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Inhabituelle "tranquilité'

S'enfermer - "sans faire" aimer  - s'ouvrir

29  mars 2020   -    © copyright Thierry TOURNEBISE

ABONNEMENT LETTRE INFO gratuite

Pandémie mars/avril 2020
Accompagnement du confinement 

Nous vivons une situation hors du commun ! Ayons d’abord une pensée de cœur envers les victimes du covid-19 et leurs proches. Puis soyons en profonde gratitude envers les soignants qui s’investissent et s’exposent pour donner des soins et sauver des vies, envers tous ceux qui travaillent à la production agricole, à la caisse d’une grande surface, aux transports routiers, aux livraisons, dans une épicerie, une vente de primeurs, dans une pharmacie, dans le ramassage de nos déchets, dans l’entretien des communs, la production de l’eau, de l’électricité etc… Tous font que le confinement sanitaire demandé bénéficie de services sans lesquels la situation serait bien pire. Bien que démuni de nos multiples habitudes, n’oublions pas que nous sommes encore pourvus de beaucoup de choses !

Nous pouvons ensuite voir ce qui se passe en nous du fait de cette sorte « d’assignation à résidence ». Assignation à cause de cet hôte viral. Un hôte, minuscule, intrusif, que nous n’avons pas invité, mais qui visite toute l’humanité de la planète. Tous nos repères changent. Outre les difficultés matérielles (notamment financières) qui peuvent en résulter, dont certaines seront atténuées par le gouvernement… tout ce temps soudainement disponible, saurons-nous l’habiter ? Au-delà du possible service à autrui, comment allons-nous le vivre ? Saurons-nous en éprouver une heureuse expérience, une opportunité de « plus d’être », une nouvelle ouverture de la conscience vers soi-même et vers le monde ? En fait chacun de nous fera pour le mieux. Personne ne sait à l’avance ce qui en résultera pour lui. Personne n’est censé se sentir plus fort que les autres. Chacun va modestement découvrir ce qui se passe en lui : dans son cœur, dans son foyer, dans sa ville, dans son pays, sur la planète, chacun découvrira ainsi ce que l’humain fait de cette circonstance inattendue.

Confinés, concernant l’aspect corporel, il est important d’entretenir une dynamique de vie (continuer à se lever assez tôt, faire sa toilette, s’habiller, avoir une activité physique suffisante, une hygiène alimentaire, réaliser son éventuel télétravail… etc). Il s’agit surtout d’être en « respect de soi ». Que cette discipline ne nous éloigne pas de notre rythme naturel : ce rythme, nous sommes invités à mieux l’identifier, à être plus en accord avec ce qui nous correspond, et justement à sortir de ce qui nous en éloigne abusivement. Nous sommes invités à trouver des repères nouveaux, plus justes, plus authentiques. Toutefois, si ce côté matériel est important, le phénomène psychologique l’est aussi. En plus des contacts avec ses proches grâce au téléphone ou à Internet… que se passe-t-il pour soi-même, au cœur de notre psyché ? 

 

Sommaire

1 Unis vers Collaborer avec la Vie
- Microcosme du faire et de la consommation – Macroscopique et étrange phénomène

2 L’expérience inattendue du Chez-soi
- Le vécu hors du commun de Jose Mujica – Notre humble vécu - S’enfermer pour mieux s’ouvrir – Un retour à la maison

3 Vers un « chez-nous d’humanité »
La réalité – Le Réel et le chez-nous d’humanité – Connexion à soi et à autrui – De possibles décompensations – Concernement avec le monde – Corps et âme

Pool d'écoutants bénévoles

Poème


Bibliographie du site

 

1.Unis vers… collaborer avec la Vie

1.1.  Microcosme du « faire » et de la consommation

Le quotidien qui tournait autour de la consommation se trouve bouleversé. Les loisirs, les voyages, les achats, les compensations, les compétitions, les projets, les plannings surchargés… Pendant ce temps suspendu du confinement, tout cela se retrouve obsolète, étrangement évaporé.

Le temps habituellement si rempli, souvent cruellement insuffisant… se retrouve désormais cruellement trop abondant. Il ne semble alors qu’aucune de ces deux extrêmes ne nous convienne !

Si nous étions, tels les sages hédonistes, non pas en train de courir après ce qui nous fait plaisir, mais en capacité de nous ouvrir au bonheur que nous offre potentiellement chaque chose et chaque instant, nous serions probablement perpétuellement comblés ! Or, nous devons bien le reconnaître, notre propension à rechercher ce qui nous fait plaisir est plus développée que cette humble capacité à « simplement recevoir le bonheur offert par chaque chose qui se manifeste à nous ».

Saurons-nous vivre ce temps comme une magnifique opportunité de nous laisser remplir par la douceur d’une ressource qui peut s’y trouver ? Non pas y trouver un plaisir au sens égoïste du terme, mais au sens d’honorer la vie, de s’en rapprocher, de la retrouver plus intimement, libres des turbulences qui nous la font trop souvent oublier, tant autour de nous qu’au plus profond de nous.

1.2.  Macroscopique et étrange phénomène

Nos pensées ne peuvent que légitimement s’attrister devant cette souffrance éprouvée par tant de victimes. Nous compatissons de tout cœur. Il se trouve en même temps d’étranges et heureux phénomènes, dont il pourrait sembler impudique de se réjouir... et pourtant :

- Le monde entier se fédère autour d’une visée commune.

- « L’Humain » passe soudain ouvertement avant les « impératifs économiques ».

- Les soignants sont pleinement reconnus comme œuvrant dans un métier majeur.

- Les agriculteurs sont pleinement validés comme essentiels à la vie de chacun.

- Et aussi :

La pollution se trouvant très fortement réduite, la mortalité qui lui était associée chute de façon vertigineuse. Rien qu’en Chine, pendant ce temps suspendu, on aurait constaté que 77.000 personnes, qui seraient habituellement mortes de la pollution, ont eu leur vie épargnée*.

*Forbes de  mars
« 20 fois plus de vies sauvées de la pollution que de vies tuées par le virus »
https://www.forbes.fr/environnement/confinement-la-reduction-de-pollution-pourrait-sauver-plus-de-vies-que-le-virus-nen-menace/?cn-reloaded=1
https://www.forbes.com/sites/jeffmcmahon/2020/03/16/coronavirus-lockdown-may-have-saved-77000-lives-in-china-just-from-pollution-reduction/#4fd053ff34fe  

l’Obs
« En Chine, la baisse de la pollution va épargner plus de vies humaines que le virus en aura coûté »
https://www.nouvelobs.com/planete/20200314.OBS26038/en-chine-la-baisse-de-la-pollution-va-epargner-plus-de-vies-humaines-que-le-virus-en-aura-coute.html

Pr Marshall Burke qui a effectué des recherches sur les risques climatiques nous confirme ces données, mais reste prudent pour ne surtout pas laisser entendre que le virus c’est mieux que la pollution !
https://www.youtube.com/watch?v=CrmhUwQTiuk  

Comme le précise le Pr Marshall Burke*, ne laissons surtout pas entendre que le virus serait moins grave que la pollution, mais cela va conduire à des réflexions nouvelles concernant la pollution, le climat, l’écologie, la santé, la considération envers l’humain… et cela est plutôt de bon augure.

*Assistant Professor, Dept. of Earth System Science, Deputy Director, Center on Food Security and the Environment Stanford University

Nous sommes ainsi à la fois effarés par la gravité de la situation, et touchés par ces données nouvelles très précieuses. Alors que cela fait longtemps qu’on parle de climat, de pollution, de santé, nous avons ici une réalité tangible qui précipite et étaye notre réflexion. On peut espérer que ces données concrètes vont nous conduire vers plus de conscience…peut-être plus de sagesse ?

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2.L’expérience inattendue du « chez-soi »

2.1.  Le vécu hors du commun de Jose Mujica

Avant d’aborder ce que représente ce temps suspendu du « chez-soi », nous ne pouvons pas ne pas prendre en compte l’expérience de Jose Mujica*, ex-président de l’Uruguay (de 2010 à 2015). Nous devons ce témoignage à Yann Arthus Bertrand, dans son film Human librement disponible sur YouTube. Outre que ce film nous offre de découvrir le ressenti intime de nombreux Êtres Humains à travers la planète, nous y trouvons le témoignage de Jose Mujica qui, en termes de confinement a vécu l’impensable (10 ans de réclusion, dont 7 sans avoir ne serait-ce qu’un livre). Il nous explique comment le fait d’« être un ami pour soi-même » est indispensable en pareille situation, et comment il a su en retirer une philosophie de la vie (sobriété) qui se doit d’être entendue en cette période de « chez-soi contraint » que nous vivons :

*A voir absolument pendant cette lecture :
José Mujica  https://www.youtube.com/watch?v=myzYPjLiieI

Et si vous souhaitez accéder au film complet, en trois volets (à voir après cette lecture) : https://www.youtube.com/playlist?list=PL6VtZr9AUGWNAgGYzDoOjIA3dw2_uJhR2  

Son témoignage nous rend très humble. Il nous permet de relativiser, et aussi de nous interroger plus profondément sur cette amitié intime que nous avons (ou pas) avec nous-mêmes. Celle-ci, loin de l’ego, nous rend plus existant, plus stable, ainsi plus en capacité de rencontrer autrui et plus sensible au monde, à la planète, à la Vie.

2.2.  Notre humble vécu

Ce « chez-soi contraint » (confinement durant cet épisode coronavirus), comporte finalement beaucoup de liberté par rapport à la réclusions vécue par Jose Mujica. Il est à notre mesure : il nous procure à la fois un inconfort suffisant pour nous interroger, et néanmoins un confort aussi suffisant pour nous rendre la situation supportable (nous disposons d’électricité, d’eau, de ravitaillement, de téléphone, d’Internet, de télévision, de soins possibles, nos déchets sont ramassés... etc.)

Certes, il y a des décès, des deuils, des angoisses matérielles, des contaminations. Pour les personnes directement concernées la pénibilité est considérable. Ne sous-estimons pas cependant qu’en situations bien plus tranquilles, en « confinement ordinaire », il peut aussi se passer des phénomènes psychiques très importants.

Hors des gravités que je viens d’énoncer, il peut émerger des angoisses, des souffrances psychologiques hors du commun. L’arrêt des compensations peut conduire à « décompenser », et lorsque l’on se trouve « désabusé » (que l’on n’est plus abusé par de nombreux leurres) ce qui apparaît peut ressembler à un tsunami émotionnel. L’inconfort matériel, lui on s’en débrouille. Mais ces ressentis psychiques profonds et douloureux, on ne sait généralement qu’en faire. Et les anxiolytiques ou antidépresseurs ne sont pas toujours la meilleure solution (même si dans certains cas ils peuvent rendre service).

Nous avons là toute la problématique de la Vie et de l’énergie. L’énergie et le faire diminuent… pour que la Vie, et le plus d’être qui l’accompagne, se révèlent. L’état dépressif est souvent cette étape intermédiaire où l’énergie et les motivations se sont effondrées et où la Vie et l’être ne se sont pas encore révélés.

Sur ce site, vous trouverez les publication de mai 2016  « Vie et énergie », de mars 2015 « Addictions et bonheur », de juin 2002  « Dépression et suicide ». Évoquant ces phénomènes de l’être et du faire, elles permettent de mieux comprendre et de mieux accompagner en évitant les pièges si fréquents en pareille situation.

Il se trouve que la Vie c’est « être » et que l’énergie c’est « faire ». Si toutefois les deux ont leur place, il arrive néanmoins qu’une grande énergie disponible conduise à « faire plus » (et de plus en plus) quand on peine à être. Le jour où le « faire » s’arrête, s’effondre (baisse d’énergie, accident, maladie, crise sanitaire), un insupportable vide d’être se révèle. Non pas que « nous ne soyons pas ». Mais celui que nous sommes est (au moins en partie) en sommeil, non déployé, parfois enfoui dans des oubliettes, en attente d’être à nouveau considéré par la conscience qui alors choisit de ne plus s’en détourner.

Cependant, il ne suffit pas de le vouloir pour le pouvoir, car ici ce n’est plus l’énergie qui est opérante, mais au contraire sa mise en veille (voir publication de mars 2020 « Si vouloir éloigne de la finalité »).

Quelques situations de la vie sociale nous conduisent déjà à une telle expérience où nous sommes invités à « toucher la Vie » de plus près grâce à un « changement au niveau du faire » : en cas d’accident ou de maladies qui nous immobilisent ; en situation de chômage où, au-delà de la situation financière, les routines du faire sont impactées ; au passage à la retraite, où le faire habituel disparaît ainsi que le statut social professionnel. Dans ce dernier cas, le vide est souvent géré par une hyperactivité où les plannings des retraités sont pires que ceux des professionnels ! Or toutes ces situations sont les opportunités d’un « plus de Vie », d’un « oser être au monde », d’une rencontre avec soi-même plus intime, d’une nouvelle sensibilité existentielle, d’une nouvelle ouverture de conscience envers les autres et envers le monde. Il n’est hélas pas culturellement proposé d’y voir de telles opportunités ! Trop souvent l’occupationnel prend le dessus. Nous sommes alors portés à une sorte d’évitement de ce qui frappe à la porte de notre conscience. Il se trouve que dans le cas de ce confinement… cela touche tout le monde en même temps !

2.3.  S’enfermer pour mieux s’ouvrir.

Bien plus que de rester enfermé dans les murs de notre habitation, il y a comme une invitation à s’ouvrir à soi-même et à ses proches immédiats. Nous bénéficions là d’une sensibilité existentielle que l’agir tumultueux ne permet pas, et dont « l’avoir » et le « faire » exacerbés nous ont discrètement éloignés.

Le confinement n’est alors pas un enfermement abominable, mais une occasion d’ouverture. Le « chez-soi » que l’on est ainsi invité à redécouvrir va bien au-delà des murs de notre logement. Il propose une redécouverte de soi, de ses proches… et même de l’humanité qui est en nous et chez autrui. Les peuples du monde sont presque tous concernés en même temps, presque fédérés autour d’une même chose, d’une même cause. Ils se retrouvent en nécessité d’unir leurs compétences, leurs efforts, de se considérer réciproquement.

Fait nouveau : pour mieux se respecter mutuellement, une « distance sociale » devient souhaitable. Certes c’est temporaire, mais nous devons apprendre à nous « connecter à distance ». Il n’y a plus de réunions, les poignées de mains et les embrassades deviennent même des incivilités. Chacun reste dans sa maison, et quand il sort se tient au moins à un mètre cinquante de son interlocuteur. Fini les discussions à bâton rompu. Serions-nous en train de passer à la considération, à une potentielle profondeur… ? A des échanges essentiels ? Probablement. Mais avant d’en arriver là… le parcours se dessine à travers bien des désagréments.

Rien de tel que de voir disparaître ce qui nous semblait naturel pour découvrir à quel point c’était si précieux. Nous oublions trop souvent que rien ne nous est dû. Nous perdons sans nous en rendre compte, progressivement, la capacité de goûter les saveurs offertes par la Vie.

2.4.  Un retour à la maison

Ce retour à la maison se fait donc au sens propre, mais aussi au sens figuré. Cet enfermement physique invite à une ouverture psychique. Chacun de nous, faisant au mieux, est invité avec humilité à retrouver une intimité du cœur, une présence à soi, une présence à autrui. Simplement à « oser être ».

Simplement ? Oh ce n’est pas si simple, il peut aussi y avoir des ratés, pareillement à un moteur qui peine à se remettre en marche, sans doute un peu rouillé. Paraître, faire, agir, avoir des projets (pro-jets : ce que l’on jette devant soi pour ensuite courir après) ça c’est opérationnel, c’est bien huilé. Mais « oser être », c’est nouveau. Il ne s’agit pourtant que d’une chose naturelle, presque ordinaire. Mais nous l’avons laissé si longtemps de côté, le confondant avec le paraître, avec les paillettes plus ou moins clinquantes. Courant après « l’estime de Soi », nous n’avons pas vu que le Soi est inestimable. Nous nous sommes perdus dans quelques improbables valorisations. Par là même, nous nous sommes discrètement déchus de notre profonde inestimabilité. Nous sommes en réalité hors du champ des  valeurs car les plus grandes valeurs resteront toujours en dessous de l’inestimable (voir la publication d’avril 2014 « L’estime de Soi – et l’inestimable de Soi »).

En fait il ne s’agit pas de quelque chose de nouveau, mais de quelque chose que nous retrouvons. Un retour aux racines, un retour à la maison existentielle qui nous est familière, un retour à la Vie. Curieusement, d’un côté nous l’avons un peu oubliée… de l’autre elle nous reste familière.

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3.Vers un « chez-nous d’humanité »

3.1.  La réalité

La « réalité », c’est le monde sensoriel dont notre intellect sait se faire une représentation. C’est la zone opérationnelle et historique, bien identifiée dans le temps et dans l’espace. C’est celle des événements et des circonstances, pensables, gérables, mémorisables, partageables. C’est la zone objectivable. De façon habituelle, nous savons plus ou moins nous en débrouiller, d’autant que nous aimons les défis.

Cette « réalité » est un « chez-nous du temps et de l’espace » où il faut solutionner les problèmes d’énergie, investir des astuces, tirer son épingle du jeu. Il s’agit à cet endroit de gérer notre survie au sens biologique du terme. La « réalité », c’est ce que nos organes des sens perçoivent et ce que notre pensée sait se représenter. C’est ce que notre intellect va ajuster pour optimiser notre existence corporelle et sociale.

Tout cela a de l’importance, mais peut aussi nous emmener loin d’un autre « endroit » tellement essentiel : le Réel avec son « chez-nous d’humanité ».

3.2.  Le Réel et le chez-nous d’humanité

La réalité est « objective » (elle concerne les objets), le Réel est « subjectif » (il concerne les sujets). Si nous souhaitons utiliser le mot « réalité », nous pouvons dire que le Réel est une sorte de « réalité subjective ». Le Réel est notre source. C’est là que se trouvent les commandes de l’existence. Nous ne savons rien de lui, mais nous le reconnaissons… il nous est familier. C’est vraiment une sorte de « chez-nous », en dehors de toute croyance, de tout échafaudage intellectuel. Le vécu y est de nature « expérientielle », alors que la réalité, elle, se vit de façon « sensorielle ». Le « chez-nous d’humanité » est dans ce Réel qui nous est bien plus intime, plus familier que la réalité.

C’est une zone existentielle décontextualisée (hors événements, hors espace, hors temporalité). Notre intellect ne sait ni l’analyser ni se la représenter, car ce n’est pas sa zone opérationnelle. Le besoin d’objectiver, très pertinent au niveau de la réalité, a fait que notre attention s’est plus ou moins détournée de cette dimension et sa capacité à percevoir le Réel s’éteint.

Cela a de quoi nous surprendre : nous « connaissons » (être avec) ce que nous ne « savons » pas (sans accès cognitif). Pour rendre ce « Réel » plus accessible, notre conscience peut alors avoir besoin d’une baisse de ce qui en parasite la perception : une baisse du sensoriel en faveur de l’expérientiel.

Pour contacter ce « chez nous d’humanité », une diminution des stimuli est aidante.  Sans aller jusqu’à une privation sensorielle trop forte, une simple diminution des sollicitations peut être salutaire. Dans cette période de confinement, nous remarquons qu’un des éléments les plus surprenants est le silence qu’« on entend » à l’extérieur… puis passé la surprise de ce silence, nous entendons les bruits de la nature habituellement en arrière-plan, notamment les chants des oiseaux. Ce changement du « paysage sonore » nous surprend, parfois nous inquiète. Pleinement écouté, il peut nous remplir, nous rapprocher de cette nature qui nous héberge et que nous oublions sans y prendre garde. Nous lui devons pourtant d’être au monde. Nous sommes en elle, autant qu’elle est en nous. Se dessine alors un accès possible au Réel, au « chez-nous d’humanité » qui devient cognitivement accessible, représentable, partageable.

3.3.  Connexion à soi et à autrui

Il peut en résulter une connexion à Soi (l’inestimable de Soi) : remédiations intérieures (considération, reconnexions) et déploiement de qui l’on est*. Oser ce que l’on éprouve, ce qui nous vient à l’esprit, ce qui est en cohérence avec qui l’on est intimement. Être à la fois hors de toute soumission, mais profondément ouvert au monde, à autrui. Il y a comme une chose mystérieuse à cette découverte du « familier » dont on ne sait rien… mais que l’on reconnaît.

*Ne pas confondre développement (du moi, de la personnalité) et déploiement (du Soi).

Ce retour au « chez-soi », débouchant sur un « chez-nous », permet de telles avancées et ce pourrait être un effet positif du confinement. Ce « chez-nous d’humanité » n’est ni chez l’autre, ni chez soi, mais constitue un endroit familier pour soi et pour autrui en même temps. Jamais d’intrusion, ni d’indélicatesse, ni de pouvoir, mais une présence partagée non invasive, respectueuse, savoureuse. On rencontre alors le semblable en l’autre, riche de sa différence. Ce paradoxe du semblable et de la différence est magnifique. Il nous permet de nous découvrir réciproquement.

Malheureusement, des difficultés déjà existantes peuvent aussi s’hypertrophier. Il se peut alors que le quotidien ne soit pas idyllique en étant à plusieurs confinés sous le même toit. Rencontrer le semblable en l’autre à travers sa différence n’est pas toujours aisé ! Entre conjoints, avec les enfants, il y a parfois des contentieux, des tensions, qui rendent cette occasion bien difficile à saisir. Par exemple, sur Paris, le confinement entraîne 36% de violences conjugales en plus. Il peut rester difficile pour certains de se découvrir, de se révéler et de rencontrer le meilleur d’eux-mêmes. Un temps de communication, de présence, d’écoute, de découverte, de considération, de parole, de silence… pour se trouver enfin, au-delà des malentendus si lourds, si étranges, si désespérés (voir la publication de février 2019 « Vivre son couple »)

N'oublions pas cependant que ce qui est difficile avec autrui peut également l’être avec soi-même (c’est même cela qui est la source de la difficulté avec autrui).

3.4.  De possibles décompensations

Ce temps disponible est tellement inhabituel et la transition si brutale qu’il peut aussi se produire des effondrements, des anéantissements, des angoisses, d’insoutenables sensations de vide. C’est le phénomène de la dépression qui se produit quand plus aucune énergie ne permet de masquer le vide que nous sommes habituellement portés à fuir du fait de son inconfort. Nous oublions hélas que ce vide qui se révèle est un « vide de Soi ». Non pas parce que nous n’existons pas, mais parce que nous nous sommes éloignés de l’humanité qui nous constitue. C’est alors comme une invitation à ce retour à « notre intime humanité ».

Pour remédier à ces effondrements et favoriser ce « retour à Soi et au monde », nous avons besoin qu’un tiers se réjouisse de nous rencontrer, nous accorde sa confiance, en éprouve du bonheur. C’est sans doute le remède le plus efficient, bien plus que « tous ceux qui veulent nous changer ». Nous n’avons surtout pas besoin d’être changés alors que nous n’arrivons pas à « juste oser être », que nous sommes en désespérante attente d’être simplement rencontrés, d’être source de bonheur pour quelqu’un. Nous avons juste besoin que notre simple présence soit un bonheur pour l’autre (voir la publication de février 2017 « Réjouissance thérapeutique »)

3.5.  Concernement avec le monde

Il y a comme « une intuition du monde » que nous éprouvons depuis toujours, mais à laquelle nous ne faisions guère attention (nous y sommes rarement encouragés). En situation confinée, notre attention se trouve bien moins dispersée et bien des vécus éprouvés refont surface les uns après les autres et accèdent à notre conscience, nous invitant à une prise en compte plus profonde de soi et d’autrui.

En situation habituelle, seules les personnes dites « psychotiques » ont cette intuition de vastitude et de concernement avec l’entièreté du monde (voir la publication d’octobre 2012 : « Mieux comprendre la psychose »). Il ne s’agit surtout pas de devenir psychotique, mais il est regrettable que ce soient des personnes dites « en pathologie » qui se révèlent les plus conscientes de cette dimension de concernement. Cette sensation est souvent pour eux bien encombrante, en ce sens qu’ils ne peuvent ni l’énoncer, ni la penser, mais l’éprouvent profondément. 

Soi, autrui, la Vie, notre ville, notre pays, notre planète… tout prend une dimension où le Réel rejoint la réalité afin que nous puissions en prendre conscience, et que ce qui est inestimable ne nous échappe plus. Le local et la vastitude du monde se retrouvent dans une même dynamique et notre attention ne manque plus d’y être sensible. Nous sommes ainsi en mesure de déployer ce qu’il y a de plus Humain en nous, d’être « encore plus au monde », « d’oser une vie qui soit vraiment une vie ».

3.6.  Corps et âme

Bien sûr il importe de se nourrir physiquement, de mobiliser notre corps par une activité suffisante (ceci n’est pas simple en confinement, mais il convient d’y penser), de gérer son approvisionnement, son hygiène (gestes barrières contre le coronavirus).

Il y a surtout un « vivre ensemble » à équilibrer en famille, ou un « vivre seul » dans lequel l’enjeu est de trouver une nouvelle proximité avec soi-même.

Occasion en famille de se rencontrer plus intimement qu’à l’ordinaire, de s’ouvrir à ce qui est éprouvé par chacun, de partager des vécus habituellement si discrets. Chacun peut ainsi se révéler concernant ce qui l’habite et dont il ne parle habituellement pas. Chacun peut tourner son attention vers l’autre et l’entendre vraiment dans ce qui le préoccupe au plus profond, car chacun se retrouve bien plus disponible.

Quand on est confiné seul, c’est l’occasion d’aller plus vers soi-même, d’oser se dire à soi ce que l’on ne se dit pas habituellement, de s’ouvrir à cet intime qui, en nous, attend l’attention de notre conscience. C’est l’occasion de présence à soi, d’accueil de ce qui nous habite et nous constitue, de se libérer des peurs habituelles, de se rencontrer soi-même. C’est l’occasion de nous porter vers un « oser être plus » : vers une « entièreté accrue » (remédiation d’avec ce que nous avons mis à l’écart en nous) et vers un « devenir plus » (oser être qui l’on a à être). Alors que nous sommes démunis de nos anciennes certitudes, la Vie nous invite à lui refaire confiance. Non pas à rejeter l’ancien, mais à l’enrichir de ce dont elle avait trop été amputé : l’Existentiel, le Réel, l’Ontique, la Psyché… certains diront simplement d’y mettre un peu d’Âme… appelons-le comme on veut !

Le vécu éprouvé par les soignants et les familles qui sont face à la maladie et face à la mort est considérable. Le vécu de soi-même face au risque de contamination est aussi très présent. L’étrangeté est de prendre ici une mesure concrète de ce côté inestimable de la vie. Nous le savons bien depuis toujours, mais là, nous l’avons en face ! C’est présent, c’est tangible. Et ceux qui sont en première ligne, confrontés à ces vécus, doivent tout de même tenir debout avec quelque chose d’encore plus édifiant au plus profond d’eux-mêmes.

Quoi faire de ce qu’ils éprouvent, et comment faire avec la plus grande justesse possible pour ceux qui en souffrent, ceux qui en sont malades, ceux qui en meurent, ceux qui se retrouvent en deuil ? L’accompagnement, la reconnaissance, la qualité de l’attention accordée sont ici plus que jamais essentiels. Pris dans le tourbillon du faire (le « faire » des actions nécessaires et impérieuses), il se peut que les dimensions existentielles de l’attention, de la réjouissance face aux Êtres, soient à redécouvrir. Il ne s’agit pas d’ajouter de l’action à l’action, mais d’offrir une écoute, d’offrir le fait de manifester que l’on se sent touché, d’offrir d’être « en présence » même de ceux dont on est physiquement éloigné. Le Réel invite à être rejoint psychiquement, là où la réalité nous échappe.

Rien de tout cela n’est censé être laborieux. Il s’agit d’une rencontre naturelle avec soi-même et avec autrui, avec la Vie, avec le monde qui fait que nous sommes là… Ce monde n’est pas un dû… alors gratitude et délicatesse sont bienvenues.

Comme nous venons de le voir, il y a la période de confinement qui demande d’être accompagnée par un nouveau regard, une nouvelle posture… mais il y aura aussi l’après la pandémie où nous verrons certainement émerger des états post traumatiques, surtout chez nombre de ceux qui ont été confrontés au pire, tant chez les victimes que chez les divers humanitaires qui ont contribué à les accompagner (voir la publication de mai 2017  « Post-traumatique »).

 

Thierry TOURNEBISE

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Pool d’ÉCOUTANTS BÉNÉVOLES
pendant cette période de confinement

En maïeusthésie France (entretiens  d'environ 30mn)
Écoutants bénévoles en maïeusthésie  

En maïeusthésie Suisse
Écoutant bénévoles en maïeusthésie

 

A la Fédération française de psychopraticiens
« Psy en Mouvement » (entretiens d'environ 15mn)
Écoutants bénévoles (autres qu’en maïeusthésie)  

 

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Plus une poésie
pour adoucir ce temps disponible :

 

 

Le temps donné et la confiance

Nous entendons si souvent,
Sans délai de nous hâter,
De ne pas perdre le temps
Si productif des journées !

Mais aussi d’être enfin sage
Libres des actions fougueuses,
Pour s’épargner les ravages
D’une course malheureuse !

Quel est donc le bon conseil,
Une chose et son contraire ?
Toucherons-nous les merveilles
Grâce aux journées buissonnières ? 

 

Il nous est dit « prend » ton temps…
Mais je ne suis pas voleur !
Alors se peut-il vraiment
Qu’offertes soient les heures ?

Que la seconde écoulée
Libre des nécessités,
Se laisse juste occuper
Afin de nous déployer ?

Un temps pour Soi maintenant
Où le « faire » se délie,
Nous rendra-t-il accueillant
De l’instant de notre Vie ?

 

Enfin, le temps donné,
Pourrons-nous le promouvoir
Au rang d’opportunité
Qui saurait nous émouvoir ?

Le laisserons-nous toucher
Au plus profond de notre âme
Ce qui attend de se révéler
Bien au-delà des drames ?

Osant dépasser l’ennui
Saurons-nous être La Vie
En quête de plénitude
Sans aucune certitude ?

Thierry TOURNEBISE
20/03/2020

 

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