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Post traumatique

Stress majeur et souffrance psychique

  mai 2017   -    © copyright Thierry TOURNEBISE

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Suite un choc majeur, quand les « troubles du stress aigu » persistent au-delà de un mois suite à la circonstance traumatisante, on parlera de SPT (Stress Post Traumatique). Avoir soi-même vécu une situation exceptionnellement douloureuse, ou avoir été témoin d’une telle chose vécue par un autre, peuvent ainsi nous conduire à un TSTP (Trouble de Stress Post Traumatique), avec des conséquences signifiantes sur la vie de tous les jours, parfois dramatiques.

Faire l’expérience d’une situation cataclysmique exceptionnelle peut placer dans la psyché une marque persistante rendant la suite de l’existence difficile : images obsessionnelles, craintes permanentes, difficulté à vivre simplement, angoisses profondes, troubles anxieux, paranoïa. Qu’il s’agisse d’une agression physique, d’un abus sexuel, d’un attentat, d’un accident, d’être passé près de la mort, de tout perdre en un instant, d’apprendre le décès d’un proche, de recevoir le diagnostic d’une grave maladie, de faire face à un revirement de situation majeur… etc., toutes ces situations peuvent rendre ensuite la vie quotidienne très tourmentée.

Face à de tels événements, tout le monde n’a pas les mêmes ressources. Certains, assez rares, sont naturellement plus résilients et s’en remettent plus vite spontanément. D’autres, la plupart d’entre nous, gardent des marques à long terme pouvant nécessiter un accompagnement psychologique. Les émergences symptomatiques suite au trauma peuvent survenir aussitôt après le choc (stress aigu), mais parfois seulement plusieurs mois, un an après, ou plus, à l’occasion d’une réactivation (stress post traumatique). Nous allons aborder les possibilités psychothérapiques permettant d’accéder de nouveau à une vie paisible, mais aussi au sens ce cet impact si profond. 

 

Sommaire

1 Où se situe le stress post traumatique
 – DSM IVTR – CIM 10

2 La circonstance traumatique
-La circonstance elle-même – Le choc éprouvé – Les conséquences de ce choc – Quand le choc est produit par un ascendant

3 Les réactions de la psyché
La réaction de survie – Protections et compensations – Les « symptômes thérapeutiques » (quête d’intégrité) – La pulsion de vie (source de ces symptômes) – Affaiblissement de la survie

4 Vers un retour à la vie
Techniques souvent utilisées – Une autre approche possible

5 Ce que propose la maïeusthésie
Face à la première étape du choc – Après le choc – Quand l’évocation est impossible – Proposition thérapeutique

6 Restauration d’humanité
Perte d’humanité – Se « décliver » - Se « déployer

7 Du post traumatique vers le déploiement
Le choc amène la psyché à se cliver par survie _ Trois types de manifestations s’ensuivent – Considération et remédiation – déploiement accompagné

Bibliographie  
Bibliographie du site

 1 Où se situe le stress post traumatique

Juste quelques lignes concernant les données diagnostiques avant d’aborder le phénomène proprement dit.

1.1 DSM IV TR

Le DSM (manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux) nous propose une délimitation en trois volets (aigu, chronique, différé).

Aigu : moins de trois mois ; Les symptômes apparaissent durant ou immédiatement après le traumatisme, durant au moins deux jours, puis disparaissent en moins de 4 semaines. Au-delà de 4 semaines, l’état de stress post traumatique est envisagé. Au-delà de 3 mois le stress post traumatique est confirmé.

Chronique : plus de trois mois. Etat de stress post traumatique confirmé.

Différé : Avec survenue des symptômes au moins six mois après les faits.

Les symptômes (évitement, reviviscence, hypervigilance) durent 3 mois dans environ la moitié des cas jusqu’à une guérison complète. Mais des réactivations peuvent survenir ultérieurement en situations similaires.

1.2 CIM 10

Le CIM 10 (Classification Internationale des Maladies) ne précise pas de durée pour valider la notion de stress post traumatique et nous propose une définition intéressante de source événementielle :

Une situation ou un événement « exceptionnellement menaçant ou catastrophique, qui provoquerait des symptômes évidents de détresse chez la plupart des individus ». Pas de durée minimale des symptômes pour caractériser le stress post traumatique (F43.1).  

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2    La circonstance traumatique

2.1 La circonstance elle-même

Quand on a pour métier d’accompagner les personnes en souffrance psychique, l’on entend beaucoup de situations douloureuses.

Les praticiens qui vont sur le terrain, auprès des victimes dans des cellules de crise, sont eux-mêmes confrontés à la proximité de la circonstance. Ceux qui reçoivent les patients en cabinet n’ont pas cette « prise directe » mais sont au contact d’un patient qui en a fait l’expérience et en garde une trace psychique signifiante.

Quand il s’agit d’événements collectifs, les victimes bénéficient le plus souvent d’un soutien immédiat (déclanchement d’une cellule de crise). Pour des situations individuelles, c’est beaucoup plus rare. Suite à un accident, un deuil, le patient se retrouve souvent seul avec ses pensées et son ressenti et doit quasiment lui-même protéger ses proches en gardant le silence sur ce qu’ils semblent incapables d’entendre.

La circonstance comporte des faits précis que la victime a du mal à conscientiser (aucune élaboration psychique de l’indicible, de l’incroyable, de l’impossible n’est réalisable). Une option thérapeutique peut être de « faire décrire ces faits et les émotions qui les accompagnent » pour y remédier. Cependant, une autre option peut être de « mettre l’accent essentiellement sur ce qui a été éprouvé ». Une autre option, plus précise encore, peut être de « mettre l’accent surtout sur celui qu’était le patient lorsqu’il a éprouvé ces émotions ».

Il n’en demeure pas moins que la tentative de mise en mots de ce qui s’est passé doit être respectée car cela peut être un besoin irrépressible du patient, qui peut même parfois s’en retrouver logorrhéique (flux intarissable de paroles).

Néanmoins cette parole concernant les faits ne doit pas être entretenue excessivement, car à trop raconter ce qui s’est passé, le patient « revit » ces faits une seconde fois (reviviscence) et peut s’occasionner des « cicatrices » secondaires*. Le praticien ne doit pas pour autant les ignorer et agira avec sensibilité et bon sens à ce sujet.

*phénomène parfaitement constaté par le psychanalyste Sándor Ferenczi (1873-1933) lors d’un trauma :

« Une partie de l’être reste en éveil tandis que l’autre, la partie sensible, disparaît littéralement sous le choc […] il est devenu deux, […] » (Nathalie Zajde (2012, p.180,181) . « A quoi bon réveiller les vécus douloureux si c’est pour leur conférer une nouvelle recrudescence » (ibid, p.182,183).

Les circonstances sont des faits, la façon de vivre ces faits sont des états émotionnels. Nous avons là une ambiguïté car l’émotion ne vient pas des faits eux-mêmes, mais de notre façon de les vivre. Pourtant, certains faits sont tellement horribles qu’il y a peu de chances (voire aucune) pour qu’ils soient vécus paisiblement.

Le fait joue un rôle en ce sens où, s’il n’avait pas eu lieu, il n’y aurait pas eu cette émotion. D’un autre côté l’émotion dépend tout de même du sujet qui l’a éprouvée, c’est pour cela qu’ultérieurement il y peut quelque chose en thérapie (sinon l’empreinte douloureuse serait définitive). Cela ne doit cependant pas faire oublier la gravité du fait, et surtout ne doit pas conduire à des propos indécents du genre « c’est toi qui fais ta douleur ! », « tu es responsable de ce que tu ressens ! ». Même si ce n’est pas totalement faux, car c’est ce qui permet de le revisiter de façon thérapeutique, ce n’est pas non plus totalement vrai, car en pareille circonstance nul ne se sentirait en paix spontanément (à moins d’une sagesse qui dépasse l’entendement).

Nous garderons avec précision à l’esprit que le sujet en tant qu’Être doit bénéficier de « reconnaissance » (que l’on soit touché par « qui il est »), que l’émotion doit « être validée » (attester sa nature et sa dimension) et que les faits se doivent d’être évalués (valeur plus ou moins négative en fonction de la souffrance éprouvée). Ce sont trois zones d’intervention totalement distinctes.

L’aspect thérapeutique tient surtout dans le premier point et dans le second, quant au troisième, il est essentiel pour constituer des repères sociaux, surtout en cas de violences familiales vécues par un enfant.

2.2 Le choc éprouvé

Ce qui est éprouvé ne dépend pas que de la circonstance, même si celle-ci ne doit en aucun cas être sous-estimée, négligée, ou dénigrée dans son importance. Elle ne doit pas non plus être relativisée avec une sorte de « ça aurait pu être pire » pour naïvement tenter d’apaiser la victime. S’il est vrai que tout peut toujours être pire, cela ne doit en aucun cas être énoncé dans une tentative d’apaisement qui ne serait qu’un déni de ce qui a été éprouvé. Cependant, force est de constater que ce n’est pas seulement la circonstance qui fait l’importance du trauma, mais aussi les ressources dont on dispose pour faire face quand celle-ci se produit. Au moment où la circonstance surgit, le sujet fait au mieux avec ce dont il dispose. Ce qui changera à l’avenir quand il recontactera celui qu’il était à ce moment-là, c’est qu’il disposera de nouvelles ressources et se trouvera dans un contexte différent permettant de les mobiliser.

Cependant, attention : la violence de la circonstance est un choc, mais ce n’est pas ce choc qui « brise la psyché ». C’est la psyché elle-même qui se clive pour y faire face avec le moins de dommages possibles (comme le précisait Ferenczi).

2.3 Les conséquences de ce choc

Pour survivre à la violence de la circonstance, la psyché opère en elle-même un clivage salutaire. Le sujet présent se retrouve séparé du sujet ayant vécu l’impact.

Puisqu’il y a une séparation, comment se fait-il qu’il y ait des manifestations symptomatiques ultérieures (flash-backs, angoisses, paranoïa, état d’hypervigilance « sur le qui-vive ») ?

La psyché est ainsi faite que pour se protéger elle « s’auto-clive ». Un mécanisme de survie qui permet au sujet de « mettre à l’abri le Tout de  Soi » par rapport à « un Elément de Soi trop affecté ».

Les manifestations et symptômes qui suivent sont le résultat de l’intrication de la « pulsion de vie » (garante de l’intégrité)  et de la « pulsion de survie » (garante de la sécurité). Ainsi le sujet oscille entre un besoin de sécurité et un besoin d’intégrité. La protection d’un côté (clivage), la complétude de l’autre (entièreté), sans oublier les jeux de compensations intermédiaires du fait de cette amputation de Soi.

2.4 Quand le choc est produit par un ascendant

La situation est particulière quand le trauma a été éprouvé suite à un acte venant d’un ascendant. Celui qui est devenu source de danger est aussi celui qui est censé être protecteur. De plus, il est de toute façon une racine dont on vient et dont on ne peut totalement se couper sans dommages.

Ainsi, cette femme qui, quand elle avait deux ans, a son petit frère qui meurt sur ses genoux (premier impact), sa mère qui lui dit « C’est toi qui l’as tué » (deuxième impact) et qui ajoute « Il aurait mieux valu que ce soit toi qui meurs » (troisième impact). Devenue adulte, outre une difficulté profonde à vivre, elle souhaite mourir et se trouve en permanence suicidante, avec le propos bien ancré et répétitif « de toute façon je ne vaux rien, je suis une merde ». Il se révèle que ce souhait de mourir ne sert pas qu’à échapper à une douleur indicible, mais la met en conformité avec le souhait de sa mère à qui elle éprouve inconsciemment le besoin de donner raison (car un parent qui a raison est rassurant, contrairement à un parent qui a tort). De plus elle dit « je la déteste, mais je sens que j’aimerais l’aimer ». Un début d’apaisement ne se révélera possible qu’après avoir conscientisé, clarifié et validé cela.

Quand l’auteur est un ascendant il s’ajoute incontournablement une phase de validation de celui-ci, qui doit cependant s’effectuer sans jamais pour autant minimiser quoi que ce soit de ce qui a été vécu par l’enfant lors de l’impact. Il arrive qu’un sujet peine à reconnaître sa propre douleur d’enfant pour préserver le parent, ou, à l’inverse, peine à reconnaître le parent afin de ne pas fermer le chemin vers l’enfant qu’il était. Valider l’un des deux au détriment de l’autre est impossible et il n’est pas rare que le patient n’accède à la douleur de l’enfant qu’il était que quand il a l’assurance que son parent n’en sera pas abîmé.

Cela est très exigeant pour le praticien qui ne peut outrepasser cette pertinence du patient. S’il l’ignore il risque d’embrouiller celui-ci dans d’interminables résistances, qui œuvrent seulement pour compenser cette erreur thérapeutique du praticien.   

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3    Les réactions de la psyché

Les symptômes d’un TSPT (trouble de stress post traumatique) énoncés dans le DSM sont l’Intrusion (pensées obsessionnelles), l’Evitement (détournement, compensations), l’Hyperstimulation (hypervigilance). Mais nous trouvons aussi sidération, déni (dans le trouble du stress aigu, c’est-à-dire immédiat), dépression, pensées obsessionnelles, paranoïa (dans le trouble du stress post traumatique, c’est-à-dire à distance dans le temps).

3.1 La réaction de survie

3.1.1    L’indicible, l’impensable

Il y a stupéfaction, sidération, face à ce qui en principe n’existe pas. Ce que rencontre le sujet faisant l’expérience d’un trauma est indicible et même impensable. Quand bien même il savait qu’une telle chose pouvait arriver, s’y retrouver confronté, que ce soit pour soi ou pour un proche, touche à l’invraisemblance. Les mots manquent, les pensées ne se construisent pas, impossibilité d’élaboration.

Juste après le choc, les séances de defusing (quand une cellule de crise est déclenchée) permettent une mise en mots de ce qui s’est passé, mais aussi et surtout de ce qui a été éprouvé. Des images choquantes, qui jusque-là n’existaient pas « en vrai » (même si des similaires avaient été vues dans des films ou dans les médias), des sensations inconnues, des pensées qui ne se construisent pas (car l’intellect n’est en principe pas équipé pour cela).

La sidération (étymologiquement de « siderus » : être sous l’influence d’une mauvaise étoile) ne permet pas à l’intellect de faire son œuvre. Cette sorte d’« arrêt sur image », parfois représenté dans certains films, « stoppe le temps » qui ne s’écoule plus, ou ressemble à un ralenti extrême. Le sujet se sent vide de références pour une telle chose, voire vide tout court : tout ce qui faisait sens jusque-là s’effondre…

Certains, à cette occasion, vont même faire une expérience proche de l’EMI (expérience de mort imminente) avec une perception « hors de leur corps », « une perception atemporelle de l’environnement », une « perception différente des individus impliqués ». C’est ce qui se passa pour cette personne subissant un viol : elle se retrouva « hors de son corps », peinée que ce « pauvre homme » en soit à faire des choses aussi lamentables. La femme se sentit paradoxalement plus peinée pour lui (compassion) que meurtrie pour elle-même. Après les faits, la trace douloureuse du SPT l’amena à consulter, mais elle avait en elle cette expérience étonnante où sa douleur était d’avoir eu plus de compassion « pour cet homme qui n’en était que là » que pour son propre corps en train de souffrir.

3.1.2    Clivage immédiat

Quand un sujet vit une chose inintégrable (du fait de la violence de ce qui se passe, mais aussi du fait des ressources dont il dispose), sa psyché opère un mouvement de protection : elle se clive. Ce n’est pas le choc qui clive la psyché, mais la psyché qui, face au choc, s’auto-clive pour se protéger.

Ce clivage revient à une anesthésie de Soi par rapport à un élément de Soi. Il est plus ou moins important, plus ou moins profond. Il peut se réaliser avec une discrète mise à l’écart d’un élément de Soi, aller jusqu’à la perte de connaissance (évanouissement), et même jusqu’au coma (exemple de cette femme dont le conjoint s’est suicidé après qu’il ait tué leurs deux enfants… elle l’a « géré » avec une semaine de coma !).

Souvent le clivage est bien moins violent extérieurement, mais intimement, la psyché se scinde pour préserver sa sécurité, même si la manifestation en est discrète.

3.2 Protection et compensation

Certains symptômes reflètent ce clivage protecteur (anesthésie), d’autres reflètent le mécanisme de compensation permettant de masquer le vide qui en résulte (occultation).

3.2.1    Symptômes premiers (protection)

Ils sont de deux types : d’une part vide, perte de sens, anéantissement (résultant du clivage) ; d’autre part, des réactions automatiques face à toutes analogies, où le sujet est continuellement aux aguets (survivre dans un environnement potentiellement dangereux).

1/Les sentiments de vide, de perte de sens, d’anéantissement, sont liés intérieurement à la béance laissée en Soi (résultant du clivage), mais aussi extérieurement à ce monde environnant qui ne peut désormais plus être perçu comme avant. « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé » nous écrivit Lamartine. Le « monde de l’instant d’après » n’est plus « celui de l’instant d’avant » !

Extrait de « L’isolement », qu’il écrivit quand la mort emporta sa bien-aimée :

Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N'éprouve devant eux ni charme ni transports,
Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante :
Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts.
 
De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l'aquilon, de l'aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l'immense étendue,
Et je dis : « Nulle part le bonheur ne m'attend. »
 
Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé.

Le besoin de sens est bien identifié en psychologie positive. Il a particulièrement été étudié par le médecin Victor Frankl (1905-1997) auteur de la logothérapie. Lorsqu’il vécut la déportation, il constata que des sujets déportés ayant un sens dans leur vie survivaient en dépit de situations extrêmes, alors que quand ce sens s’effondrait, ils mouraient le lendemain. (« Nos raisons de vivre, à l’école du sens de la vie » - 2009). Ce « besoin de sens » se nomme « Eudémonisme ». La psychologie positive a objectivé ce phénomène du sens et de l’espoir :

« Des études sur l’espoir comme facteur de sens ont également montré l’influence de nos états de pensée sur la maladie […] importance de la foi inébranlable des patients dans le système de guérison […] lorsque le malade se met à espérer, son cortex cérébral gauche engendre des pensées positives qui inhibent le sentiment de peur produit par les amygdales limbiques » (Martin-Krum, Tarquinos, p.436, 437).

Dans le cas du trauma, il y a le trauma lui-même, mais il y a aussi cette perte de sens : que représente désormais la vie quand il s’y trouve une chose pareille. C’est aussi un besoin fondamental qui s’effondre et tout un état psychologique, et même physiologique.

2/Les réactions de protection, où le sujet est aux aguets (hypervigilance). Ayant reçu la nouvelle par téléphone, chaque sonnerie de téléphone ultérieure produit une alerte accompagnée d’angoisses. Ayant été confronté à une explosion, chaque bruit fort perçu ultérieurement réactive une alerte. Le dicton « chat échaudé craint l’eau froide » trouve ici une réalité tangible. Chaque circonstance ressemblant de près ou de loin à ce qui s’est passé déclenche une alarme.

3.2.2    Symptômes secondaires (compensation, occultation)

Le clivage permet de s’anesthésier par rapport à la zone douloureuse de sa psyché. Il en résulte d’abord un vide intérieur, puis des manifestations où ce qui a été clivé tente de remonter à la conscience pour y être intégré. Les compensations, arrivant ensuite, tenteront une occultation de ce vide, et/ou de ces remontées. Elles constituent ainsi une sorte d’anesthésie secondaire.

Pour supporter le quotidien, accablé de ce qui vient d’être décrit, le sujet va spontanément mettre en œuvre des compensations (évitement, détournement). Il va trouver des moyens astucieux pour masquer ces vides (vide de Soi, vide du Monde) pour y trouver une place supportable.

Pour y parvenir il va dépenser beaucoup d’énergie et éventuellement devenir hyperactif. Ce ne sont pas à proprement parler des symptômes, mais des écrans permettant d’éviter les symptômes initiaux, les symptômes réels : vide, perte de sens, angoisses ou hypervigilance. Nous trouverons aussi souvent ici une tendance aux addictions, la plus courante étant l’alcool. Dans ce cas l’alcoolisme n’est pas ici un symptôme, ni une pathologie, mais un écran visant à diminuer la puissance des symptômes réels.

3.3 Les « symptômes thérapeutiques » (quête d’intégrité)

Les flash-backs, les pensées obsessionnelles, semblent être des traces bien encombrantes. En fait elles tendent à conduire le sujet vers une compréhension, une intégration, une restauration.

Cela n’apparaît pas au premier coup d’œil et la tentation est de vouloir éliminer ces manifestations envahissantes, douloureuses.

Le phénomène qui se produit est que, faute de pouvoir être en état communicant (ouvert) avec cet élément de Soi qui a été clivé (par réaction de survie), le sujet reste en lien (relation) avec celui-ci à travers ces manifestations intempestives (flash-backs, angoisses, colères, violences, révoltes, somatiques… etc.)  Cet état « relationnel » (lien) lui permet de ne pas perdre ce qu’il a évincé (en éprouvant un ressenti analogue à celui du trauma), jusqu’au moment où il pourra en accomplir l’intégration, et se retrouver non pas « comme avant », mais « plus qu’avant ».

Boris Cyrulnik nous propose bien ce « plus qu’avant » dans ce qu’il décrit à propos de la résilience. Pourtant, il le décrit plus comme un combat et une victoire contre ces « fantômes du passé » que comme l’accomplissement d’une intégration (Le murmure des fantômes - Odile Jacob poches, Paris 2005). L’extrême délicatesse de sa démarche laisse cette intégration comme une réalité seulement implicite.

Ces symptômes se manifestent ici dans le but de « protéger de l’oubli ce qui a été clivé », en attendant que l’on soit capable de le revisiter avec plus de conscience.

Cependant, ces émergences impromptues peuvent s’avérer si inconfortables que le sujet va tenter d’user des « suranesthésies » ou des compensations pour les occulter.

3.4 La pulsion de vie, source de ces symptômes

La pulsion de vie produit les symptômes (en vue un jour de remédier au clivage et de retrouver son intégrité) alors que la pulsion de survie a produit le clivage (afin de protéger la psyché, en attendant que cette intégration soit possible). En fait, ces symptômes ne sont pas l’expression d’une morbidité, mais de l’élan de vie tendu vers une reconnexion de soi avec Soi.

S’il reste utile de pouvoir diminuer la manifestation de ces symptômes quand leur débordement rend la vie impossible pour le patient (que ce soit par des techniques de psychothérapie ou médicamenteuse [psychiatrie]), il est dommageable cependant de tenter de les supprimer. Ce serait comme couper le fil d’Ariane que tient Thésée dans le labyrinthe, sous prétexte de lui donner plus de liberté… il ne retrouvera plus la sortie ! Pareillement le patient doit garder un accès à lui-même, mais être accompagné pour que la reconnexion se fasse bien avec lui-même, et non avec ce qui s’est passé. Ce qui s’est passé est passé (n’y revenons plus car une fois suffit), par contre celui qu’on était quand ça s’est passé n’a jamais cessé d’être avec Soi, (clivé mais « juste à côté »), en attente de reconnaissance, de restauration, de réparation de la brisure jadis nécessaire. Tout se passe comme si, à travers ces symptômes, il appelait la conscience du sujet pour que celui-ci lui rende sa place au cœur de sa psyché, dans le but de lui rendre la paix et son intégrité. Dans ce cas il y a intégration et le sujet ayant vécu le trauma devient « plus qu’avant ».

Si au lieu de retrouver ainsi celui qu’il était, il se contente de ressasser les faits (rumination), ou engage une pseudo thérapie où il se contente de raconter ce qui s’est passé, alors il s’expose à la reviviscence. Il se refait ainsi une blessure supplémentaire à chaque nouvelle édition de son discours.

3.5 Affaiblissement de la survie

La pulsion de vie est garante de l’intégrité et la pulsion de survie est garante de la sécurité et des compensations. Le clivage et les compensations demandent de l’énergie. Or, d’une part il importe que la vie au bout d’un moment reprenne ses droits, d’autre part l’énergie n’est pas inépuisable et c’est cela qui initialise un retour à la vie*.

*Voir sur ce site la publication « Vie et énergie » de mai 2016

La force a des limites, mais avant de s’épuiser, elle retarde parfois longtemps l’expression de ce qui, en Soi, appelle la conscience (d’où des manifestations ou décompensations tardives).  La pulsion de survie dans son volet compensatoire est parfois si forte que la pulsion de vie peine à se manifester. Alors, le sujet déploie une grande énergie pour donner l’impression (aux autres et à lui-même) que tout va bien. Quand cette énergie s’épuise ou lui fait défaut (même chez des sujets entraînés comme par exemple des soldats), les sensations de vide et de non-sens de la vie peuvent surgir avec une telle violence, que quitter la vie semble paradoxalement à la victime le moyen de survie le plus approprié. La publication du journal Alter Info nous rend compte de cette situation méconnue (Journal d'opinion en ligne ISSN : 1773-0163 / CNIL déclaration n° 1070854).

« Au cours des neuf dernières années, il y a eu plus de soldats Américains qui se sont suicidés que de soldats morts dans l’action durant les guerres d’Irak ou d’Afghanistan. Ce sont les chiffres officiels du Ministère de la Défense Américain, pourtant d’une manière ou d’une autre, personne n’a trouvé intéressant de les rapporter. […] Avant 2001, le taux de suicide chez les militaires US était inférieur à celui de la population moyenne des USA; maintenant, c'est presque le double de la moyenne nationale. […] On estime que le taux de suicide parmi les vétérans d’Afghanistan et d’Irak est quatre fois plus élevé que la moyenne nationale. Le Département US pour les Vétérans a calculé que plus de 6.000 vétérans se suicident chaque année ».

http://www.alterinfo.net/USA-Plus-de-Soldats-US-morts-par-suicide-qu-au-combat_a41345.html  

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4    Vers un retour à la vie

Suite à un choc traumatique, la vie d’après ne peut être comme la vie d’avant. Il y a le moment du choc (sidération), puis les moments qui suivent immédiatement le choc (stress aigu), puis le temps de vie qui va suivre (post traumatique). Il y a enfin l’après post traumatique où, si tout se passe de la meilleure façon, le sujet se trouve dans un « être plus », avec une conscience plus vaste.

Nous trouvons souvent un verrouillage dans la phase post traumatique qui s’étendra anormalement dans le temps, parfois toute la vie. D’autres fois nous aurons une « suranesthésie » et une vie de compensation qui permettra de contourner longtemps les émergences intempestives. Cependant, cela exposera tôt ou tard le sujet à une décompensation quand l’énergie viendra à manquer ou lors d’une réactivation à l’occasion d’une situation analogue. Plus rarement, des personnes seront spontanément en résilience authentique, ou, comme nous le verrons plus loin en concilience profonde (réelle concorde intérieure).

Différentes approches permettent d’accompagner la victime d’un choc traumatique, quelle que soit l’étape où il se trouve.

4.1 Techniques souvent utilisées

4.1.1    Le defusing

Cette approche concerne l’immédiat. Cette approche se veut être un déchocage psychologique.

« La doctrine en usage est donc la recherche d'une catharsis dans le defusing »

Dr Ludwig Fineltain Bulletin de psychiatrie (parution semestrielle ou annuelle) Bulletin N°16 Edition du 15 juin 2005 http://www.bulletindepsychiatrie.com/desastre.htm

Les victimes qui viennent de vivre la situation de trauma se trouvent face à l’indicible, l’incroyable, en état de choc. Quand une cellule de crise est déclenchée, les praticiens apportent leur présence, leur soutien, une réponse aux besoins vitaux, un début de mise en mots. C’est ce qu’on appelle le « defusing ».

L’habileté des praticiens doit être subtile afin de naviguer aisément entre la mise en mot des faits, celle des pensées et celle des ressentis. En première instance l’énoncé des faits peut prendre de la place et ne doit pas pour autant faire oublier celui des émotions éprouvées, sous peine d’enclencher un disque rayé dont il sera difficile par la suite de se défaire.

Ce n’est pas tant l’idée de catharsis qui finalement produira le résultat, mais le fait qu’à cet endroit, le sujet en situation post traumatique rencontre des praticiens qui, en le voyant, lui procure ce sentiment d’être lui-même un humain que l’on est heureux de rencontrer, que ce qu’il vient de vivre ne lui a pas fait perdre ce statut. Cela suppose que les praticiens, même en pareille circonstance doivent avoir cette capacité d’acuité permettant de distinguer clairement entre les Êtres (inestimables - infinis) et les faits (estimables – de valeur négative). Ils doivent être capables de se sentir touchés par les Êtres (vers lesquels ils priorisent leur attention) plutôt qu’affectés par les faits (qu’ils placent en second plan sans pour autant les ignorer).

4.1.2    Le debriefing

Cette approche concerne les jours suivants. Raconter les faits, les ressentis, les pensées, les émotions… Plus loin que le defusing, il s’agit néanmoins d’une démarche analogue. Cependant, il ne s’agit plus de déchocage à ce stade, mais plutôt de désensibilisation. C’est du moins ce qui est tenté en permettant au patient de nommer les faits et surtout les ressentis. L’orientation américaine semble cependant différente sur ce point de l’orientation française : l’une commençant par les faits pour arriver aux émotions, l’autre va plus  directement vers les émotions

« -L'orientation américaine utilise le récit factuel pour permettre l'accès au registre émotionnel dans une forme d'expression immédiate - La tendance française consiste à privilégier l'expression des fantasmes et des émotions »

Dr Ludwig Fineltain Bulletin de psychiatrie (parution semestrielle ou annuelle) Bulletin N°16 Edition du 15 juin 2005 http://www.bulletindepsychiatrie.com/desastre.htm

Le debriefing collectif décrit par Archives suisses de neurologie et de psychiatrie" (1998 ;149 : 218-28) est destiné aux intervenants humanitaires qui, eux aussi, sont exposés au SPT. Il y est proposé plusieurs phases :

http://w2.uco.fr/~cbourles/OPTION/Competences/Debrief/Psych_debrief/CICR.htm

Une introduction spécifiant l’importance des émotions.
« Nous aimerions nous concentrer sur les émotions de chacun »

Une deuxième étape qui s’en tient aux faits
« Nous allons faire un tour de table et passer en revue les faits, tels qu'ils se sont déroulés pour chacun d'entre nous. »

Une troisième étape sur ce qui a été pensé
« Lors de l'incident, quelle a été votre première pensée ? » avec les nuances sensorielles diverses perçues.

Une quatrième étape sur les émotions
« Qu'avez-vous éprouvé de plus pénible durant l’événement ? D'autres ont-ils éprouvé les mêmes émotions ? Comment vous sentez-vous ici et maintenant ? »

Une cinquième étape avec un état des symptômes
« De quoi souffrez-vous, maintenant que vous avez pris conscience de ce qui était arrivé, de troubles du sommeil, d'une mémoire ou d'une attention défectueuse, de souvenirs et de pensées intrusifs ? »

Puis une sixième : la « normalisation » évoquant le côté naturel de ce type de ressenti. Enfin, une septième où le futur est envisagé : autre débriefing, partage avec des proches etc.

Ici les émotions sont abordées en dernier, tout en ayant été signalées en premier dans l’introduction comme axe directeur.

4.1.3    Le sens

Certains psychiatres dont le Dr Ludwig Fineltain (Neuropsychiatre  Psychanalyste - Paris), voisins du Dr Victor Frankl privilégient la notion de sens …d’un sens qui appartient à la personne concernée, lui permettant  un supplément d’accomplissement.

 « […] prise de conscience de la signification existentielle que suscite l'expérience traumatique dans la psyché du sujet […] La psychiatrie téléologique a démontré son intérêt dans les cas limites. J'appelle thérapie téléologique toute thérapie qui s'inscrit dans un mouvement de donner un sens. J'appelle téléologie ou téléoanalyse la prise en considération d'un télos c'est-à-dire d'un devenir de l'être psychique dans la démarche thérapeutique. »

Dr Ludwig Fineltain Bulletin de psychiatrie (parution semestrielle ou annuelle) Bulletin N°16 Edition du 15 juin 2005 http://www.bulletindepsychiatrie.com/desastre.htm

La notion de sens est très importante et est un des besoins fondamentaux mentionnés en psychologie positive, identifiés comme sources du bonheur quand ils sont satisfaits : nous y trouvons l’hédonisme (capacité à éprouver du plaisir), et l’eudémonisme (capacité à trouver du sens). Mais l’eudémonisme y semble un facteur premier.

« Le sentiment de trouver du sens, d’avoir un objectif et de s’accomplir l’emporte typiquement sur le plaisir comme facteur prédictif du bonheur » (Traité de psychologie positive, p.67)

C’est ainsi que certaines victimes suite à un trauma majeur trouvent l’élan de défendre une cause, de créer une association pour venir en aide aux autres victimes …etc. Une générosité source de sens, qui se révèle avoir des vertus thérapeutiques, ou du moins rend la vie plus possible.

4.1.4    Des thérapies comportementales et cognitives (TCC)

Les TCC concernent des personnes qui ont gardé un impact, dont celles qui n’ont eu ni defusing ni debriefing et se décident parfois à consulter bien plus tard.

La partie comportementale va proposer une désensibilisation systématique, par exposition progressive à des éléments en lien avec les faits, en état modifié de conscience. Approche s’appuyant sur les théories de l’apprentissage ou de l’exposition. L’idée est ici de défaire la réactivité automatique face aux facteurs de réactivation.

La partie cognitive, elle, tente de repérer les dysfonctionnements cognitifs, les associations inadaptées, de les mettre en conscience, puis de restructurer les schémas automatiques qui se sont construits après le trauma, grâce à des bases positives afin d’éviter les généralisations négatives systématiques.

4.1.5    L’EMDR

Acronyme de « Eye Movement Desensitization and Reprocessing »*, l’EMDR est une approche trouvée en 1987 par Francine Shapiro (Dr en psychologie). A la fois controversée mais aussi recommandée officiellement depuis juillet 2012 par l’OMS et en France depuis 2007 par la Haute autorité de santé.

http://emdr.fr/historique.htm

Cette approche propose une intégration neurologique du trauma grâce à une alternance gauche droite des stimuli sensoriels. Initialement balayage oculaire, l’approche a été étendue à d’autres sens comme l’audition ou le toucher corporel avec alternance gauche/droite. L’idée est de solliciter l’ensemble des deux hémisphères cérébraux durant la visualisation, l’énoncé, le parcours des événements et des émotions liés au trauma. Durant cette perception alternée gauche droite, le patient va parcourir les éléments traumatiques qu’il a à l’esprit.

Au dire de certains praticiens qui le mettent en œuvre, avec ses résultats et ses limites (8 personnes sur 10 sont soulagées), il semble que cela permette l’intégration des faits, mais pas vraiment celle de celui qu’on était lorsque ceux-ci se sont produits. D’où parfois une limite dans le résultat obtenu.

4.2 Une autre approche possible

Nous n’aurons jamais trop de moyens pour accompagner les patients qui éprouvent un TSPT (trouble de stress post traumatique). Que l’action soit immédiate (en stress aigu) ou différée (en stress post traumatique), nous pouvons aussi envisager une approche s’appuyant sur d’autres fondements.

Ici, l’essentiel ne consistera pas en l’énoncé des événements. La trajectoire sera plutôt de restaurer le contact entre le sujet présent (qui consulte) et celui qu’il était quand les faits sont survenus.

Naturellement, une phase de mise en mots concernant les événements sera souvent nécessaire, mais le praticien devra avoir une vigilance afin que la mise en mots concerne essentiellement ce qui a été éprouvé, plus que ce qui s’est passé.

Sándor Ferenczi, cité précédemment, avait bien pointé que lors d’un trauma le sujet se clive, « devient deux », et que la partie sensible disparaît sous le choc. Il observa aussi cliniquement qu’il est malsain de conférer aux ressentis douloureux une nouvelle recrudescence, sous peine d’abîmer son patient.

Nous allons consacrer la suite de cet article à une proposition thérapeutique qui, tout en tenant compte de cela va pouvoir accomplir une médiation salutaire entre le sujet présent et celui qu’il était, sans pour autant passer par une reviviscence, sans utiliser d’apprentissage cognitivo-comportemental (TCC) ni d’intégration neurologique (EMDR), ni d’état modifié de conscience (Hypnose), même si certains éléments de ces thérapies pourront s’y retrouver discrètement, mais avec un projet de médiation intérieure, plutôt qu’avec celui de la correction d’un dysfonctionnement ou d’un « nettoyage » cathartique. Le symptôme résiduel y sera considéré comme un moyen de ne pas perdre ce qui a été clivé, et qui reste en attente de remédiation avec le reste de la psyché du sujet afin de lui rendre son intégrité, et non comme un dysfonctionnement. retour sommaire

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5    Ce que propose la maïeusthésie

La maïeusthésie ne remplace ni le defusing ni le debriefing, mais elle peut en ajuster le déroulement. Elle peut aussi intervenir dans les cas où il n’y a eu ni l’un ni l’autre.

En aucun cas il ne s’agit de présenter une sorte de « méthode miracle », car il n’existe rien d’absolu. De plus, la notion de « méthode » n’est pas un bon principe, car cela pourrait être enfermant.

Il s’agit simplement de proposer humblement une approche s’appuyant sur d’autres paradigmes, produisant des résultats signifiants en peu de séances (parfois une seule), venant s’ajouter à ce qui est actuellement disponible. Il importe de garder à l’esprit les différentes possibilités, et de réaliser une mise en œuvre intégrative. Le mieux-être du patient doit rester au cœur de notre préoccupation, plus que toutes querelles idéologiques qui, en pareil cas, seraient totalement indécentes. Le besoin d’objectivation doit inviter à l’ouverture vers de nouveaux champs de recherche, et en aucun cas à une contradiction stérile.

Pour le moment, nous nous appuierons sur l’observation clinique et sur les résultats obtenus, ainsi que l’explication supposée de la raison de ceux-ci.

Même si un processus est ici décrit, il ne se pose ni en protocole, ni en principe absolu. Nous nous rappellerons avantageusement ce que nous dit Rollo May (1909-1994, psychologue américain proche de Carl Rogers) à propos des principes et des techniques institutionnalisés :

« Les principes techniques protègent les psychologues et les psychiatres de leurs propres angoisses. Mais par la même occasion, les techniques empêchent les psychologues et les psychiatres de comprendre le malade, elles l’isolent de sa présence pendant l’entretien, qui est essentielle pour comprendre la situation » (May, 1971, p.26)

Une belle invitation à la liberté, à la sensibilité, et à la créativité !

5.1 Face à la première étape du choc

L’invraisemblable se produit : jaillissement dans la réalité d’une chose qui n’existait pas, ni dans la pensée, ni dans le monde. Parfois cela existait comme « une chose qui peut arriver aux autres », comme un des éléments contenus dans un film ou un reportage, ou même chez des voisins, mais finalement loin de chez soi. C’est par exemple le cas de l’annonce d’une pathologie lourde.

D’autre fois cela n’existait même pas du tout d’aucune manière. La femme dont le conjoint s’est suicidé après avoir tué leurs deux enfants se retrouve face à une situation qui n’existe nulle part dans la conscience, qui ne semble même pas vraisemblable.

Haroun Tazieff, célèbre vulcanologue disait qu’une tempête en mer c’est stressant, qu’on peut y être effrayé, mais qu’en dépit de notre peur on n’est pas surpris de l’instabilité de l’eau. Il ajoutait que par contre un tremblement de terre, c’est bien plus effrayant, car au plus profond de nous, « nous savons que le sol ne bouge pas », que c’est un élément stable… alors tous les repères volent en éclat quand l’ensemble du sol est secoué. Il y a là une chose qui se produit, pour laquelle nous n’avons aucune expérience existante, aucun outil de décodage, aucune solution de secours, aucune sensation ou moyen cognitif antérieurs capables de nous en alerter. L’improvisation y est absolue !

Quand il s’agit d’une chose qui n’existait qu’en tant qu’information qui jadis ne nous concernait pas, il y a au moins déni (négation de la réalité perçue) au plus dénégation (cette réalité n’existe pas et n’est même pas perçue). Quand il s’agit d’une chose qui n’existait nulle part dans aucune conscience, il y a directement dénégation. Dans les deux cas il y un état de choc, de sidération. En effet ce qui n’existait pas comme une réalité vraisemblable tangible peine à être identifié.

Le choc conduit la psyché à se protéger. Pour se protéger elle opère un clivage afin que l’émotion éprouvée ne gagne pas l’entièreté de Soi. C’est elle qui se scinde par survie, et non le choc qui la brise. Comme le disait Sándor Ferenczi, le sujet devient deux. Il y a d’un côté celui qui a souffert, qui est éloigné de la conscience dans une auto-anesthésie rendant le phénomène à peu près supportable ; il y a de l’autre la conscience qui tente de retrouver un équilibre (homéostasie*), qui peut aller jusqu’à faire « comme de rien n’était » et donner l’impression que, finalement, tout ne va pas si mal. Quand il y a clivage et anesthésie, l’apparent équilibre n’incite pas la personne à demander une aide, ni les intervenants à la lui proposer.

*Nous prendrons soin de différencier l’homéostasie (retour à l’équilibre) et le développement (ajouts) ou le déploiement (réalisation de ce qui est déjà là en puissance)

Il se peut aussi, assez souvent, que ce clivage peine à se faire immédiatement, et que le sujet reste « collé » à cette « part de lui » en trauma. Il est secoué dans son entièreté. Dans ce cas, la prise en charge immédiate est facilement demandée ou proposée.

Dans la phase de defusing, le sujet qui raconte les faits, ses pensées et ses ressentis, amorce une « métaposition » favorisant ce clivage. Ce n’est pas encore une prise en charge thérapeutique, mais un point d’où elle va ensuite pouvoir le faire. Le fait d’énoncer n’est pas thérapeutique à proprement parler, ce n’est pas encore une « remédiation » entre celui qu’il est et celui qu’il était au moment du choc.

La qualité de la communication en maïeusthésie, permet de différencier

1/Le sujet,
2/Ses émotions éprouvées,
3/Les faits qui se sont produits.

Pour l’accompagnant, le fait de placer l’Être en premier, ses ressentis en second et les faits en troisième, rend la rencontre et l’accompagnement plus aisés. Cela donne aussi à la victime ayant vécu ces faits le sentiment d’être rencontrée comme un humain que l’on est heureux de contacter, et non comme un phénomène source d’effroi.

Il est toujours délicat d’énoncer les phénomènes et les processus comme des généralités, même si cela nous arrange pour penser les choses. Classer, répertorier, prévoir… tout cela nous rassure intellectuellement, mais la réalité est le plus souvent originale et ne souffre pas un tel enfermement en catégories.

En approximation, nous pouvons dire que le sujet ayant vécu le choc se trouve soit en sidération durable (reste collé), soit en clivage spontané (auto-scission de sa psyché), et qu’un échange avec une personne réellement communicante (qui priorise l’Être et son ressenti) est un bon début.

5.2 Après le choc

Ce qui est à retenir sans doute de plus important, c’est que le sujet ayant vécu une telle chose doit aussitôt faire l’expérience d’être rencontré comme un humain que l’on est heureux de rencontrer.

Le sujet doit être assuré qu’il ne produira pas l’effroi en énonçant son ressenti ou son histoire, mais il ne souhaite pas non plus une indifférence. Il a besoin de pouvoir s’adresser à quelqu’un qui prend la mesure de ce qui s’est passé, mais qui cependant reste sensible à son humanité afin de s’assurer qu’il est toujours un humain parmi les humains, et même un humain fréquentable.

Cette femme dont la fille est décédée ne peut en parler car celle-ci a été assassinée par son petit ami qui ensuite s’est suicidé. Si elle dit « mes filles » (elle en a deux) à quelqu’un qui en connaît une, celui-ci remarque « Je n’en connais qu’une ! ». Alors elle répond avec hésitation « mon autre fille est décédée ». En face, gêné, avec confusion on lui demande « que lui est-il arrivé ? » afin de témoigner une compassion …mais elle sait bien que si elle dit la raison, ça va être compliqué pour son interlocuteur. De son côté pourtant, cette femme a fait un chemin dans lequel elle a bouclé son deuil* (sa fille a parfaitement sa place en elle) et où elle s’est libérée de la rancune : elle a même eu de la compassion envers ce « petit ami » en souffrance**.

*Voir la publication « Le deuil » de mars 2011
**Voir la publication « 
Sans rancune ni pardon » de novembre 2016

Comme pour cette femme, le sujet a parfois pu accomplir un authentique cheminement de remédiation, mais cela n’empêche pas la difficulté de partage dans la vie sociale sur ce thème. Elle se retrouve à devoir protéger les autres de ce qui lui est arrivé.

D’autres n’ont pas trouvé les ressources pour accomplir ce deuil et cette remédiation. Ils auront mis « tout ça » de côté, ne l’évoqueront plus ni aux autres ni à eux-mêmes, tout en subissant des flashs-backs douloureux. L’équilibre fragile peut ainsi un jour exploser en décompensation à l’occasion d’une réactivation ou d’un effondrement de leur énergie …et ce n’est qu’à ce moment-là qu’ils vont consulter.

Boris Cyrulnik parle de cet homme qui, au retour de déportation, alors qu’il est faible et allongé, entend un proche lui dire ; « mon pauvre si tu savais comme on a eu faim ! ». Il rapporte qu’à ce moment-là, il a compris qu’il devrait désormais ne jamais en parler, car personne ne semblait en mesure de l’entendre.

5.3 Quand l’évocation est impossible

Parfois ce qui a été éprouvé se retrouve en dehors du champ du dicible. Par exemple au Rwanda, même si recueillir les témoignages a été important pour mettre en œuvre la justice, pour certains l’horreur fut telle que l’énoncé en est impossible. Alors, il n’y a même plus la place pour la haine ou la vengeance, pas même pour la justice. L’Être a été anéanti ! Il ne s’ensuit ni vie ni survie. Alors que cette femme était encore petite fille, sa mère a été amputée des quatre membres à la machette par les génocidaires. La petite fille qu’elle était a porté à boire à sa mère agonisante et pris soin d’elle jusqu’à ce qu’elle meure. Elle dit à ce jour préférer se taire et que l’anéantissement est trop grand pour témoigner de quoi que ce soit.

A ce stade nous voyons qu’avoir vécu un trauma lié à la violence est une chose (déjà immensément difficile). Mais avoir vécu un trauma lié à la cruauté en est une autre quand l’intention a été d’anéantir l’Être psychiquement, et pas seulement de saisir ses biens ou de supprimer son corps. Si la mort inquiète, elle fait cependant partie de l’évolution. La cruauté intellectuellement calculée, elle, est une innovation insoutenable où l’impact dépasse celui du risque de mourir. C’est une remise en cause de l’humanité qui est en soi … et même de l’Humanité tout entière d’où surgit l’impensable.

5.4 Proposition thérapeutique

5.4.1    D’abord un humain dans son humanité

Plus que jamais le patient qui a vécu un fait horrible a besoin d’être vu comme un humain qu’on se sent privilégié de rencontrer.

A l’énoncé de son vécu et des faits, il doit sentir qu’on reste présent, qu’on reste touché par l’humain qu’il est. Le praticien est censé n’être ni dans l’affect, ni dans l’indifférence (où pourrait nous conduire la fameuse « distance thérapeutique »). Il reste touché par qui est son patient. Le praticien est censé vivre cette rencontre comme un instant de grâce.

Vu ainsi comme un humain, avec le bonheur qui convient à la rencontre d’un humain, le sujet se sent déjà exister un peu plus, commence à percevoir que ce qui est horrible c’est ce qu’il a vécu, et non celui qu’il est devenu.  Il n’est plus « stigmatisé a priori » par l’horreur qu’il risque de susciter en s’exprimant.

Ceci est un préalable incontournable, fondamental. Ensuite, une action thérapeutique peut être mise en œuvre.

5.4.2    Énoncé des faits

S’il ne l’a jamais fait, le sujet en situation post traumatique aura besoin de narrer les faits. Celui qui l’accompagne pourra les entendre, mais tout en priorisant son attention sur l’Être qui les lui raconte, plus que sur les faits eux-mêmes. C’est cela qui lui permettra d’être, non pas avec une « juste distance professionnelle », mais avec un « juste tact professionnel » où il se sent touché par cet Être …et non « affecté par son histoire ». L’humanité qui se dégage ainsi de l’entretien contribue déjà à la restauration de l’humanité de son interlocuteur et prépare la phase thérapeutique.

Si le sujet a déjà raconté les faits auparavant (s’il a vécu une forme de defusing), il aura moins le besoin de le faire, voire pas du tout. Dans ce cas l’énoncé en sera sommaire ou inexistant. Le praticien ne forcera en aucun cas cet énoncé car non seulement ce n’est pas cela qui sera thérapeutique, mais cela pourrait s’avérer contreproductif (comme l’avait fait remarquer Sándor Ferenczi).

Dans les deux cas le praticien est censé ne pas mettre l’accent sur ces faits mais sur celui qui les a vécus et sur ce qu’il a éprouvé quand ils se sont produits. On pourrait même imaginer un entretien où les faits ne seraient pas abordés du tout, et où seul celui qui les a vécus et ses ressentis seraient évoqués. C’est là que se tient la « zone thérapeutique » proprement dite.

5.4.3    Les pensées et les émotions

Le souvenir de ce qui a été éprouvé, et la réalité de ce qui a été éprouvé. Voilà deux choses qui ne sont pas forcément identiques.

Le souvenir est une reconstruction mentale (pensée) qui peut différer de la réalité éprouvée. Or celui qu’était le sujet lors des faits a besoin d’être validé dans la réalité de ce qui fut son vécu. Pour y accéder, le praticien utilisera peu la mémoire de son patient. Il préfèrera que l’attention du patient se porte sur celui qu’il était lors de la situation et aille chercher une « information de première main » (et non un retraitement par la mémoire).

Il ne s’agit pas pour le patient de s’en souvenir, de la raconter, ou encore moins de la revivre, mais de porter son attention sur celui qu’il était à ce moment-là (puisque le clivage fait qu’il est devenu « deux ») et « de lui demander ce qu’il éprouve ». Comment fait-il cela ? Il n’est pas nécessaire d’utiliser l’hypnose ou quelques techniques de ce genre. Le praticien demande simplement « Vous pouvez mettre votre attention sur celui que vous étiez à ce moment-là !? ». Puis « Comment vit-il cette situation ? ». Si cela n’apparaît pas clairement il ajoutera « Demandez le lui ! ». Ainsi l’information vient directement de celui qu’il était et non de sa mémoire (qui n’aurait à proposer qu’un retraitement de celle-ci).

La plupart du temps le patient le fait spontanément. Quand il ne peut le faire (ce qui est assez rare), ce qui émerge indique simplement un chemin par lequel le praticien est invité à l’accompagner avant qu’il y parvienne. Par exemple, si la réponse du patient est « Je n’y arrive pas », le praticien demande alors « Que se passe-t-il quand vous essayez ? ». Il reçoit ainsi un indice de ce qu’il faut considérer avant d’y parvenir. Ou si le patient dit « C’est trop horrible », le praticien valide « C’est horrible à ce point. A ce point qu’il est difficile d’y revenir. Vous avez tout à fait raison, il ne faut pas revenir vers ce qui s’est passé, mais seulement aller vers celui que vous étiez quand ça s’est passé. On ne peut changer ce qui est arrivé, mais on peut changer qu’il n’y soit plus seul. »

Bien sûr, quand le praticien dit de telles choses, il ne fait pas que « les dire ». Son positionnement, sa posture, est en proximité avec celui qu’était le patient au moment du drame. Il se sent touché par le fait que celui qu’était le patient lui soit présenté avec tant de prudence, par le fait que celui-ci appelle la conscience du patient à travers les symptômes présents, et que ce dernier peine à l’entendre.

Je ne peux évoquer toutes les possibilités, mais ce qui est à retenir pour le praticien c’est que la retenue de son patient n’est jamais un blocage, mais une pertinence à l’œuvre pour assurer sa survie, et même pour accomplir un chemin qui lui permettra de retrouver son intégrité. Si le praticien croit au blocage et tente de le faire céder, dans ce cas il devient un dangereux accompagnant qui pousse son patient là où il n’est pas prêt. Le praticien est plus censé repérer et valider les pertinences pour les accompagner et les valider, que d’identifier les blocages et dysfonctionnements pour les faire céder ou les corriger. Jung et Rogers avaient bien identifié cette problématique :

« Dans la littérature il est tellement souvent question de résistances du malade que cela pourrait donner à penser qu’on tente de lui imposer des directives, alors que c’est en lui que de façon naturelle, doivent croître les forces de guérison » (Jung, 1973, p.157)

« …la résistance à la thérapie et au thérapeute n’est ni une phase inévitable, ni une phase désirable de la psychothérapie, mais elle naît avant tout des piètres techniques de l’aidant dans le maniement des problèmes et des sentiments du client. » (Rogers 1996, p.155)

La plupart du temps, si la posture du praticien est juste, le patient « connecte » directement celui qu’il était, et est en mesure de percevoir ce que celui qu’il était a éprouvé, puis de le valider (c’est la phase thérapeutique proprement dite : reconnaissance, intégration).

5.4.4    L’Être qu’il était

Le phénomène thérapeutique vient du fait que l’Être qu’il était reçoit de la reconnaissance et que son vécu éprouvé est validé.

C’est d’abord la posture essentielle du praticien, inconditionnelle, permanente, et indépendante des faits. C’est ce vers quoi il conduira le patient vis-à-vis de lui-même, là où il deviendra alors sa propre ressource. Le phénomène de clivage de survie initialement salutaire, suivi de symptômes tentant de permettre une remédiation intérieure ultérieure, sera accompagné avec bienveillance par le praticien qui se laisse en permanence toucher par la pertinence à l’œuvre chez son patient.

Quand cette situation de « proximité » du sujet en SPT avec celui qu’il était est réalisée, soit il perçoit spontanément ce que celui qu’il était a éprouvé, soit cela reste flou. S’il ne le perçoit pas clairement le praticien se contente d’inviter son patient avec un « demandez le lui ! ». La métaposition par rapport à celui qu’il était permet cela et, ce qui est surprenant, c’est que le vécu éprouvé se révèle ainsi parfois être totalement différent de ce que le patient imaginait en s’appuyant sur sa mémoire.

Cela peut se révéler avoir été bien moins douloureux qu’il ne le pensait, ou bien plus douloureux qu’il ne le croyait. Il se peut que la douleur ne soit pas de la même nature que ce qu’il pensait ou pas à l’endroit imaginé dans son souvenir.

Cette précision étant contactée, le sujet peut alors valider le ressenti éprouvé par celui qu’il était, et le praticien l’y invite avec par exemple « Vous pouvez lui dire : C’est donc cela que tu as vécu !? ». Une reformulation à la fois simple et délicate, chaleureusement reconnaissante, comme un accomplissement, comme une inestimable retrouvaille.

Il n’est pas nécessaire de savoir si le sujet « rencontre vraiment celui qu’il était » ou  « quelle est la part de réalité et d’imaginaire » dans ce processus. Toute vérification vers une objectivation serait déplacée. Le phénomène constaté est que dès que le patient réalise cela, il s’apaise (il s’agit juste d’en faire le constat phénoménologique).

5.4.5    La remédiation

La remédiation qui s’accomplit au cœur de la psyché est une source naturelle d’apaisement. Le praticien ne la produit pas. Il ne fait qu’en accompagner l’accomplissement en cours, qui était en marche grâce aux symptômes éprouvés chez son patient, mais peinait à s’accomplir.

Cet apaisement est constaté pour le patient lui-même, mais aussi pour celui qu’il était lors des faits, qui vient de bénéficier de cette humanité qu’on lui accorde. Celui qu’il était, quoique clivé n’a jamais cessé d’être « à côté de lui », en attente de reconnaissance et de validation. Les événements sont dans le passé, mais celui qu’il était est « là » bien présent en permanence depuis tout ce temps. Le projet du praticien ne doit pas être de l’éloigner, mais de lui restituer sa juste place au cœur de la psyché. Ce n’est qu’avec cette intégrité retrouvée que le patient retrouve la paix.

Toute idée d’élimination, de purification cathartique, d’accroissement du clivage dans la psyché, d’éloignement de celui qui a vécu ces faits dans une hypothétique reconstruction vers l’avenir, sont au mieux néfastes, au pire délétères.

Tout concourt à cette restauration de celui qu’on était dans son humanité (inestimable), clairement distingué des faits (négatifs jusqu’à l’horreur) et de ses ressentis éprouvés (validés dans leur nature - de quel type - et dans leur mesure – avec quelle amplitude).

Cette remédiation intérieure est phénoménologiquement une réalité subjective, dont le résultat est objectivement un apaisement tangible, dépourvu de risques de décompensations ultérieures, car elle ne résulte ni d’un pouvoir sur soi, ni d’un pouvoir contre des symptômes, mais d’une authentique restauration de Soi.  

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6    Restauration d’humanité

6.1 Perte d’humanité

Un Être qui vit une chose déjà impensable et indicible pour lui-même, qui voit en plus l’effroi dans les yeux de son interlocuteur quand il tente d’en dire trois mots plus ou moins adroits (souvent il ne peut qu’énoncer les faits) …vit un deuxième choc : le regard de son interlocuteur lui laisse à penser qu’il n’est plus rencontrable, qu’il se trouve « sorti de la sphère des humains rencontrables », voire « sorti de la sphère des humains tout court » !

Bien sûr il reste un humain à part entière, mais son attitude et ses paroles suscitant l’effroi de ses interlocuteurs le poussent vers la discrétion. Cela le conduit à une solitude douloureuse, venant s’ajouter à son trauma initial.

La douleur de son vécu est déjà une chose énorme, ainsi que la trace qu’il en garde, mais cette sensation de porter quelque chose qui le rend source d’effroi pour autrui est un deuxième choc, comme une sorte de « réplique » du trauma, différente du trauma lui-même, souvent ignorée car l’horreur du fait tient toute la place.

Pourtant, il a profondément besoin que l’on continue de le rencontrer avec bonheur. C’est même un fondement de la thérapie.

6.2 Restauration d’humanité

Aja Clavier (Membre du Comité International de la Croix rouge - CICR) est une praticienne que j’ai formée à l’approche maïeusthésique.  Actuellement en master de psychologie clinique, elle est intervenante humanitaire, interprète auprès des prisonniers de guerre en Afghanistan et en Irak. Ses interlocuteurs ont vécu l’abomination de la guerre et, le plus souvent, des tortures. Elle m’expliquait comment, dès qu’ils sont vus comme des humains (juste d’un regard) ils se redressent naturellement*. Eux-mêmes témoignent que le manque profond est d’être vus encore comme des humains, et que ce manque est quasiment « pire que les tortures elles-mêmes » (la déshumanisation fait partie du processus de torture). Bénéfice immense pour l’interlocuteur meurtri, mais aussi pour l’humanitaire qui, non seulement ne rentre pas de sa mission avec le poids de faits, mais avec le bonheur d’une rencontre.

*Voir son témoignage dans la revue Nexus n°103 (mars avril 2016) p.96.
http://www.maieusthesie.com/nouveautes/article/Maieusthésie_NEXUS103.pdf
(en ligne avec la permission de la revue)

Sans jamais sous-estimer la gravité des faits ni l’ampleur des abominations éprouvées, voir l’autre encore comme un humain et se sentir touché (et même privilégié) de le rencontrer, est un pilier majeur de la qualité de l’accompagnement.

Toutes les techniques, aussi pertinentes soient-elles, ne viennent qu’en second.

Bien sûr nous prendrons soin de différencier « être touché » de « être affecté ». On est naturellement touché par la rencontre d’un humain. On est naturellement affecté par l’impact d’une horreur. En approchant le sujet en situation de stress post traumatique, le praticien porte-t-il en premier son attention sur cet humain qu’il a le privilège de rencontrer …ou bien sur ces abominations qu’il a vécues pour l’en débarrasser ? Dans le premier cas il restaure son humanité, dans le second il renforce la perte d’humanité du patient de par la réaction que cela produit en lui. Et s’il tente de dissimuler ou contenir sa réaction, c’est encore pire car il perd sa congruence et tombe dans une sorte de fausse indifférence, accroissant le sentiment de solitude de son interlocuteur.

Ce premier pas de restauration d’humanité se fait spontanément par la posture du praticien quand celui-ci tourne résolument son attention vers le sujet (celui qui a vécu les choses) et non vers l’objet (les choses qu’il a vécues)*.

*Voir sur ce site la publication « Le positionnement du praticien dans l’aide et la psychothérapie » de décembre 2007

6.3 Se « décliver »

Ceci étant établi, le processus de « remédiation » peut alors s’accomplir. Celui qu’il a été lors du trauma appelle l’attention du patient à travers les symptômes persistants (émotions intempestives, flashs-backs), afin que celui-ci restaure son intégrité psychique (un symptôme est un signal « spécialement pour » et non une trace « à cause de »)*.

*Voir sur ce site la publication « Psychologie de la pertinence » de mai 2015

Le praticien aura soin de permettre à celui qu’est son patient de s’ouvrir à celui qu’il était. Pour cela il l’invitera à porter son attention vers celui qu’il était lors des faits (et non sur les faits) afin d’offrir à celui-ci une présence qu’il n’avait pas lors de l’événement. Il ne s’agit en aucun cas de lui faire revivre quoi que ce soit (pas de reviviscence ni de catharsis), mais seulement de lui permettre d’accompagner celui qu’il a été et qui a vécu tout cela.

Le patient va ainsi rendre à celui qu’il était son humanité, sa fréquentabilité. Cela peut s’accomplir relativement facilement dans la mesure où le praticien a déjà cette attitude et n’est pas simplement en regard d’humanité envers son patient, mais aussi envers celui qu’il était lors des faits. Le praticien y est déjà, et ainsi le patient peut l’y rejoindre plus aisément.

Un praticien qui garderait la moindre distance par rapport à celui qu’était le patient lors des faits et lui dirait « Allez-y, allez le rencontrer » ne lui donnera aucune raison d’y aller. Mais celui qui y est déjà et lui dit « Vous pouvez venir, j’y suis déjà et nous vous attendons, vous pouvez nous rejoindre » lui en donnera le goût. Bien sûr le praticien ne dit pas forcément ces phrases mot à mot, je ne décris ici que sa posture et son emplacement, pas un vocabulaire préfabriqué*.

*Voir la publication « Emplacement subjectif du praticien » de septembre 2016.

Le patient en situation de stress post traumatique va ainsi pouvoir remédier à son clivage, accomplir en lui une remédiation. Les événements sont dans le passé, mais celui qu’il était lors de ces événements l’a rejoint. Il retrouve ainsi son intégrité, il n’a plus besoin des symptômes pour le lui rappeler … ceux-ci s’apaisent spontanément, disparaissent car ils cessent d’être nécessaires.

6.4 Se « déployer »

Le processus de remédiation est une chose très importante. Mais une fois celui-ci accompli, il y a aussi celui de déploiement.

Boris Cyrulnik nous explique qu’après ce stress post traumatique, s’il y a résilience*, on ne redevient pas « comme avant » mais « un peu plus qu’avant ». Il insiste judicieusement sur le fait qu’il ne s’agit pas de redevenir identique à ce qu’on était, mais de devenir plus que ce qu’on était. De ce fait, le mot « résilience » (signifiant littéralement « retrouver son état initial après déformation ») n’est pas très heureux et je lui préfèrerai le mot « concilience », désignant avec plus de précision cet état de concorde intérieure, suivi de déploiement, dont parle si bien Boris Cyrulnik.

*Voir sur ce site la publication « Résilience » de novembre 2003

Ce « plus d’âme » peut être interprété comme un enrichissement d’expérience, mais aussi comme un déploiement accompli. Il y a certainement des deux, mais il ne s’agit pas de la même chose.

A ce titre nous prendrons soin de différencier le « développement » qui consiste en un ajout de quelque chose que nous n’avions pas, et le « déploiement » qui consiste en la révélation de quelque chose qui était déjà en soi et se révèle.

En psychologie nous pourrions dire que le « moi », qui est selon Freud « une construction stratégique pour gérer les problématiques de proies et de prédateurs dans la vie sociale » (Freud, 1985, p55-56), est une personnalité qui se « développe ». Alors que le « Soi » (Carl Gustav Jung) qui « Est déjà potentiellement », ne fait que se déployer. Idée proche de ce que Wilhelm Gottfried Leibnitz nommait « monades » (unités de conscience) décrites dans sa monadologie (1999). Selon lui elles contiennent déjà tout, et ne font que se déployer pour se révéler (au gré des événements, les déploiements diffèrent d’un Être à l’autre, mais tous contiennent déjà potentiellement l’entièreté de Tout).

Le savoir et la personnalité se développent, mais notre humanité et notre conscience se déploient : plus de sensibilité, réalité accrue de notre humanité, conscience de la dimension existentielle, différentiation de la profondeur et de la superficialité.

Celui qu’était le patient lors des faits (et qui s’est aussitôt clivé) est non seulement réhabilité, restauré dans son humanité, fait partie de la totalité de sa psyché, mais en plus il se révèle être une ressource inestimable, inspirant le déploiement du sujet. Il n’est pas ce « pauvre petit bout de Soi qui est revenu à la maison » pour s’y blottir discrètement, mais une profonde source d’inspiration vers un plus de Soi.

Il n’est pas rare que des personnes ayant traversé un drame et ayant pu accomplir cette remédiation (seules ou accompagnées par un praticien) se retrouvent avec une vision du monde plus sensible, plus subtile, plus ouverte, plus consciente. L’autre difficulté qui peut surgir à ce moment-là, c’est que ce « plus d’âme » ou ce « plus de conscience » est aussi assez difficile à partager avec l’entourage. Il ne s’agit plus du même enjeu que lors du trauma où il y avait une « perte d’humanité » éprouvée, mais d’une situation ou, au contraire, le « plus d’humanité » éprouvé est tout aussi indicible, et aussi peu entendable par l’entourage. Il en résulte aussi une discrétion, mais avec le délicieux sentiment de détenir un trésor et non plus de porter une horreur.  

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7    Du post traumatique vers le déploiement

Pour conclure, reprenons un rappel sommaire des étapes.

7.1 Le choc amène la psyché à se cliver par survie

Au moment du choc, il se produit d’abord un clivage naturel par réaction spontanée de la psyché afin d’assurer sa survie.

Ce fait que le patient soit clivé, bien avant Sándor Ferenczi, avait déjà été identifié par le médecin précurseur de la psychiatrie Philippe Pinel (1745-1826), pour qui les malades mentaux n’étaient pas « vides » (comme on le croyait jusqu’à son époque), mais seulement « devenus étrangers à eux-mêmes ». Il les appela non plus « fous » (signifiant vides) mais « aliénés » (signifiant étrangers à eux-mêmes).

7.2 Trois types de manifestations s’ensuivent :

Ces manifestations peuvent être considérées comme des symptômes reflétant trois types de processus au cœur de la psyché survenant après le clivage (pulsion de survie) :

1/Les manifestations qui rappellent, par analogie du ressenti, l’Être de Soi qui a été clivé (pulsion de vie). Elles permettent de garder la possibilité d’un retour à l’intégrité. Ce sont par exemple les réminiscences, flash-backs …etc. Elles représentent un chemin, un accès préservé.

2/ Les manifestations qui permettent de compenser (pulsion de survie) le manque résultant du clivage, et aussi de diminuer ou d’éteindre les symptômes si leur intensité est trop forte. Ce sont le plus souvent les conduites addictives ou l’hyper activité. Elles jouent le rôle d’écrans protecteurs, rendant parfois les symptômes initiaux, décrits précédemment, moins accessibles, et donc la remédiation plus difficilement réalisable.

3/Les manifestations qui sont des réactions automatiques visant à éviter tout ce qui ressemble à ce qui s’est passé (analogies, transferts) afin d’automatiser les réactions de défense. Ce sont les sursauts, l’hypervigilance.

Le praticien aura soin de ne pas mélanger ces trois types de manifestations symptomatiques. Il les respectera selon leur nature et leur nécessité pertinente.

7.3 Considération et remédiation

L’accompagnant aura ces trois possibilités de manifestations à l’esprit et ne cherchera pas à les combattre. Il les utilisera selon leur nature et leur rôle spécifique :

1/Les symptômes qui rappellent à Soi l’être clivé seront utilisés comme portes d’entrée pour accéder à la remédiation.

2/Les symptômes qui servent à compenser ou anesthésier seront validés comme moyens temporaires.

3/Les symptômes qui portent à une hypervigilance, s’ils persistent (mais le plus souvent ce n’est pas nécessaire après une remédiation) pourront faire l’objet d’un nouvel apprentissage (par exemple en TCC).

Dans ces trois cas, les symptômes feront l’objet d’une posture de gratitude car ils ont assuré la survie du sujet jusqu’à ce moment thérapeutique. Il ne peut en aucun cas s’agir de quelque chose que l’on rejette avec mépris ou dénigrement. Ils ont joué leur rôle, et quand ils ne sont plus là …c’est juste qu’il n’y en a plus besoin, et non que l’on a mené un combat contre eux.

7.4 Déploiement accompagné

La remédiation, et éventuellement le nouvel apprentissage, ne doivent pas faire oublier le nouveau regard que le patient aura sur la vie, sur l’humanité. Son déploiement de conscience se devra aussi d’être accompagné, car le sujet se retrouve, là aussi, avec « un indicible qu’il a besoin de partager ».

Les nouvelles saveurs de la vie, la nouvelle conscience de l’humain et du monde, parfois même la zone expérientielle qui en résulte (ni sensorielle, ni intellectuelle, mais profondément éprouvée) doivent pouvoir être partagées avec un praticien en mesure de les entendre et de les valider. Quoique souvent indicibles, l’intellect peut en faire une esquisse dans une élaboration partageable.

Depuis son clivage de survie jusqu’à son déploiement, il est souhaitable que le patient en situation de stress post traumatique trouve des praticiens en mesure de l’accompagner à chaque étape.

Thierry TOURNEBISE  

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Bibliographie

Cyrulnik, Boris
-Le murmure des fantômes - Odile Jacob poches, Paris 2005
-De chair et d’âme – Odile Jacob, Paris 2006

Frankl, Victor
-Nos raisons de vivre, à l’école du sens de la vie- Interédition 2009

Freud, Sigmund
- Le narcissisme Tchou Sand 1985

Jung,  Carl Gustav 
-Ma Vie - Folio – Gallimard 1973

Leibniz, Gottefreid Wilhelm
 -Monadologie – Flammarion, 1999  

May Rollo (and all)
-Psychologie existentielle – Epi, 1971

Martin-Krumm Charles  et Tarquinio Cyril
-Traité de psychologie positive -De Boek 2011

Rogers, Carl Ransom  
-Relation d’aide et psychothérapie  – ESF, Paris 1996

Zajde Nathalie- Nathan, Tobie
-Psychothérapie démocratique – Odile jacob 2012    

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Dictionnaires, Manuels

Le ROBERT  Dictionnaire Historique de la langue française
-Alain Rey - ROBERT -Paris 2004

DSM IV-TR
-Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux- Masson, 2003

Liens

Liens internes au site
Vie et énergie mai 2016
Le deuil  mars 2011
Sans rancune ni pardon novembre 2016
Le positionnement du praticien dans l’aide et la psychothérapie décembre 2007
Psychologie de la pertinence mai 2015
Résilience novembre 2003

 

Liens externes
Alter Info
http://www.alterinfo.net/USA-Plus-de-Soldats-US-morts-par-suicide-qu-au-combat_a41345.html
Dr Ludwig Fineltain
Bulletin de psychiatrie (parution semestrielle ou annuelle) Bulletin N°16 Edition du 15 juin 2005
http://www.bulletindepsychiatrie.com/desastre.htm
Archives suisses de neurologie et de psychiatrie" (1998 ;149 : 218-28)
http://w2.uco.fr/~cbourles/OPTION/Competences/Debrief/Psych_debrief/CICR.htm
Eye Movement Desensitization and Reprocessing »*, l’EMDR
http://emdr.fr/historique.htm
Revue Nexus n°103 (mars avril 2016).
http://www.maieusthesie.com/nouveautes/article/Maieusthésie_NEXUS103.pdf
(en ligne avec la permission de la revue)

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