chose, puisque globalement elles contribuent à la préservation de notre intégrité, en attente d’accomplissement. Mais elles sont coûteuses en « carburant » en attendant de pouvoir vraiment contacter plus de vie.

Nous avons ainsi la vie et l’énergie qui se côtoient et s’étayent réciproquement dans un ballet qui est censé nous conduire vers plus d’existence.

L’être ou la vie reflètent une présence au monde, alors que le faire ou l’énergie reflètent une action dans le monde. On pourrait dire que l’énergie concerne ce qu’on appelle « géosphère » (la matière inanimée) et la « biosphère » (matière biologique animée) alors que la vie, elle, concernerait plus spécifiquement la conscience, ce que Teilhard de Chardin nommait « noosphère » (du grec « nous » esprit).

Bien loin de la noosphère, dès qu’un être est animé on le qualifie de vivant. Un animal est un être vivant. Puis parmi les animaux certains semblent plus éloignés de nous, comme les insectes ou même les bactéries. Ce sont aussi des êtres vivants. Les végétaux également. Dans l’infiniment petit, il est même parfois malaisé de différencier les animaux et les végétaux. Si dans les extrêmes nous pensons y voir clair (un humain, un cheval, un brin d’herbe, un caillou) dans les zones frontières nous sommes dans l’embarras. A partir d’où un assemblage de molécules devient biologique ? A partir d’où des molécules biologiques s’assemblent en unité de vie ? Un virus est-il autant un être vivant qu’une bactérie ? A partir de combien de cellules un être peut-il être qualifié de vivant ? …etc.

Qu’un être soit vivant est une chose, mais quand nous parlons de Vie, parlons-nous de cela ? L’énergie biologique qui anime un corps vivant ne semble pas pouvoir être assimilé à la vie psychique qui l’habite. Notre conscience distingue clairement entre un cadavre et un corps en état végétatif. Mais dans quelle mesure un corps en état végétatif reflète-t-il encore la vie si on le compare à une personne en pleine forme ? Et même chez une personne en pleine forme ? Il y a des vies de performances qui sont « existentiellement végétatives » !

En psychologie, je parlerai de vie dans la sphère de la psyché, la zone du Soi, zone existentielle par excellence, zone de la noosphère. La vie est avant tout ontique plus que biologique. Dans la biologie, il s’agit plus d’énergie que de vie (sans exclure pour autant que les animaux soient concernés par la noosphère).

1.4 Les pulsions de vie et de survie

Cette distinction entre la vie et l’énergie nous permet aussi de mieux comprendre la nature des deux pulsions qui gèrent l’équilibre de la psyché : la pulsion de vie et la pulsion de survie.

La pulsion de vie est garante de notre intégrité.

Cohésion : C’est elle qui assure la complétude au sein de la psyché. C’est elle qui fait que l’enfant ou l’adolescent que nous étions sont en harmonie avec l’adulte que nous sommes devenus. C’est elle qui fait que nos racines, ceux dont on est issu (parents, grands parents, aïeux) sont également en place comme ressource au plus profond de Soi.

Conservation : Dans les moments douloureux (parfois des traumas), des clivages se produisent au sein de la psyché. Nous devons à la pulsion de vie d’assurer une zone inconsciente où celui que nous étions à ce moment-là est précieusement gardé en vue d’une restauration ultérieure, lorsque notre maturité nous le permettra.

Restauration : Quand il y a eu clivage, bien plus que de simplement assurer cette garderie bienveillante de ce que nous avons séparé de Soi, la pulsion de vie produit également en nous des symptômes qui, comme des signes ou des balises, permettent de retrouver le chemin jusqu’à ces « parts de Soi » oubliées. Comme pour des naufragés qu’il convient de retrouver, ces balises sont de précieux indices.

Par cette cohésion immédiate, par cette sauvegarde de ce qui a été clivé, et par ces symptômes permettant de retrouver ce qui a été clivé, la pulsion de vie est garante de notre intégrité.

La pulsion de survie est garante de notre protection

Clivages : Lors d’une douleur, d’un choc ou d’un trauma, ce qui souffre en nous risque d’envahir notre psyché et de provoquer son déséquilibre, sa saturation. Afin de remédier à ce risque, la pulsion de survie opère au creux de soi un clivage, assurant que celui qu’on a été, et qui a vécu le trauma, n’envahisse pas le reste.

Ainsi amputé d’une part de soi, l’individu peut néanmoins poursuivre son existence plus ou moins libre de cette charge émotionnelle. Il en résulte cependant un un déséquilibre… alors la pulsion de survie, poussant un peu plus loin sa « mission », assure également la compensation de ce vide.

Compensations : Ce manque de Soi par clivage représente cependant un vide, et ce vide peut aussi produire un déséquilibre. Alors la pulsion de survie, poussant un peu plus loin sa « mission », assure également la compensation de ce vide. Une jambe cassée qu’il ne faut pas appuyer sur le sol tant que les os ne sont pas « reconnectés » sera compensée par une béquille… de même une part de la psyché clivée et manquante, en attente d’une réhabilitation et d’une remédiation interne, sera compensée par un plus d’activité, par de multiples buts motivants, ou aussi parfois par des TOCs (troubles obsessionnels compulsifs) ou des addictions.

Que ce soit le clivage (maintien à distance, ou plutôt maintien du contact fermé) ou la compensation, tout cela est consommateur d’énergie.

Les lois de la gravitation nous montrent qu’il n’est pas utile d’engager de l’énergie pour qu’un objet rejoigne le sol, alors qu’il en faut pour l’éloigner du sol. Il en va de même pour qu’une part de Soi rejoigne le Soi (pulsion de vie), ou bien pour l’éloigner du Soi (pulsion de survie).

Par ce clivage, et par ces compensations, la pulsion de survie est garante de notre protection.

Distinguer entre la vie et l’énergie permet de mieux cerner ces processus.

Les pulsions évoquées par Freud

Une pulsion est un élan qui échappe à notre volonté, quelque chose qui se produit sans intervention de nos choix conscients. Freud parle de pulsion de vie, à laquelle il adjoint la pulsion de mort.

Or la pulsion de vie évoquée par Freud n’est pas celle mentionnée ci-dessus. Freud y considère la quête de plaisir qui s’accomplit grâce à l’énergie libidinale (énergie de besoin). Cette quête se met en œuvre à notre insu, de façon naturelle et pulsionnelle. Freud associe ainsi implicitement sa pulsion de vie à l’énergie. Il explique bien que la libido est une énergie permettant d’assurer l’existence de notre « moi ». Il évoque même ce « moi » comme un instrument de stratégie sociale permettant d’assurer sa survie. Il va jusqu’à le comparer à l’hydre utilisant se pseudopodes urticants pour chasser les prédateurs ou pour attraper des proies (Freud, 1985, p.55-56). Le principe de plaisir doit cependant faire face au principe de réalité, car l’environnement ne se laisse pas faire !

Quant à la pulsion de mort, c’est celle qui veut supprimer, faire disparaître, anéantir ce qui contrarie ce principe de plaisir. Elle fonctionne alors bien sûr aussi avec l’énergie.

Nous remarquerons que les pulsions de vie et de mort chez Freud concernent toutes deux l’énergie. Que sa pulsion de vie est en fait une pulsion de survie (source de plaisirs compensateurs) et que sa pulsion de mort l’est aussi (source de clivages protecteurs). L’une est tournée vers un profit, l’autre vers un évitement. L’une compense, l’autre supprime. Freud a bien étudié le fonctionnement du moi et nous lui devons un regard subtil à ce sujet, mais il n’a pas envisagé le fonctionnement du Soi. En fait ses deux pulsions œuvrent pour la survie (clivages et compensations) mais il n’évoque pas cet élan d’accomplissement, cet élan d’individuation dont parlera son confrère Jung avec le Soi.

Dans l’approche évoquée dans cet article, la pulsion de vie concerne le Soi alors que la pulsion de survie concerne le moi.

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2   Des nuances éclairantes

2.1 Le « être » et le « faire »

Le fait d’engager de l’énergie n’est pas forcément un signe de vie. L’agitation, la procrastination, les troubles obsessionnels, en sont des exemples. Il est courant de distinguer entre « être », « faire » et « avoir ». Il semble que la vie concerne « être » alors que l’énergie concerne « faire » et « avoir ». « Être » se situe dans la noosphère alors que « faire » et « avoir » se situent dans la biosphère et la géosphère.

Dans la biosphère, tout ce qui est animé agit pour sa survie. La survie est une lutte d’énergie pour maintenir au monde une existence précaire (« la survie du mieux adapté » comme le disait Charles Darwin). La Vie, elle, est un temps de saveurs que peut s’offrir un individu non menacé. Les philosophes hédonistes (Démocrite et Epicure) prônaient ce monde de saveurs où il s’agit de trouver du plaisir dans ce qui s’offre à nous, et non de rechercher les choses qui nous font plaisir. Un art de « goûter le monde sans rien y prendre », sans rien en dérober. Nous avons là le plaisir sans ego d’un Être ouvert au monde qui sait se réjouir de ce qu’il rencontre, dans une attitude respectueuse… pour ne pas dire contemplative. Il ne s’agit donc pas du moi freudien qui, lui, recherche ce qui fait plaisir en vue de profit, mais sans ouverture au monde.

Intéressé : Quand la recherche de ce qui a une saveur satisfaisante conduit les actions, il ne s’agit que de « faire » en vue d’avoir, en « prenant » avec une astucieuse stratégie psychosociale. Il s’agit d’une posture intéressée.

Attentionné : Quand la recherche des saveurs est une ouverture prête à se réjouir de ce qui se présente, avec confiance, il s’agit d’une capacité à recevoir, à rencontrer, à découvrir, à contacter grâce à une sensibilité ontique… il s’agit d’une posture attentionnée où l’on sait se sentir comblé, sans avoir à prendre.

Dans la deuxième posture nous nous rapprochons de l’Être. C’est à ce niveau que se passe la communication avec autrui autant que la conscience de Soi. Sinon il n’y a que brassage d’informations.

L’intellect est l’outil du faire, de l’intérêt et de la performance, la conscience est celui du « être », de l’attention et de la présence. Intéressé ou attentionné…. Là est la subtilité ! L’intellect manipule les données. La conscience peut s’ouvrir pour augmenter le champ de perception (intérieur autant qu’extérieur). L’intellect est au service du moi, la conscience au service du Soi.

Mais le classement n’est pas si tranché, car l’intellect peut aussi être au service du Soi en ce sens qu’il permet la verbalisation, l’échange, le partage, la création, la coopération. L’intellect peut aussi être au service de la sensibilité ontique, au service de l’Être. Mais même à ce niveau il peut parfois se laisser rattraper par son paramétrage de la performance en prenant pour quête, par exemple, la meilleure œuvre, la meilleure méditation, les meilleures idées, la plus grande pureté… etc. Il retrouve alors sa posture d’intérêt en visant la perfection (retour à l’ego) au lieu de simplement être au service du déploiement et de la rencontre. Au lieu de contribuer à être simplement « lumineux » (délicate présence réconfortante) il pousse à être « brillant » (outrageuse performance faisant de l’ombre à autrui).

2.2 Des stratégies sociales

Il découle de ces postures différentes stratégies sociales.

Abraham Maslow, docteur en psychologie, a bien pointé qu’il existait les besoins physiologiques, les besoins psychosociaux et les besoins ontiques. Je ne reviendrai pas en détail sur ce point que j’ai déjà traité dans ma publication d’octobre 2008 « Abraham Maslow ». Je vous propose juste de resituer ces éléments par rapport au propos de cet article.

Les besoins physiologiques concernent la biosphère, avec une gestion de l’énergie purement matérielle afin d’assurer la survie corporelle.

Les besoins psychosociaux ne concernent pas vraiment la noosphère, mais une version évoluée de la biosphère : l’ensemble des besoins psychosociaux (sécurité, appartenance, estime* [c’est à dire « valeur »]). Ils s’appuient sur la gestion de l’énergie psychique, essentiellement la libido (énergie de besoin) ainsi que l’efficacité de l’égo. Les besoins psychosociaux conduisent au développement du moi.

*Voir publication d’avril 2014 « L’estime de soi, ou l’inestimable de Soi ».

Les besoins ontiques eux sont dans la zone de la noosphère (besoin d’amour, de considération, de reconnaissance, d’harmonie, de justice, de justesse, d’esthétique…). Ils ne s’appuient pas sur la gestion de l’énergie, mais sur la libre circulation de la vie au sein de la psyché, sur la gestion des justes connexions entre les diverses « parties de Soi » et aussi de « Soi avec le monde », « Soi avec les autres Êtres ». Ils tendent à permettre notre individuation, notre complétude, notre intégrité, ainsi que notre place au monde (mais hors de toute stratégie de pouvoir). Ils conduisent au déploiement* du Soi.

*Il importe de ne pas confondre le développement qui produit une croissance, puis une décroissance suivit d’une disparition, avec le déploiement qui suit une courbe sans cesse ascendante. Dans le déploiement tout existe déjà mais se « déplie », alors que dans le développement tout est à construire, et un jour se déconstruit.

Maslow est hélas mal connu pour la subtilité de son approche de la psyché et n’est souvent abordé qu’à travers une pyramide… qui n’est qu’une version déformée et erronée de son propos. Maslow n’a jamais parlé de pyramide mais seulement de hiérarchie des besoins, et a même spécifié qu’une frustration ontique laisse insatiable quelle que soit la satisfaction des besoins psychosociaux ou physiologiques.

2.3 Quand le moi est à l’œuvre

Le moi gère la survie et l’individualisme. Il se développe au fur et à mesure des expériences, gagne en astuces et en capacités stratégiques.

Par des stratégies inconscientes ou conscientes, le moi permet d’assurer les besoins psychosociaux du point de vue de l’individu pour lui-même.

Le moi gère les échanges de façon relationnelle, (reliés en attachements positifs ou négatifs) c’est-à-dire en priorisant l’information par rapport à l’individu (l’information étant le lien par lequel on s’attache de façon positive ou négative). Son projet est un projet d’intérêt, c’est-à-dire de profit, soit pour un bénéfice (discret ou évident), soit pour sa protection, sa sécurité. Il en résulte de l’affect et une grande dépense d’énergie.

Comme son postulat est avant tout son profit personnel, il pose socialement quelques difficultés. Alors le surmoi (reçu de l’éducation familiale et de la société) vient en tempérer ses excès, tel une prothèse de conscience. Ce surmoi permet à la société de fonctionner, aux Êtres de se côtoyer, en dépit du fait que leur moi tient beaucoup de place. Le moi tient d’autant plus de place que le Soi n’a pas encore pu se déployer suffisamment.

A la dépense d’énergie engagée pour le profit (le moi), s’ajoute alors une dépense d’énergie pour en endiguer les excès (le surmoi)… produisant alors une sorte de conflit interne… et de coûteux refoulements. Sur le plan de l’énergie nous avons alors une double dépense !... plus éventuellement une troisième pour tenter de contourner le surmoi, afin de faire tout de même ce que veut le moi, mais avec culpabilité.

Quand le moi est à l’œuvre, c’est le narcissisme (être brillant), c’est la concurrence, la compétition, beaucoup d’énergie engagée, l’individualisme, les clivages (personnels ou sociaux), le relationnel, les émotions, la sensiblerie ou la dureté. Il se dépense beaucoup d’énergie. Le moi permet d’être opérationnel en matière de survie, mais il met la dimension existentielle (la vie) au ralenti et notre essence se trouve reléguée entre parenthèses.

2.4 Quand le Soi est à l’œuvre

Le Soi gère la vie et l’individuation. Il ne se développe pas, il se déploie.

Le Soi n’œuvre pas en stratégie, mais en sensibilité. Il n’est pas intéressé, mais attentionné. Il permet, de façon naturelle, autant un équilibre de la vie personnelle que de la vie sociale. Il nous permet d’être communicant, c’est-à-dire d’adopter une posture où les Êtres comptent plus que l’information (donc où l’information circule mieux avec plus de clarté).

Carl Gustav Jung disait du Soi qu’il est le centre d’une totalité, et qu’en même temps il en est la circonférence. Le Soi inclut le monde.

Glossaire dans « Ma vie » (Jung, 1973)

Individuation : Or le Soi comprend infiniment plus qu’un simple moi… L’individuation n’exclut pas l’univers, elle l’inclut.

Soi : Le Soi est une entité sur-ordonnée au moi, l’archétype de l’ordre, la totalité de l’homme et constitue de ce fait pour ainsi dire une personnalité plus ample, que nous sommes aussi […] Le Soi est non seulement le centre, mais aussi la circonférence complète qui embrasse à la fois le conscient et l’inconscient ; il est le centre de cette totalité comme le moi est le centre de la conscience.

Névrose : état de désunion avec soi-même

Ombre : […] l’ombre procède du moi.

La notion du Soi est souvent mal comprise en psychologie où il ne représente trop souvent qu’une variante du moi. D’ailleurs le mot anglais « Self » qui signifie « Soi » est souvent improprement traduit par « moi ». J’ai longuement traité de ce sujet dans ma publication de novembre 2005 « Le ça, le moi, le surmoi et le Soi ».

Quand le Soi est à l’œuvre c’est la pulsion de vie qui officie de façon prédominante, c’est l’ouverture, la rencontre, la compréhension, la coopération, l’individuation, la sensibilité, le tact, l’humanisme.

2.5 La dépression, étrangement salutaire

La dépression est un trouble particulièrement présent à notre époque. Sur le plan épidémiologique, elle est si répendue que les psychiatres Paul W Andrew  (chercheur à l'université du Commenwealth en Virginie aux Etats Unis) et
J.Anderson Thomson (Psychiatre à Charlottesville, à l'Université de Virginie) soupçonnent qu’il ne s’agisse pas de psychopathologie mais d’un mécanisme d’adaptation*. Aucune psychopathologie n’atteint ce nombre record de personnes atteintes.

*Depression's Evolutionary Roots : "Perhaps depression is not a malfunction but a mental adaptation that focuses the mind to better solve complex problems" (Les racines évolutives de la dépression : "Il se peut que la dépression ne soit pas une maladie mentale, mais un moyen d'adaptation pour centrer son attention afin de mieux résoudre un problème complexe")

Scientific American Mind (Janvier février 2010)

Il semble que tout se passe comme si la dépression était un passage du moi vers le Soi. Il s’agit alors de passer d’un fonctionnement fondé sur l’énergie à un fonctionnement fondé sur la vie, de passer de « faire/avoir » à « être ».

La dépression est ce moment particulier où l’énergie n’est plus opérationnelle, où plus rien n’a d’intérêt, où les motivations se sont éteintes, où les compensations s’effondrent.  Un pas hors de la zone d’énergie, un pas vers la zone de vie… mais entre les deux il n’y a ni l’un ni l’autre. Il en résulte une insoutenable sensation de vide. Il n’y a plus ni énergie ni motivations, mais il n’y a pas encore cette dimension existentielle, ontique ; tout au plus, il y en a l’intuition… d’où une intense frustration. Même si ce moment de mutation est salutaire, l’inconfort qui y est éprouvé peut s’avérer insoutenable. Insoutenable tant il n’y a pas de repères en cet endroit, insoutenable tant les modèles sociaux ne pointent pas par là. La mode est à l’énergie, aux projets multiples, à l’activité, à l’efficacité. Elle ne propose ni la sensibilité, ni l’introspection, ni le tact subtil, ni le déploiement, ni la réjouissance avec ce qui est. Elle invite seulement à l’activité et au développement, à la performance… une sorte de croissance infinie portant vers un « toujours plus » éternellement insatiable, vers une sorte de procrastination retardant sans cesse l’avancée existentielle à accomplir.

Nous devons cependant distinguer deux types d’états dépressifs : celui qui concerne un tel chemin vers le déploiement et celui qui suit un moment traumatique.

Le moment traumatique induit un vide intérieur, par réaction de survie, par coupure d’avec soi-même, afin de ne pas être envahi par une charge émotionnelle ingérable. L’anesthésie qui en résulte est d’ordre post traumatique. Elle sécurise l’individu et le met au ralenti en état de protection. Elle le coupe de l’extérieur afin qu’il puisse prendre soin de lui, elle le coupe surtout d’une part de Soi qu’il récupérera ultérieurement.

Dans le cas d’un chemin vers le déploiement, la dépression est juste un passage vers plus de vie. Cependant elle est aussi extrêmement perturbante car tous les repères y basculent, s’effondrent. Une sorte de « à quoi bon » désabuse la personne (elle cesse d’être abusée par les illusoires agitations). Tout semble vain, inutile, superficiel, sans intérêt. Plus rien n’assure de motivation, plus rien n’est moteur. Il s’y trouve l’intuition que la vie n’est pas cette course effrénée, apparaissant soudain comme terriblement superficielle et inutile.

Même si ces deux sources de dépression sont différentes, le vide qui y est éprouvé est si douloureux que nous trouvons là une des sources de l’état suicidaire. L’accompagnement ne peut consister en des tentatives de remotivations, mais plutôt en une reconnaissance du vide éprouvé, puis en une attention portée vers ce qu’il y a à rejoindre en Soi : soit une « part de Soi » dans un antérieur clivé, soit une part de Soi à oser être dans un ultérieur en attente de déploiement. Dans le cas d’un trauma, rejoindre celui qu’on était lors du choc en le distinguant clairement de la circonstance traumatique, dans le cas de déploiement rejoindre celui que l’on a à être, qui d’une certaine façon « nous attend » pour que nous soyons pleinement qui nous avons à être. Dans ce deuxième cas il y aura une sorte d’apprentissage de la sensibilité (et non de l’émotivité), apprentissage d’une façon « d’oser la vie » dans ce qu’elle a de plus subtil et de plus profond.

Vous pouvez lire sur ce site la publication de juin 2001 « Dépression et suicide »

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3   La Vie et le déploiement

3.1 L’Être

Alors que la personnalité ou le moi se développent, le Soi se déploie. La personnalité ou le moi sont fondés sur l’énergie, alors que le Soi est fondé sur la vie. La personnalité ou le moi sont des stratégies sociales, alors que le Soi est une présence au monde.

Ce qui est fondé sur l’énergie suit une courbe de développement, c’est-à-dire « apparition, croissance, maximum, décroissance, extinction ».

Ce qui est fondé sur la vie suit une courbe de déploiement qui est « sans décroissance ».

Notre personnalité ou notre moi se développe au cours de la vie afin de rendre nos stratégies les plus efficientes possible. Mais lorsque nous avançons en âge, que notre énergie diminue, ces stratégies perdent progressivement en performances… jusqu’à s’éteindre.

Le Soi que nous sommes, lui se déploie, notre présence au monde, notre conscience s’ouvre et ne diminue jamais.

Le sujet âgé est ainsi avec moins d’énergie (biologique), mais plus de vie (ontique). Cela donne une noble étape de l’existence nommée « sénescence ».

La vie et l’énergie se côtoient et s’étayent mutuellement tout au long de l’existence, mais un sujet qui sans cesse privilégie la performance du faire et de l’avoir, en négligeant l’Être et son déploiement ou sa sensibilité, se retrouve au bout de son parcours avec un moi diminué et un Soi non déployé.  Cela donne un état inconfortable nommé « sénilité ».

Cette notion de courbe sans décroissance fait rêver les économistes qui confondent sans doute une intuition du Soi (ontique) avec la réalité du moi (psychosociale, matérielle). Quand la réalité matérielle est en croissance constante, sur le plan biologique cela donne une monstruosité : le cancer en est un exemple !

Ce qui est objectal (les objets) est sujet à la « courbe apparition, croissance, maximum, décroissance, disparition ». Seul ce qui est subjectal (les sujets) peut suivre une courbe sans décroissance.

3.2 Le potentiel présent

Martin Eidegger, dans « Être et Temps » distingue le « Dasein », l’« étant » et l’« Être ». Le Dasein c’est « l’être au monde », l’étant c’est la manière d’être au monde, l’Être c’est l’entièreté du début à la fin de l’existence représentée par le passé, le présent et le futur. L’étant est ainsi un peu comme le moi ou la personnalité, l’Être est un peu comme le Soi. Le Dasein c’est le sujet présent au milieu de tout ça, vivant la contingence du monde, mais en quête d’individuation.

Gottfried Wilhem Leibnitz, lui, évoque la notion de « monade » pour parler d’une sorte d’unité de conscience, d’unité existentielle. Selon lui elle ne se développe pas, mais se déploie. La confrontation au monde ne provoque pas en elle une acquisition de quelque chose venant du dehors vers l’intérieur d’elle, mais suscite un déploiement de ce qui est déjà en elle et trouve ainsi une possibilité de manifestation. Selon Leibnitz, la monade contient déjà l’entièreté de tout, c’est simplement qu’au gré des expériences elle se déploie différemment. Selon lui, toutes les monades contiennent « tout », mais « replié ».

Plotin, lui considère qu’initialement il y a « l’Un » qui est source de tout, principe de toutes choses. Des éléments s’en détachent. De ces éléments détachés, il s’en détache d’autres. L’Un se retrouve ainsi apparemment partitionné en éléments et en sous-éléments. Chaque élément se retrouve ainsi éprouver un manque du Tout, cependant que l’Un ne manque de rien. Pourtant chaque élément dispose d’une conscience de Soi et Plotin pose la problématique « comment Soi peut-il avoir conscience de Soi », « quelle part de Soi regarde les autres parts en Soi ? », « d’où vient la conscience de la totalité ? » (traité 49) (Plotin a écrit 57 traités, classés par son disciple Porphyre en neuf ennéades).

Des prédécesseurs de Plotin ont inscrit sur le fronton du temple de Delphes « connais-toi toi-même, et tu connaîtras l’univers et les Dieux ». Une forme de pensée holographique où la totalité serait présente en chaque élément, où ce qui est au-dedans serait à l’image de ce qui est au dehors, où le tout est en chaque élément et même en chaque sous-élément (si l’on sépare un bout d’un cliché holographique, ce bout continue de contenir l’entièreté de l’image, même si la définition en est moindre). Est-ce à l’image du corps dont chaque cellule contient l’entièreté du génome, que chaque Être contiendrait « l’entièreté de l’univers » ? La difficulté est que tous les mots que nous mettons sur de tels concepts sont trop dérisoires ou trop vastes, non appréhendables intellectuellement, ne reflètent pas vraiment la réalité dont l’on tente de rendre compte. Nous ne faisons là que modestement toucher des intuitions et ne pouvons prétendre faire la moindre démonstration.

Heidegger, Plotin ou Leibnitz tentent de rendre compte de la potentialité se trouvant en chacun. Pensées complexes, mais dans lesquelles l’idée de déploiement est implicite et reflète bien la notion du Soi, de l’Être ou de la Vie.

3.3 Le déploiement

Dans la suite des travaux de Leibnitz, la notion de déploiement a été reprise par Gilles Deleuze dans son ouvrage « Le pli » (1988). Cette notion confirme qu’il ne s’agit pas tant d’acquisition au gré des circonstances de la vie, mais d’une présence au monde qui se déploie, où ce qui était déjà en Soi apparaît, sans que rien ne soit ajouté en Soi. Concept délicat d’une complétude qui se révèle plus qu’elle ne se construit : révélation partielle du « tout » qui se trouve en chacun.

Si toutefois il peut y avoir des « dépliements » plus harmonieux que d’autres, cette notion stipule que tout est en chacun et qu’il s’agit plus de le susciter que de l’apporter.

Cela conduit à une posture de confiance, à une nouvelle qualité d’attention. Si tout est en chacun, selon notre façon de regarder autrui nous ne suscitons pas en lui le même type de déploiement. Est-ce une des raisons qui produisent ce que les psychosociologues nomment « l’effet pygmalion » (phénomène observé expérimentalement où l’autre se comporte selon ce que l’on pense de lui). Est-ce une des raisons faisant que les cerveaux se retrouvent en résonnance émotionnelle :  en même temps que les neurones miroirs suscitent les mêmes gestes, en 1/20.000e de seconde les neurones fuseaux d’un cerveau s’activant selon une émotion discrètement manifestée, provoquent la même activation dans un cerveau voisin. (Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner – Boris Cyrulnik, Pierre Bustany, Jean-Michel Oughourlian, Christophe André, Thierry Janssen, Patrice Van Eersel – Albin Michel Poche, 2012 p.67 à p.78).

Frans Veldman, avec l’approche qu’il a développée (l’haptonomie), est au cœur de cette résonnance quand il propose de voir en l’autre le « bon présent et en devenir » (Veldman, 1989, p.45).

Le déploiement, c’est rejoindre une forme qui attend qu’on la remplisse, mais une forme en expansion (infinie, non clôturée). Si tout se trouve en chacun, selon ce sur quoi se porte notre attention chez l’autre, nous modifions le déploiement qui se met en œuvre chez lui.

John Stuart Mill (philosophe anglais, 1806-1873), n’ignore pas l’énergie investie par chacun, mais au-delà de son pragmatisme, perçoit avec sensibilité et humanisme qu’il s’agit aussi de déploiement :

« La nature humaine n’est pas une machine qui se construit d’après un modèle et qui se programme pour faire exactement le travail qu’on lui prescrit, c’est un arbre qui doit croître et se développer de tous côtés, selon la tendance des forces intérieures qui en font un être vivant » (Stuart Mill, 1990, p.151).

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4   L’énergie et le développement

4.1 Le faire et l’avoir

L’énergie engendre le faire permettant l’avoir. Cet aspect est fondamental mais doit être clairement distingué de la vie. L’énergie au service de la vie est un outil précieux. Mais l’énergie utilisée pour éviter la vie est dommageable. Pourquoi donc éviter la vie ? Simplement dans un projet de survie ! La survie est comme une parenthèse existentielle durant laquelle l’Être est en « apnée ontique », se protégeant de quelques indésirables émanations. Il peut se passer un temps de nourritures « spirituelles », de considération, d’amour, d’harmonie, de justice ou de justesse, mais si cela dure trop longtemps, l’absence de déploiement qui en résulte peut être source de sensation de vide, de perte de sens et, en retour, altérer la quantité d’énergie disponible. Abraham Maslow dénonce même cela comme pouvant être source de psychopathologies.

Il est habituel de distinguer l’être le faire et l’avoir, nous devrions tout autant distinguer la vie et l’énergie.

L’énergie permet de réaliser des choses concrètes, permet de satisfaire le biologique (nourriture, santé, sécurité…) et le psychosocial (image, ego, profit, réussite…) mais aussi l’ontique (harmonie, arts, créations, générosité…). L’énergie est partout et ce n’est en aucun cas sa nature qui peut poser problème mais son usage.

Le fait de prioriser l’énergie par rapport à la vie peut rapidement devenir très coûteux, frustrer les besoins existentiels, effondrer le sens, la motivation, la sensation d’être. Le vide qui en résulte donne le goût de mettre en œuvre des compensations pour le rendre moins inquiétant, moins douloureux… d’où une dépense encore plus grande d’énergie ! Il peut en résulter un cercle vicieux dans lequel l’énergie prend toute la place et s’épuise, car sans la vie elle se régénère moins bien, est de moins en moins disponible. Rappelons-nous que la vie et l’énergie, quoique distinctes s’étayent l’une l’autre. L’énergie n’est pas ennemie, elle est nécessaire, mais doit être à sa place, juste en second plan.

4.2 Les développements

La vie psychosociale implique le développement d’un ego, d’un moi, d’une force stratégique, afin de gérer au mieux sa place au sein d’un environnement plus ou moins délicat, parfois même plus ou moins dangereux.

Cet outil qu’est le moi ne se déploie pas, il se développe. Il capte des modèles, il se nourrit de ce qu’il rencontre, il recherche « son plaisir » sans se soucier d’autrui. Cependant, selon Adam Smith (philosophe et économiste anglais, 1723-1790), l’ego de chacun participe à la cohérence du tout à l’insu de chacun, en ce sens où :

« Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société, que s’il avait réellement pour but d’y travailler. » (Smith, 1976, p255-256). Adam Smith explique par exemple que le boucher, le marchand de bière ou le boulanger sont plus satisfaisants par le soin qu’ils apportent à leurs propres intérêts que par leur bienveillance… mais que les clients trouvent alors leur besoin satisfait en dépit des motivations égoïstes du commerçant. » Smith évoque même l’idée d’une « main invisible » qui régule cet ensemble en dépit des fluctuations de chacun.

La vie sociale est dans ce paradoxe où elle ne se peut qu’avec les autres, dans un curieux mélange de concurrence et de coopération.

4.3 Thermodynamique : l’énergie et la vie

L’énergie psychique suit-elle la trajectoire de l’énergie physique ? François Rodier, astrophysicien né en 1936, nous propose qu’il s’agit de la continuité d’une même chose. Il développe une théorie à ce sujet dans son ouvrage « Thermodynamique de l’évolution » parcourant le trajet de l’énergie depuis les particules initiales, jusqu’à l’apparition des étoiles et planètes, en y ajoutant celle de la biologie, puis du fonctionnement de l’humain et même des sociétés.

La thermodynamique n’est pas un sujet aisé. La notion d’entropie qui y est associée a laissé dans l’esprit de bon nombre d’étudiants quelques zones obscures. Ceux qui ne souhaitent pas visiter ce thème peuvent en lire juste le dernier paragraphe de ce chapitre et passer directement à la suite. Pour les autres, il y a quelques curiosités à découvrir. Deux principes clés de la thermodynamique sont la conservation et la dissipation de l’énergie.

Conservation :

Les principes de la thermodynamique nous disent que l’énergie ne disparaît jamais, mais change simplement de nature, pour finir en chaleur.  

Dissipation :

Les différentes formes d’énergie (chimique, électrique…), dites « énergies libres », sont convertibles directement en d’autres types d’énergie, en chaleur ou en travail mécanique. Elles peuvent ainsi se dissiper. Mais ensuite, on ne peut plus convertir l’énergie de la chaleur en énergie mécanique (sauf si l’on a à sa disposition une différence de température entre un élément chaud et un élément froid vers lequel peut migrer cette chaleur).

« L’énergie libre » aura ainsi tendance à se dissiper au cours de son usage, jusqu’à l’équilibrage des températures, rendant au final impossible toute conversion mécanique (elle perd sa liberté !). Ce qu’on appelle « entropie » est ce parcours de l’énergie vers cet équilibre, qui devient aussi une immobilité. L’entropie ne peut que rester identique ou croître, jusqu’à cette uniformité thermique, qui supprime alors toute possibilité de mouvements dans un système clos.*

*il en va différemment quand le système au lieu d’être clos est ouvert, et bénéficie d’un apport d’énergie extérieure.

Dégradation :

L’énergie se conserve mais se dégrade au fur et à mesure de la dissipation de l’énergie libre. Il semble que les systèmes constituant la géosphère et la biosphère tendent à s’ajuster pour optimiser cette dissipation d’énergie :

« Dans un système ouvert, traversé par l’énergie, c’est à dire hors équilibre, des structures en mouvement apparaissent. Elles s’auto organisent de façon à maximiser le flux d’énergie qui les traverse. Cela a pour but de maximiser la vitesse à laquelle l’énergie se dissipe. » (Thermodynamique de l’évolution – François Rodier – Editions Paroles – 2015)

Ces structures dissipatives produisent ainsi de l’énergie libre (convertible), mais qui au cours des diverses transformations va se dégrader en chaleur. Cette notion de thermodynamique s’applique alors autant à la matière (atomes ou galaxies), qu’à la biologie, à l’évolution, à l’humanité, et aux sociétés (ibid. p.32,33).

« La dissipation d’énergie est directement liée à la diminution d’entropie du système, c’est-à-dire à l’information mémorisée » (ibid., p.64). Un système biologique qui acquiert de l’information (qui ainsi diminue sa propre entropie) semble plus performant pour augmenter l’entropie de son environnement que n’importe quel phénomène purement physique.  « Il est impressionnant de constater qu’un être humain dissipe par unité de masse dix mille fois plus d’énergie que le soleil. » (ibid., p.51).

Information :

L’information permet à une structure de s’organiser et ainsi de diminuer son entropie (la quantité d’entropie est associée à une non organisation, à une forme de désordre). Mais cette diminution de sa propre entropie (ordre croissant) s’accomplit en augmentant l’entropie de son environnement (désordre croissant), car l’entropie d’un système global ne peut diminuer (ibid, p.35). Ainsi l’accumulation de connaissances (d’informations) diminue l’entropie d’un individu (pareillement pour une société), mais accroît l’entropie de ce qui l’entoure. Conservation, dissipation, dégradation, information sont quatre clés de la thermodynamique. L’entropie croissante conduit à un état d’équilibre qui ne produit plus de mouvement. Dans un système, pour retarder cet équilibre létal, et toujours permettre du mouvement, il faut sans cesse une nouvelle énergie venant de l’extérieur. Mais quel extérieur ?

L’apport extérieur

Concernant notre planète, le système n’est pas clos puisque nous recevons au moins l’énergie du soleil. Mais concernant l’univers, il semble en être de même, sauf qu’il est alors plus difficile d’identifier la source extérieure :

« L’univers dans son ensemble devrait tendre vers l’équilibre thermodynamique. Or c’est tout le contraire de ce qu’on observe. […] l’univers serait-il ouvert ? […] l’expansion de l’univers s’accélère. » (Thermodynamique de l’évolution – François Rodier – Editions Paroles – 2015)

L’énergie fonctionne selon les règles de la thermodynamique : elle se conserve, mais progressivement se dégrade dans un système clos. Si la géosphère et la biosphère reçoivent de l’énergie extérieure (au moins du soleil), il semble que la vie, avec sa conscience (noosphère), étant distincte de l’énergie, vient, elle aussi, la ressourcer comme étant une source extérieure. Naturellement nous touchons là la difficulté de concevoir la vie comme « un extérieur » par rapport à l’énergie.

Outre le fait que le mot « exister » signifie « se tenir à l’extérieur » de par son étymologie (« ex » extérieur, et de « sistere » se tenir), Jean Charon (1920-1998), qui était physicien spécialiste de la recherche nucléaire (commissariat de l’énergie atomique de Saclay) écrivit un essai où il tenta de développer une sorte de « psychophysique ». Il y parle de « néguentropie » (entropie négative) postulant un horizon existentiel derrière chaque particule (qu’il nomme « éon ») qui ouvre sur un lieu où l’information s’organise (Je vis depuis quinze milliards d’années - 1983).

L’idée de deux zones distinctes interpelle donc même les scientifiques.

Ce qui peut aussi nous interpeller, c’est que « donner une information à une autre personne ne nous en dépossède pas », alors que « donner de l’énergie nous en fait irrémédiablement dépenser ». En se transférant de A en B l’énergie se déplace et emplit B en vidant A. L’information, elle, emplit B sans vider A. Il semble aussi que, concernant la vie, celle-ci puisse se partager sans déposséder personne : dans la cadre de l’énergie la source est dépossédée, dans le cadre de la vie, la source ne se défait de rien, les deux pôles se trouvent remplis… et même le fait qu’elle soit partagée tend à en accroître l’amplitude.

4.4 Résilience et concilience

La résilience consiste à retrouver son état initial après une déformation. C’est du moins la définition industrielle du terme applicable aussi bien aux métaux de la métallurgie, qu’aux sièges ou matelas de l’ameublement. Mais en psychologie, ce terme que Boris Cyrulnik a mis à l’honneur, définit au contraire un état augmenté où un Être, après un traumatisme et après intégration, est devenu « plus qu’avant ».

Pour désigner cet état si bien décrit par Cyrulik, le terme « concilience » serait plus heureux. Cela permettrait de mieux le distinguer de ces « faux apaisements » où l’énergie permet de garder la face, de donner le change, de faire « comme si » tout allait bien comme avant (même pas mal !), au point d’y croire soi-même… jusqu’à ce qu’un effondrement de l’énergie invite à une authentique restauration, mais une restauration d’un type particulier, dans laquelle on devrait ressortir grandi, plus riche qu’avant, plus « déployé ».

Dans ce cas le mot « résilience » pourrait désigner un état où suite à un clivage on opère une compensation (consommatrice d’énergie), alors que la « concilience » pourrait désigner un état d’authenticité où la vie retrouve sa juste expression et son déploiement (hors du champ de l’énergie).

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5   Postures et comportements

Si Elisabeth Kübler Ross nous a proposé les étapes de fin de vie « dénégation, révolte, marchandage, dépression, acceptation », elle nous a bien précisé qu’il ne s’agit pas seulement « d’étapes de fin de vie », mais « d’étapes de vie ». La fin de vie est une zone de l’existence où sont exacerbées des attitudes que l’on rencontre en situations bien plus ordinaires. Si l’on vient de casser un objet auquel on tenait, on s’écrira « c’est pas vrai ! » (déni), suivi de « justement celui auquel je tenais le plus ! » pour signifier le sentiment d’injustice (révolte), et enfin un « y a-t-il un moyen de le réparer ? » en ultime espoir (marchandage). Voyant que de tels moyens ne sont pas disponibles, surgit un effondrement (dépression), pour enfin être dans l’acceptation de ne plus avoir cet objet. Mais à ce stade il convient de différencier l’acceptation et la résignation.

Un tel cheminement ne concerne donc pas que la fin de vie, mais se produit à chaque fois qu’une situation n’est pas spontanément intégrable. Le premier réflexe se porte alors vers une anesthésie apaisante, niant la réalité.

Ce qui va nous intéresser ici c’est le passage des modes « énergie » (faire) vers les modes « vie » (être). Nous verrons défiler :

Les postures d’énergie croissante
« Caché inerte », « caché pleurnichard », « caché St Bernard », « destructeur sympa », «  destructeur explosif », « destructeur bazooka », « sans intérêt », « intérêt pour l’inertie », « intérêt à condition », « passion ».

La transition
« Désillusion », « dépression »

Les postures de vie
« Se voir », « s’accepter », « voir l’autre », «  accepter l’autre », puis enfin « attention avec moins de conditions ».

Vous trouverez beaucoup de précisions sur ces « états » dans mon ouvrage « L’art d’être communicant » Dangles – 2008 – p.159 à 230.

5.1 L’anesthésie, échapper à la douleur

Ce premier réflexe de déni est une anesthésie consistant à se préserver de la réalité. Il en résulte un effondrement sensoriel et émotionnel, une attitude automatique, socialement correcte, mais inadaptée à la réalité de la situation. De plus ce qui a été anesthésié en Soi n’est plus disponible à la conscience. Je nomme cette phase « caché inerte ».

C’est le cas par exemple d’une personne qui vient de perdre un Être cher, qui est capable « de paraître bien surmonter » la situation le jour des obsèques, laissant croire à son entourage que « ça va à peu près ». Il peut même rester ainsi plusieurs jours, plusieurs semaines ou même plusieurs années… jusqu’au moment où il prend conscience de la réalité. De ce fait, à ce moment-là il commence son deuil (c’est-à-dire sa douleur) en différé.

L’anesthésie permet de ne pas percevoir un monde qui semble trop dangereux pour y vivre les « yeux ouverts ».

5.2 Les protections passives

Afin de revenir vers le monde, de réinvestir un peu d’énergie, le sujet qui s’est auto-anesthésié met en place de multiples protections. Il commence par se protéger en se montrant « malheureux » afin de ne pas attirer de malveillance. Cette étape que je nomme « caché pleurnichard », permet d’utiliser la plainte comme camouflage protecteur… gare à ceux qui vont s’évertuer à lui enlever ses problèmes… alors que ceux-ci lui servent de camouflages !

Puis, progressant, il en vient à plutôt se protéger avec un costume de gentillesse. Il ne perçoit toujours pas le monde, mais lui donne à voir une gentillesse qui le met à l’abri des indélicatesses d’autrui. L’ennui est que sa « gentillesse » s’exerce selon son imaginaire et non selon les besoins réels de ses interlocuteurs (puisqu’il ne perçoit pas leur réalité). Je l’appelle « caché St Bernard » (du nom de ce chien qui amène un petit tonneau de rhum à une personne perdue dans la neige, tombée en hypothermie… que malencontreusement l’absorption d’alcool fait mourir !). Sa volonté est la délicatesse, mais son anesthésie résiduelle le place à côté de la réalité, le conduit à des aides inadaptées, au mieux inefficaces, au pire encombrantes ou même néfastes (par exemple étouffantes).

5.3 Les protections actives

Puis le sujet sort de cette protection passive (en camouflage) pour adopter une protection active (en attaque). Il commence par tenter d’éliminer activement les sources dangereuses tout en ayant l’air « de n’y être pour rien », ou même d’être « gentil ». Je le nomme « destructeur sympa ». A ce stade il peut même utiliser l’humour. Il laisse un poison qui fera effet plus tard afin de ne pas être identifié comme source destructrice. Cela lui permet d’éliminer le danger, mais sans risques. 

Puis dans un développement d’énergie supplémentaire, il passe dans la colère, manifeste ouvertement sa destructivité, mais sans l’orienter vers personne en particulier. Je le nomme « destructeur explosif ». Ses déflagrations émotionnelles arrosent tous ceux qui l’entourent… il peut toujours dire « ce n’est pas après toi que j’en ai ! » afin de se préserver de fâcheux retours.

Puis gagnant en assurance dans un ego qui commence à se placer, il va viser directement et officiellement ses cibles tout en revendiquant son action. « Heureusement qu’il y a des personnes comme moi pour dire ces choses ! » peut-il même s’exclamer avec fierté. Je le nomme « destructeur bazooka ». Remarques dévastatrices, phrases assassines, contradictions systématique, ne sachant comment se grandir, il tente de rapetisser les autres.

5.4 L’intérêt croissant

Etant devenu capable d’abattre les nuisances, le sujet gagne en assurance et en sécurité. Finalement il n’éprouve plus le besoin ni de se protéger ni d’attaquer. Mais comme cela avait occupé l’essentiel de son existence il s’ennuie. Il reconnecte sa capacité à percevoir le monde, mais ne sait pas l’apprécier. Il est dans une certaine indifférence, une absence de motivation. Je le nomme « sans intérêt ». Alors que le « caché inerte » n’était pas motivé car il ne percevait rien, « sans intérêt » perçoit… mais rien ne le motive. Il n’a pas éduqué sa capacité à apprécier. II convient cependant de le distinguer de « dépression » car il n’éprouve pas de « vide »... seulement de l’ennui.

Puis éduquant sa capacité à apprécier il découvre des choses plus agréables que d’autres et va tenter de les préserver en l’état pour en profiter plus longtemps. Une forme d’apparition de l’intérêt dans un premier état que je nomme « intérêt pour l’inertie ». Il investit son énergie pour que rien ne change.

Puis finalement un goût du changement se développe afin de rendre sa satisfaction plus performante. Afin d’accroître son profit, son ego se développe en stratégies où les gentillesses ne sont que manipulation, où l’indifférence existentielle le conduit à faire passer son profit avant celui des autres, où les indélicatesses ne servent pas à nuire mais seulement à augmenter son profit. Cela le différencie des destructeurs. S’il détruit, ce n’est pour lui qu’un dommage collatéral et en aucun cas son projet. Je nomme cet état « intérêt à condition ». Il est « intéressé » (et non pas « attentionné »), à condition que cela satisfasse son plaisir personnel.

5.5 La passion (sortie de l’ego)

Après une grande dépense d’énergie pour son propre plaisir personnel, l’étape suivante est d’investir cette énergie pour satisfaire sa passion, ou plutôt « pour satisfaire l’objet de sa passion ». L’objet de la passion peut être quelque chose (performances sportives, collections de timbre, tunning, sa maison, son travail…) ou quelqu’un (son amoureux ou amoureuse, son enfant, son ami). Quand il s’agit de quelqu’un, il convient de préciser que celui-ci est idéalisé, qu’il n’est pas vraiment rencontré, et que tout ce qui est fait pour lui dans ce cadre est surtout imposé plus que simplement donné ou offert. Ce quelqu’un, en tant qu’objet de la passion, est « chosifié ».

Ce qui est nouveau pour le sujet à cette étape, c’est que c’est un lâcher prise d’avec son ego. Comme dans « intérêt à condition », il y a peu de considération pour l’entourage, qui se retrouve toujours instrumentalisé, mais ici ce profit est exclusivement tourné vers l’objet de sa passion, même au prix de ne rien avoir pour soi. C’est une révolution comportementale majeure pour le sujet.

Le mot « passion » définit dans l’esprit populaire quelque chose de grand, de beau, de moteur. C’est vrai que l’énergie qui y est engagée est très forte. Mais ce mot évoque pourtant étymologiquement toute autre chose :  venant du latin « passio » (action de supporter une souffrance) et de « patior » signifiant clairement « souffrir ».

Dans la passion, le sujet ne pense plus à lui, mais à l’objet de sa passion. Le sujet passionné y consacre tout, y met toute son énergie, sans rien n’attendre pour lui-même. Cette posture est quasi obsessionnelle. Il s’y trouve effectivement de la douleur, de la fébrilité. Cependant, le miracle qui s’accomplit ici est le détachement de l’ego.

Si l’ego permettait de satisfaire un besoin de plaisir, la passion ici permet de satisfaire un besoin de sens (que la vie ait un sens)… ou du moins en donne l’impression !

Une fois que « tout » a été consacré à l’objet de sa passion, le sujet espère satisfaire sa quête de sens… Mais il s’agit d’un leurre, car ici le sens se trouve dans un objet (l’objet de la passion) et cet objet en tant qu’objet n’a que le rôle moteur (motivant) de faire sortir de l’ego, sans pour autant pouvoir apporter de plénitude (individuation). La vie n’y est pas rencontrée pour elle-même, l’autre, objet de sa passion, n’y est pas contacté… il s’en suit un effondrement en « désillusion » (perte de sens, ou révélation de l’artifice)… aussitôt suivi par la « dépression ». Un désœuvrement, un effondrement de la quête, un voyage au bord du vide qui peut donner le vertige… parfois jusqu’à ne plus vouloir vivre.

5.6 Cas particulier de la dépression

La dépression est généralement considérée comme un mal néfaste. Il est vrai que la douleur peut y être si grande, et hélas parfois si durable, que la personne qui l’éprouve peut s’en retrouver en danger.

Cependant, sans ne rien nier de la douleur qui l’accompagne, il importe de ne pas manquer le fait qu’il s’agit d’un moment de « crise existentielle », dans laquelle l’ego s’est effondré (le moi) afin que l’Être (le Soi) trouve une opportunité d’émergence authentique, loin des apparences. Une sorte de venue au monde du Soi, d’individuation qui s’accomplit.

Nous prendrons soin de distinguer une dépression de ce type (déploiement) d’avec celle qui suit un moment traumatique. Suite à un trauma d’ailleurs nous verrons plus un effondrement en anesthésie, suivi d’une remontée conduisant à la dépression (après quelques périodes de leurres rendant « l’impossible » supportable). Dans ce cas, le moment de dépression, d’effondrement de l’énergie, n’est pas un déploiement du Soi rejoignant qui il a à être, mais plutôt une invitation intime à une remédiation de Soi avec une part de Soi qui a été clivée suite au choc pour raison de survie.

Cependant, dans les deux cas, la dépression est un passage salutaire s’il est convenablement accompagné et non abusivement anesthésié par un antidépresseur. La pharmacopée disponible est cependant utile pour rendre ce moment de douleur supportable (comme la péridurale dans l’accouchement) mais ne doit pas faire oublier la venue au monde du sujet (de même que la péridurale ne doit pas faire oublier l’’accouchement).

5.7 La capacité d’attention

La dépression a donc libéré le sujet de ce qui pourrait le distraire de sa quête : sa quête d’attention. Il s’agit de sa quête de déploiement (devenir qui il a à être), ou de sa quête de remédiation (récupération de ce qui en lui a été clivé).

Il est invité grâce à ce vide à accomplir ces pas vers lui-même (afin ensuite de s’ouvrir au monde). Mais quand il se voit enfin en toute conscience, il découvre des états en lui tels qu’on vient de les décrire précédemment… alors il peut s’effondrer en déception :

Il découvre que, au lieu de parler vraiment de ses problèmes il ne faisait que se cacher, qu’au lieu d’aider en réalité il était St Bernard, déguisé en gentil, qu’au lieu de s’affirmer en fait il était destructeur, qu’au lieu d’être créatif concrètement il était juste « bassement » intéressé. La difficulté est alors de ne pas céder à l’imprégnation culturelle qui le pousse à ne pas aimer celui qu’il fut, et à vouloir le changer, le rejeter ou l’ignorer, à s’en culpabiliser, c’est-à-dire s’en couper. Pour que l’individuation, la remédiation ou le déploiement s’accomplissent, il doit encore se libérer de ce « vouloir changer » pour accéder à un « je veux bien m’accepter ». De cette délicatesse envers lui-même émerge une paix qui produit le vrai changement, alors que la volonté de changer ne fait qu’ajouter de nouveaux clivages et plonge le sujet dans des boucles sans fin.

Or, face à un sujet dépressif la tentation est grande de vouloir le distraire, le remotiver, l’éloigner de ce vide qu’il éprouve… voire l’anesthésier chimiquement pour qu’il ne ressente plus rien… finalement à l’éloigner de lui-même ! La tentation est grande aussi, quand il prend conscience, de vouloir le rassurer : « mais non tu n’étais pas comme ça », « ce n’est pas si grave », « n’y pense plus, passe à autre chose » ! Invité ainsi à nier ce qu’il ressent, le sujet replonge dans l’anesthésie en boucles sans fin.

Sortant de la zone d’énergie, ayant traversé le vide, il arrive dans la zone de vie pour s’y déployer et rencontrer le monde. Quand il s’accepte lui-même, il devient ensuite mieux à même de rencontrer autrui, car s’étant accueilli, il devient aussi capable de ne pas juger ceux qui font comme il faisait. D’autre part, les attitudes des autres ne réactivent plus certains aspects que jadis il n’avait pas encore accueillis en lui. De ce fait il devient capable de « voir l’autre », mais aussi « d’accueillir l’autre » pour accéder à une nouvelle qualité d’attention, une nouvelle qualité de présence au monde. Je nomme ce stade « attention avec moins de conditions »

Certes cette qualité d’attention ne s’accomplit qu’avec quelques conditions, car son champ de conscience reste entre des limites qu’il ne faut pas dépasser. Si l’autre « dépasse les bornes », il peut redescendre dans des états destructeurs, intéressés ou même anesthésiés. L’ouverture du champ de conscience ne semble jamais absolue, mais simplement « croissante ». Comme l’entropie elle ne peut que rester identique ou croître, mais quand ce qui se présente est hors de ses limites, le sujet reprend des personnalités (des personnages – un ego, un moi) pour faire face à ce qu’il n’a pas encore intégré.

Par de multiples « allers et retours » entre l’anesthésie et cette capacité d’attention avec moins de conditions, il ouvre progressivement son champ de conscience jusqu’à être de plus en plus lui-même et de plus en plus au monde, en capacité de rencontrer autrui, en capacité de goûter la vie, de l’apprécier avec une sensation de plénitude, libéré des besoins de compensation... Il y a de moins en moins de vide. De ce fait il gaspille de moins en moins d’énergie à compenser. Il en a donc de plus en plus à sa disposition.

Bien que l’énergie et la vie soient distinctes, les deux sont intriquées et plus de vie permet de disposer de plus d’énergie (comme nous l’avons déjà évoqué au début de cet article). L’inverse, plus couramment évoqué (plus d’énergie permet plus de vie), est vrai aussi mais ne doit pas masquer que la vie est une source principale.

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6   L’accompagnement thérapeutique

Les notions de vie et d’énergie, parfaitement distinguées, sont donc au cœur des accompagnements psychothérapeutiques. Si le praticien remet des clivages là où le sujet tentait d’y remédier, s’il anesthésie là où son patient tentait de mettre de la conscience, ce n’est pas seulement improductif, cela peut être dangereux pour l’intégrité de son patient et altérer sa santé psychique.

6.1 L’Être en déploiement

C’est le processus d’individuation décrit par Carl Gustav Jung, c’est le fait de « devenir de plus en plus qui l’on a à être » d’Abraham Malsow*, ce sont certaines techniques de la psychologie positive où le sujet est conduit à « oser être », depuis des approches comportementales, jusqu’au mindfulness (de la psychologie positive**). C’est la psychologie existentielle et humaniste où le sujet est considéré dans son entièreté.

*Abraham Maslow : publication d’octobre 2008 « Abraham Maslow »
** Psychologie positive : voir publication d’avril 2012 « 
Psychologie positive »

6.2 Les clivages en cours de rémédiation

Le fait de recontacter qui l’on était et de lui donner sa place, de l’intégrer, d’accomplir une remédiation d’avec soi-même est réalisé ou approché dans différentes techniques.  Par exemple en brainspotting de David Grant* (autre version de l’EMDR où l’on marque une pause là où le regard donne un indice, une infime réaction, en parcourant le champ visuel dans les trois dimensions), c’est le focusing de Eugene Gendlin** (où le « felt sens », sens corporel, donne un ressenti guidant vers la part clivé), c’est la Gestalt thérapie*** de Friedrich Perls (offrant une opportunité de « conversation » avec ce qui a été clivée). C’est ce qu’on accomplit habituellement en maïeusthésie, que le clivage concerne la biographie du sujet, son inter ou transgénérationnel, ou même le transpersonnel, que le clivage concerne un de ceux qu’on a été, blessé par un trauma, ou l’un de ceux qu’on a été pleinement ressource mais « mis à l’abri d’une tempête émotionnelle », que le clivage concerne aussi possiblement celui qu’on a à être ultérieurement, par peur de le rejoindre. Dans toutes ces situations la maïeusthésie peut intervenir.

*Brainspotting : https://brainspotting.pro/trainer/trainer-david-grand 
** Focusing : publication de juillet 2007 « 
Focusing »
***Gestalt thérapie : publication de mai 2009 « 
Gestalt thérapie »

6.3 L’énergie au sein du corps

La médecine va œuvrer pour restaurer le fonctionnement de l’énergie biologique. Elle proposera (entre autres) des rééquilibrages hormonaux, des nutriments adaptés, une nourriture équilibrée, du repos ou de la convalescence, du sport, parfois de la chirurgie, un combat contre les agents pathogènes.

L’acupuncture ou la médecine chinoise, outre une hygiène de vie appuyée sur les notions de Ying et de Yang, proposera une vision plus globale de l’organisme, s’occupant de la circulation d’énergie dans les méridiens, veillant à un équilibre holistique du corps dans son environnement, plus qu’à une correction locale.

L’ostéopathie veillera à une liberté optimum des différentes parties corporelles, plutôt de façon holistique (osseuse autant que tissulaire), considérant que tous les éléments corporels sont en interrelation. Ainsi par exemple un blocage du bassin et sacrum effondre l’énergie générale, mais lui-même peut être la conséquence d’un problème de cheville ou, à l’autre bout du corps, d’engrenage dentaire ou de blocages au niveau des os du crâne.

6.4 L’énergie au sein de la psyché

L’énergie psychique sera abordée par exemple en sophrologie avec la conscientisation du corps et de l’environnement, la relaxation, la respiration, de respirer avec l’espace, avec la nature.

Quand nous arrivons à la notion d’énergie psychique, savons-nous encore faire la différence entre la vie et l’énergie ?

Quand Sigmund Freud parle de pulsion de vie, nous l’avons vu, il parle de la recherche de plaisir grâce à la libido gérée par le moi. Il parle donc d’énergie (énergie libidinale) et non de vie. La libido (énergie de besoin), est une énergie psychique qu’il a investie dans ses recherches, alors que son confrère Carl Gustav Jung a investi la vie avec l’individuation du Soi.

Il y a l’énergie au sein du corps (mesurable), il y a l’énergie au niveau de la psyché qui influence l’énergie du corps (nous avons vu que la kinésiologie révèle clairement cet aspect). Mais il y a aussi à considérer que la vie influence aussi bien l’énergie psychique que l’énergie physique.

La vie, c’est plutôt « un espace qu’on occupe » (aussi bien corporel que temporel, qu’environnemental, qu’humain). Mais c’est un espace qui n’est pas concerné par l’espace, un temps qui n’est pas concerné par le temps. C’est ce qui est présent sans être localisable, ce qui est ressenti sans être définissable. Comme le dit Denis Noble, chercheur en génétique systémique à propos du « Soi » :

« Le ”soi“ n’est pas un objet neuronal » (2007, p.209). Puis il développe aussitôt « Il est aussi que ”je“ ou ”moi“ ou ”vous“ ne sont pas des entités de même niveau que le cerveau. Ce ne sont pas des objets au sens où le cerveau est un objet. Mes neurones sont des objets, mon cerveau est un objet, mais ”je“ ne se trouve nulle part. Cela ne signifie pas qu’il n’est pas quelque part ».

D’où la confusion entre l’énergie corporelle, l’énergie psychique et la vie. Les deux premières concernent la géosphère et la biosphère, la vie concerne la noosphère.

6.5 La vie au sein de la psyché

Curieusement, là où la vie semble le mieux contactée, c’est dans les expériences de mort imminente (EMI). Comme si un dénuement absolu d’énergie permettait à la conscience de contacter la vie à l’état pur. Que les causes en soient neurologiques ou spirituelles, ce qui est « expériencé » (c’est le mot utilisé pour désigner cette expérience) y est vécu comme une réalité aussi vraie qu’indicible, comme par exemple là où le sujet a le sentiment de la présence simultanée de tous ceux qu’il a été et de tous ceux qu’il a rencontrés. Nous trouvons ce témoignage chez la neuroanatomiste Jill Bolt Taylor :

« Les instants ne se succédaient plus les uns aux autres mais demeuraient éternellement en suspend […] J’ai renoncé à l’action au profit de l’être […] Je ne me sentais plus isolée ni seule au monde […] Je ne voyais plus en trois dimensions. Rien ne me semblait plus ni proche ni lointain. » (2008, p.86-87).

Et aussi dans ceux rapportés par le docteur Jean-Pierre Jourdan :

« Les tranches de mon existence étaient perçues instantanément, hors de toute impression de durée […] J’avais l’impression que mon existence entière était étalée sous mes yeux, indifférenciée dans ses étapes et toujours sans que l’enchaînement des événements paraisse se nourrir de temps » (Jourdan, 2006, p.565 et 574).

 « Mon "moi" n’était pas là en tant qu’individu rendant des comptes de SA vie, mais mon "je" était la vie de tous les humains ; en d’autres termes c’était un bilan à l’échelle globale de l’espèce. » (Ibid, p.589)

« J’ai revu l’intégralité de ma vie, en relief, avec tous ses détails, les gens, les situations. Mais dans un temps qui ne s’écoule pas, la vie étant une globalité que l’on observe avec cette intelligence (universelle ou globale). Ma vie était une forme, sous mes yeux, qui contenait TOUT, et que je consultais » (ibid., p.573).

« …lorsque j’avais fait du bien, j’étais contente. Je le savais en moi-même et j’étais dans le cœur des gens à qui j’avais fait quelque chose de bien, et je le vivais parce que j’étais la personne à qui je l’avais fait et quand j’étais désagréable, c’était pareil, j’étais dans le cœur de cette personne et je vivais cela » (ibid., p.584).

« Je ressentais tour à tour les sentiments d’autrui que mes comportements avaient suscités » (ibid., p.586).

« Vous êtes le lieu, l’acteur, le moyen, la cause, l’effet, le ressentant, et le faisant ressentir, le contenu et le contenant » (ibid., p.597).

Ces notions d’entièreté et d’indicibles présences ont par le passé été évoquées par divers penseurs dont Sénèque cité précédemment avec « l’entièreté de la vie », ou par Plotin avec l’expérience de l’Un. Nous avons aussi Marc-Aurèle,  au IIe siècle :

« …qui a vu ce qui est dans le présent a tout vu, et tout ce qui a été de toute éternité et tout ce qui sera dans l’infini du temps » (1964, Livre IV - XXXVII).

Lao Tseu , cinq siècles avant JC, décrivant ce qui selon lui fonde le monde :

« Grand carré sans angles, grand vase inachevé, grande mélodie silencieuse, grande image sans contours : le TAO est caché et n’a pas de nom, cependant sa vertu soutient et accomplit tout » (2000, 41)

Tous expriment une expérience qui déborde l’intellect, qui contacte une totalité dans laquelle se retrouve en contemporanéité l’entièreté du temps. Tous semblent évoquer la vie, comme une source indicible, comme une expérience d’un « ensemble des ″Sois″ et du monde » témoignant de ce que Teilhard de Chardin nommait noosphère.

Cependant, après toutes ces pages nous découvrons que cette intuition de différence entre la vie et l’énergie est bien délicate à objectiver. La vie biologique est surtout de l’énergie et de l’information (le corps), la vie psychique est surtout de l’énergie libidinale et de l’information (l’intellect et le moi), la Vie ontique (ni biologique ni psychique) est surtout présence, contact, reconnaissance (le Soi). Alors que le biologique, le moi et l’intellect se développent, le Soi se déploie. Nous sommes sur des registres différents, dont l’un n’est pas meilleur que l’autre, (ils s’étayent mutuellement entre eux), mais il convient de les distinguer, pour mieux comprendre phénoménologiquement ce qui se produit dans la vie de chacun en rapport avec tous et avec le monde.

6.6 Intrications

Dans son projet, le yoga s’occupe du corps physique et de la vie spirituelle. Le mot « yoga » vient étymologiquement de « joug » qui signifie que l’être et son corps sont en attelage pour créer des sillons fertiles sur le sol de la terre.

Le tantra a le même projet, s’appuyant sur la sensorialité (et non spécifiquement la sexualité), sur la perception du monde et des Êtres. Le mot « tantra » signifie « métier à tisser », indiquant que le fil de chaîne est celui de l’Etre et le fil de navette celui du corps… que de l’intrication des deux résulte le déploiement d’une étoffe existentielle.

Bien évidemment vie et énergie sont intriquées quoique distinctes. En médecine, la notion de psychosomatique est bien connue, que ce soit dans le cadre de la maladie ou dans celui de la guérison. Selon l’état de la psyché, le même traitement corporel fera plus ou moins d’effet, voire pas du tout. La raison pour laquelle la HAS (haute autorité de santé) tente de promouvoir la bientraitance dans les soins est en partie liée à une quête d’humanité et de dignité à accorder aux patients, mais aussi liée au fait que les soins physiques ont plus de résultats plus vite quand les conditions psychologiques sont meilleures.

Il se trouve même des hôpitaux en quête d’approches différentes permettant de mettre en œuvre ces subtilités non objectivables, s’appuyant cependant sur des statistiques de résultats soigneusement relevés. Par exemple les médecins de la clinique de traumatologie de Berlin*, constatant la difficulté à calmer certaines douleurs avec la pharmacopée disponible, font appel à des praticiens en Reiki**, dont ils constatent que parmi plusieurs approches disponibles c’est là que les résultats sont les plus efficients. Sans pouvoir expliquer le phénomène, ils en constatent méticuleusement le résultat.

* Emission Xenus – Arte juillet 2015 « énergie universelle de vie »
https://www.youtube.com/watch?v=XyUy0DEBSqs&sns=em

**Reiki : ce mot japonais est écrit en deux kanji, l’un signifie « esprit, âme ou fantôme », l’autre « énergie, atmosphère, esprit, cœur, âme, sentiment ou humeur ». « Rei », évoque la nature illimitée et universelle de l’énergie de la vie. « Ki » nomme la part de cette énergie présente dans tout ce qui habite notre univers, c’est le Chi des chinois. (Ronald Mary, 2005 - p.22-26). Le Reiki soigne mais ne guérit pas. Le flux de vie, l’énergie du Reiki, ne s’adresse pas aux symptômes physiques mais libère les causes originelles des blocages (p.23) C’est ce que nous propose Ronald Mary, ancien journaliste, actuellement maître Reiki, auteur de l’ouvrage « Le Reiki aujourd’hui ». Nous remarquons que l’auteur parle de « flux de vie », alors qu’aussitôt il l’identifie à « énergie du Reiki », confirmant par-là la difficulté à distinguer entre deux éléments qui pourtant ne sont pas de même nature.

6.7 La dépense d’énergie du praticien

Nous avons beaucoup parlé de l’énergie et de la vie concernant le patient. Qu’en est-il pour le praticien ?

Un praticien qui ne considère que l’énergie de son patient dans une généreuse dynamique de lutte contre les dysfonctionnements (biologiques ou psychiques), risque de se retrouver lui-même avec un affaiblissement de sa propre énergie, une vulnérabilité. C’est une des raisons pour lesquelles les praticiens de diverses approches ont des supervisions afin de ne pas garder en eux ces impacts reçus au fil des écoutes et des accompagnements. La supervision est à la fois une telle écoute de ces impacts, afin d’en atténuer la marque, et aussi une aide à l’ajustement de la pratique. Mais ce deuxième aspect est plus une analyse de la pratique qu’une supervision. De ce fait la supervision se rapproche d’une thérapie… alors que ces deux aspects sont sensés rester distincts. La thérapie s’occupe de la vie du patient alors que la supervision s’occupe plus des impacts éprouvés par un praticien avec ses patients. Mais comme il se trouve que la nature de ces impacts est en rapport avec la vie du praticien… la différence n’est pas si claire, sauf à considérer abusivement que la vie du praticien n’influence pas la façon dont il reçoit ce que lui dit son patient.

Pour s’épargner cette vulnérabilité, ou du moins la réduire au minimum, le praticien aura avantage à orienter son attention vers la vie plus que vers l’énergie, plus vers l’Être qu’est son patient, que vers les troubles dont il souffre. L’énergie sera considérée pour ce qu’elle est. Qu’elle soit chimique, biologique, psychique, elle sera régulée avec les outils adaptés (pharmacopée, psychothérapies….etc.), mais le sujet, l’individu, la vie, sera toujours priorisée par rapport au dysfonctionnement. Cela a même été pensé par les auteurs du DSM* IV TR [2003- p.XXXVI] « Une erreur courante est de croire qu’une classification de troubles mentaux classifie des personnes, alors que ce qui est classifié, ce sont les troubles que présentent ces personnes ». Si les troubles nécessitent d’être pris en compte, celui qui les éprouve doit être au cœur de notre attention.

*DSM manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux

Nous avons là un des éléments essentiels pour le confort et la non vulnérabilité du praticien. Il ne s’agit pas pour lui de « mieux se protéger » comme hélas on l’entend souvent dire, mais de « mieux orienter son attention » : en priorisant l’Être (Vie) par rapport au problème (généralement dysfonctionnement de l’énergie). De plus, grâce à cela il ne manquera pas de remarquer que quelquefois cet effondrement de l’énergie du patient, n’est pas un problème, mais un moyen par lequel celui-ci tente (inconsciemment) de solliciter sa propre attention vers lui-même, en vue d’intégration, d’individuation, d’accomplissement. Il tente simplement d’échapper à une distraction qui pourrait faire qu’il se manque à ses propres yeux, qu’il s’oublie, qu’il néglige sa propre intégrité. Le symptôme* tente de produire un focus vers ce qui, en soi, attend de l’attention.

*Vous pouvez lire sur ce site la publication de juin 2011 « Symptômes - des alliés méconnus de la santé »

6.8 La vie, une ressource mutuelle

Une attention résolument tournée vers la vie, vers le sujet qu’est le patient, produit quelque chose d’extrêmement précieux : cela ressource le patient de recevoir cette attention, en même temps que cela ressource le praticien de la donner.

Le processus est inhabituel : donner tout en recevant, recevoir sans rien prendre, partager un mieux-être réciproque. Les deux pôles (patient et praticien) sont ressourcés en même temps.

Ce qui fait qu’à la fin de sa journée de travail, si le praticien est naturellement fatigué par l’énergie physique ou mentale investie dans son travail (ce qui se gère simplement par le repos), il n’est pas épuisé au niveau de son énergie psychique et encore moins au niveau de la vie qui l’habite.

L’énergie peut être physique (mouvement, chimie), mentale (processus cognitifs), psychique (subtils états de protection). La vie, elle, est ontique (entièreté d’une vie à l’œuvre, présence d’un sujet en individuation, connexion et ouverture de celui-ci au monde, en état attentionné).

Le positionnement du praticien qui consiste à avoir son attention vers l’Être qu’est son patient plus que vers son histoire ou vers ses personnages ou personnalités, le conduit à se sentir « touché », à éprouver de la réjouissance face à l’Être qu’est son patient en train de se révéler, de se déployer. Cette réjouissance qu’il éprouve est une ressource majeure pour le patient qui peut alors bien plus aisément mettre en œuvre des remédiations au sein de sa psyché ou des déploiements nouveaux au cœur de la vie. Le praticien touche naturellement cela quand il a clairement différencié « vie » » et « énergie »*.

*Voir aussi sur ce site :
Positionnement du praticien (décembre 2007)
Validation existentielle (septembre 2008)

Thierry TOURNEBISE

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Bibliographie

Bolte Taylor, Jill
-Voyage au-delà de mon cerveau, (JC Lattès, J’ai lu, 2008)

Charon, Jean
-J’ai vécu quinze milliards d’années – Albain Michel 1983

Deleuze, Gilles
-Le pli – Les Éditions de Minuit, 1988

Freud, Sigmund
- Le narcissisme – Tchou Sand 1985

Jourdan, Jean-Pierre
-Deadline,  dernière limite – Pocket Les 3 Orangers 2006

Jung, Carl Gustav
-Ma vie -Folio Gallimard, 1973

Lao Tseu
-Tao Te King -Editions Dervy, Paris 2000

Mary Ronald
-Le Reiki aujourd’hui -Editions Souffle d’Or 2005

Marc-Aurèle
-Pensées pour moi-même – GF Flammarion 1964

Noble, Denis
-La musique de la vie. La biologie au-delà du génome –Seuil, 2007

Rodis-Lewis Geneviève
-Epicure et son école –Gallimard, 1975

Sénèque
-La brièveté de la vie – GF Flammarion 2005

Smith, Adam,
-Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations - Collection « Idées », Gallimard, 1976

Veldman, Frans
-L’haptonomie, science de l’affectivité – PUF, 2001

Manuels, dictionnaires

DSM IV TR - Masson, 2003
Dictionnaire historique de la langue française -Robert (Alain Rey)

Liens

Liens internes au site

Dépression et suicide » juin 2001
Focusing » juillet 2007
Positionnement du praticien décembre 2007
Validation existentielle septembre 2008
Abraham Maslow » octobre 2008
Gestalt thérapie » mai 2009
Psychologie positive avril 2012 

L’estime de soi, ou l’inestimable de Soi » avril 2014
Symptômes - des alliés méconnus de la santé juin 2011

Liens externes

Emission Xenus – Arte juillet 2015 « énergie universelle de vie »
https://www.youtube.com/watch?v=XyUy0DEBSqs&sns=em

Brainspotting 
https://brainspotting.pro/trainer/trainer-david-grand 

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