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Accompagner les
pulsions de vie et de survie

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Evitement puis rapprochement

Un antagonisme pertinent

Elisabeth Kübler-Ross mentionne les étapes de déni, révolte, marchandage, déprime et acceptation qui se produisent dans la fin de vie. J’ajouterai que ce sont avant tout des étapes de vie que l’on rencontre à chaque fois qu’un individu est confronté à plus qu’il ne peut surmonter à un moment donné.

Ce cheminement résulte de l’effet antagoniste de la pulsion de survie qui protège du choc en produisant l’anesthésie et de la pulsion de vie qui pousse à intégrer ce qui vient de se passer en produisant une sorte de réanimation pour y revenir.

Quand on comprend que ce mécanisme concerne toute la vie, on comprend aussi que de nombreuses situations de l’existence restent ainsi en suspend, coincées entre ces deux pulsions : celle de survie qui éloigne, celle de vie qui rapproche. On pourrait comparer la pulsion de survie à une pression qu’on exercerait sur un ballon pour qu’il reste sous l’eau et la pulsion de vie à la poussée d’Archimède qui tend automatiquement à le faire remonter à la surface.

Une lutte inégale

La lutte entre ces deux pulsions est inégale puisque, pour éviter et maintenir à distance, la première réclame de l’énergie alors que la seconde a juste besoin qu’il n’y ait plus d’énergie pour s’exprimer. Ainsi quand on n’a plus la force de maintenir le ballon sous l’eau, automatiquement il remonte.

Dans la vie, à chaque fois que l’énergie diminue, la vie apparaît. Cette part de soi cachée, qu’on ne savait accueillir, remonte. Il se présente alors une opportunité pour l’accueillir… si nous le voulons bien et si nous le pouvons ! Ce sont les différents moments de déprime ou de dépression rencontrés dans l’existence. Pour en savoir plus sur ce thème, si vous ne l’avez déjà fait,  je vous invite à lire sur ce site l’article de juin 2001 Dépression et suicide. Il est très important de bien comprendre ce mécanisme pour accompagner correctement un patient

Or au moment de la fin de vie, justement, ’énergie fait défaut. Curieusement, c’est au moment où la vie semble échapper qu’elle émerge.

Emergences

Des pans entiers de la vie émergent comme dans une «venue au monde». Tout ce qui a été jusque là maintenu «sous l’eau» refait surface.

C’est comme une invitation à réhabiliter tous ces morceaux de vie restés dans l’oubli, ou dans l’illusion qu’ils n’étaient pas importants. C’est un moment d’exception pour se réapproprier son existence, pour réparer les blessures, réconcilier les ruptures, entendre ce qui n’a jamais été entendu et dire ce qui n’a jamais été dit.

Savoir qu’il y a ces six étapes ne sert à rien si l’on n’a pas compris l’ampleur de cet enjeu. Faire le constat qu’un patient est dans la phase de déni, de révolte, de marchandage ou de déprime est inutile si cela ne permet pas de l’accompagner dans chacune de ces étapes.

Il est impossible de correctement l’accompagner si on ne comprend pas qu’il s’agit de morceaux de vie qu’il tente de mettre au monde, de faire naître enfin… afin de mourir entier avec un sentiment d’accomplissement. Finir de naître semble une tâche fondamentale avant de mourir.

Les accompagnants peuvent apporter beaucoup. Pour cela ils devront être au fait de ce que sont la communication, l’aide et l’accompagnement.

Sur ce site, je vous recommande de prendre connaissance des articles suivants : reformulation, personnes âgées, assertivité. Ainsi que du dossier Psychothérapie ou de l’ouvrage «L’écoute thérapeutique», chez ESF.

Vous pourrez ainsi ajuster vos connaissances en y incluant de nouveaux éléments permettant d’optimiser la qualité de votre aide. Dans l’article sur la reformulation, j’attire particulièrement votre attention sur le paragraphe «chaleur humaine et affectivité» qui est vraiment le minimum à lire pour toute personne souhaitant aider.

Accompagner les rencontres

Avec délicatesse, sans rien forcer, mais sans rien négliger, l’accompagnement consistera à aider ces rencontres de lui avec lui-même, de lui avec les autres et des autres avec lui.

Favoriser sa rencontre avec Lui-même

Le patient en fin de vie a vraiment besoin de se sentir accompagné dans ce processus de rencontre avec soi-même. Malheureusement, c’est trop rare.

Son entourage doit comprendre que la phase de déprime est un moment privilégié qui va permettre des réhabilitations, des naissances. L’intérêt disparaît pour que l’attention apparaisse. Les leurres disparaissent afin qu’il se rapproche de lui-même.

C’est le moment où surgiront de nombreuses réminiscences. Celui qu’il a été, dans de diverses circonstances de sa vie, refait surface. Il ne s’agit pas d’évocation du passé, mais d’un «contact» avec une part de lui-même qui constitue l’être qu’il est.

La structure psychique d’un individu est faite de celui qu’il est, de tous ceux qu’il a été (depuis qu’il existe) et de ceux dont il est issu (ses ascendants). Pour plus de détails sur ce point, lire le dossier psychothérapie au chapitre structure en puzzle.

Toutes ces parts de soi ne sont pas dans le passé. Seules les circonstances sont passées. Celui qu’il a été dans ces circonstances est toujours en lui, depuis ces instants, et n’a jamais cessé d’y être. Cela le constitue.

Exemples de rencontres

Mais ces parts de soi ont plus ou moins été maintenues à distance en fonction de la douleur qui a été ressentie à l’époque (pulsion de survie).

Sa fin de sa vie pourra, par exemple, ramener à sa conscience cet enfant rentrant de l’école, le jour où il n’a pas osé dire la douleur des moqueries dont il a souffert. Il n’a pas osé le dire car on lui aurait juste rétorqué «il faut te défendre» alors qu’il souhaitait juste qu’on comprenne sa blessure intime.

Cet enfant lui revient et il se sent plein de compassion pour lui. Au lieu de le mettre à distance, il en fait désormais «son ami». Enfin il l’entend vraiment. Il lui aura fallu tout ce temps et cette circonstance extrême pour lui donner sa place, pour ne plus le nier.

Pareillement  reviendra le moment où un parent est décédé, puis le jour où les enfants sont partis de la maison, ou encore cet instant où il a vécu un cuisant échec professionnel, puis celui où il s’est fâché avec un ami. Pour chacune de ces circonstances, il lui reste celui qu’il a été et qui lui «revient» à l’esprit.

L’évènement est passé, 
celui qu’il était est présent

Ces moments sont passés, mais celui qu’il était, dans chacun d’eux, n’a jamais cessé d’être là, en lui.

Ces moments, même ceux qui furent terribles, sont loin dans le passés.

Par contre, celui qu’il a été, dans chacun de ces instants, est précieux et n’a jamais cessé d’être là, en lui.

Ce qui vient de changer, c’est que la pulsion de vie l’emportant sur la pulsion de survie, désormais, il veut bien l’entendre, lui donner une place d’honneur au plus profond de lui-même, une écoute et une reconnaissance délicate.

Chacune de ces rencontres lui permet de se sentir de plus en plus entier.

L’accompagner, c’est l’aider dans ce processus. Il ne s’agit pas de simplement constater qu’il est dans la déprime, mais de comprendre cet enjeu de vie. Une présence chaleureuse et sécurisante est particulièrement requise ici car de telles «rencontres», bien que salutaires, sont parfois dans un premier temps très bouleversantes.

S’ajoutent à cela quelques espoirs déçus qu’il faut «digérer». Il rêvait de telle ou telle chose… pensant qu’il avait le temps. Mais elles ne se produiront jamais, puisqu’il n’y a plus de futur suffisant.

Tout ceci attend d’être entendu, reconnu, validé. Le patient attend qu’un interlocuteur puisse enfin l’entendre et l’aider à s’entendre lui-même. Il ne s’agit pas tant de trouver des solutions que de reconnaître l’importance et le côté précieux de chacun de ces ressentis.

L’aider à rencontrer ses proches

La rencontre avec ses proches est importante. Toutefois, elle n’est pas aisée.  Chacun tente de masquer son émotion, ou feint de ne pas voir la gravité de la situation. Chacun tente, au mieux, de rester digne et de faire «comme si de rien n’était».

Cela ne conduit qu’à une impression de superficialité ou d’indifférence maladroite.

En cachant son émotion, le proche n’est plus visible. Le patient en fin de vie se retrouve entouré de plein de monde, mais terriblement seul. Il n’a que des «fantômes  indifférents» en train de feindre une aisance qu’ils n’ont pas et affichant une dérision déphasée par rapport aux enjeux subtils de la situation.

Heureusement, ce n’est pas toujours ainsi. Il arrive que le partage soit profond, intime, authentique. Cette attitude est vraiment à encourager quand elle est possible.

Naturellement en pareils moments il serait mal venu de reprocher quoi que ce soit à qui que ce soit. Chacun fait comme il peut.

Comprendre l’importance de cette authenticité permet d’encourager des rencontres trop hésitantes.

Se voir vraiment est le meilleur moyen de ne pas se manquer.

Parfois la personne en fin de vie attend aussi de revoir un proche resté loin, un parent avec qui il était en rupture. Cela devient l’opportunité de se dire ce qui trop longtemps resta tu. En cette circonstance exceptionnelle, il peut rompre un silence, libérer un secret.

L’accompagnement consiste à favoriser ces rencontres quand elles émergent. Même s’il en découle parfois des tempêtes (toutes les révélations ne sont pas confortables) c’est un cheminement indispensable pour chacun. La tempête passée, chacun constituera sa structure intime avec plus d’intégrité et de vie.

Parfois il ne s’agit pas de rencontre, mais de reconnaissance. Ce monsieur qui confie à un accompagnant combien il espère, après sa mort,  retrouver son épouse. Il a besoin de sentir qu’on valide ce que représente son épouse par un «vous aimez beaucoup votre épouse?».

Cette phrase n’a rien de magique en soi. Elle devra être accompagnée par un non verbal profondément reconnaissant de la dimension d’amour dont il parle. Une grande délicatesse et une grande subtilité dont vous trouverez les détails dans l’article reformulation où se trouvent des éléments souvent mal connus, même chez de nombreux spécialistes de l’aide ou de la communication.

Aider ses proches à ne pas le manquer

Pour lui, comme nous venons de le voir, la rencontre des proches est très importante. Quand elle est authentique, elle lui permet de ne pas se sentir seul. Dans cette rencontre, il doit pouvoir percevoir que ses proches «sentent quelque chose».

De leur part, la «fausse sérénité» prend vite des allures d’indifférence et fait trop mal.

Mieux vaut être capable de tomber dans les bras l’un de l’autre en larmes et de partager un ressenti spontané que de jouer un jeu de cache-cache où chacun ménage l’autre, mais aussi où personne ne voit personne.

Si cette rencontre est essentielle pour celui qui est en fin de vie, elle l’est tout autant pour les proches. Trop de pudeur à montrer ses ressentis personnels, et trop de peur à entendre ceux de son proche en fin de vie, conduisent à se manquer.

Le deuil qui suivra le décès sera d’autant plus douloureux qu’il n’y aura pas vraiment eu rencontre. Il est moins douloureux de perdre quelqu’un qu’on a rencontré que quelqu’un qu’on a manqué.

A ce sujet je vous recommande particulièrement le livre de Marie de Hennezel «On ne s’est pas dit au revoir» édité chez  Pocket Editions  et  chez Robert Laffont

Naturellement il est préférable que l’entourage lui «donne le droit de partir». Mais s’il ne le peut pas, il doit le reconnaître et jouer l’authenticité. De toute façon, par les comportements, le non verbal dit tout. Ce non verbal représente 90% de l’information qui transite entre deux individus. Gestes, mimiques et intonations de la voix sont autant de «renseignements involontaires» donnés à l’interlocuteur qui perçoit parfaitement s’il y a incohérence entre le propos et l’attitude.

Il vaut mieux montrer «j’ai trop de peine de te perdre» avec authenticité que de prétendre «ne t’inquiète pas pour moi ça va aller» en n’en pensant pas un mot.

Cela permet de partager ce qui est ressenti, ce qui se passe chez chacun. Cela permet d’en parler et de faire le chemin.

Pour celui qui va vivre un deuil, il y a aussi ces phases de déni, de révolte etc…

Lui aussi est confronté à l’invraisemblable, à l’inimaginable.

Mais pour que son deuil soit moins douloureux, il ne doit pas rater cette rencontre d’exception. Il y a lui et il y a l’autre, qui va partir. Ils ne doivent pas se manquer.

 

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