Page d'accueil 

Documents publiés en ligne

Retour publications

Percevoir le monde...
l'objectivable et l'existentiel

Aout 2013    -    © copyright Thierry TOURNEBISE

 

Les 5 sens sont assez bien connus… mais en même temps la perception est assez mal connue. En effet, le plus souvent, plusieurs sens mis en action simultanément sont nécessaires à nos représentations mentales, notre reconnaissance du monde, l’activation de notre mémoire. Les sens ne fonctionnent pas isolements mais en synergie. De plus, ils opèrent plus ou moins en synesthésie, car plusieurs sens sont  impliqués dans une même perception, même quand un seul d’entre eux à été stimulé (par exemple une forme sera associée à un son, un son à un goût, le tact à une forme).

Mais la perception déborde le cadre aussi des cinq sens. Nous connaissons la proprioception (sensibilité corporelle interne), la perception kinesthésique (de mouvement), la perception de l’« écoulement » du temps, la perception émotionnelle…, etc., il nous reste encor  à comprendre la perception de Soi, la sensibilité à autrui, le sens existentiel, ou même le vécu d’expériences clairement éprouvées, mais indicibles, voire non représentables, car elles ne sont ni sensorielles, ni expérientielles (par exemple EMI ou psychose, qui sont des vécus hors du commun, parfaitement « réels », et pourtant indicibles et trop souvent non entendus quand le sujet tente de les exprimer, tant cela sort des schémas de nos représentations habituelles). 

Sommaire

1 Cinq sens et synesthésie
- Perception et réalité – La sensation émotionnelle –
Synergie, synesthésie et mémoire- Vérité ou illusion des sensations

2 Le vécu assensoriel
-Approche du point de vue psychotique – Approche historique d’une non histoire  - EMI (expérience de mort imminente –  L’objectivable et le subtil

3 Sens, évocations, mémoire, compétences
-Une perception, deux évocations - sens dominant et représentation du monde – Aveugle « voyant » - La tendresse et l’acuité

4 Les sens complexes
-Deux mondes en équipage – Nocieceptivité - Bénéceptivité – Délicate intrication - Le sens de la complexité – Le fond et la forme (cécité d’inattention)

5 Subtilités
-Les sens subtils – Évocation des vécus hors sens- Le sens du sens – Le sens de Soi

6 Les perceptions en thérapie
Les symptômes : une sorte de sens- Somatique – Émotionnel – Guidage non directif

7 Des sens en tous sens
-Synergies – Multiplicités – Subtilités – Perceptions et individuation

Bibliographie

 

1   « Synergiesthésie » et synesthésie

La synesthésie, c’est quand un seul sens stimulé produit des sensations secondaires (par exemple, un son qui provoque la vision d’une image). Mais indépendamment de ce phénomène, les sens fonctionnent le plus souvent à plusieurs, en synergie,  pour produire une représentation mentale (évocation). On pourrait alors parler de « synergiesthésie » (sentir par plusieurs canaux en synergie aboutissant à une seule représentation mentale).

Avec la synesthésie, on a un seul sens, une seule perception, qui engendre  des évocations mentales concernant plusieurs sens en même temps. Avec la « synergiesthésie », on a à l’inverse, plusieurs sens… mais une seule évocation mentale qui en résulte. En réalité ces deux phénomènes, quoique opposés, sont intimement intriqués.

Si les sens peuvent agir de façon apparemment isolée, ils servent notre représentation du monde de façon plus conjointe qu’il n’y paraît. Avec les sens séparés cette représentation du monde a plus de mal à se produire. Le goût est souvent associé à une image et surtout à une odeur, le son, le tact ou le mouvement sont associés à des images. Notre perception est toujours multiple. Un seul sens mobilisé nous laissera souvent en panne de représentation mentale de ce qui se présente à nous. Voir jaillir un feu d’artifice sans son nous paraîtrait incongru et même sans doute angoissant.

1.1 Perception et réalité

Nous pensons avoir une perception objective de la réalité : « ce que je perçois est ce qui est », « le voir pour le croire », « je sais ce que j’ai vu ». En fait, même René Descartes disait que comme des êtres amputés sentent des membres qu’ils n’ont plus, rien ne peut nous assurer de la réalité de notre corps pourtant que nous sentons . Ainsi, René Descartes était plus assuré d’être une âme (car il pense et il doute) que d’avoir un corps (voir citation ci-après à 1.5 [Vérité ou illusion des sensations]).

Le mécanisme de la perception passe par une représentation mentale et nous ne faisons que percevoir les images mentales que nous élaborons à propos du monde. La question est finalement de savoir jusqu’où cette représentation est fidèle à ce qui est réellement.

Sur le canal visuel, par exemple, un flux lumineux venant d’un objet impressionne notre rétine. Notre rétine produit des influx nerveux que le nerf optique conduit au cerveau. Le cerveau offre au mental des données (difficile d’affirmer si le cerveau et le mental sont assimilables ou non l’un à l’autre). Le mental va comparer ces données aux données antérieurement enregistrées dans la mémoire. De ce tout résulte une image mentale (une représentation). Ce que l’on appelle perception, c’est en fait cette représentation mentale que l’on reprojette là où se trouve l’objet initialement perçu. C’est cela que l’on appelle la réalité ! Platon avec son allégorie de la caverne en avait déjà quelques intuitions. Comme au cinéma, nous regardons l’écran face à nous, même si nous savons que le film « réel » est dans le projecteur qui se trouve derrière nous. Sur l’écran, nous ne voyons qu’une projection. Quand nous regardons le monde qui nous entoure, nous ne faisons que percevoir une projection de nos représentations mentales.

Le débat est de savoir jusqu’à quel point ces représentations sont fidèles à « la réalité »… ? Puis, finalement, de quelle réalité parlons-nous ?

Les astrophysiciens nous parlent aujourd’hui d’une cosmologie possible où l’univers dans sa dimension quantique serait une image holographique plane quadridimensionnelle entourant l’univers tridimensionnel. Cette surface, pareille à un cliché holographique, projetterait un hologramme tridimensionnel en son centre… Ce serait cela que nous percevons et appelons réalité : des hologrammes ! Naturellement, quoique d’émanation scientifique, s’appuyant sur des considérations théoriques mathématiques et physiques, ces éventualités ne sont (en tout cas pour l’instant) que spéculations.

Que les diverses théories à ce sujet soient vraies ou fausses importe peu. Ce qui est certain c’est que la réalité semble se résumer à des ondes émises, et que notre perception ne soit qu’une interprétation de ces ondes. Au final cela nous permet de vivre dans le monde, d’y interagir, d’y assurer notre vie et notre survie avec plus ou moins d’efficacité.

1.2 Éduqué à percevoir une certaine réalité

Nous pensons percevoir la réalité, or ce que nous percevons résulte pour une grande part de notre éducation, de nos apprentissages, de notre culture. Nos sens s’éduquent et finissent par percevoir plus finement… dans le sens de leur éducation !

« Je suis effrayé par les automatismes qu’il est possible de créer à son insu dans le système nerveux d’un enfant » (Labori, p59).

Il est difficile de distinguer la notion de réalité quand on mesure à quel point notre perception dépend d’un apprentissage :

« On a pu montrer que de jeunes chats enfermés à la naissance dans un espace clos dont les parois présentent des raies noires verticales, ne pourront au bout de quelques semaines, voir des raies horizontales et inversement » (ibid., p.56).

Pareillement aux chatons de l’expérience citée par Henri Labori, nous pouvons craindre d’avoir été éduqués à voir de telle façon que nous sommes aveugles à des choses essentielles qui, de ce fait, nous restent inconnues, peut-être inconnaissables à tout jamais. Si par hasard une autre perception nous devient possible, alors la difficulté devient de la partager avec la communauté dans laquelle nous nous trouvons, qui ne l’appréhende pas. Ainsi, celui qui perçoit une autre réalité qu’autrui aura-t-il quelques difficultés à se placer dans le monde :

« Dans notre monde ce ne sont pas des Hommes que vous rencontrez le plus souvent, mais des agents de production, des professionnels. Ils ne voient pas non plus en vous l’Homme, mais le concurrent, et dès que votre espace gratifiant entre en interaction avec le leur, ils vont tenter de prendre le dessus de vous soumettre. […] Ces adversaires ne vous aborderont jamais seuls. Ils s’appuieront sur un groupe ou une institution …] Ce sont les confréries qui s’attaquent aujourd’hui à l’homme seul, et si celui-ci a le malheur d’accepter la confrontation, elles sont sûres de la victoire, car elles exprimeront le conformisme, les préjugés, les lois socioculturelles du moment. » (ibid., p30)

Les différences ne sont pas bienvenues ! Gare à celui qui ne voit pas les raies verticales de la communauté et qui ne se tient pas au « garde-à-vous intellectuel » !  En dépit d’un appel à la tolérance, l’ouverture n’est pas au rendez-vous : elle n’est finalement qu’un appel à « supporter » ce qui est déviant, ce qui est anormal. « Tolérer l’erreur » (marge de tolérance des mesures) n’a rien à voir avec le fait de « reconnaître une richesse dans une perception différente ». L’intérêt du nombre de points de vue, c’est justement le brassage de ces différences qui viennent enrichir la perception de chacun. Il y a sans doute encore un peu de chemin pour en arriver là.

Voir sur ce site la publication « Eloge de la différence » (aout 2008)

Cette difficulté de celui qui perçoit différemment et qui ose un nouveau point de vue est racontée dans des contes ou romans comme « Flatland » (Edwinn A. Abott -1884), ou « Jonathan Livingston le Goéland » (Richard Bach -1973), ou bien par l’histoire historique avec des philosophes, comme Démocrite (condamné par Platon qui voulut même brûler ses ouvrages), Plotin (évoquant au IIIe siècle l’ineffable de l’âme « autour du corps » et non « dans le corps » -1859), puis des scientifiques comme Copernic puis , Galileo Galilei (passant du géocentrisme à l’héliocentrisme ), Charles Darwin (changeant la création en évolution), ou René Descartes (prônant le doute et la candeur, invitant à étudier en soi-même -1999), Georg  Gödel (démontrant qu’il y a une infinité de vérités indécidables) ou même Hippase de Métaponte (mathématicien grec pythagoricien, 460 ans avant JC) qui innova en apportant les nombres irrationnels… il aurait été noyé par les pythagoriciens eux-mêmes qui voyaient en cet apport la ruine de leurs théories (Seife, 2002, p.50).

Quelles que soient les époques, il n’est pas aisé d’avoir une perception différente du monde et de la partager !

Pierre Tricot, ostéopathe ayant grandement contribué au développement, à la théorisation et à l’enseignement de cette discipline, met les praticiens en garde à ce sujet :

« Une autre difficulté que rencontrent tous ceux qui travaillent avec la perception (et les ostéopathes en font partie !), c’est l’interprétation de ce qui est perçu. Nous avons naturellement tendance à penser que ce que nous percevons est ce qui est. Notre expérience en la matière nous impose beaucoup de prudence : ce que je perçois est ce que je perçois, mais cela ne m’autorise pas à prétendre que cela est. ». (2005, p.40)

 

« … la recherche d’explication conduit à formuler des hypothèses [...], ce qui est tout à fait légitime. Mais avec le temps et l’expérimentation journellement répétée, l’hypothèse se renforce et peut aller jusqu’à se figer en certitude puis en dogme. On en vient à considérer l’hypothèse comme un fait acquis alors qu’elle n’a jamais été scientifiquement vérifiée. Le plus grave survient lorsque ces certitudes non prouvées sont enseignées sans préciser qu’il s’agit d’hypothèses… » (ibid.)

C’est pour lui tout le problème de la transmission (d’un art ou d’une science) qui ne peut se fonder seulement sur de la théorisation, même si celle-ci reste un outil incontournable. Avoir conscience de la différence entre la perception et la réalité est une clé majeure pour toute personne en quête de justesse.

1.3 La sensation émotionnelle

Nous devons aussi ajouter la sensation émotionnelle à la palette des sens. En effet, ce qui laisse une empreinte émotionnelle est souvent mieux mémorisé que ce qui n’est qu’intellectuel. Ainsi, ce qui est expérientiel est mieux enregistré que ce qui est purement intellectuel.

Notamment chez un sujet atteint de la maladie d’Alzheimer, une circonstance accompagnée d’émotion éprouvée (expérience) sera plus facilement mémorisée qu’une circonstance non émotionnelle. C’est pourquoi apprendre une théorie sans rien expérimenter ne laisse que peu de traces chez l’apprenant. C’est un fondement pédagogique impliquant la nécessité d’une sorte de « bouquet de perceptions en synergie »  pour ancrer les données par plusieurs accès sensoriels, dont l’expérientiel, qui constitue une base majeure (qui est par essence multi sensorielle). Par la suite, un seul sens sollicité pourra faire émerger ce qui a été appris avec plusieurs entrées, ce qui revient à créer une sorte de synesthésie.

La suggestopédie est, par exemple, une approche pédagogique mettant l’accent sur l’esthétique et les émotions gratifiantes, pour favoriser la mémorisation. Cette méthode d’origine Bulgare, permet d’enseigner CP CE1 en six mois ou l’anglais courant en deux semaines, sans effort et avec bonheur (Saféris, 1986).

« Un mois après leur entrée [en CP], les enfants lisent couramment » (p.157).

Et en  mathématiques : « Quant au programme de la seconde année [CE1], les enfants des classes expérimentales pouvaient résoudre les problèmes à 77,39 p.cent et ceux des classes de contrôle à 5,28 p.cent » (p.168).

1.4 Synergie, synesthésie et mémoire.

Nous devons distinguer d’une part le sens, en tant qu’organe récepteur qui donne une information et, d’autre part le mental qui, à partir de cette information, crée une image mentale (évocation) représentant ce qui a été perçu. Initialement, plusieurs sens participent à une seule représentation mentale, mais aussi, par la suite, un seul sens stimulé suscite des évocations multiples (synesthésie).

Un enfant qui apprend une leçon sans faire d’exercices mettant en jeu le contenu de cette leçon, la mémorisera moins bien (ou pas du tout). Nous ajouterons alors aussi le sens des mécanismes cognitifs mis en jeu dans ces exercices réalisés, comme contribuant à la mémoire. Ce sens des mécanismes cognitifs mis en jeu est assez inconscient, un peu comme les sens kinesthésique ou proprioceptif (nous sommes peu conscients de nos mouvements physiques ou de ce qui se passe dans notre corps). Mais ces sens peuvent s’éduquer, et la conscience qu’on en a se développer.

Nous pouvons aller encore un peu plus loin en précisant trois phases : d’une part la perception (par le sens), d’autre part l’évocation immédiate (image mentale), puis enfin l’évocation ultérieure de cette image (mémoire). Il se trouve qu’une personne sans mémoire (par un fait pathologique) peut néanmoins rêver de ce qu’elle a vécu dans la journée alors qu’elle ne se rappelle pas l’avoir vécu (elle en témoigne si on la réveille en phase de rêve après qu’on lui ait fait faire des choses précises avant son endormissement). L’« image » (la représentation mentale) est enregistrée, mais n’est plus accessible volontairement ou consciemment  (elle est tout de même là !). Des expériences* menées sur ces thèmes nous montrent combien les perceptions et les mémorisations résultent de divers sens, y compris hors de la mémoire consciente.

*Robert Stickgold, chercheur au laboratoire de neurophysiologie de la Harvard medical school, réalisa une expérience sur des patients amnésiques en les faisant jouer au jeu vidéo Tetris : Ayant joué avant de s’endormir, trois amnésiques sur cinq rêvent des images du jeu dont pourtant ils ne se rappellent pas avoir joué.

Quand on fait une expérience où l’on propose à un sujet de goûter un aliment qu’il ne voit pas, dont la texture n’est pas perceptible (petit morceau ou mixé), il peinera le plus souvent à l’identifier. L’odeur et le goût  à eux seuls ne sont pas des données suffisantes. Dans le cas du goût, le visuel (forme, couleur) et le tactile (langue, consistance, humidité) font souvent partie d’une représentation globale sans laquelle un sujet ne sait pas facilement identifier ce dont il s’agit.

Pourtant, il arrive qu’un seul élément tende à en refaire surgir d’autres, comme une impression difficile à identifier, mais qui par une attention délicatement mise en œuvre permet d’accéder à des choses inconscientes.

Marcel Proust, avait remarqué ce lien passé/présent qui le fascinait. Nous connaissons tous la fameuse madeleine (saveur), mais il y a aussi par exemple la couleur de la peinture des toilettes qui lui fit ressurgir le bureau de l’oncle (visuel). Il constate cette émergence comme une sorte de « déflagration entre le passé et le présent ».

« Mais, séparé des lieux qu’il m’arrivait de retraverser par toute une vie différente, il n’y avait pas entre eux et moi cette contiguïté d’où naît, avant même qu’on s’en soit aperçu, l’immédiate, délicieuse et totale déflagration du souvenir » (1954, p.692).

Les perceptions sont multiples et favorisent ainsi la mémorisation, l’évocation présente de l’antérieur.

 Le fait de mobiliser plusieurs sens en même temps pour créer une évocation mentale immédiate peut se nommer « synergiesthésie ».  C’est ce que tout le monde fait, car un sens à lui seul est insuffisant pour créer une représentation mentale signifiante. Les sens opèrent en synergie et cela favorise aussi ensuite l’accès à la mémoire (évocations ultérieures). Même quand un seul sens est stimulé, plusieurs aires cérébrales (liées à différents sens) entrent en jeu.

Il y a un phénomène différent, beaucoup moins fréquent, qui se nomme synesthésie. C’est le fait qu’un seul sens produise d’autres perceptions que celles du sens proprement dit. Par exemple, un mot a une couleur, une forme a un son, un son a un goût. Victor Rosenthal, psychologue chargé de recherche au CNRS, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, travaille sur la perception, le langage et la synesthésie. Dans sa publication de 2011 « Synesthésie en mode majeur : une introduction », nous trouvons page 11 un tableau donnant quelques synesthésies rencontrées :

Unités temporelles/couleurs ; musiques/couleurs ; goûts/couleurs ; douleurs/couleurs ; sons/toucher ; sons/odeurs ; sons/goûts… etc

« les voix de personnes ou les sons d’instruments de musique ont des couleurs texturées.
Ces témoignages nous apprennent que loin de constituer une simple association fixe entre deux termes abstraits […], les correspondances synesthésiques revêtent une matérialité où forme, texture et couleur n’ont pas d’existence autonome. P.20

Pourtant, cela semble ordinaire à ceux qui perçoivent de cette façon, tant qu’ils n’ont pas eu à en parler à quelqu’un :

« Même lorsqu’elles sont pour le moins étranges (e. g. sons/saveurs), les combinaisons esthésiques perçues sont si évidentes et naturelles pour le sujet qu’il ne se doute pas que ses percepts sortent de l’ordinaire, et n’éprouve par conséquent aucun besoin d’en faire état. ».(p.8)

Pour Daniel Tammet, les dates, les chiffres, ont une couleur :

 « Je suis né le 31 janvier 1979. Un mercredi. Je le sais parce que dans mon esprit, le 31 janvier 1979 est bleu. Les mercredis sont toujours bleus » (Tammet, 2007, p.9).

1.5 Vérité ou illusion des sensations ?

L’expérience dite « de la main en caoutchouc » ou de « la main fantôme » est intéressante. Le sujet a par exemple le bras gauche caché. Il pose sa main droite sur la table, puis, à sa gauche, bien visible se trouve une « fausse main gauche » (disposée comme le serait sa vraie main gauche). L’expérimentateur touche alors délicatement la main droite et la fausse main gauche simultanément. Son cerveau interprète que sa main gauche est touchée et il a la même sensation que si cette fausse main gauche était la sienne (un visuel plus tactile, engendre un tactile qui n’existe pas).

Mieux encore, le sujet pose sa main droite et sa main gauche sur la table, bien visibles. Mais l’expérimentateur ajoute une seconde main droite, juste à gauche de la vraie main droite. Quand la vraie main droite et la fausse main droite sont touchées, le sujet sent cette « fausse main droite » comme un troisième bras qu’il aurait et qu’on lui touche vraiment. Le cerveau gère cette information perturbante en ajoutant un bras !

Expériences citées dans :
Cerveau &psycho.fr  http://www.cerveauetpsycho.fr/ewb_pages/f/fiche-article-la-main-fantome-22185.php
Psychomedia.qc.ca 
http://www.psychomedia.qc.ca/cognition/2011-02-24/illusion-troisieme-bras-image-corporelle

À son époque, René Descartes pointait déjà combien la sensation ne fait pas preuve :

« …j’ai autrefois appris de quelques personnes qui avaient les bras et les jambes coupées, qu’il leur semblait encore quelquefois sentir de la douleur dans la partie qui leur avait été coupée ; ce qui me donnait sujet à penser, que je ne pouvais aussi être assuré d’avoir mal à quelqu’un de mes membres quoique je sentisse en lui de la douleur » (Méditation sixième, 1999, p.322).

« je n’ai jamais rien cru sentir étant éveillé, que je ne puisse sentir quand je dors ; et comme je ne crois pas que les choses qu’il me semble que je sens en dormant procèdent de quelques objets hors de moi, je ne vois pas pourquoi je devrais avoir cette créance touchant celles qu’il me semble que je sens en étant éveillé » (ibid, 1999, p.323).

Cela le conduisit à se sentir plus assuré d’être une âme (car il pense et il doute) que d’avoir un corps (dont la sensation peut n’être qu’illusion) :

« Puis examinant avec attention ce que j’étais, et voyant que je pouvais feindre que je n’avais aucun corps, et qu’il n’y avait aucun monde, ni aucun lieu où je fusse ; mais que je ne pouvais pas feindre pour cela, que je n’étais point ; et qu’au contraire, de cela même que je pensais à douter de la vérité des autres choses, il suivait très évidemment et très certainement que j’étais » (Le discours de la méthode 2000, p66).

«  je connus là que j’étais une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser, et qui, pour être, n’a besoin d’aucun lieu, ni ne dépend d’aucune chose matérielle. En sorte que ce moi, c’est-à-dire l’âme par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps ; et même qu’elle est plus aisée à connaître que lui, et qu’encore qu’il ne fût point, elle ne laisserait pas d’être tout ce qu’elle est » (ibid, p.67).

Nous découvrons alors que concernant les sens, nous aurons intérêt à pousser plus loin notre investigation et que ceux-ci ne sont pas la seule source de l’expérience « réellement éprouvée ». Qu’en est-il donc des expériences sans sensations, des expériences profondément et réellement éprouvées, mais ne passant pas par les sens ? De telles expériences pourraient être qualifiées d’« assensorielles » (pas même sensorielles dans l’imaginaire).

retour sommaire

2   Le vécu assensoriel

2.1 Approche d’un point de vue « psychotique »

Je dis d’un point de vue « psychotique » entre guillemets, car même si je suis conscient de la souffrance et de la situation handicapante où se trouvent de tels patients, leur difficulté n’est pas tant le vécu exceptionnel, hors du commun, qu’ils éprouvent, que la difficulté qu’ils ont à le faire comprendre. Ils sont plus souvent malades de cette incompréhension de leur entourage (y compris médical, psychiatrique, psychothérapique)  et de l’incommunicabilité de cette expérience que de l’expérience elle-même :

 Comme me le disait une patiente psychotique lors d’une consultation : « c’est une odeur, mais qui ne sent pas ; c’est un bruit très fort, mais qui ne fait pas de bruit ; une lumière éclatante, mais qui n’aveugle pas ; c’est une couleur violet/orange qui n’existe pas. »

Elle traduit ici un vécu très réel pour elle (pas hallucinatoire), très juste, très fort, mais pour lequel les mots manquent car il s’agit d’un vécu profondément réel ne s’appuyant pourtant sur aucune perception, même si celles-ci tentent d’en élaborer un début d’illustration. Cela est souvent interprété comme hallucination par le praticien alors qu’il s’agit d’un vécu sans perception quasiment impossible à nommer avec le vocabulaire dont nous disposons.

2.2 Témoignages historiques d’une non-histoire

Habitués à analyser des faits ou des événements, nous tendons naturellement à objectiver les informations en nous appuyant sur les bases raisonnables que nous connaissons. Or il se trouve des témoignages hors de ce champ objectal méritant notre attention. Je vous citerai par exemple Lao Tseu et Plotin.

Lao Tseu, cinq siècles avant JC nous rapporte :

« Grand carré sans angles, grand vase inachevé, grande mélodie silencieuse, grande image sans contours : le TAO est caché et n’a pas de nom, cependant sa vertu soutient et accomplit tout » (Lao Tseu, 2000, 41). 

Plotin quant à lui, au troisième  siècle après JC, ayant expérimenté quatre  vécus « hors du corps », nous explicite à propos de l’âme :

 « Celle-ci ne comporte aucune étendue, pas même par la pensée; elle n'a pas besoin d'être en un lieu, elle n'est contenue dans aucun autre être, ni en partie ni en totalité » […] Sans avoir d'étendue, l'âme est présente dans toute étendue; elle est dans un lieu, et elle n'est cependant pas dans ce lieu » (4, IV, 2 - I)*.

*ENNEADES : 4e Ennéade LIVRE II (traité 4 dans l’ordre chronologique) : COMMENT L'ÂME TIENT LE MILIEU ENTRE L'ESSENCE INDIVISIBLE ET L'ESSENCE DIVISIBLE chapitre I (lien) Traité 4, Ennéade IV, livre 2, chapitre I. Voir dans la bibliographie pour le processus de citations de l’œuvre de Plotin

Nous voyons là des tentatives de mise en mots de ce qui n’appartient pas au monde des mots. C’est un peu comme tenter de représenter sur une feuille à trois dimension un objet en trois dimensions. Ce n’est possible qu’en acceptant de le déformer… jusqu’à beaucoup s’éloigner de son aspect initial (comme par exemple pour les planisphères, tentant de représenter le globe terrestre tridimensionnel sur une feuille bidimensionnelle)

2.3 EMI (expérience de mort imminente)

Les êtres faisant une expérience de mort imminente, et qui ont le souvenir d’un vécu pendant que leur corps était inanimé, peinent aussi à mettre en mots ce qu’ils ont éprouvé. Le vécu est pour eux d’une certitude absolue, d’une réalité indiscutable… mais les mots leur manquent, car ce qu’ils ont éprouvé est une forme de perception sans perception, d’espace sans espace, de temps sans temps.

Les mots utilisés réduisent ce qu’ils veulent dire ! D’où des tâtonnements qui ne peuvent qu’être très douloureux face à des interlocuteurs en quête de rationalisations classiques.

Voici quelques essais de mises en mots de leur vécu pour lequel ils tentent une illustration s’appuyant sur les perceptions, tout en sachant qu’il ne s’agit pas vraiment de perceptions… mais leur vécu est pourtant plus limpide, plus clair et plus vrai pour eux que ce qui peut être perçu par les sens habituels.

La « vue »

« Une vision panoramique, instantanée, de tous les événements qui ont marqué son destin » (Moody, 1977,  p.36).

« Tous les angles de vue étaient simultanés. […] ″Ce qu’il y a de drôle, c’est qu’on a une vision très élargie des choses. C’était comme si je me trouvais en plusieurs lieux en même temps″ » (Jourdan, 2006, p.419).

« J’étais surpris du fait que je pouvais regarder à 360°, je voyais devant, je voyais derrière, je voyais dessous, je voyais de loin, je voyais de près, et aussi par transparence. Je me souviens avoir vu un tube de rouge à lèvres dans la poche de l’infirmière […] Je voyais dans le même temps une plaque verte avec des lettres blanches, marquée ″manufacture de Saint Etienne″. Elle était sous le rebord de la table d’opération, recouverte par le drap sur lequel j’étais allongé » (p.420, 421).

L’« ouïe »

 « Il y avait un délai entre le moment où j’entendais les paroles et le moment où les gens les prononçaient, comme un écho inversé » (p.564) Le sujet entendait les paroles juste avant qu’elles ne soient prononcées.

L’« espace »

 « On est à la fois soi-même et ce qu’on observe. Il y a à la fois la vue et le ressenti, une espèce de contact, de perception intime de la chose qu’on observe » (p.576).

« Je faisais partie d’un tout. Tout était clair, très lumineux et c’est un peu comme si on faisait partie du cosmos et qu’on est partout à la fois » (p.422).

Le temps et les émotions

« Je dirais que les évènements sont instantanés, mais que les émotions se succèdent » (p.560).

 « Les tranches de mon existence étaient perçues instantanément, hors de toute impression de durée […] J’avais l’impression que mon existence entière était étalée sous mes yeux, indifférenciée dans ses étapes et toujours sans que l’enchaînement des événements paraisse se nourrir de temps » (p.565 et 574).

Une nouvelle forme de « synergiesthésie »

« La seule chose que j’ai pu contempler était ma propre vie. Une forme oblongue, tridimensionnelle, de teinte rose orangée (toujours métallisée car comprenant sa propre luminosité). Je voyais à l’intérieur, par transparence, l’ensemble de mon parcours de vie, le temps compris, sans défilement du temps ».

« J’ai revu l’intégralité de ma vie, en relief, avec tous ses détails, les gens, les situations. Mais dans un temps qui ne s’écoule pas, la vie étant une globalité que l’on observe avec cette intelligence (universelle ou globale). Ma vie était une forme, sous mes yeux, qui  contenait TOUT, et que je consultais » (p.573).

Perception de « soi » et d’« autrui »

« Dans ces cas là, la conscience n’est plus éprouvée comme localisée dans le cerveau. Elle est ″ailleurs″ sans pour autant qu’il soit légitime de dire qu’elle se trouve quelque part » (Jourdan, 2006, p.417).

« …lorsque j’avais fait du bien, j’étais contente. Je le savais en moi-même et j’étais dans le cœur des gens à qui j’avais fait quelque chose de bien, et je le vivais parce que j’étais la personne à qui je l’avais fait et quand j’étais désagréable, c’était pareil, j’étais dans le cœur de cette personne et je vivais cela » (p.584).

« Je ressentais tour à tour les sentiments d’autrui que mes comportements avaient suscités » (p.586).

« Mon ″moi″ n’était pas là en tant qu’individu rendant les comptes de SA vie, mais mon ″je″ était la vie de tous les humains ; en d’autres termes, c’était un bilan global à l’échelle de l’espèce. » (p.589).

« Je suis dedans, dehors à la fois, l’impression d’un ensemble d’un tout. Je deviens cette connaissance, cette lumière, cette douceur… je suis tout cela à la fois » (p.594).

« Vous êtes le lieu, l’acteur, le moyen, la cause, l’effet,  le ressentant, et le faisant ressentir, le contenu et le contenant » (p.597).

2.4 L’objectivable et le subtil

Nous noterons que le fait d’être « dedans dehors en même temps », d’être « un tout à l’échelle de l’espèce humaine », est également proche de l’expérience du psychotique* qu’il peine à nommer et que l’on prend à tort pour un délire. Il s’agit d’une expérience à prendre en compte très sérieusement, avec respect et considération, sans dénigrement, comme appartenant à l’humain à un niveau qui échappe à notre sensorialité. Ce vécu est hors du champ des sens et même de celui des perceptions, mais avec une profonde réalité pour celui qui en a fait l’expérience.

*Disponible sur ce site la publication d’octobre 2012 « Comprendre la psychose ».

Romola Sabourin, riche de ses études de médecine et de psychologie, de son expérience clinique,  a posé une attention toute particulière sur les 5 sens dans le soin psychologique. Outre l’enseignement qu’elle prodigue et la subtilité qu’elle met dans l’usage des sens quant à la qualité du soin hospitalier auprès des patients, elle attire aussi notre attention sur le parcours phylogénétique, allant des premiers êtres unicellulaires vers l’homme, puis du développement des sens au cours de l’évolution, afin de rendre compte de leurs liens entre eux, et avec notre psychisme :

« ″Nous pensons parce que nous avons senti″ […] à l’origine,  nos hémisphères cérébraux   étaient des bourgeons sur nos tiges olfactives » (1995, p.80)

« Les ancêtres de nos yeux sont les ″taches visuelles″ apparues il y a un milliard d’années sur la membrane extérieure d’organismes vivant dans l’océan. Il s’agit de zone où le sens tactile s’est affiné au point de détecter la lumière. […] Au fond de l’océan, il suffisait de percevoir la présence ou l’absence de clarté pour se diriger vers la source de lumière … » (ibid. p.103)

Cette sensation confuse d’ombres et de lumières avec les premières ébauches d’organes néovisuels n’est-elle pas à rapprocher de ces « sensations assensorielles » (décrites ci-dessus), captant l’indicible, l’inévoquable… comme une perception nouvelle pour laquelle notre conscience corporelle n’est encore équipée que d’une ébauche. Ce ne sont encore que des sortes de « tâches existentielles » à la surface d’un moi limité et encore limitant. « Tâches existentielles » pleines de promesses, ébauches d’un Soi encore embryonnaire, ou en voie de déploiement. Nous ne sommes encore capables que de distinguer l’ombre ou la lumière existentielles sans distinguer clairement la nature de l’être, ni sa subtilité, ni sa finesse, ne pouvant que le décrire par métaphores tant les mots nous manquent… et même les moyens cognitifs pour l’évoquer, ne serait-ce qu’en pensée. Le philosophe Plotin, 50 ans après JC, énonçait à propos de l’âme :

« Celle-ci ne comporte aucune étendue, pas même par la pensée… » (4, IV, 2 - I)*.

* cité plus haut au paragraphe « 2.2 Témoignages historiques d’une non-histoire »

Pierre Tricot, ostéopathe faisant référence dans l’enseignement de cette discipline, nous explique comment les parties du corps, suite au toucher et à l’attention portée dessus, « apparaissent » au praticien comme sombres ou lumineuses, selon qu’elles sont ou non en fermeture, en rétention. L’« attention » est, selon lui, un processus générant un « espace virtuel incluant ce qui est perçu », rencontrant plus ou moins de résistance. Sachant très bien qu’il s’agit de représentation chez le praticien (difficile de dire ce qu’est vraiment la « réalité »), il nous interpelle sur le fait qu’une telle perception peut guider l’acte de soin :

« Comme nous n’avons pas conscience de forger notre propre réalité à partir de nos perceptions, nous déterminons comme réelles et objectives des choses qui ne le sont pas forcément » : finalement l’image du réel que nous tirons de la perception n’est rien d’autre qu’une construction de pensée élaborée grâce au livre de signification à partir des messages sensoriels. » (2005, p.258)

Il en découle ainsi, selon lui, un précieux outil de guidage pour le praticien :

« Je focalisais mon attention sur une zone particulièrement sombre dans l’espace sacro-iliaque droit. Je sentis alors l’occiput se mettre en mouvement dans mes mains. Ce mouvement dura un certain temps, ralentit, puis s’arrêta. En même temps ma perception de la zone changea. Elle s’était éclaircie. » (p.256)

Mais une telle perception n’est pas aisée à prendre en compte, tant elle remet en cause les schémas habituels et déroute les esprits se disant « cartésiens » (mais qui n’ont pas lu Descartes qui était un homme sensible, souple, ouvert aux hypothèses et particulièrement libre des pensées toutes faites) :

« La difficulté majeure qui entrave le développement d’une autre perception résulte de la difficulté à rompre le consensus, d’accepter d’expérimenter des choses autrement et de nous apercevoir que nous ne percevons pas tous la même chose de la même manière. L’expérience peut être tellement déstabilisante pour un être qui refuse de la poursuivre, l’esquive la plus habituelle consistant à considérer qu’il s’agit d’un délire. » (Tricot, p.258).

Alain Connes, mathématicien né en 1947 dans le Var, reçu la médaille Fields en 1982. Il est professeur au Collège de France et professeur à l’institut des hautes études scientifiques. Daniel Tammet, dans son ouvrage « L’éternité dans une heure » nous rappelle comment ce professeur décrit la réalité :

« …bien plus "subtil"  que ne le suggère le matérialisme. Pour comprendre notre monde, nous avons besoin d’analogies, aptitudes spécifiquement humaines à établir des liens (qu’il appelle des "reflets" ou " correspondances") entre les choses disparates. Le mathématicien prend des idées valides dans un domaine et les "transplante" dans un autre en espérant qu’elles prendront, et ne seront pas rejetées par le domaine récepteur » (Tammet , 2013, p296).

Cela nous encourage aux métaphores afin de nous aider à percevoir ce que nos sens ne sont pas encore en capacité de détailler.

La situation est délicate. Nos perceptions spatiotemporelles sont bouleversées si nous prêtons attention par exemple à la notion de « milieu » : ce mot désigne aussi bien ce qui est au centre (point géométrique) que ce qui est autour (l’environnement). Cela peut nous rappeler la métaphore de Gottfried Wilhelm Leibniz  (philosophe, scientifique, mathématicien, 1646-1716) parlant de Dieu en métaphore géométrique (cercle non spatial) :

« On a fort bien dit qu’il est comme centre partout ; mais que sa circonférence n’est nulle part, tout lui étant présent immédiatement, sans aucun éloignement de ce centre » (Leibniz, 1996, p.231).  

retour sommaire

3   Sens, évocations, mémoire, compétences

Le phénomène de la perception est en réalité un ensemble dans lequel un des sens prédomine, mais un sens est rarement à l’œuvre tout seul. Nous sommes le plus souvent à dominante visuelle. Pourtant, il semble que la mémoire visuelle doive être souvent recodée en auditif ou audiovisuel pour être mémorisée (Joseph Choukroun , Alain Lieury   -L'année psychologique -   Année   - Volume   85  -Numéro   85-4    pp. 503-516). D’où la tendance à lire à haute voix, à vocaliser l’information pour mieux en garder l’empreinte. Mais le kinesthésique (réciter en se balançant), l’émotion (vécu éprouvé), ou la vocalisation (sa propre voix)…etc.,  font souvent partie du tout.

3.1 Une perception, deux évocations

Antoine de la Garanderie (1920, 2010), va plus loin en nous expliquant le phénomène de l’évocation.  L’évocation, c’est le fait de faire surgir à l’esprit une représentation mentale suite à une perception.

L’évocation peut se faire en auditif lors d’une perception visuelle, ou visuelle lors d’une perception auditive (tout dépend du codage cognitif, qui peut impliquer aussi d’autres modes). Ce qui pourrait correspondre à une sorte de synesthésie naturelle. Notons qu’il y a deux moments d’évocation : 1/L’immédiat au moment de la perception, puis 2/ L’ultérieur lors de la restitution mnémonique. Or la qualité de la mémorisation dépend du fait que les évocations « immédiates » et « ultérieures » se fassent sur le même mode. Si la première est auditive et que le mode de rappel est visuel, la mémoire ne fonctionne pas, ou fonctionne mal. Si l’évocation immédiate s’opère sur le mode auditif, seule l’information évoquée ultérieurement à l’esprit en évocation auditive sera aisément récupérable. Si l’évocation immédiate est visuelle, seule l’évocation visuelle ultérieure sera performante. La qualité de l’évocation ultérieure (mémoire) dépend donc de l’évocation initiale qui suit la perception. Quand il n’y a eu aucune évocation initiale, il ne peut y avoir d’évocation ultérieure.

Concernant l’évocation et la mémoire auditive, Antoine de la Garanderie distingue la « vocalisation » (entendre sa propre voix quand on prononce soi-même) et l’« auditif » proprement dit (entendre la voix d’autrui)

Notre monde intérieur s’est construit en plaçant de nombreuses perceptions en interactions où certaines sont plus dominantes que d’autres.

Antoine de la Garanderie, père de l’approche pédagogique dite « gestion mentale » distingue la perception et l’évocation. Mais il y ajoute l’idée d’une posture cognitive qu’il nomme « paramètre » orientant la conscience d’une façon spécifique. Il dénombre quatre « paramètres » : P1 « l’approche du concret » (les faits observables), P2 « l’approche des mots » (intellectualisation), P3 « l’approche des réflexions complexes » (théorisation), P4 « l’aptitude à prolonger par des hypothèses inédites » (créativité).

De plus l’évocation ultérieure sera favorisée, selon lui, par le projet d’utilisation (but impulsé lors de l’évocation initiale) qu’il nomme « projet de sens ». Ce qui fait que pour mémoriser, il faut avoir un futur et que celui qui a peur du futur peut peiner avec la mémoire.

3.2 Sens dominants, et représentations du monde

Le sens visuel nous semble naturellement dominant pour être certains des réalités, et nous nous représentons mal comment l’auditif peut prendre tant de place. Il se trouve (bien évidemment, mais certains n’en prennent pas la mesure) que nous avons chacun des représentations du monde (évocations) uniques, que nous ne « voyons pas tous le même monde » (que les perceptions soient visuelles ou auditives). Les évocations initiales, se produisant lors des perceptions, sont spécifiques à chaque être, et se construisent en fonction de son passé personnel unique.

Pour bien comprendre que l’évocation compte plus que l’information perçue, nous pouvons prendre l’exemple d’un homme aveugle de naissance (avec des références perceptives non visuelles) qui a pu être opéré de façon à lui donner la vue (il ne l’avait jamais eue auparavant). Quand il se met à voir, ce qu’il voit n’a que peu de réalité pour lui. Interviewé, il rapporte que quand il entre dans le séjour et qu’il voit sa femme entrain de lire dans le fauteuil, pour lui ce n’est pas réel… et que la réalité de la présence de sa femme ne lui sera vraiment confirmée que s’il l’entend.

3.3 Un aveugle « voyant »

Jacques Lusseyran est devenu aveugle à l’âge de 8 ans, suite à un accident (une bousculade à l’école communale). Ses parents ne l’ont pas retiré du monde des voyants et il les en remercie du fond du cœur. Il a pu développer une qualité de vie telle qu’il dit que sa cécité a été une bénédiction, faisant de lui un voyant de ce que les voyants ne perçoivent pas. Voici ce que nous annonce Jacqueline Pardon, auteur de la préface de son ouvrage « Et la lumière fut » :

« D’abord, il voit toujours le soleil lorsqu’il regarde de "l’intérieur vers l’intérieur",  soleil qui conserve sa "flamme joyeuse". Et, dans la lumière de celui-ci, tout revient. Et, plus encore c’est un déferlement de couleurs. Même les chiffres, les lettres, les notes de musique sont colorées ». (p.7, Lusseyran, 2008).

Jacques Lusseyran lui-même, dans cet ouvrage nous dit :

« J’avais beau le voir, le soleil, assis au haut du ciel à midi, occupant un point de l’espace, c’était ailleurs que je le cherchais. Je le cherchais dans le jaillissement de ses rayons, dans ce phénomène d’écho que d’ordinaire nous attribuons aux sons seulement, mais qui existe dans le cas de la lumière à égalité » (2008, p.20).

Riche de ses facultés, utile à ses proches, pendant la guerre il fut résistant. Mais aussi déporté à Auschwitz, il nous raconte un vécu hors du commun dans sa sensibilité aux êtres, lors de cette période pourtant si éprouvante.

Parlant de la « lumière » qui lui était donné de percevoir en tant qu’aveugle, il notait que celle-ci changeait en fonction de son humeur :

« Si j’étais triste, si j’avais peur, toutes les teintes devenaient sombres, et toutes les formes vagues. Si j’étais joyeux au contraire, attentif, toutes les images s’éclairaient. La rancune, le scrupule noircissait tout. Une intention généreuse, une décision courageuse jetait un immense coup de projecteur » (2002, p.16).

« La tristesse, la haine ou la peur n’assombrissaient pas seulement mon univers, mais elles le rapetissaient » (ibid. p.17).

Comme il était enseignant aveugle, de sa capacité à percevoir il développa de nouvelles qualités pédagogiques :

« Ce qui cause l’échec de tant d’enseignants aujourd’hui […] c’est leur impuissance à sortir de leur tête [...], très peu savent entrer dans cette région qui est la seule où l’enseignement peut fleurir : l’espace commun entre les esprits. La cécité est venue à mon aide.[…] S’il est un domaine où la cécité vous rend expert, c’est dans celui de l’invisible » (2002, p.44).

« Mais la terre n’est que la petite moitié de notre existence : c’en est le champ visible, l’espace du dehors. Nous avons un autre domaine à gérer : notre espace intérieur, notre moi. Et c’est de lui que les nouvelles du matin ne me parlent jamais » (2012, p.48).

Il va jusqu’à décrire sa cécité d’une façon qui peut nous surprendre, mais qui est profondément touchante et éclairante :

« Elle n’est pas une infirmité que ceux qui en sont frappés cherchent à compenser, c'est-à-dire toujours incomplètement. Elle est un état différent de perception » (2002, p.41).

Au sein de son collège, il propose :

« Demander la vie là où il y a réserve de vie, ne pas se tromper d’adresse » (2012, p.34)

Sans support visuel (au sens classique du terme), Jacques Lusseyran évoque au plus profond de lui un monde ouvert aux autres, sensible, généreux, fluctuant au gré des états d’être. Il nous propose la perception d’un espace commun entre les esprits qui est le seul « espace » d’où la communication puisse se faire… peut-être cet espace transcendant* dont Carl Rogers nous parlait à la fin de sa vie comme étant un « lieu » spécial (sans lieu) où le patient et le praticien se tiennent et se perçoivent réciproquement.

*« J’ai l’impression, que mon esprit est entré en contact avec celui de l’autre, que notre relation se dépasse elle-même et s’intègre dans quelque chose qui la transcende et qu’adviennent alors, dans toute leur profondeur, l’épanouissement, le salut et l’énergie » (Rogers, 2001, p.168-169).

Nous arrivons alors dans un domaine où les perceptions existent, mais où nous sentons qu’il faut aller plus loin que la simple existence des cinq sens, peut-être même au-delà des sens eux-mêmes.

3.4 La tendresse et l’acuité

La performance et l’acuité des sens, le traitement des informations, se trouvent modifiés par un facteur inattendu : l’élan d’être tendre et de protéger. Nous savions que quand un sens disparaît, d’autres sens accroissent leurs performances (comme nous le dit si bien Jacques Lusseyran), mais l’élan de tendresse comme source d’acuité n’était pas intuitivement concevable.

Des chercheurs japonais* se sont aperçus qu’en donnant à voir des Kawaii (images mignonnes de bébés, de chatons, de chiots) à des sujets, leurs compétences se développaient concernant la précision et l’acuité (performances utiles à la survie).

*« The Power of Kawaii: »   auteurs de l’étude Hiroshi Nittono, Michiko Fukushima, Akihiro Yano, Hiroki Moriya- École supérieure des arts intégrés et des Sciences, Université d'Hiroshima, Higashi-Hiroshima, Hiroshima, Japon

Des sujets ayant vu seulement de « belles images » n’ont pas les performances de sujets ayant vu des « images kawaii ». Comme si, pour prendre soin de ce qui est vulnérable, les sens accroissaient leurs performances afin d’optimiser la survie. Cela peut même se rapprocher de ce que Charles Darwin nous disait de l’évolution. Patrick Tort, spécialiste de Darwin nous détaille un processus tout à fait analogue :

« Par le biais des instincts sociaux, la sélection naturelle, sans "saut" ni rupture, a ainsi sélectionné son contraire, soit : un ensemble normé, et en extension, de comportements sociaux anti-éliminatoires […]  la sélection naturelle s’est trouvée, dans le cours de sa propre évolution, soumise elle-même à sa propre loi – sa forme nouvellement sélectionnée, qui favorise la protection des faibles, l’emportant parce que avantageuse, sur la forme ancienne  » (Tort, 2009, p.72-73).

Contre toute attente, la faiblesse devient ainsi un avantage pour la survie, qu’on peut rapprocher de ce que produisent les images kawaii :

« Durant la phase d’évolution qui se situe entre les ancêtres immédiats de l’Homme et l’Homme moderne, la faiblesse est donc un avantage, car elle conduit à l’union face au danger, à la coopération, à l’entraide et au développement corrélatif de l’intelligence et de l’éducation des jeunes (dont le propre est d’être "sans défense"). » (Tort, 2010, p.66).

Naturellement cela ne modifie pas les sens eux-mêmes, mais le traitement des informations qui en émanent. Ainsi, l’usage qui peut en être fait est-il optimisé.

Ceux qui souhaitent plus d’informations sur ces recherches japonaises les trouveront sur les liens www.lemonde.fr  « Kawaii » : http://www.lemonde.fr/vous/article/2013/01/18/kawaii_1819128_3238.html

ou dans la publication d’origine de  www.plosone.org à : http://www.plosone.org/article/info:doi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0046362

retour sommaire

4   Les sens complexes

4.1 Deux mondes en équipage

Dans son environnement, un être doit pouvoir assurer sa survie. Tout son organisme a pour tâche de maintenir sa structure cellulaire en bon état, en cohérence, en harmonie (par l’homéostasie). Entre pulsions et perceptions, l’organisme nous impose ses fonctionnements innés et ses fonctionnements acquis, avec divers ajustements plus ou moins sources de satisfaction, avec cependant plus ou moins de frustration, le tout étant que celle-ci reste en deçà d’un seuil acceptable non dangereux.

Si l’organisme tente de maintenir son équilibre homéostasique par les sens de la faim et de la soif,  par la sensation du besoin de respirer (il évitera de manquer d’oxygène et ne restera pas sous l’eau par exemple), par la sensation de sommeil (prendre soin de son système neurologique), par sa sensation de besoin sexuel (il doit se reproduire pour maintenir un environnement social)… il se trouve que l’être humain se situe entre un monde extérieur (objectal) qui est en même temps ressource, mais avec lequel il doit composer (satisfactions, dangers, proies, prédateurs) et un  monde intérieur (imaginaire, subjectal) qui lui permet de contribuer à un équilibre sans cesse remis en cause. Pris entre le réel et l’imaginaire, il va tenter d’optimiser son équilibre, de survivre à ses frustrations, de développer ses stratégies.

L’organisme se retrouve ainsi bénéficier de sensations proprioceptives le renseignant sur son état, mais aussi la psyché, riche de ce monde imaginaire renseigne le sujet sur son équilibre psychologique.

Des équilibres en appui les uns sur les autres : Il s’agit alors pour l’organisme de préserver l’équilibre de la communauté de cellules qui le constitue, pour la psyché de préserver l’équilibre des éléments qui s’y trouvent (celui qu’on est, tous ceux qu’on a été, ceux dont on est issu) … tout en veillant à l’équilibre de la communauté des humains (sans laquelle la vie perd son sens), mais aussi à celui de la planète (sans laquelle la communauté d’humains ne peut vivre, bien évidemment).

Nous avons donc un monde intérieur biologique (communauté de cellules) et un monde intérieur psychique (communauté de « parts de Soi ») se trouvant dans un monde extérieur composés d’autres êtres, mais aussi de toute une planète (écosystème complexe)

Nous avons donc au moins deux mondes qui sont censés fonctionner en synergie : intérieur et extérieur. Sachant que le monde intérieur est d’une part biologique et d’autre part psychique, et les autres êtres de l’environnement extérieur également.

4.2 Nocicepteurs (percepteurs des nuisances)

Nous bénéficions d’un sens de ce qui nous est nocif que nous pourrions appeler sens « nociceptif ». Ce sens est une perception mentale complexe résultant de l’analyse des perceptions des divers sens et de ce qui en résulte au niveau de la survie de l’organisme et de la psyché.

Il se trouve que l’insatisfaction des besoins physiologiques (nécessaires à la survie de la communauté cellulaire du corps) menace plus ou moins l’équilibre biologique.  Cette menace peut être temporairement compensée par des satisfactions imaginaires (monde subjectal). Par exemple, la faim peut être compensée par le fait d’assister à un spectacle intéressant, ou de pratiquer une activité gratifiante. Mais si aucune compensation n’est possible, la sensation est encore plus douloureuse et l’être en est également affecté psychiquement. Cependant, le risque d’une compensation « trop efficace » peut être de ne plus percevoir le besoin corporel et de mettre son corps en danger, comme on peut le voir chez des sujets passionnés.

Nous devons cependant distinguer la « compensation subjectale » d’une part, et la « satisfaction subjectale » d’autre part. La première est un écran anesthésiant temporaire, coûteux en énergie (plaisirs, activisme, succès, admiration, flatterie) visant à compenser une frustration ; la seconde offre une réelle reconnaissance, profonde, authentique, permettant de supporter plus durablement les inconforts ou les perceptions nociceptives, sans pour autant que le sujet en devienne inconscient.

4.3  « Bénécepteurs* » (percepteurs des satisfactions)

*« Bénéceptif » : Néologisme pour avoir une symétrie à nociceptif

Les hédonistes en ont fait leur axe principal cinq siècles avant JC (Démocrite, Epicure). Cette notion est reprise à notre époque en psychologie positive. L’idée est de savoir « prendre du plaisir » dans ce qui se présente afin de répondre à notre « besoin de plaisir ». C’est en quelque sorte l’art du « carpe diem » (l’art de cueillir le jour).

Cependant, cette notion fut quelque peu détournée de la posture des hédonistes de l’antiquité qui ne prônèrent aucunement de « prendre du plaisir » (et encore moins de rechercher ce qui fait plaisir), mais de savoir s’ouvrir au plaisir qui s’offre à nous. Un « épicurien de souche » sait se réjouir d’un bon repas, mais il est tout aussi capable d’être attentif au plaisir éprouvé lors d’un jeûne. Démocrite et Épicure mangeaient peu, avaient une vie frugale et simple… mais jamais frustrée ! L’hédoniste ne recherche pas les choses qui font plaisir, mais a développé cette extraordinaire capacité à distiller le plaisir se trouvant en chaque chose (comme si c’était une essence à en extraire).

Il a développé ce que l’on pourrait appeler son sens « bénéceptif » et a, de ce fait, peu de risque de se sentir frustré. Pour le philosophe hédoniste, cette posture guidant ses pas lui permet un plus grand épanouissement, une meilleure survie, une optimisation de son développement.

Sur un plan non pas hédoniste mais psychanalytique, nous trouverons la sensibilité au plaisir comme s’opposant à la sensibilité à la frustration* qu’engendre la réalité… compensée par l’imaginaire.

* Mais pour être plus précis, en psychanalyse, les manques sont de trois natures : la frustration (manque de ce qu’on voudrait avoir – manque dans l’imaginaire d’un objet réel), la privation (manque de ce qu’on pense qu’on devrait avoir et qui nous semble normalement dû - manque dans le réel d’un objet symbolique), la castration (peur de perdre ce qu’on croit avoir – manque dans le symbolique d’un objet imaginaire).

Pourtant, le « plaisir récompense » témoignant d’un bon choix pour la survie, incitant les individus à poursuivre un juste chemin de l’évolution, ne témoigne pas tout à fait de tous les enjeux d’un être. La psychanalyse s’est trop limitée au plaisir résultant de la satisfaction libidinale (énergie de besoin), sans suffisamment se préoccuper des besoins ontiques ou existentiels (sauf chez Jung qui nous l’apporte brillamment avec la notion du Soi).

Donc, cette « bénéceptivité » sera plus ou moins performante, selon qu’elle s’exerce sur le plan objectal ou sur le plan ontique. Bien des plaisirs matériels ne sont que des compensations temporaires aux frustrations ontiques (besoin de reconnaissance).

4.4 Délicate intrication

À cela s’ajoute la complexité, du fait que certaines choses inconfortables sur le plan de l’imaginaire sont bénéfiques sur le plan existentiel :

Tout se passe comme s’il était nécessaire d’accéder à une rééducation de ces sens subtils. Par exemple, une situation dépressive pénible (effondrement du goût, de la motivation, de l’intérêt pour toute chose) s’avère être une nécessaire adaptation pour rééduquer la sensation ontique de soi et d’autrui, bénéfique à un équilibre durable (replaçant un équilibre précaire et superficiel). Nous avons alors simultanément la possibilité d’une perception nociceptive sur le plan objectal (celui des choses, avec un état dépressif), mais « bénéceptive » sur le plan subjectal existentiel (celui des êtres, des sujets, de soi en déploiement).

Voir sur ce site la publication de juin 2001« Dépression et suicide »

Cette apparente contradiction rend souvent nécessaire l’intervention d’un praticien en psychothérapie qui permettra au sujet de replacer en justesse ses perceptions, sans prendre le risque de s’égarer, comme on le fait hélas trop souvent en tentant de « remotiver un dépressif » sans aller voir plus loin si d’autres enjeux appellent sa conscience. Il s’agit plus de retrouver le « goût de Soi » et le « goût des Êtres », que celui des choses et des projets (qui ne viennent qu’en seconde place comme conséquence, et non en première place comme cause).

4.5 Le sens de la complexité

Au-delà du fait que plusieurs sens sont mobilisés dans la perception d’un objet, d’une situation, de divers éléments situés dans l’environnement, il se trouve qu’un objet isolé n’existe pas vraiment. Même si celui-ci était dans le vide, il y aurait entre cet objet et ce vide une interaction. En réalité un élément est toujours plus ou moins en interaction avec d’autres. Il n’y a que dans les manuels ou les encyclopédies, les définitions ou les théories, voire les dogmes, que nous trouvons des « possibilités uniques ».

Par définition, l’être humain est confronté à la complexité et il doit y faire face pour assurer sa vie et sa survie. La conduite routière en est un exemple qui a interpellé les chercheurs. Ceux-ci ont découvert comment l’humain gère la complexité : l’humain n’est pas autant source d’erreurs qu’on le croit, il permet même d’en éviter bien plus qu’il n’en cause. Il n’est pas le « maillon faible » d’une suite de logique impitoyable, mais plutôt un expert en gestion de la complexité.

« Les travaux réalisés en ergonomie, en relation notamment avec l’émergence de la théorie des systèmes ont, depuis fort longtemps, amené à nuancer ce regard porté sur l’homme, en mettant l’accent sur le fait que, s’il était source de variabilité – le « maillon fragile » du système –, l’homme constituait tout en même temps un agent de fiabilité sans lequel le système ne pourrait pas fonctionner. » (cité in « guide de l’animateur des stages de sensibilisation à la sécurité routière » :  Explorer – Activité du conducteur - Fiabilité et erreur humaine [DSCR 2010] p1).  

« De plus, l’erreur n’est pas un échec mais un aspect consubstantiel de l’activité humaine. Elle est le reflet des stratégies mises en place par l’intelligence, qui dans un souci de performance (réduction de la complexité, anticipation) comporte une prise de risque. Ce risque est assumé, et même utilisé dans certaines stratégies d’adaptation et de récupération des erreurs. Certains journaux, voire certains experts en sécurité continuent malheureusement à entretenir un lien de causalité linéaire entre l’erreur et l’accident ». (Ibid. p1)  

La perception de la complexité, son exploitation en vue d’optimisation des actes et des décisions, se fait à partir de généralisations, d’intuitions, de mises en liens d’éléments étrangers et parfois isolément non signifiants. Les organes des sens à eux seuls ne perçoivent pas vraiment. Les images mentales qui se forment suite aux informations reçues par les organes des sens sont notre vraie perception. Il en va de même pour le sens de la complexité qui résulte du traitement d’un ensemble d’informations. La prise en compte est vaste et va même jusqu’à tenir compte des « rétroactions » dans lesquelles l’effet devient la cause de sa cause !

 

Pierre Tricot, ostéopathe cité précédemment, évoque cette rétroaction au niveau du fonctionnement corporel, mais nous la décrit de façon aussi vaste que possible (le corps est dans un environnement) :

 

« L’adoption du paradigme de la complexité implique une remise en cause de la causalité linéaire utilisée dans les schémas explicatifs traditionnels.[…] multicausalité et une démarche en boucle où l’effet rétro agit sur la cause […] "chaque cause est l’effet de son propre effet" » (2005, p.34).

 

« La pensée de la complexité nécessite d’accorder autant d’importance à l’agencement des objets entre eux que, aux interactions et aux types de liaisons entre ces objets qu’aux objets eux-mêmes » (ibid.).

 

Les interactions sont vastes, si vastes que l’on parlera d’approche holistique L’holistique considère une organisation en « holarchie » (du grec « holos » : le tout et « arkos » commander). Mot forgé par  Arthur Koestler (philosophe hongrois 1905-1983). Une holarchie est selon lui constituée d’éléments qu’il nomme « holons » hiérarchisés (« on »= particule) qui sont un tout pour ce qui est « au dessous » et une partie pour ce qui est « au dessus », chaque élément étant relié aux autres.

Mais à partir du moment où l’idée de pensée holistique arrive, la question est de savoir jusqu’où il convient de considérer le « tout » pour comprendre de façon raisonnable ce qui se passe en tenant compte de suffisamment d’interactions :

« A partir du moment où l’on commence à parler en termes de globalité, la conscience ne cesse de s’étendre et naturellement surgit la question : "mais où s’arrête la globalité ?". À l’instar des poupées russes, une globalité semble toujours en englober d’autres. C’est ce type de raisonnement qui a conduit que l’univers dans son ensemble est un système complexe dont toutes les parties sont en relation les unes avec les autres » (ibid. p.33).

De ce fait, nous avons une perception du complexe (interactions multiples) dans une sphère plus ou moins grande, mais accessible, tout en sachant que « tout participe à tout »… jusqu’au point de « l’effet papillon » où il est dit qu’un battement d’ailes dans un coin du globe peut engendrer une tempête aux antipodes. De même que nous avons l’infiniment grand et l’infiniment petit, nous avons aussi l’infiniment complexe. Au-delà d’un certain seuil, tous trois échappent à nos sens et à notre intellect.

Cette prise en compte de la complexité s’effectue dans notre quotidien, ne serait-ce que dans la reconnaissance d’un visage ou d’une voix. Il faut savoir par exemple qu’un sujet souffrant d’autisme voit tous les détails (parfois avec une mémoire fabuleuse) mais sait mal (ou pas du tout) les mettre en liens. Au point qu’un sujet souffrant d’autisme pourrait être considéré comme souffrant d’une cécité face à la complexité ou à la globalité, tout en ayant une grande acuité en ce qui concerne les détails. Ils semble privé du sens de la complexité.

« Les personnes atteintes d’autisme ont du mal à considérer le monde comme un ensemble cohérent, elles prennent les détails pour des données isolées. (Peter Vermeulen, 2005, p. 4)

« La vie des personnes atteintes d’autisme n’est pas un roman mais un journal de bord. […] Les individus autistes enregistrent les faits, ils ne les traitent pas pour en faire un ensemble cohérent  […] cet enfant autiste à sa mère : "S’il te plait fais de moi un tout parce que je suis en morceaux"». (ibid., p. 43)

« L’incapacité des autistes à gérer plusieurs stimuli simultanés ou à se concentrer sur un seul aspect d’un stimuli auditif ou visuel complexe. » (Temple Grandin, 2001,  p.47

La personne autiste « perçoit aussi difficilement les limites de son propre corps » (ibid. p219).

4.6 Le fond et la forme (cécité d’inattention)

La forme (ou figure) est ce qu’on voit en premier plan, le fond est ce qui est en second plan. La perception de la complexité se fait grâce à une présélection en fonction des informations jugées prioritaires (forme) et les autres, estimées de moindre importance (fond). D’un ensemble d’informations, un sujet extrait ce qui semble le plus utile pour accéder au sens servant ses intérêts ou ses priorités.

Si, par exemple, vous voyez une pomme au milieu de divers objets non comestibles, alors que vous avez faim, la pomme passera en premier plan de votre perception et les objets non comestibles se placeront en arrière-plan. Si dans un lieu il y a un magnifique tableau de peinture et une voiture de sport moteur V6, l’artiste verra le tableau et ne remarquera pas la voiture, le mécanicien verra la voiture et ne remarquera pas le tableau.

Cela est un outil de simplification majeur en vue d’efficacité… mais nous rend aveugle à bien des informations et produit ce qu’on appelle une « cécité d’inattention ».

Daniel Simons (de l'université de l'Illinois), et Christopher Chabris (de l'université Harvard) réalisèrent une expérience mettant en évidence ce phénomène. Dans cette expérience l’attention est sollicitée pour une information à trouver en regardant une vidéo  montrant des joueurs de basquet… et, de ce fait, le sujet recherchant l’information demandée, devient aveugle à une autre information évidente (qui surgit à l’image) mais qui alors devient invisible (dans plus de la moitié des cas). Le phénomène de la cécité d’inattention est impressionnant !

Vidéo de l’expérience

L’expérience réalisée par le journal Washington Post en 2007 dans une station de métro est aussi très intéressante. Les expérimentateurs ont demandé à Joshua Bell (un des plus grands violonistes au monde) de jouer sur son stradivarius de magnifiques partitions pendant un peu moins d’une heure (mais vêtu en tee-shirt et jean). Les passants interrogés ensuite n’ont pas remarqué le violoniste. Pour eux, la « forme » qui mobilisait leur attention était d’arriver vite à destination, et le violoniste s’est retrouvé dans leur « fond » perceptif, accessoire et inconscient.

Lien vers cette expérience

Quand certaines expertises rendent aveugle : la cécité d’inattention se produit quand notre attention est surinvestie dans un domaine… alors le reste nous devient invisible. Quand vous vous promenez en cherchant des châtaignes, vous aurez du mal à voir les champignons et quand vous cherchez les champignons, vous aurez du mal à voir les châtaignes ! Cela fait qu’un praticien en psychothérapie qui cherche assidûment « ce qui ne va pas chez son patient » afin de mieux l’accompagner, ne verra pas « ce qui s’accomplit de juste en lui du fait de ses symptômes » et risque de manquer son accompagnement. C’est tout le problème des paradigmes qui, pareils à des sortes de « prêt à penser », rendent aveugles aux autres directions possibles. C’est l’enjeu très délicat d’un praticien ou d’un chercheur de ne pas être prisonnier des paradigmes sur lesquels il appuie sa réflexion, afin de ne pas être aveugle (ou le moins possible) à ce que lui manifeste son patient. Les paradigmes sont des outils, ils ne doivent cependant pas devenir des œillères ou des verrous conduisant à une cécité d’inattention.

retour sommaire

5   Subtilités

5.1 Les sens subtils

Eugene Gendlin, (proche de Carl Rogers) développa l’approche nommée « Focusing ». Démarche très nuancée s’appuyant sur ce qu’il appelle « felt sens ». Ce mot fut mal traduit par « sens corporel ». Traduction ne reflétant pas le sens initial qui se rapproche plus de « feeling sens », c'est-à-dire « subtil tact psychique au niveau du corps ». L’idée est de permettre au patient une attention toute particulière sur ce qui se passe au niveau de son corps. Il ne s’agit pas là de « somatiques », mais de perceptions subtiles, purement subjectives (mais toute perception n’est-elle pas subjective ?). Par exemple « un poids sur les épaules », « la tête dans un étau », « impression d’être bousculé », « une pression dans le thorax », « comme une boule dans la gorge », « la bouche tendue, crispée », « comme si j’avais une boule noire au niveau de l’estomac »…. Que de parcours en psychothérapie sont rendus possibles en étant à l’écoute de telles sensations.

Pour permettre le cheminement thérapeutique, Gendlin développe ensuite la notion de « bodyshift »,  qui n’est autre qu’une modification du « felt sens ». Body shift a aussi été mal traduit pas « mouvement corporel » car en fait il ne s’agit pas tant d’un mouvement que d’un « basculement », d’une nouvelle connexion (plus détaillée, plus précise) permettant d’accéder plus intimement à ce qui s’exprime au plus profond de l’être, à ce qui appelle la conscience (une part de soi jusque là non remarquée, mais importante pour retrouver son intégrité).

Voir sur ce site la  publication « Focusing » de juillet 2007

Theodore Lipps quant à lui nous interpelle sur le « Einfühlung » (mot qui donna plus tard « empathy », puis « empathie ». Le « Fühlen » allemand correspond au « feeling » anglais, évoque la subtilité d’un tact psychique proche de celui décrit en Haptonomie (Frans Veldman qui a nommé ainsi son approche en raison du grec « Hapsy » signifiant « tact psychique »). L’haptonomie est sans doute une des approches qui rend le mieux compte du « Einfühlung », alors que tant de dérives se sont accumulées sur le mot « empathie ». L’empathie est un sens de l’intime qui est en l’autre et que l’on perçoit cependant en soi. Certains chercheurs l’attribueraient à la propriété des neurones miroirs qui s’activent en soi quand on voit les manifestations de l’autre. Mais la seule explication neurologique ne semble pas rendre compte du fondement de ce sens spécial.

Voir sur ce site la publication « Le piège de l’empathie » de novembre 2000

L’intuition est aussi un mode de perception particulier. Elle touche une chose indéfinissable que l’on a en soi et qui ne demande qu’une étincelle d’attention, de perspicacité et de confiance pour s’épanouir. Des choses non conscientes sommeillent ainsi en nous, ou plutôt restent dans un état de « veilleuse » (comme dans les chauffe-eau à gaz) en attendant ce qui permettra à la flamme de reprendre toute son ampleur (et de permettre une « douche de l’esprit » à bonne température). Ce mot vient de « in » (dans) et « tutus » (tuer, éteindre, garder). Le mot « tutus » désignait ceux qui « gardaient » le feu pour qu’il ne s’éteigne pas et puisse rejaillir quand on en aura besoin. Nous noterons aussi que le mot « garder » a donné « égard ». Tout se passe donc comme si, au plus profond de nous, un soin tout particulier était donné à ce qui peut un jour rejaillir à la conscience quand nous en aurons besoin. L’intuition est un sens nous connectant à ce qui attend en nous de se manifester à notre conscience.

Le sens de l’harmonie et de la poésie : on peut se demander quel est le sens mis en œuvre pour nous donner un sentiment d’harmonie, que ce soit en musique, en dessin ou peinture, en poésie. En musique, Pythagore remarqua que les sons harmonieux correspondent à un phénomène géométrique (longueur des marteaux sur une enclume, intervalles sur une corde tendue). On lui doit d’avoir trouvé les intervalles entre les notes. Si nous avons quelques repères sur l’harmonie des sons, on en aura aussi sur celle des couleurs (couleurs complémentaires par exemple), peut-être aussi sur celle des formes (placées dans un espace bi ou tridimentionnel). Tout cela se jouant de façon plus subtile dans par exemple le Feng Shui où l’harmonie, selon les maîtres, permet d’optimiser la circulation du Qi. La notion d’harmonie devient encore plus délicate concernant la poésie. Par exemple en musique, comprendre ce qui fait l’harmonie des sons est une chose… comprendre ce qui fait l’harmonie d’une œuvre et sa dimension artistique en est une autre. Pareillement pour un poème, un livre, une chanson, une danse. Ainsi, nous avons une sorte de sens de la justesse (mais justesse par rapport à quoi ?). Un sens bien difficile à définir mais qui est bien là. De tels sens ne viennent sans doute pas d’organes de perception proprement dits, mais d’une capacité de traitement de ce qui est perçu par les organes des sens.

5.2 Évocation de vécus « hors sens »

Les sujets ayant des expériences hors du commun telles que les EMI (expérience de mort imminente) ou les phases psychotiques se retrouvent avec des ressentis que, non seulement ils ne parviennent que difficilement à nommer, mais qu’aussi ils ne parviennent quasiment pas à évoquer mentalement. L’intellect n’est pas prévu pour évoquer de telles choses !

Ils se retrouvent pareils à une personne voulant imprimer sans encre, ou se retrouvant à imprimer avec de l’encre sympathique (qui ne se révélera que dans certaines conditions). Le sujet n’a rien pour inscrire (pas d’« encre » mentale), rien pour énoncer (pas de mots pertinents). Pourtant, son vécu est bien là… et il ne sait pas quoi en faire au sein de la communauté de ceux qui l’entourent. Cette incommunicabilité est  sans doute sa plus grande souffrance. Certains psychiatres et médecins, ouverts à ce phénomène, vont jusqu’à assimiler ce silence imposé à un stress post-traumatique dans les EMI (ce SPT venant du silence forcé et non de l’expérience).

Dans le cas des psychotiques*, cette impossibilité de partage est sans doute la source de leur état douloureux, bien plus que l’expérience elle-même. Tant qu’ils ne sont pas confrontés à un problème d’évocation, c’est simplement un vécu faisant partie de leur expérience. Mais dès qu’ils tentent de le conceptualiser, de le rattacher à des évocations habituelles (des mises en conscience avec représentations mentales) cela ne fonctionne plus. Cela ne correspond même pas avec leur imaginaire, alors que le vécu leur en est profondément réel. Puis, s’ils tentent d’en parler pour bénéficier d’un accompagnement, cela se termine le plus souvent par une interprétation sous forme de « délire » (qu’il s’agisse d’un interlocuteur néophyte ou d’un praticien psy). Ils n’auront alors que rarement le privilège de bénéficier de la considération que mérite un tel vécu, et d’un accompagnement bienveillant, patient, attentionné, pour le mettre en mots et le rendre partageable (et conscientisable)… peut-être simplement pour le rendre conceptualisable, évocable en soi, sans pour autant se sentir exclus de la communauté mentale et verbale.

*Pour plus de précisions sur le vécu des psychotiques, lire sur ce site la publication d’octobre 2012 « Comprendre la psychose », où les travaux du Dr Henri Grivois sont abondamment cités ainsi que sa bibliographie

5.3 Le sens du sens

Avoir le sens des significations fait partie des éléments de sensibilité nécessaires pour appréhender le monde et partager avec autrui… mais aussi pour soi-même. Le langage se développe en fonction de la conscience et la conscience se développe en fonction du langage. Les deux sont intriqués sans qu’on sache clairement dire lequel est source de l’autre.

Nous venons de voir combien il est délicat de nommer, ou même simplement d’évoquer mentalement, ce qui est « hors sensorialité ». Pourtant les métaphores (« déménagements » [étymologie grecques], transposition de sens) utilisent des mots évocateurs qui, même s’ils contiennent des imperfections, permettent d’entrevoir ce que l’on souhaite évoquer ou dire. Avoir le sens du sens, c’est être en mesure d’accéder à la signification de ce qui est énoncé, d’avoir une rigueur dans ses propres paroles ou écrits, c’est faire du verbe un allié plutôt qu’un traître*, c’est se réjouir du fait que la mise en mots puisse se trouver source de révélations intuitives et non déformatrice de la réalité subjective éprouvée.

*Marshal Rosenberg, auteur de la CNV (communication non violente) écrivit l’ouvrage « Les mots sont  de fenêtres (ou bien ce sont des murs) » (2002).

5.4 Le sens de Soi

Voilà un sens bien subtil : le « sens de soi ». Que se passe-t-il chez un être qui a conscience d’être qui il est ? L’« homo sapiens », (l’homme qui sait ») qui devient « sapiens sapiens » (« celui qui sait qu’il sait »). Une fois qu’il sait qu’il sait, à partir de quand a-t-il conscience d’être lui ?

Cette conscience d’être soi, qui semble une chose simple, ne l’est pas tant que cela. En effet, un être aboutit plus facilement à une conscience du moi qu’à une conscience du Soi.

Le « moi » est une limite (une enveloppe, une frontière entre soi et les autres), un « paraître, un personnage, une personnalité » dans le monde social, un « gestionnaire » des enjeux de besoins et de sécurité (énergie libidinale), une « source stratégique » des enjeux de proie et de prédateur d’un être en évolution… mais pas encore conscient, ni de soi, ni d’autrui en tant qu’êtres. Le « moi » prend d’autant plus de place que le « Soi » n’a pas encore la sienne.

Voir sur ce site la publication de novembre 2005  « le ça, le moi, le surmoi et le soi »

Les psychotiques, évoqués précédemment dans les « vécus hors sens », sont généralement des êtres qui n’ont pas de sens du moi (ils n’ont pas de limites, ils n’ont pas « d’enveloppe »). Par contre, ils ont un sens du Soi hypertrophié, mais sans acuité. On pourrait dire qu’ils « entendent les bruits du Soi » (comme une sorte de fond diffus,  de « bruit du tout ») mais ne savent pas encore les discerner avec nuance (c’est pourquoi ils pensent que l’autre c’est eux et inversement). Ils sont un peu comme un être qui n’étant pas sourd entend les bruits, mais manquant d’acuité auditive, ne sait rien identifier. Au point que le Dr Henri Grivois dit qu’ils sont en « surcharge d’être », alors que les névrotiques sont en carence d’être. Je dirai pour ma part que les psychotiques sont en surcharge existentielle, en surcharge du Soi (mais perçue indistinctement) alors que les névrotiques sont en carence existentielle, en carence du Soi (dont des parts ont été écartées par traumatismes). Le psychotique dispose de trop du Soi, mais sans savoir lui donner ni nuance ni cohérence. Sa surcharge existentielle fait penser à la surcharge informationnelle dont souffre l’autiste :

Temple Grandin était une enfant autiste. Elle nous fait bénéficier aujourd’hui d’un ouvrage remarquable où elle décrit ce qu’elle a éprouvé : 

« Une anomalie dans les systèmes qui traitent les informations sensorielles à leur entrée fait que l’enfant réagit trop à certains stimuli et pas assez à d’autres. Pour contenir l’assaut des stimulations extérieures, l’enfant autiste se replie souvent sur lui-même, loin de son environnement et des gens qui s’y trouvent.[…] Au fur et à mesure que je décrirai mes souvenirs, vous verrez à quel point j’étais hypersensible aux odeurs, aux mouvements, aux tournoiements et aux bruits » (Grandin, 2001, p.33).

Il se trouve qu’un être autiste perçoit trop d’informations, mais ne sait les mettre en cohérence, ni les hiérarchiser ou les filtrer.

Alors qu’un être psychotique vit ce type de surcharge sur le plan existentiel (trop de ces « Soi » qui l’entourent), l’être autiste vit cette surcharge sur le plan informationnel (trop de ces informations qui l’assaillent). Tous deux peinent à réaliser la nuance, la hiérarchisation et la cohérence. Pour le psychotique,  tous les « Soi » perçus sont lui et il est tous ces Soi, pour l’autiste toutes les informations reçues sont de même importance et non hiérarchisables.

Passer du « moi » (enveloppe, paraître, stratégie) au « Soi » (présence, conscience existentielle) est un enjeu important dans le déploiement de chacun. Jacques Lacan a évoqué le stade du miroir dans la petite enfance où l’enfant prend conscience de sa délimitation corporelle, de son entièreté, de ses contours, de son image. Didier Anzieux a parlé du « moi peau » pour évoquer la notion de protection, de contour et  de contenant (enveloppe plus psychique que spatiale). Pourtant, la conscience de Soi reste assez floue en psychologie. Seul Carl Jung vient clairement distinguer le « Soi » et le « moi ».

« Je constate continuellement que le processus d’individuation est confondu avec la prise de conscience du Moi et que par conséquent celui-ci est identifié au Soi, d’où il résulte une désespérante confusion de concepts. Car, dès lors, l’individuation ne serait plus qu’égocentrisme ou auto érotisme » (1973, p.457).

Mais il existe une telle cécité à ce sujet, qu’il peina beaucoup à partager sa découverte avec ses confrères. En effet, la psychologie fondée sur les enjeux libidinaux (paradigme en œuvre chez tant de praticiens), peine à s’ouvrir à des enjeux existentiels. La cécité d’inattention produit alors un développement des thérapies du moi, en oubliant que le bénéficiaire de la thérapie est le Soi et non le moi.

retour sommaire

6   Les perceptions en thérapie

Finalement, la psychothérapie n’est autre que la stimulation chez un sujet de son sens du Soi (du Soi qu’il est et qu’il fut, ainsi que du Soi que sont les autres, et du Soi qu’il a à être et qu’il sera). Cette stimulation de la perception existentielle est un des fondements de la thérapie (ou devrait l’être !). La maïeusthésie est une thérapie s’appuyant essentiellement sur ce « sens du Soi ». Ce sens préexiste et ne demande qu’à se déployer, à son rythme, avec une confiance en les justesses des diverses retenues qui se révèlent pas à pas, comme autant de guides pour ne pas s’égarer, ne pas s’empresser, pour rester dans le respect de l’intimité de la psyché et dans la justesse de son déploiement.

Il se trouve que la conscience est interpellé par des « signes » dont la source est la pulsion de vie venant du Soi. Celle-ci développe ainsi sa capacité existentielle permettant à l’Être son processus d’individuation, par lequel « il est lui »  et en même temps « ouvert au monde » (incontournable dialogique). Ces signes, ce sont les symptômes. Alors que certains praticiens ne pensent qu’à éradiquer les symptômes (les confondant le plus souvent à tort avec des pathologies), ils maintiennent alors la cécité existentielle du patient qu’ils pensent cependant sincèrement aider.

Le praticien en maïeusthésie sollicite chez son patient le sens de la justesse. Quand le praticien reformule ce que le patient manifeste, dit ou évoque, ce dernier s’exclame alors souvent spontanément, presque avec jubilation : « c’est exactement ça ! ». Mettant en œuvre son sens de la justesse, il identifie la correspondance entre ce qui lui est dit et ce qu’il cherche à faire comprendre ou à contacter en lui.

6.1 Les symptômes : une sorte de sens

Les symptômes sont un « outil de perception » de ce qui n’est pas conscient, venant pallier une cécité existentielle. Comme si quelque chose en soi tentait d’interpeller l’esprit afin d’accomplir un projet d’intégrité, de réhabilitation, de complétude. Comme si le Soi dans sa version en devenir « appelait » le sujet vers plus de justesse, d’authenticité. Nous nous éloignons ici de la version freudienne des symptômes puisque ce dernier voyait en eux un moyen de dissimulation*.

*Qu’il s’agisse des rêves ou des symptômes, Sigmund Freud les considérait comme une stratégie de l’inconscient pour dérober à la conscience ce qui pourrait l’éclairer (d’où le laborieux travail d’interprétation du psychanalyste tentant de déjouer les ruses dissimulatrices de ce qui se manifeste).

Sigmund Freud se positionnait en valeureux combattant du « mensonge psychique », de la dissimulation de vérité, des leurres de la psyché. Il se voulait gardien du sens juste (juste à ses yeux selon son propre référentiel topique, libidinal et œdipien). Mais, par ses interprétations, il n’a sans doute que trop souvent valorisé un sens extrinsèque (venant du dehors)… tout en dépouillant le patient de son sens intrinsèque (venant du dedans).

Pourtant, le mot « symptôme » vient du latin « symptoma » ou du grec « sumtôma » qui signifie« coïncidence des signes » et dérive du verbe grec sumpiptein « tomber ensemble, survenir en même temps, se rencontrer » venant lui-même de la racine latine petere signifiant « chercher à atteindre »… qui a donné « pétition » ! (Le Robert - Dictionnaire historique de la langue française).

Nous verrons là, soit une simple coïncidence de signes (passive), soit une volonté de chercher à atteindre (active).  On pourrait (n’en déplaise à Freud) remplacer le mot « symptôme » par le mot « manifestation », tant celui-ci désigne le fait que ce qui est dedans appelle la conscience grâce à ce qui se produit dehors. Comme si tout se mettait en œuvre pour atteindre une conscience dont la cécité existentielle initiale tend à se dissiper au fur et à mesure que l’ouverture à la perception se réalise. Nous avons donc des symptômes révélateurs et non dissimulateurs. Notons d’ailleurs que le mot « conscience » désigne une ouverture permettant de percevoir, et non ce qui perçoit. L’Être perçoit avec sa conscience qui est plus ou moins ouverte, on pourrait dire « plus ou moins communicante » en ce sens ou « communicant » signifie « ouvert ».

Ces manifestations peuvent être de deux ordres : soit somatiques (psychosomatiques), soit émotionnelles.

6.2 Somatique

Ce que manifeste le corps peut se décliner en deux aspects. Outre les manifestations « somato somatiques » dont s’occupe le médecin pour réguler les déséquilibres purement biologiques et de causes biologiques, nous avons deux types de manifestations corporelles :

-Les manifestations corporelles témoignant d’une blessure psychique non conscientisée (psychosomatique classique).

-Les manifestations corporelles témoignant du vécu émotionnel du corps, sans qu’il y ait nécessairement une blessure psychique associée (émotionnel somatique non psychique). Ce deuxième type de manifestation est difficile à énoncer, même par un néologisme, tant cela n’a pas été conceptualisé dans le développement de la psychologie.

Donc, dans un cas le corps sert de médiateur entre la psyché consciente et la psyché inconsciente, dans l’autre il parle en son nom propre. Ce deuxième aspect qui n’est quasiment pas abordé en psychothérapie m’a conduit à publier un article pour en donner les subtilités théoriques et cliniques « Le corps comme interlocuteur » (janvier 2013). En effet le corps peut être envisagé comme une part de la psyché (comme toutes autres parts de soi) ou bien comme une entité distincte de la psyché (autre possibilité). Chacun adoptera ce que bon lui semble, les deux aspects permettant de l’écouter dans son vécu émotionnel. Tout se passe comme si le corps avait un émotionnel propre qui n’est pas celui de la psyché et il semble erroné d’interpréter toute manifestation somatique comme forcément psychosomatique, car alors on néglige ce que le corps exprime de ses propres souffrances émotionnelles (viscérales, archaïques, comme de profondes émotions charnelles).

La sensibilité du patient est invitée, en thérapie maïeusthésique, à considérer ces deux éventualités de manifestations corporelles afin de réhabiliter ce qui se doit de l’être  (au niveau du corps ou au niveau de la psyché).

6.3 Émotionnel

La sensation émotionnelle est plus couramment entendue en psychothérapie. Par cette sensation, une part de la psyché appelle la conscience  du patient : peur, angoisse, dépression, trouble obsessionnel compulsif, addiction, panique, inhibition, deuil… etc.

Le tort est généralement de confondre ces symptômes avec des pathologies. Un trouble phobique par exemple n’est pas une psychopathologie mais un symptôme, et ce symptôme est une manifestation visant à réhabiliter une part de la psyché restée à l’écart. La pathologie, si l’on souhaite en parler ainsi, est cette « fracture de la psyché » où le Soi manque d’une part de soi.

Par contre, une addiction peut être de deux natures : ou bien elle est un symptôme visant à réhabiliter une part de soi (comme recontacter un parent qui buvait), ou bien elle est une anesthésie pour masquer un symptôme trop inconfortable (comme par exemple un deuil, une phobie, des pensées obsessionnelles). Dans le premier cas l’addiction permet de retrouver la part de soi et de la réhabiliter (projet de complétude), dans le second le masque doit tomber pour accéder au symptôme qu’il dissimulait. C’est seulement ensuite que ce dernier permettra de retrouver la part de soi qu’il « désigne » en vue  de réhabilitation.

La sensation émotionnelle qui surgit sans raison présente qui le justifie (ni dans sa nature, ni dans sa mesure) fait partie d’un tel sens qui nous maintient en contact avec ce qui en soi n’a pas été reconnu ou rencontré, et continue à nous interpeller. Il s’agit donc d’un sens intime. De même que la proprioceptivité permet de percevoir les mouvements de son corps, la sensation émotionnelle permet de connaître les mouvements de la psyché qui se « réveille » d’une anesthésie partielle à elle-même. D’ailleurs « émotion » vient de « e-mouvoir », c'est-à-dire « mettre en mouvement » (autrefois on parlait de « transports de l’âme »).

Pour plus de détails sur ce sujet, vous pouvez lire sur ce site les publications « Symptômes » (juin 2011) et « Psychopathologie » (avril 2008)

6.4 Guidage non directif

Le guidage non directif permet par un jeu de questions judicieusement adaptées d’inviter le patient à nous conduire là où sa conscience est appelée par ses sensations ou symptômes.

Le praticien part de la sensation initiale, et de questions en questions (reformulations, questions fermées, questions à choix multiples, questions ouvertes) accompagne le patient vers ce qui s’exprime au plus profond de lui. D’autre part, ces questions portent essentiellement sur ce qui est éprouvé et pas trop (ou pas du tout) sur les faits. L’existentiel y prime sur l’événementiel.

Le patient éprouve des évocations de sons, d’images, de paroles, de saveurs, de douleurs, de sensations corporelles, émotionnelles… plus que les scènes correspondantes, c’est la sensation éprouvée qui compte afin d’aboutir à celui qu’il était et qui n’a, jusque-là, pas été reconnu dans son ressenti… Le moment thérapeutique proprement dit, c’est quand le praticien invite le patient à accomplir cette reconnaissance de la part de Soi ainsi identifiée et à la valider dans le ressenti qui fut la sien jadis. D’où l’importance de pouvoir « jongler » et « naviguer » dans le monde des perceptions et des évocations sans se laisser déstabiliser par des émergences inhabituelles, qui finalement ramènent toujours dans une zone pertinente pour qui sait accompagner.

Le résultat d’un tel accompagnement dépendra de plusieurs éléments de positionnement, de l’attention, et des projets : vers où le praticien dirige-t-il son attention, vers où invite-t-il son patient à diriger la sienne (ressentis ou événements ?), dans quels buts (reconnaissances ou apaisements ? recherche de justesses ou recherche d’erreurs ? Réhabilitation ou éradication ?)

Vous trouverez des nombreuses précisions sur le guidage non directif dans la publication « Non directivité et validation » (janvier 2012)

retour sommaire

7   Des sens en tous sens

7.1 Synergies et synesthésie

Nous constatons donc que les sens n’agissent pas isolément, mais en synergie. Il est difficile d’avoir du goût sans odorat (on en fait l’expérience lors des rhumes) ou sans tact (la saveur de ce qui est mixé est plus difficile à identifier). Avoir conscience des mouvements de son corps (sens kinesthésique) sans visuel n’est pas aisé, jouer d’un instrument n’est pas aisé si on supprime la vue ou l’ouïe (la sensation kinesthésique des mouvements sera souvent insuffisante). La mémoire est fréquemment  améliorée en associant plusieurs sens (mouvements, images, sons entendus, vocalisation [sons prononcés par soi-même], odeurs, saveurs…).

De plus, une perception est toujours plus ou moins synesthésique (de par les associations spontanées qui se font), même si les personnes dites synesthésiques vivent ce phénomène de façon amplifiée par rapport à la majorité des gens. Le simple fait de « voir des mots sur une page » nous fait passer du visuel à des évocations multiples (sons, odeurs, émotions, paysages…), c’est le principe même de la lecture, qui est par essence une synesthésie acquise. C’est ce qui fait que nous ne lisons pas les mots, et encore moins les lettres une à une (sinon ce serait impossible), mais avec juste quelques éléments nous  construisons tout un monde.

7.2 Multiplicités

Naturellement, il y a les cinq sens qui président, mais ils ne sont pas seuls. Nous pouvons y ajouter quelques autres, travaillant souvent en synergie : kinesthésie, proprioception, nocéception, « bénéception », intuition, orientation ou sens de l’espace, sens du temps, sens du sens (des significations), sens émotionnel, felt sens, empathie (« tact psychique »), sens de Soi.

Les entrées sont si variées que Jacques Lusseyran (cité plus haut), devenu aveugle à 8 ans, se considère comme chanceux d’avoir pu développer une sensibilité à ce qu’il n’aurait jamais « vu » sans sa cécité. Il se trouve en effet que le cerveau ne se trouvant plus stimulé au niveau d’une sensation perdue va investir ses neurones pour d’autres sensations de substitution assurant une performance optimisée pour vivre dans l’environnement (c’est le miracle » de la plasticité cérébrale, toujours en mouvement).

7.3 Subtilités

Mais nous avons aussi les expériences hors perceptions (EMI, psychotiques) qui laissent le sujet sans possibilités d’énonciation, mais aussi même sans possibilités d’évocation mentale. Un sujet ayant vécu une EMI dit par exemple : « j’peux aller n’importe où dans l’espace et percevoir avec le degré de précision souhaité… non "je suis l’espace" ». Un autre dira qu’il perçoit toute sa vie en même temps, avec tous ceux qu’il a été et tous les êtres rencontrés au cours de sa vie, et le ressenti de chacun parfaitement perceptible. Un autre dira « c’est un bilan de ma vie… non un bilan de l’humanité… » De son côté, un psychotique dit par exemple : « Les autres me parlent, non c’est intérieur, c’est moi qui leur parle. En fait je suis eux, ils sont moi, je suis tous les humains ». Des sons sans sons, des espaces sans contours, une lumière puissante qui n’aveugle pas…

Des perceptions qui n’en sont pas. Des sens « hors dimensions » qui pourtant sont éprouvés avec réalité et qui ne semblent pas pouvoir être classés dans les hallucinations. Que de chemin à accomplir pour savoir entendre et accompagner vraiment !

Sans oublier le sens de Soi, le sens de la justesse, le sens de l’harmonie, le sens existentiel !

7.4 Perceptions et individuation

Ces extraordinaires possibilités de perceptions offrent à chaque être de multiples entrées vers le monde extérieur (ou du moins les représentations qu’il s’en fait) et vers son monde intérieur en vue d’optimiser sa complétude, son individuation et donc aussi sa stabilité par rapport à l’environnement. Le déploiement de Soi est ainsi étroitement intriqué avec la rencontre d’autrui (et réciproquement).

Outils majeurs pour les praticiens qui accompagnent les patients, ces entrées multiples sont une manne en psychothérapie. Il convient de sortir de l’enlisement événementiel pour s’ouvrir aux sens existentiels et aux cheminements intimes qu’ils permettent au patient. Celui-ci peut alors accéder à lui-même avec respect, afin d’assurer avec délicatesse le déploiement de qui il est, en proximité et ouverture avec ceux qui l’entourent.

Thierry TOURNEBISE

 

 retour sommaire

 

7.5 Bibliographie

Abbott, Edwin
-
Flatland   -Edition du groupe « Ebook libres et gratuits » -1884
disponible en pdf  à 
http://www.ebooksgratuits.com  
http://www.ebooksgratuits.com/pdf/abbot_flatland.pdf  

Bach, Richard
-Jonathan le Livingston le Goéland –Flammarion 1973

De la Garanderie, Antoine
-Les profils pédagogiques – discerner les aptitudes scolaires  - Bayard - 2005
-Comprendre les chemins de la connaissance  - Une pédagogie du sens  - Chronique sociale - 2002

Descartes, René
- Descartes, Œuvres Lettres - Règles pour la direction de l’esprit  La recherche de la vérité par la lumière naturelle – Méditations – Discours de la méthode  « Bibliothèque de la Pléiade » Gallimard – Lonrai, 1999

Grandin, Temple
-Ma vie d’autiste – Odile Jacob 2001

Jung, Carl Gustav
-Ma vie -Folio Gallimard, 1973

Jourdan, Jean-Pierre
-Deadline,  dernière limite – Pocket Les 3 Orangers 2006

Leibniz, Gottefreid Wilhelm
 -Principes de la nature et de la grâce – GF Flammarion, 1996

Lusseyran Jacques
-Le monde commence aujourd’hui – Silène, 2012
-La lumière dans les ténèbres – Triades, 2002
-Et la lumière fut – Le Félin poche 2008

Proust, Marcel
Le temps retrouvé « Bibliothèque de la Pléiade » Gallimard - 1954 Bruges

Peretti (de), André
-Le sens du sens –Lavoisier, 2011

Plotin
-Les Ennéades*. Traduction française : M.-N. Bouillet - Librairie de L.Hachette et Cie -1859 (en trois livres) table des matières  http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/plotin/table.htm

*œuvre de Plotin comportant 54 « Traités » qui furent  rassemblés par son disciple Porphyre dans un ordre remanié. Il les a compilés en 6 Ennéades de 9 traités (ou « livres ») chacune (d’où le nom « Ennéades » : 9). C’est ce document que M.-N. Bouillet a traduit et publié en 1859. Les 6 Ennéades y sont présentées en 3 tomes. Dans cette édition les numéros des Ennéades sont en chiffres arabes (ex : 4e), le traité (ou « livre ») en chiffre romain (ex : livre III) le chapitre dans le traité en chiffre romain (ex : VIII). Le texte intégral de ces Ennéades est disponible en ligne. On peut y retrouver les citations en les recherchant dans le texte original par « copier/coller » afin de les situer dans leur contexte.

-Traités*. Traductions sous la direction de Luc Brisson et J.F Pradeau - GF Flammarion 2002-2010

*Traduction de l’œuvre  de Plotin présentée en 9 tomes, en gardant la présentation des 54 traités dans l’ordre chronologique de Plotin.

Traités ou Ennéades ?

La procédure classique des citations de Plotin voudrait que l’on marque par exemple IV (4e Ennéade) et 3 (3e livre ou traité dans cette Ennéade) donc (IV, 3)… cela correspondant au traité 27 (dans l’ordre chronologique de rédaction par  Plotin). Pour la citation complète, nous avons alors (27, IV, 3), avec successivement : A/la place chronologique d’écriture du traité par Plotin ; B/ L’Ennéade où son disciple Porphyre l’a placé ; C/La  place du traité (livre) dans cette Ennéade ; D/le chapitre dans ce traité. Donc ici cela donne par exemple : (27, IV, 3 - VIII).

Le numéro dans l’ordre chronologique n’est pas le même que celui dans l’Ennéade et il peut être utile d’avoir un tableau de correspondance pour s’y retrouver... ce que propose Luc Brisson dans sa traduction éditée chez Flammarion, page 45 du volume présentant les Traités 1 à 6 (premier tome de la série de neuf). Différences selon les traductions : Dans le texte de Luc Brisson (2002-2010) rédigé dans la chronologie des traités, nous trouvons une traduction où le texte comporte des différences importantes par rapport à celle de 1859, comme par exemple « feu » (Brisson)  au lieu de « lumière » (Bouillet).

Rogers, Carl Ransom  

-L’approche centrée sur la personne. Anthologie de textes présentés par Howard Kirschenbaum et Valérie Land Henserson. Trad. de Henri- Richon Georges. Editions Randin S.A., Lausanne 2001.

Rosenberg, Marshall
-Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) –La Découverte, 2002

Rosenthal, Victor
-Synesthésie en mode majeur : une introduction. - Intellectica, vol. 55, 7-45 , 2011

Sabourin, Romola
-Les cinq sens dans la vie relationnelle –Erasme, 1995

Seife, Charles
-Zéro –Biographie d’une idée dangeureuse –JC Lattès 2002

Saféris, Fanny
-La suggestopédie – Robert Laffont, 1986

Tammet, Daniel

-Je suis né un jour bleu – 2007, J’ai lu
-L’éternité dans une heure -2013, Les arènes

Tort Patrick
-Darwin n’est pas celui qu’on croit- Le cavalier Bleu éditions, 2010

Tournebise, Thierry
-Le grand livre du psychothérapeute – Eyrolles, 2011
-L’art d’être communicant –Dangles 2008

Tricot, Pierre

-Approche tissulaire de l’ostéopathie -livre 1- Editions Sully 2005

Lao Tseu
-Tao Te King - Editions Dervy, 2000

Vella Marc
-Éloge de la fausse note –Le jour 2011

Vermeulen Peter
-Comment pense une personne autiste ? – Dunod, 2005

7.6 Dictionnaires

Guide de l’animateur des stages de sensibilisation à la sécurité routière 
-DVD à l’usage des animateurs  -, DSCR 2010

Le Robert -
Dictionnaire historique de la langue française  

retour sommaire

7.7 Liens internes citées

Le piège de l’empathie  (novembre 2000)
Dépression et suicide ( juin 2001)
Le ça, le moi le surmoi, le Soi
(novembre 2005   )
Focusing
(juillet 2007)

Éloge de la différence
(août 2008)
Symptômes (juin 2011)
Non directivité et validation
(janvier 2012)
Psychologie positive (d’avril 2012)
Le corps comme interlocuteur
  (janvier 2013)
 

dico glossaire (2012)  

retour sommaire

7.8 Liens externes citées

Cerveau &psycho.fr 
http://www.cerveauetpsycho.fr/ewb_pages/f/fiche-article-la-main-fantome-22185.php

Psychomedia.qc.ca
http://www.psychomedia.qc.ca/cognition/2011-02-24/illusion-troisieme-bras-image-corporelle

Lemonde.fr
Recherches japonaises sur « Kawaii » : http://www.lemonde.fr/vous/article/2013/01/18/kawaii_1819128_3238.html
Publication d’origine sur  www.plosone.org à http://www.plosone.org/article/info:doi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0046362

 Expérience de Daniel Simons et Christopher Chabris 
sur la cécité d’inattention
Vidéo de l’expérience

L’expérience du journal Washington Post en 2007
Lien vers cette expérience

retour sommaire