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Confiance thérapeutique

Le patient, le praticien, le soignant

 avrili 2017   -    © copyright Thierry TOURNEBISE

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Il est essentiel que la confiance du patient soit présente envers le praticien ou le soignant. Cependant, cette confiance n’est aucunement un dû envers le professionnel, et il semble essentiel d’en comprendre la source. Si les connaissances et compétences techniques du professionnel sont des éléments incontournables, ils sont loin d’être suffisants.

L’éthique précise que la compétence technique se doit toujours d’être associée à une posture d’humanité (et réciproquement). S’il est relativement aisé de préciser les connaissances et compétences techniques (pas si facile cependant) il est franchement délicat de préciser en quoi consiste cette humanité sans laquelle, pourtant, le soin n’est plus qu’une forme d’hospitalisme… devenant même parfois source de troubles nosocomiaux ou iatrogènes (c’est à dire produisant un mal tout en prétendant guérir).

Cette publication est apparue comme une nécessité pour accompagner la volonté de l’HAS de promouvoir la bientraitance et le partenariat soignant/soigné. Cette volonté essentielle, cependant,  ne suffit pas à en définir précisément les contours. Il en résulte des imprécisions laissant croire que la réglementation ou quelques listes (chartes) laborieusement établies en comités d’études sauraient remédier aux difficultés rencontrées.

 

Sommaire

1 La confiance au cœur du soin
 La confiance du patient – La confiance n’est pas soumission – La confiance des praticiens ou soignants – Confiance et défenses immunitaires

2 La proximité, source de confiance
Le tact psychique – L’empathie et le « tact psychique » - La reconnaissance – Le concernement

3 La sensibilité source de confiance
Distinguer sensibilité et affect - Reconnaissance, validation, estimation – Sans vulnérabilité – Oser être, source de confiance – Accepter le dénuement

4 Se sentir rencontré et compris
Réjouissance - Validations

5 Question de vocabulaire
Vocabulaire à éviter - Vocabulaire à privilégier

6 Professionnalisme : être humain et confiant
La confiance se mérite – Confiance de soi envers l’autre - Confiance de l’autre envers soi – La confiance en soi - Moins fatigué, plus professionnel

Bibliographie  
Bibliographie du site

Les mots « Confiance » et « confidence » ont longtemps été très proches, portant le même sens. Puis ils se sont distingués. Ainsi « confiance » s’est rapproché de « sentiment de sécurité » alors que « confidence » a eu le sens de « se confier ». « Confiance » fut d’abord « confience » (XXIIIe siècle) venant du latin confidentia (confidence), ancien français de « fiance » et « fier ». Fier* (se fier) vient du latin °fidare, fidere, venant de l’indoeuropéen °bheidh (se fier >foi)

*alors que « fier » (dans le sens « être fier ») vient du latin ferrus (sauvage, par opposition à apprivoisé).

La confiance (se fier) est de nature laïque, alors que la foi est de nature religieuse. Confier (cum : ensemble – fidere : se fier) montre la réciprocité de la posture. Notons que la « co-fiance » est censée être réciproque sinon il en résulte un assujettissement de l’un par l’autre.

1    La confiance au cœur du soin

1.1 La confiance du patient

Tout praticien ou soignant travaille bien plus facilement si ses patients lui font confiance. Cela est un avantage inestimable pour le professionnel qui peut ainsi exercer plus aisément son métier, et mettre en œuvre ses compétences techniques. Mais c’est aussi un avantage pour le patient, car s’il est en confiance il vit avec plus de tranquillité les soins qu’il reçoit.

Naturellement, la confiance n’est pas acquise au praticien ou au soignant du seul fait de sa compétence technique. Il se trouve aussi une composante d’humanité qui fait naturellement émerger cette confiance.

Il est bien plus délicat de cerner cette humanité que d’évaluer la technicité.

1.2 La confiance n’est pas la soumission

La confiance du patient ne peut en aucun cas signifier que celui-ci s’assujettit au praticien. Le mot « patient » signifie « qui subit ». En grammaire, nous avons trois éléments dans une phrase : l’« agent » (source de l’action), le « process » (processus, action elle-même), le « patient » (le complément sur lequel s’exerce le « process » mis en œuvre par l’agent)*.

*Grammaire du Français - Robert Léon Wagner Jacqueline Pinchon - HACHETTE p 237

Le mot « patient », en tant que désignant « celui qui subit » sa pathologie et les soins, est un terme dépassé. Nous voyons même aujourd’hui apparaître le terme de « actient » (celui qui est acteur), afin de mieux faire ressortir cette dynamique du partenariat soignants/soignés proposé par l’HAS (Haute Autorité de Santé).* La notion de « subissant exclusif » a fait long feu.

*Même si cela ne fait pas tout, un Individu porte aussi une responsabilité au niveau de son hygiène de vie. Il peut ainsi exercer, pour une bonne part, son propre rôle en vue d’une meilleure santé.

Le terme « client » est aussi utilisé (d’inspiration Rogérienne… ou bien commerciale). Il tente de montrer que la qualité est due à l’usager. Mais quelle qualité, et avec quels moyens ?

La confiance du sujet malade en son praticien et en la qualité des soins qui lui sont prodigués ne peut signifier une soumission de sa part. Bien sûr le terme « actient » est ambivalent, en ce sens le « sujet malade » n’a pas l’expertise lui permettant de s’assurer de la compétence du soignant, du praticien, ou de la technicité de ses soins qu’il reçoit. D’une part il doit rester acteur de son soin, d’autre part il est obligé de faire confiance concernant les domaines qui lui échappent.

Outre la technicité, cette confiance se jouera sur l’humanité du praticien ou du soignant. Loin de moi de nourrir l’idée qu’un praticien ou un soignant soient inhumains par nature. Cependant, une certaine approche de la psychologie, de la distance professionnelle, et de quelques principes inadaptés, peuvent altérer cette humanité, ou du moins ce qui en est perçu.

Souvent il est cru dans le monde professionnel qu’il suffit de bien « expliquer » au patient et de le « rassurer »… Or, celui-ci a besoin en premier lieu de se sentir entendu, compris, reconnu. « Rassurer » prend trop souvent maladroitement une allure de « faire taire ». Il se produit alors l’inverse de l’effet attendu. Une sorte de maladroite culture du déni ou d’attitude faussement positive (depuis l’enfant qui pleure après être tombé à qui on dit « ce n’est rien », jusqu’au patient à qui on rétorque « ça va aller » suivi de quelques explications).

Non seulement la confiance ne peut venir d’une telle posture, mais en plus celle-ci engendre une méfiance et surtout, un sentiment d’être incompris.

Ce qui est vrai pour les soins sur le plan physique (inquiétudes du patient face à une pathologie biologique), l’est tout autant pour les soins sur le plan psychologique (inquiétude du patient face à un trouble de la psyché). De plus, les deux sont délicatement intriqués, car le corps et la psyché interfèrent l’un sur l’autre (dimension psychosomatique des pathologies, autant que des guérisons). Dans les pathologies corporelles, il en est qui surviennent du fait de la vulnérabilité engendrée par une souffrance psychologique. Dans les guérisons il en est qui se produisent mieux du fait d’une plus grande tranquillité d’esprit.

1.3 La confiance des praticiens

La réciprocité est essentielle. Le praticien ou le soignant ne peuvent demander la confiance du patient à leur égard si eux-mêmes n’en ont pas envers le patient. Afin d’assurer la meilleure qualité et le plus grand respect, les chartes (notamment de bientraitance) sont construites et affichées. Mais aucune liste ne peut remédier à une méconnaissance de ce qui génère la confiance, car il s’agit plus d’une posture que de phrases astucieuses ou de comportements conventionnellement corrects.

Sur ce point, plus les protocoles se multiplient, plus ils soulignent une inquiétude des praticiens ou des soignants et surtout de l’administration. Parfois l’effet produit peut même être inverse. C’est ce que pointait déjà Rollo May (1909-1994. Psychologue proche de Carl Rogers) affirmant que les principes protègent plus le professionnel que le patient.

« Les principes techniques protègent les psychologues et les psychiatres de leurs propres angoisses. Mais par la même occasion, les techniques empêchent les psychologues et les psychiatres de comprendre le malade, elles l’isolent de sa présence pendant l’entretien, qui est essentielle pour comprendre la situation » (May, 1971, p.26)

Le praticien est censé avoir confiance en son patient, être à son écoute, valider ses ressentis, reconnaître ses inquiétudes, être touché par sa présence… nous reviendrons sur ces points essentiels. Il est censé être en confiance envers son patient (Carl Rogers parlait même de confiance inconditionnelle).

1.4 Créativité et sensibilité

La créativité est une composante essentielle. En effet la confiance est produite par la qualité de l’interaction, et non par la production de stéréotypes.

« Si nous faisons preuve d’une trop grande rigidité, d’un trop grand dogmatisme, si nous ne parvenons pas à nous détacher des conclusions précédentes, nous ne laisserons jamais un nouvel élément percer jusqu’à notre pensée consciente, nous ne prendrons jamais conscience des connaissances que notre esprit recèle à un niveau encore inconnu de nous. » (May, 2009, p.56)

Accepter de ne pas savoir à l’avance, vivre chaque situation comme étant nouvelle. Faire du non savoir une source de compétence. Accepter d’être enseigné par ses patients à chaque instant. Donald Wood Winnicott (1896-1971, psychanalyste), commence son ouvrage « Jeu et réalité » (1975) par une dédicace à ses patients : « Merci à tous ces patients qui ont payé pour m’instruire ». La capacité à improviser, à s’ajuster, à s’adapter à l’interlocuteur, est essentielle… y compris à savoir apprendre de lui.

Se protéger derrière un standard permet de sauver les apparences et d’être irréprochable, pour ne pas dire administrativement ou juridiquement inattaquable. Mais une atmosphère « lissée » ou « policée » ne fait pas la confiance. Elle ressemble à un désert d’humanité source d’angoisses où les interlocuteurs réels sont absents. Les interactions préfabriquées y donnent un sentiment d’isolement, de non reconnaissance, d’impossible communication réelle face à des stéréotypes impénétrables. 

Face à la légendaire « juste distance professionnelle » le patient se sent un peu abandonné, artificiellement accompagné… mais dans la règle. La recherche de la confiance du patient doit se poursuivre plus loin car « dogmatisme » ou « règlementations » n’en seront pas la source.

La sensibilité est une clé majeure, à condition de bien différencier « sensibilité » et « émotivité ». Contrairement à ce que l’on croit, on est d’autant plus dans l’émotivité que l’on manque de sensibilité. La première provoque des réactions automatiques impulsives, la seconde permet une perception mature de la réalité.

1.5 Confiance et défenses immunitaires

Le Pr Barbara Anderson a réalisé des recherches sur l’impact de l’accompagnement psychologique dans l’efficacité des soins en oncologie.

Cancer du sein, 227 femmes, 1 séance psy par semaine pendant 4 mois

Les défenses immunitaires s’élèvent de façon significative par rapport à un groupe témoin chez qui elles ne bougent quasiment pas*.

*Journal of clinical oncologie n°22 sept 2004
http://ascopubs.org/doi/full/10.1200/JCO.2004.06.030

Comme le pointe Barbara Anderson, il se trouve que l’accompagnement psychologique entraîne aussi de meilleurs comportements alimentaires. La santé est multifactorielle. Un sujet malade qui se sent écouté, reconnu, a une meilleure capacité à devenir acteur de ses soins et il en résulte des conséquences objectivables sur l’amélioration de sa santé.

1.6 Temps, confort, confiance et qualité

Le manque de temps est souvent mis en avant comme raison de la difficulté à mettre en œuvre une posture qui soit suffisamment source de communication, de reconnaissance et de confiance. Il est vrai que le temps est une denrée rare dans le monde du soin (de plus en plus), tant la charge de travail et les responsabilités sont copieuses. Cependant, après 30 année d’expérience en tant que formateur auprès des soignants, j’ai pu constater la qualité de leur  humanité et cependant aussi leur difficulté à mettre en œuvre ce qui est source de réelle communication ou de confiance.

Pourtant, gérer la situation avec une posture de communication, de reconnaissance et de validations, telles que nous allons le voir, permet de gagner du temps (plus de « discutaillons » inutiles), du confort professionnel (prévient, la dépense d’énergie excessive, l’usure et les risques psychosociaux), un partenariat du patient (plus coopératif), une plus grande efficacité des soins (comme nous venons de le voir en oncologie avec des résultats objectivables). N’est-ce pas la mission d’un établissement de soins de proposer une telle chose, tant pour les patients que pour son personnel ! Pour y parvenir il convient de bien discerner les pièges, d’identifier  les ressources, l’humanité et la proximité, la psychologie, tant pour soi-même que pour notre interlocuteur.

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2    La proximité, source de confiance

2.1 Le tact psychique

Le mythe de la « bonne distance », ou de la « bonne proximité », comme le disent nos amis canadiens, est sans doute le résultat d’une mauvaise compréhension de l’empathie et d’une confusion entre la sensibilité et l’émotivité.

La question ne se pose pas en termes de « bonne distance » mais en termes de « tact ». Et, par définition, pour qu’il y ait « tact », il ne doit y avoir aucune distance.

Le besoin de ne pas se sentir vulnérable face à la détresse d’autrui, et de rester un professionnel efficient, conduit à tenter de se protéger de l’émotionnel. Si cela est juste de ne pas partir dans l’émotionnel, il ne l’est pas de soustraire sa sensibilité. Car dans ce cas le praticien ou le soignant deviennent des « machines à soigner » qui s’occupent plus des pathologies que de ceux qui ont ces pathologies. Finalement, la pathologie reçoit alors plus d’attention que le patient qui n’est plus alors qu’un « objet de soins ».

Naturellement, aucun praticien, ni aucun soignant, ne souhaite une telle chose, mais la question reste d’offrir assez d’humanité, sans pour autant tomber dans l’affectivité.

Par la notion de « tact psychique », nous entendrons même l’idée de « se sentir touché » (à ne pas confondre avec « se sentir affecté »).

Un Être se sent exister quand un autre être est touché par sa présence, par qui il est, par le fait qu’il soit là. C’est finalement une chose assez rare puisque, socialement, la motivation des autres vient plus des problèmes qu’on pose ou des prodiges qu’on accomplit, que du fait de sa propre nature existentielle. Voilà ce sur quoi se porte le focus : l’existence d’un individu aux yeux de l’interlocuteur sera subordonnée à ce qu’il propose de maux ou de prodiges. Sa seule présence ne semble pas susciter cette attention tant attendue, si vitale, si motivante.

La seule approche évoquant clairement cette notion de tact psychique est l’Haptonomie de Fans Veldman (1921-2010). Concernant l’interlocuteur, il propose de voir « le bon en lui », présent, et en devenir (Veldman, 1989, p.45).

Je me souviens d’une jeune résidente en EHPAD (moins de 70ans), hébergée par fait de troubles cognitifs majeurs, nous disant spontanément « J’ai un copain » (suivent les questions que je lui ai posées) :

-« J’ai un copain ! »
D’accord. Vous aimez bien voir votre copain ?
-« Oui »
Ok. Qu’est-ce qui est chouette quand vous voyez votre copain ?
-« Je vois un humain »
D’accord. Il y a d’autres êtres que vous aimez voir ?
-« Oui, quand on va au restaurant, il y a un chien »
Bien. C’est bon de voir le chien ?
-« Oui »
D’accord. Qu’est-ce qui est chouette quand vous voyez le chien ?
-« Il est heureux de me voir et vient vers moi sans qu’on lui dise »

Voilà une patiente en troubles cognitifs capable cependant de repérer l’essentiel : « il vient vers moi sans qu’on lui dise et il est heureux de me voir ». Elle trouve là une ressource existentielle majeure : la reconnaissance accordée indépendamment de toute production de maux ou de prodiges. Une proximité naturelle hors de toute motivation intéressée, juste par le fait que l’on soit une présence existentielle.

2.2 L’empathie est « tact psychique »

A l’origine, l’empathie, avant Carl Rogers, vient de l’allemand « Einfühlung » où « fühlen », comme le « feeling » anglais, évoque la notion de sensibilité spéciale, de tact psychique. Terme utilisé par Theodor Lipps (1851-1914) philosophe et psychologue allemand et par Sandor Ferenczi (1873-1933), médecin psychiatre, psychanalyste hongrois.

Cette notion de « tact psychique » n’a pas suffisamment été explicitée (hors l’haptonomie) pour rendre compte de la juste posture du praticien ou du soignant. Or il s’agit là d’un fondement majeur.

On peut y ajouter une précision importante : le tact dont il est question ici est de savoir « être touché » par la présence de l’autre, dans une sensibilité sans affect, dans laquelle on sait être distinct sans être distant, dans laquelle on éprouve une « réjouissance »* désintéressée à la rencontre de l’autre.

*Voir sur ce site la publication « Réjouissance thérapeutique » de février 2017

2.3 La reconnaissance

Selon Abraham Maslow (psychologue, 1908-1970), le besoin de reconnaissance est un besoin ontique, un besoin existentiel fondamental. Il invite à ne pas le confondre avec le besoin d’estime qui, lui, n’est qu’un besoin psychosocial égotique : un besoin de valeur. La quête de reconnaissance nous conduit vers un état que l’on pourrait qualifier de « lumineux » (on se sent être) alors que le besoin d’estime nous conduit vers un état que l’on pourrait qualifier de « brillant » (on se croit le meilleur). Le besoin de reconnaissance nourrit le Soi alors que le besoin d’estime nourrit le moi.*

*Voir sur ce site la publication « Estime de Soi – ou l’inestimable de Soi » d’avril 2014

Ce que l’on connaît mal des propos exceptionnels de Abraham Maslow (qui n’a jamais parlé de pyramide, contrairement à la rumeur devenue pseudo vérité) c’est qu’une frustration ontique (reconnaissance) conduit à être insatiable sur le plan psychosocial (sécurité, appartenance, estime). Par manque de sentiment de reconnaissance un individu demeure insatiable sur tous les plans quoi qu’on fasse pour le satisfaire. Par contre, s’il est ontiquement satisfait il peut supporter sans revendication des frustrations psychosociales (sécurité appartenance, estime) ou physiques (nourriture, santé, confort).

Un sujet qui se sent bénéficier de reconnaissance aura plus de patience, moins d’exigences. Or il se trouve que la légendaire « bonne distance professionnelle » génère de la frustration ontique et rend l’interlocuteur insatiable. Il en résulte des exigences continues des patients, qui ainsi mettent à mal les praticiens et soignants manquant de temps.

Juste un regard, un mot, une prise en compte d’un ressenti… C’est cela la reconnaissance et ça ne prend que quelques secondes.

En USLD « Est-ce que je sors bientôt ? » réponse : « Vous avez hâte !? »
(et non : « C’est le médecin qui décide. »)

En médecine « C’est grave ? » réponse « Vous craignez que ça le soit !? »
(et non : « Nous attendons les résultats »)

En maternité « Je ne sais pas si je saurai m’occuper de mon bébé en rentrant à la maison » réponse « vous craignez de ne pas bien faire !? »
(et non « Ne vous inquiétez pas vous saurez naturellement »)

En EHPAD « Je veux rentrer chez moi » réponse « Vous aimeriez être dans votre maison !? »
(et non « Vous n’êtes pas bien avec nous ? C’est ici chez vous ! »)

Aux urgences une personne suicidante « Je voudrai mourir » réponse « Ce serait mieux si vous étiez morte ?! »
(et non « Il ne faut pas dire ça ! il y a des gens qui tiennent à vous »)

Nous pourrions réaliser une longue liste des propos souhaitables sources de reconnaissance et donc de confiance, et des propos indésirables qui se veulent encourageants ou raisonnables, mais ne font que nier le sujet (nous le verrons au chapitre 5).

Les validations peinent souvent à sortir de la bouche du praticien ou du soignant, car celui-ci craint un « oui » dont il ne saurait que faire. Justement ce « oui » lui permettrait d’inviter le sujet à exprimer plus précisément ce qui le préoccupe, en quelques minutes (deux ou trois, ou juste quelques secondes) et pourrait conduire à la validation de son sentiment. Ce n’est qu’ensuite que les explications habituelles peuvent trouver leur place.

2.4 Le concernement

Le concernement est un terme utilisé par le docteur Henri Grivois (psychiatre qui a créé les premières urgences psychiatriques à Paris Hôtel Dieu). Il désigne le fait que des individus se perçoivent, même sans avoir conscience l’un de l’autre, par exemple lorsqu’ils se croisent dans la rue.

Le Dr Henri Grivois utilise ce terme pour désigner une attitude commune à tout être humain, mais qui chez le sujet psychotique prend un aspect particulier : le sujet psychotique est en concernement avec toute l’humanité. Situation dont il fait l’expérience alors qu’il ne peut pas la penser, encore moins la dire, donc pas la partager

« Cette expérience-là, le patient s’épuisera à la réduire et pour finir, en la masquant dans un récit d’allure raisonnable, il y perdra la raison pour de bon. » (Dr Grivois, 2007, p.83)  

Nous savons que nos neurones en fuseau (pas les neurones miroirs) se synchronisent émotionnellement en 1/20.000e de seconde*

 (Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner – Boris Cyrulnik, Pierre Bustany, Jean-Michel Oughourlian, Christophe André, Thierry Janssen, Patrice Van Eersel – Albin Michel Poche, 2012 p.67 à p.78)

De ce fait les individus sont plus interconnectés que nous ne le croyons et notre état émotionnel influence notre voisin à notre insu et à la sienne. En ce qui concerne le praticien ou soignant et le patient, il ne sert à rien de « faire semblant » avec une distance professionnelle plus ou moins bien contenue. C’est pourquoi le psychologue Carl Rogers (1902-1987) parlait de la nécessité de congruence (authenticité) dans le soin psychique. Mais cela reste vrai dans tous les types de soins. Pour que l’état du praticien ou du soignant soit authentiquement dans cet état de reconnaissance, que la sensibilité l’emporte sur l’émotionnel, que cette résonance l’emporte et vienne toucher le patient, il convient que le professionnel accepte de se sentir touché par l’Être qu’est son patient, qu’il éprouve naturellement une joie à le rencontrer

*Voir sur ce site la publication « Réjouissance thérapeutique » de février 2017

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3    La sensibilité, source de confiance

3.1 Distinguer sensibilité et affect

Être affecté (de « afectio », « affectus » qui correspond à pathos) c’est « recevoir un « impact psychique ». Alors que « être sensible », c’est percevoir avec finesse et subtilité.

L’affect est émotionnel alors que la sensibilité est existentielle. L’affect engendre de l’émotionnel (« é-mouvoir », mettre en mouvement) qui agite, produit des secousses plus ou moins contenues. La sensibilité, elle, est source de perception, de tact, de lucidité. L’anesthésie produit une coupure des perceptions sensorielles lorsque les impacts sont trop forts (survie), l’émotion réveille de l’anesthésie mais avec une perception floue, plus ou moins fantasmée, avec des flashs synesthésiques (réanimation), la sensibilité est un retour à la perception fine de la réalité (sensorielle, et même expérientielle)*

*On peut utiliser la métaphore d’une sortie de tunnel : dans le tunnel il fait noir (anesthésie), en sortant du tunnel on est ébloui (émotion), une fois accoutumé à la lumière extérieure, nous voyons clairement (sensibilité).

Il est parfaitement juste d’avoir pointé que l’affect nuit à la qualité des échanges et de la compréhension entre les Êtres. Il est clair que, même si l’affect joue un rôle important dans la sortie de l’anesthésie (é-mouvoir, mettre en mouvement, re-animer), il ne permet pas une perception claire dans les échanges. Seule la sensibilité le permet. Donc souligner qu’un professionnel se doit d’œuvrer hors de l’affect est parfaitement juste. Mais si l’on confond l’affect et la sensibilité, on risque d’éteindre la sensibilité croyant éliminer l’encombrant affect. Nous sommes d’autant plus émotifs que nous sommes moins sensibles.

Pour sortir du champ émotionnel, nous avons deux directions : l’une vers l’anesthésie (qui nous rend froid et impersonnel), l’autre vers la sensibilité (qui nous rend humain et empathique).  La première possibilité est source d’insécurité et de méfiance chez l’interlocuteur, la seconde est, elle, pleinement source de confiance.

3.2 Reconnaissance, validation, estimation

Ce dont nous avons besoin, c’est d’être sensible sans être vulnérable, bien plus que de se protéger. La sensibilité peut être source de sécurité personnelle en ce sens où nous sommes bien plus lucides, et donc plus à même d’agir avec pertinence, face à ce qui se présente à nous.

Si la sensibilité fait quelquefois un peu peur, et est interprétée comme exposant aux impacts (d’où l’idée de se protéger), c’est que l’on identifie mal la direction vers laquelle elle doit s’exercer. Si l’on focalise vers les problèmes, les douleurs, la gravité des circonstances… effectivement on aura une très forte probabilité de se retrouver impactés, affectés. Or il ne s’agit pas de focaliser à cet endroit, mais de focaliser vers le Sujet, vers l’Être, vers le Quelqu’un qui est en face de nous. La sensibilité est censée s’exercer sur le plan existentiel (Sujets) et non sur le plan événementiel (objets).

Qui se tourne vers le Sujet (existentiel) est naturellement touché, qui se tourne vers les objets (événementiel) est naturellement affecté (de façon positive ou de façon négative). Par exemple, comment se positionner face à un Être en colère qui vient de vivre un drame, par exemple à qui l’on vient d’annoncer une pathologie lourde. Sa révolte (s’il en est au stade de la révolte) est bien légitime. Le praticien qui l’accompagne a alors trois directions qui s’offrent à sa sensibilité :

-L’événementiel (la pathologie révélée)
-L’émotionnel (ce qui est éprouvé par le sujet vivant cette révélation)
-L’existentiel (le sujet qui éprouve cet émotionnel)

S’il se tourne vers l’événementiel il est naturellement affecté de façon négative, car nul ne peut se réjouir face à une catastrophe, à moins d’avoir un sérieux problème psychologique. L’impact est alors naturel et légitime.

S’il se tourne vers l’émotionnel, souvent il ne saura pas quoi en faire et se donnera pour mission de le calmer (fameuse culture de la gestion par le déni) et va se retrouver en train d’investir de l’énergie contre son interlocuteur… qui est pourtant en besoin de reconnaissance.

S’il se tourne vers le Sujet, il se sent naturellement touché par sa présence, car un humain est naturellement touché par un humain. Il peut alors, de façon spontanée et naturelle accorder cette reconnaissance tant attendue. Mais alors que fait-on de l’événementiel ou de l’émotionnel ?

Ces trois points existent et doivent simplement être hiérarchisés en « premier plan », « second plan », « troisième plan » :

-1er plan : L’Existentiel (reconnaissance)
-2nd plan : L’émotionnel (validation)
-3e plan : L’événementiel (estimation)

La reconnaissance concerne l’Être (on se réjouit de sa présence). La validation concerne ce qui est éprouvé par cet Être (attestation du fait qu’il en est ainsi pour lui). L’estimation ou évaluation concerne la circonstance qui se trouve être positive si elle est source de bonheur, négative si elle est source de souffrance, ou nulle si elle n’apporte rien. John Stuart Mill philosophe anglais (1806-1873) nous donne une idée de cette évaluation :

« Est utile tout ce qui donne le bonheur sans nuire à tout ce qui vit. […] cet idéal n’est pas le plus grand bonheur de l’agent lui-même, mais la plus grande somme de bonheur totalisé […] une existence aussi exempte que possible de douleurs, aussi riche que possible de jouissances, envisagées du double point de vue de la quantité et de la qualité ». (1988, p.57 -58).

3.3 Sans vulnérabilité

L’illusion de « la bonne distance professionnelle » comme moyen de ne pas être vulnérable. Combien de fois ai-je entendu dans le monde soignant ou dans des services d’accueil : « il faut savoir se protéger ». Mais se protéger de qui, de quoi ?

« Comment se protéger ? » n’est pas la bonne question. La vraie problématique c’est « comment ne pas être vulnérable ». Le besoin de sécurité du professionnel le conduit souvent à se blinder derrière une « bonne distance ». Or il n’y a pas de « bonne distance ». Seul le tact permet la confiance du patient et assure une stabilité du praticien ou du soignant.

Celui qui se protège se coupe de son interlocuteur. L’interlocuteur ne le perçoit plus. Il ne voit que le rôle que le praticien ou le soignant endosse, qu’il joue pour être un « bon professionnel ». De ce fait le patient se sent un peu seul devant ce monde protocolisé (comme l’avait si bien pointé Rollo May). Devant son interlocuteur « masqué », quand bien même le masque est magnifique, il est en droit de se demander « Qui est derrière ce masque ? Est-il sincère ? Peut-on lui faire confiance ? ». Il en résulte beaucoup d’énergie investie par le praticien ou le soignant, beaucoup d’incertitude et de solitude éprouvées par le patient.

Il se trouve même une insatisfaction du professionnel qui, finalement ne fait pas un tel métier pour se couper des gens et qui sent bien que le résultat n’est pas pleinement satisfaisant. De ce fait il s’expose d’autant plus à une usure professionnelle.

Pour ne pas être vulnérable, il ne s’agit pas de mieux se protéger, mais de plus s’ouvrir à l’Être que l’on accompagne, que l’on écoute, que l’on rencontre.

3.4 « Oser Être », source de confiance

Loin des rôles artificiels, même avec de bonnes intentions, l’authenticité et la simplicité sont des clés majeures. Elles ne se peuvent que si l’on a bien compris cette notion de sensibilité décrite précédemment.

C’est ce que Carl Rogers nommait « congruence ». Il s’agit de ne pas être incongru, qu’il n’y ait pas de décalage entre ce que l’on dit et ce que l’on pense.

Il s’agit alors pour le praticien ou le soignant d’oser Être (présence du Soi) et non de tenter de bien paraître (construction d’un moi plus performant).

Outre le fait que cela demande beaucoup moins d’énergie, est bien moins fatiguant pour le professionnel, cela sécurise le patient. Enfin il a un « vrai interlocuteur » et non un « personnage professionnel ». Quand quelqu’un n’est pas « visible » l’interlocuteur peut toujours se demander « que cache-t-il derrière son dos ? »

3.5 Accepter le dénuement

La culture de la solution rend inquiet face au dénuement. J’entends quelquefois des professionnels me dire en formation « Je me sens démuni ». Je réponds alors « Super !  On ne rencontre pas l’autre avec des munitions, c’est donc un bon début ». Nous recherchons des solutions à tout, en oubliant que le mot « solution signifie aussi « fracture, brisure » (« solution de continuité » est le terme pour désigner une fracture en radiologie). En matière de psychologie, il ne s’agit pas de « solutions à apporter » (faire des fractures), mais de « remédiation à accomplir » (remettre en contact ce qui a été brisé, clivé).

Il arrive que le praticien ou le soignant se sente démuni… alors il peut penser avec un autre fondement : celui de la rencontre et de la reconnaissance. Il ne s’agit plus de combattre, de corriger ou d’empêcher, mais d’accorder de la reconnaissance et de valider. C’est un changement total de paradigme (c’est-à-dire un changement total de ce sur quoi on fonde sa pensée pour penser).

Sur le plan psychologique, accepter le dénuement est source de confiance. La toute-puissance fait peur. Naturellement, nous parlons ici de dénuement sur le plan de l’accompagnement psychologique, car sur le plan physiologique il est essentiel que le praticien ou le soignant dispose d’outils techniquement efficients, permettant de gérer la santé et les pathologies. Sur le plan psy, ce qui est efficient, c’est la présence, l’authenticité, la reconnaissance, la validation et l’absence de pouvoir. Il est ensuite (mais seulement ensuite) des « outils », des « connaissances techniques » (analyse, Gestalt Thérapie, Thérapies comportementales et cognitives, EMDR, Focusing, Psychocorporel, Psychothérapies diverses…). Aussi bon que soit chacun de ces outils, sans les fondements ici décrits, ils risquent d’offrir un vide existentiel les rendant au mieux inopérants, au pire néfastes… et dans tous les cas épuisants pour le praticien (le conduisant ainsi à avoir besoin de se « protéger »).

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4    Se sentir rencontré et compris

4.1 Réjouissance

La reconnaissance se situe là, par la réjouissance du praticien ou du soignant. C’est cela qui permet au patient de se sentir être. Non seulement l’autre ne se protège pas de lui, mais en plus il vit comme un privilège de le rencontrer. Hors affectivité, tout en sensibilité, c’est le fait de se sentir touché par la rencontre de l’autre, par le fait que l’autre soit qui il est, c’est à dire un humain, au-delà de ses actes, de ses mots, de ses réactions.

Je ne détaillerai pas plus ce point que j’ai longuement développé dans ma dernière publication « Réjouissance thérapeutique » de février 2017.

4.2 Validations

La notion de validations a été magnifiquement développée par la psychologue Naomi Feil (née en 1932), par exemple dans son ouvrage « Validation mode d’emploi » (1997).

Elle met l’accent sur le fait que l’on doit être capable de valider ce que manifeste l’autre (verbal ou non verbal), même quand on ne comprend pas, accordant à l’autre que cela a du sens pour lui, même si ce sens nous échappe. Elle a développé son approche notamment pour accompagner les personnes cognitivement en difficulté (maladies de type Alzheimer), mais cela vaut dans tous les types d’échanges.

La problématique est que la gestion par le déni semble socialement plus répandue : ne vous inquiétez pas, je vais vous expliquer, ça va aller. Encore une fois il ne s’agit pas de « rassurer le patient » mais plutôt de reconnaître (valider) son inquiétude afin qu’il se sente rassuré : cela vous inquiète, vous éprouvez cela très fort, cela vous est insupportable…. Etc. Toute explication ne peut que suivre cette validation. Sans cette validation de ce qui est éprouvé par le patient, toute explication revient à une sorte de négation de son ressenti et produit l’inverse de l’effet attendu.

Par exemple cette femme médecin, gynécologue et chirurgienne, annonçant à sa patiente un diagnostic de cancer du sein. Ici le médecin déborde de gentillesse et d’explications délicates concernant le fait que sa maladie est guérissable, que la mastectomie sera suivie d’une reconstruction…etc. A l’issue de la consultation la patiente dira qu’elle n’a rien entendu, qu’elle s’est seulement demandé si elle survivrait pour voir grandir ses enfants.

En dépit de la délicatesse, des explications pertinentes se voulant rassurantes, la patiente a été ignorée dans ses ressentis et repart avec le poids de son interrogation émotionnelle, auquel personne ne s’est ouvert. Le praticien n’en est pas reprochable car il lui est infiniment plus aisé d’expliquer avec délicatesse ce qui est dans son champ de compétence (le traitement et l’intervention chirurgicale) que de s’ouvrir à la crainte de sa patiente et de la valider… elle ne sait quoi faire de ce ressenti qui ne fait pas partie de son domaine d’expertise.

Valider ne signifie pas « c’est vrai ce que vous croyez » (ce qui serait aggravant), mais « c’est vrai que vous croyez cela » et de donner un instant où la patiente peut l’exprimer (recevoir, comprendre, accueillir son propos), puis d’en valider la justesse cognitive : « si vous pensez cela je comprends que toute votre attention soit absorbée par ces pensées » (validation cognitive).

Pourtant, cela n’a de sens qu’avec une posture de « réjouissance », dans laquelle le praticien ou le soignant se sent touché par le fait que l’Être qu’est son patient lui confie sa pensée, se manifeste intimement (validation existentielle), du fait que son attention est plus portée vers l’Être que vers son problème.

Le détail de ces processus de validations est décrit finement dans la publication « relation et communication » de décembre 2014 au chapitre 5.

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5    Questions de vocabulaire

5.1 Vocabulaire à éviter

Si la posture est fondamentale, si le non-verbal représente 93% de l’information échangée (Pr Albert Mehrabian, né en 1939), il n’en demeure pas moins que certains mots sont plus judicieux que d’autres. Il en est même qui sont fortement déconseillés.

5.1.1    « Pourquoi »

L’utilisation du « pourquoi » dans une question n’est pas heureux et risque de bloquer l’interlocuteur. Il y a deux raisons pour lesquelles le mot « pourquoi » est bloquant. La première tient à une éventuelle composante non-verbale signifiant une demande de se justifier (comme si on ne faisait pas confiance à l’interlocuteur). En ce cas la situation d’enquête bloque l’échange. La seconde où, s’il ne s’agit pas d’une demande de justification mais d’une sincère et chaleureuse demande de précision, le mot « pourquoi » peut tout de même être bloquant car il demande à l’interlocuteur un fondement cognitif qui ne lui est généralement pas accessible instantanément.

Le « pourquoi », même chaleureux, honnête et sincère, va trop loin trop vite (il est trop « ouvert »). Alors le sujet peine souvent à répondre avec précision. Il sera préférable d’utiliser d’autre termes engageant vers un guidage non-directif réellement accompagnant, utilisant questions fermées, questions à choix multiple, validation cognitive, comme nous le verrons ci-après. Souvent, à chaque question, il ne sera pas demandé le « pourquoi du comment », mais juste un modeste élément de plus, aisément accessible

5.1.2    « Je comprends »

Dire « je comprends » à quelqu’un signifie « j’ai tout compris, vous n’avez rien à ajouter ». Contrairement aux apparences, cela invite à désormais se taire et revient, d’une certaine façon, à une fin de non-recevoir pour la suite. Le « je comprends » n’est juste que quand il se trouve dans ce que j’appelle un message de cohérence, venant à la suite d’une précision apportée et confirmée, ainsi que nous le verrons ci-après dans le vocabulaire à privilégier.

5.1.3    « J’entends bien »

Le fameux « j’entends bien », quelquefois enseigné en école de cadres aux stagiaires afin de donner à un collaborateur le sentiment d’être entendu, est hélas maladroit. Comme le « je comprends », il ressemble à une fin de non-recevoir invitant à en rester là. Naturellement le non-verbal qui l’accompagne peut le nuancer car accompagné de considération et de validation existentielle, il sera moins déplacé. Mais ce n’est pas une formulation heureuse. Pour être juste, nous devrons avoir une validation cognitive, telle que décrite ci-après dans « vocabulaire à privilégier ».

5.1.4    « Mais »

« Vous aimez tellement votre maison, je comprends que vous seriez mieux chez vous, mais vous savez que vous ne pourriez pas vous y débrouiller toute seule… ». Ce mot « mais » est souvent vécu comme un inconfort venant effacer ce qui vient d’être dit. On lui préfèrera « en même temps ».

5.1.5    Les phrases de déni inondant les soignés

J’en ai donné un grand nombre dans ma publication « Personnes âgées » de mai 2001. C’est précisément ce qu’il ne faut pas répondre ! Je me suis ici contenté ici de les reprendre à l’identique :

« je n’ai pas faim » dit le pensionnaire. « Mais il faut manger, cela vous fera du bien - répond le soignant - Il n’y a pas quelque chose qui vous ferait plaisir ? ».

« Je ne veux pas aller au réfectoire pour manger. Je veux manger dans ma chambre » dit le pensionnaire. « Mais vous n’allez pas rester tout seul. Si vous voulez rester autonome, il faut vous déplacer. Allez, je vous emmène ! » répond le soignant.

« Je ne veux pas me laver ». « Mais si, je vais faire vite… vous verrez vous vous sentirez mieux. Vous ne pouvez pas rester comme ça ! » répond le soignant.

« Chez moi je ne me lavais pas tous les jours. Je suis déjà propre vous m’avez lavé hier ». dit le pensionnaire. « Oui mais ici c’est autrement. C’est plus hygiénique. Il faut se laver tous les jours. C’est pour votre bien être et votre santé ! » répond le soignant.

« Je ne sers plus à rien ici » dit le pensionnaire dépressif. « Mais faut pas dire ça, on vous apprécie ici, puis vous avez vos petits-enfants qui vous aiment beaucoup ! » répond le soignant.

« Je me sens seul » dit le pensionnaire. « Mais nous sommes là, puis vous allez avoir de la visite ! » répond le soignant.

« Je veux mourir » dit le pensionnaire suicidaire. « Ah! vous ne devez pas dire ça! Vos enfants vous aiment, ils tiennent à vous ! » répond le soignant.

« Je veux voir maman » dit la très vielle dame. « Quel âge avez-vous ? » répond le soignant voulant la resituer dans le présent afin qu’elle ne soit plus dans le délire de chercher sa mère. J’expliquerai plus loin le danger d’une telle pratique pourtant recommandée par certains.

« Je voudrais mourir pour retrouver mon mari » dit une pensionnaire souffrant encore d'un deuil ancien. « C’est vrai, il est mort, mais vos enfants tiennent à vous, vos petits-enfants aussi. Vous allez être arrière-grand-mère. Il ne faut pas vivre avec le passé ! » répond le soignant.

« C’est pas terrible » dit un pensionnaire venant de réaliser un ouvrage (par exemple un coloriage). « Mais si, c’est très réussi ! il est magnifique ! » dit l’animateur.

« J’ai pas envie d’aller chanter » dit le pensionnaire à qui on propose de participer à un atelier de chant. « Allez, venez, ça vous changera les idées ! » répond le soignant.

« J’en ai marre de faire ce truc idiot » dit le pensionnaire à qui on propose d’envoyer un ballon. « Mais c’est important de le faire pour garder une bonne capacité physique ! » répond le soignant.

« Je ne veux pas faire ce voyage » dit le pensionnaire à qui on propose une sortie organisée. « Mais si venez avec nous. Ce serait dommage. C’est l’occasion de rencontrer des gens et d’aller un peu à l’extérieur ! » répond le soignant.

 « Je vous amène vos médicaments ». « J’en veux pas de vos saloperies » rétorque le pensionnaire « Ah si ! Il faut les prendre si vous ne voulez plus avoir mal ! » renvoie le soignant.

« Je vais refaire votre pansement ». « Vous allez encore me faire mal ! » râle le pensionnaire. « Mais non, je vais faire attention ! » dit le soignant.

« Il faut vous lever ». « Laissez-moi au lit, je suis fatigué » répond le pensionnaire. « Si vous ne vous levez pas c’est mauvais pour votre circulation. Allez, je vais vous aider ! » dit le soignant.

5.1.6    En effet… rassurer c’est nier

Absolument rien de méchant dans toutes ces propositions. Pourtant, toutes ces phrases se voulant rassurantes ne sont qu’un déni de la part du soignant envers le patient : un déni de son ressenti.

Ainsi que nous allons le voir dans « vocabulaire à privilégier », chacune de ces réponses gagnent à être remplacée par des phrases de « reconnaissance », par une prise en compte réelle de l’interlocuteur et non par un déni de son ressenti le plongeant dans une solitude encore plus désespérante.

Prenons bien la mesure que se sentir nié par quelqu’un est douloureux. Quand on est nié par un « méchant » c’est douloureux, mais cela ne nous surprend pas (c’est presque moindre mal). Quand on est nié par un « gentil », là c’est pire car si même les « gentils » ne nous entendent pas, vers qui se tourner dans ce monde pour être finalement entendu ? Cela peut conduire à de profondes désespérances. Il n’y a plus de confiance en l’autre pour le patient qui éprouve cette maladresse du soignant.

S’il n’est pas d’accord et se révolte (y compris violemment) c’est plutôt une bonne chose : il ne renonce pas à lui-même. Si au contraire il accorde passivement crédit à ce que dit le soignant et ne dit rien en retour, c’est inquiétant, car alors le patient perd totalement la confiance en Soi, il perd son autonomie (autonomie : de « auto », par soi-même et « nomos », règle : vivre selon sa propre règle) et il s’assujettit à la proposition, est désormais coupé de lui-même.

5.2 Vocabulaire à privilégier

5.2.1    Quelques exemples de réponses plus adaptées

Voici quelques possibilités face à ces propos des patients, permettant de garder la communication et la confiance, de gérer bien plus vite les situations délicates, de ne pas générer de tensions, voire de calmer les tensions existantes. Nous remarquerons que ce sont toujours des reformulations, d’une simplicité extrême :

"je n’ai pas faim" « Cela ne vous dit rien de manger !?

"Je ne veux pas aller au réfectoire pour manger. Je veux manger dans ma chambre" « Vous vous sentez mieux dans votre chambre !? »

"Je ne veux pas me laver" « c’est mieux pour vous de ne pas vous laver !? »

"Je ne sers plus à rien ici" « c’est important pour vous de vous sentir utile !? » 

"Je me sens seul " « C’est vraiment très difficile la solitude !? »

"Je veux mourir" « C’est mieux pour vous de finir votre vie !? »

"Je veux voir maman" « Vous avez envie de voir votre mère !? »
…….

Toutes ces reformulations ne viennent souvent pas à l’esprit du soignant pour au moins deux raisons : 1/ Elles semblent une évidence inutile à formuler ; 2/ Il y a la crainte que l’autre confirme, et alors on ne sait quoi en faire.

Il faut bien prendre la mesure qu’une reformulation n’a de sens que grâce au non verbal qui l’accompagne, ainsi que nous le verrons ci-après. De plus, elle va se poursuivre par une ou deux questions permettant d’accéder à une validation cognitive, que nous verrons après le paragraphe suivant.

5.2.2    Reformulation

La reformulation est un cas particulier de question fermée, en ce sens où elle appelle une réponse de type « oui/non ».

« Je ne sers plus à rien ici « c’est important pour vous de vous sentir utile !? » 

C’est avant tout un acte de reconnaissance et de validation, mais avec un non-verbal très légèrement interrogatif. La phrase est grammaticalement affirmative, et le ton est légèrement interrogatif. Cela permet de ne pas enfermer l’interlocuteur dans ce qu’on pense avoir compris de son propos. C’est pourquoi la ponctuation utilisée pour terminer une reformulation à l’écrit est « !? ». On pourrait même écrire « !? » car l’aspect interrogatif doit être présent, mais discret.

 Il ne s’agit aucunement d’un simple « reflet » du propos énoncé (seule la glace reflète, et la glace c’est froid) et encore moins d’un simple écho (qui finalement sonnerait creux). Il s’agit de la pleine reconnaissance de l’Être qui vient d’exprimer une chose essentielle pour lui, et de la validation de ce qu’il a exprimé. Dans l’exemple ci-dessus « Je ne sers plus à rien ici » un simple reflet dirait « vous avez le sentiment de ne plus servir à rien ici !? », une reformulation ira plus loin, décodant l’implicite d’une valeur fondamentale pour le patient : « c’est important pour vous de vous sentir utile !? ».

La reformulation est toujours emprunte de candeur et d’émerveillement de la part de celui qui reformule, comme s’il venait de lui être confié quelque chose de sacré.

Pour aller plus loin sur ce thème lire la publication « Reformulation » de novembre 2002.

5.2.3    Validation cognitive

Le « je comprends » est ici à sa place : nous avons vu que le terme « je comprends » n’est pas souhaitable, car il signifie implicitement « une fin de non-recevoir la suite, tout en prétendant une ouverture ». Il est cependant des fois où ce terme a pleinement sa place : c’est dans ce que j’appelle la « validation cognitive ».

Reprenons l’exemple, de la patiente à qui un cancer du sein est révélé, et qui pense « survivrais-je pour voir grandir mes enfants » (vu au paragraphe 4.2). Dans ce cas le médecin perçoit qu’une chose la préoccupe, même s’il n’y a pas encore de paroles. Un professionnel de santé, avec son expérience, ne manque pas de voir un tel non-verbal… sauf qu’il hésite à engager le chemin en cette direction, ne sachant pas quoi en faire.

Si au lieu d’opter pour l’évitement ou le déni il demande « que se passe-t-il ? », puis que la patiente, ainsi mise en confiance, ose énoncer sa pensée, son ressenti …alors la validation cognitive proposée par le praticien peut être :

« Si vous pensez cela, je comprends que toute autre chose soit hors sujet ».

Une telle validation cognitive comprend deux opérateurs logiques : « si » et « je comprends ». Attention cependant, sans la validation existentielle qui est censée l’accompagner, cette validation cognitive ne serait que pure logique, pareille à la froide lecture d’un code informatique.

Mis en œuvre d’une bonne façon (accompagné de validation existentielle, d’attention, de considération) ce « Si il y a ceci je comprends que il se produise cela » permet : soit de s’en tenir là quand on manque de temps (mais sans fermeture), soit d’ouvrir sur une question supplémentaire pour aller plus loin.

Par exemple dans le cas de la validation cognitive « Si vous pensez cela, je comprends que toute autre chose soit hors sujet » le praticien peut, si nécessaire, prolonger par :

« Dans "cela", qu’est-ce qui est le plus terrible ? ».

Ainsi, celui qui s’exprime peut accéder à une plus grande précision concernant le fondement de son ressenti, et parfois aboutir à des zones essentielles de sa pensée et surtout de ce qu’il éprouve (dont il n’avait qu’une impression confuse, que même parfois il ne soupçonnait pas). Dans le cas présent la question qui invite à poursuivre permet à la patiente de hiérarchiser tout ce qui la submerge, et d’en faire ressortir l’élément distingué sur lequel pourra ensuite s’opérer un guidage non directif (parfois avec une ou deux questions supplémentaires) pour arriver à un nouveau « palier cognitif », mais cette fois plus intime, plus précis.

Par exemple si elle répond :

« Mes enfants c’est tout pour moi ! Comment vont-ils se débrouiller ? »

En ce cas nous arrivons alors directement à un deuxième palier de cohérence qui sera introduit par une nouvelle reformulation :

« Vous les aimez tellement !? Vous craignez qu’ils ne s’en sortent pas au cas où il arriverait le pire !? »

Nouvelle reformulation, où le praticien exprime qu’il se sent touché par cette profonde confidence. Après confirmation de la part de la patiente, le praticien poursuivra par une nouvelle validation cognitive :

« Avec tant d’amour, je comprends que vous soyez préoccupée par leur devenir s’il arrivait le pire. ».

Les explications techniques, que donnait la gynécologue chirurgienne, viennent alors seulement ensuite. Car, avant, comme nous l’avons vu dans cet exemple, la patiente n’a rien entendu de ce qu’on lui a expliqué, quelle que soit la gentillesse investie, car elle n’avait pas été elle-même entendue au niveau de ses ressentis. Pour entendre il faut qu’elle existe, et pour qu’elle existe il faut qu’elle se sente reconnue et même que le praticien se sente touché par sa présence.

Nous remarquons que le « si » est ici implicite car il aurait été bien lourd de lui dire « Si vous avez tant d’amour, je comprends que vous soyez préoccupée par leur devenir s’il arrivait le pire. ». Rien ne doit être appliqué mot à mot, le bon sens doit toujours primer, ainsi que la créativité. Nous noterons que le praticien se laisse « émerveiller » par cet amour et en témoigne dans sa validation cognitive, comme s’il venait de trouver un inestimable « trésor » au cœur de la psyché de sa patiente.

5.2.4    Questions fermées

La question fermée (celle à laquelle on répond par oui ou par non) a quelquefois mauvaise réputation et on lui préfère les questions ouvertes (celles qui laissent libre d’un développement verbal de son choix).

Face à quelqu’un qui refuse son repas :

« Pour quelle raison vous ne mangez pas ? » est une question ouverte.
« Est-ce que vous préférez ne pas manger ? » est une question fermée.
« Vous préférez ne pas manger !? » est une reformulation.
« C’est parce que vous n’avez pas faim ; que vous n’aimez pas ; que vous vous vous sentez préoccupée ; … ou pour une autre raison ? » est une question à choix multiple.

Qu’elle soit ouverte, fermée, reformulation, ou à choix multiple (QCM), la qualité première d’une question est d’être sans condition de réponse (l’interlocuteur est libre de sa parole). La seconde est d’être sans obligation de réponse (la pensée d’autrui ne nous est jamais due, et il doit toujours être considéré comme un privilège qu’il nous la révèle.

Le problème d’une « question avec condition de réponse » est qu’elle induit le type de réponse que l’on attend. De ce fait l’interlocuteur n’est pas libre de sa parole personnelle (en réalité ce n’est pas une vraie question mais une injonction déguisée poussant l’interlocuteur à dire ce qu’on attend). L’avantage, avec une question ouverte, c’est qu’il peut alors biaiser pour ne pas heurter son interlocuteur, et en même temps ne pas contredire sa propre pensée, se respecter. Avec une question fermée le positionnement en « oui » ou en « non » ne permet pas cela.

Il convient de remarquer que le problème ne se pose plus avec une « question sans condition de réponse ». Dans ce cas précis, la question fermée devient alors un bien meilleur outil que la question ouverte.

Pour quelle raison ? Eh bien la question ouverte mobilise l’intellect pour élaborer la formation de sa pensée, puis le verbaliser. De ce fait, mobilisant l’intellect, elle éloigne l’interlocuteur de sa propre réponse spontanée. Alors qu’avec une question fermée, la réponse en « oui » ou « non » jaillit sans réfléchir. Elle est beaucoup plus authentique, plus proche de la réalité de l’interlocuteur. Ce n’est qu’ensuite que l’on posera une autre question, généralement ouverte, pour inviter à préciser ce qui vient d’émerger.

Exemple de dialogue :

-« Je veux mourir »
-
« C’est mieux pour vous de finir votre vie !? » (reformulation).

-« C’est trop dur ! »
- « D’accord. Qu’est-ce qui est trop dur ? » (question ouverte).

-« Je ne peux plus rien faire, je ne sers à rien, je suis une charge ! »
-« Vous avez à cœur de vous sentir utile et de ne pas embêter !? » (reformulation).

-« Oui, c’est exactement ça. J’ai consacré ma vie à faire plein de choses pour les autres, là ça ne ressemble plus à rien »
- « ça avait du sens, c’était une belle vie !? Vous consacrer aux autres vous a permis de donner le meilleur de vous-même !? » (reformulation).
« Dans toutes ces choses que vous avez faites, quelles sont celles qui vous ont le plus touché ? » (question ouverte).

-« C’était de voir leur sourire quand ils se sentaient mieux ! » (il œuvrait dans une association destinée à aider les enfants ayant subi des violences)
-« C’est une chose que vous avez accomplie, qui a comblé ces enfants et, en retour, cela vous a comblé de les voir ainsi ! » (validation).
« C’est une belle vie ! Vous auriez aimé que cela continue de cette façon !? » (reformulation).

-« Oui » (avec des larmes)
-« La situation a changé. » (constat)
« Vous avez absolument besoin que la vie ait du sens. » (nouveau constat).
« Y-a-t-il quelque chose qui, dans cette nouvelle période de vie, apporterait ce sens si précieux ? » (question fermée)

« Quand je pense à eux, cela me fait du bien ».

Ce cheminement, de questions en réponses et de réponses en questions, conduit à une ressource, sans jamais avoir nié le ressenti initial. Si l’accompagnement des suicidants est hélas souvent désastreux, en dépit de l’humanité des accompagnants, c’est que ceux-ci tentent de détourner le patient de ses ressentis, au lieu de les valider. Dans ce cas le résultat est l’inverse de ce qui est souhaitable, car se sentant seul, incompris, parfois même culpabilisé (« pensez à vos enfants », « pensez à vos parents »), cela porte vers un passage à l’acte ou une récidive.

La validation (telle que décrite dans l’exemple ci-dessus), au contraire, permet de se sentir compris, moins seul (au moins une personne entend) et ouvre une réflexion vers d’autres possibles, d’autres ressources. Être entendu et compris par au moins une personne donne une raison de vivre, alors que n’être entendu par personne (y compris les gens les plus « gentils »), cela donne une raison de plus de vouloir quitter ce monde et ouvre la porte à la récidive.

5.2.5    Questions ouvertes

La question ouverte permet d’accéder à des précisions mais, le plus souvent, ne doit pas arriver en premier. Elle suit souvent une reformulation ou une question fermée.

« Je ne veux pas me laver »
-
« C’est mieux pour vous de ne pas vous laver !? » (reformulation)

« Oui, je ne suis pas sale »
-
« Vous avez envie qu’on vous laisse tranquille ? (reformulation de la réalité qui se manifeste en non-verbal)

« Oui, j’en ai marre »
-
« Qu’est-ce qui vous est le plus pénible ? (question ouverte)

« Depuis que je suis ici, je ne décide plus de rien »
-« C’est insupportable de ne plus décider !? Vous aimeriez décider de nouveau, pouvoir décider de faire comme vous voulez !? Avant vous étiez plus libre de tout ça !? » (trois reformulations à la suite).

« Oui c’est exactement ça »
-
« D’accord. Qu’est-ce qui était le plus agréable dans le fait de pouvoir décider tout ce que vous vouliez ? » (question ouverte permettant à la patiente de trouver un élément distingué qui émerge de tout ça. Cela simplifiera l’expression de la suite, qui sera validée

Un tel échange peut durer une à deux minutes jusqu’à un message de cohérence, puis de revenir à la toilette avec une phrase invitant à la créativité :

« D’un côté avec tout ça vous en avez tellement marre, de l’autre il y a cette toilette qui est nécessaire. Comment pourrions-nous faire pour que cela vous soit le moins désagréable possible ? ».

La patiente ayant été entendue et reconnue sera généralement créative et coopérative, car elle se sent exister, et se retrouve sans risque de se sentir « effacée », en confiance.

Nous remarquerons qu’ici l’on ne dit pas « mais ». « Vous en avez tellement marre, mais il y a cette toilette qui est nécessaire. Comment pourrions-nous faire pour que cela vous soit le moins désagréable possible ? » serait une mauvaise option. Comme nous l’avons vu précédemment, le « mais » n’est pas heureux car il vient un peu d’effacer ce qui vient d’être dit.

On lui préfèrera « en même temps » ou alors « D’un côté… …de l’autre ».

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6    Professionnalisme : Être humain et confiant

Il ne s’agit en aucun cas d’être d’abord professionnel puis, ensuite, si on en a le temps, d’être humain et confiant. « Être humain et confiant » fait partie du professionnalisme. C’est cela qui inspire la confiance du patient, qui est si nécessaire dans les soins. C’est même une donnée fondamentale de l’éthique : humanité et technicité présentes simultanément.

6.1 La confiance se mérite

La confiance de notre interlocuteur à notre égard ne nous est jamais due. Notre métier ou notre titre ne la justifient pas à eux seuls. C’est notre posture qui inspire celle-ci. De plus cette confiance n’est jamais définitivement acquise. Cette posture se résume à être soi-même humble, ouvert, confiant, par avance réjoui des confidences de son interlocuteur. C’est voir l’Être plus que son problème, se sentir ainsi touché plutôt que affecté, ne pas chercher en première instance une solution mais accorder prioritairement de la reconnaissance. C’est accepter son interlocuteur comme ressource, accepter de ne pas savoir à sa place.

La confiance se mérite, mais elle est quasi instantanée et ne nécessite pas une longue approche. Quand l’autre nous rencontre, même si c’est pour la première fois, aussitôt d’un regard, d’une intuition, il « sait » s’il a confiance.

Dans des situations complexes où il y a un contentieux, soit directement de l’autre avec soi, soit de l’autre avec l’institution ou le métier que l’on représente, cela peut nécessiter un peu plus de temps. Par exemple quand le psy vient voir le patient dans un service de soins, souvent ce dernier est réticent en ce sens où, traditionnellement, dans sa représentation « le psy s’occupe des fous ».

De ce fait il peut y avoir un temps plus ou moins long d’approche, dans lequel le praticien entendra, validera ces ressentis, puis seulement ensuite resituera la réalité.  Ceci, qui peut se produire par rapport au psy, peut survenir dans n’importe quelle profession (avocat, vendeur immobilier, commerçant, policier, juge, garagiste, directeur, cadre… etc). La posture décrite dans ces lignes est utile dans toute activité où l’on est en rapport avec autrui.

6.2 Confiance de Soi envers l’autre

La confiance de l’autre envers soi se produit d’autant mieux qu’il y a une confiance de soi envers l’autre. Cette confiance naturelle de soi envers l’autre vient spontanément du fait que notre attention se tourne prioritairement vers l’Être. Cela constitue une rencontre d’humanité qui, spontanément, nous touche (et non nous affecte). Nous nous retrouvons alors dans une sorte de « chez nous d’humanité » dont on ne sait rien, mais qui nous est pourtant familier.

Ce « chez nous d’humanité » est sans doute ce dont Carl Rogers voulait parler quand il nous évoquait l’empathie (un espace transcendé où chacun perçoit l’autre, comme il l’énonça vers la fin de sa vie). Ce « chez nous d’humanité » est sans doute le lieu du « semblable » que l’on rencontre, grâce au fait que l’on accueille pleinement sa « différence ». Le « semblable » et sa « différence » constituent un magnifique paradoxe qui fonde notre confiance.

Dans ce « chez nous d’humanité », nous connaissons déjà ce que nous ne savons pas encore. Il y a comme une sensation de « familier » et d’« ignorance » qui se côtoient. « Co-naître » c’est « naître ensemble », alors que « savoir » c’est disposer de données intellectuelles. « Savoir » est étymologiquement proche de « saveur, sapidité ». Le goût, la découverte… une forme de gastronomie de la pensée, qui se partage entre des Êtres qui ne savent quasiment rien l’un par rapport à l’autre… mais dont l’humanité réciproque leur est familière. Ce partage en devient quasi festif. Ce « chez nous d’humanité » nous est « familier », sans qu’il n’y ait pour autant aucune « familiarité ».

Être ainsi avec l’autre porte naturellement et instantanément l’autre à être ainsi avec nous. Les cerveaux se synchronisent en 1/20.000e de seconde (donnée neurologique établie expérimentalement)*. Cela ne se fabrique pas… « c’est ». C’est même finalement notre état naturel, car nous sommes naturellement « humains ». Nous le sommes naturellement, pourvu que cela n’ait pas été malencontreusement éteint en nous ! En effet, dans ce cas, cela « n’est pas …et ne peut se fabriquer artificiellement ». Une restauration de cette qualité naturelle devient alors nécessaire, souvent au niveau de la confiance en Soi.

* Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner Albin Michel Poche, 2012, p.67 à p.78

 

Cette dimension, et cette disposition naturelle, avaient été clairement pointées par Abraham Maslow :

« Nous en arrivons à ce paradoxe que nos instincts humains, du moins ce qu’il en reste, sont si faibles qu’ils doivent être protégés contre la culture, contre l’éducation, contre l’apprentissage – en un mot contre le risque d’être étouffés par l’environnement. » (2008, p119).

« D’ailleurs d’autres impressions, plus vagues encore, me dictent que la communication facilitée par l’usage de la langue ontique s’accompagne d’une grande intimité avec l’interlocuteur, du sentiment de partager des loyautés communes, d’œuvrer pour un même objectif, d’être en ˝sympathie˝, de ressentir comme un lien de parenté avec lui, d’en être en quelque sorte coresponsable » (2006, p.273).

Ainsi que la dimension exceptionnelle de contact avec l’autre :

« J’ai parlé de perception unifiée, désignant par-là la fusion du domaine de l’Être et du domaine des déficiences, la fusion de l’éternel et du temporel, du sacré et du profane, etc. » (2004, p.150).

6.3 Confiance en Soi

La confiance en l’autre sera facilitée par une confiance en soi. Mais qu’est-ce que la confiance en soi ?

Notre culture invite surtout à la « maîtrise de soi ». C’est une vieille histoire du « mauvais qui est en nous » : jadis le Démon à conjurer, aujourd’hui l’inconscient, à vaincre, à contrôler, à corriger etc. Il en découle une culture de la purification qui conduisit les anciens jusqu’à l’exorcisme …et nos contemporains vers la catharsis* grâce à diverses techniques de « nettoyage psy ». Rappelons-nous que le DSM IV-TR (manuel statistique et diagnostic des troubles mentaux – Masson 2003) stipule page XXXV qu’un trouble reflète un dysfonctionnement biologique ou mental (et qu’il convient donc d’y apporter la juste correction chimique ou psychothérapique).

*Catharsis vient du grec katharsis « purification ». Selon Aristote, c'est un effet de « purgation des passions » produit sur les spectateurs d'une représentation dramatique. En psychanalyse, c'est une réaction de libération ou de liquidation d'affects longtemps refoulés dans le subconscient et responsables d'un traumatisme psychique En psychanalyse, on parlera aussi d'abréaction: brusque libération émotionnelle; réaction d'extériorisation par laquelle un sujet se libère d'un refoulement affectif (définitions du petit Robert). 

Joseph Breuer (1842-1925) repris le terme de catharsis pour désigner l'effet salutaire du rappel à la conscience d'un événement traumatique refoulé (définition du Dictionnaire usuel de la psychologie - Bordas).

Notre culture ancestrale et contemporaine propose « corrections et purifications », mais assez peu « accueil et reconnaissance ». La psychologie positive (apparue dans les années 70 et développée dans les années 90) commence à valider ces nouvelles options en invitant le patient à mobiliser ses propres ressources, à avoir confiance en la qualité de ce qui est en lui (voir la publication « Psychologie positive » de avril 2012).

Ceux qui enseignent la discipline positive dans l’éducation citent ce peuple qui, lorsqu’un jeune a un comportement déviant, le met au milieu de la place du village, invite les habitants à se disposer autour … et demande à chacun de lui dire une belle chose qu’il voit en lui. Voilà leur option intéressante pour gérer la délinquance. Voir le bon et le beau en l’autre (comme le propose aussi Frans Veldman, père de l’Haptonomie [1989, p.45]) assure naturellement la promotion du meilleur qui est en lui.

Toute la délicatesse, évoquée au cours des lignes précédentes, vaut aussi pour l’attention que l’on s’accorde à soi-même ! Il ne s’agit pas de se maîtriser, ni de se dominer, ni de se dépasser (car qui se dépasse ne se rencontre pas) …mais d’être attentionné à Soi. Certes, il y aura maîtrise de ses actes (car ceux-ci se doivent de respecter autrui), mais pas maîtrise de Soi. S’il doit y avoir un contrôle ce ne sera pas sur Soi, mais sur ce qu’on fait.

Le premier point pour avoir un meilleur contrôle sur ce qu’on fait, ce n’est pas tant de se polariser sur ce qu’on fait, c’est de déterminer « vers où dirigeons-nous notre attention ». Qui veut conduire correctement commence par regarder la route et la direction dans laquelle il va (ainsi ses mains guident naturellement le volant dans la bonne direction). Pareillement, qui veut bien communiquer commence par privilégier l’Être au niveau de son attention … et le reste suit naturellement. Qu’il s’agisse de l’autre ou de soi-même, la règle est de même nature. La considération que l’on s’accorde à Soi est source de celle que l’on saura accorder à autrui.

Cela est d’autant plus important que la confiance en l’autre découle de la confiance en Soi, en même temps que la confiance en Soi découle de la confiance en l’autre. Sans doute il y a un peu de l’autre en nous et un peu de nous en l’autre : comme nous l’avons vu précédemment, un socle d’humanité qui nous est commun, une sorte de « chez-nous d’humanité » qui nous est familier, et dont pourtant on ne sait rien. Une « co-naissance », comme un dénominateur commun où « l’on connait déjà ce qu’on ne sait pas encore ».

Cela guide naturellement nos pas vers l’autre de la meilleure façon, autant que vers soi-même. La confiance en Soi vient de notre confiance en l’humain. La générosité de nos actes est d’autant plus opérationnelle que nous activons cette posture vis-à-vis de Soi avant d’aller vers l’autre.

Il s’agit de ne pas confondre la « confiance en Soi » avec « la force du moi (ego) » tout puissant, plein de munitions, auteur des contrôles, dont Sigmund Freud lui-même disait que sa mission est de gérer astucieusement les problématiques de proies et de prédateurs (Freud, 1985, p55-56).

Il s’agit de bien comprendre que cette confiance vient du Soi, dont Carl Gustav Jung nommait le déploiement « individuation » (devenir qui l’on est) :

« Je constate continuellement que le processus d’individuation est confondu avec la prise de conscience du Moi et que par conséquent celui-ci est identifié au Soi, d’où il résulte une désespérante confusion de concepts. Car, dès lors, l’individuation ne serait plus qu’égocentrisme […] On pourrait donc traduire le mot d’individuation par réalisation de son Soi » » (1973, p457).  

Il définissait également la névrose comme un « état de désunion d’avec soi-même » (p.459).

Le Soi représente qui l’on est, notre point d’appui essentiel, notre ressource, notre socle d’humanité et de sensibilité. On peut se méfier du moi (outil stratégique proies/prédateurs), mais pas du Soi (nature profonde des Êtres). Le moi gère le psychosocial et le développement, le Soi gère l’existentiel, l’ontique et le déploiement.

6.4 La confiance de l’autre vers Soi

Pour qu’un patient reçoive un soin de la meilleure façon, il est souhaitable qu’il soit en confiance vis-à-vis du praticien ou du soignant qui lui délivre ce soin.

Je pense à ce chirurgien qui devait opérer de la thyroïde une personne de mes connaissances. Cette opération était plus que délicate, car selon l’habileté technique du praticien, le patient pouvait aller jusqu’à en perdre définitivement sa voix. La confiance est alors ici un enjeu particulièrement important.

Le chirurgien avant l’opération va voir cette personne et lui demande (avec un non verbal empli d’humanité) « Est-ce que vous me faites confiance ? ». Toujours avec la même délicatesse, devant l’étonnement du patient il précise « Je ne peux vous opérer que si vous me faites confiance ». Ce praticien considérait vraiment le patient comme un partenaire, et s’en remettait à lui avec confiance et humanité. De ce fait le patient a eu l’élan naturel de lui dire « Je vous fais confiance ». Ce praticien a alors répondu « Je peux vous opérer ».

Cette humanité est une zone qui est familière à tous. Quand on s’y trouve la confiance s’établit naturellement et réciproquement. Cette zone d’humanité nous est familière mais ne comporte pas de familiarités. Les familiarités au contraire jouent sur l’affect (voire sur la manipulation), alors que cette humanité joue sur la sensibilité et sur ce qui nous habite tous, tout en laissant à chacun sa singularité.

6.5 Moins fatigué, plus professionnel

Sans doute un des meilleurs indicateurs de la justesse de notre posture se trouve dans notre dépense d’énergie.

Lors d’un échange, plus cet échange nous fatigue, voire nous épuise …plus cela indique que nous sommes en train d’engager « une énergie contre » (contre la situation, contre l’autre, contre des pensées, contre ses inquiétudes, contre ses ressentis). Cela indique que nous ne sommes pas « avec notre interlocuteur » et que nous avons malencontreusement pris l’option d’« une bataille contre quelque chose », parfois pire encore : une « bataille contre lui ».

Dans le champ de la confiance qu’on lui accorde, le patient va naturellement avec confiance vers celui qui s’occupe de lui. Ainsi que nous l’avons vu il ne s’agit pas de soumission mais de partenariat.

En plus de la qualité du soin technique qui est prodigué, cet instant d’humanité fait partie intégrante du soin et contribue à la qualité du résultat. Le praticien ou le soignant qui ignorerait cela ne serait pas aussi professionnel qu’il est censé l’être, car cela fait partie intégrante du professionnalisme.

Thierry TOURNEBISE

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Bibliographie

Cyrulnik Boris, Bustany Pierre, Oughourlian Jean-Michel, André Christophe, Janssen Thierry, Van Eersel Patrice
Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner Albin Michel Poche, 2012

Feil, Noami
-Validation mode d’emploi – Techniques élémentaires de communication avec les personnes atteintes de démence sénile de type Alzheimer – Editions Pradel 1997

Freud, Sigmund
- Le narcissisme – Tchou Sand 1985

Grivois, Henri
-Parler avec les fous - Les empêcheurs de penser en rond 2007

Jung,  Carl Gustav 
-Ma Vie - Folio – Gallimard 1973

May Rollo (and all)
-Psychologie existentielle – Epi, 1971
-Le courage de créer -Marcel Broquet, 2009

Mill, John, Stuart
-L’utilitarisme – Flammarion, Champs classiques, 1988

Maslow Abraham
-L’accomplissement de soi – Eyrolles, 2004
-Etre humain - Eyrolles, 2006
-Devenir le meilleur de soi-même – Eyrolles, 2008

Veldman, Frans
-L’haptonomie, science de l’affectivité – PUF, 1989

Winnicott, Donald Wood
 -Jeu et réalité - Folio Gallimard 1975  

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Dictionnaires, Manuels

Le ROBERT  Dictionnaire Historique de la langue française
-Alain Rey - ROBERT -Paris 2004

Dictionnaire usuel de psychologie
Sillamy – Bordas1993

Grammaire du Français
Robert Léon Wagner Jacqueline Pinchon - Hachette

DSM IV-TR
-Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux- Masson, 2003

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Liens

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Liens externes
Barbara Andersen
Journal of clinical oncologie n°22 - sept 2004
http://ascopubs.org/doi/full/10.1200/JCO.2004.06.030

Pr Albert Mehrabian
Wikipédia