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Apaiser violence et conflits 2/3

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Immersion quotidienne

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Présence actuelle de la violence

Médiatisée

La violence touche toute la société. Naturellement, elle sera plus exacerbée dans certains lieux, certains quartiers, certaines familles ou certains métiers. Mais sous une forme ou sous une autre, elle est partout. Elle envahie aussi les loisirs, les médias, les jeux, les spectacles. Ce n’est pas forcément qu'i y a plus de violence aujourd’hui qu’autrefois. C'est juste que la violence a aujourd'hui plus de moyens pour s'exprimer.

Le sport ne peut se concevoir sans la compétition, et la compétition sans imaginer qu’on va écraser l’autre. Celui qui écrase sera porté aux nues et l’autre…réprimandé ou même rejeté. Personne ne songe à la qualité du spectacle qu’il a permis en offrant son partenariat à celui qu’on nomme «vainqueur». Sans ce «perdant» il n’y aurait eu aucun spectacle et le vainqueur n’aurait rien pu faire. Il n’aurait pas eu l’occasion d’exercer son art… il n’existerait même pas sans cet adversaire qui s'est donné la peine d'être à sa mesure. Où est le soi-disant esprit sportif?

La violence devient aussi un outil d’audimat avec de plus en plus de jeux ou d’évènements télévisuels dans lesquels un groupe de personne doit décider de l’élimination de l’un d’entre eux. Ce système consiste à vivre avec des personnes à qui on s’attache, puis à décider de l’«élimination» de l’une d’entre elles dans une sorte de Darwinisme cathodique. C’est pour le moins un curieux divertissement !

Passant du jeu à la réalité les informations télévisées nous fournissent plusieurs fois par jours, sur plusieurs chaînes, les meurtres, les morts les assassins, les violeurs, les malfaiteurs, les guerres… et parfois une petite bonne nouvelle ! Notre regard «s’habitue» à cette déferlante qui finit presque par laisser indifférent. Naturellement, il n’y a pas que de la violence offerte aux spectateurs que nous sommes, mais celle-ci tient beaucoup de place et exalte particulièrement le public.

Scolarisée

A l’école, l’enseignement de l’histoire retient essentiellement les guerres. L’élève y étudie ce qui s’est passé. Mais comme pour les infos de la télé, il se soucie peu de ceux qui vivent ou qui ont vécu ces évènements.

L’enseignant ne met pas particulièrement son attention sur ce point. L’élève devra retenir les dates, les chiffres et les faits, mais pas ce que les gens ont vécu! Il sera noté sur la mémoire des circonstances mais jamais sur le souvenir de ceux qui les ont éprouvées dans leur vie, dans leur chair et dans leur cœur. 

L’information se situe essentiellement au niveau de l’évènementiel. Rarement, si ce n’est jamais, au niveau de ceux qui vécurent les faits.

C'est un point fondamentale à revoir au niveau de l’éducation nationale. Nous remarquerons qu’elle se nomme éducation nationale et non enseignement national, comme pour souligner un rôle d’ouverture de conscience et pas seulement un rôle de bourrage de l’intellect… mais nous sommes trop souvent loin du compte!

L’éducation passe par le fait de comprendre ce que vivent les gens. C’est pourtant là que le fameux "devoir de mémoire" prend son sens et sert à quelque chose.

Réalités vécues

La violence, c’est aussi la réalité quotidienne de chacun. Au milieu de quelques bonheurs, dans chaque vie se trouvent aussi des agressions.

Certaines sont anodines comme une simple phrase désagréable. D’autres frappent sous la forme d’insultes et de vociférations. Certaines hélas vont jusqu’au coups, au racket, aux vols, aux blessures, aux viols et même aux meurtres.

Cependant, les violences extrêmes ont bon dos. Nous savons les utiliser pour masquer les petites violences disséminées tout au long de chacune de nos vies.

Enoncer la violence sous ses formes les plus graves permet d’occulter à bon compte celles qui habitent le quotidien, celles qui nous usent, celles qui sont habituelles et concernent tout le monde chaque  jors, celles qui nous plongent dans le stress ou le mal vivre, celles que nous commettons aussi nous même régulièrement, celles qui peuvent insidieusement conduire progressivement n’importe lequel d’entre nous vers des actes plus graves.

Quelques exemples

1- Une petite fille, un peu ronde,  vient de commencer un cours de danse. Elle est toute heureuse de se montrer en tutu à sa grand-mère. Celle-ci lui répond «Personne ne se moque de toi comme ça?»  (Elle s’en souvient encore douloureusement 20 ans après)

2- Un petit enfant  pleure car il vient de se cogner. La personne qui l’aime le plus s’approche de lui et lui dit «Ce n’est rien! Ne pleure pas!» (Sous entendant maladroitement que l’enfant pleure pour rien, comme s’il était stupide).

3- Une femme se sent douloureusement touchée par une fausse couche. Là aussi ceux qui l’aiment le plus lui diront: «Tu sais il ne faut pas t’en faire. Tu en auras un autre» (comme si celui qu’elle a perdu ne valait rien).

4- Une autre, qui vient d’accoucher se sent déprimée. Elle vit douloureusement de ne plus avoir son enfant dans son ventre. Il lui manque. Si elle a osé le dire, elle s’entendra délicatement répondre : «Mais il fallait bien qu’il naisse» (comme si elle ne le savait pas, histoire de passer pour une imbécile).

5- Un soignant, en hôpital psy, s’est fait frapper par un patient. Il s’entend dire par son responsable qu’il a bien du faire quelque chose qui a énervé le malade. Pour éviter un nouveau problème, et soi-disant pour le bien du soignant, sa hiérarchie le mute dans un autre service…sans autre discussion (ce n’était pas le souhait du soignant et, il se sent meurtri par cette injustice)

6- Aux urgences, une femme inquiète pour sa fille qui vomit, sollicite excessivement les soignants. Un médecin (sans doute très fatigué ce jour là) s’arrête et dit tout haut dans la salle d’attente «Laissez crever tout le monde, il y en une qui est pressée!» (La briser honteusement lui a semblé préférable que de valider son inquiétude... dont on a su plus tard la raison: une autre de ses enfants est décédée dans ce service d'urgence)

7- A l’école un enfant a eu plusieurs mauvaises notes. Son carnet porte la mention : «Proche du néant» (histoire de le motiver !)

8- Un jeune homme venant de vivre une rupture amoureuse s’entendra dire pour le remonter «tu sais ce n’est pas très important. Tu es jeune. Une de perdue dix de retrouvées. Tu devrais l’oublier. Ce n’était pas quelqu’un pour toi!» (Ainsi rien n’est validé, ni dans ce qu’il ressent, ni dans ce qu’il a vécu)

9- Un homme, dans une réunion de travail, exprime un problème professionnel à résoudre. Il s’entend dire: «Avec toi, il y a toujours des problèmes partout. Si tu crois qu’on a que ça à faire!»

10- A table, un grand-père dit qu’il reprendrait bien un peu de vin. Pour son bien, une voix s’élève «Tu sais très bien qu’il ne t’en faut pas!» (Le conseil ne se termine pas par espèce d’imbécile… mais presque)

Concernant les personnes âgées, vous aurez plusieurs exemples dans l’article de mai 2001 « personnes âgée » au chapitre douceurs et violences ordinaires

Du début à la fin de la vie les violences sont nombreuses, insidieuses, répétitives. Et je ne parle ici que des violences ordinaires… si ordinaires qu’on ne pense même pas vraiment que ce sont des violences. D’autant moins qu’elles sont parfois infligées de bon cœur par des gens qui nous aiment beaucoup (comme l’enfant qui pleure et à qui on dit ce n’est rien).Mais ces violences minent, elles rongent, elles usent…  et contaminent assidûment.

Envahissement intime

Contagion et épidémie

Ayant subi une violence, le réflexe est souvent de vouloir la retourner contre l’auteur. La pulsion nous conduit à faire subir à autrui ce qu’il nous a fait. Est-ce le biblique œil pour œil dent pour dent? Est-ce le syndrome de Némésis qui dans la mythologie grecque avait pour rôle de faire subir à quelqu’un ce qu’il avait infligé à autrui?

Est-ce dans l’espoir d’éclairer l’autre pour qu’il se rende compte du mal qu’il a fait et ouvre sa conscience ? Est-ce plutôt dans le but de le punir durement et de se venger?

Dans tous les cas, faire comme lui c’est un peu devenir comme lui. Comme un virus, il nous a pénétré. Il s’est développé en nous, pour finalement nous cloner à son image. Que d’énergie dépensée, pour ne faire que ressembler à celui que nous haïssons!

La source de la douleur 
coule en sens inverse

Nous aimons nous répéter que nous souffrons à cause de la violence d’autrui. Naturellement, il y a la douleur du choc, la douleur du moment. Mais ensuite, la douleur ne vient plus de ce que l’autre nous a fait… mais de ce que nous en faisons.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la source de douleur n’est plus l’action que l’autre nous a infligé, mais ce qu’on en fait ultérieurement.  

La source de la douleur, qui reste et qui dure, s’écoule vers nous, non pas depuis l’extérieur, mais depuis l’intérieur de nous-même. La rancœur, la haine ou le reproche nous lient à notre douleur et en installent la source au plus profond de nous.

Le problème de la haine ou de la rancœur n’est même pas que c’est inconvenant, irrespectueux ou immorale. C’est avant tout un moyen de s’auto infliger une souffrance durable. Notre douleur à ce moment ne dépend plus de celui qui nous a fait mal… nous devenons désormais capable de nous faire mal tout seul et pour longtemps!

Le principal préjudice causé par celui qui nous a fait du mal n’est pas tant la douleur qu’il nous a infligée. C’est surtout cette haine qu’il nous a conduit à avoir envers lui et qui désormais va nous miner.

Or nous verrons plus loin que si l’on ne peut changer ce qu’il nous a fait, nous pouvons toujours, heureusement, changer ce qu’on en fait. C’est cela reprendre sa vie en main, se remettre en cause, se réapproprier sa vie. C'est normalement là tout l'esprit d'une psychothérapie.

La culpabilisation, 
une sorte de crime parfait !

Avec la culpabilisation, le phénomène de violence est subtil. C’est comme si le poison injecté amenait l’individu à retourner la violence contre lui-même. Il se sent mauvais, il s’en veut, il se méprise.

Il n’accorde plus de valeur ni d’existence à celui qu’il est. Son interlocuteur a réussi à lui faire croire qu’il ferait mieux de se morfondre jusqu’à la fin de ses jours de n’être rien de valable.

Dans un élan encore plus pernicieux, le culpabilisant se montrera «généreux» et dira «ce que tu as fait est terrible, mais je te pardonne». Décodé, cela signifie: «tu es un monstre, mais moi qui suis généreux je ne t’en veux pas». Cela permet au destructeur (volontaire ou involontaire) de donner le coup de grâce à travers lequel l’autre se sent définitivement méprisable d’être quelqu’un de si mauvais face à quelqu’un de si généreux.

Plus pernicieux encore que la haine ou la rancune, avec la culpabilisation, ce qui devient sombre, ce n’est plus ce qui nous entoure, mais ce que nous sommes.

Celui qui se sent coupable, c’est celui qui s’est ainsi coupé de lui. C’est un amputé de soi.

Nous prendrons soin de ne pas confondre la culpabilisation avec la responsabilisation. Dans le premier cas l’individu s’anéanti, dans le deuxième il assume et se reprend en main pour mieux faire.  

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