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Apaiser violence et conflits 3/3

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Vivre autrement

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Recentrer la responsabilité

La responsabilité de l’autre

Naturellement, quand quelqu’un nous agresse, il est responsable de l’acte (ou du discours) qu’il commet. C’est lui qui en est la source et nul autre. Sans doute a-t-il une raison d’agir ainsi, mais quelque soit cette raison, ce qu’il fait c’est lui qui le fait. Il en est la source, il en est l’auteur, il en est responsable.

Inutile de se culpabiliser en se disant «c’est peut être de ma faute s’il en est venu à cette violence, peut-être ai-je fait quelque chose de mal?» Inutile de se dire cela, car ce qu’il a fait, c’est lui qui en est la source. Ce n’est évidemment pas nous.

Ce regard a l’avantage d’éviter la culpabilisation. Ce n’est généralement pas le point de vue le plus dur à adopter. Nous sommes même portés à regarder la situation naturellement de cette manière, même s’il arrive aussi, hélas, que la victime se culpabilise.

Ce qui suit est plus délicat.

Notre responsabilité

Nous sommes moins enclin à examiner ce qui vient de nous. Même s’il ne s’agit pas d’examiner une faute, mais juste une responsabilité, nous ne sommes pas naturellement portés à remarquer la chose suivante : lui est responsable de ce qu’il fait, mais moi je suis responsable de ce que je ressens et de ce que je fais en retour. Chacun a sa propre et entière responsabilité.

Un tel regard est beaucoup moins spontané. L’habitude est plutôt ici de justifier notre réaction en disant «vu ce qu’il m’a fait, ma douleur et ma réaction sont légitimes. Donc, ce que je fais, ce n’est pas vraiment moi qui le fais, c’est lui qui me l’a fait faire

Il est important de remarquer que cela est faux. Ce que je fais c’est moi qui le fais. Ce ne peut être l’autre. J’en suis responsable à 100%.

Ce que je ressens désormais, c’est moi qui en suis l’auteur. Cela peut paraître un inconvénient et ressemble à une générosité un peu déplacée vis-à-vis de celui qui nous a fait du mal? Cela peut sembler aussi dédouaner l’autre? Non! Il n’en est rien! Cet autre reste entièrement responsable de l’acte ou de la parole dont il est l’auteur, ainsi que de leur nature destructrice.

La générosité n’a rien à voir avec ce concept des 100% de responsabilité de chaque côté en même temps. Le problème est seulement celui-ci : si je pense que ce que je fais et ressent se passe à cause de l’autre, cela implique que je n’y pourrai jamais rien. 

Si, au contraire,  je comprends que c’est à cause de moi, j’y peux enfin quelque chose. Cette responsabilité de soi est un gage de liberté pour soi. L’autre est responsable de ce qu’il a fait, moi je suis responsable de ce que j’en fais.

«C’est à cause de l’autre» est un piège

Nous sommes facilement et naturellement portés à affirmer que nous ne sommes pas vraiment l’auteur de notre réaction et de notre ressenti quand on nous a blessé. Nous aimons à penser que c’est l’autre qui en est l’origine.

Nous affirmons pourtant ainsi, sans nous en rendre compte, que nous venons de lui donner les clés de chez nous.

Quand nous sommes persuadés que ce que nous sentons et faisons, c’est à cause de l’autre, nous commençons à développer l’idée que cet autre pilote notre vie à notre place.

Alors c’est comme si nous n’existions plus. Ainsi nous devenons  «RIEN» et accordons soudain à l’autre qu’il est «TOUT».

En lui faisant porter, à lui, la responsabilité qui est chez nous, nous lui donnons pouvoir sur notre existence et nous plongeons nous-même dans la non-existence.

De cette façon nous ne pouvons plus rien faire pour aller mieux puisque tout dépend de lui.

Ce n’est naturellement qu’une illusion et c’est réversible.

Pour nous rétablir aux commandes de notre vie, nous avons juste à modifier notre point de vue et à placer avec justesse la responsabilité qui revient à chacun. C'est-à-dire que chacun des deux est 100% responsable de ce qui se passe en lui et de ce qui émane de lui.

Ramener à la raison

Valider deux mondes opposés

C’est là, sans doute, le point le plus important pour calmer la violence.

Trop souvent nous considérons que «ramener quelqu’un de violent ou de colérique à la raison», c’est le ramener à notre raison, selon laquelle il devrait se calmer… selon laquelle son état est aberrant et non justifié.

Là est tout le problème. Selon nous il n’y a pas de raison. En réalité, selon lui, consciemment ou inconsciemment il y en a une.

Alors s’opposent deux mondes différents qui se nient l’un l’autre. Quoi que contradictoires, les deux sont justes. Les opposer ne mène à rien… si ce n’est à attiser la violence que nous cherchons à calmer.

La raison qui réclame le calme est aussi fondée que celle qui pousse à la violence. Naturellement je ne parle pas ici de fondement dans l’absolu, mais de fondement selon le monde de chacun, selon les références et l’histoire de chacun.

Ajouter une dimension à sa perception

Pour comprendre cela, il convient de passer à une «vision en relief», de passer du «noir et blanc» à la «nuance des couleurs». Apprenons à considérer que la raison de l’autre ne se situe pas dans la platitude du présent apparent, mais dans le relief de tout ce qui a fait sa vie.

Un individu, ce n’est pas simplement ce qu’il montre dans l’instant. Il est constitué de tous ceux qu’il a été depuis qu’il existe… il est même aussi constitué de tous ceux dont il est issu (parents, grands parents…) depuis qu’ils ont existé !

Ce qui est arrivé autrefois,  en terme d’évènements, est dans le passé, mais celui qu’il était dans chacun de ces instants n’est pas dans le passé. Tout cela est bien présent et constitue son tissu psychique, sa structure intime.

Les circonstances antérieures sont passées, mais celui qu’il a été (ou ceux qui ont été ses ascendants) dans ces circonstances, sont présents en lui et le constituent. Ce qui a été douloureux en lui, a souvent été rejeté (pulsion de survie) et tend à remonter à la surface (pulsion de vie) afin de restaurer l’intégrité de sa structure psychique. De ce conflit intérieur naissent des violences extérieures.

Pour parvenir à gérer la violence, nous ajouterons donc une dimension à notre perception : la conscience que se trouvent dans ce présent tous ceux qu’il a été et ceux dont il est issu. 

Attention : il ne s’agit pas de tenir compte de son passé en terme d’évènements, mais de considérer celui qu’il a été dans ce passé et ce qu’il y a ressenti. Un individu n’est pas constitué psychiquement des évènements qui se sont produits, mais de celui qu’il a été dans ces circonstances. Ce qui le constitue, ce ne sont pas les faits de violence survenus, mais les douleurs qu’il a ressenties au moment de ces évènements.

Naturellement, nous le verrons plus loin il est souhaitable de différencier «une raison» et «une excuse» La justesse de la raison n’enlève rien à la responsabilité. Par contre la reconnaissance de la raison est un incontournable moyen pour calmer.

Cette validation est le passage obligé. Ensuite, et seulement ensuite, l'interlocuteur violent  pourra nous entendre lui expliquer ce que nous avons à lui dire… puis en tenir compte. L’inverse ne ferait que produire une flambée.

 

Respecter le sens d’écoulement

L’opposition à la raison est la principale source d’aggravation d’une situation de violence. Il arrive même souvent que cela produise de la violence là où il n’y en avait pas.

Même en situations ordinaires, les conversations où se croisent des points de vue contradictoires sont nombreuses. Il est hélas rare qu’une telle différence de pensée soit vécue comme une opportunité, comme une richesse.  Presque à chaque fois, chacun y entreprendra d’essayer de convaincre l’autre (c'est-à-dire l’amener à abandonner sa propre pensée pour adopter celle de son interlocuteur).

En cas de violence, c’est encore pire. Tenter de convaincre l’autre qu’il devrait se calmer produit presque toujours une aggravation.

Nous pouvons comparer la parole ou les actes de la personne violente à un flux reflétant l’écoulement de sa pensée en lui !

Il nous appartient alors de savoir naviguer dans le sens de ce flux. S’y opposer reviendrait à vouloir arrêter l’écoulement d’un fleuve ou à le remonter à contre courant.

Naviguer ou nager, à contre courant cause une grande dépense d’énergie pour souvent ne faire que reculer.

Face à un flux de violence, respecter le sens d’écoulement nous permet de diminuer notre vulnérabilité et d’augmenter notre stabilité.

Cela me fait penser à l’aïkido et quelques autres arts martiaux dans lesquels l’attaqué est invité à «accompagner» l’agresseur dans le sens du mouvement qu’il a choisi de faire plutôt que de s’y opposer. Cela permet à l’agressé de maîtriser la situation sans y investir d’énergie.

Le courant de la pensée de notre interlocuteur est comme une rivière qui s’écoulerait vers sa source (c’est là où la comparaison avec une rivière s’arrête puisqu’une rivière, elle, s’écoule depuis sa source). 

En suivant le courant, nous arrivons tout naturellement à la raison, car tout ce qu'il exprime conduit à cette raison. Puis validant la raison, nous apaisons l’écoulement.

Exemples

1- Exemple du pull  
Dans une chambre d’hôpital un patient (en fragilité mentale) a volé le pull de son voisin pour le mettre sur lui. Personne n’arrive à le lui faire enlever pour le rendre. Une soignante que j’ai eu en stage est sollicité et, plutôt que de s’opposer, elle lui demande «c’est important pour vous d’avoir ce pull?». Il répond «oui, j’ai froid!». Elle valide par «Si vous avez froid, je comprends que vous souhaitiez un pull! Celui-ci n’est pas à vous, mais je peux vous en trouver un». Le patient, excité et agressif une minute plus tôt enlève spontanément le pull et le rend calmement. 

Aussitôt la raison validée le calme est rétabli.

2- Mauvais payeur destructeur  
Dans un hôpital, un médecin vient consulter un confrère (en tant que patient). Quand il passe ensuite au guichet pour régulariser les papiers de soin, l’agent qui l’accueille lui dit «vous devez 23 euros». Il répond indigné «Comment! Je dois payer?». Elle dit calmement «Oui, bien sûr». Il continue en disant «Mais je suis médecin!» Elle répond «ça ne change rien, vous devez payer quand même» Il insiste «Je ne fais jamais payer mes confrères, par déontologie. C’est inadmissible qu’ici je doive payer!» Elle répond «Vous, vous faites ainsi, ok, mais ici vous devez payer»  Alors il se met en colère et lui lance «Mais pour qui vous prenez-vous…» suivi d’un chapelet d’insultes graves dont je vous épargnerai la lecture. 

Cette fois-ci,  l’opposition à la raison a provoqué une flambée d’insultes.  Rien ne permet d’excuser ce patient pour ses insultes, mais si l’agent avait simplement validé « si vous ne faites pas payer vos confrères, je comprends que ça vous choque de devoir payer ici ! » le calme serait mieux revenu qu’en lui répétant inlassablement l’information selon laquelle il doit payer.

3- Sa femme en fuite  
Un homme arrive en colère au guichet d’un service d’urgence hospitalier. Il agresse la personne qui se trouve à l’accueil, car il vient d’amener sa femme  et celle-ci s’est enfuie. L’agent lui répond «Si votre femme vient de s’enfuir, je comprends que vous soyez hors de vous! Bien, que s’est-il passé?» Puis ils ont poursuivi en examinant la situation calmement.

S’il avait répondu «nous ne sommes pas assez nombreux, nous ne pouvons pas surveiller tout le monde!», cela aurait attisé sa colère. Validant  sa raison, il l’a, au contraire, calmé instantanément.

4- Violence d’un SDF en PSY
Un patient en hôpital psy doit rester quelques heures en chambre d’isolement. Il refuse violemment ce protocole d’enfermement. Personne n’en venant à bout, une infirmière que j’avais eu en stage vient le voir et lui demande «Vous ne souhaitez pas être enfermé?» (elle ne fait que valider ce qu’il exprime en lui adressant une
reformulation). Il répond «Non je suis SDF et j’ai l’habitude de vivre dehors, de vivre libre». Elle lui renvoie «Si vous avez l’habitude de vivre dehors, je comprends que cela vous soit insupportable d’être enfermé». Puis elle lui demande «Comment pourrions nous faire,  puisqu’il est important pour votre soin de rester trois heures dans cette pièce?» Alors il répond aussitôt: «Bon, si vous ne fermez pas tout à fait la porte c’est ok!»

Nous remarquons que la validation de sa raison le calme aussitôt. Puis il trouve lui-même la solution qui lui convient pour rendre compatible le protocole de soin avec son besoin de liberté. 

5- Homme violent avec sa compagne  
Dans une situation plus aigue, un couple vient me voir en consultation, car le conjoint a des accès de violence envers sa compagne. Le mari est demandeur d’une aide pour ne plus faire souffrir son épouse par ses attitudes destructrices. En fait il me révèle rapidement que son père, à lui,  était ainsi. Quand il avait six ans, un jour, il a même cru que son père avait tué sa mère. 

La raison de sa violence se trouvant là, le cheminement psychothérapique a consisté à donner du soin à l’enfant de six ans et à réparer la rupture d’avec le père (Pour en savoir plus sur ce type d’action thérapeutique, vous pouvez lire le dossier psychothérapie sur ce site). 

Après cette consultation, ce monsieur a aussitôt cessé d’être violent avec sa compagne et dans sa vie sociale. Il est important de comprendre que ce monsieur n’était pas violent à cause de cette histoire, mais spécialement pour revenir mettre du soin sur celui qu’il était à 6 ans. Dès que cela est fait, la violence cesse non pas parce qu’elle est guérie, mais parce qu’il n’y en a plus besoin. C’est aussi cela la validation de la raison. Cela montre bien que rien n’est inéluctable.

Quand les racines de la raison sont profondes, une simple qualité de communication peut être insuffisante et un travail thérapeutique s’avérera nécessaire. Mais cela ne change rien au fait qu’il y a une raison à valider.

Bien discerner raison et excuse

Trop souvent, comme ces deux notions ne sont pas différenciées, rejeter toutes excuses revient hélas à rejeter toutes raisons. Or il y a toujours une raison, mais cela ne constitue jamais une excuse. L’idée d’excuse est même néfaste tant pour l’auteur que pour la victime

La raison permet la responsabilisation

Trop souvent nous sommes persuadés de connaître la raison de l'égarement de l'autre: c'est simplement qu'il est mauvais ou stupide! Hélas, ce regard simpliste n'ouvre aucune possibilité de gérer les situations de violence. Il ne fait qu'entretenir l'animalité des comportements. 

La raison qui, en l'autre, est à l'origine de ses attitudes destructrices, est beaucoup plus subtile.

La raison, c’est ce qui est à l’origine. La connaître permet de comprendre l’enchaînement de circonstances qui a conduit à la situation présente. Valider cette raison, c’est aussi valider la responsabilité de celui qui a commis la violence. C’est une façon de l’amener à pouvoir se remettre en cause et éventuellement à se réinsérer. Ceci est important car la peur et la culpabilité ne suffisent pas à éviter une récidive.

Rappelez-vous que chacun est responsable de ce qui émane de lui. Ce qui émane de lui, a un fondement. Valider ce fondement c’est valider sa responsabilité c'est-à-dire la capacité de l’auteur à se remettre en cause. Ceci est très différent que de lui trouver une excuse.

«Se remettre en cause» ne revient pas à dire «se rejeter», mais plutôt «se remettre aux commandes de sa vie». C’est le point de départ de toute amélioration de comportement.

L'excuse est une négation

L’excuse, au contraire, déresponsabilise. Elle est une éponge malsaine qui sert à effacer. Malheureusement, cet effacement efface aussi… la vie. En même temps qu’elle efface la responsabilité de l’auteur, elle efface aussi la victime. Plus rien n’est reconnu. De ce déni généralisé, tout le monde ressort détruit. Dans ce cas, il ne peut plus y avoir de remise en cause de l’auteur, ni de soin pour la victime.

La reconnaissance de la raison n’a donc rien à voir avec une excuse. C’est même elle qui permet la remise en cause de l’un et le soin de l’autre.

L’acte et  son auteur

Pour parvenir à valider la raison, il convient de différencier l’acte et son auteur. L’acte, c’est «la chose» produite par l’auteur. L’auteur c’est «le quelqu’un» qui produit « la chose ».

Une production (chose) a une valeur mesurable. Dans le cas d’une agression, cette valeur est très négative. Un individu (quelqu’un), lui, a une valeur non mesurable qui par définition est infinie. C’est même cette valeur qu’on lui accorde qui lui permet de se remettre en cause.

Le quelqu’un (auteur) doit être différencié de la chose (ce qu’il fait). Cependant l’auteur est ici plus que jamais responsable de cette chose qu’il produit, même s’il le fait involontairement, même s’il porte en lui une raison dans son histoire antérieure.

Il doit en répondre devant la victime et même devant la société, selon les codes prévus par la loi quand la gravité le justifie.

Exemple dans la violence routière

J’ai eu l’occasion de former en préfecture des personnes (IDSR) s’occupant de la sécurité routière et dont le rôle est d’enquêter auprès des victimes et auteurs d’accidents graves. Le projet est ici de comprendre les raisons qui sont à l’origine de l’accident. Comprendre ces raisons, c’est commencer à pouvoir remédier à la situation.

Pour comprendre les raisons qui ont conduit à l’accident, il est nécessaire que ceux qui questionnent  n’aient pas de jugement à l’encontre des auteurs (Cette démarche est naturellement à séparer du travail de la justice qui, elle, doit  juger de la responsabilité de l’auteur et indiquer la façon dont la loi prévoit qu’il réponde de ses actes).

Cela permet de mieux cibler les causes et de réaliser des réponses adaptées. Concernant le comportement du conducteur, il peut par exemple en résulter un spot dans lequel on montre que si on est en retard (raison) on peut être tenté de rouler plus vite (acte)… et que parfois l’on gagne 5 secondes… juste avant de perdre sa vie (conséquence). 

Cette démarche s’ajoute à la répression, car la répression à elle seule ne peut suffire. Remise en cause et ouverture de conscience sont plus importants que la seule peur de la sanction. Même si cette dernière reste l’incontournable garde fou, comme une prothèse venant, en ultime recours, compenser le manque de conscience.  

Mais quand le répressif est excessif, au lieu de responsabiliser, il infantilise et produit irresponsabilité et culpabilité.

Responsabiliser, à chaque fois que cela est possible est bien préférable à culpabiliser. C’est cela qui permet la remise en cause amenant à reprendre sa vie en main.  

Mieux repérer les violences cachées

Toutes ces violences que nous subissons, mais aussi que nous commettons, ne sont souvent pas aussi caricaturales que nous l’imaginons. La vie quotidienne est truffé  d’instants en apparence anodins, mais qui, sans que nous nous en apercevions, mettent en permanence de l’huile sur le feu. Un bon repérage de ces circonstances dites «anodines» permet un «mieux vivre» significatif et évite beaucoup de flambées.

Beaucoup de ces situations que vous découvrirez dans les lignes qui vont suivre ne sont jamais identifiées comme des violences. Au contraire elles sont maladroitement recommandées pour calmer… naturellement cela ne marche jamais.

Rassurer est une violence

Tenter de rassurer une personne inquiète semble une attitude louable. Contrairement à l’apparence, «rassurer» est une attitude dans laquelle on exerce un déni du ressenti de l’autre.

Quelqu’un qui a peur d’une circonstance et à qui on dit «ne t’inquiètes pas, ça va aller!» ne se sent pas rassuré, il se sent nié.  

Si une mère dit se sentir triste de voir son enfant partir de la maison pour mener sa vie d’adulte, elle ne sera pas apaisée par quelqu’un qui tentera de la rassurer en lui disant «Mais il faut bien qu’il parte un jour. Nous n’élevons pas les enfants pour nous. Il réussira sa vie. Puis vous pourrez vous voir et ce seront de beaux moments…» Cette femme se sentira niée dans ce qu’elle ressent et même pourra aller jusqu’à se culpabiliser d’avoir eu une telle réaction. Elle vient tout simplement de se faire détruire.

Rassurer c’est détruire. Voici une violence assez inattendue que je vois régulièrement exercer même dans les milieux de soin.

La formation initiale des soignants recommande même de «rassurez les malades». Ce qui est juste, c’est de faire en sorte que les patients soient rassurés. Mais pour y parvenir, paradoxalement, il est néfaste de les rassurer. Mieux vaut les entendre et savoir valider leur raison pour aboutir au résultat escompté.  

Solutionner est une violence

Quand quelqu’un nous présente un problème, nous avons facilement tendance à nous précipiter pour lui trouver une solution. Or quand quelqu’un pose un problème, il cherche souvent à exprimer autre chose. Peut-être l’être humain est-il un peu compliqué, mais c’est ainsi. Quand on se précipite sur la solution, c’est comme si on le privait d’exprimer ce qu’il voulait dire.

Un homme qui se plaint de son épouse rencontrera facilement quelqu’un qui lui dira «tu devrais faire ceci, tu devrais faire cela». En fait cela ne le satisfera pas car il ne cherchait pas vraiment une solution. Il avait juste besoin de quelqu’un qui puisse entendre la difficulté qu’il ressent avec sa compagne. De toute façon si conseil il doit y avoir, cela ne peut résulter que d’une écoute attentive de tout la situation et non de quelques bribes éparses. Et encore, il faudrait prendre en compte tout ce qui a fait la vie de cet homme et tout ce qui a fait la vie de sa femme pour cerner la pertinence de toutes les interactions qui font leur couple.

Un patient sonne car il a trop chaud. On vient lui ouvrir la fenêtre. Il re-sonne car il a soif. On vient lui donner à boire. Il rappelle car son oreiller est trop bas. On vient le lui remonter… Finalement personne ne voit qu’il n’a aucunement besoin de tout cela… il se sent seul et n’ose pas le dire... il n’ose peut-être même pas se l’avouer à lui-même. Chaque solution est comme un déni de ce qu’il ressent et le coupe un peu plus de lui-même et des autres. C’est à chaque fois un peu comme une rupture qui s’aggrave.

Un homme veut aider sa femme. Il est depuis longtemps handicapé par une sclérose en plaque. Hospitalisé, invalide, il vient d'apprendre que son épouse a un cancer. Il demande à une soignante: «ma femme s'est occupée de moi pendant tant d'années. Maintenant c'est elle qui a besoin de moi. J'aimerai pouvoir lui téléphoner!» Et la soignante lui répond: «si vous avez besoin de la joindre, je vais m'arranger pour que cela soit possible» Ici la soignante pense à la solution, mais ne tient pas compte de ce qu'il a dit. Il n'a pas dit qu'il avait besoin de joindre sa femme (pour lui), mais qu'elle a tant pensé à lui, maintenant c'est à lui de la soutenir (pour elle). Ce n'est pas lui qui a besoin de la joindre, c'est elle qui a besoin de lui. Cette différence lui est essentielle pour trouver sa place, lui qui a été si dépendant. La soignante qui se précipite sur la solution a manqué cette validation majeure.

Il est intéressant de remarquer que le mot «solution» signifie «rupture». En médecine, on désigne une fracture osseuse en disant «solution de continuité» pour dire que la continuité osseuse est rompue.

En fait nous avons plus besoin de reconnaissance et de médiations que de solutions. Nous avons surtout besoin de trouver une aide pour rencontrer l’autre et nous rencontrer nous-même.

Convaincre est une violence

Chercher à convaincre est une attitude de pouvoir. Même quand c’est pour le bien de l’autre, cela revient à nier ce qu’il pense pour qu’il le remplace par notre pensée.

Dans notre société il est recommandé d’être convainquant. Il y a même des écoles qui forment à cela. Or apprendre à convaincre c’est apprendre à lobotomiser. Convaincre, c’est essayer de bâtir la secte des deux qui pensent comme soi. Convaincre, c’est promouvoir la pensée unique. Tout cela est très destructeur.

Il convient de ne pas confondre convaincre avec partager des idées différentes et déduire de l’ensemble des données ce qui convient le mieux. Partager une information avec assez de clarté et de respect pour que l’interlocuteur puisse l’ajouter à sa pensée, sans renier la sienne est une attitude plus respectueuse, plus juste et surtout plus efficace.

J’ai même consacré à ce sujet mon article de juin 2001 « le danger de convaincre »

Des différences de pensées naissent de nouvelles richesses. De la pensée unique naît la sclérose.

Tolérer est une  violence

Dans un pseudo élan de générosité, sentant bien qu’on ne peut rejeter la différence de l’autre tout en restant humain, la tolérance fait son apparition.

Personne ne prend garde qu’il s’agit aussi ici d’une violence. Au-delà du fait que la tolérance est un progrès par rapport à l’intolérance, personne ne remarque à quel point «être toléré» est insupportable.

Dans les mesures scientifiques, une marge de tolérance est «une marge d’erreur acceptable». Être tolérant revient à considérer l’autre comme une erreur acceptable… mais comme nous sommes généreux il peut rester quand même.

Cela peut paraître une nuance anodine ou un simple jeu de mots? Je remarque pourtant, par exemple, que des homosexuels s’exprimant dans une émission de télévision ("ça se discute" avec Jean-Luc Delarue) avaient tenu le propos suivant : «jusque là nous avons revendiqué le droit à la différence (être tolérés), maintenant nous demandons d’être considérés comme tout le monde (intégrés)»

Vivre la différence de l’autre comme une richesse et non comme une erreur supportable, cela fait toute la différence. Là il commence à y avoir humanisation.

Pardonner est une violence

Si la tolérance est néfaste, le pardon ne vaut guère mieux. C'est peut-être encore plus inattendu que pour la tolérance. Pardonner, c’est stigmatiser la faute tout en passant l’éponge. Donc il n’y a plus de raison. L’éponge efface tout. Elle déresponsabilise l’auteur et déni la douleur de la victime.

Dans le pardon, l’autre est mauvais, mais comme nous sommes généreux nous ne lui en voulons pas.

Cela est surtout une manifestation de l’ego conduisant à écraser l’autre en se persuadant qu’on est délicat, alors qu’on vient de se placer au-dessus de lui et de l’écraser. Le pardon augmente la culpabilisation.

L’autre n’a pas besoin de pardon (de rancune non plus, bien sûr). Il a besoin qu’on l’aide à trouver sa raison, qu’on la valide et qu’on  l’aide lui-même à la valider. Cela lui permettra de se reprendre en main, afin de se remettre en cause, afin de pouvoir réparer ce qu’il y a à réparer chez l’autre et chez lui-même.

Développer la confiance en l’autre

Pour éviter les violences, autant celles que l’on commet que celles que l’on subit, il est utile de développer plus de confiance en l’autre. La confiance en l’autre supprime naturellement notre propre violence envers autrui, notamment pour toutes les violences discrètes, décrites dans le précédent paragraphe.

La confiance en l’autre est aussi importante (sinon plus), que la confiance en soi. Ce qui est le plus inattendu, face à un agresseur, c’est que la confiance en l’autre permet aussi de ne pas le subir.

Se défendre rend vulnérable

Face à un agresseur verbal, notre manque de confiance en lui nous amène à nous défendre ou à nous justifier… cela nous affaiblit. Notre agresseur peut même utiliser notre système de défense pour nous attaquer plus fortement en retour. Il est important d’apprendre à naviguer dans le sens du courant. L’autre semble vouloir dire quelque chose, alors plutôt que d’essayer de l’en décourager, aidons le.

Si nous avons confiance en lui, nous l’aiderons à accéder à sa raison et à dire clairement tout haut ce qu’il pensait tout bas. Cela permet de désamorcer les bombes et, validant sa raison, de lui donner le goût de nous entendre sans conflit… car il ne se sent plus en danger.

Un agresseur est toujours quelqu’un qui manque d’affirmation de soi et qui se sent en danger. Il ne s’agit donc pas de l’inquiéter, mais de lui donner le sentiment qu'il existe à nos yeux. Il écrase autrui pour augmenter sa sécurité et pour se sentir exister. Si on choisit de le déstabiliser, cela peut le rendre encore plus dangereux. Naturellement il ne s'agit pas de conforter son ego ou son statut, mais plutôt de conforter l'individu qu'il est (voir l'article de mars 2001 Un quelqu'un en habit de personne)

Zone de prudence

Quand je parle de confiance en l’autre, je n’insinue pas qu’il soit inoffensif. Ses actes peuvent être dangereux, ce qu’il affirme peut être mensonge. La confiance ne se situe pas au niveau de ce qu’il produit.

La prudence réclame même souvent de ne pas s’exposer à sa brutalité verbale ou physique. Prendre toutes les mesures permettant de ne pas être blessé semble juste et même recommandé.

Zone de confiance

Il ne s’agit pas d’avoir confiance dans l’innocuité des actes. Il s’agit d’avoir confiance dans le fait que son auteur à une raison et que cette raison est pertinente (sans être pour autant une excuse). La prudence au niveau des actes, ne doit pas entamer notre confiance dans le fait qu’il a une raison de vouloir les commettre.

Cette confiance sécurise l’agresseur et lui permet d’exister et de lâcher sa destructivité. Peut-être pensez vous que cela ne concerne que des situations «gentillettes»?

Avez-vous vu aux informations, début 2003, le témoignage de cette femme que le violeur et tueur Patrice Allègre a épargnée en 1997? Il les a toutes tuées (au moins cinq meurtres et cinq viols avant elle). Mais elle, elle a eu une intuition ou une inspiration extraordinaire qui lui a permis de sauver sa vie. Une telle chose ne se prévoit pas, c’est ainsi, voilà tout ! En situations aussi extrêmes, personne ne peut prévoir le comportement qu’il aurait. 

Cette femme, Emilie,  avant qu’il ne commette l’irréparable, lui a dit une phrase du genre «ça peut arriver» avec un non verbal exprimant «tu sais, je comprends qu’on puisse en arriver là». Il a pleuré. Il l’a épargnée. Grâce à elle, il a pu être arrêté et cela a permis qu’il n’y ait plus d'autres victimes.

A de tels actes il n’y a évidemment aucune excuse. Mais la reconnaissance qu’il y a une raison a stoppé la destruction et a produit une sensibilisation. Naturellement, l'obligation de répondre de ses actes devant les victimes et devant la société à travers la justice, reste une nécessité absolue et incontournable. La raison ne dispense aucunement de cela. Peut être même le permet-elle plus facilement.

Dans des situations tellement graves, tout n’est pas forcément aussi simple, mais l’exemple est d’une dimension remarquable. Dans de nombreuses agressions infiniment moins lourdes il convient de s’en rappeler.

Les auteurs des violences ordinaires de notre quotidien (heureusement beaucoup moins graves) sont des êtres manquant d’affirmation de soi qu’il convient de stabiliser pour ne plus les subir (il est maladroite de chercher à les déstabiliser). La clé, c’est la reconnaissance de leur raison, sans pour autant tomber dans l’excuse. En cas d’impossibilité, il convient, sans mépris,  de les éviter au maximum.

Prendre soin de soi

Nous ne pouvons pas toujours éviter la violence. Dans les cas où malgré tout nous avons été malmenés, il importe de se donner un temps (se faire cadeau d'un temps)  pour prendre soin de soi. Afin d'y  parvenir, il est utile d'affiner son acuité (aptitude à différencier les nuances), de comprendre le stress, d'accéder à la sensibilité, d'augmenter sa délicatesse vis à vis de soi et enfin de savoir se restaurer après avoir subi un choc.

Développer son acuité

Aussi bien chez les autres que chez soi nous affinerons notre discernement pour éviter quelques écueils:

Autorité différent de pouvoir

L'autorité se respecte spontanément. Elle représente une présence sécurisante. Quelqu'un qui a de la présence inspire confiance et n'a pas besoin de prouver sans cesse que c'est lui qui a raison. C'est très confortable car il dégage une énergie qui va avec nous. 

Par contre, quelqu'un qui manque de présence et d'autorité utilisera du pouvoir. Une sorte d'énergie contre nous qui provoquera défiance, arguments et résistances.

Ego différent de affirmation de soi

L'ego est le tuteur qui maintient debout celui qui manque d'affirmation de soi (béquille). La personnalité (personna= masque) est la stratégie sociale par laquelle on essaye d'avoir l'air (de jouer, comme au théâtre) un personnage que l'on n'est pas... quand on n'arrive pas à être, on n'offre que du paraître et de l'absence. Même dans le cas de personnalités brillantes et admirables, la caractéristique est qu'à côté on se sent minable (c'est donc destructeur)

Avec l'affirmation de soi au contraire nous sommes dans la présence. De cet auto accueil de soi  (et de tous ceux qu'on a été), il découle qu'il n'est ni besoin de se mettre en avant (humilité), ni besoin de se cacher (affirmation de soi). Cette présence est sécurisante pour l'entourage et permet de valider les raisons de l'autre sans porter atteinte aux nôtres.

Individualisme différent de individualisation

Quelqu'un d'individualiste est quelqu'un qui tente d'échapper à un collectivisme, ou à ce qu'il ressent comme tel (comme pour l'ado avec ses parents). Pour être lui, il fuit les autres. Encore incapable de se sentir exister (car il ne s'accueille pas),  la présence des autres met son semblant d'apparence en danger. Il sera égoïste pour compenser les manques engendrés par cette solitude. Sa compensation consiste alors en de multiples plaisirs personnels insatiables (insatiables car ils ne peuvent remplir le vide de soi; ils ne font que le compenser transitoirement)

L'individualisation (individuation) est au contraire une expression de la maturité dans laquelle l'individu s'est accueilli. Il ne se sent plus en danger avec les autres. Il pourra en même temps être humble et sûr de lui, tout en acceptant de "ne pas savoir" sans ressentir de danger. Sa présence est rassurante, discrète,  valorisante pour les autres et inspire le respect naturel (autorité). Il dégagera un sentiment de Vie (être et présence), plutôt qu'un sentiment d'énergie (puissance ou agitation)

Rôle du stress

La douleur physique nous aide à prendre naturellement soin de notre corps. Certaines pathologies, qui privent le malade de cette sensibilité, l'amènent à se blesser souvent.

Il en est de même pour le stress. C'est un indicateur portant à prendre soin de soi. Le stress souligne que nous avons manqué d'attention envers soi-même ou envers un autre. 

Il ne s'agit pas d'apaiser le stress, mais de s'en servir pour restaurer l'attention là où elle à fait défaut. J'ai déjà écrit un article détaillé sur ce sujet en novembre 2001 Stress et mieux-être

Le stress est souvent un bon indicateur pour retrouver les raisons en soi et comprendre les raisons chez l'autre. Le refouler ou chercher à l'éliminer rend vulnérable et conduit facilement aux excès de la violence ou au burn out

Etre plus sensible
pour être moins vulnérable

La vulnérabilité vient d'un manque de sensibilité. La sensibilité, c'est ce qui permet de percevoir avec lucidité. Quand la lucidité manque, l'imaginaire prend le relais et engendre des émotions. Dans ce cas nous devenons vulnérable à ce qui nous entoure car cela engendre un imaginaire décalé par rapport à la réalité.

La pulsion de survie nous porte à l'anesthésie (réflexe nécessaire d'évitement de la douleur). Puis la pulsion de vie nous réveille grâce à l'émotion (é-mouvoir: mettre en mouvement) pour nous faire éprouver des choses fortes. Enfin, cela permet ensuite d'arriver à un état de veille où nous récupérons notre lucidité.

Seule la lucidité nous permet d'ajuster notre action à la réalité de la situation. Quand l'homo sapiens sapien (l'homme qui sait qu'il sait) passe à l'homo sensibilis (homme sensible: celui qui sait qu'il ne sait pas) il peut commencer à respecter réellement autrui et se trouver moins en danger au milieu de l'agressivité de la société.

Nous nous rappellerons qu'il est souhaitable de développer la lucidité (finesse de perception) plutôt que l'émotivité (imaginaire réactivant l'antérieur). Cela nous porte alors naturellement à toujours accorder qu'il y a une raison chez l'autre et chez soi. Il en découle qu'aucun flux n'est contrarié et que la capacité de validation des raisons (même quand elles s'opposent) aboutit à un apaisement.

S’occuper de soi après avoir subi une violence

Le besoin de dire

Suite à une situation qui nous a ébranlé, nous éprouverons souvent le besoin de dire. L'opportunité de trouver un interlocuteur qui puisse nous entendre déverser le flot d'émotions et de paroles qui nous habite est en effet essentiel quand cela est possible. 

C'est pourquoi suite à des chocs importants liés à des circonstances extrêmes (comme par exemple l'explosion d'AZF à Toulouse en 2001) des psychologues sont demandés pour permettre cette indispensable verbalisation. Les personnes qui viennent de vivre un attentat sont aussi accompagnées de la sorte à chaque fois que cela est possible.

Naturellement toutes les situations de violences ne sont pas aussi extrêmes. Même quand elles le sont, pour des cas isolés, des psys ne sont pas toujours proposés. Il peut être utile d'en consulter un spontanément plutôt que de garder en soi ce flot de blessures.

Quand il n'y a pas de psy disponible, un ami ou un proche qui veut bien nous entendre vraiment est très utile,  pourvu qu'il accepte de nous entendre plutôt que de nous rassurer en niant ce que nous avons ressenti.

Ce besoin de dire est important, mais ne fait pas tout. Il conviendra tout de même d'accomplir ce qui suit. Et si l'on a pas pu s'exprimer auprès de qui que ce soit, ce qui suit est encore plus important.

Se donner un temps

Après un choc, il est essentiel de savoir s'octroyer un moment de douceur. Le plus souvent nous serons tentés  de nous plonger dans une activité agréable où nous oublierons ce qui s'est passé. Cela peut être utile pour décompresser, mais s'en tenir là serait illusoire.

En effet,  le plus important, ce n'est pas le temps qu'on se donne pour un moment de fuite, mais celui dont on se fera cadeau pour un moment de rencontre. 

Dès que cela nous semble possible nous nous installerons au calme pour mettre notre attention sur celui que nous avons été au moment où la violence est arrivée.

Après le choc, un moment d'attention et de douceur

Ce moment n'est pas un temps que l'on prend parce qu'il le faut. C'est un moment dont on se fait cadeau parce qu'on le mérite. Il est aussi nécessaire que l'air que nous respirons. Il est fondamental de savoir s'offrir ce genre de délicatesse après la tempête.

Installé aussi confortablement que possible, au calme, respirations profondes, nous visualiserons celui que nous étions au moment  du choc. Attention, il ne s'agit pas de visualiser l'évènement, mais plutôt celui que nous étions dans cet évènement. Ce qui est précieux et à réhabiliter, ce ne sont pas les circonstances mais les individus qui s'y trouvent (nous avons déjà évoqué ce point en début d'article)

Etre un ami pour soi

Dans cette visualisation, nous imaginerons que nous somme près de celui que nous étions, quand le choc est arrivé. Comme un ami, nous l'accompagnerons dans ses ressentis, dans ses interrogations, dans ses indignations. Nous acceptons de l'accompagner et d'en être le confident (il n'y a pas de confident plus intime que soi pour soi). 

Cette ballade imaginaire est une façon de prendre soin de celui que nous étions au moment de l'impact, une façon de réhabiliter une part de soi meurtrie. 

Quand nous nous coupons physiquement, nous prenons le soin de nous mettre un pansement sur la zone blessée de notre corps. Quand nous nous blessons psychiquement, il devrait être tout aussi naturelle d'aller nous mettre un pansement sur la zone blessée de notre vie.

Ce retour vers la zone blessée n'est surtout  pas une attitude morbide. C'est une délicatesse que l'on s'octroie, un soin qu'on se donne, une consolidation de son tissu psychique qu'on accomplit. 

Se rapprocher de soi plutôt que de se coller à  l'autre

L'autre est responsable de ce qu'il m'a fait, moi je suis responsable de ce que j'en fais. Trop souvent, un individu tentera  d'oublier (d'abandonner) celui qu'il était et qui a souffert, tout en préférant nourrir sa haine envers celui qui l'a blessé. 

Dans ce cas, le choix est maladroitement inversé. Il serait plus juste de se détacher de celui qui nous a nui et de nous rapprocher  de l'individu meurtri que nous étions à ce moment. En disant le fameux "c'est à cause de l'autre" on s'attache à cet autre. Or il est plus important de se détacher de l'autre et de se rapprocher de soi.

Cas particuliers

Quand la violence vient d'un ascendant

Quand il s'agit d'une violence familiale, infligée par un ascendant, il conviendra aussi d'accéder à la raison de cet ascendant, mais sans jamais rien nier de sa propre douleur à soi. On peut aussi formuler cela dans l'autre sens: il conviendra de s'occuper de sa douleur à soi, sans rien nier de la raison de ses ascendants.

Dans ce cas particulier, l'individu qu'est l'auteur et celui qu'est la victime, au moment de la violence, font tous deux partie du tissu psychique et doivent trouver leur place d'une façon ou d'une autre.

La difficulté, dans ce cas, est que la victime doit  trouver quelqu'un capable d'entendre sa douleur, mais qui en même temps, n'abîme pas ses parents... tout en lui permettant de les critiquer comme bon lui semble selon la colère qu'il a besoin d'exprimer.

Ceci vaut aussi bien pour de petites tensions que pour des situations plus lourdes. Ainsi souvent un enfant battu hésitera à le dire car, bien qu'il veuille de l'aide par rapport à sa douleur, il ne veut pas qu'on touche  à son père ou à sa mère, tout en se réservant le droit, pour lui, de crier sa colère.

Celui qui aidera cet enfant devra s'occuper de la douleur de celui-ci, mais ne pas avoir de jugement envers ses parents. L'enfant ne pourrait supporter qu'on détruise sa base. Il aura besoin que la valeur des actes soit précisée, jugée, reconnue par la société et condamnée si besoin par la justice... mais surtout pas que ses parents soient détruits.

Dans ce cas, celui qui aide devra tenir compte de ces paradoxes.

Vérifier les antériorités

Il arrive qu'une blessure s'incruste. Que l'accès à celui que nous étions dans le moment de conflit résiste. En fait ce n'est pas une résistance. C'est plutôt une balise, un accès, une porte qui s'entrouvre sur une autre part de soi que la violence actuelle a juste réactivée.

Une situation antérieure réclame notre attention. Le moment récent ne s'apaise pas afin que le chemin vers soi reste ouvert. Nous ne pouvons apaiser le moment récent car nous tentons inconsciemment de nous propulser vers un autre soi antérieur, oublié et meurtri.

Par exemple une femme se sent toujours agressée par quiconque lui adresse la parole (même délicatement). En retour elle ne peut s'empêcher de lui répondre durement. Elle en a conscience mais ne parvient pas à modifier son comportement. 

Elle me dit «quand on me parle j'ai l'impression qu'on va me demander plus de choses que je ne peux en faire

Puis elle a évoqué que son grand père a abusé sexuellement l'enfant qu'était sa mère... (d'où l'hôpital psy), puis que ce grand père a aussi une fois abusé d'elle à treize ans... Ces violences multiples sont alors à prendre en compte pour mettre du soin sur l'enfant meurtrie qu'était la mère et sur elle même dans sa propre enfance. 

La blessure restait active afin que le soin puisse se faire et que rien ne soit oublié. Les différentes réhabilitations accomplies, cette  femme a cessé de ressentir la parole des autres comme une violence. Elle peut désormais naturellement y répondre calmement. 

Les antériorité ne sont heureusement pas toujours aussi graves. Il peut s'agir d'examens ratés à l'école, de punitions vécues injustement, de moqueries dans la cour de récréation, de chagrins d'amour de l'adolescence... Dans chacune de ces circonstances, l'individu qu'on était reste précieux. Seul ce qui s'est passé ne l'est pas. 

L'évènement est dans le passé (il n'est plus) et sa trace est juste dans notre mémoire (comme des photos ou vidéos). 

L'individu que nous étions à ce moment là, lui,  n'a jamais cessé d'être avec nous et en nous à chaque instant de notre vie. Depuis ce moment, il est dans chaque instant présent en attente que nous lui tendions la main.  Il constitue notre structure psychique et doit y trouver sa place.

Conclusion

De bons espoirs

Même si le monde dans lequel nous vivons comporte trop de violence, même si l'être humain semble souvent si loin des notions de respect et de considération abordées dans cet article, la situation n'est pas aussi sombre qu'il n'y paraît.

Depuis aujourd'hui quinze années,  je forme des personnes de tous niveaux hiérarchiques dans différents milieux professionnels. Des soignants et des administratifs dans des hôpitaux (de la petite maison de retraite jusqu'au CHU) et des agents de différents services de l'état (préfectures, gendarmerie, éducation nationale, impôts...)   

Depuis quinze années, enseignant les nuances de la communication évoquées dans ce site, je n'ai pratiquement jamais rencontré de personnes en farouche rejet de ce qui permet une humanisation. Cela arrive quelque fois, mais c'est extrêmement rare. Compte tenu du fait que de 1988 à 2003 j'ai déjà formé environ 7000 personnes et que pour 12% d'entre elles la formation était imposée par leur service, le résultat est plutôt encourageant.

L'être humain est réellement en quête d'humanisation. Simplement il souhaite qu'on lui propose une compréhension des rapports humain sans l'enfermer dans aucune approche philosophique. Il souhaite un éclairage sur le sujet mais se méfie des «illuminés» qui malheureusement sont légions concernant ces thèmes. Un tel éclairage ne peut s'accepter que s'il s'accompagne d'une profonde liberté de pensée. Vous pouvez lire sur ce sujet l'article de septembre 2000 «Liberté et richesse de pensée» ainsi que celui de décembre 2000  «Eclairer sans produire d'ombre»

Toute approche portant atteinte à l'intégrité d'un individu, même avec de bonnes intentions,  ne peut être que suspecte. L'être humain alors la rejette à juste titre. Mais quand il se sent respecté et que ce qu'on lui propose ajoute à sa pensée sans rien en retrancher, il laisse la maturité s'installer.

J'ai même eu l'occasion d'être invité à parler à de jeunes délinquants sous surveillance PJJ (protection judiciaire jeunesse) qui se sont trouvés touchés d'être considérés en tant qu'individu et non avec une valeur lié à leurs actes. Il s'agissait des personnes marginales, parlant mal le français, saisis par la justice pour violences... mais malgré tout en quête d'existence et d'humanité.

Quelques failles évidentes

Je suis pourtant souvent confronté au fait qu'entendre l'autre est une véritable prouesse tellement difficile à chacun. Par exemple des personnes travaillant à l'accueil du public dans un hôpital souhaitent être délicates avec les clients. Mais en même temps, elles se rendent compte que lorsqu'un usager les agresse elles ne veulent pas l'entendre et font tout pour le convaincre de se calmer. Naturellement cela aggrave son agressivité.

Je remarque aussi la spontanéité de la capacité de «lynchage». Dans une salle de cour, se trompant de lieu, un directeur entre par erreur. Discrètement il fait «Oups!» et se retire sans mot. Mon groupe s'esclaffe, sur un ton de reproche,  «Il ne s'est même pas excusé». Je leur fait remarquer «pour quelle raison retenez vous la version la plus défavorable? Pourquoi n'imaginez-vous pas simplement qu'il n'a pas voulu déranger?». La pulsion de lynchage a vraiment besoin de peu pour s'exercer.

Dans les services de soins tellement de soignants ne peuvent accepter d'entendre la demande d'un patient quand ils ne peuvent la satisfaire. Par exemple un refus de médicament, le rejet d'une toilette, le désir de partir prématurément ...etc. Comme je l'ai dit dans mon dernier article d'avril 2003 «Humaniser la fin de vie», la médecine a beaucoup appris de ces situations extrêmes où elle ne peut plus rien. Etre capable d'accompagner quelqu'un qu'on ne peut plus guérir, quelqu'un qui met à mal tous nos souhaits de pouvoir, quelqu'un qui force notre humilité... cela permet de mieux saisir ce que sont vraiment accompagner et comprendre.

Toutes ces circonstances montrent qu'il y a beaucoup à faire et que l'amélioration ne dépend pas simplement de connaissances théoriques sur la communication ou sur la psychologie. De nombreux réflexes culturels entravent cette qualité du regard sur l'autre et sur soi-même.  C'est pourquoi le rôle d'une formation est d'amener plus que de la théorie. Elle doit permettre d'expérimenter avec délicatesse ces subtiles nuances afin de les intégrer. Elle doit conduire à ne plus subir toutes ces habitudes culturelles de non communication.

Comme un autiste bavard...

Pareil aux personnes rencontrées par le Petit Prince de Saint Exupéry, chacun est sur sa planète et ne se sent pas capable de rencontrer l'autre sur la sienne. Chacun n'est rempli que de son propre monde et ne peut entendre les nouvelles du monde de l'autre.

L'homo sapiens sapiens, celui qui sait qu'il sait, connaît un peu son propre monde (et encore!),  mais il ne connaît rien du monde de l'autre. Pareil à une sorte d'autiste bavard, il parle beaucoup mais est handicapé de la communication. Il est cloisonné dans sa forteresse et souffre d'une sorte d'inaccessibilité au monde de l'autre.

Comme il ne s'accueille pas lui-même, son identité est aussi mal définie. Il passe alors de personnalités en personnages et de paillettes clinquantes en ego démesuré.  Comme il ne peut percevoir l'autre, il l'imagine. Il projette alors son imaginaire sur cet autre par le biais d'une illusion empathique. Sa certitude de voir l'autre n'est alors qu'une sorte d'hallucination dans laquelle il prend pour vrai ce qu'il ne fait que projeter au dehors. Or un trouble de l'identité associé à des hallucinations définit la schizophrénie.

Cet aveuglement affûte ses peurs qui le portent à maintenir en permanence un état de défense. Nous ne sommes pas loin alors d'une légère paranoïa. Il met alors son intellect au service d'un antique jeu de proies et de prédateurs

L'être humain est donc souvent une sorte d'autiste bavard souffrant de légère schizophrénie assortie d'un soupçon de paranoïa... mais grâce à l'évolution... il se soigne. Cela ne constitue pas une pathologie mais un état transitoire. On ne parle de pathologie que quand le dérapage est très important (fermé dans son monde, trouble de la personnalité et hallucinations, sentiment permanent de persécution).

Processus d'évolution

Trouver son identité par l'accueil de soi, entendre l'autre dans son monde avec ses raisons et guérir de ses peurs en ayant  confiance en lui, est pour chacun une véritable révolution intérieure. C'est un des enjeux de notre époque où l'homo sapiens sapiens tend vers l'homo sensibilis.

Il ne s'agit surtout pas de changer en devenant un autre. pour simplement devenir soi. Cette ouverture à soi conditionne la capacité à s'ouvrir à autrui.

Je ne prétends surtout pas avec cet article avoir fait le tour de la question, mais j'espère modestement avoir nourri la réflexion de chacun, qui en fera l'usage qui lui convient, en l'ajoutant à sa propre expérience de la vie.

 

Thierry TOURNEBISE

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