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La Vie plus que la maïeusthésie
Être attentionné, libre, créatif et sensible

(et, pour mieux comprendre: un peu l'histoire de l'émergence de la maïeusthésie)

Mars 2021   -    © copyright Thierry TOURNEBISE

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Sommaire

Le praticien en maïeusthésie ne peut simplement « appliquer » des techniques tel un « bon élève assidu ». Il doit ajouter à ses connaissances un continuel ajustement, et aussi de la sensibilité, de la créativité, une dynamique de curiosité, d’ouverture, de recherche.

La maïeusthésie est un moyen d’accompagner la Vie dans la pertinence de ses processus naturels. Il importe pour le praticien de bien intégrer que la Vie compte infiniment plus que toute approche quelle qu’elle soit, y compris la maïeusthésie. Il ne s’agit aucunement pour lui de « faire de la maïeusthésie » ou d’une autre approche, mais de « s’occuper de la Vie ». Il ne s’agit pas d’une technique que l’on applique, et encore moins que l’on défend, mais d’une ouverture à l’Existentiel. La Vie réclame simplement qu’on l’accompagne à travers les symptômes qu’elle manifeste et se moque bien des constructions intellectuelles et des croyances techniques.

La maïeusthésie accompagne la Vie. Elle est modestement à son service. Elle n’est qu’un moyen, parmi d’autres approches qui méritent tout autant l’attention des praticiens. Même si avec la maïeusthésie l’on sait avec rigueur décliner, décrire, théoriser les processus à l’œuvre, et aussi enseigner avec précision les moyens de les accompagner, le praticien formé ne doit jamais oublier qu’il accompagne la Vie bien plus qu’il ne voue la moindre fidélité à une technique, aussi bonne soit-elle.

 

Sommaire

1 Théoriser et rester ouvert
- L’ouverture et la rigueur – La rigueur et la sensibilité – Existentiel, ouverture et créativité

2 Entre flou et acuité
-L’illusion de l’absolu – La quête des précisions – Avantages et inconvénients du focus – Être libre des certitudes – Accroître la visibilité existentielle – Les supports structurels (paradigmes et archétypes)

3 Emergence de la maïeusthésie
-Dispositions initiales – Parcours atypique et expérience clinique – Goût pour la théorisation et l’enseignement – Le mot « maïeusthésie » et les publications - Des références bibliographiques -Demandes des stagiaires

4 Au-delà des méthodes et protocoles
- Formation des praticiens – Formation des formateurs – Du précieux à l’inestimable

5 Développer… et surtout déployer
- L’intellect se développe, le cœur se déploie – Connaissances, compétences, sensibilité – L’indicible et le non pensable

6 Un regard systémique ou hyper-systémique
-Le symptôme et l’émergence – L’Être émergeant et le praticien – Le praticien et la Vie – L’humilité en équipe – Un soin de la Vie (existentiel, ontique)

7 La Vie plus que la théorie
- Théories paradigmes, archétypes – La mise en œuvre -Gratitude et rencontre de la Vie – Une nouvelle langue – Le détecteur d’étoiles – La Vie plus que la théorie – Structure et liberté

Bibliographie
Bibliographie du site

 

 

1.Théoriser et rester ouvert

1.1.  L’ouverture et la rigueur

Être ouvert à l’étendue des possibles n’exclut pas la rigueur des raisonnements, l’exigence de précision, la structuration des propos et des théorisations. Cette rigueur elle-même n’exclut aucunement la sensibilité, l’intuition. Le philosophe René Descartes lui-même insistait sur ce fait :

« Certes l’entendement seul est capable de percevoir la vérité ; mais il doit être aidé cependant par l’imagination, les sens et la mémoire, afin que nous ne laissions de côté aucune de nos facultés » (Règles pour la direction de l’esprit Règle XII, 1999, p.75).

« Mais nous avons dit au même endroit que la simple déduction d’une chose par une autre se fait par intuition » (Règles pour la direction de l’esprit Règle XI, 1999, p.72).

« Toutes les notions que nous composons de cette manière ne nous trompent pas en vérité, pourvu que nous ne les jugions que probables et que jamais nous ne les affirmions comme vraies » (Règles pour la direction de l’esprit Règle XII, 1999, p.85).

Loin d’être psychorigide, René Descartes, mal connu à cet endroit, va jusqu’à écrire l’ouvrage « Recherche de la vérité par la lumière naturelle » (1999) où il montre que, face à un sage, le lettré à force d’intellect et de savoir, a moins de bon sens que le candide muni de sa simple « lumière naturelle de l’esprit ».

Bien évidemment, le bon sens cognitif qui simplifie pour mieux appréhender, le fait au risque de réductions entraînant des pertes de données. Non seulement on y perd la dimension systémique (où tout est lié), mais aussi, toute la vastitude de la pensée. Tout classement est une option dont le choix est toujours délicat car il y a toujours plusieurs possibilités. Ainsi, nous avons sans cesse avantage à être sans cesse capables de remettre en cause nos aboutissements cognitifs.

L’intellect n’en est pas moins pour autant le merveilleux outil permettant de tracer une esquisse de l’indicible, une modélisation accessible du non pensable, une compréhension de la Vie dans ce qu’elle a de plus subtile.

L’ouverture d’esprit permet de rester libre face à la Vie qui s’exprime. Sinon, comme le dit le psychanalyste Donald Wood Winnicott (1896-1971) :

« L’interprétation donnée quand le matériel n’est pas mûr, c’est de l’endoctrinement qui engendre la soumission » (Winnicott, p.104).

1.2.  La rigueur et la sensibilité

Le vieux débat entre la sensibilité et l’intellect nous conduit parfois à mettre en opposition « être pensant » et « être sensible ». Ces deux aspects complémentaires sont ainsi injustement mis en concurrence, alors qu’ils s’étayent l’un l’autre ! S’il reste vrai que ne faire que penser manque de subtilité, ou ne faire que sentir manque de structure, l’un n’est pas censé se passer de l’autre.

La sensibilité permet une ouverture à la vastitude des éprouvés qui se manifestent au cœur de la psyché, et au monde dans lequel se trouve cette psyché (monde dont elle fait partie et dont elle est constituée). L’intellect permet d’en structurer l’approche, de la rendre énonçable, partageable, appréhendable. Sans l’intellect, l’expérience sensible reste vaporeuse, sans aucun appui de fiabilité. Sans la sensibilité l’intellect produit une psychorigidité et nous éloigne de l’essence de la Vie.

Les praticiens ne peuvent se passer de considérations intellectuelles à propos de ce qu’ils mettent en œuvre dans l’accompagnement psychologique de leurs patients. C’est ce qui leur permet d’en faire l’apprentissage, l’étude, l’enseignement. Mais si en situation clinique ils s’y réfugient, ils passeront à côté de ce que la Vie exprime. Rollo May (1909-1994), psychologue américain proche de Carl Rogers, a contribué à la psychologie existentielle. Il nous fait remarquer le risque d’un tel excès :

« Les principes techniques protègent les psychologues et les psychiatres de leurs propres angoisses. Mais par la même occasion, les techniques empêchent les psychologues et les psychiatres de comprendre le malade, elles l’isolent de sa présence pendant l’entretien, qui est essentielle pour comprendre la situation » (May, 1971, p.26).

1.3.  Existentiel, ouverture et créativité

L’existentiel ouvre un champ des possibles que l’intellect ne laisserait pas apparaître dans ses seuls « classements organisés ». Tout y est si bien rangé que ce qui dépasse y reste invisible. Comme disait le Petit Prince de Saint Exupéry : « On ne voit bien qu’avec le cœur ».

C’est ainsi qu’un praticien se laisse emmener vers les nouveautés que lui souffle la pertinence de ses patients. Même s’il dispose d’un socle solide de connaissances et de compétences, il se laisse emmener vers ces nouveautés cliniques tellement didactiques. C’est ainsi que le psychologue psychanalyste Donald Wood Winnicott offre une dédicace à ses patients en préambule de son ouvrage « Jeu et Réalité » :

« A mes patients qui ont payé pour m’instruire » (Winnicott,1975)

Quand un praticien accompagne un patient, il considèrera l’aspect sensoriel (ce qui est corporellement perçu), l’aspect émotionnel (la force des impacts psychiques), l’aspect intellectuel (images mentales, représentations, mémoires), et l’aspect expérientiel (vécu existentiel indicible, parfois même non pensable).

Si le praticien sait généralement être à l’écoute de ce qui est sensoriellement perçu par son patient, de ce qui est mentalement présent en lui, et de ce qui est émotionnellement éprouvé, il peinera souvent face à l’expérientiel du fait que celui-ci échappe plus ou moins à l’intellect, aux représentations mentales préétablies.

Dans tous les cas il aura un immense avantage à rester ouvert et créatif face aux innombrables imprévus que manifeste son patient, dont beaucoup sont de nature expérientielle. D’autant plus que cette dimension expérientielle n’est culturellement pas mise en avant chez nous. Et même, comme le souligne judicieusement le psychologue Abraham Maslow (1908-1979) :

« Il s’agit d’une chose que non seulement nous ne connaissons pas, mais que nous avons peur de connaître » (Maslow, 2006, p.104)

De ce fait, il invite le praticien à la modestie, à l’ouverture, à la générosité de sa créativité :

« Nous nous heurtons à une nouvelle frontière où je pense ne pouvoir que jouer les chercheurs, les cliniciens ou les psychologues, et lancer tout ce que je sais et tout ce que j’ai à offrir, dans l’espoir que quelqu’un l’attrape et en fasse quelque chose » (Maslow, 2006, p.104)

 Le praticien et le patient sont ainsi en étroite collaboration, en binôme, face au monde qui se révèle, face à la vie qui se dévoile, voire qui appelle notre attention et notre délicatesse.  

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2.Entre flou et acuité

2.1.  L’illusion de l’absolu

Nous aimerions pourvoir structurer une représentation du monde définitivement validée, sur laquelle nous pourrions appuyer toutes nos réflexions, nos observations, nos raisonnements.

Mais si toutefois une absence totale de structure risque d’engendrer des pensées vaporeuses et stériles, une structure portée en idéal ou en absolu, elle, risque de nous couper définitivement du monde dont nous prétendons rendre compte. Même en physique, il semble que nous ne connaissions que 5% de ce qui constitue l’univers… 5% sur lesquels s’appuie notre science… alors s’il en est ainsi de la physique, qu’en est-il de la psychologie !?

Nous sommes voués à accepter notre ignorance et, comme le disait le physicien chercheur et enseignant Louis Leprince Ringuet (1901-2000) lors d’une interview télévisée :

« Un savant c’est juste quelqu’un dont l’ignorance a quelques lacunes ».

Aussi inconfortable que soit cette zone de « non connu » (peut-être même d’inconnaissable) : nous devons en avoir conscience, ne pas renoncer pour autant à structurer notre pensée et notre propos… mais avec la prudence de ne rien ériger en dogme.

Garder un esprit de découverte, de curiosité, d’ouverture à la nouveauté, de liberté permanente par rapport aux acquis antérieurs reste essentiel. Or il arrive souvent que, sachant beaucoup de choses, notre bon sens et notre ouverture en soit altérés (René Descartes nous l’a si bien énoncé dans son ouvrage « Recherche de la vérité par la lumière naturelle », où le candide garde son bon sens, contrairement au lettré qui s’est rigidifié).

2.2.  La quête de précisions

Cette humilité ne doit pas nous faire renoncer à la précision. Comme nous l’avons vu, la pensée se doit d’être plus précise que vaporeuse. Saurons-nous gagner en acuité à propos de choses quasiment non pensables ?  La précision ne doit pas altérer notre ouverture, et notre ouverture ne doit pas pour autant altérer la précision de notre approche.

Là se trouve le défi d’oser la précision dans la zone habituellement floue ou vaporeuse de la psyché, sans pour autant se fermer à la vastitude des possibles.

La précision est déjà bien difficile avec ce qui est objectivable (ce qui concerne les objets, la matière), alors elle le sera forcément encore plus avec ce qui est subjectal (ce qui concerne les sujets). Aborder le domaine de la psychologie, de la psyché, autant dans sa dimension individuelle que dans sa dimension systémique, nécessite le goût de la précision tout autant que le goût pour l’ouverture d’esprit.

Le bon sens nous montre que la précision, l’entrée dans le détail, le développement de l’acuité, risquent de nous faire perdre la vue d’ensemble. Il est difficile sur un appareil photo d’utiliser en même temps le zoom et le grand angle. La vastitude fait perdre le détail et le détail fait perdre la vastitude.

Heureusement, il se trouve que nos outils cognitifs et notre sensibilité peuvent se conjuguer pour avoir en même temps le détail et les interactions systémiques, donc en même temps la précision et une approche de la vue d’ensemble. Quelques-fois on parle de « prendre de l’altitude » plutôt que d’avoir « le nez dans le guidon », mais il ne s’agit pas de cela, il ne s’agit pas de prendre de l’altitude, mais d’avoir plus de proximité avec la vastitude.

La capacité à repérer les analogies donne une vision plus vaste que la simple capacité analytique. Elle permet de repérer des chemins de pensée que l’analyse (qui décortique) ne peut à elle seule révéler. La pensée analogique permet de voir que même si « ceci est différent de cela », « ceci comporte des analogies avec cela ». C’est sur ce principe que l’on construit des métaphores pour illustrer un propos. Bien sûr, le piège est de croire que parce que ceci et cela ont des points analogues, il s’agit de la même chose ou que l’un démontre l’autre. L’analogique (qui sensibilise aux ressemblances) est soutenu par l’analytique (qui rend conscient des différences). Ainsi l’analogie illustre, ouvre l’esprit, mais n’est jamais confondu avec une démonstration.

Par exemple le soleil et la lune brillent tous les deux, l’un le jour l’autre la nuit. Ils nous éclairent tous les deux, là est l’analogie. Mais la précision nous apprend que l’un fournit sa propre lumière, alors que l’autre ne fait que refléter celle qu’elle reçoit. Jongler, et même s’amuser, avec les analogies et les différences permet d’élaborer des métaphores. Si cela peut nourrir avantageusement la poésie, cela accompagne aussi nos capacités cognitives et fait de notre intellect non pas une simple machine à décortiquer qui serait une entrave à notre sensibilité, mais un allié permettant de proposer des esquisses pertinentes de ce qui n’est pas pensable et qui peut cependant ainsi être approché, partagé.

La petite phrase « Tout se passe comme si » permet une prudence qui offre cependant une représentation éclairante, sans pour autant l’ériger en absolu, sans altérer la souplesse de notre ouverture, de notre recherche, de notre sensibilité.

Ainsi, quand un patient « contacte » celui qu’il était quand il était enfant, « tout se passe comme si » cet enfant était là et qu’il pouvait converser avec lui. Pareillement avec ceux qu’étaient son père ou sa mère, même quand ils étaient eux-mêmes enfants (intergénérationnel), ou même avec des pans entiers de l’humanité (transpersonnel) ou d’autres types de rencontres. Cela se vit avec un sentiment de réalité, de façon tangible, où se retrouvent en contemporanéité « celui qu’est le patient » et cet « autre » de la psyché, de façon atemporelle. Nous dirons « tout se passe comme si » les deux étaient en présence l’un de l’autre, car rien n’est objectivable à ce sujet, mais c’est pourtant ce qui se passe intimement de façon tangiblement éprouvée. La psychologie parlera de phénoménologie pour rendre compte de ces réalités subjectives. Ce qui est objectivable ensuite, c’est le résultat obtenu quand ces rencontres sont accomplies. « Tout se passe comme si » n’est aucunement une démonstration... mais cela n’implique pas non plus que ce ne soit pas vrai (il convient aussi avec rigueur et distinguer le Réel de la réalité . Voir la publication d’avril 2018 « La réalité, les vérités, le Réel »).

Donc, l’indispensable quête de précision ne doit en aucun cas altérer notre ouverture, tout autant que notre ouverture ne doit pas nous faire oublier l’utilité de la précision. Si la rigidité nous éloigne de la justesse, la rigueur nous y accompagne avantageusement quand elle est associée à de la souplesse, à de l’ouverture d’esprit.

2.3.  Avantages et inconvénients du focus

Le focus nous donne la précision, mais risque de nous faire ignorer l’environnement, ce qui est à côté, ce qui est autour. Toujours la problématique du zoom et du grand angle. Il ne s’agit pas tant de se focaliser, mais de s’ouvrir.

Le psychologue remarquable qu’est Carl Rogers (1902-1987) appela son approche « approche centrée sur la personne » (ACP). Nous comprenons l’idée de génie qui est de faire passer l’individu avant les choses, les objets, les faits, avant les problèmes. C’est sans doute une révolution essentielle dans le monde de la psychothérapie. Pourtant il ne s’agit pas tant d’être « centré sur la personne », mais d’être « ouvert à la personne ». En plus le mot « personne » indiquant notre apparence (« persona » le masque, ce que l’on joue socialement), il s’agit davantage de « s’ouvrir au quelqu’un ». Cela ne nous empêche pas de comprendre l’essentiel que nous transmet Carl Rogers : privilégier les Êtres par rapport aux problèmes. Mais l’énoncé en est délicat.

Quand Eugene Gendlin (1926-2017) psychologue proche de Rogers, nous propose d’avoir notre attention sur le « felt sense » (notre éprouvé corporel) avec son approche « focusing », nous comprenons la délicatesse de cette attention qu’il propose envers ce qu’exprime le corps, et nous pouvons constater aussi l’efficience des résultats. Mais le seul focus sera limitant si le praticien ne l’accompagne pas d’ouverture (ce qui se fait implicitement dans le focusing*, et c’est pour cela que cela fonctionne).

*Ceux qui le souhaitent peuvent lire sur ce site la publication de juillet 2007  « Focusing »

Pour indiquer la présence, l’on dit souvent « Être centré ». Nous entendons intuitivement que cela signifie « avoir une base », « être stable ». Pourtant, si nous avons besoin d’un socle, d’une base, de racines, il s’agit plus que ce soit une « piste d’envol » qu’un « lest nous clouant au sol ». Pour de ne pas nous perdre, nous avons besoin de stabilité, pas de psychorigidité.

La question est de « toucher les étoiles » tout en gardant « le cœur sensible à notre base », être rigoureux tout en étant ouvert, pragmatique tout en étant prêt à de nouvelles éventualités, précis tout en tenant compte de la vastitude.  

Comme le disait maître Ueshiba (1883-1969) fondateur de l’Aïkido « On ne peut me faire tombe car je suis l’Univers, et on ne fait pas tomber l’Univers ». Métaphore donnée avec humilité, comme un rattachement au Tout, sans aucune mégalomanie. Nous trouvons sur Wikipédia l’exposé de ce qui le conduisit à une telle proximité avec la vastitude :

Au printemps de l’année 1925 survint un évènement qui modifie radicalement la vision que Ueshiba porte sur les arts martiaux. Un officier de la marine, maître de Kendo le défie en combat. Ueshiba accepte et gagne le combat sans vraiment se battre. Il n’utilise pas son sabre mais évite ou dévie chacun des coups de l’officier car il est capable de visualiser la trajectoire de ces coups avant que l’officier ne les porte. Après le combat, Ueshiba, épuisé, se retire dans son jardin pour aller se rafraîchir près du puits. Il a alors un sentiment de grande paix et de grande sérénité. Il lui paraît soudain qu’il baigne dans une lumière dorée descendue du ciel. Son corps et son esprit deviennent de l’or. Cette expérience intense et unique fut sa révélation personnelle, son satori.

Morihei Ueshiba — Wikipédia (wikipedia.org)

La mise en mots de son expérience reflète bien l’idée d’expérientiel :

« Soudain, il me sembla que le ciel descendait. De la terre, surgit comme une fontaine d’énergie dorée. Cette chaude énergie m’encercla, et mon corps et mon esprit devinrent très légers et très clairs. Je pouvais même comprendre le chant des petits oiseaux autour de moi. À cet instant, je pouvais comprendre que le travail de toute ma vie dans le Budō était réellement fondé sur l’amour divin et sur les lois de la création. Je ne pus retenir mes larmes, et pleurai sans retenue. Depuis ce jour, j’ai su que cette grande Terre elle-même était ma maison et mon foyer. Le soleil, la lune et les étoiles m’appartiennent. Depuis ce jour, je n’ai plus jamais ressenti aucun attachement envers la propriété et les possessions. »
Morihei Ueshiba — Wikipédia (wikipedia.org)

Quand les mots ne suffisent plus, le problème n’est pas forcément qu’il s’agisse de faussetés, mais juste d’un manque de précision sur des choses si délicates à exprimer. En même temps que nous avons notre focus vers un endroit, il est souhaitable que nous nous laissions toucher par la vastitude avec laquelle ce sur quoi nous portons notre attention se trouve en rapport systémique. D’où l’importance que la précision ne soit jamais érigée en dogme, mais en outil d’ouverture, d’envol, de sensibilité.

2.4.  Être libre des certitudes

Sertis dans des certitudes, nous perdons notre liberté et devenons « conservateurs de pensées fossilisées ». Nous aurions plutôt avantage à rester aux aguets face à la nouveauté, face aux émergences nous ouvrant à une nouvelle subtilité… éventuellement jusqu’à inverser ce que nous pensions jusque-là. Par exemple s’il est juste de penser que les enfants se doivent d’avoir de la gratitude envers leurs parents qui leur ont donné la vie, il l’est tout autant de penser que les parents peuvent avoir de la gratitude envers leurs enfants qui ont fait d’eux des parents.

Penser à l’endroit, puis à l’envers, puis en biais. Retourner le phénomène, le ressenti, le percevoir sous toutes ses formes, dans toutes ses dimensions, dans « tous » ses possibles, ne rien bloquer, jusqu’à ce que surgisse un nouveau relief. Se laisser toucher par l’inattendu, toujours comme « un possible » à envisager. Ce n’est pas l’intellect qui va révéler ces possibles (il en est bien incapable) mais la sensibilité qui va nous ouvrir des voies nouvelles. L’intellect, lui, va jouer son rôle pour repérer les cohérences, s’en faire des représentations, en énoncer le contenu, le partager avec autrui. De ce partage naîtront de nouvelles précisions… etc. Nouvelles précisions qui ne seront disponibles qu’en l’absence de pensées dogmatiques.

René Descartes nous avait déjà sensibilisés à cela avec son « je doute donc je suis ». Il nous a alertés sur risque des pensées préfabriquées, et du nombre d’opinions qui ne constitue pas une preuve :

« …la pluralité des voix n’est pas une preuve qui vaille rien pour les vérités un peu mal aisées à découvrir, à cause qu’il est souvent bien plus vraisemblable qu’un homme seul les ait rencontrées que tout un peuple » (Le discours de la méthode, 2000, p.41).

« Il ne servirait à rien de compter les voix pour suivre l’opinion qui a le plus de partisans : car, s’il s’agit d’une question difficile il est plus sage de croire que sur ce point la vérité n’a pu être découverte que par peu de gens et non par beaucoup. Quand bien même d’ailleurs tous seraient d’accord entre eux. » (Règles pour la direction de l’esprit Règle III, 1999, p.43).

Le philosophe Arthur Schopenhauer nous alerte sur la simple compilation de savoir. Il nous invite tous à être « génial » plus qu’à être savant :

« Un savant est celui qui a beaucoup appris ; un génie, celui qui apprend à l’humanité ce qu’il n’a appris de personne » (1999, p.145).

2.5.  Accroître la visibilité existentielle

Il nous est donné de percevoir ce qui est dit, ce qui est écrit, ce qui est transmis… Nous bénéficions depuis longtemps de beaucoup de propos, de pensées, de paroles. L’Être humain s’interroge sur la Vie depuis la nuit des temps. Notre époque est particulière, car nous disposons d’un accès impressionnant à cette information.

Dans des temps plus reculés, les philosophes de l’antiquité bénéficiaient surtout de transmission orale, mais aussi d’écrits souvent difficiles à trouver et à consulter. Au siècle dernier les informations se sont particulièrement démocratisées avec les livres à des prix abordables, avec les nombreuses bibliothèques accessibles. Cet accès, quoi que beaucoup plus aisé, nécessitait cependant encore un peu de labeur. Puis, de nos jours, avec Internet, la somme des informations disponibles devient impressionnante (même s’il faut un peu de discernement pour les trouver, et cela n’exclut surtout pas les livres). Des informations, des mots, des pensées… nous avons ainsi à notre disposition quasi immédiate le monde à portée de main… (ou à portée de clic).

Pourtant, que ce soit dans une conversation ou dans une recherche Internet, il y a les mots… mais la pensée qui a engendré ces mots est-elle si visible que cela ?

Le philosophe contemporain François Jullien nous interpelle à ce sujet dans son ouvrage « L’inouï » (2019). Il nous sensibilise au fait qu’il y a ce qu’on dit, les mots qu’on prononce et qu’on entend, qu’on écrit et qu’on lit… mais qu’en même temps, derrière ces mots que nous prononçons ou écrivons, il y a « l’inouï », c’est à dire ce qui n’est pas entendu, ce qui n’est pas ouï… qui est exprimé souvent à notre insu, et n’est peut-être même pas entendable, ou plus encore : peut-être pas énonçable. Le défi devient alors de s’ouvrir à cet « inouï », c’est-à-dire à cela qui n’est habituellement pas entendu, mais que chacun tente d’exprimer avec le langage dont il dispose, parfois même sans s’en rendre compte.

Une telle sensibilité ne peut supposer l’interprétation au sens habituel du terme, c’est à dire reposant sur des grilles préétablies, grilles qui n’ont jamais éclairé ni libéré personne, si ce n’est de les enfermer vers des croyances préfabriquées.

Pour le praticien en psychothérapie, là se trouve le principal défi, tant dans ce qu’il entend que dans ce qu’il prononce. Rendre l’inouï entendable, énonçable, accessible à la conscience ! Le praticien sera un « interprète » au sens linguistique du terme (et non au sens psychologique habituel) : les mots prononcés en langage « basse définition » (langue populaire) seront resitués en langage « haute définition » (langue ontique) afin que le relief qui en résulte devienne une évidence pour la conscience du patient. Mais le praticien n’y amène aucun sens préfabriqué, il ne fait que rendre compte de ce qui est exprimé par le patient, jusqu’à ce que le patient puisse dire spontanément « oui, c’est exactement ça ! ». Toute hésitation de la part du patient, même très discrète, montre que la proposition du praticien n’est pas juste. Alors ce dernier se réjouit de ce recentrage qui va le conduire plus proche de ce qui attend d’être rencontré, de cet inouï si discret, pourtant si manifesté à travers les symptômes.

Les mots rendent compte des pensées (représentations mentales). Ces représentations mentales s’appuient sur la sensorialité et il en découle une certaine image du monde. Mais au-delà du sensoriel, il y a l’expérientiel. Justement, cet expérientiel, ne passant pas par les sens, peine à se représenter mentalement.

L’expérientiel c’est par exemple ce qui est éprouvé lors des expériences de mort imminente (c’est à cet endroit que le mot est utilisé), mais c’est aussi ce que nous vivons dans notre quotidien ordinaire et pour lequel nous n’avons pas de mots, parfois pas de représentation mentale… mais que pourtant nous éprouvons : de l’amour, un besoin de reconnaissance, une impression du monde dans la vastitude de ses joies et de ses peines, une proximité avec la nature, des intuitions inexplicables, un besoin de transcendance, de « profondeur »… ou de « hauteur »… les mots ne savent pas le dire, mais pourtant cela est éprouvé intensément. Rien que le fait de parler de « profondeur » ou de « hauteur » pour désigner la même chose montre bien à quel point le verbe a ses limites, et que derrière lui, il y a l’inouï.

2.6.  Les supports structurels (paradigmes et archétypes)

Comme notre pensée a besoin de s’organiser pour être efficace nous réfléchissons tout naturellement à une mise en ordre de nos expériences et observations.

Ce classement structure les données dont nous disposons et il en résulte des paradigmes. Un paradigme, c’est ce qui fonde une théorie. Bien sûr, la théorie, aussi bien que le paradigme peuvent être remis en cause au fil de l’expérience. Même si le mot « théorie » signifie étymologiquement « contemplation des choses divines », il désigne surtout le fait d’objectiver ce que nous observons (comme un monde d’objets, de choses), de l’organiser, de la classer, d’y voir des liens intelligibles, et d’en conclure des phénomènes plus ou moins prédictibles. Les théories rendent service de façon temporaire, car elles permettent d’approcher le monde avec plus de clarté, avec une certaine cohérence. Il en résulte que nous nous sentons moins perdus ! Mais les théories volent parfois en éclat comme la certitude d’atomes constitués d’électrons en orbite autour du noyau (qui a fait place à l’idée d’un nuage d’électrons en emplacement incertain et non d’une orbite), la stabilité de l’espace et du temps (dont la relativité nous a montré qu’ils fluctuent en fonction de la masse, de la vitesse, de l’énergie), la quête de vérités démontrables en mathématique (Kurt Gödel avec son théorème d’incomplétude a démontré qu’il existait une infinité de vérités indémontrables dans un système donné)… etc.

Avant les paradigmes, plus difficiles à déceler, il y a les archétypes (étymologiquement « types archaïques », ancestraux, initiaux) qui sont à l’origine de tout ce qui en résulte. Les archétypes précèdent les paradigmes. Les archétypes fondent la Vie alors que les paradigmes ne fondent que les théories. Un peu comme en mathématique les axiomes précèdent les théorèmes. Voir sur ce site la publication de novembre 2019 « Archétypes existentiels ». Les archétypes, quoi qu’archaïques, ne sont pas « vieux »… il sont atemporels.  

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3.Emergence de la maïeusthésie

3.1.  Dispositions initiales

Adolescent, j’avais un inexplicable sentiment que les choses devaient être simples. Je me disais cependant que je devais avoir tort car tout ce qui m’était montré semblait compliqué, que ce soit à l’école, au collège, au lycée, ou dans la vie sociale.

Je fis de l’aïkido pendant quelques années, sans jamais passer de ceintures. Même si je n’y excellais pas, cette idée d’accompagner l’autre dans son mouvement plutôt que de s’y opposer me marqua beaucoup… ainsi que de ne plus subir ses malveillances, en l’immobilisant sans lui nuire.

J’avais la chance de ne pas avoir tendance à renoncer à ce que je pensais. Même en classe quand j’avais une réponse contraire à l’opinion de tous les élèves, si ma réponse me semblait fondée je n’hésitais pas à lever la main. Avantages et inconvénients : ce qui semblait clair aux autres souvent ne l’était pas pour moi, et en revanche ce qui leur semblait complexe me semblait clair.

Globalement, ce n’est pas simple pour les études qui ne prévoient pas ce cas de figure. J’eus mon bac « D », j’ai démarré des études de médecine à Paris, dont je ne suivis que la première année car mon niveau finalement ne me donnait pas accès à la suite. Tout en travaillant, je suivis jusqu’au bout un cursus d’Hygiéniste naturopathe et de psychosomaticien. J’eus la chance de le réaliser avec ma compagne. Nous l’avons commencé peu après notre mariage qui eut lieu en 1974. Cette date est importante car nos pensées, recherches, réflexions furent échangées depuis ce jour, et même depuis notre rencontre en 1972, jusqu’à maintenant. Nous avons ainsi eu le bonheur de nourrir un cheminement où nous nous sommes mutuellement étayés. Nous avons eu quatre enfants, et la maïeusthésie issue en grande partie de nos partages, fut un peu comme notre cinquième.

Tout au long de ce parcours, je ne me laissais pas trop éblouir par les personnalités remarquables, ni par des tendances à l’idéalisation. J’osais des points de vue différents, avais un goût pour la liberté de pensée. J’étais également sensible à la créativité, à l’expression artistique (notamment écriture de poésies, composition de musiques, création de chansons).

3.2.  Parcours atypique et expérience clinique

Aïkido, Hygiéniste Naturopathe, Psychosomaticien, sensibilité artistique, outre les innombrables partages avec ma compagne, recevant des personnes en consultation depuis 1979, l’expérience clinique fut une ressource extraordinaire pour affiner mon approche en psychothérapie.

Ce que j’avais appris était insuffisant et je croyais que de longues études en ce domaine aurait fourni bien plus de compétences… pourtant quelle ne fut pas ma surprise plus tard, en lisant le docteur en Psychologie John Preston dans son ouvrage « Manuel de psychothérapie brève Intégrative »… face à ses patients voilà son constat : après ces années d’université, « Que dois-je faire maintenant ? » était le nom de son premier chapitre. Et face à ses premiers patients, voici son propos :

« Si l’un d’eux m’avait demandé d’écrire une dissertation ou de définir un concept psychologique, je m’en serais sorti brillamment. Mais mon assurance n’allait pas plus loin…  … j’ai connu des moments, durant les séances de thérapie, où je me demandais en mon for intérieur mais que dois-je faire maintenant ? » (2003, p.3).

Plus tard je découvris avec bonheur l’ouvrage « Jeu et réalité » de Donald Wood Winnicott, où celui-ci commence par cette dédicace (évoquée, précédemment) à ceux qui sont venus le consulter : « A mes patients qui ont payé pour m’instruire » (Folio Gallimard, 1975).

Puis commençant à animer des formations en 1988 j’ai aussi beaucoup reçu de ceux que je formais. Cela me confirmait que plus on enseigne, plus on affine son propos, et même sa propre compréhension de ce qu’on enseigne. J’aurai aussi pu dire « A mes stagiaires qui ont payé pour m’instruire ». Souvent je me retrouvais en situation de chercheur avec eux, et nous étions dans une même dynamique tous ensemble. Bien-sûr j’amenais quelque chose de déjà très signifiant et d’assez concrètement utilisable, mais comme nous l’avons vu, aucune théorie ne doit nous enfermer, et l’esprit se doit sans cesse de rester ouvert.

3.3.  Goût pour la théorisation et l’enseignement

J’ai toujours aimé structurer l’information. Cela n’apparaissait pas dans mon parcours scolaire où mes résultats étaient plus que moyens… et pourtant j’avais particulièrement été touché par l’apparition de la théorie des ensembles dans le programme de maths. Il était pour moi très savoureux de voir que les choses pouvaient être ainsi organisées. J’étais même étonné que cela rebute les autres élèves alors que cela me semblait comme une révélation.

Jeune adulte et jeune marié (j’avais à peine 23 ans) je démarrai pour trois années les cours de naturopathie et de psychosomatique avec ma compagne. Deux années après ce début, j’organisai déjà un cycle de conférence en maison des jeunes sur ce sujet. J’aimais partager ce que je découvrais. J’ai même, avec les collègues de promotion, organisé un cours d’anatomie et physiologie, (aussi en maison de jeunes car les salles y étaient gratuites). Cela nous permettait de compléter notre programme. J’avais déjà l’intuition que d’enseigner était un bon moyen d’apprendre, car cela oblige celui qui enseigne à structurer son information, à la rendre claire pour autrui, donc claire pour lui-même.

Ayant terminé ces cours en 1977, j’ai ouvert un cabinet de consultations en 1979, puis finalement initialisé un cabinet de formation en 1988. Le hasard a fait que j’ai eu à former du personnel administratif en préfecture et au ministère de l’intérieur, dans le domaine de la communication. Cela m’a permis de découvrir des métiers dont j’ignorais les subtilités : les stagiaires avaient l’expertise de leur profession, moi celle de la communication (dans le sens psychologique du terme). Cela a été très didactique pour moi, en même temps que c’était éclairant pour ceux à qui j’enseignais.

Puis, j’ai surtout formé pendant trente années du personnel de différents services de structures sanitaires et sociales (hôpitaux, centres éducatifs). Depuis l’agent de service jusqu’au médecin chef de pôle, les aides-soignants, les infirmiers, éducateurs, psychologues, ergothérapeutes, kinésithérapeutes, cadres de santé, cadres supérieurs …etc. Le plus intéressant était de pouvoir former des services complets, ou même des pôles entiers, car là l’ensemble des collègues bénéficiaient des mêmes apports pour travailler ensemble auprès des patients.

Puis, trouvant dommage que les personnes aient à suivre mes stages pour bénéficier de ces informations, j’eus le goût de publier un premier ouvrage « Se comprendre avec ou sans mots » en 1995. J’y fut encouragé par le directeur des éditions Dangles, Monsieur Anstet-Dangles, qui, touché par le contenu du manuscrit, me dit : « il faut absolument mettre cela à la disposition des lecteurs ». Je publiais aussitôt dans la foulée, en 1996, « Chaleureuse rencontre avec soi-même » pour compléter et ajuster le propos du premier ouvrage.

Il y avait à ce moment-là deux ouvrages (environ 500 pages) à la disposition de ceux qui voulaient se documenter, avoir une trace sur cette façon spécifique de structurer l’information concernant la psychologie et la communication.

J’eus la chance de disposer en même temps d’un « goût pour la pensée structurée », et d’une « ouverture sensible au subtil et à la créativité ». Sans doute je reçus une sorte de lègue implicite de mes parents : une mère artiste peintre et un père technicien… l’une me léga la « liberté créatrice », l’autre « la rigueur »… l’ensemble des deux offrant un nouvel horizon sur les possibles de la Vie.

3.4.  Le mot « maïeusthésie » et les publications

Comme ce que je mettais en œuvre et enseignais comportait des spécificités, j’entendais par-ci par-là émerger le terme « méthode Tournebise ». D’une part le mot « méthode » ne me convenait pas, car il ne reflétait pas mon propos, d’autre part le fait que mon nom y soit associé ne me semblait pas juste. Non pas que je veuille nier d’avoir élaboré ce propos, mais je souhaitais qu’il puisse vivre ensuite indépendamment de moi et que d’autres puissent s’en emparer et le faire vivre en y apportant leurs propres richesses.

Il ne me serait jamais venu à l’idée de créer une approche et de la baptiser, car cela m’aurait semblé bien présomptueux. J’avais juste fait ce que j’avais à faire pour accompagner au mieux, et enseigné ce que j’avais à enseigner pour permettre aux autres de le faire aussi. Mais le déroulement des faits s’accomplit de telle façon qu’il était bien plus modeste de lui donner un nom que de laisser grandir l’idée de « méthode Tournebise » pour désigner la spécificité de ce que j’apportais.

Travaillant depuis pas mal de temps sur l’origine des mots et l’étymologie,  je préférais alors lui donner un nom qui refléta son contenu, plutôt qu’un acronyme « anonyme ». J’avais déjà été interpelé par la maïeutique : le moyen par lequel Socrate menait ses dialogues afin de « faire émerger de l’esprit les pensées qu’il contient sans le savoir ». L’étymologie grecque « maïeutikê » signifiant « art d’accoucher » me semblait un bon départ. Puis comme il s’agissait de sensibilité au fait que les Êtres soient en gestation d’eux-mêmes et que la vie soit un long processus d’accouchement de Soi, « aisthanesthai »* (racine indoeuropéenne, signifiant « être sensible ») venait bien le compléter pour donner « Maïeusthésie ».

*Aisthanesthai a donné Aisthêsis : mot grec signifiant sensibilité, sensation, avec l'idée de percevoir). Aisthêtês signifiait "homme sensible" et a donné "esthète" ainsi que "esthétique"

Je choisis de déposer ce mot à l’INPI afin que personne ne s’en empare pour désigner autre chose ou ne le revendique pour lui-même. Ainsi « Maïeusthésie »© devenait un mot commode pour désigner rapidement, sans périphrases, l’approche en communication et en psychothérapie que je proposais.  

Ce n’est que bien plus tard que je découvris que les dialogues maïeutiques de Socrate rapportés par Platon n’étaient pas si respectueux que cela de la pensée de l’interlocuteur, puisque les questions y étaient souvent « n’est-il pas vrai que ? ». Mais cela n’enlevait rien au fait que « maïeutiquê » signifie bien « art d’accoucher ».

Puis la même année (2000) je décidais de créer un site Internet, afin de publier et de mettre à la disposition de tous gratuitement des données concernant la maïeusthésie. Aujourd’hui, fin 2020, ce site www.maieusthesie.com propose 98 publications en 2500 pages.

Les éditions Dangles me proposèrent, si je le souhaitais, d’apporter à mon premier ouvrage les modifications qui me semblaient utiles. « Se comprendre avec ou sans mots », publié en 1995 méritait des ajustements et je m’emparais de cette opportunité pour avoir un texte plus précis. En effet, l’approche qui n’est pas figée, devait pouvoir être partagée avec ses nouvelles nuances.  A cette occasion, « Se comprendre avec ou sans mots » devint « L’art d’être communicant » (2008), titre qui me semblait également plus juste. « Chaleureuse rencontre avec soi-même » ne fut plus édité par Dangles qui me restitua mes droits d’auteur, et pour ceux qui le voulaient tout de même, je l’ai mis en ligne en PDF sur mon site.

Puis vint « Communication thérapeutique » chez ESF qui s’appuie sur des illustrations avec la mythologie ou les contes. Suivi par « Le grand livre du psychothérapeute » (2011) chez Eyrolles, postfacé par André de Peretti, ami de Carl Rogers, qui en valida pleinement le contenu. Le terme « Le grand livre de » vient juste du fait que se nomme ainsi la collection chez Eyrolles : la collection « Le grand livre de… » où se trouvent des ouvrages sur différents thèmes. Ce livre avec un index, des vignettes cliniques, un glossaire, des fiches de mise en œuvre, et de nombreuses références bibliographiques, était envisagé comme un outil de travail pour les professionnels. Puis vint « Prévention de la récidive dans la délinquance » (2012) chez l’Harmattan, co-écrit avec Danielle Delamotte conseillère d’insertion et de probation (CIP) en milieu pénitentiaire.

Arriva en 2018 « Au cœur de la psychothérapie ». Cet ouvrage, publié chez ESF, situe la maïeusthésie par rapport à de nombreuses autres approches en y pointant les analogies et les différences, mais surtout, il propose non pas des vignettes cliniques, mais 4 entretiens de psychothérapie intégralement retranscrits, avec des commentaires didactiques. Une mine d’or pour les praticiens. En effet, si nous avons souvent des ouvrages traitant de différentes approches, ceux permettant d’accéder au contenu intégral d’une séance sont bien plus rares… si toutefois il en existe. J’ai été particulièrement heureux de mettre cela à la disposition des lecteurs, en particulier des praticiens.

Michel Bernard, professeur d’université, me sollicita aussi en 2010 pour une contribution de 20 pages dans l’ouvrage collectif « De l’attirance à l’amour » chez l’Harmattan.

En mars 2021,  j’ai ainsi mis à la disposition des lecteurs : 2500 pages en lignes (98 publications) et 6 ouvrages édités : soit plus de 3900 pages en tout.

3.5.  Des références bibliographiques

En 2005 il est apparu qu’au-delà de l’assise de l’expérience clinique, il fallait aussi des références en rapport avec d’autres approches, d’autres recherches. C’est à partir de ce moment que la bibliographie de mon site a commencé à s’étoffer avec, 15 ans après en 2020, 240 ouvrages représentant 195 auteurs.

J’ai découvert avec précision des praticiens dont les remarques, les recherches, la nuance, étaient des plus réjouissantes : Philippe Pinel, Carl Rogers, Carl Gustav Jung, Donald Wood Winnicott, Martin Heidegger, Karl Jaspers, Max Pagès et bien d’autres, avec en particulier Fritz Perls et son extraordinaire originalité dans la Gestalt-thérapie, Eugene Gendlin et son approche de Focusing à l’écoute du corps, Abraham Maslow dont les visions sur la psyché et sa dimension ontique sont exceptionnelles et méconnues puisqu’on l’a malheureusement réduit à une pyramide (dont pourtant il n’a jamais parlé), …etc.

Mais aussi de philosophes comme Epictète, Plotin, Sénèque, Erasme, René Descartes, Baruch Spinoza, Gottfried Wilhelm Leibniz, …etc.

Ou encore des Scientifiques comme Charles Darwin, Trinh Xuan Thuan, Carlo Rovelli, et aussi d’exceptionnels témoignages de patients, comme les auteurs parlant de leur expérience de l’autisme : Donna Williams, Daniel Tammet, Josef Schovanec, ou d’expériences de mort imminente : Jill Bolte Taylor, Anita Moorjani, …etc.

Il importe de comprendre que la maïeusthésie a émergé de l’expérience clinique et non de ces lectures, mais que celles-ci ont permis ensuite de la situer, de la relier, et finalement de lui apporter des précisions supplémentaires. Ces lectures ont été d’autant plus riches qu’elle se sont faites avec un regard déjà structuré en psychologie de la pertinence, tant concernant la communication que la psychothérapie.

3.6.  Demandes des stagiaires

Au-delà des formations institutionnelles que j’animais depuis 1988 pour différentes structures, une patiente me demanda si j’organisais des formations pour des particuliers afin qu’elle puisse aussi en bénéficier. Il fallait trouver une salle et réunir du monde, mais elle me dit « j’ai une salle et il y du monde qui souhaite participer ». Ainsi j’ai animé ma première session « Communication thérapeutique » en 1998 pour des particuliers, ou plutôt, pour des professionnels, mais en inscription individuelles. Puis il y eut de la demande pour une autre session l’année suivante, puis une autre… puis les participants me dirent « il faudrait une suite ! ». Je créais alors un programme niveau II où l’on me demanda aussi une suite. Je créais alors un programme de niveau III*. Une praticienne mettant sur sa carte de visite « praticien certifié en maïeusthésie » je me demandai comment gérer cela car je n’avais certifié personne et ne pouvais accepter cela. J’aurais pu la contacter, mais cela ne me sembla pas la bonne méthode. C’est là que je décidai de créer une session de certification en 2009, de certifier des praticiens, de créer un annuaire des praticiens certifiés. Finalement je remercie cette personne d’avoir engendré cette initiative de la certification, à laquelle je n’aurais jamais pensé sans cette maladresse sur sa carte de visite.

*L’ensemble des programmes est disponible sur ce site à : Stages et programmes
https://www.maieusthesie.com/nouveautes/stages/dates_stages.htm

Voyant que plusieurs stagiaires suivaient deux niveaux II ou III pour se préparer à la certification, après plusieurs années il apparut nécessaire de créer un niveau IV pour qu’ils se préparent entre collègues de compétences équivalentes.

De la même façon il me fut demandé une formation de formateur que je décidai de créer en 2011. Puis la demande de certification croissant, je ne pouvais y satisfaire. Je dû former des certificateurs en 2018 pour constituer des jurys en dehors de mes propres sessions.

S’ajouta à cela des sessions niveau IV pro pour les professionnels certifiés et des sessions de Supervision et Perfectionnement (SP). Mais il apparut plus juste (grâce aux stagiaires) de les appeler Ajustement et Perfectionnement de la Pratique (A2P) car l’idée de supervision induisait trop celle d’une autorité qui corrige alors que la démarche est beaucoup plus délicate, accompagnant le déploiement de chacun.

Tout ce parcours s’est réalisé quasi spontanément. Chaque étape a naturellement émergé de la précédente. J’y ai œuvré sans préméditation, suivant naturellement le cours de ce qui s’accomplissait. Je me sentais avec bonheur contribuer à une émergence qui correspondait à mon domaine de compétence. Avec les années, l’expertise s’est révélée de plus en plus fine et le bonheur de la partager de plus en plus grand.  

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4.Au-delà des méthodes et protocoles

4.1.  Formation des praticiens

La maïeusthésie est en mesure de décliner en détail les phénomènes psychiques tant au niveau de la communication que de la psychothérapie. C’est ce qui permet de l’enseigner et d’en rendre possible la mise en œuvre par d’autres personnes.

En communication les interlocuteurs (qui sont des Êtres) seront privilégiés par rapport aux informations (qui sont des choses). Les notions de validations y seront très précises (recevoir, comprendre , accueillir, remercier, valider la cohérence, et surtout validation existentielle). Pour plus de détails, voir la publication de décembre 2014  « Relation et communication ».

En psychothérapie, l’étiologie (la source des troubles psychologiques) se trouve essentiellement au niveau du clivage de la psyché qui s’auto protège en cas de surcharge émotionnelle (il en résulte un « symptôme mémorial » pour ne pas perdre ce qui a été clivé). Mais, en même temps, se passe un phénomène au niveau de la mémoire qui tente de faire éviter les situations analogues dans le futur (il en résulte des situations provoquant des réactions inappropriées par rapport au présent, mais très justes par rapport à une situation antérieure indésirable). Une situation analogue engendre donc alors un réflexe d’évitement ou de défense, mais aussi une réactivation du mémorial qui permet de ne pas perdre la trace de l’Être Soi clivé (« part de Soi » qui a été clivée). Voir la publication de novembre 2020 « Mémoire et mémorial ».

Alors que dans bien des approches l’on cherche à supprimer cette réactivité, en maïeusthésie, on s’en sert pour, depuis le mémorial, accomplir une remédiation entre l’Être de Soi clivé, et le Soi dans son entièreté.

Il y a donc une situation paradoxale entre le besoin d’éviter des situations analogues (sécurité indispensable) et le besoin d’entretenir ce mémorial pour accomplir une remédiation avec ce qui a été clivé de Soi, afin de retrouver son entièreté.

Pour accomplir cette remédiation, le praticien va identifier l’Être de Soi qui a été clivé afin de le voir en tant qu’Être, de le distinguer de la circonstance, puis de valider ce qu’il a éprouvé lors de cette circonstance.

Pour identifier cet Être de Soi clivé le praticien en maïeusthésie part du ressenti initial (le symptôme) et utilise le guidage non directif (voir la publication de janvier 2012 « Non directivité et validation »).

La validation existentielle résultera de la réjouissance du praticien dans la retrouvaille de cet Être clivé et de sa capacité d’être en proximité avec lui (afin que le patient ait le goût de le rejoindre).

Tous ces processus peuvent être déclinés avec précision. Cela est un avantage car ils peuvent être enseignés. Cela est aussi un inconvénient car celui qui se contente de les appliquer en « bon élève » n’aboutira pas à grand-chose. Seule l’humanité, la capacité à se sentir touché, à s’émerveiller de cette rencontre, la rend possible. D’où cette publication pour mettre en exergue la posture plus que la technicité. Pour plus de précisions à ce sujet, vous pouvez consulter  les publications de septembre 2008 « validation existentielle », de décembre 2007   « Le positionnement du praticien », de  mai 2013  « Le verbe et la posture » et  de septembre 2016 « Emplacement subjectif du praticien »).

Du fait que tout cela peut être décliné techniquement, le risque d’en déduire des protocoles fossilisés est bien présent. Ayons bien à l’esprit (comme le disait Rollo May cité en début de ce texte) qu’aucun protocole ne met de l’humanité dans la démarche, bien au contraire il ne peut qu’éloigner le praticien du patient. Cette humanité qui est un élément fondateur de l’efficience, sera gravement altérée si l’on n’est que technicien de l’approche, si généreux soit-on.

Nous pouvons alors espérer que les praticiens listés dans l’annuaire ci-dessous soient à la fois compétents et libres des protocoles :

Annuaire de praticiens certifiés en maïeusthésie

C’est avec bonheur que je découvris des témoignages de personnes, dont je ne connaissais pas la plupart, accompagnées par des praticiens que j’avais formés en maïeusthésie. Il semble que les résultats résultent d’une posture libre des protocoles. Les témoignages suivants ont été recueillis par l’association CALM (Cheminer avec la maïeusthésie)
30 Témoignages de personnes accompagnées

4.2.  Formation des formateurs

Il y a la formation des praticiens, mais ensuite il y a aussi celle des formateurs qui formeront des praticiens. Cette nécessité est apparue avec la demande de formations à laquelle je ne pouvais répondre seul. De plus, comme nous l’avons vu,  elle a émergé spontanément de la part de praticiens certifiés qui m’ont réclamé cette possibilité de se former eux-mêmes en tant que formateurs.

Là aussi, les formateurs doivent être sensibilisés au fait de déployer chez chaque étudiant cette posture, et ne pas se contenter de les « entraîner » à des protocoles bien appliqués. Cela rend l’enseignement de la maïeusthésie bien délicat (quelques éléments pédagogiques de cette formation se trouvent dans la publication de septembre 2017 « Animer une formation »).

Leur expérience s’affine au fur et à mesure de leur pratique. Eux aussi apprennent de ceux à qui ils enseignent. Ils doivent impérativement éviter le risque de la « méthode » et naviguer entre la clarté structurée de la théorie et la subtilité du positionnement, de la posture. En maïeusthésie, il s’agit de s’occuper de la vie en la suivant tout simplement. Mais, si on peut la suivre cognitivement (intellectuellement) car la théorisation y est clairement structurée, on se doit aussi de la suivre ontiquement (existentiellement) car il s’y trouve de l’indicible, du non pensable, de l’expérientiel, de l’inouï.

Concernant cet indicible, voir sur le site les publications :
d’octobre 2019 « 
De la conscience à l’Un-conscient »,
de novembre 2019 « 
Archétypes existentiels »,
d’avril 2020 « 
Décontextualisation ».

Les formateurs de praticiens, plus que les praticiens, doivent se sensibiliser à ces notions afin de montrer aux participants, par l’exemple, toutes les nuances qui se trouvent dans un accompagnement de qualité. Enseigner la théorie n’est pas forcément très simple, mais c’est assez accessible, d’autant que la maïeusthésie est un propos très structuré (publication de septembre 2017 « Animer une formation »). Ce qui est délicat c’est de sensibiliser aux nuances de la posture, de l’indicible, du non pensable, de l’expérientiel, de la pertinence de la psyché, de la Vie… presque de plus se laisser accompagner par la Vie que de prétendre l’accompagner, de rester en constante posture de recherche et d’émerveillement. Voilà le défi pour la compétence des formateurs. La formation de formateur doit donc tenir compte de ces paramètres essentiels.

Annuaire des formateurs de praticiens

4.3.  Du précieux à l’inestimable

Une approche d’accompagnement peut être précieuse si elle est efficiente. C’est le cas de la maïeusthésie (entre autres approches). Pourtant le praticien n’oubliera jamais que si l’approche qu’il met en œuvre est précieuse, la Vie dont elle s’occupe, elle, est inestimable (c’est-à-dire bien plus que précieuse, hors du champ des valeurs mesurables).

Si une approche devient plus importante que la Vie dont elle s’occupe, s’enorgueillit d’être une super théorie, puis insensiblement se transforme en données dogmatiques, pour finalement devenir un socle idéalisé inébranlable implicitement plus important que ce qu’elle prétend décrire... là elle se perd.  Arrivé à ce stade, la description devenant plus importante que ce qu’elle décrit, tombe dans les dérives dogmatiques, dans d’indésirables postures sectaires. Cela ne peut satisfaire l’éthique d’un praticien. La carte est utile, mais elle ne se substitue pas au territoire !

La Vie, est censée toujours être considérée comme au-dessus de tous les principes ou paradigmes qui fondent les structures intellectualisées qui en parlent.

C’est justement la finalité de cette publication de bien rappeler que la Vie est plus importante que toute théorie, aussi bonne soit-elle, y compris la maïeusthésie. Le praticien en maïeusthésie aura cette humilité, ce respect, cette considération et sera toujours en recherche, en ajustement, éveillé aux découvertes nouvelles. Il ne sera pas un bon élève soucieux de bien appliquer les principes, mais quelqu’un aimant la Vie qui s’exprime chez ceux qui le consultent, avec lesquels il sera toujours en partenariat, et même en connivence.  

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5.Développer… et surtout déployer

5.1.  L’intellect se développe, le « cœur » se déploie

Notre corps et notre intellect se développent. C’est-à-dire qu’ils bénéficient d’ajouts de matière ou de données pour accomplir leur croissance. Le lot de toute chose matérielle qui suit une courbe de croissance est : développement, maturité, déclin, disparition.

Les données cependant peuvent être partagées, transmises, et suivre leur chemin. Mais l’intellect qui les gère, lui, suit cette courbe : développement, maturité, déclin, disparition.

Pour ce qui est de la psyché, de l’Être, du Soi, il semble que le processus soit différent : il ne s’agit pas vraiment de développement, mais de déploiement. Le déploiement fait penser à ce que disait Gottfried Wilhem Leibniz (1996) dans sa monadologie : la monade, unité de conscience qui contient tout, n’acquière rien, et ne fait que déployer ce qu’elle contient déjà, au gré de ses rencontres.

Voici des considérations qui ne sont pas dans le monde objectivable. Pourtant, concernant la psyché elles semblent plus que pertinentes. D’où l’intuition d’une sorte de « chez-nous d’humanité » dont on ne sait rien mais qui nous est familier, qui semble infini (ou plutôt au-delà des dimensions) mais en même temps très cosy. Un socle commun présent en nous tous et qui n’a qu’à se déployer. C’est peut-être ce qui a conduit Carl Rogers à nous dire que plus une chose est intime plus elle est générale.

« Ce qui est le plus personnel est aussi ce qu’il y a de plus général. » (Rogers, 2005, p.22)

L’intellect se développe, mais notre humanité, notre « cœur », notre capacité de considération, se déploient. Tout se passe comme si nous l’avions déjà en nous, potentiellement, et qu’un autre, une rencontre, en suscitent le déploiement. Or il se trouve que notre environnement, mettant culturellement l’attention sur ce qui ne va pas pour le corriger, nous donne peu l’opportunité de ce déploiement. C’est pour cela qu’en maïeusthésie nous mettons tant l’accent sur les validations et notamment sur la réjouissance qui est un moteur essentiel pour ce déploiement. Lire sur ce site la publication de février 2017 « Réjouissance thérapeutique ». Nous pouvons à cette occasion saluer l’extraordinaire travail de la psychologue Noami Feil qui a subtilement œuvré au niveau de la validation (« Validation mode d’emploi » - 1997).

La validation de la justesse, de la pertinence à l’œuvre, est une composante essentielle de la maïeusthésie qui s’inscrit ainsi dans ce qu’on peut appeler la psychologie de la pertinence (voir sur ce site la publication de mai 2015  « Psychologie de la pertinence » ainsi que la conférence donnée sur ce thème en  mai 2018  à l’hôpital psychiatrique de Neuchâtel).

5.2.  Connaissances, compétences, sensibilité

Les connaissances s’acquièrent avec l’intellect, la capacité à s’en servir, plus subtile se développe avec l’usage, l’expérience, jusqu’à les intégrer.

Mais si cette compétence est uniquement technique et méthodique, quand bien même elle serait excellente, même intégrée, elle manquerait des capacités d’ajustements et de créativité qui la rendent vraiment efficiente.

La connaissance permet la mise en œuvre. La mise en œuvre ouvre vers des compétences, ces compétences doivent ensuite offrir la liberté d’improvisation qui, tout en respectant les éléments archétypaux (structures dynamiques invariantes ancestrales, au-delà du détail événementiel, fondations existentielles) laissent le praticien libre des paradigmes.

Les paradigmes qui ont structuré les données en compréhension théorique ne doivent pas entraver la sensibilité du praticien à la justesse de la Vie, à la pertinence de ce qui s’accomplit, à l’inattendu, à l’inouï.

Finalement, le praticien finira par déployer, au-delà des connaissances et des compétences, une sensibilité à l’expérientiel, c’est-à-dire à ce qui est hors de la sensorialité, de l’imagerie mentale, parfois même hors de la représentabilité intellectuelle des phénomènes. Cette sensibilité à l’indicible et au non pensable, le conduira à une capacité à mettre en mots ce qui ne se représente pourtant pas mentalement, souvent grâce à des métaphores. Cela offre des accès essentiels, trop souvent négligés en psychothérapie, car l’événementiel et les théories y ont souvent pris trop de place.

5.3.  L’indicible et le non pensable

L’intellect, si majestueux dans la gestion des données, la structuration des pensées, l’élaboration des théories, se retrouve démuni quand on aborde la zone existentielle, la zone de l’indicible et du non pensable.

Il reste cependant un précieux allié, car il est en mesure de rendre compte de tout cela à l’aide de métaphores, de mots subtils. Il est capable de réaliser une esquisse de ce qui ne se dessine pas, de ce qui ne se représente pas mentalement. Il arrive que les poètes ou les artistes en usent abondamment, mais cela se peut aussi dans un langage simple, à la portée de tous.

Cet aspect peut sembler un peu surréaliste. En effet, l’intellect gère ce qui résulte du sensoriel, un peu aussi de l’émotionnel, mais pas de l’expérientiel. Le piège est qu’il peut s’emparer de cette subtilité pour en faire des constructions ésotériques nébuleuses se prétendant vérités, alors qu’elles ne sont que mentalement fantasmées. Quelle différence pouvons-nous identifier entre ces fantasmes surréalistes et ce Réel dont nous avons l’intuition, dont nous faisons l’expérience hors du sensoriel, dans notre sensibilité existentielle ? Pour mieux nous y retrouver, il convient déjà de distinguer entre la réalité (sensorielle), le Réel (expérientiel) et les vérités (démontrables mais sans cesse remises en cause).*

*Voir à ce sujet la publication d’avril 2018 « La réalité, les vérités, le Réel »

La réalité est perçue par le sensoriel. En revanche, le Réel lui est perçu expérientiellement et l’intellect est maladroit pour se le représenter.

Or les expériences éprouvées, quand elles ne sont pas mentalement représentables, sont déroutantes. Si généralement nous connaissons un peu l’expérientiel, médiatisé au niveau des expériences de mort imminente (EMI, NDE), nous en avons moins conscience dans le cours de notre vie. Pourtant, nombre d’intuitions, d’impressions mal identifiables, de sensibilité à autrui, au monde, en font partie. Sans doute sont-elles plus nombreuses dans l’enfance car petit, notre intellect a encore moins de moyens. Le non représentable et l’indicible y sont alors bien plus présents. Le monde des adultes les a hélas généralement réduits à de la logique intellectuelle, ne tenant pas compte des subtilités éprouvées par l’enfant.

Le psychologue Abraham Maslow* fait partie de ceux qui ont particulièrement bien identifié ce phénomène. Il va très loin, et avec précision, dans cette dimension qu’il appelle « ontique » et qui englobe ces phénomènes qu’il nomme « expériences paroxystiques ». Comme le psychiatre Stanislav Grof, il évoque la psychologie transpersonnelle, s’intéresse aux états modifiés de conscience… et donc à cette dimension expérientielle, même s’il ne la nomme pas ainsi.

*Pour ceux qui souhaitent découvrir Maslow, vous trouverez sur le site la publication d’octobre 2008 « Abraham Maslow » où vous trouverez de nombreuses citations et références bibliographiques.

Un praticien en maïeusthésie se doit de tenir compte de cette dimension expérientielle, d’être sensible à ces subtilités, de rester ouvert, non dogmatique, créatif.  

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6.Un regard systémique ou hyper-systémique

6.1.  Le symptôme et l’émergence

Le praticien en maïeusthésie sait que le symptôme est une manifestation dont la finalité est d’identifier un Être de Soi clivé ou à déployer, d’y accomplir une remédiation ou un déploiement, ou les deux. Le symptôme se manifeste en vue de cet accomplissement.

Il y a donc le praticien en maïeusthésie et celui qui le consulte. Chez celui qui le consulte il y a un symptôme qui pointe vers un Être de Soi au cœur de la psyché, afin de pouvoir réaliser cette remédiation ou ce déploiement qui « réclament de s’accomplir ». Cet Être de Soi n’a jamais cessé d’être là depuis le clivage accompli par survie, mais il est en quelque sorte comme « à côté » de soi (à côté du Soi), en attente d’intégration, dès que la maturité le permettra.

Je dis « qui réclament de s’accomplir » car ce n’est aucunement le praticien qui décide d’une telle chose. Il ne fait qu’accompagner un phénomène naturel en cours, où il rejoint une finalité qui appelle notre attention.

Cette finalité qui nous attend se manifeste à travers les symptômes, comme autant de signaux pour qu’on ne la manque pas. Conscient de cela, le praticien sera déjà en proximité avec cet Être de Soi qui attend d’être rejoint, quand bien même il ne l’a pas encore identifié. Il sera même en connivence avec lui, et de cette proximité, il résultera beaucoup plus de facilité pour le patient à le découvrir, à le rencontrer, à le réhabiliter en considération, et à valider ce qu’il a éprouvé.

Là peut jouer une forme de systémie, et le symptôme sera alors multiforme. Comme cela conditionne la façon dont le patient « voit le monde » ce symptôme pourra même se trouver chez son conjoint, chez son enfant, chez un collègue, chez un voisin ou n’importe où dans le monde (synchronicités). Difficile de savoir si c’est « sa façon de le voir », ou si « il se comporte de telle façon que l’autre réponde ainsi », ou si « l’autre prend naturellement une attitude et un ressenti en correspondance avec ce qu’il a à voir en lui » (systémie), comme par un phénomène de résonance. Ainsi, de tels ajustements ne sont pas rares dans la vie sociale ou familiale, le symptôme qui pointe en soi (spécialement pour soi)… pouvant même se trouver chez un tiers.

Cela peut se trouver dans la sphère familiale où par exemple l’enfant porte un symptôme pour que le parent voit l’enfant qu’il était au même âge ; cela peut se trouver dans le couple* où chacun des deux porte un symptôme pour éclairer l’autre sur lui-même et réciproquement… cela est bien plus vaste et peut même se considérer socialement en « hyper-systémie ». Nous trouvons alors un « réseau de manifestations » contribuant en quelque sorte à la conscience de chacun… et du monde. Le paléontologue Pierre Teilhard de Chardin semble, dans sa discipline, avoir identifié quelque chose qui ressemble à cela, témoignant de cette pertinence à l’œuvre :

- « L’homme ne saurait se voir en dehors de la Vie, ni la Vie en dehors de l’Univers » (Teilhard de Chardin, 1955, p.29).
- « La présence d’un plus grand que nous-même, en marche au cœur de nous » (p196).
- « l’Homme ne progresse qu’en élaborant lentement, d’âge en âge, l’essence de la totalité d’un Univers déposé en lui. » (p.199).
- « Ce n’est plus un simple champ, si grand soit-il, - c’est la Terre entière qui est requise pour alimenter chacun d’entre nous. » (p.273).
- « L’Étoffe de l’Univers, en devenant pensante, n’a pas encore achevé son cycle évolutif » (p.279).
- « Résonance au Tout » (Teilhard de Chardin, p.296).

*Concernant la systémie dans le couple, voir sur le site la publication de février 2009  « Vivre son couple »

6.2.  L’être émergeant et le praticien

ll y a donc :

-le praticien en maïeusthésie,
-celui qui le consulte,
-et chez celui qui le consulte, un ou plusieurs Êtres émergeants qui appellent son attention à travers le signe du symptôme.

Le praticien en maïeusthésie « sait » que quand le patient prend rendez-vous, c’est en fait l’Être émergeant qui pousse celui-ci à prendre rendez-vous, grâce au symptôme qu’il lui adresse (comme une carte d’invitation).

Si le praticien en maïeusthésie est en écoute, proximité, considération envers son patient qu’il respecte et considère profondément, il l’est encore plus avec cet Être émergeant qui appelle la conscience de celui-ci. Il est déjà en connivence avec lui, quand bien même il ne sait pas encore de qui il s’agit.

Pourtant, le patient, voulant se débarrasser du symptôme (donc décliner l’invitation), demande implicitement de le débarrasser de cet Être de Soi qui appelle. Tout en respectant ce ressenti du patient, le praticien en maïeusthésie va plutôt rejoindre la finalité de remédiation ou de déploiement que réclame cet Être de Soi en attente (donc honorer cette invitation).

C’est donc un jeu subtil d’écoute et de respect du patient, en même temps qu’un accompagnement de ce qui est à l’œuvre dans sa psyché. Il se trouve alors que le vœu du patient soit parfois contraire à ce qui s’accomplit en lui. Le praticien doit alors respecter les deux phénomènes, tout en priorisant la finalité de remédiation ou de déploiement. Il n’y mettra jamais de force, surtout pas de manipulation. Sans rien brusquer, il accompagnera l’accomplissement d’une justesse à l’œuvre.

6.3.  Le praticien et la Vie

Il y a donc le praticien, le patient, et un Être émergeant (ou plusieurs) au cœur de la psyché de ce patient. Cela fait déjà une belle équipe. Le praticien n’est jamais « seul avec son patient », d’une part car il est « avec le patient », d’autre part car « il fait équipe aussi avec cet Être émergeant » qui appelle la conscience pour pouvoir être au monde. Être au monde… et peut-être même, d’une certaine façon, constituer ce monde, et « ce Monde » fait aussi partie de l’équipe. En plus de ces trois membres de l’équipe, il y a le Monde, la Nature, ou « la Vie ».

Abraham Maslow a aussi été interpellé par ce lien entre l’individu et l’environnement :

« Non seulement l’homme est une PARTIE de la nature, et la nature est une part de lui, mais il doit aussi être isomorphe (semblable à elle) afin d’être viable en elle. » (Maslow - 2006, p.367).

Fritz Perls, père de la gestalt thérapie, nous invite à une réciprocité incontournable de la présence :

« […] on pourrait dire, en un sens, qu’entrer en contact avec l’environnement signifie former une Gestalt » (Perls, 2009, p39). « […] rien n’existe seul » (ibid, p.33).

Carl Gustav Jung, dans son ouvrage « Ma vie » invite à cette vastitude :

« Le Soi embrasse non seulement la psyché consciente, mais aussi la psyché inconsciente et constitue de ce fait pour ainsi dire une personnalité plus ample, que nous sommes aussi… » (Jung, 1973, p.462).

Ainsi, il y a un quatrième élément, et pas des moindres, concernant ce monde : la Vie. Comme nous l’avons vu, Pierre Teilhard de Chardin nous en soufflait un mot :

- « La présence d’un plus grand que nous-même, en marche au cœur de nous » (p196).
- « l’Homme ne progresse qu’en élaborant lentement, d’âge en âge, l’essence de la totalité d’un Univers déposé en lui. » (p.199).
- « La conscience monte à travers les vivants » (Teilhard de Chardin, 1955, p.195). 
-« L’Etoffe de l’Univers, en devenant pensante, n’a pas encore achevé son cycle évolutif » (p.279).

Une sorte de finalité qui s’accomplit où l’on pourrait dire que tout se passe comme si « un futur attendait qu’un présent le rejoigne ». Abraham Maslow nous propose même cette idée de contemporanéité :

« Ce que l’on devrait être est pratiquement identique à ce que l’on est au plus profond de soi […] L’être et le devenir sont côte à côte concomitants. » (Maslow, 2006, p.134).

« Notre travail est donc, dans la perspective d’un suivi sérieux de ce modèle, d’aider ces adultes à devenir plus parfaitement ce qu’ils sont déjà, plus complets, plus accomplis, à mieux épanouir leur potentiel en devenir » (Maslow, 2006, p.74).

Cela peut sembler un peu curieux, simple, ou même simpliste. Une sorte d’idée indémontrable qui ne vaudra que si elle produit une efficience au niveau de l’accompagnement psychologique du patient. Or c’est ce qui se passe, « comme si » le Réel, dont nous avons parlé précédemment, « réclamait de faire partie de cette équipe ». Bien que cela concerne des choses auxquelles nous aspirons, Maslow a bien remarqué notre défiance à ce sujet :

« Les valeurs ontiques sont ce à quoi beaucoup de gens (la plupart ? tous ?) aspirent profondément (décelable en thérapie approfondie) » (Maslow 2006, p.159).

« Il s’agit d’une chose que non seulement nous ne connaissons pas, mais que nous avons peur de connaître » (Maslow 2006, p.104).

Le Monde, la Vie, le Tout… chacun le nommera comme cela lui semblera juste, mais cela fait partie de l’équipe et c’est un peu comme si nous étions dans une sorte d’hyper-systémie où ce qui est en jeu, ce qui opère, est plus vaste qu’il n’y paraît d’où la psychologie transpersonnelle).

La difficulté est sans doute à la fois de tenir compte de cela, sans pour autant en développer un système de croyance, et encore moins une rigidité dogmatique. Il s’agit juste de retenir ce qui est opérant dans l’approche que l’on a du patient et de ce qui se passe chez-lui.

6.4.  L’humilité en équipe

Cette vastitude ne doit en aucun cas entamer notre humilité. C’est juste « ce dont nous faisons partie » et « que nous sommes aussi », au même titre que chaque autre Être Humain, il n’y a aucunement lieu de se penser au-dessus de qui que ce soit. Cette vastitude « à portée de main », ou plutôt « à portée de conscience », à la fois nous émerveille et nous laisse très humble. Nous la rencontrons avec simplicité, nous œuvrons, avec elle autant qu’elle œuvre avec nous. Mais quand nos intuitions et nos pensées frôlent un tel endroit, nous doutons de pouvoir oser une telle chose. Abraham Maslow, l’ayant remarqué dans une psychologie de grande subtilité, nous en rend compte dans ses écrits :

« Nous sommes terrorisés par nos potentialités les plus élevées (comme les plus basses). Nous avons généralement peur de devenir ce que nous entrevoyons à certains éclairs de perfection, dans les conditions les plus parfaites, celles du plus grand courage. Les capacités quasi divines que nous voyons en nous lors de ces instants paroxystiques nous font frissonner autant qu’elles nous réjouissent. » (Maslow 2006, p.58).

« Ceux que nous qualifions de malades ne sont pas eux-mêmes, ils ont édifié toutes sortes de défenses névrotiques contre leur humanité. » (Maslow, 2006, p.74) .

Tous se passe comme si la pensée commune, ou même savante, nous avait trop souvent éloignés de cette dimension qui nous constitue, soit en la niant purement et simplement, soit en l’idéalisant et en la prétendant hors de notre portée, inaccessible, réservée à une élite, la reléguant à d’outrancières ritualisations ou protocoles .

Or il ne s’agit surtout pas de développer une croyance naïve, histoire de se rassurer, ni de produire un nouveau sujet d’idéalisation qui nous laisserait définitivement loin de cette intuition si profonde.

Face à cette dimension de la Vie, nous somme à la fois très humbles et profondément émerveillés, sans précautions particulières, mais en profond respect. Nous pouvons être tels que nous le serions avec un excellent ami, en toute confiance. Comme avec une sorte d’ami d’enfance, puisque nous sommes en proximité de cette dimension depuis nos origines.

Tous se passe comme si la Vie attendait d’être rencontrée, considérée, aimée, sans protocole, sans précautions ni fioritures, ainsi qu’on le ferait avec un Être cher. J’ai longuement détaillé cela dans ma publication de septembre 2018  « Incontournable délicatesse et outrancières précautions ».

Ce que l’on a ainsi coutume d’idéaliser se rencontre alors en tout simplicité, fait partie de notre équipe, dévoile des pertinences subtiles, contribue aux phénomènes de remédiations ou de déploiement au cœur de la psyché, contribuant ainsi à « l’étoffe de l’univers » « dans son cycle évolutif », ainsi que nous le propose le paléontologue Pierre Teilhard de Chardin.

Nous avons donc une équipe de 4 protagonistes : le Praticien, le Patient, l’Être émergeant et la Vie. Le praticien qui se contente d’être délicat avec son patient (ce qui est déjà une belle chose) limite terriblement son approche s’il ignore le reste de l’équipe.

6.5.  Un soin de la Vie (existentiel, ontique)

Le mot « thérapeute » est amusant dans son étymologie : il vient du grec « Therpôn » qui signifie « serviteur » (donc humble) et « Therapeutês » qui désigne des « serviteurs qui prennent soi des divinités » (donc au service du sacré). Déjà cela engage l’humilité et la subtilité.

Dans le mot « psychothérapie » cette source a curieusement été choisie pour désigner ceux qui prennent soin de la psyché. Je ne donne pas cette source pour idéaliser la psyché, mais juste pour signifier son côté « ordinairement sacré » en chacun de nous (la psyché a hélas trop été vue comme emplie de désordre, de dysfonctionnements, voire d’encombrants). Encore une fois Abraham Maslow a parfaitement entrevu cette dimension exceptionnelle :

« Un certain caractère sacré chez le patient en tant qu’individu est nécessaire » (Maslow, 2006, p.139).

Riche de cette intuition, le psychiatre Henri Grivois qui a consacré sa carrière aux psychotiques et a créé les premières urgences psychiatriques à Paris Hôtel Dieu nous dit aussi :

« L’homme qui devient fou révèle, par sa folie même, une part essentielle de la vérité sur l’homme » (Grivois, 2007, p.119).

Cette capacité à « prendre soin » s’exprimera d’autant mieux que nous ne sommes pas dans du « préfabriqué », ni prétendument scientifique, ni prétendument spirituel, mais dans une rencontre de ce qui est, là, et attend en toute simplicité d’être rencontré... j’oserais dire en toute amitié.

Le cognitiviste Jerome Bruner était particulièrement sensible à nos errances théoriques arrogantes, car le théoricien…

« […] en est venu à jeter par-dessus bord le phénomène même que la psychologie doit expliquer» .

Il traite de « méthodolâtrie » les « petites études bien faites » qui prétendent élucider la nature de l’esprit et ses processus (Bruner, 1997, p.13).

« Pourquoi faudrait-il nécessairement et dans tous les cas comprendre par avance le phénomène à observer, ce que prétend faire la prédiction ? » (Bruner, 1997, p. 15), car en faisant cela nous risquons « d’artificialiser ce que nous étudions au point qu’il est difficile d’y reconnaître une représentation de la vie humaine » (ibid.)  

Au niveau de la psyché, nous touchons une sorte « d’hyper-systémie ». L’exceptionnel philosophe anglais John Stuart Mill, dans son ouvrage « Utilitarisme », nous éveille à cette vastitude :

« Est utile tout ce qui donne le bonheur sans nuire à tout ce qui vit. […] Une existence telle qu’on vient de la décrire pourrait être assurée dans la plus large mesure possible, à tous les hommes ; et point seulement à eux, mais autant que la nature des choses le comporte, à tous les êtres sentant de la création » (1988, p.57 -58).

Les Hawaïens, dans leur approche Oh’Oponopono avec cette phrase « je suis désolé, merci, pardon, je t’aime » utilisée pour gérer les difficultés humaines, rendent compte aussi de cette hyper-systémie. Nous devons la résurgence de cette approche à la chaman Hawaïenne Morrnah Simeona (1913-1992) qui fut honorée par le titre « Trésor vivant d’Hawaï ».

Afin d’apaiser ce qui nous entoure, cette approche invite plus à gérer ce qui est en soi que ce qui est autour de soi, et la phrase pourrait se décliner ainsi :

« Je suis désolé que tu aies eu à être ainsi pour m’éclairer au plus profond de moi,
Pardon de t’avoir infligé la nécessité d’un tel rôle si ingrat,
Merci de l’avoir fait,
Je t’aime car nous faisons partie de la même humanité »

Il se passe ici une ouverture à la vastitude, à la pertinence, à l’écoute intime de la justesse. On pourrait penser qu’il s’agit d’une sorte d’idéalisation gentille et apaisante ? En fait cela fonctionne de façon efficiente, comme on peut le lire dans la gestion des violences dans un établissement de soins psychiatriques par le Dr Ihaleakala Hew Len, formé par Morrnah Simeona. Il a travaillé ainsi avec chaque patient, juste avec leur dossier, se tournant en même temps vers eux, et surtout en lui : 

« Je guéris la partie de moi qui les a créés […] je prends chaque dossier et je répète ″désolé, pardon, merci, je t’aime″ » (Bodin, 2011, p.29).

Le praticien, en prenant soin de son patient, prend soin de plus vaste que lui et aussi de plus vaste que son patient, et même de plus vaste qu’eux deux réunis. Le praticien et le patient forment une équipe qui prend soin de la Vie.  

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7.La vie plus que la théorie

7.1.  Théorie, paradigmes, archétypes

Aussi riche que soit une théorie elle ne peut rendre compte de cette vastitude. L’intellect ne sait pas se représenter une telle hyper-systémie. L’idée de théorie, et les théories elles-mêmes, ne doivent surtout pas pour autant être méprisées, rejetées ou condamnées. En fait elles nous rendent un immense service de compréhension, pourvu qu’on ne les idéalise pas, que l’on n’en fasse pas des absolus, que l’on garde l’esprit ouvert, qu’on ne s’y enferme pas. Ce qui pose un problème c’est le dogmatisme, pas la théorie.

Nous garderons à l’esprit que les paradigmes fondent les théories, mais que les archétypes (modèles initiaux, archaïques) fondent la Vie. Ces dernier nous seront plus utiles, mais cependant, les paradigmes constituent tout de même des étayages qui, même s’ils sont souvent temporaires, nous rendent un immense service.

7.2.  La mise en œuvre

Au-delà des théories, il y a toujours l’épreuve de la mise en œuvre. Avec la mise en œuvre, quel est notre constat : ça fonctionne ou ça ne fonctionne pas ? Quand cela ne fonctionne pas, nous aurons avantage à rester ouverts à de nouvelles éventualités, quitte à ce que cela remette en cause quelques paradigmes qui nous semblaient pourtant certains.

La mise en œuvre est très didactique pour le praticien qui garde l’esprit ouvert. En revanche, pour celui qui s’est serti dans les certitudes, l’horizon ne va pas bien loin. Comme le dit si bien le psychiatre Jean Maisondieu :

« Si on se contente de penser en termes de maladie, on ne peut plus creuser qu’un seul sillon étiologique » (2001, p.16) « Si les médecins prévoient d’observer de la démence là où il y a de l’angoisse, ils trouveront de la démence et rien d’autre (p.69).

« La première chose à faire est de détruire la définition [sémiologique] ; à elle seule elle est capable de fabriquer tout ou partie de la symptomatologie dont elle est sensée rendre compte » (ibid, p.56).

« A mes patients qui ont payé pour m’instruire » disait sagement Donald Wood Winnicott. Le praticien est sans cesse enseigné par ceux dont il s’occupe, pourvu que la théorie dont il dispose l’accompagne simplement, sans pour autant constituer des œillères le rendant aveugle à l’évidence.

La notion de « mise en œuvre » est d’ailleurs une belle notion car chaque œuvre est unique, même si elle habitée par des universaux (archétypes). Les paradigmes théoriques ne peuvent la contenir. Face à de la musique ou face à un tableau, un critique d’art pourra commenter la technique utilisée, mais quand il arrive à l’expression de l’indicible, à l’expression artistique de l’âme, il ne peut que dire que « cela y est » ou « cela n’y est pas ». Cela ne peut s’argumenter avec de la théorie. C’est d’autant plus compliqué qu’une œuvre techniquement moins bien faite peut être bien plus belle qu’une autre parfaitement « exécutée » (c’est-à-dire « déjà morte »).

Le praticien gardera sa souplesse face à la Vie qui s’offre à être rencontrée, en équipe avec ses patients. Il se laissera enseigner à chaque mise en œuvre, tout le temps de sa pratique, aussi expérimenté soit-il. Il se retrouvera avec joie dans ces continuelles découvertes, rencontres, émergences de la Vie qui se manifeste de tellement de façons.

7.3.  Gratitude et rencontre de la Vie

Le praticien sera en continuelle gratitude que lui soit offert de rencontrer ainsi une forme de vastitude du monde. Chaque situation lui montre un nouveau jardin, qui, s’il semble en friche, attend d’être rencontré pour s’auto-organiser.

Mais quand le praticien rencontre ce « jardin », son regard a-t-il un a priori de désordre à organiser, ou d’ordre sous-jacent à révéler. Il se peut que sa façon de le voir accompagne son déploiement, ou au contraire l’éteigne. L’enseignant ostéopathe Pierre Tricot tient particulièrement à cette nuance de l’accueil de ce qui est :

« Comme nous n’avons pas conscience de forger notre propre réalité à partir de nos perceptions, nous déterminons comme réelles et objectives des choses qui ne le sont pas forcément : finalement l’image du réel que nous tirons de la perception n’est rien d’autre qu’une construction de pensée élaborée grâce au livre de significations à partir des messages sensoriels. » (Pierre Tricot, 2005, p.258).

Il en découle ainsi, selon lui, un précieux outil de guidage pour le praticien :

« Je focalisais mon attention sur une zone particulièrement sombre dans l’espace sacro-iliaque droit. Je sentis alors l’occiput se mettre en mouvement dans mes mains. Ce mouvement dura un certain temps, ralentit, puis s’arrêta. En même temps ma perception de la zone changea. Elle s’était éclaircie. » (ibid., p.256).

Mais une telle perception n’est pas aisée à prendre en compte, tant elle remet en cause les schémas habituels et déroute les esprits soi-disant « cartésiens » (mais qui n’ont pas lu Descartes qui était un homme sensible, souple, ouvert aux hypothèses et particulièrement libre des pensées toutes faites). Pierre Tricot nous dit aussi :  

« La difficulté majeure qui entrave le développement d’une autre perception résulte de la difficulté à rompre le consensus, d’accepter d’expérimenter des choses autrement et de nous apercevoir que nous ne percevons pas tous la même chose de la même manière. L’expérience peut être tellement déstabilisante pour un être qui refuse de la poursuivre, l’esquive la plus habituelle consistant à considérer qu’il s’agit d’un délire. » (Tricot, 2005, p.258).

« Une autre difficulté que rencontrent tous ceux qui travaillent avec la perception (et les ostéopathes en font partie !), c’est l’interprétation de ce qui est perçu. Nous avons naturellement tendance à penser que ce que nous percevons est ce qui est. Notre expérience en la matière nous impose beaucoup de prudence : ce que je perçois est ce que je perçois, mais cela ne m’autorise pas à prétendre que cela est. ». (ibid, p.40). 

« […] la recherche d’explication conduit à formuler des hypothèses [...], ce qui est tout à fait légitime. Mais avec le temps et l’expérimentation journellement répétée, l’hypothèse se renforce et peut aller jusqu’à se figer en certitude puis en dogme. On en vient à considérer l’hypothèse comme un fait acquis alors qu’elle n’a jamais été scientifiquement vérifiée. Le plus grave survient lorsque ces certitudes non prouvées sont enseignées sans préciser qu’il s’agit d’hypothèses… » (ibid.)

Voici de belles réflexions mettant en exergue le Réel (expérientiel) distinct de la réalité (sensorielle). Tous se passe comme si la « réalité » n’était qu’une version virtuelle (subjective) du « Réel ». Nos représentations mentales se cantonnent à la réalité perçue sensoriellement. Or l’expérience nous donne, sous formes d’intuitions et de perceptions subtiles (non sensorielles), un accès à des justesses qui dépassent nos capacités sensorielles et cognitives.

Notre ouverture d’esprit et notre liberté de pensée nous y invitent. A cet endroit reste l’écueil de nouvelles constructions mentales se voulant « savantes » du « subtile », prenant la forme indésirable (ainsi que le disait un jour un stagiaire) de nouvelles théories « spirituo-gélatineuses ». Cette ouverture d’esprit n’est pas censée rejouer le même phénomène à un endroit plus subtile. Elle consiste juste à rester libre de tout dogme sans en construire de nouveaux, à accepter d’éventuelles constructions temporaires pour rendre compte de ce qui est, en gardant à l’esprit que de possibles changements peuvent survenir dans ce que nous avons intellectuellement construit.

7.4.  Une nouvelle langue

Il s’agit juste de parler une nouvelle langue, tout en utilisant les mots de celle que l’on pratique habituellement.

« D’ailleurs d’autres impressions, plus vagues encore, me dictent que la communication facilitée par l’usage de la langue ontique s’accompagne d’une grande intimité avec l’interlocuteur, du sentiment de partager des loyautés communes, d’œuvrer pour un même objectif, d’être en ˝sympathie˝, de ressentir comme un lien de parenté avec lui, d’en être en quelque sorte coresponsable » (Maslow, 2006, p.273).

Quand Abraham Maslow parle de « langue ontique » il n’évoque pas que l’on verbalise en anglais, en français, en espagnol ou en russe. Quelle que soit la langue que nous utilisons, il invite à convertir le propos en langue du cœur, en expression de l’existentiel et surtout de l’expérientiel. Pour un praticien, il ne s’agit pas d’interpréter à partir de théories préfabriquées, mais d’être un délicat interprète qui traduit en langue ontique ce qui a été exprimé en langue courante. On pourrait dire qu’il transmute le message « basse définition » en « message haute définition », en y révélant « l’inouï ».

Par exemple, si le patient dit « J’ai souffert de voir des gens que tout le monde adule, mais qui ne respectent personne, alors que d’autres plus profonds et plus justes sont ignorés », le praticien reformulera éventuellement, tel un interprète linguistique : « Vous souffrez que des gens brillants et indélicats soient en avant, alors que des gens lumineux restent ignorés ».

Il ne s’agit pas de faire des suppositions interprétatives, mais de rendre compte avec précision de ce qui est exprimé, de manifester « l’inouï », c’est à dire ce qui n’est habituellement pas entendu dans ce qui est exprimé, souvent même à peine entendu par celui-là même qui l’exprime. Et quand celui-ci vous renvoie avec jubilation « Oui ! C’est exactement ça ! », là il y a confirmation de la justesse du propos.

7.5.  Le détecteur d’étoile

Nous sommes culturellement paramétrés pour détecter ce qui ne va pas. Nous entendrons souvent « Il est super : il n’y a rien à dire ! » ; « celui-là est vraiment nul : parlons-en ! ». Quel dommage ! Cette propension à repérer ce qui ne va pas pour l’ajuster n’est pas sans fondements, mais l’esprit qui l’accompagne, délaissant ce qui est juste, n’est vraiment pas le plus opérant pour réaliser un accompagnement. 

La beauté a besoin d’être vue pour se déployer, la justesse du monde a besoin qu’on s’en émerveille pour oser exister. Non pas de s’en émerveiller d’une façon niaise en se racontant des histoires de lutins ou de pensées magiques, mais dans une vraie proximité existentielle, en se laissant toucher par ce Réel en émergence.

Il nous est culturellement fourni un « détecteur d’immondices et de désordre » (pour ne pas dire un détecteur de m…) nous formatant pour le nettoyage, le récurage, le classement, l’élimination, l’éradication, la purification… mais hélas pas pour l’émerveillement. Or la capacité d’émerveillement du praticien est un élément fondamental de son efficience (voir la publication de février 2017 « Réjouissance thérapeutique »).

Cet émerveillement vient simplement de la direction de notre attention : se tourne-t-elle vers les Êtres ou vers les choses ? Il ne s’agit pas de s’émerveiller de la beauté (et encore moins de l’horreur) des choses, mais de la grâce des Êtres.

Attention, là aussi danger : si l’on en fait une règle dogmatique idolâtrée, et que notre émerveillement devient un sourire niais à tout bout de champ... non seulement ce ne sera pas efficient, mais ce sera vraiment ridicule, voire néfaste.

Maslow avait remarqué cette propension à repérer ce qui est désobligeant en dénonçant que : ceux qui affirment…

« […] que les profondeurs de la nature humaine sont dangereuses, maléfiques, prédatrices et voraces » … sont source de désordre (Maslow, 2008, p.202).

Il va même jusqu’à nous avertir que : 

« Toute croyance qui incite les hommes à se méfier d’eux-mêmes et des autres sans nécessité et à douter sans fondement des possibilités humaines, doit être considérée partiellement responsable des guerres, des rivalités entre les races et des massacres perpétrés au nom de la religion » (ibid. p.107).

Quel dommage que l’on ne connaisse pas Maslow pour la profondeur de ses travaux et qu’on l’ait enfermé dans cette pyramide qu’il n’a pourtant jamais évoquée. Il arrive ainsi que l’ignorance, associée à l’affirmation de faussetés indéfiniment répétées (y compris par quelques « savants enseignants »), fasse peur ! Cela confirme bien le propos de Descartes cité précédemment :

« …la pluralité des voix n’est pas une preuve qui vaille rien pour les vérités un peu mal aisées à découvrir, à cause qu’il est souvent bien plus vraisemblable qu’un homme seul les ait rencontrées que tout un peuple » (Le discours de la méthode, 2000, p.41).

Qui aura entendu ce propos d’Abraham Maslow ? :

« Nous espérons vraiment, bien entendu, que le conseiller sera celui qui pourra favoriser l’accomplissement des individus plutôt que celui qui aidera à guérir d’une maladie » (Maslow, 2006, p.72-73).

Nous ne pouvons parler de « détecteurs d’étoiles »… et d’étoiles, sans parler d’anthropie (de anthropos « homme » : signifiant que, dès le départ, l’univers s’engage vers l’apparition de l’Homme – l’utilisation de anthropos est juste un clin d’œil à l’entropie). Certains astrophysiciens comme Trinh Xuan Thuan l’évoquent non comme une affirmation, mais comme la plus grande probabilité, tout en spécifiant que anthropie est tout de même un peu trop anthropomorphique, et qu’on devrait plus modestement parler de « bios » (vie) que de « anthropos » (homme) » :

« Il faut savoir que les propriétés de l’univers sont déterminées par une quinzaine de nombres appelés "constantes fondamentales de la nature", ainsi que par son état physique au moment de sa naissance – ce qu’on appelle les conditions initiales.[…]

Nous avons pu mesurer ces nombres avec une très grande précision.[…]

La précision du réglage de l’expansion de l’univers étant de 10-60, si nous invoquions le hasard pour en rendre compte, il faudrait postuler l’existence de 1060 univers différents, chacun avec sa propre combinaison de conditions initiales et de constantes physiques. » (Trinh Xuan Thuan, 2008, pp. 39-46).

Tout se passe comme si cela accréditait implicitement l’idée de psychologie de la pertinence. Le déploiement de la « Noosphère » de Pierre Teilhard de Chardin (évoqué précédemment) y trouve son compte. La conscience qu’il évoque comme émergeant au cours des processus d’évolution aussi. Comme s’il réconciliait l’idée d’une finalité rejointe et d’une évolution pertinente où le hasard offre une porte à la conscience.

Charles Darwin aurait été en désaccord avec cette idée de « finalité qui s’accomplit ». Il démontra que la nature (unique source) et le hasard (pas d’intention) sont les seuls moteurs animant les processus : ce sont juste des modifications aléatoires qui produisent des individus différents, dont certains, mieux adaptés, bénéficieront d’une meilleure survie… qualités qu’ils transmettront à leur descendance… et dont bénéficiera ensuite la population. Selon lui, la nature à elle-seule produit tout ce qui se passe en elle. Ce fut une révolution scientifique, hors des croyances incertaines de son époque. Nous lui devons ainsi un nouveau regard sur la vie, sur la nature, sur les moteurs de l’évolution. Sa découverte, essentiellement matérialiste et pragmatique, n’a cependant aucunement altéré son humanisme chevronné, en lutte contre l’esclavage et la ségrégation sociale de son époque. Il a même identifié que le processus d’évolution, arrivé à l’homme, favorisait la coopération par rapport à la concurrence. Ce processus produit ainsi naturellement plus d’humanité, comme si c’était un utile paramètre de survie (parfaitement explicité par Patrick Tort, spécialiste de Darwin) :

« Par le biais des instincts sociaux, la sélection naturelle, sans "saut" ni rupture, a ainsi sélectionné son contraire, soit : un ensemble normé, et en extension, de comportements sociaux anti éliminatoires […]  la sélection naturelle s’est trouvée, dans le cours de sa propre évolution, soumise elle-même à sa propre loi – sa forme nouvellement sélectionnée, qui favorise la protection des faibles, l’emportant parce que avantageuse, sur la forme ancienne  » (Tort, 2009, p.72-73).

« Durant la phase d’évolution qui se situe entre les ancêtres immédiats de l’Homme et l’Homme moderne, la faiblesse est donc un avantage, car elle conduit à l’union face au danger, à la coopération, à l’entraide et au développement corrélatif de l’intelligence et de l’éducation des jeunes (dont le propre est d’être "sans défense"). » (Tort, 2010, p.66).

Il semblerait que cette finalité qui attend d’être rejointe et ce processus d’évolution uniquement basé sur le hasard aient tous deux une justesse, et qu’ils doivent tous deux être considérés en synergie, même s’il est difficile de le conceptualiser mentalement. Comme s’ils fonctionnaient en dialogique (phénomènes opposés qui s’étayent réciproquement). C’est pourquoi nous peinons à clairement l’identifier cognitivement en intégrant en même temps ces deux pôles si différents. Et de toute façon, en y regardant de près… d’où vient que la nature soit faite de telle façon que le mieux adapté survive, afin de produire une sélection de plus en plus performante (à quoi cela peut-il bien servir, si ça sert à quelque chose ? A moins que cela ne serve à rien ? En fait… nous n’en savons rien !).

Heureusement, au-delà de toute polémique à ce sujet, nous retiendrons avant tout la situation clinique : dans l’accompagnement psychologique, les résultats sont quasiment toujours présents si l’on opère avec cette notion de finalité qui est rejointe.

7.6.  La vie plus que la théorie

En maïeusthésie, les praticiens se doivent d’être souples, sensibles, créatifs, émerveillés, libres des écoles, et même libres de la maïeusthésie. La priorité est l’efficience, mais une efficience profonde qui respecte la Vie, consciente des pertinences systémiques, libre de tout dogme. L’axe majeur est l’accomplissement des justesses, donc la capacité à les identifier, puis à les accompagner.

Certes la maïeusthésie dispose d’une théorisation précise, d’une mise en ordre des données assez fine pour les rendre accessibles à l’intellect, et permettre une mise en œuvre enseignable et reproductible.

Pourtant, cette théorisation, si attrayante soit-elle par sa clarté, bien qu’elle décrive les processus d’accès aux résultats thérapeutiques, ne doit jamais primer sur la Vie. Elle est juste une commodité qui permet d’accéder au Réel, mais ne prétend en aucun cas s’y substituer. Elle est comme une invitation à la plongée existentielle dans ce « chez-nous d’humanité » où aucune règle ne doit se supplanter à notre sensibilité et à notre créativité.

Le « bon élève » qui applique méticuleusement les processus risque fort de ne pas être un praticien efficient, s’il ne tient pas compte de cette souplesse.

7.7.  Structure et liberté

Cette liberté indispensable du praticien efficient ne le laisse enfermer dans aucune théorie ! Cependant, celle-ci n’exclut pas une structure offrant l’indispensable socle de stabilité et de sécurité. La liberté sera avantageusement accompagnée d’une structure.

Ce défi est très délicat : la liberté du praticien s’appuie ici sur une structure qui le porte, et non sur un cadre qui l’enferme.

C’est ce qui me conduisit à écrire en février 2020 « 12 fondamentaux de la maïeusthésie ». Le but y est d’offrir cette structure qui préserve la liberté… et même lui donne une possibilité d’expression plus vaste.

En décembre 2013, j’avais déjà écrit un texte en ce sens avec « Primum non nocere ». Le « d’abord ne pas nuire » d’Hippocrate devait aussi pouvoir concerner la psychothérapie ou tout accompagnement psychologique.

En janvier 2019 j’avais aussi proposé un fondement majeur «  S’ouvrir à ce qui appelle et non chercher ce qui se  cache ».

Sans jamais prétendre avoir aucunement fait le tour du sujet, je propose à chaque fois une précision supplémentaire, offrant aux praticiens une possibilité étendue et aux patients une sécurité plus grande.

Si cela concerne en priorité les praticiens en maïeusthésie que j’ai formés, ou qui ont été formés par d’autres formateurs en maïeusthésie, cela concerne aussi les praticiens de toute autre approche qui ont l’élan de cette créativité, mais qui disposent d’autres compétences enseignées dans diverses écoles ou universités.

La Vie n’aime pas les monopoles, les principes rigides, ni les théories trop parfaites (donc un peu trop mortes). Elle n’aime pas les dogmatismes.

Le parfum de la liberté lui va bien. Elle se laisse rencontrer dans la vastitude d’espaces qui la respectent, qui ne la combattent pas, qui l’accompagnent vraiment. Tout simplement, la Vie se laisse rencontrer par la Vie.

Pour conclure, si vous avez un peu de temps, voici un exemple de séance déployée autour de ces fondamentaux : vidéo (1h30)  https://youtu.be/uFm9CwTvuzc.

Thierry TOURNEBISE  

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Bibliographie

Bodin, Luc- Hurtado Graciet, Maria Elisa
-Ho’ oponopono - Le secret des guérisseurs hawaïens – Jouvence, 2011

Bruner, Jerome
-Car la culture donne forme à l’esprit – Georg Eshel - Genève, 1997

Descartes, René
- Le discours de la méthode – Flammarion, Paris 2000.
Descartes, Œuvres Lettres - Règles pour la direction de l’esprit – La recherche de la vérité par la lumière naturelle – Méditations – Discours de la méthode  « Bibliothèque de la Pléiade » Gallimard – Lonrai, 1999
  

Feil, Naomi
-Validation mode d’emploi – Techniques élémentaires de communication avec les personnes atteintes de démence sénile de type Alzheimer – Editions Pradel 1997

Jullien, François
-L’inouï – Grasset, 2019

Leibniz, Gottfried Wilhelm
-Monadologie – Flammarion, 1996

Maisondieu, Jean
-Le crépuscule de la raison – La maladie d’Alzheimer en question – Bayard 2001

Maslow, Abraham
-Etre humain - Eyrolles, 2006
-Devenir le meilleur de soi-même – Eyrolles, 2008
-Psychologie existentielle – Editions Epi, 1971

May, Rollo
- Psychologie existentielle – Editions Epi, 1971

Preston, John  
-Manuel de thérapie brève intégrative - InterEditions-Dunod Paris 2003

Rogers, Carl Ransom
-Le développement de la personne – InterEditions Dunod 2005

Schopenhauer, Arthur
-Esthétique et métaphysique – Livre de Poche1999

Teilhard de Chardin, Pierre
-Le phénomène Humain- Editions du Seuil, 1955

Tort, Patrick
-Darwin et le darwinisme –Puf, 2009
-Darwin n’est pas celui qu’on croit- Le cavalier Bleu éditions, 2010

Tournebise, Thierry
-Se comprendre avec ou sans mots – Dangles, 1995
-Chaleureuse rencontre avec soi-même – Dangles 1996  
-L’écoute thérapeutique – ESF 2001
-L’art d’être communicant – Dangles 2008
(édition revisitée de « se comprendre avec ou sans mots »)
-De l’attirance à l’amour – L’Harmattan 2010
-Le grand livre du psychothérapeute - Eyrolles (collection le grand livre de) 2011
-Face à la délinquance, prévention de la récidive – L’Harmattan 2012
-Au cœur de la psychothérapie – ESF 2018

Tricot, Pierre
-Approche tissulaire de l’ostéopathie -livre 1- Editions Sully 2005

Teilhard de Chardin, Pierre
-Le phénomène Humain- Editions du Seuil, 1955

Trinh Xuan Thuan
-Le monde s’est-il créé tout seul ? - Albin Michel 2008

Winnicott, Donald Wood
-Jeu et réalité - Folio Gallimard 1975  

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Liens internes

juillet 2007  Focusing   
décembre 2007 
Le positionnement du praticien
septembre 2008
Validation existentielle
octobre 2008 Abraham Maslow
février 2009 Vivre son couple
janvier 2012 Non directivité et validation
mai 2013  Le verbe et la posture
décembre 2013 Primum non nocere
décembre 2014 Relation et communication 
septembre 2016
Emplacement subjectif du praticien
février 2017 Réjouissance thérapeutique
septembre 2017 Animer une formation
avril 2018 La réalité, les vérités, le Réel   
mai 2018  conférence à
l’hôpital psychiatrique de Neuchâtel
septembre 2018 Incontournable délicatesse et outrancières précautions
janvier 2019 S’ouvrir à ce qui appelle et non chercher ce qui se cache
octobre 2019 De la conscience à l’Un-conscient
novembre 2019
Archétypes existentiels
février 2020 12 fondamentaux de la maïeusthésie
avril 2020 Décontextualisation
novembre 2020
Mémoire et mémorial

Annuaire des praticiens certifiés en maïeusthésie
Annuaire des
formateurs de praticiens
Programmes des formations disponibles sur le site à : Stages et programme
https://www.maieusthesie.com/nouveautes/stages/dates_stages.htm

30 Témoignages de personnes accompagnées
Exemple de séance déployée autour de ces fondamentaux :
vidéo (1h30)  https://youtu.be/uFm9CwTvuzc

Liens externes

Morihei Ueshiba — Wikipédia (wikipedia.org)  

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