Page d'accueil

Documents publiés en ligne

Retour publications

Ne plus induire de culpabilisation
chez les patients ou les parents

novembre 2004      -    © copyright Thierry TOURNEBISE

  

Il est depuis longtemps admis en psy, qu’un thérapeute ne doit pas induire les pensées de son patient. Il s’agit ainsi de ne pas amener, chez celui-ci, ce qui ne lui appartient pas et ne serait qu’une projection des pensées du praticien.

L’intention de ne pas induire est juste et louable ! Nous trouvons cependant des situations thérapeutiques qui se révèlent être  loin de ce projet. Cela est hélas particulièrement vrai en ce qui concerne la culpabilisation du patient ou de ses parents. Qu’il s’agisse de maladresses, d’erreurs, ou de croyances théoriques, trop de patients subissent encore quelques assertions, ou sous entendus, indélicats conduisant à de la culpabilisation. Il semblait que nous avions fini avec une certaine culture de la culpabilité… nous en trouvons pourtant encore des vestiges… là où on ne l’attendait pas. Malgré leur investissement, leur générosité et leur dévouement, il arrive aux soignants (même en psy), d’altérer l’intégrité des patients ou de leurs ascendants.

Sommaire                  

A- Tendances culpabilisantes

A1 Création ou aggravation d’un manque

A2 Evolution de la culpabilisation

A3 Chercher un coupable ne guérit rien 

B- Fonctionnements psychiques

B1 Intégrité de la structure psychique

B2 Nature du lien entre symptôme et parents

B3 Evolution normale de la fusion vers l’individuation

C- Types d'impacts et stratégies

C1 Cas de blessures

C2 Répétitions et projets de réhabilitation

C3 Transgénérationnel et psycho généalogie 

D- Humaniser les approches psy

D1 Risque d'une réhabilitation trop précipitée 

D2 Êtres et objets - Distances et  proximité 

D3 Nuisance de types de jugements et du non jugement imposé

D4 Pour conclure, ne pas culpabiliser les thérapeute non plus

 

 

A

Tendances culpabilisantes

retour menu de l'article

Habitudes cultuelles conduisant à culpabiliser autrui 
et à se culpabiliser soi-même

A1- Création 
ou aggravation d’un manque
retour

Parents maladroitement mis en cause

De nombreuses personnes se sont entendues dire en psy que c’est à cause de leurs parents. Votre mère a trop (ou pas assez) été ceci, votre père a trop (ou pas assez) été cela. Même quand cela n’est pas dit… il suffit que cela soit pensé par le thérapeute pour que son non verbal génère une pression chez le patient.

A défaut d’aider vraiment, pour au moins ne pas être néfaste le non jugement est impérieux. Non jugement envers le patient (évidemment)… mais aussi envers ceux dont il se plaint, surtout quand il s’agit de parents ou d’enfants… Naturellement, ce non jugement est encore plus impérieux quand le patient ne se plaint pas d’eux !

Le manque de parent est toujours aggravé par un jugement, voir même généré quand celui-ci n’existait pas avant. Au minimum, cela sème le doute dans l’esprit du patient !

Puisqu’il est d’actualité de « surveiller » la pratique des psy… il devrait au moins y avoir vigilance sur ce point. Non qu’il y ait des malveillances de la part des thérapeutes (ou alors il ne s’agit plus de thérapeutes) mais seulement une dérive quand à la compréhension du rapport qu’il y a entre un symptôme chez un patient et ce qu’il a vécu dans le passé, en particulier avec ses parents.

Ce rapport existe bien, mais c’est la nature de ce rapport qui est perçue confusément et conduit à des attitudes thérapeutiques pouvant causer des nuisances involontaires.

« Couper le cordon », 
éviter l'idée préfabriquée

Une patiente adulte me dit que depuis 12 années de soin psy auprès de plusieurs praticiens expérimentés (dûment formés, diplômés et supervisés), chaque thérapeute lui a dit que c’est « à cause de sa mère ». De façon récurrente, ils l’invitèrent à prendre de la distance avec elle… et l’un d’eux a même dit à la mère qu’il faudrait qu’elle fasse des efforts, car si sa fille en est là c’est « un peu » à cause d’elle… pour enfin leur demander de « couper le cordon »… Tous les praticiens ici en question sont des psychologues ou des psychiatres sérieux qui ne peuvent en aucun cas être suspectés de fantaisies.

Cependant, elle n’en pouvait plus de rencontrer des thérapeutes qui, pour l’aider, abîmaient sa mère. Cela devenait comme un sorte d’insupportable refrain… toujours prévisible, mais toujours aussi incohérent par rapport à son intime ressenti ! Une sorte de discours préfabriqué plutôt inadapté à son cas.

Or dès la première consultation nous découvrons que justement le problème est « qu’il n’y a jamais eu de cordon » et que la mère et l’enfant passent leur temps à essayer de réparer cela. Le projet ne devait pas alors être de couper le cordon mais de permettre d’abord qu’il y en ait un… pour ensuite aller vers l’individuation qui consiste à devenir distinct sans pour autant être distant et à mettre du soin là où il doit y en avoir.

J’ai plusieurs fois rencontré ce genre de situation. Quand déjà il y a de la souffrance et qu’en plus on porte atteinte à l’intégrité des parents… il y a dommage envers le patient. Quand il se trouve que le patient a manqué de ses parents et qu’en plus on les lui abîme… son manque s’en trouve aggravé… et ses symptômes aussi. En effet ses symptômes n’ont pour but que d’alerter sur ce manque et quand on aggrave celui-ci, le symptôme va tout naturellement se déplacer ou s’amplifier pour remédier à ce déni.

A2- Evolution sociologique 
de la culpabilisation
retour

Peut être en sommes nous arrivés là car trop emprunts d’une culture de la culpabilisation dans laquelle nous baignons depuis si longtemps. La culpabilisation a, malgré tout,  permis aux êtres humains de « s’assagir » un peu quand à leur violence envers autrui. L’effet secondaire en a été qu’ils se sont mis à retourner vers eux-mêmes cette violence initialement dirigée vers les autres. L’évolution de la psychologie permit entre autre de remédier à cet effet secondaire indésirable... mais quelques fois en en produisant un autre : culpabiliser les parents.

La culpabilisation, est un garde fou

L’être humain peine à s’humaniser. J’ai longuement abordé ce sujet dans mon article de juin 2003 « Apaiser violence et conflits ». L’attitude spontanée d’un individu est souvent de tenter d’éliminer le gêneur ! Afin d’y mettre un peu d’ordre et de permettre une vie sociale plus acceptable, la notion de morale (d’abord religieuse, puis laïque) est venue inciter l’homme à s’humaniser. Faute de le faire par conscience, il le fait alors par obligation morale.

Ceci représente un excellent garde fou, mais il naît ainsi une culture du mal dont l’effet secondaire est de générer la culpabilisation de soi par soi. En effet, s’il y a moins d’actes néfastes, les pulsions demeurent tout de même. Elles sont contenues, mais l’individu moralisé se sent alors coupable de les avoir eues.

D’où toute une culture qui consiste à tenter de chasser ce mal qui est en soi (il ne s’agit plus alors de violence envers l’autre mais d’auto violence envers soi-même). Cette culture fut d’abord religieuse avec la notion de péchés et de pénitences, puis s’y ajoutèrent ses aspects laïcs avec toutes les techniques de maîtrise de soi… et d’élimination ou de domination de ce qui est mauvais en nous. Sans s’en rendre compte, les artisans de ces nouvelles méthodes n’ont fait, hélas, que relooker l’ancienne culture de lutte contre le mal qui est en soi, alors qu’il serait souhaitable d’apporter une réelle innovation.

L’inconscient, nouvelle cible

Après avoir voulu tordre le cou de son voisin gêneur (par violence), puis de s’en être retenu (par morale) l’individu, désormais « conscient » de ce qui est bien et de ce qui est mal,  va donc maintenant se culpabiliser d’avoir eu de telles pensées et tendra à tourner cette violence envers lui-même (pour se punir, se libérer ou se dominer).

Comme cette situation est encore très insatisfaisante, la notion d’inconscient vient alors à son secours. A partir de là, il ne s’agit plus de lutter contre ce voisin (le gêneur), ni contre soi-même (habité par le mal) mais contre cet inconscient qui est la source de tout ce marasme. Par un ingénieux tour de passe-passe, le « démon » a été replacé par  « l’inconscient », mais la base culturelle reste hélas la même : éliminer ce qu’il y a de mauvais en soi, s’en libérer, lutter contre ce qui nous habite. Comme si nous avions inventé une sorte de nouvel obscurantisme, une nouvelle espèce de chasse aux sorcières… une chasse aux « sorcières intérieures ».

De plus, dans cet inconscient, il y a…  un enfant de 5 ans qui veut coucher avec maman et tuer papa (Œdipe)…  plus mille autres choses « délicieuses »… De quoi se demander si on a tellement progressé par rapport au fameux « bon vieux démon » !

Nous trouverons souvent dans cet inconscient une mère qui ne veut pas lâcher son enfant, un enfant qui, devenant adulte, ne veut pas lâcher sa mère… L’imagerie symbolique allant bon train ; nous dirons vite alors qu’ils n’ont pas su « couper le cordon »… leur reprochant ainsi, sans s’en apercevoir, d’avoir eu un manque prénatal, qui n’est reconnu ni chez la mère ni chez l’enfant. A ce moment là c’est le thérapeute qui devient culpabilisant ! Les enjeux systémiques existants entre parents et enfants étant mal décodés dans leur  pertinence,  ce décodage se transforme rapidement en conseils péremptoires, en analyse désobligeante, en jugements prononcés « au nom du bien »… mais abîmant celui ou ceux qui le reçoivent.

Curieux retour au « jugement premier »

De cette façon, via l’inconscient, la nouvelle cible devient souvent les parents. Un tel cheminement ne résout pas les problèmes de violence, il ne fait que les déplacer. Initialement dirigés vers le voisin, ils migrent progressivement vers les ascendants

Cela avait déjà été fait autrefois en fustigeant la « bonne vielle Eve », donnant ainsi un alibi pour suspecter les femmes d’avoir hérité d’une certaine nuisante influence. La légende a fait long feu, mais accablant les parents, nous assistons à un étonnant « remake » de la vieille histoire (y aurait-il des psy qui n’auraient pas coupé le cordon avec leur culture ?) 

Il est évident qu’aucun  thérapeute n’a le projet de nuire aux parents (sinon il ne peut s’agir de thérapie), mais le fait de les tenir pour responsable produit des déstabilisations familiales, là où il faudrait au contraire de la construction.

En réalité il ne s’agit pas de chercher un coupable, mais de donner du soin à chaque part de soi qui a été blessée. Pour plus de détails lire mon article d'avril 2004 « La qualité de l’aide » au chapitre approche préalable

Responsabilité de celui 
qui représente une référence

Le climat moralisateur a progressivement généré un phénomène d’auto culpabilisation, qui est une sorte de constante sociale plus ou moins prononcée en fonction des individus. Elle est ensuite renforcée par des culpabilisations venant de l’extérieur.

Ceci est d’autant plus néfaste quand cette source extérieure est une personne qui fait autorité en la matière et à laquelle le patient attribut un savoir et accorde un pouvoir. Un parent en détresse, qui demande de l’aide pour ses enfants est souvent fragilisé et très démuni. Il  n’a pas donc besoin qu’on le charge de culpabilité. Un enfant qui manque de ses parents n’a pas non plus besoin qu’en plus on les lui abîme.

Nous voyons hélas des parents rendus coupables de trop se soucier de leur enfant et des enfants (devenus « grands ») rendus coupables de ne pas prendre avec eux la distance souhaitable… Plutôt que de fustiger ceux qui ont de telles attitudes il serait plus juste d’en rechercher le fondement pertinent. Celui qui recherche le sens pertinent d’une telle attitude ne la trouvera pas dans des théories… mais uniquement en celui qui a cette attitude ! Aucun éclairage ne peut venir d’une culpabilisation de qui que ce soit ! De toute façon, la déontologie ne commence-t-elle pas par la non culpabilisation des êtres, et de leurs proches, surtout de la part de ceux qui sont sensés faire autorité en la matière ?

A3- Chercher un coupable 
ne guérit rien
retour

Le seul fait d’attribuer à une cause extérieure la responsabilité de ce qui se passe en soi revient déjà à perdre un peu de soi

Nuisance du « à cause de »

Pensant mieux s’affirmer, un être attribue volontiers à ceux qui l’entourent la responsabilité du mal-être qu’il ressent : « D’accord, je me suis énervé… ! Mais tu n’as pas vu ce qu’il m’a fait ? », « Comment veux-tu que je me sente bien, vu comme il se comporte avec moi ! », « Si tu te comportais autrement avec moi, je n’en serais pas là ! »…

Quand un mal être    apparaît en nous et que nous sommes portés à dire que c’est à cause de l’autre, c’est un peu comme si nous accordions soudain à cet autre un grand pouvoir sur notre vie. C’est un peu comme si nous lui donnions les clés ou les commandes de notre existence… qui alors ne nous appartient plus !

Pensant nous affirmer en accusant quelqu’un, pensant nous libérer de notre responsabilité, nous ne faisons en fait que quitter les commandes de notre vie et les laisser à cet autre que justement nous accusons.

Il en résulte une fragilité accrue, un vide intérieur plus vaste et une affirmation de soi affaiblie. En effet on ne peut en même temps préserver son affirmation de soi et donner les commandes de son existence à autrui. Une attitude « à cause de l’autre » dépossède de sa  propre existence. Dire « c’est à cause de l’autre, je n’y suis pour rien » revient involontairement à affirmer « je ne suis rien ! »

Individuation 
pour être aux commandes de sa vie

Que cet autre que l’on accuse soit un étranger ou un proche ne change rien au fait que cela nous dépossède de notre vie... si ce n’est que quand il s’agit d’un parent la situation est encore aggravée. En effet un ascendant fait partie de notre structure psychique et non seulement en l’accusant nous nous dépossédons des commandes de notre vie, mais en plus nous nous amputons de ce qui est censé constituer notre base pour assurer notre équilibre.

L’affirmation de soi, c’est l’accueil de soi, de tous ceux qu’on a été depuis qu’on existe et… de tous ceux dont on est issu. Toute la problématique psychologique d’un individu consiste à s’individualiser sans se mettre en rupture et à se rapprocher sans se mettre en fusion (sans s’attacher). Je reviendrai sur ce point dans le chapitre suivant.

Tant que cet équilibre n’est pas atteint, un individu oscille entre ruptures et fusions (ou attachements), tout en compensant son manque d’affirmation de soi par de l’ego… et quand il n’a pas eu l’énergie pour se construire un ego suffisant il en viendra à s’effacer dans une grande timidité en attendant de trouver un autre moyen.

Ce qui se passe en soi vient de soi

Les mal-être, que nous portons, viennent plus de ce que nous avons fait de notre vécu que de ce qui est arrivé. Ce ne sont pas nos blessures antérieures qui sont la cause de nos mal-être actuels, mais ce que nous en avons fait. Justement, si une psychothérapie peut apporter des résultats, c’est qu’à chaque moment de notre vie, nous pouvons nous mettre à en faire quelque chose de différent. Voir à ce sujet l’article « Qualité de l'aide » chapitre remonter du symptôme à la source.

Cela est même vrai pour ce qui se passe psychologiquement dans le présent. L’autre est responsable de ce qu’il nous fait et nous, nous sommes responsables de ce que nous en faisons (sauf dans les cas de blessures physiques, bien sûr).

Quand quelqu’un nous lance une insulte, libre à nous de nous positionner « contre lui », de ruminer des reproches ou de lui envoyer, à notre tour, un lot de mots blessants. Mais dans ce cas nous en porterons un poids et nous nous « attacherons » à cette situation qui désormais nous « habitera un peu trop ». Vous remarquerez que dans les conversations nous parlons, ensuite, plus des gens qui nous pèsent que des autres ! Cela constitue un attachement bien surprenant et bien encombrant !

Plutôt que d’opter pour le combat, nous étions tout aussi libres de choisir d’accompagner cette expression de son mal être, manifesté à travers son agressivité. Cela aurait désamorcé la violence sans investir aucune énergie et sans garder d’attachements indésirables à cette situation.

De la même façon, quoi qu’il se soit passé avec les parents, c’est ce que nous en faisons qui compte et non ce qu’ils  nous ont fait. Les culpabiliser ne sert à rien, d’une part parce que ce serait se déposséder de soi et d’autre part parce que ce serait perdre une part des fondements dont nous avons besoins. Nos parents font partie de notre structure psychique et l’affirmation de soi, ainsi que l’individuation, consistent à leur donner leur juste place dans cet édifice intérieur qui nous constitue.

 

B

Fonctionnements psychiques

retour menu de l'article

Pour sortir de la culpabilisation des autres et de soi-même, 
il importe de comprendre certains aspects de notre fonctionnement psychique

B1- Intégrité de la 
structure psychique
retour

Quand nous voyons un individu ou quand nous nous considérons nous-mêmes, nous peinons un peu à mesurer toute l’ampleur de ce qui constitue un être. Nous ne voyons la plupart du temps que ce qui est immédiatement visible. Réactions et comportements nous sont alors incompréhensibles.

Ce qui est apparent n’est qu’une infime partie d’un vaste ensemble. Un être est aussi constitué de tous ceux qu’il a été depuis qu’il existe et de tous ceux dont il est issu depuis qu’ils existent. Ce qui n’apparaissait au départ qu’en deux dimensions, d’un seul coup prend un sacré relief. Un photographe dirait que la profondeur de champs, initialement inexistante, vient de  passer à l’infini

Soi et ceux qu’on a été

Il s’agit de ce Soi que nous sommes aujourd’hui, de celui que nous étions hier, puis la semaine dernière, l’année dernière, il y a dix ans, vingt ans, et aussi quand nous étions enfant, bébé et même dans le ventre de notre mère. A chacun de ces instants de notre vie celui que nous étions fut différent de celui que nous sommes aujourd’hui. Par exemple l’enfant que nous étions est différent de l’adulte que nous sommes devenus.

Il s’agit toujours du même individu (soi), mais ce soi d’autrefois est distinct du soi d’aujourd’hui. De même que chaque partie de notre corps est différente de chaque autre partie de notre corps (mais il s’agit toujours du même corps), chaque partie de notre vie est différente de chaque autre partie de notre vie (mais il s’agit toujours de la même vie).

Soi et ceux dont on est issu

A tous ceux que nous avons été s’ajoutent tous ceux dont nous sommes issus… et tous ceux qu’ils ont été depuis qu’ils existent (parents, grands parents…. etc). Naturellement cela fait beaucoup de monde ! Mais ces ascendants nous constituent et bien des choses qui surgissent dans le présent sont en rapport avec eux. 

Ce n’est pas pour autant "la faute de nos ancêtres". Nous verrons plus loin comment considérer ce rapport entre le « passé » et le « présent ». Que nous le voulions ou non, ils constituent la base de notre tissu psychique et les rejeter, supprimant cette base, nous fait « perdre l’équilibre ».

Les zones de fractures

Quand une part de soi a eu trop mal, notre pulsion de survie nous porte à l’éloigner de nous. Cela provoque en soi une fracture entre celui qu’on est et celui qu’on a été. Cette zone de conflit fait qu’une part de soi nous manque et fragilise notre équilibre. Cela peut se produire également au sujet d’un de nos parents dont nous nous coupons  quand nous lui en voulons. Nos propres parents peuvent aussi être eux-mêmes habités par de telles fragilisations et participer à l’instabilité de l’édifice (notons ici qu’ils ont plus besoin d’être compris que culpabilisés)

La pulsion de survie a intelligemment produit ces fractures pour nous protéger de la douleur (mais avec l’inconvénient de l’amputation temporaire d’une partie de soi). Il ne s’agit pas de pulsion de mort cherchant à éliminer une part de soi, mais de pulsion de survie mettant en « réserve » cette zone douloureuse afin de nous épargner d'avoir mal... mais aussi nous préserver de la perdre. 

Notre pulsion de vie s’animera ensuite spontanément, et tout aussi intelligemment,  en sens inverse (comme la réaction d’un élastique) pour nous faire récupérer ces précieuses parts de l’être manquantes, qui étaient restées en réserve dans l’inconscient. 

La pulsion de vie s’exprime en générale quand l’énergie vient à nous manquer et ne nous permet plus de nous y opposer. Son but n’est pas de nous ennuyer, mais de nous aider à reconstituer notre intégrité. C’est cette pulsion de vie qui génère des symptômes psy.  Ces symptômes sont, à tort, souvent considérés comme nuisibles, alors qu’ils sont une clé pour localiser les parts de soi  manquantes! Pour plus de détails, lire à ce sujet l’article d'avril 2004 « Qualité de l’aide »  au chapitre remonter du symptôme à la source.

Localisation dans le temps : 
le présent ou le passé ?

Notre intuition nous dit que ceux qu’on a été et ceux dont est issu sont dans le passé. Cela nous porte parfois à dire « ce qui est passé est passé, tournons nous plutôt vers l’avenir ». Sur ce point notre intuition n’est pas juste.

Pour aller vers l’avenir (et d’abord vivre le présent) il s’agit d’y être en entier. En réalité tout est dans le présent ! 

Ce qui est dans le passé, ce sont seulement les événements qui sont arrivés et en effet il peut être utile de s’en détacher. Ils sont passés et ne sont plus. Par contre, celui que nous avons été lors de ces évènements n’est pas dans le passé. Il est là, avec nous, et n’a jamais cessé d’y être. Ne pas prendre soin de cette part de soi peut nous priver de correctement vivre le présent et nous alourdir. Nous sommes alors handicapés pour aller correctement vers l’avenir. Notons cependant qu’aller vers l’avenir n’est pas sensé être un moyen de fuir le présent... sinon il n’y a jamais de vie !

Dans le présent, nous trouvons deux éléments. D’une part l’enregistrement mnémonique de la circonstance passée, un peu comme une « vidéo » bénéficiant de toutes les dimensions (visuel, olfactif, kinesthésique, auditif… constituant notre imagerie mentale). D’autre part, il y a aussi celui que nous avons été lors de cette circonstance.

Il ne s’agit en aucun cas de revenir dans ce passé (ce qui reviendrait à se meurtrir), ni même de revisiter l’enregistrement (« vidéo ») de cet événement (ce qui ne serait qu’intellectualiser)… il s’agit plutôt d’enfin « rencontrer » et « entendre » celui que nous avons été lors de cet événement et de valider son vécu, ce qu’il a éprouvé, ce qu’il a ressenti. Celui que nous avons été n’est en aucun cas dans le passé mais, bien présent en nous et avec nous… et il n’a jamais cessé de l’être depuis cet événement. Je ne développerai pas de détails sur ce point, puisque vous en trouverez toutes les nuances dans mon article d'avril 2004 sur l’aide au chapitre remonter du symptôme à sa source

Je préciserai juste que ce qui nous porte à garder longtemps de la distance (survie) avec celui que nous avons été, est que nous le confondons, à tort, avec l’événement, avec la circonstance autrefois survenue. 

Aussi terrible que fut cet événement, celui que nous avons été, lui, reste infiniment précieux. Se tourner vers l’événement c’est parfois se tourner vers l’horreur alors que se tourner vers celui qui l’a vécu, c’est se tourner vers ce qui est d’une grande valeur au point d’en être inestimable. Cette part de soi attend juste de nous un regard chaleureux, concerné, généreux et attendri (mais en aucun cas d’être plainte ou consolée).

B2- Nature du lien
entre symptômes et parents
retour

Simple comme un appel téléphonique

Il est intéressant de considérer le symptôme comme un « appel » de l’inconscient nous invitant à nous occuper d’une partie de soi. Ce symptôme ne se produit pas à cause de ce qui est arrivé autrefois, mais spécialement pour retrouver et réhabiliter une part de soi blessée « cherchant à nous contacter ». Un peu comme si ce symptôme n’était qu’une sorte de « coup de fil », réitéré jusqu’à ce que nous acceptions de répondre. Mais il est vrai que concernant les symptômes, nous avons trop tendance à croire qu’ils sont reliés à de mauvaises choses ! Nous sommes alors plus enclin à vouloir nous mettre sur liste rouge qu’à répondre à l’appel !

« Spécialement pour » et non « à cause de » est une base majeure pour aider.

« A cause de » signifie maladroitement que l’on recherche du mauvais à éliminer
« Spécialement pour » indique clairement qu’on recherche du précieux à réhabiliter.

Le symptôme que nous emmenons partout est comme un téléphone mobile qui nous relie en permanence à ce qui est précieux en nous (et non à ce qui est mauvais). Quand nous croyons que cela nous relie à de mauvaises choses, c’est que nous mélangeons encore les circonstances et celui que nous étions quand elles sont survenues.

Ces « appels » peuvent concerner notre histoire personnelle ou notre histoire familiale.

Blessures personnelles

Dans les circonstances où nous avons été blessés, notre pulsion de survie nous a porté à prendre de la distance avec la part de soi douloureuse. Cette fracture nous ampute, mais nous préserve de la douleur. Par exemple nous tenterons d’éloigner de notre pensée et de notre « cœur » l’adulte que nous avons été lors de telle épreuve insupportable, l’enfant que nous avons été lors d’un vécu dramatique, ou plus inconsciemment, le fœtus qui a traversé une étape prénatale traumatisante.

Là où le rapport avec les parents intervient, c’est quand, dans cette zone, les douleurs vécues amènent à rejeter un parent (ou les deux). Les parents à partir de ce moment ne manquent plus seulement à cause d’une éventuelle  insuffisance de leur part… mais parce que nous n’en voulons plus ! Cela permet de prendre de la distance avec la douleur… mais aggrave le manque de parents.

Exemple d’une blessure personnelle en rapport avec un parent : 
un homme, quand il était enfant, a souvent été critiqué par sa mère. Il lui en a voulu et, tout en la cherchant (car il voudrait lui plaire pour être reconnu), il l’a rejetée en lui en voulant. Le manque de mère ne vient plus alors de l’attitude de la mère mais du rejet que l’enfant à dirigé envers elle. Ultérieurement, il aura avec elle des rapports « normaux », mais toujours avec quelque chose d’un peu brisé. Tentant d’être fort, cet homme tentera même de ne plus penser à l’enfant douloureux qu’il a été et se trouvera non seulement amputé de sa mère mais aussi de l’enfant qu’il fut. Plus tard, des symptômes viendront l’inviter à recontacter ces parts manquantes afin de les réhabiliter. Par exemple il éprouvera le symptôme de se sentir immédiatement et exagérément rejeté par quiconque lui fera une réflexion. Si au lieu de combattre ces symptômes il s’en sert pour localiser ce qui en lui l’appelle, Il découvrira ainsi la valeur de l’enfant qu’il était et celle de la femme qui était sa mère. Il comprendra la raison de chacun et leur donnera leur juste place dans « l’édifice » psychique  qui le constitue. Aussitôt le symptôme cessera car il ne sera plus nécessaire.

Blessures de l’ascendant

Il arrive que le parent ait vécu lui-même des douleurs telles, que celui qu’il a été lors de ces circonstances a été enfoui pour assurer une survie émotionnelle optimum. La douleur a ainsi été en partie évitée, mais il en a résulté l’amputation d’une part de cet ascendant. Il se peut que cette part manquante produise un symptôme chez un descendant. Ce symptôme ne résulte en aucun cas d’une sorte de pollution transgénérationnelle, mais d’une opportunité qui reste offerte de réhabiliter une part de l’être autrefois nié. Cela permet de consolider la structure psychique en lui faisant retrouver son intégrité.

Exemple d’un symptôme personnel en rapport avec la blessure d’un ascendant : 
Une femme a le symptôme phobique de ne pouvoir s’éloigner de plus de quelques kilomètres de son domicile sans éprouver une forte angoisse (celle de ne plus pouvoir retourner chez elle). Nous retrouvons que sa mère à neuf ans vécut le décès de sa propre mère… et à cause de l’insuffisance de son père a été placée en institution… elle n’est jamais rentrée chez elle, perdant ainsi sa mère et son foyer. Cette femme se « tournant » vers l’enfant qu’était sa mère pu parfaitement comprendre le vécu de celle-ci, car elle l’a si souvent éprouvé « grâce » à sa phobie. Cette réhabilitation de l’enfant qu’était la mère produisit immédiatement une disparition du symptôme phobique. Son rôle était juste de faire en sorte que l’enfant qu’était la mère lors du deuil et de la perte du foyer ne soit jamais oubliée. Une sorte de « devoir de mémoire » accordé à des êtres qui n’ont jamais été entendus par quiconque. Il s’agit d’un processus rempli de délicatesse qui ressemble plus à une histoire d’amour qu’à une pollution de l’inconscient.

B3- Evolution normale
de la fusion vers l’individuation
retour

En dehors de toute zone de douleur majeure, il se produit divers phénomènes courants et normaux : Idéalisation (fusion)…. Désillusion (rupture)… Découverte… (rencontre) et enfin Réconciliation (capacité à aimer et apprécier). Ces étapes normales se succèderont dans différentes séquences plus ou moins tumultueuses.

Il est important de comprendre qu’il ne s’agit pas d’amour initial qui se transforme en haine, puis en retrouvailles, mais d’un amour qui se construit progressivement dès le départ. Il commence par une idéalisation fusionnelle aveugle, continue par une déception pseudo lucide normale, pour enfin aboutir à une rencontre permettant de développer la capacité à apprécier vraiment l’autre.

La fusion (attraction)

De même que pour se construire l’enfant a d’abord été dans le ventre maternel, il va ensuite se trouver dans le « sein familial ». Ce passage fusionnel est une étape naturelle de maturation dans laquelle l’enfant idéalisera ses parents, qui constitueront pour lui un modèle. Contrairement à l’apparence, cette idéalisation est une forme de rupture, de distance et de non reconnaissance de l’autre. Celui qui idéalise ne voit pas encore l’autre. Il n’en perçoit que la représentation qu’il s’en fait. Une sorte de rupture « positive ».

La rupture (répulsion)

La désidéalisation (désillusion) résulte d’une maturation de la lucidité. Mais celle-ci est encore insuffisante pour percevoir l’autre vraiment. Cet autre devient alors source de déception car il se révèle trop différent de ce qui a été imaginé. Le besoin de repère s’en trouvant bouleversé et l’habitude culturelle étant d’attribuer la cause de notre mal être à autrui, il en résulte des reproches, des colères, des révoltes et un état de rupture. Cette étape est particulièrement présente à l’adolescence et est une des causes de fractures survenant à cette étape de la vie. Cette désillusion est cependant un moyen pour l’adolescent de se trouver en prenant de la distance. Nous remarquerons que les ruptures ne proviennent pas forcément de blessures mais parfois seulement d’un phénomène naturel de "désidéalisation".

La rencontre (lucidité)

Construisant progressivement plus d’affirmation de soi, évoluant dans son individuation, l’adolescent devenu adulte va progressivement découvrir la Femme qu’est sa mère et l’Homme qu’est son père

Au début il ne percevait qu’une mère et un père, c'est-à-dire, sans s’en apercevoir, surtout des statuts familiaux. Il devra atteindre une certaine maturité pour voir plus que ces statuts. Même à un âge avancé il se peut qu’il reste, soit en fusion (idéalisation), soit en rupture (rejet), estimant que tout lui est dû, sans prendre en compte que ses parents sont aussi un Homme et une Femme qui ont une vie qui leur est propre, avec de multiples ressentis, toute une histoire depuis leur enfance à eux, ainsi que des joies et des peines propres à tous les êtres humains.

Il est à noter que de leur côté, les parents font le même chemin et passent de l’idéalisation de leur enfant, à la découverte de l’être inattendu qu’il est (notamment à l’adolescence). L’enfant quitte alors à leurs yeux le statut "enfant" pour devenir un individu à part entière. Chez les parents, cette phase de maturation se fait parfois avec quelques grincements de dents car autant l’enfant a eu besoin d’idéaliser ses parents, autant les parents ont eu besoin d’idéaliser leurs enfants. Quoique adultes, les parents, grâce à leurs enfants, poursuivent leur maturation qui est naturellement en perpétuelle évolution.

Devenir distinct sans être distant (individuation)

Ce qui caractérise l’individuation, c’est l’arrivée dans cette lucidité qui permet de vraiment voir l’autre et d’exister soi-même. Il n’y a plus d’idéalisation fascination ni de rupture déception. Il y a rencontre de cet autre dans toute sa dimension d’Homme ou de Femme avec tout ce qui fait la sensibilité de la vie d’un être. L’adolescent n’a su être distinct qu’en étant distant. Ce fut sa façon de quitter la fusion. Dans l’individuation, il apprend à être distinct sans être distant ou à être proche sans être fusionnel et à apprécier sans admirer. Quand il aboutit à cette individuation, il devient capable d’assertivité, c'est-à-dire d’affirmation de soi dans le respect d’autrui. C’est ce qu’on peut appeler « affirmation de soi », à ne pas confondre avec l’ego qui ne fait qu’en compenser le manque. Plus quelqu’un a besoin d’ego, plus cela signifie qu’il manque d’affirmation de soi (c'est-à-dire d’accueil de celui qu’il est, de tous ceux qu’il a été et de ceux dont il est issu).

 

C

Types d'impacts et stratégies

retour menu de l'article

Pour sortir de la culpabilisation des autres et de soi-même, 
il convient également de comprendre la nature des impacts douloureux 
et les stratégies spontanément mises en oeuvre

 

C1- Cas de blessures retour

Concernant le vécu avec les parents nous trouverons deux types de blessures : par trop d’absence ou par trop de dureté

Blessures par manque (absence)

Pour des raisons liées à sa propre vie et à la façon dont il s’est construit, en fonction de ses vécus et ressentis, le parent peut avoir adopté une attitude trop lointaine vis-à-vis de son enfant. Cette absence peut donner à l’enfant le sentiment qu’il « ne vaut pas la peine » qu’on s’occupe de lui. Pour se défendre de cela estimant que son parent ne l’a « jamais » aimé, il peut se mettre à lui adresser des reproches et à lui en vouloir profondément. Il peut aussi se sentir délaissé par un divorce, un remariage, l’arrivée d’un frère ou d’une soeur etc…

Le manque ne vient plus alors seulement de l’attitude distante du parent, mais aussi du rejet que l’enfant lui adresse. Ce rejet est néanmoins la juste expression de sa douleur.

Blessures par chocs (brutalités)

Egalement compte tenu de ses vécus et ressentis, le parent peut être amené à diriger contre l’enfant des mots durs, des remontrances blessantes et fréquentes ou même des violences physiques. Ces violences verbales ou physiques peuvent n’être que « éducatives » mais elles peuvent aussi être pulsionnelles. Dans les deux cas elles ne sont pas souhaitables, mais elles échappent à la volonté du parent soit par la pression culturelle, soit par la pression pulsionnelle. Quand le côté pulsionnel prend le dessus ces violences parentales peuvent parfois aller jusqu’à prendre des proportions dramatiques (maltraitance). De la simple remontrance jusqu’aux critiques verbales blessantes, de la simple gifle ou fessée jusqu’à la maltraitance, nous avons des attitudes parentales fort différentes et des situations dont la gravité n’est aucunement comparable.

Ces notions de dureté plus ou moins accentuée du parent envers l’enfant ne sont pas la seule cause de choc : L’enfant peut se sentir choqué de la dureté des parents entre eux. Un autre cas de brutalité sera par exemple la mort du parent. L’enfant peut être amené à vivre ce deuil comme un rejet, un abandon, une agression de la part du parent envers lui. Cela peut être encore plus fort quand la cause de la mort a été un suicide.

Ces chocs amènent l’enfant à en vouloir à son parent et le portent à le rejeter (aggravant ainsi son manque, tout en essayant d’atténuer sa souffrance). Il est important de comprendre que l’enfant aura besoin qu’on entende sa souffrance (pour le réhabiliter), qu’on identifie l’acte inacceptable,  quand il existe (pour trouver ses repères), mais aussi qu’on ne juge pas son parent, et même qu’on le réhabilite (pour constituer une structure psychique acceptable).

Attention : l’acte le plus inacceptable aux yeux de l’enfant n’est pas forcément ce qu’on croit. J’ai déjà reçu une patiente qui fut autrefois plus blessée par le manque d’amour de son grand-père que par la situation incestueuse qui s’était produite avec un oncle. Les deux points étaient de grosses blessures, mais la zone de la blessure la plus forte n’était pas celle qu’on aurait pu prévoir.

Il n’y a que le patient lui-même qui connaisse la dimension des blessures qui sont en lui. Lui en imposer une évaluation extérieure reviendrait à le nier, à l’éloigner de lui-même et à lui faire perdre le goût de se confier à qui que ce soit… ou pire encore : rester avec une blessure augmentée par le déni du thérapeute.

Sources de la douleur restante

Les parents sont naturellement responsables de ce qu’ils font et de ce qu’ils ont fait ou n’ont pas fait, même si cela s’est produit par inexpérience, par fatigue, par pulsion ou pour toute autre raison. Mais ils ne sont en aucun cas responsable de ce que l’enfant en fait ultérieurement. Nous ne pourrons jamais changer le fait que ce qui s’est passé s’est passé, mais nous pourrons toujours aider l’enfant à faire autre chose de ce vécu.

Gardons bien à l’esprit aussi qu’un enfant qui a souffert à cause de ses parents manque d’eux, et ne souhaite pas qu’en plus on les lui abîme (même quand il les déteste).

Le mythe de la « bonne vie »

Nous aimerions savoir définir avec certitude ce qui est bon et ce qui est mauvais. Pourtant, si nous y regardons bien, on peut très bien faire une « mauvaise » vie à partir d’un « bon » vécu et une « bonne » vie à partir d’un « mauvais » vécu. Dans les extrêmes, il nous semble simple de définir ce qui est bon et ce qui est mauvais (et encore !). Mais dans les innombrables situations de l’existences qui ne rentrent pas dans les petites cases de nos références étriquées,  cela est beaucoup plus difficile… et même impossible.

Si nous remarquons que des êtres se trouvent grandis suite à une situation douloureuse, comment pouvons nous dire pour autant que ce fut une bonne situation … ? Mais nous ne pouvons pas d’avantage dire que ce fut une mauvaise situation ! Cela force notre humilité et n’autorise pas de jugements simplistes. Cette réflexion a été menée de façon très pertinente par Françoise MOLENA (pédopsychiatre et psychanalyste) dans son ouvrage « Pour une éthique de la prévention » édition Erès.

C2- Répétitions 
et projets de réhabilitation
retour

Ce qu’on appelle ultérieurement symptôme, nous l’avons vu, n’est qu’un moyen de ne pas perdre le contact avec la part de soi blessée, dans le but de la réhabiliter et de lui apporter le soin nécessaire. Pour y parvenir, un individu blessé dans l’enfance aura inconsciemment à sa disposition plusieurs possibilités de stratégies. Ces stratégies ne trouveront apaisement que par des reconnaissances et validations, jamais par une aggravation des fractures ou rejets.

Quelques stratégies involontaires ultérieures

Conjugale : Ultérieurement, une personne ayant souffert dans l’enfance peut être amenée à rencontrer un conjoint qui a des défauts similaires au parent incriminé. Pour comprendre le parent et apprendre à l’aimer, l’attirance s’est involontairement portée vers quelqu’un qui a le même défaut. Si le sujet est un homme ayant eu un problème avec son père, il peut très bien  rencontrer une femme qui a les mêmes défauts que ce dernier. Il est inutile de rechercher la même sexuation. Le transfert s’opère quand même par analogie des comportements et permet la réactivation des parts de vie recherchées.

Parentale : Un autre chemin a pu se présenter et l’être devenu adulte peut avoir un enfant dont les défauts se révèlent rappeler le parent autrefois rejeté. Là il y a le sentiment de se sentir cerné entre son parent et son enfant. Mais l’un permet de mieux comprendre l’autre et de s’en rapprocher. Comme pour le cas du conjoint, la sexuation importe peu. Une femme peut avoir eu des problèmes avec sa mère et avoir un fils qui la lui rappelle.

Par Identification : Un autre chemin peut encore se présenter, et il se peut que devenue adulte, la personne soit amené à avoir envers son enfant des comportements ressemblant à ceux du parent incriminé. Notre enfant peut nous conduire à avoir envers lui, les mêmes attitudes que celles que nous avions autrefois reprochées à notre père ou à notre mère. C’est une façon de nous en rapprocher pour les comprendre et leur rendre leur place en nous. Il s’accomplit en même temps autre chose : voyant souffrir notre enfant, c’est une façon de mieux mesurer la souffrance de l’enfant que nous étions à la même époque afin de lui permettre de sortir de l’ombre et de trouver, lui aussi, sa juste place dans notre édifice psychique.

Professionnelle : Quand les zones familiales sont épargnées, il reste d’autres stratégies dans lesquelles nous nous mettons en situation de devoir fréquenter des collègues dont les traits de caractères ressemblent au parent incriminé. Nous nous offrons ainsi inconsciemment des opportunités de transfert : par exemple en nous retrouvant avec des collègues qui rappellent l’ancienne situation familiale.

Diverses : Sans qu’il y ait les cas de figure décrits ci-dessus, l’individu devenu adulte peut tout simplement développer des symptômes identiques au vécu du parent, permettant ainsi de s’en rapprocher, comme dans le cas de la femme qui avait la phobie de s’éloigner de chez elle…  « spécialement pour » comprendre l’enfant qu’était sa mère quand à 9 ans, perdant sa propre mère, elle fût retirée de son foyer.

Les répétitions

Ces situations se produisent… et se reproduisent, tans que la réhabilitation n’est pas faite. Comprenons qu’elles ne se reproduisent pas « à cause de » la zone blessée, mais « spécialement » pour qu’on n’oublie pas de la revisiter. Une sorte de commémoration régulière qui est à chaque fois une invitation à faire « venir au monde » cette part de soi oubliée, abandonnée, jamais considérée, afin de lui rendre sa juste place et la reconnaissance qui lui sont dues (dont nous avons besoin pour restaurer l’intégrité de notre structure psychique).

Une histoire d’amour

Il y s’agit plus d’une histoire d’amour que d’une enquête policière. Il ne s’agit jamais de rechercher un coupable (nous avons vu le risque du « à cause de »), mais de donner sa place à chacun… sans oublier personne… tout en respectant les éventuelles résistances (je parlerai du rôle majeur des résistances un peu plus loin).

J’ai par exemple eu en consultation un homme violent (comme son père). Quand il mit du soin et de la reconnaissance sur l’enfant douloureux qu’il fût (il n’avait jamais été reconnu dans son vécu) et qu’il comprit son père (auparavant, il n’avait naturellement pu que le détester), nous vîmes aussitôt sa propre violence disparaître. Sa propre violence n’avait pas existé « à cause de » celle de son père, mais « spécialement pour » qu’il n’oublie pas de s’occuper de l’enfant qu’il fût et de comprendre cet homme qui fut son père.

Je repense aussi à cette femme qui constitua plusieurs couples avec des hommes violents et alcooliques. Cette situation cessa aussitôt quand elle pu, d’une part s’occuper de l’enfant qu’elle était, et d’autre part comprendre l’homme violent et alcoolique que fut son père ainsi que les raisons qui, dans sa vie d’homme, l’avaient conduit là.

Dans tous ces cas, ce qui est d’actualité, ce n’est pas « comment s’en débarrasser », mais « comment réhabiliter ». La pulsion de survie avait fait rejeter tout cela pour atténuer la douleur. La pulsion de vie, elle, a tout mis en œuvre en sens inverse pour éviter la perte intempestive de ces parts précieuses de l’être. Toute la problématique tient en cette opposition naturelle entre la pulsion de survie (pouvoir continuer malgré la douleur) et la pulsion de vie (ne pas perdre une part de soi). L’énergie de la première s’oppose à l’élan naturel de la seconde. Dans des moments de moindre énergie, la pulsion de vie reprend ses droits et peut accomplir son projet de restauration.

C3- Transgénérationnel 
et psycho généalogie
retour

Comme nous l’avons vu dans le chapitre « intégrité de la structure psychique », le symptôme, souvent relié à celui qu’on a été, peut aussi être relié à ceux dont on est issu. Quand c’est le cas nous parlons de transgénérationnel et une approche thérapeutique qui s’en occupe est la psycho généalogie. Derrière ce mot il y a simplement une approche permettant de mieux localiser puis réhabiliter une part de l’architecture psychique constituée par la vie d’un ascendant proche ou lointain.

L’écueil dans une telle approche serait de considérer l’histoire familiale plutôt que le vécu des individus. Rappelons nous que les événements sont dans le passé et que celui qui a éprouvé le vécu, lui,  est là dans le présent et n’a jamais cessé d’y être depuis que c’est arrivé. Difficile de dire comment une telle « présence » ou « information » est arrivée là, mais l'observation montre qu'elle s'y trouve vraiment. Ce qui est observable, objectivable et concret, c’est que quand cette part de vie est réhabilitée, le symptôme disparaît. C’est là le côté pragmatique du transgénérationnel. Par contre, les interprétations qui peuvent en être faites, ne comportent pas forcément de preuves objectives.

Précédemment,  je vous ai cité un exemple de transgénérationnel : le cas de cette femme atteinte d’une phobie très forte lui interdisant de s’éloigner de sa maison sous peine d’angoisses importantes. Elle retrouva l’enfant que fut sa mère quand, à neuf ans, celle-ci perdit sa propre mère et fut retirée de son foyer où elle ne revint jamais.

Le symptôme disparut dès qu’elle accepta de valider le vécu de l’enfant que fut sa mère par une visualisation. Cette visualisation met en jeu un imaginaire dans lequel la femme qu’elle est aujourd’hui « vient » près de l’enfant que fut sa mère juste « pour lui dire » : « J’entend vraiment ce que ça peut représenter pour toi de ne pas rentrer à la maison ! ». Elle peut le faire d’autant mieux que sa phobie l’a parfaitement renseignée sur la nature de ce ressenti et en fournit la juste mesure.

Aussitôt après, la phobie a cessé (c’est là le côté pragmatique). Le symptôme a cessé, comme si s’était accompli, ce à quoi il était destiné: que l’enfant que fut la mère à neuf ans ne soit pas oubliée, qu’elle soit enfin un jour validée, quand bien même ce serait à tire posthume (c’est là le côté interprétation).

 

 

D

Humaniser les approches psys

retour menu de l'article

 

Culpabilisations et dévalorisations 

seront avantageusement évitées par la compréhension 

de certains enjeux thérapeutiques fondamentaux

D1- Risque d’une 
réhabilitation trop précipitée
retour

Bien que la réhabilitation soit le projet, elle ne doit en aucun cas se réaliser en force. Il serait inopportun, ou même nuisible, de forcer la réhabilitation de l‘enfant que fut le patient, autant que de l’homme et de la femme que furent ses parents.

Pour ne pas risquer cette maladresse, il suffit de respecter les « résistances » du patient. Ce qui est maladroitement appelé « résistance », n’est en fait qu’un guidage pour respecter le meilleur chemin à suivre. Le fait d’identifier cela à un blocage ne permet pas d’en utiliser les précieuses indications de guidage et peut même culpabiliser le patient de « ne pas y arriver ».

Les résistances sont un précieux outil de guidage

Quand le thérapeute ne pointe pas le bon chemin (il est naturel que cela puisse se produire), heureusement les résistances du patient veillent au recentrage. Il arrive malheureusement que certains thérapeutes interprètent ces résistances comme un blocage, une erreur ou une immaturité du patient. En réalité ce dernier ne fait qu’indiquer un recentrage vers la bonne direction que le thérapeute n’a pas encore pointé.

Pour cela il importe que le thérapeute accepte l’idée que les indications ne sont pas chez lui, ni dans son savoir ni dans ses interprétations, mais chez le patient. C’est cela qui m’a conduit à écrire l’article d'avril 2001 « le non savoir source de compétence ».

Résistances à réhabiliter l’enfant

Quand le patient retrouve et contacte une zone de sa vie où l’enfant qu’il fut a souffert par un de ses parents, il peut néanmoins estimer qu’au fond il n’a pas tant souffert que ça. Il dira « Peut être ai-je trop dramatisé ! J’étais tellement jeune !».

Il est clair que le patient « résiste » à considérer la souffrance de l’enfant qu’il fut dans cette circonstance. Si le thérapeute, au lieu de considérer cela comme un blocage, demande au patient ce qu’il l’amène à penser cela, il arrive que celui-ci explique « au fond ce n’était peut être pas si facile pour mon parent ».

Inconsciemment, il sait que s’il prend tout de suite la mesure de la douleur de l’enfant qu’il fut, il n’aura plus le cœur de considérer la raison du parent… qui alors deviendrait inaccessible à la réhabilitation. Il résout cette difficulté en « résistant » avec pertinence, pour éviter de commencer par la réhabilitation de l’enfant.

Résistance à réhabiliter le parent

Quand le patient retrouve et contacte l’homme ou la femme que fut son parent il peut comprendre que ce dernier avait une raison d’agir comme il l’a fait… mais aussitôt se rétracter en disant « mais ce n’est pas une raison pour m’avoir tellement fait souffrir ! ».

Il est clair ici que le patient « résiste » à la réhabilitation de son parent. Le thérapeute qui comprend qu’il ne s’agit pas d’un blocage, mais d’un guidage de la part du patient, lui demandera ce qui produit en lui cette colère. Le patient répondra par exemple « J’ai trop souffert ! »

Inconsciemment le patient sait que s’il comprend trop vite son parent il n’aura plus le cœur d’écouter à quel point l’enfant qu’il fut a été cassé. Il résout cette fois-ci la difficulté en « résistant » avec pertinence, pour éviter de commencer par la réhabilitation du parent.  Il invite ainsi le thérapeute à le guider en priorité vers la réhabilitation de l’enfant qu’il fut.

Respecter la résistance 
pour arriver rapidement à destination

Quand le patient manifeste une résistance sur l’un des pôles (parent ou enfant), c’est juste pour inviter le thérapeute à l’aider à s’occuper de l’autre pôle en priorité. Le fait de respecter cette priorité permet de rapidement réhabiliter le point accessible. Cela ouvre aussitôt le second pôle, initialement bloqué.

La priorité ne peut être prévisible à l’avance. C’est le patient qui, par ses « résistances », indique le chemin le plus juste pour lui.

Tout forçage sur le mauvais pôle peut générer une aggravation ou un déplacement, des symptômes et contribuer à une malencontreuse déstructuration du patient.

D2- Objets et sujets- 
distance et proximité
retour

Nous trouverons aussi des dévalorisations du patient, ou de ses proches, qui sans être directement une culpabilisation, ont néanmoins une fâcheuse tendance à l'inférioriser. 

Il n'y a rien qui soit dirigé contre eux, pas même par maladresse. Cette infériorisation peut provenir, dans ce cas, simplement d'une façon d'aborder l'entretien thérapeutique et de l'attachement du praticien à certains concepts de la psychopathologie (et des projets de soin qui en découlent)

Des êtres, des objets et des cas

Il est dommageable en psychanalyse (malgré le côté extrêmement précieux de cette démarche) de considérer que l’enfant passe un jour de l’amour narcissique (amour de soi) à l’amour objectal (amour de l’autre). Ce qui est équivoque ici, ce n’est pas l’idée, mais la terminologie utilisée. Même si d’excellents thérapeutes ont pu se satisfaire de cette façon de nommer les choses et être quand même de bons thérapeutes, la notion d’amour « objectal » est assez déroutante car « Objectal » signifie lié à l’objet… comment en est on arrivé à parler d’amour en parlant d’objet ? Comment en est-on arrivé à désigner par « objet » un être qui n’est pas soi ?

Nous pouvons ici réaliser que quitter le stade narcissique pour ne considérer l’autre que comme un objet n’est pas un bien grand progrès.

Plus courante, l’expression « objet de notre amour » est tout aussi désobligeante : parler d’amour pour un objet n’est pas une expression heureuse pour désigner une ouverture à autrui. Si l’amour objectal marque une ouverture vers l’extérieur (plutôt que seulement vers soi), on y est encore très loin de l’ouverture à autrui.

Cet usage sémantique, conduisant à confondre l'être et l'objet, constitue un sérieux frein à l’humanisation thérapeutique.

Mieux différencier "amour" et "libido"

Un autre facteur de dévalorisation est de confondre la notion de libido (énergie pulsionnelle et besoin de l'autre en tant qu'objet) et celle d'amour (considération et ouverture à l'autre en tant que sujet)

Considérer la libido (qui est un besoin pulsionnel) comme une base de l’amour (qui est au contraire une ouverture à autrui) peut aussi s'avérer très dévalorisant. La pulsion libidinale est effectivement de grande importance, mais il reste fondamental de considérer distinctement les deux notions. Nous remarquerons que la libido peut conduire à l’amour (conduite plus souvent masculine) et que l’amour peut conduire à la libido (conduite plus souvent féminine). Il ne s'agit en aucun cas de deux mots synonymes

Concernant le patient, ceux qu’il a été et ceux dont il est issu, j’expliquais plus haut qu’il s’agit plus d’une histoire d’amour que d’une enquête. Je ne sous entendais surtout pas que la libido y joue le moindre rôle car il y s’agissait plus d’une reconnaissance de l’autre que d’un besoin de l’autre!

Celui qui considèrerait l’autre comme un objet que sa pulsion rendrait nécessaire ne serait pas sorti du narcissisme… ou tout au plus il en atteindrait la frontière pour n’entrer que dans un ego profiteur. Celui qui s’estimerait « sujet » en considérant les autres comme « objet » (même inconsciemment), ne ferait que développer un grand égocentrisme.

Nous trouverons l’équivalent en thérapie : Le praticien qui considèrerait le patient comme un « cas » ou comme un « objet de thérapie » risquerait également de manquer la qualité du soin psychologique.

Vous trouverez quelques détails sur ce sujet dans mes articles de novembre 2000 « Le piège de l’empathie », novembre 2002 « reformulation »  ainsi que, avril 2004 « qualité de l’aide ».

Sortir de « l’hygiaphone intellectuel »

Aux manques de précision sur ces notions d’amour narcissique, d’amour objectal, d’amour tout court et de libido,  s’ajoute trop souvent la croyance selon laquelle il faut garder une certaine distance avec le patient. Dans ce cas l’humanisation de l’accompagnement psychologique est encore moins satisfaisante.

Pas de distance du tout, tout en étant parfaitement distinct, définit la juste proximité. L’expérience montre qu’il est nécessaire d’être proche (pas de distance), mais tout en restant distinct (l’un n’est pas l’autre). Cela permet la chaleur humaine tout en étant libre de l’affect. Or cette notion de « distinct », qui est très importante,  s’est souvent malencontreusement déformée en la croyance qu’il faut être un peu (ou beaucoup) distant.

Avoir besoin de distance pour être distinct n'est autre que la stratégie mise en oeuvre par l'adolescent envers ses parents, du fait de sa maturité encore insuffisante pour accéder à l'individuation 

Intégrer le fait de « Savoir être distinct sans être distant » permet une plus grande humanisation de l’entretien. Sans cela, la consultation peut devenir quelque chose de froid et technique ressemblant plus à une conversation à travers un miroir sans tain,  qu’à un réel accompagnement psychologique.

Nous éviterons avantageusement  de prolonger le sombre et ancien confessionnal clérical par une sorte de guichet intellectuel laïque muni d’un hygiaphone.  

Cela est encore aggravé quand le thérapeute, pour mieux aider, considère « le cas à résoudre » et « analyse les données » du patient, au lieu de simplement l’accompagner dans cette rencontre qui, en lui, est en cours d’accomplissement.

L’individu compte plus que le problème

Quand un thérapeute souhaite aider un patient, il n’est pas sensé le recevoir (ou aller vers lui) pour résoudre quoi que ce soit… sous peine de l’inférioriser.

Quand un thérapeute va vers un patient, ou le reçoit, pour résoudre quelque chose, il prend, involontairement, une attitude supérieure et désobligeante : «Toi, tu es celui qui a un problème! Moi, je suis celui qui t’aide! ».

Le positionnement des statuts soignant/soigné reste clair. Mais au delà de ces statuts, pour que la situation gagne en confiance et en ressources, il est fondamental que le thérapeute se sente touché (et non affecté) par la rencontre potentielle qui s’accomplit : le patient va livrer ce qui lui est personnel et précieux, il va réaliser ce cheminement vers lui-même… il va se révéler, en présence du thérapeute.

Le thérapeute est celui qui accompagne cette émergence et accepte d’en être humainement touché. « Touché » ne signifie en aucun cas « affecté ». Si ces notions ne sont pas claires, il est important de lire attentivement l’article avril 2004 « qualité de l’aide » au chapitre ni distance ni empathie.

Le patient fait cadeau de ce qu’il est, et le thérapeute fait cadeau de son accompagnement. Sur le plan humain, il y a équivalence de la valeur de la position du patient et de celle du thérapeute, en même temps que sur le plan social la différence des statuts reste claire. Le thérapeute est d’autant plus compétent qu’il saura s’appuyer sur « sa compétence à ne jamais savoir à la place du patient ». Pour plus de détails sur ces points, vous pouvez lire sur ce site les articles de août 2000 « Le mythe de la transaction » ainsi que de avril 2001 « le non savoir source de compétence »

Subtiles médiations

Comme indiqué ci-dessus il ne s’agit pas de recherche de solution, mais de l'accompagnement d’une rencontre que le patient essayait déjà de réaliser en lui, même si c’était inconscient.

Si toutefois nous voulons garder le mot « recherche de solution » cela est possible… mais en reconsidérant le sens du mot « solution ». Le mot « solution » est le terme médical par lequel on désigne une fracture osseuse (solution de continuité du segment osseux).

Dans ce cas, « recherche de solutions » signifie « recherche des zones de fractures ». Or c’est exactement de cela dont il s’agit : localiser les fractures pour ensuite accomplir la médiation qui « recollera » les deux bouts de la structure psychique brisée.

Nous ajouterons à cela que, même si le thérapeute sait que ce qu’il cherche ce sont les zones de fractures pour y accomplir des médiations, il ne s’autorisera en aucun cas à forcer ces réconciliations. Il ne fera qu’accompagner celles qui sont déjà en cours, celles qui sont prêtes et qui se manifestent naturellement à travers les symptômes.

Cela revient à localiser les zones de vide vers lesquelles, les parts manquantes de l’individu qu’est le patient sont déjà en route. Il s’agit juste d’un accompagnement de ces parts manquantes tendant naturellement (pulsion de vie) à retrouver leur place pour réaliser une complétude authentique et durable. Il s’agit juste d’accompagner ces rencontres en cours chez le patient et d’accepter d’être touché par leur accomplissement. Le thérapeute devrait se sentir extrêmement privilégié d’être présent à un tel instant… comme s’il venait de lui être offert d’assister à une naissance.

Le patient peut être reconnaissant au thérapeute de l’avoir accompagné, le thérapeute peut être reconnaissant au patient de lui avoir permis d’être présent à un tel moment de rencontre.

D3- Nuisance des jugements, 
mais aussi du non jugement imposé
retour

Tout professionnel peut commettre des erreurs. Nul d’entre nous  n’aura la prétention d’une quelconque perfection. Même très expérimentés nous sommes en perpétuel apprentissage.

Cependant, il existe quelques erreurs plus dommageables que les autres. L’une d’entre elle est de culpabiliser un patient ou l’un de ses proches : quand cela se produit, nous pouvons parler de faute professionnelle (même si ce n’est pas intentionnel), car le premier principe est au moins de ne pas nuire. Un recentrage (ou un auto recentrage) de la pratique est alors nécessaire.

Nous devons avoir présent à l’esprit que le patient risque de considérer le thérapeute comme faisant autorité en la matière et se laisser déstabiliser par son jugement. Le thérapeute se doit donc d’être exigeant en la matière.

Nous allons explorer ci-dessous quelques types de jugements, mais aussi la nuisance que peut représenter la fâcheuse tendance à vouloir "forcer un pardon" chez quelqu'un qui ne le ressent pas. Ce type de "non jugement imposé" est aussi source d'altération thérapeutique

Jugements envers le patient…

Naturellement aucun thérapeute ne souhaite juger un patient. Mais quand ce dernier présente une résistance il s’entendra parfois dire 

« vous ne vous en sortirez pas tant que vous n’accepterez pas de lâcher » 
« il faudrait songer à prendre de la distance avec votre mère » 
« je ne peux pas vous aider si vous n’y mettez pas du votre »  

D’autre part, quand le thérapeute considère le symptôme comme « une cible à abattre » il condamne involontairement la façon dont le patient gère ce qu’il y a en lui. Un patient alcoolique peut ainsi s’entendre dire:

« nous allons vous aider à vous libérer de l’alcool ». 

Même si cela est juste en finalité, le premier pas ne peut se situer là. Le premier pas devrait être de trouver « en quoi boire fut pour lui la meilleure solution possible ». Il en va de même pour tous les symptômes. 

Quand un psy dit à une femme anorexique :

« si nous sommes un peu dure, ce n’est pas envers vous, c’est juste pour vous aider à vous battre contre cette saloperie de maladie » 

Il considère comme une saloperie ce par quoi elle tente d’exprimer ce qui est en elle. Elle se retrouve culpabilisée d’utiliser ce moyen.

Autant de jugements, souvent involontaires, qui néanmoins sont une blessure inutilement ajoutée.

Jugement envers les ascendants

Le non jugement du praticien envers les parents du patient ou envers des parents en tant que patients était le thème majeur de cet article. Naturellement pour aborder cela, il a été nécessaire d’envisager la problématique du jugement sous ses différents aspects, y compris de préciser le risque engendré par certains concepts comme celui qui tend à  estimer qu’on est blessé « à cause de ».

Nous avons vu combien il est souhaitable que le thérapeute n’émette aucun jugement contre qui que ce soit (neutralité) et même combien il est important qu’il ait  de la considération (bienveillance). Aucun jugement verbal, bien sûr, mais aussi aucun jugement non verbal. Pour rester congruent, il doit donc ne même pas avoir de jugement dans sa pensée, car c’est surtout la pensée qui produit le non verbal. Comme il est impossible de contrôler sa pensée, ce non jugement ne viendra pas d’une volonté de ne pas juger, mais plutôt d’un certain regard porté sur le patient,  ses ascendants et de la façon de considérer les symptômes et leurs rôles dans la restauration de la structure psychique.

Quand des soignants de pédopsy, comme je l’ai vu,  se plaignent que la mère a tendance à être dans le déni de la pathologie de son enfant et qu’elle rend les soins difficiles, cela amène les praticiens à trouver la mère « gênante ». Quand ils affirment que la mère est dans le déni, ils ne se préoccupent pas de ce qu’elle vit. Ils disent même parfois « notre rôle est de  soigner l’enfant… pas la mère ! ». La mère est ainsi tout au mieux instrumentalisée pour les soins de l’enfant, mais pas reconnue dans ce qu’elle vit. Or on ne peut prendre vraiment soin d’un enfant si sa mère n’existe pas. Le soin de l’enfant commence par l’existence de la mère. Or on ne peut en même temps la trouver nuisible et lui permettre d’exister.

Dans certains cas familiaux, cela va parfois jusqu’à parler de « parents toxiques » ! Or si l’attitude des parents est néfaste à l’enfant, il l’est tout autant de porter un jugement envers eux. Juger le côté néfaste de leur attitude est une chose, juger les êtres qu’ils sont en est une autre. Si, par exemple un parent a préféré un enfant dans une fratrie, il est important de reconnaître le côté dommageable pour l’autre enfant, mais aussi la raison qui a conduit le parent à agir ainsi.

Nous trouvons, hélas trop souvent, des patients ayant entendu de la part de leur praticien:

« Nous ne pourrons vraiment avancer que quand vous aurez enfin compris que votre mère ne vous donnera jamais ce que vous attendez ».

« Il serait temps de régler vos comptes avec vos parents ».

« Il faudrait que votre mère coupe enfin le cordon ».

« Vu vos symptômes, il peut s’être produit une situation incestueuse dans votre famille ». 
Cette affirmation résultant d’une interprétation,  est particulièrement néfaste.

« Il faut que vous preniez de la distance avec vos parents ».

« Pour grandir, il faut tuer le père ».

Ayant eu un père malade mental, la patiente s’entend dire « Il faut pardonner à votre père » (comme si c’était la faute du père d’être malade mental).

La mère d’une patiente ayant été épuisée pendant la grossesse, sur le conseil du médecin, a placé ses enfants. Le sentiment d’abandon qui en a résulté ultérieurement chez cette patiente  l’a conduit à consulter un psy. Comme celle-ci se montrait trop compréhensive vis-à-vis de sa mère, le psy se met presque en colère : 
« Quand même ! Vous ne vous rendez pas compte de ce que votre mère vous a fait ! »… voulant ainsi l’amener à partager son indignation.

Dans un cas de grave maltraitance de la part de la mère: 
« il faudrait que cet enfant assiste au procès de sa mère pour pouvoir se reconstruire ». 
Dans ce dernier cas, on confond à tord le fait que la société doive reconnaître la gravité des actes et de la douleur de l’enfant avec le fait qu’il faille casser la mère sous ses yeux.

Quand nous rencontrons ces situations, le patient risque de se trouver déstabilisé par des assertions venant d’une personne sensée faire autorité dans le domaine psy. Sur ce point chaque professionnel se devrait d’être exigeant.

Non jugement imposé

Par contre, le thérapeute doit permettre au patient d’avoir tous les jugements et toutes les colères qu’il souhaite manifester envers ses propres parents. Quand un patient émet des jugements envers ses ascendants c’est pour lui une façon de dire sa douleur. L’inviter à « essayer de comprendre », « se réconcilier », « pardonner pour se libérer » serait une sorte de non jugement imposé au patient et finalement une façon de le  juger et même de le culpabiliser pour cette dureté qu’il ne veut pas lâcher.

Le thérapeute ne prendra pas parti et gardera de la considération pour le parent incriminé, mais doit en même temps toujours respecter les colères ou même les haines du patient quand celui-ci éprouve le besoin de les exprimer. La réconciliation ne viendra que plus tard, au moment opportun, quand le praticien aura su aider le patient à devenir une ressource pour l’être blessé qu’il fût.

Le pardon forcé est aussi une forme de culpabilisation (de celui qui ne souhaite pas pardonner). Notons, en plus, qu'il ne devrait jamais s'agir de "pardonner" mais plutôt de comprendre (lire l'article de juin 2003 Apaiser violence et conflit au chapitre "vivre autrement", paragraphe différencier raison et excuse)

D4- Ne pas culpabiliser 
les thérapeutes non plus
retour

Cet article, pointant des attitudes thérapeutiques insatisfaisantes, ne doit pas pour autant conduire à juger les thérapeutes. La plupart d’entre eux font leur métier avec dévouement et compétence. Aucun d’entre nous ne peut prétendre être parfait et nous sommes en perpétuelle évolution.

Il est souhaitable de ne pas dévaloriser la qualité du travail des psychologues, des praticiens en psychothérapie ou des psychanalystes (ni celui des psychiatres, quoi qu’il s’agisse là d’un autre métier). Il n’en demeure pas moins important, pour autant, de pointer certains dysfonctionnements (de leurs actions et non de ce qu’ils sont) pouvant nuire à la qualité de la consultation jusqu’à parfois endommager l’intégrité du patient

Le projet des thérapeutes étant la qualité de soin, aucun d’entre eux ne prendra ombrage de telles remarques… au contraire !

Cet article a pour but d’aider les patients qui auraient rencontré une difficulté avec leur thérapeute. Normalement, ce dernier ne devrait pas voir d’objection à aborder ce sujet.

Cet article est aussi destiné à aider les thérapeutes qui, conscients que la psychothérapie est en continuelle évolution, sont à l’affût de tout ce qui peut apporter davantage aux patients et faciliter le travail du praticien.

Cet article constitue une modeste contribution aux réflexions menées en ce domaine.

 

Thierry TOURNEBISE