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Eloge de la différence

Source de progrès et de qualité de vie

août 2008    -    © copyright Thierry TOURNEBISE

 

Sommaire

1 Entre conflits et progrès

2 Des différences pour voir plus finement
- Histoire des télescopes – Histoire du savoir

3 Et dans la vie
-Dans la vie conjugale – Dans la vie familiale – Dans la vie professionnelle – Et même avec soi-même

4 Et dans la psychologie
- Les différences malmenées – Les approches en évolution – Le « miracle » des validations

5 Un point de vue dans chaque dimension
- Flatland – L’histoire

6 Simplicité et ouverture
- Des êtres et des raisons – Face aux conséquences inacceptables – Exemple de différence et de complémentarité  – La différence source d’évolution

Bibliographie

 

1   Entre conflits et progrès

La différence de points de vue semble être une source majeure de conflits… mais elle semble aussi être une source essentielle de progrès dans la société humaine. Elle l’est même dans l’ensemble de la vie, que celle-ci soit humaine, animale ou végétale. Le brassage génétique est source d’évolution, et les scientifiques ont remarqué que la consanguinité est, au minimum source de stagnation, et au pire source de malformations congénitales. Il est probable qu’il en va de même de la pensée, des idées, des façons de percevoir l’existence.

Il est indéniable pourtant que la tendance soit de se regrouper entre individus ayant la même façon de penser ! Cela permet sans doute de trouver une certaine dynamique de recherche et de réflexion, dans un environnement sécurisé. En effet, penser isolément peut rapidement atteindre une difficulté si notre propre pensée est attaquée de toute part. Pourtant nous savons tout autant qu’au-delà d’un certain seuil, former  un « club » de gens qui « pensent pareil » finit, au contraire, par scléroser la réflexion et la recherche. Nous voilà avec deux constats contradictoires : d’un côté une salutaire affirmation de soi (risquant cependant de conduire à une sorte d’isolationnisme), de l’autre un partage entre paires dans un objectif commun (risquant cependant de conduire à une sorte de sectarisme).

Nous devons nous rendre à l’évidence du bon sens : pour progresser nous avons besoin de penser par nous-mêmes, mais nous avons aussi besoin de partager avec d’autres qui pensent différemment, qu’il s’agisse d’individus ou de groupes d’individus. Mais cette évidence ne trouve pas si simplement sa réalisation.

Quelques personnes, cherchant maladroitement à justifier leur prétendue rigueur et surtout leur manque d’ouverture d’esprit, se réclament du cartésianisme. Il y a fort à parier qu’ils n’ont pas lu René Descartes. Celui-ci nous avait au contraire interpellés sur le fait que pour être créatif, il convient de penser par soi-même… Et aussi que des pensées différentes (voir opposées) ont toutes un fondement pertinent, sauf qu’elles ne passent pas par le même chemin.

Concernant le fait de penser par soi-même, dans le discours de la méthode il écrit :

« Mais après que j’eus employé quelques années à étudier ainsi dans le livre du monde,  et à tâcher d’acquérir quelque expérience, j’ai pris un jour résolution d’étudier aussi en moi-même… » (Le discours de la méthode, 2000, p.40).

Il met particulièrement l’accent sur la valeur d’une pensée singulière et insiste sur le fait que le nombre n’est pas une preuve de vérité :

« …la pluralité des voix n’est pas une preuve qui vaille rien pour les vérités un peu mal aisées à découvrir, à cause qu’il est souvent bien plus vraisemblable qu’un homme seul les ait rencontrées que tout un peuple » (Le discours de la méthode, 2000, p.41).

 « Il ne servirait à rien de compter les voix pour suivre l’opinion qui a le plus de partisans : car, s’il s’agit d’une question difficile il est plus sage de croire que sur ce point la vérité n’a pu être découverte que par peu de gens et non par beaucoup. Quand bien même d’ailleurs tous seraient d’accord entre eux. » (Règles pour la direction de l’esprit Règle III, 1999, p.43).

Concernant celui qui ne fait que suivre la pensée des autres, il nous met en garde :

 « …dès l’enfance il a pris pour la raison ce qui ne reposait que sur l’autorité de ses précepteurs… » (Recherche de la vérité par la lumière naturelle 1999, p.898) Ce que Descartes nomme « lumière naturelle » est la capacité de l’esprit à comprendre spontanément.

« Celui qui est, comme lui, plein d’opinions et embarrassé de cent préjugés, se confie difficilement à la seule lumière naturelle car il a déjà pris l’habitude de céder à l’autorité plutôt que d’ouvrir les oreilles à la seule voix de la raison. » (ibid. p.898).

Sur la richesse des différences de pensées, il ne manque  cependant pas de souligner le respect qu’il convient d’avoir envers les différentes opinions, différences qui semblent avoir pour lui une valeur sacrée :

« … la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies et ne considérons pas les mêmes choses » (Le discours de la méthode, 2000, p.29).

Concernant le respect et l’absence de prosélytisme : il propose sa démarche en se gardant bien de tout enfermement et ne fait que partager une possibilité parmi d’autres… car la liberté de pensée doit rester un bien inaliénable :

Dans ses dialogues, il fait dire à Eudoxe (le sage) : « je ne me suis jamais proposé de prescrire à quiconque la méthode à suivre dans la recherche de la vérité, mais seulement d’exposer celle dont je me suis servi » (Recherche de la vérité par la lumière naturelle 1999, p.900).

« Et particulièrement je mettrai entre tous les excès toutes les promesses par lesquelles on retranche quelque chose à la liberté » (Le discours de la Méthode, 2000, p56).

Comme vous le voyez, les esprits étroits qui se réclament du cartésianisme pour justifier leur limitation doivent réviser leurs sources !

2   Des différences pour voir plus finement

Comme pour les télescopes qui scrutent l’univers spatial, la pensée examinant l’univers intérieur devra, après une certaine croissance, trouver un supplément d’évolution dans le partage de points de vue un peu distants les uns des autres. Une seule pensée ne pouvant tout embrasser, celle-ci doit s’associer à d’autres pour continuer à découvrir le monde et aussi à se découvrir soi-même.

2.1Histoire des télescopes

Pour découvrir les étoiles, les galaxies et l’histoire de l’univers, au début, les astronomes et les astrophysiciens ont pensé à réaliser des appareils avec des miroirs (« lentilles » concaves réfléchissantes) de plus en plus grands. Cela permettait de capter de plus en plus de lumière et de mieux grossir les images, afin de voir de plus en plus loin et de plus en plus finement ce qui était trop peu lumineux pour être examiné avec le matériel antérieur. Concernant la luminosité, une partie du problème se trouva réglé par la photographie (qui, avec une longue exposition, peut capter plus de lumière), associée à la possibilité de laisser électroniquement un télescope pointé vers la zone à observer, pour une longue exposition (pas facile car la terre tourne sans cesse et l’image n’est pas fixe). Ces quelques révolutions technologiques conduisirent quand même nos chercheurs à un seuil, car on ne peut indéfiniment agrandir la taille des miroirs.

L’astuce consista à découvrir qu’on pouvait utiliser plusieurs télescopes suffisamment distants les uns des autres (utilisant donc un point de vue différent pour « regarder » le même endroit) et qu’il « suffisait » de synchroniser leurs images. Cela revenait à avoir un miroir virtuel d’une taille correspondant à la distance séparant les télescopes. Il n’y avait donc plus de limite… et même, plus la distance était grande, plus on avait de chance de mieux voir ! Le système fonctionne si bien qu’il est question d’utiliser ainsi plusieurs télescopes situés dans l’espace, afin d’augmenter la distance qui les sépare et d’affiner ce qui peut être perçu.

2.2Histoire du savoir

Nous ne tracerons pas toute  « l’histoire du savoir » (pas plus que celle de « tous les télescopes »). La tâche est trop ardue et ce n’est pas cela qui nous importe ici. Nous nous contenterons de remarquer que si les astronomes et les astrophysiciens ont tenté d’agrandir la taille des miroirs des télescopes pour mieux connaître l’univers, les penseurs et les chercheurs ont tenté d’accroître leur savoir personnel afin de mieux comprendre la vie. Nous sommes pourtant arrivés à une période où l’étendue des connaissances est devenue si vaste qu’elle ne peut être embrassée par un seul être humain.

Nous retrouvons le même  problème que pour le miroir : il ne peut dépasser une certaine taille. Au-delà d’une certaine taille les miroirs devenus trop lourds ne peuvent supporter leur propre poids sans se briser. Pour les chercheurs, j’entendais une émission de France culture commenter la vie de ceux qui sont morts pour la science, parmi lesquels les chercheurs en mathématiques sont ceux chez qui on compte le plus de suicides. Là aussi le "miroir" se brise sous son propre poids ! Au delà d’un certain seuil on ne peut pas accroitre sans risque l’étendue des connaissances maîtrisées par un  seul individu, par un seul point de vue.

Si nous nous inspirons de l’exemple des télescopes, il reste alors à synchroniser les « différentes images du monde » ainsi perçues. Cette apparente « tour de Babel » multipliant  les langages scientifiques,  philosophiques, sociologiques, psychologiques, spirituels ou religieux, offre des différences de points de vue créant tant de mondes distincts qu’il semble parfois y avoir opposition. Certains points de vue peuvent même se faire la guerre. Il est étonnant de voir par exemple comment un psychologue et un psychosociologue peuvent avoir des langages différents et parfois se heurter, alors que leurs disciplines ne sont pas si éloignées l’une de l’autre.  Le premier évoquera le rôle de l’histoire personnelle, le second défendra le rôle de l’apprentissage social et celui de la génétique. En fait il est probable que les deux aient raison. Mais comme pour les images des télescopes, reste à synchroniser les points de vue !

Cette synchronisation peut échouer car surgit là une difficulté :

-D’un côté, plus les points de vue sont éloignés les uns des autres plus nous avons la possibilité de comprendre finement.

-De l’autre, plus ils sont éloignés les uns des autres, plus nous risquons de rencontrer des contradictions (apparentes) si fortes que la synchronisation devienne difficile… voire quasi impossible. Chacun, aura alors tendance à défendre sa perception locale comme étant la seule vérité possible, perdant ainsi la possibilité d’affiner son approche du monde. Développant alors un regard excessivement sectorisé, pour ne pas dire sectaire… il se fermera à tout supplément de progrès.

Il s’agit de comprendre que « regarder ensemble » n’implique pas de « voir tous pareil » et que « voir différemment » n’implique pas que certains « voient juste » et d’autres « voient faux ».

J’aurai plaisir à illustrer ce propos avec un exemple tout simple : trois personnes voient un même objet. Les points de vue des deux premières sont différents au point de former un angle de 90%. L’une voit un cercle, l’autre un carré. La troisième placée dans une position intermédiaire, à 45° (et avec un autre éclairage), voit pourtant une sorte « d’ovale », une sorte de « gélule ».  Qui a raison ? Certains se trompent-ils ? Et si les trois ont raison, de quel objet s’agit-il ? Vous avez la réponse dans le dessin ci-dessous :

Figure 1 Deux formes « opposées » en regardant la même chose…

 

Figure 2 …et même une troisième sous un certain éclairage…

 

 

Figure 3 … représentent en fait un cylindre dans trois conditions différentes

Nous voyons clairement à quel point nous comprenons mieux de quoi il s’agit en synchronisant les perceptions, en les ajoutant les unes aux autres, plutôt qu’en les opposant. Il s’agit de se demander « en quoi sont-elles toutes justes et pour quelles raisons ? » et non de se demander « lesquelles sont justes et lesquelles sont fausses ? ».

Naturellement il ne s’agit là que d’une illustration très schématique (c’est le moins qu’on puisse dire !), mais elle montre avec simplicité comment les trois points de vue aident à comprendre de quel objet il s’agit.

3   Et dans la vie…

Vous objecterez avec justesse que la vie est plus complexe qu’une histoire de cylindre. Cet exemple n’avait pour but que de se mettre dans l’ambiance d’un concept : celui où la différence, même quand elle conduit à une opposition, peut aider à mieux percevoir une réalité. Poursuivant notre cheminement avec des exemples plus proches de notre vie, nous pouvons aborder, par exemple, les domaines du couple, de la parentalité puis du travail.

3.1Dans la vie conjugale

L’homme et la femme ont chacun une vision du monde. Pour celui qui a un peu de discernement, la différence entre l’homme et la femme ne tient pas qu’à leur anatomie ! Avec humour un auteur nous dit que  « les hommes viennent de mars et les femmes de vénus » (John Gray, 2003). Naturellement les hommes sont aussi tous différents entre eux, et les femmes sont aussi toutes différentes entre elles. Mais les hommes et les femmes ont un type de regard bien différent sur le monde, dont on ne peut dire que l’un ait raison et l’autre ait tort… mais simplement qu’ils sont différents et très probablement complémentaires.

Certains trouverons que des hommes sont plus comme ceci et que les femmes sont plus comme cela. Et d’autres que c’est l’inverse ? Alors prenons un exemple concret qui n’est pas sensé représenter tout ce qui se passe, mais qui est une possibilité parmi d’autres :

-Il lui dit : « J’aimerai que tu sois plus proche de moi, plus tendre… »
-Elle contredit : « Si seulement tu prenais le temps de m’écouter, de me parler, de partager… »
-Il recontredit « Mais quand je m’approche de toi ce n’est jamais le moment ».
-Elle rerecontredit « Oui mais je voudrais que tu t’approches plutôt pour me rencontrer ».
-Il oppose encore en ajoutant « Mais je n’arrête pas de te dire des mots tendres »

Lui réclame une attention corporelle. Elle réclame une attention existentielle. Cela tient juste à leur mode de perception et tous deux ont raison de leur point de vue. Le problème est qu’ils pensent chacun devoir revendiquer leur vérité auprès de l’autre qui ne l’entend pas, sans jamais se pencher sur le fait que le propos de l’autre est une vérité aussi, de son point de vue (vous pouvez lire à ce sujet la publication de  février 2001 « Passion »).

Naturellement cet exemple est caricatural (même s’il ne l’est pas autant que le cylindre) et nous ne pouvons (et ne devons) en aucun cas en faire une généralité.

Nous trouverons aussi pareilles différences dans l’éducation des enfants avec les exemples qui vont suivre.

3.2Dans la vie familiale

Retrouvons notre couple, mais cette fois-ci parlant à propos de leur fils.

Lui dit « nous devons être plus ferme avec lui si nous voulons qu’il fasse l’apprentissage des difficultés de la vie ».

Elle contredit « Oui, mais si nous ne lui donnons pas un peu d’attention, de tendresse et de reconnaissance, il ne constituera pas la base qui lui permettra de faire face au monde ».

Voilà encore deux points de vue opposés que chacun va défendre aux yeux de l’autre qui, lui aussi défend le sien. Au lieu de considérer que ces deux assertions sont justes, et méritent simplement une synchronisation, chacun risque de se fermer sur sa position et développer le sentiment que l’autre ne le comprend pas.

Puis, directement avec leur enfant, nous pouvons rencontrer la situation suivante :

Celui-ci pleure car un camarade s’est moqué de lui à l’école. L’enfant exprime des larmes. Son père et sa mère lui disent ensemble, pour le rassurer,  « Ne pleure pas comme ça ! Ce n’est rien. C’est lui qui est stupide ! »

D’un côté l’enfant exprime une peine légitime, de l’autre les parents tentent de l’apaiser en niant l’expression de cette peine, accusant même le camarade d’être stupide. Ils tentent de provoquer un apaisement de leur enfant en en « démolissant » un autre. Or, non seulement la peine de leur enfant est légitime, mais la remarque du camarade aussi ! Celui-ci avait également une raison, sauf que cette raison n’était pas leur fils, mais plutôt un inconfort personnel ou une problématique qu’il tentait de gérer ou de compenser en s’attaquant à quelqu’un. Nous avons ici trois points de vue à considérer : celui de l’enfant qui a vraiment souffert, celui des parents qui mesurent l’objectivité des faits, celui  du camarade qui gère un inconfort personnel. Ils ont tous raison. Il s’agit de synchroniser ces différents éléments pour avoir une vision plus juste du monde dans ce moment là. Nous prendrons ainsi en compte que : c’est vrai que c’est douloureux (point de vue de l’enfant éprouvant ce qu’il ressent), c’est vrai que ce n’est objectivement pas important (point de vue des parents remarquant qu’il peut y avoir pire) c’est vrai que c’est important de nuire (point de vue du copain agresseur qui éprouve un mal être, un manque d’affirmation de soi le conduisant à écraser l’autre) Il n’y a là que des vérités relatives, et c’est dans ce sens qu’on peut toutes les considérer.

Je repense aussi à l’exemple (que je cite souvent tant il est explicite) de cet enfant de deux ans qui pleure depuis plusieurs semaines en se couchant le soir « J’ai peur du monsieur ! ». Il ajoute qu’il a peur de ce « monsieur qui tombe ». L’enfant, de son point de vue a peur et les parents, du leur, ne voyant aucun « monsieur qui tombe » tentent de le  rassurer en lui expliquant que ce monsieur n’existe pas. Cette opposition de points de vue se fait sans succès pendant des semaines jusqu’à ce que la mère demande à son fils « Qui est le monsieur qui tombe ? » et que le fils, du haut de ses deux ans, réponde « C’est Papy »… montrant à quel endroit « il  tombe »… endroit où son grand père est tombé un an et demi plus tôt (et oui l’enfant avait six mois !), ayant une attaque… dont il est mort.

Ici, les parents avaient raison sur le fait qu’il n’y avait pas de monsieur dans le présent et l’enfant avait raison sur le fait qu’il y avait bien un monsieur qui tombe à cet endroit et que ça fait peur de le voir mourir… sauf que son point de vue n’est pas placé dans la même époque. Nous voyons là que la différence de point de vue ne forme pas un angle dans l’espace, mais dans le temps !... et chacun des deux (l’enfant et son parent) a raison, du point de vue où il regarde. Il s’agit là aussi de synchroniser les points de vue sans qu’aucun des deux ne nie l’autre. Cela conduit à une vision plus profonde et plus réelle du monde à cet endroit.

Nous avons aussi l’adolescente qui ne mange pas et dit « Je suis trop grosse ». Les parents affirment « Mais non tu es bien comme ça ! Si tu ne manges pas tu vas tomber malade ». Les deux ont raison. L’adolescente se trouve trop grosse par rapport aux critères auxquels elle se réfère et les parents ont raison dans le fait qu’en mangeant trop peu on peut mettre sa santé en danger. Là encore il n’y a pas à trouver qui a raison ou qui a tort, et encore moins à trouver qui il faut convaincre. Il s’agit de synchroniser les points de vue différents mais tous justes. Il y a simplement à se demander « en quoi est-ce juste pour l’adolescente de se trouver grosse » et « en quoi cela est-il juste pour les parents de craindre un manque de nourriture », de valider ces deux justesses et de voir comment on peut assembler tout cela sans que personne ne soit nié.

3.3Dans la vie professionnelle

Nous trouvons aussi des angles de vision très différents dans le monde professionnel, où chacun défend « sa vérité » et veut convaincre l’autre. C’est même pour cette raison que j’ai publié en juin 2002 « Le danger de convaincre » (où je dénonçais que d’une part on nous met à juste titre en garde contre les sectes, et que d’autre part on nous demande maladroitement d’« être convaincant » pour réussir, nous invitant ainsi malencontreusement à générer de la pensée unique !)

Revenons à notre exemple du monde professionnel. Nous y avons, entre autre, le point de vue du patron et celui  d’un de ses employés. Il est évident que chacun des deux ne voit pas l’entreprise sous le même angle. Nous constatons aussi que l’un sans l’autre ne peut rien, car sans patron il n’y a pas de travail, et sans employé il n’y a pas de production. Nous pourrions supposer alors une étroite collaboration synchronisant les différences de points de vue pour avoir une vision optimisée de la réalité de l’entreprise. Hélas c’est rarement ainsi. D’une part le patron a tendance à penser que l’employé ne comprend rien aux réalités de l’entreprise et ne fait que remettre en cause ce qu’on lui demande et, d’autre part, l’employé qui a tendance à penser que le patron ne connait rien à la réalité du travail qu’il demande.

Patrons et collaborateurs feraient bien de synchroniser leurs différences de points de vue pour optimiser la pertinence de leurs actions. Sans doute que les difficultés économiques grandissantes vont obliger à faire « plus ensemble ». Comme le soulignait Albert Jacquart dans l’une de ses émissions radiophoniques, « Jusqu’à un certain point, les progrès de l’évolution se sont réalisés par la sélection naturelle des meilleurs, désormais, elle se poursuivra par la capacité à faire ensemble ». C’est un peu dans cet esprit que j’ai publié en janvier 2001 « La bonne distance dans le management ».

De même, un commercial qui sait faire « avec son client » plutôt que « contre lui », va réaliser de meilleures ventes. Il saura synchroniser les contraintes et les objectifs de l’entreprise avec ceux de son client.

Dans un service d’accueil nous aurons la même problématique face à une opposition ou face à de l’agressivité. L’usager arrive avec une raison, le personnel d’accueil en a une autre. La synchronisation de cette différence sera salutaire et montrera le professionnalisme de l’agent. J’ai publié à ce sujet en février 2006 « professionnaliser l’accueil » où je donne de nombreux exemples.

Il convient d’optimiser les situations en synchronisant les différences de points de vue. Cela ne peut se réaliser qu’en considérant que l’autre a une raison juste et nous aussi. Nous accomplissons cela sans trop de peine quand nous sommes dans l’assertivité, c'est-à-dire à la fois dans l’affirmation de soi et dans le respect d’autrui. Or l’expérience montre que l’on ne sait souvent que s’affirmer au détriment de l’autre et qu’on ne sait respecter l’autre qu’au détriment de soi. Quoi que délicate, la mise en œuvre de l’assertivité est possible et est sans doute l’attitude majeure qui permet l’évolution actuellement nécessaire. Il s’agit là d’une attitude plus performante que la manipulation, le conflit ou la fuite, qui sont hélas des attitudes souvent à l’œuvre dans notre vie sociale. J’ai publié en septembre 2001 un document détaillé sur ce sujet « Assertivité » et je constate avec plaisir que c’est un des plus consultés de mon site.

3.4Reflexe face à la différence

Face à la différence, nous n’avons que rarement développé un réflexe d’ouverture, et de réjouissance face à une opportunité de découverte!  Il y a plein de raisons à cela que je ne peux développer en détail ici, mais je pointerai juste que nous avons tendance à croire que notre point de vue est le meilleur, et que la différence de l’autre nous semble incongrue.

Dans les formations que j’anime, je demande par exemple à un participant de poser à un autre une question anodine, portant sur un sujet imaginaire et insignifiant. Celui qui pose la question est sensé être dans la gratitude envers celui qui lui donne sa réponse, car celle-ci ne lui est jamais due (voir à ce sujet « Communication thérapeutique » à « L’art de poser une question juste »).

Nous remarquons qu’à chaque fois que les réponses ne correspondent pas à ce qui est attendu par le demandeur, celui-ci ne renvoie jamais de validations correctes, et que même quand ces validations existent, le non verbal exprime clairement l’étonnement, la contrariété, l’agacement, la déception… ou toute autre chose qui ne marque pas le bonheur de bénéficier d’un nouvel éclairage. Nous vérifions alors que le positionnement du demandeur n’était pas juste et qu’il s’appuyait trop sur son point de vue personnel avant de demander. Cette capacité à ne pas savoir par avance à la place de l’autre est si essentielle que j’en ai publié en  avril 2001 « Le non savoir source de compétence ».

Le problème vient (entre autre) du fait que posant une question, celui qui demande attend certains types de réponses (voir pire encore : une réponse bien précise) et ne peut recevoir ce qui ne correspond pas à sa vision préconçue.

Faire face à la différence comme étant une opportunité de découverte, d’enrichissement des nuances, est hélas bien rare. Nous apprenons davantage à « supporter » les différences (c'est-à-dire à les « tolérer »), qu’à les vivre comme une richesse potentielle. En ce sens la « tolérance » est encore une insulte à la différence, même si elle est moins grave que l’exclusion.

3.5Et même avec soi-même

L’enrichissement face à la différence ne concerne pas seulement la différence de points de vue entre des individus distincts, mais aussi en soi-même, entre « soi et soi ».

Il arrive souvent que celui que nous avons été à un moment de notre vie soit en conflit avec celui que nous sommes aujourd’hui. En effet, notre vision d’aujourd’hui n’est souvent pas la même que celle d’hier. Par exemple hier un individu pensait qu’il fallait laver sa voiture tous les jours, aujourd’hui il pense qu’il vaut mieux être proche des siens tous les jours. Son point de vue a changé le jour où, victime d’un grave accident, il a découvert qu’il pouvait mourir. A cette occasion il changea ses priorités. Voici un exemple un peu caricatural, mais qui illustre bien le propos. Il se retrouve avec deux points de vue distincts (et même très distants) : d’un côté l’ancien point de vue où il priorise la propreté du véhicule, et de l’autre, le nouveau point de vue où il priorise la rencontre des proches. Le piège serait qu’il trouve désormais ridicule celui qui voulait laver sa voiture tous les jours. Ici aussi il s’agit plutôt de synchroniser les points de vue que de les opposer.

Il n’y en a pas un qui a tort et un qui a raison. Ils n’ont simplement pas les mêmes raisons. S’il regarde attentivement celui qu’il était, il découvrira qu’avec les bases dont il disposait, il avait besoin d’un véhicule propre pour ne pas avoir la désagréable sensation qu’on va le juger et pour qu’on s’intéresse un peu à lui. En effet, il avait peu d’estime de soi. Celui qu’il était n’a certainement pas besoin qu’on le méprise pour sa futilité, mais qu’on le comprenne et qu’on le considère avec la douleur de son manque d’estime de soi, résultant d’une vie où, jusque là, il n’a pas encore pu la construire. L’accident a agit sur lui comme une révélation où il perçut combien sa présence et la rencontre des autres sont précieuses. Il ne pouvait en prendre la mesure auparavant.

Nous trouverons la même problématique de différence de points de vue, entre un individu (malade alcoolique) devenu abstinent, et celui qu’il était quand il buvait. Celui qui buvait avait une raison de boire. Celui qui est devenu abstinent a une raison de l’être devenu. Ces deux points de vue doivent être synchronisés pour que le malade alcoolique devenu abstinent trouve une intégrité intérieure et ne se sente pas morcelé. Cela lui permet une vision plus délicate et plus sensible de l’existence et le rend moins exposé aux rechutes (voir à ce sujet ma publication de mars 2003 « Aider le malade alcoolique »).

Être ainsi capable de voir de deux points de vue différents (le point de vue de celui qu’on est, et le point de vue de celui qu’on était) est un peu comme voir des deux yeux. Celui qui ne voit que d’un œil  peine à percevoir le relief de ce qui l’entoure. Ce relief n’apparait dans toute sa dimension de profondeur que pour celui qui regarde avec les deux yeux, voyant chacun d’un point de vue différent. Si les deux yeux voyaient exactement pareil, il n’y aurait pas de perception de relief et nous peinerions à évaluer les distances.

Mais là nous irons encore plus loin : plus il y a de points de vue, plus la vision gagne en profondeur et en relief… à condition de synchroniser les différentes perceptions.  

4   Et dans la psychologie

4.1Les différences malmenées

Un secteur qui se devrait d’être particulièrement sensible à la valeur des différences est bien la psychologie. C’est pourtant un domaine où, trop souvent, chacun défend une façon de voir… avec même parfois un peu de mépris pour ce qui n’y correspond pas.

Même dans ce domaine sensible, où l’ouverture est sensée être la base fondamentale, les a priori vont bon train. Ces attitudes partisanes sont si fréquentes que Donald Wood Winnicott s’en afflige ouvertement :

« Je suis consterné quand je pense aux changements profonds que j’ai empêchés ou retardés chez des patients appartenant à une certaine catégorie nosographique par mon besoin personnel d’interpréter. […] C’est le patient et le patient seul qui détient les réponses » (Winnicott, jeu et réalité, Folio Gallimard 1971,  p.163)  « les exemples conduisent à épingler des échantillons et risquent d’inaugurer un processus de classification arbitraire et superficiel alors que ce que j’ai en vue est universel et connaît d’infinies variétés » (ibid p23)

Heureusement de nombreux praticiens, forts de l’expérience qu’ils développent au cours de l’exercice de leur profession auprès de leurs patients, restent dans une attitude de recherche et d’ouverture. Il reste cependant encore quelques résistances, pour ne pas dire quelques cloisons, entre les partisans de différentes méthodes comme par exemple ceux qui sont partisans de l’interprétation libidinale et ceux qui préfèrent l’approche comportementale et cognitive, ou bien d’autres encore, alors qu’ils feraient mieux d’unir leurs recherches.

Vivre les différences comme une richesse et une opportunité n’est pas encore un reflexe habituel. Nous ne voyons pas suffisamment que l’évolution consiste à prendre le risque d’hypothèses… même fausses. Le problème n’a jamais été l’hypothèse, mais seulement le fait de la prendre pour vraie avant qu’elle ne soit démontrée. Même fausse elle peut induire de la salutaire créativité.

Celui qui ne fait que « ronronner » dans ce qui est établit ne fait que produire des recherches sans âme et sans intérêt, il ne fait que réorganiser du déjà vu. Dans un domaine pourtant plus rigoureux que les sciences humaines, un illustre physicien, parmi les fondateurs de mécanique quantique, en avait fait la remarque :

« Le pape de la physique Wolfgang Pauli, avait d’ailleurs coutume de dire d’articles corrects mais sans âme qu’ils n’étaient même pas faux, tant il est vrai qu’une erreur inspirée peut être féconde. Il est même admissible, en physique, de prendre des libertés avec la rigueur mathématique s’il s’agit de promouvoir une direction de recherche et non d’en interdire une » (Bogdanov Avant le big bang 2004, p.345).

Ce qui confirme le propos de René Descartes :

« Certes l’entendement seul est capable de percevoir la vérité ; mais il doit être aidé cependant par l’imagination, les sens et la mémoire, afin que nous ne laissions de côté aucune de nos facultés » (Règles pour la direction de l’esprit Règle XII, 1999, p.75)  « Toutes les notions que nous composons de cette manière ne nous trompent pas en vérité, pourvus que nous ne les jugions que probables et que jamais nous ne les affirmions comme vraies » (Règles pour la direction de l’esprit Règle XII, 1999, p.85).

Le cognitiviste Jerome Bruner nous invite aussi à une nécessaire ouverture d’esprit pour échapper à ce qu’il appelle « méthodolâtrie » (1997, p.13)  et ne pas tomber dans un insupportable « bricolage » prétendument argumenté par la science :

dès «… qu’on commence à prendre à bras le corps les universaux, les hypothèses et les théories, ces appariements apparaissent pour ce qu’ils sont : bricolés pour l’occasion » (1997, p.30).

Nous n’oublierons pas non plus l’impressionnant théorème du mathématicien Kurt Gödel (1906-1978) découvrant que nous avons une infinité de vérités non prouvables par les données issues de leur propre environnement :

Théorème de Gödel : « Dans toute branche des mathématiques suffisamment complexe (par exemple l'arithmétique), il existe une infinité de faits vrais qu'il est impossible de prouver en utilisant la branche des mathématiques en question. »

Citation d’un passage de l’excellent site traitant ce théorème :
« La première conséquence de ces théorèmes est que la Vérité ne peut pas être exprimée en termes de démonstrabilité. Une chose prouvable n'est pas nécessairement vraie et une chose vraie n'est pas toujours prouvable. [….] De la même manière que l'ensemble des vérités est plus important que l'ensemble de ce qui est démontrable, la réalité est plus importante que l'ensemble des connaissances possibles. Contrairement aux enseignements de nombreux philosophes, être raisonné n'est pas simplement une question de règles. La raison est créative et originale. Pour trouver des vérités dans un système donné, il faut pouvoir s'en extraire et pour cela il faut une raison qui soit capable non pas de simplement rajouter des axiomes à un système mais d'en créer un nouveau dans lequel l'ancienne vérité indémontrable deviendra au contraire tout à fait démontrable ».
Source : http://membres.lycos.fr/godel/consequences.html page accueil http://membres.lycos.fr/godel/

Cela ne peut que conduire à l’humilité et devrait nous permettre de garder l’esprit ouvert à ce qui est extérieur, à ce qui est différent… surtout en ce qui concerne l’approche des « sciences » humaines !

Cette capacité à entendre la différence se trouve aussi dans les paroles de sages spirituels :

Pour  Thich Nhat Hanh

« L’écoute profonde nourrit à la fois celui qui parle et celui qui écoute (La Table ronde, Pocket, p.114- 2000). Ainsi les deux interlocuteurs se trouvent en permanence enrichis d’un tel échange.

Pour Lao Tseu

« Toutes nos manières de penser et de parler sont inapplicables à l’Absolu » [l’absolu est  ici la lumière intérieure] (Le Tao Te King, p.115) et concernant l’humilité de ne pas savoir par avance « Celui qui sait n’est pas érudit et celui qui est érudit ne sait pas » (ibid, [81]). Ainsi les propos ne peuvent être que relatifs… c’est ce qui fait leur justesse par rapport à la raison à laquelle ils se réfèrent, et l’esprit reste ouvert.

Comme vous pouvez le constater… les sources sont multiples quand on a le goût de les considérer dans leur diversité sans n’en prendre aucune comme exclusive.

4.2Les approches en évolution

Les différentes approches ont forcément toutes une raison et une justesse dans leurs bases, même quand on ne peut adhérer à tous leurs développements. Au-delà de leur efficacité, qui doit rester notre critère majeur, il est intéressant de comprendre les fondements pertinents de chacune d’elles. C’est dans ce but que j’y ai consacré plusieurs publications : celles d’avril 2008 « Psychopathologie », de mars 2005 « Libido amour et autres flux », de novembre 2005 « le ça, le moi, le surmoi et le soi ». Bien évidemment le sujet n’est pas clos avec ces trois documents !

L’ouverture est ce vers quoi tend la psychothérapie intégrative qui tente de synchroniser différentes démarches en fonction des besoins du patient. Il semble qu’on s’y détache progressivement de plus en plus des idées partisanes et c’est une bonne chose.

En tant que praticien, si on est dans une démarche analytique, on se doit de considérer avec égards les thérapies comportementales et cognitives, si on est dans les thérapies comportementales et cognitives, on se doit de considérer avec respect les approches psychocorporelles, si on est dans les approches psychocorporelles on se doit d’être interpellé par les approches familiales systémiques… etc.

La maïeusthésie tente de se situer dans une telle ouverture, même si elle ne prétend pas être parvenue à synchroniser toutes les différences que l’on trouve dans les approches disponibles dans les différentes écoles. Mais comme elle reste ouverte rien n’y est figé et l’évolution y continue perpétuellement.

4.3Le « miracle » des validations

C’est le respect très approfondi de la différence qui a conduit l’approche maïeusthésique à traiter de la validation sur 6 points distincts. La simple notion de feed-back (de réponse en retour à un propos ou à l’expression de quelque chose) n’est pas suffisamment précise et explicite pour tenir compte de toutes les composantes d’une validation de qualité.

La validation est déjà développée avec finesse dans l’approche de l’extraordinaire psychologue Noami Feil (« Validation mode d’emploi » - Editions PRADEL 1997) qui a pointé dans quelle mesure la reconnaissance du ressenti de l’autre peut accomplir quasiment des miracles. Le « prodige » ne s’accomplit qu’ à condition de valider le ressenti, et non le détail des faits que, finalement nous ne sommes même pas obligés de connaître.

Le parti pris d’une justesse :

Il s’agit là d’un parti pris, nous devons bien le reconnaître, et celui-ci ne peut garder sa place que s’il traverse l’épreuve de l’expérience. Ce regard tourné résolument vers la justesse (et non vers l’erreur à corriger) est un des fondements de la maïeusthésie. Pour réaliser cela il fallait naturellement nuancer les différents niveaux de validations. La maïeusthésie les approfondit particulièrement en distinguant la validation au niveau de la réception (on dispose de l’information), de la compréhension (on accède au sens), de l’accueil (on y accorde la valeur), de la gratitude (ce que l’autre exprime ne nous est pas dû), de la raison (validation cognitive) et du ressenti (validation existentielle). Seule une bonne intégration de la valeur de la différence permet d’en saisir les nuances.

Attester qu’on a reçu un message n’est pas la même chose que de déclarer qu’on l’a compris (car on peut très bien recevoir quelque chose et ne pas le comprendre). De la même manière, déclarer qu’on a compris n’est pas la même chose que manifester qu’on accueille (car on peut très bien comprendre quelque chose et le rejeter). Puis déclarer qu’on accueille est bien différent que de manifester de la gratitude pour ce qu’on vient de recevoir (car on peut très bien, hélas, considérer ce qu’on accueille comme un dû). « Recevoir », « comprendre », « accueillir », « remercier » est une chose, mais cela ne fait pas la validation de la pertinence, de la raison, du fondement. Nous pourrions parler là de « validation cognitive », en ce sens que nous sommes capable de dire à notre interlocuteur, « s’il y a en toi tel fondement, je comprends que tu ais telle pensée ». Par exemple, « si tu t’es fait mordre par un chien, je comprends que tu craignes les chiens ». Ce niveau de validation produit déjà chez l’interlocuteur un profond apaisement, un sentiment très agréable d’avoir été compris.

Nous devons cependant envisager un niveau de validation supplémentaire : celui de la « validation existentielle ». Celle-ci consiste en le fait de manifester une certaine « réjouissance » face à la présence et à la manifestation de l’autre. Une attitude chaleureuse de présence bienveillante et délicate par laquelle il se sent « le droit d’être au monde » avec son ressenti, avec son vécu. Une façon de lui donner la place dont il a besoin pour « se poser », pour « être », pour rassembler tranquillement les morceaux épars de lui-même, qui se sont disséminés tout au long de sa vie, au gré de ses difficultés ou de ses blessures.

Avec un tel niveau de reconnaissance, l’autre se sent immédiatement mieux. Cela ne prétend pas guérir quoi que ce soit, et pourtant, cela produit un apaisement instantané. Cela constitue, semble-t-il une base fondamentale à tout cheminement thérapeutique, même si, ensuite, il y a d’autres étapes.

C’est souvent sur ce point que butte le praticien. En effet, il voit souvent un problème à résoudre plutôt que quelqu’un à rencontrer. Il voit souvent une erreur à rechercher afin de la corriger, plutôt qu’une justesse à révéler. Il voit souvent quelqu’un dans l’erreur qu’il faudrait convaincre pour le sortir de son égarement, plutôt qu’un individu à reconnaître dans ses fondements. Ces écarts viennent de la croyance dans le fait que ce qui se passe « est mauvais » et doit être soit « éliminé », soit « corrigé ».

Être « explorateur de justesse » ne revient pas à la même tournure d’esprit que d’être « pourfendeur d’erreur ». Alors que le premier se trouve dans une position « d’accoucheur », le second se trouve dans une position, au mieux de « justicier », au pire « d’exorciste ». Se trouver face à quelqu’un qui propose de révéler la justesse qui est en soi ne produit pas la même sensation que de se trouver face à quelqu’un qui nous propose de pointer ce qui est mauvais en soi.

Pour ajuster son attitude de cette façon, il convient d’avoir compris que la différence n’est pas ennemie et qu’il peut y avoir de la justesse, même dans des choses opposées.

5   Un point de vue dans chaque dimension

Je ne peux résister à la tentation de citer une nouvelle fois cette histoire, que j’affectionne particulièrement. Je l’ai déjà citée dans d’autres publications, mais elle trouve ici une place d’honneur.

5.1Flatland

Flatland est un ouvrage intéressant sur la capacité à entrevoir ce qui ne correspond pas à nos critères habituels. Le titre signifie « Pays plat ». L’ouvrage à été rédigé par Edwin A. Abbott en 1884 et traite des dimensions supérieures. La pertinence de l’ouvrage lui vaut d’être cité dans les enseignements universitaires de mathématiques pour sensibiliser les étudiants sur le sujet. Il ne s’agit pourtant que d’une fable. Mais elle est très explicite concernant l’ouverture d’esprit à ce qui dépasse l’entendement habituel.

5.2L’histoire de Flatland

De façon tout à fait imaginaire, nous y trouvons des êtres à deux dimensions, vivant dans un monde plan à deux dimensions. Abbott nous explique que ces êtres sont des formes géométriques et que moins ces formes géométriques ont d’angles plus ceux-ci sont aigus et plus ils sont agressifs (le minimum étant un triangle et le plus « doux » des triangles le triangle isocèle). Il poursuit en ajoutant que plus ils ont d’angles (des polygones), plus leurs angles sont adoucis et plus ils semblent évolués.

Outre de nombreuses péripéties, le héros de l’histoire qui est un carré, est ouvert à diverses interrogations et rencontre un jour une sphère. Mais il n’en croise, bien sûr, que l’intersection avec le plan (monde à deux dimensions) dans lequel il vit… c'est-à-dire un cercle !

La sphère, qui existe également au-dessus et au-dessous du plan, tente de l’éclairer en lui disant « tu sais, il y a aussi en haut et en bas ». Le carré qui ne connait que son monde plan et ses quatre points cardinaux lui rétorque, tu veux dire « au nord et au sud ? ». En effet le concept de « haut » et de « bas » n’existe pas pour qui vit dans un plan. La sphère a beau redoubler d’ingéniosité dans ses explications, rien n’y fait pour se faire comprendre.

Elle opte pour les grands moyens, et décide de sortir le carré de son plan pour l’emmener dans l’espace. De là il découvre le monde sous un nouveau point de vue : il voit en même temps le devant et le derrière de tout ce qui se trouve dans le plan sans avoir besoin d’en faire le tour, et il voit même à l’intérieur des choses et des êtres, sans pour autant rentrer dedans.

Cette position « en dehors du plan » lui donne une vision si inattendue que, riche de sa créativité, il la prolonge spontanément en disant à la sphère « si je comprends bien, si je continuais dans une quatrième dimension je verrais même à l’intérieur de toi ! ».

En effet, dans un espace à quatre dimensions, on voit à l’intérieur des volumes à trois dimensions… vous comprenez aisément pourquoi certains enseignants en mathématiques utilisent cet ouvrage, car il permet d’aborder une ouverture du regard vers ce que notre esprit n’est pas habitué à conceptualiser.

Quand le carré reviendra dans son plan, il essayera en vain d’expliquer à ses congénères ce qu’il a vécu. Personne ne le comprendra et même cela lui vaudra quelques démêlés avec les autorités !

Cet ouvrage remarquable de Abbott ne servira pas qu’aux étudiants en maths. Il sera également précieux à ceux dont le métier est d’écouter les autres. En effet celui qui veut apporter un soutien par l’écoute se doit d’entendre ce qui est dans l’« espace psychique » de son interlocuteur. Or, ce qui se trouve dans cet espace psychique fait penser à cet « intérieur » qu’on ne voit qu’en changeant de point de vue, qu’en prenant une position dans une « dimension supplémentaire ».

6   Simplicité et ouverture

6.1Des êtres et des raisons

Toutes ces considérations ne doivent en aucun cas nous éloigner de la simplicité. Il s’agit de développer une certaine confiance, non pas en l’innocuité des actes d’autrui, mais en la pertinence de leurs fondements.

Parler de pertinence des fondements est quelquefois interprété comme « donner raison » à tout le monde, y compris aux auteurs d’exactions méprisables. Dire que « ils ont une raison » ne signifie en aucun cas que « ils aient raison ».

Pour développer ce regard confiant, ouvert aux différences de points de vue, il convient de faire cette distinction avec beaucoup d’acuité, et de ne pas mélanger « raison relative » et « raison absolue ». Tout être a une raison et on ne peut avancer qu’en révélant et en reconnaissant cette raison. Reconnaître qu’il y a une raison ne consiste pas à trouver une excuse et n’exempte pas la personne de répondre de ses actes devant la société. Pourtant, c’est seulement en trouvant, en comprenant et en reconnaissant la raison et sa justesse qu’on pourra aboutir à quelques améliorations de la vie des êtres en particulier, et de la vie sociale en général. Cela me fait penser au remarquable travail des IDSR (inspecteur départementaux de la sécurité routière) qu’il m’est arrivé de former. Leur rôle est à l’opposé de la répression : ils enquêtent auprès des auteurs ou victimes d’accidents graves et ne se contentent pas, par exemple, de constater qu’une personne a bu, mais aussi de comprendre les circonstances qui l’on conduite à boire. En effet, on ne peut remédier qu’à ce qu’on a compris et dont on a reconnu le sens. Il est un peu enfantin de croire qu’on peut remédier à ce fléau simplement en disant « c’est mal de boire ».

Je terminerai par une boutade en disant que ce n’est pas en démontrant aux êtres qu’ils sont stupides qu’on les rendra intelligents. Révéler la justesse qui est en eux sera beaucoup plus performant et constituera pour eux une base sur laquelle ils pourront bâtir leurs raisonnements ultérieurs.

Cela doit rester dans la simplicité. Sans doute est-ce en pensant à cela que le psychologue Carl Rogers nous parlait de « confiance inconditionnelle ». Cela vaut pour la communication dans la vie familiale ou sociale autant que pour les échanges en situations thérapeutiques. Carl Rogers a tenté de permettre de s’entendre malgré des différences de points de vue dans différents domaines, personnels,  sociaux ou même internationaux.  C’est sans doute pour cela qu’il fut proposé pour le prix Nobel de la paix… malheureusement  juste au jour de sa mort, le 04/02/1987 ! (André de Peretti, 1997, p.9)

6.2Face aux conséquences inacceptables

Certes, nous rencontrerons des différences particulièrement dérangeantes, et même d’autres, encore plus inacceptables dans leurs manifestations. Nous nous devons de préciser que l’acceptation des différences ne consiste pas à tout permettre quand cela met en danger autrui. Cependant, contrairement à ce qu’on pourrait croire, contrôler les actions quand elles sont nuisibles ne revient pas à contrôler l’auteur de ces actions. Avoir confiance dans la pertinence de leur source (la raison) ne revient pourtant en aucun cas à avoir confiance en l’innocuité de leurs conséquences.

Il s’agit là d’un ajustement délicat qui ne peut trouver sa place qu’avec lucidité et humanité, loin de toute analyse partisane.

Il ne s’agit pas ici de rendre acceptable l’inacceptable, mais d’apprendre à regarder de telle façon que, ce qui semblait inabordable le devienne. Je pense à cette judicieuse remarque d’Epictète, philosophe œuvrant vers l’an 50 après JC :

« Chaque chose présente deux prises, l’une qui la rend très aisée à porter, et l’autre très mal aisée. Si ton frère donc te fait injustice, ne le prends point par l’endroit de l’injustice qu’il te fait ; car c’est par là où on ne saurait ni le prendre ni le porter ; mais prends le par l’autre prise, c'est-à-dire, par l’endroit qui te présente un frère, un homme qui a été élevé avec toi, et tu le prendras par le bon côté qui te le rendra supportable. » (Epictète, Manuel XLIII).

La psychologie moderne ne le contredira pas bien au contraire. Sonja Lyubomirsky, directrice du laboratoire de psychologie positive de Californie, s’inspirant de recherches approfondies sur le sujet  nous dit, dans son excellent ouvrage « Comment être heureux… et le rester » (Flammarion, 2008) :

« Dès aujourd’hui, faites le choix de réagir de façon ˝active et constructive˝, avec intérêt et enthousiasme aux événements positifs, petits ou grands, qui affectent vos amis ou vos proches. Une étude a prouvé que les gens qui font cet effort trois fois par jour pendant une semaine deviennent plus heureux et moins enclins à broyer du noir » (p.156).

Concernant les personnes ayant été désagréables à notre égard, elle propose également :

« Cherchez une explication bienveillante à ses actes » (p.191).

Voilà une belle invitation à saisir l’existence par la prise aisée ! Une belle ergonomie relationnelle.

Nous devons cependant convenir que certaines choses resteront probablement inacceptables quoi que nous fassions. Naturellement ce sont les choses et non les êtres qui seront ainsi inacceptables, mais nous peinerons parfois à dissocier un être de ses actions… et des conséquences de ces actions quand celles-ci causent une certaine dose de nuisance. Si nous reprenons l’exemple des télescopes, nous remarquerons qu’au-delà d’une certaine distance les séparant, ils ne peuvent pointer dans la même direction et synchroniser ce qu’ils perçoivent. Celui qui se trouve aux antipodes ne peut pointer vers le même ciel !

Pourtant, dans le cas l’observation psychique, si l’on s’en réfère à Flatland il y a des points de vue insoupçonnés depuis lesquels on peut voir un ensemble qui paraissait inaccessible et percevoir en même temps le devant et le derrière d’une même chose en changeant de plan, ou en passant des deux dimensions du plan aux trois dimensions de l’espace.

6.3Exemple de différence et de complémentarité

L’ouvrage de Sonja Lyubomirsky ne va pas vraiment dans le sens de la maïeusthésie. Certains passages font même craindre de perdre le chemin d’avec soi-même, en manquant de considérer nos symptômes comme des opportunités de rencontre de soi. De la même façon, madame Luybormirsky pourrait dire qu’elle craint que la maïeusthésie fasse perdre une vision suffisamment ressourçante de l’environnement présent.

Voilà donc un bel exemple de différence à examiner de plus près, avec circonspection, mais avec ouverture.

En effet, sous prétexte de positivisme, certaines de ces précieuses opportunités que représentent nos symptômes peuvent être perdues. Mais en y accordant plus d’attention nous remarquons que cette différence majeure n’est pas un obstacle, car les observations de madame Lyubomirsky sont très justes, de même que les expériences sur lesquelles elles s’appuient… tout autant que les résultats qu’on obtient en maïeusthésie.

Dans les deux cas nous considérons ce qui parait sous un angle valorisant, et dans les deux cas les résultats en attestent.

Je ne peux que partager son propos quant à son approche de la gratitude (p.98-105), quant à la considération selon laquelle les couples qui fonctionnent sont ceux qui consacrent cinq heures de plus que les autres  par semaine à communiquer entre eux sur leurs ressentis (p.152), quant au fait qu’elle dénonce le leurre de la catharsis (le fait de chercher à éliminer) et quand elle précise que chaque fois qu’on se remémore une situation douloureuse on ne fait qu’en raviver la douleur (p.192).

En maïeusthésie, nous ne mettons jamais notre attention sur ce qui s’est passé de douloureux, mais sur celui que nous étions à ce moment là, en lui accordant une grande valeur. Ainsi nous ne perdons pas celui que nous étions, sans pour autant raviver la douleur. Il en résulte généralement une rapide (parfois instantanée) disparition des symptômes, dont le rôle était de permettre l’accomplissement de cette réhabilitation de soi.

De son côté, la psychologie positive exposée par madame Lyubomirsky met l’accent sur le fait de remarquer dans le présent tout ce qui peut faire ressource. Un art de vivre qui, si l’on prend garde à ne pas effacer les chemins conduisant à soi, est une base majeure pour disposer, dans le présent, de tout ce qui nous permettra d’avoir la ressource nécessaire à l’accomplissement du reste.

Nous nous trouvons donc face à deux approches qui se complètent et non qui s’opposent, contrairement à l’apparence première que donnerait un regard superficiel.

Nous pourrions poursuivre ainsi avec bien d’autres approches et ces quelques lignes sont loin d’avoir exploré toutes les différences possibles : races, cultures, religions, athéisme, politiques, insatisfaction de son image corporelle, de son caractère, de ses compétences…etc, et aussi comment trouver sa place dans un monde où l’on sent que sa propre différence est malvenue, un peu comme dans la métaphore bien connue du vilain petit canard.

Chacun avec sa différence participe à l’avancée du monde, même si cela ne paraît pas instantanément. Naturellement cela ne doit pas faire occulter la difficulté vécue par certains, dont la différence induit une grande pénibilité à vivre. Il s’agit autant, pour ceux qui sont « comme tout le monde » d’ouvrir leur regard et leur bienveillance envers ceux qui portent une différence, qu’à ceux qui sont avec cette différence de s’ouvrir à ceux qui sont « tous pareils ».  Le flux se doit d’être réciproque à chaque fois que c’est possible, car l’apaisement et l’éclaircissement peuvent venir d’une ouverture apparaissant d’un côté comme de l’autre. Il serait cependant maladroit de toujours attendre que ça vienne de l’autre ! En toute modestie, celui qui s’ouvre, ce sera celui qui le peut le plus facilement, compte tenu de ce dont il dispose !

6.4La différence source d’évolution

Ces quelques lignes, comme un éloge de la différence, nous portent à remarquer que nous ne progressons que grâce à elle. Qu’il s’agisse de la différence entre nous et autrui, ou entre soi (celui qu’on est) et soi (celui qu’on a été). Toute tentative de l’entraver revient à freiner un progrès. Il n’est pas plus souhaitable que nous soyons « tous pareils » qu’il n’est souhaitable que nous soyons « toujours pareils ». Quand tout est pareil, rien ne peut se produire. Même l’univers n’a pu devenir ce qu’il est que grâce à des fluctuations initiales qui ont fait qu’on en est arrivé à la complexité des galaxies, des étoiles, des planètes et finalement de la vie dans toute sa diversité (les curieux liront avec plaisir à ce sujet « La mélodie secrète de l’univers » - de Thrin Xuan Thuan, décrivant à la fois l’histoire de l’univers, mais aussi l’histoire de la pensée humaine face à celui-ci). Tout se bâtit à partir de la diversité et chaque différence contribue à une construction nouvelle, à une vision plus fine, plus précise.

Je souhaite sincèrement que la présente lecture vous ait apporté quelques interpellations pour conduire vos recherches et votre réflexion, sans pour autant enfermer dans aucun présupposé (même s’il y en a forcément).

Il est parfois délicat d’écrire ou d’enseigner en laissant une liberté suffisante à celui qui nous lit ou nous écoute. Le formateur ou l’enseignant peut parfois malencontreusement et involontairement induire quelques limitations. Etant averti de ce risque, il suffit pour celui qui enseigne, comme pour celui qui est enseigné, de rester en vigilance. Les quelques aléas qui se produisent seront ainsi vite réajustés et les valeurs créatives de la différence en resteront préservées.

Thierry TOURNEBISE

 

Bibliographie

Abbott, Edwin
-
Flatland    -Edition du groupe « Ebook libres et gratuits » -1884
disponible en pdf  à
http://www.ebooksgratuits.com

Descartes, René
-
Le discours de la méthode – Flammarion, Paris 2000.
-
Descartes, Œuvres Lettres -
Règles pour la direction de l’espritLa recherche de la vérité par la lumière naturelle – Méditations – Discours de la méthode  « Bibliothèque de la Pléiade » Gallimard – Lonrai, 1999  

Bogdanov, Igor et Grichka
-Avant le big-bang  - Grasset, 2004

Bruner Jerome
-Car la culture donne forme à l’esprit  - Gehorg Eshel, Genève 1997

Epictète
Manuel  - Nathan 2006

Feil, Naomi
-
Validation mode d’emploi- Pradel,1997

Gray John
-Les hommes viennent de mars et les femmes de vénus – Michel Laffon 2003

Peretti (de) André
-Présence de Cal Rogers – Editions Erès  1997

Lao Tseu
-Le Tao Te King –Editions Devry 2000

Lyubomirsky Soja
-Comment être heureux…  et le rester – Flammarion 2008

Thich Nhat Hanh
-Le cœur des enseignements du Bouddha- La Table ronde, Pocket - 2000) 

Thrin Xuan Thuan
-La mélodie secrète de l’univers- Folio essais Gallimard 1991

Winnicott, Donald Wood
-Jeu et réalité - Folio Gallimard 1